Métrique en Ligne
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e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_3/HUG589
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
PREMIÈRE SÉRIE
1859
IX
LA ROSE ET L'INFANTE
La Rose et l'Infante
Elle est toute petite,une duègne la garde. 6+6 a
Elle tient à la mainune rose, et regarde. 6+6 a
Quoi ? que regarde-t-elle ?Elle ne sait pas. L'eau, 6+6 b
Un bassin qu'assombritle pin et le bouleau ; 6+6 b
5 Ce qu'elle a devant elle ;un cygne aux ailes blanches, 6+6 a
Le bercement des flotssous la chanson des branches, 6+6 a
Et le profond jardinrayonnant et fleuri. 6+6 b
Tout ce bel ange a l'airdans la neige pétri. 6+6 b
On voit un grand palaiscomme au fond d'une gloire, 6+6 a
10 Un parc, de clairs viviers les biches vont boire, 6+6 a
Et des paons étoiléssous les bois chevelus. 6+6 b
L'innocence est sur elleune blancheur de plus ; 6+6 b
Toutes ses grâces fontcomme un faisceau qui tremble. 6+6 a
Autour de cette enfantl'herbe est splendide et semble 6+6 a
15 Pleine de vrais rubiset de diamants fins ; 6+6 b
Un jet de saphirs sortdes bouches des dauphins. 6+6 b
Elle se tient au bordde l'eau ; sa fleur l'occupe. 6+6 a
Sa basquine est en pointde Gênes ; sur sa jupe 6+6 a
Une arabesque, errantdans les plis du satin, 6+6 b
20 Suit les mille détoursd'un fil d'or florentin. 6+6 b
La rose épanouieet toute grande ouverte, 6+6 a
Sortant du frais boutoncomme d'une urne ouverte, 6+6 a
Charge la petitesseexquise de sa main ; 6+6 b
Quand l'enfant, allongeantses lèvres de carmin, 6+6 b
25 Fronce, en la respirant,sa riante narine, 6+6 a
La magnifique fleur,royale et purpurine, 6+6 a
Cache plus qu'à demice visage charmant, 6+6 b
Si bien que l'œil hésite,et qu'on ne sait comment 6+6 b
Distinguer de la fleurce bel enfant qui joue, 6+6 a
30 Et si l'on voit la roseou si l'on voit la joue. 6+6 a
Ses yeux bleus sont plus beauxsous son pur sourcil brun. 6+6 b
En elle tout est joie,enchantement, parfum ; 6+6 b
Quel doux regard, l'azur !et quel doux nom, Marie ! 6+6 a
Tout est rayon ; son œiléclaire et son nom prie. 6+6 a
35 Pourtant, devant la vieet sous le firmament, 6+6 b
Pauvre être ! elle se senttrès grande vaguement ; 6+6 b
Elle assiste au printemps,à la lumière, à l'ombre, 6+6 a
Au grand soleil couchanthorizontal et sombre, 6+6 a
A la magnificenceéclatante du soir, 6+6 b
40 Aux ruisseaux murmurantsqu'on entend sans les voir, 6+6 b
Aux champs, à la natureéternelle et sereine, 6+6 a
Avec la gravitéd'une petite reine ; 6+6 a
Elle n'a jamais vul'homme que se courbant ; 6+6 b
Un jour, elle seraduchesse de Brabant ; 6+6 b
45 Elle gouvernerala Flandre ou la Sardaigne. 6+6 a
Elle est l'infante, elle acinq ans, elle dédaigne. 6+6 a
Car les enfants des roissont ainsi ; leurs fronts blancs 6+6 b
Portent un cercle d'ombre,et leurs pas chancelants 6+6 b
Sont des commencementsde règne. Elle respire 6+6 a
50 Sa fleur en attendantqu'on lui cueille un empire. 6+6 a
Et son regard, déjàroyal, dit : C'est à moi. 6+6 b
Il sort d'elle un amourmêlé d'un vague effroi. 6+6 b
Si quelqu'un, la voyantsi tremblante et si frêle, 6+6 a
Fût-ce pour la sauvermettait la main sur elle, 6+6 a
55 Avant qu'il t pu faireun pas ou dire un mot, 6+6 b
Il aurait sur le frontl'ombre de l'échafaud. 6+6 b
La douce enfant sourit,ne faisant autre chose 6+6 a
Que de vivre et d'avoirdans la main une rose, 6+6 a
Et d'être là devantle ciel, parmi les fleurs. 6+6 b
60 Le jour s'éteint ; les nidschuchotent, querelleurs ; 6+6 b
Les pourpres du couchantsont dans les branches d'arbre ; 6+6 a
La rougeur monte au frontdes déesses de marbre 6+6 a
Qui semblent palpitersentant venir la nuit ; 6+6 b
Et tout ce qui planaitredescend ; plus de bruit, 6+6 b
65 Plus de flamme ; le soirmystérieux recueille 6+6 a
Le soleil sous la vagueet l'oiseau sous la feuille. 6+6 a
Pendant que l'enfant rit,cette fleur à la main, 6+6 b
Dans le vaste palaiscatholique romain 6+6 b
Dont chaque ogive sembleau soleil une mitre, 6+6 a
70 Quelqu'un de formidableest derrière la vitre ; 6+6 a
On voit d'en bas une ombre,au fond d'une vapeur, 6+6 b
De fenêtre en fenêtreerrer, et l'on a peur ; 6+6 b
Cette ombre au même endroit,comme en un cimetière, 6+6 a
Parfois est immobileune journée entière ; 6+6 a
75 C'est un être effrayantqui semble ne rien voir ; 6+6 b
Il rôde d'une chambreà l'autre, pâle et noir ; 6+6 b
Il colle aux vitraux blancsson front lugubre, et songe ; 6+6 a
Spectre blême ! Son ombreaux feux du soir s'allonge ; 6+6 a
Son pas funèbre est lent,comme un glas de beffroi ; 6+6 b
80 Et c'est la Mort, à moinsque ce ne soit le Roi. 6+6 b
C'est lui ; l'homme en qui vitet tremble le royaume. 6+6 a
Si quelqu'un pouvait voirdans l'œil de ce fantôme 6+6 a
Debout en ce momentl'épaule contre un mur, 6+6 b
Ce qu'on apercevraitdans cet abîme obscur, 6+6 b
85 Ce n'est pas l'humble enfant,le jardin, l'eau moirée 6+6 a
Reflétant le ciel d'ord'une claire soirée, 6+6 a
Les bosquets, les oiseauxse becquetant entre eux, 6+6 b
Non ; au fond de cet œilcomme l'onde vitreux, 6+6 b
Sous ce fatal sourcilqui dérobe à la sonde 6+6 a
90 Cette prunelle autantque l'océan profonde, 6+6 a
Ce qu'on distinguerait,c'est mirage mouvant, 6+6 b
Tout un vol de vaisseauxen fuite dans le vent, 6+6 b
Et, dans l'écume, au plides vagues, sous l'étoile, 6+6 a
L'immense tremblementd'une flotte à la voile, 6+6 a
95 Et, là-bas, sous la brume,une île, un blanc rocher, 6+6 b
Écoutant sur les flotsces tonnerres marcher. 6+6 b
Telle est la visionqui, dans l'heure nous sommes, 6+6 a
Emplit le froid cerveaude ce mtre des hommes, 6+6 a
Et qui fait qu'il ne peutrien voir autour de lui. 6+6 b
100 L'armada, formidableet flottant point d'appui 6+6 b
Du levier dont il vasoulever tout un monde, 6+6 a
Traverse en ce momentl'obscurité de l'onde ; 6+6 a
Le roi, dans son esprit,la suit des yeux, vainqueur, 6+6 b
Et son tragique ennuin'a plus d'autre lueur. 6+6 b
105 Philippe deux étaitune chose terrible. 6+6 a
Iblis dans le coranet Caïn dans la bible 6+6 a
Sont à peine aussi noirsqu'en son Escurial 6+6 b
Ce royal spectre, filsdu spectre impérial. 6+6 b
Philippe deux étaitle Mal tenant le glaive. 6+6 a
110 Il occupait le hautdu monde comme un rêve. 6+6 a
Il vivait ; nul n'osaitle regarder ; l'effroi 6+6 b
Faisait une lumièreétrange autour du roi ; 6+6 b
On tremblait rien qu'à voirpasser ses majordomes ; 6+6 a
Tant il se confondait,aux yeux troublés des hommes, 6+6 a
115 Avec l'abîme, avecles astres du ciel bleu ! 6+6 b
Tant semblait grande à tousson approche de dieu ! 6+6 b
Sa volonté fatale,enfoncées obstinée, 6+6 a
Était comme un cramponmis sur la destinée ; 6+6 a
Il tenait l'Amériqueet l'Inde, il s'appuyait 6+6 b
120 Sur l'Afrique, il régnaitsur l'Europe, inquiet 6+6 b
Seulement du côtéde la sombre Angleterre ; 6+6 a
Sa bouche était silenceet son âme mystère ; 6+6 a
Son trône était de piègeet de fraude construit ; 6+6 b
Il avait pour soutienla force de la nuit ; 6+6 b
125 L'ombre était le chevalde sa statue équestre. 6+6 a
Toujours vêtu de noir,ce tout-puissant terrestre 6+6 a
Avait l'air d'être en deuilde ce qu'il existait ; 6+6 b
Il ressemblait au sphinxqui digère et se tait, 6+6 b
Immuable ; étant tout,il n'avait rien à dire. 6+6 a
130 Nul n'avait vu ce roisourire ; le sourire 6+6 a
N'étant pas plus possibleà ces lèvres de fer 6+6 b
Que l'aurore à la grilleobscure de l'enfer. 6+6 b
S'il secouait parfoissa torpeur de couleuvre, 6+6 a
C'était pour assisterle bourreau dans son œuvre, 6+6 a
135 Et sa prunelle avaitpour clarté le reflet 6+6 b
Des bûchers sur lesquelspar moments il soufflait. 6+6 b
Il était redoutableà la pensée, à l'homme, 6+6 a
A la vie, au progrès,au droit, dévot à Rome ; 6+6 a
C'était Satan régnantau nom de Jésus-Christ ; 6+6 b
140 Les choses qui sortaientde son nocturne esprit 6+6 b
Semblaient un glissementsinistre de vipères. 6+6 a
L'Escurial, Burgos,Aranjuez, ses repaires, 6+6 a
Jamais n'illuminaientleurs livides plafonds ; 6+6 b
Pas de festins, jamaisde cour, pas de bouffons ; 6+6 b
145 Les trahisons pour jeu,l'auto-da-fé pour fête. 6+6 a
Les rois troublés avaientau-dessus de leur tête 6+6 a
Ses projets dans la nuitobscurément ouverts ; 6+6 b
Sa rêverie étaitun poids sur l'univers ; 6+6 b
Il pouvait et voulaittout vaincre et tout dissoudre ; 6+6 a
150 Sa prière faisaitle bruit sourd d'une foudre ; 6+6 a
De grands éclairs sortaientde ses songes profonds. 6+6 b
Ceux auxquels il pensaitdisaient : Nous étouffons. 6+6 b
Et les peuples, d'un boutà l'autre de l'empire, 6+6 a
Tremblaient, sentant sur euxces deux yeux fixes luire. 6+6 a
155 Charles fut le vautour,Philippe est le hibou. 6+6 b
Morne en son noir pourpoint,la toison d'or au cou, 6+6 b
On dirait du destinla froide sentinelle ; 6+6 a
Son immobilitécommande ; sa prunelle 6+6 a
Luit comme un soupirailde caverne ; son doigt 6+6 b
160 Semble, ébauchant un gesteobscur que nul ne voit, 6+6 b
Donner un ordre à l'ombreet vaguement l'écrire. 6+6 a
Chose inouïe ! il vientde grincer un sourire. 6+6 a
Un sourire insondable,impénétrable, amer. 6+6 b
C'est que la visionde son armée en mer 6+6 b
165 Grandit de plus en plusdans sa sombre pensée ; 6+6 a
C'est qu'il la voit voguerpar son dessein poussée, 6+6 a
Comme s'il était là,planant sous le zénith ; 6+6 b
Tout est bien ; l'océandocile s'aplanit, 6+6 b
L'armada lui fait peurcomme au déluge l'arche ; 6+6 a
170 La flotte se déploieen bon ordre de marche, 6+6 a
Et, les vaisseaux gardantles espaces fixés, 6+6 b
Échiquier de tillacs,de ponts, de mâts dressés, 6+6 b
Ondule sur les eauxcomme une immense claie. 6+6 a
Ces vaisseaux sont sacrés,les flots leur font la haie ; 6+6 a
175 Les courants, pour aiderles nefs à débarquer, 6+6 b
Ont leur besogne à faireet n'y sauraient manquer ; 6+6 b
Autour d'elles la vagueavec amour déferle, 6+6 a
L'écueil se change en port,l'écume tombe en perle. 6+6 a
Voici chaque galèreavec son gastadour ; 6+6 b
180 Voilà ceux de l'Escaut,voilà ceux de l'Adour ; 6+6 b
Les cent mestres de campet les deux connétables ; 6+6 a
L'Allemagne a donnéses ourques redoutables, 6+6 a
Naples ses brigantins,Cadix ses galions, 6+6 b
Lisbonne ses marins,car il faut des lions. 6+6 b
185 Et Philippe se penche,et, qu'importe l'espace ? 6+6 a
Non seulement il voit,mais il entend. On passe, 6+6 a
On court, on va. Voicile cri des porte-voix, 6+6 b
Le pas des matelotscourant sur les pavois, 6+6 b
Les moços, l'amiralappuyé sur son page, 6+6 a
190 Les tambours, les siffletsdes mtres d'équipage, 6+6 a
Les signaux pour la mer,l'appel pour les combats, 6+6 b
Le fracas sépulcralet noir du branle-bas. 6+6 b
Sont-ce des cormorans ?sont-ce des citadelles ? 6+6 a
Les voiles font un vasteet sourd battement d'ailes ; 6+6 a
195 L'eau gronde, et tout ce groupeénorme vogue, et fuit, 6+6 b
Et s'enfle et roule avecun prodigieux bruit. 6+6 b
Et le lugubre roisourit de voir groupées 6+6 a
Sur quatre cents vaisseauxquatre-vingt mille épées. 6+6 a
O rictus du vampireassouvissant sa faim ! 6+6 b
200 Cette pâle Angleterre,il la tient donc enfin ! 6+6 b
Qui pourrait la sauver ?Le feu va prendre aux poudres. 6+6 a
Philippe dans sa droitea la gerbe des foudres ; 6+6 a
Qui pourrait délierce faisceau dans son poing ? 6+6 b
N'est-il pas le seigneurqu'on ne contredit point ? 6+6 b
205 N'est-il pas l'héritierde César ? le Philippe 6+6 a
Dont l'ombre immense vadu Gange au Pausilippe ? 6+6 a
Tout n'est-il pas finiquand il a dit : je veux ! 6+6 b
N'est-ce pas lui qui tientla victoire aux cheveux ? 6+6 b
N'est-ce pas lui qui lanceen avant cette flotte, 6+6 a
210 Ces vaisseaux effrayantsdont il est le pilote 6+6 a
Et que la mer charrieainsi qu'elle le doit ? 6+6 b
Ne fait-il pas mouvoiravec son petit doigt 6+6 b
Tous ces dragons ailéset noirs, essaim sans nombre ? 6+6 a
N'est-il pas, lui, le roi ?n'est-il pas l'homme sombre 6+6 a
215 A qui ce tourbillonde monstres oit ? 6+6 b
Quand Béit-Cifresil,fils d'Abdallah-Béit, 6+6 b
Eut creusé le grand puitsde la mosquée, au Caire, 6+6 a
Il y grava : « Le cielest à Dieu ; j'ai la terre. » 6+6 a
Et, comme tout se tient,se mêle et se confond, 6+6 b
220 Tous les tyrans n'étantqu'un seul despote au fond, 6+6 b
Ce que dit ce sultanjadis, ce roi le pense. 6+6 a
Cependant, sur le borddu bassin, en silence, 6+6 a
L'infante tient toujourssa rose gravement, 6+6 b
Et, doux ange aux yeux bleus,la baise par moment. 6+6 b
225 Soudain un souffle d'air,une de ces haleines 6+6 a
Que le soir frémissantjette à travers les plaines, 6+6 a
Tumultueux zéphyreffleurant l'horizon, 6+6 b
Trouble l'eau, fait frémirles joncs, met un frisson 6+6 b
Dans les lointains massifsde myrte et d'asphodèle, 6+6 a
230 Vient jusqu'au bel enfanttranquille, et, d'un coup d'aile, 6+6 a
Rapide, et secouantmême l'arbre voisin, 6+6 b
Effeuille brusquementla fleur dans le bassin, 6+6 b
Et l'infante n'a plusdans la main qu'une épine. 6+6 a
Elle se penche, et voitsur l'eau cette ruine ; 6+6 a
235 Elle ne comprends pas ;qu'est-ce donc ? Elle a peur ; 6+6 b
Et la voilà qui chercheau ciel avec stupeur 6+6 b
Cette brise qui n'apas craint de lui déplaire. 6+6 a
Que faire ? le bassinsemble plein de colère ; 6+6 a
Lui, si clair tout à l'heure,il est noir maintenant ; 6+6 b
240 Il a des vagues ; c'estune mer bouillonnant ; 6+6 b
Toute la pauvre roseest éparse sur l'onde ; 6+6 a
Ses cent feuilles que noieet roule l'eau profonde, 6+6 a
Tournoyant, naufrageant,s'en vont de tous côtés 6+6 b
Sur mille petits flotspar la brise irrités ; 6+6 b
245 On croit voir dans un gouffreune flotte qui sombre. 6+6 a
— Madame, dit la duègneavec sa face d'ombre 6+6 a
A la petite filleétonnée et rêvant, 6+6 b
Tout sur terre appartientaux princes, hors le vent. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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