Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_3/HUG587
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
PREMIÈRE SÉRIE
1859
VII
L'ITALIE — RATBERT
La Confiance du marquis Fabrice
I
ISORA DE FINAL — FABRICE D'ALBENGA
Tout au bord de la merde Gênes, sur un mont 6+6 a
Qui jadis vit passerles francs de Pharamond, 6+6 a
Un enfant, un aïeul,seuls dans la citadelle 6+6 b
De Final sur qui veilleune garde fidèle, 6+6 b
5 Vivent bien entourésde murs et de ravins ; 6+6 a
Et l'enfant a cinq anset l'aïeul quatre-vingts. 6+6 a
L'enfant est Isorade Final, héritière 6+6 b
Du fief dont Witikinda tracé la frontière ; 6+6 b
L'orpheline n'a plusprès d'elle que l'aïeul. 6+6 a
10 L'abandon sur Finala jeté son linceul ; 6+6 a
L'herbe, dont par endroitsles dalles sont couvertes, 6+6 b
Aux fentes des pavésfait des fenêtres vertes 6+6 b
Sur la route oubliéeon n'entend plus un pas ; 6+6 a
Car le père et la mère,hélas ! ne s'en vont pas 6+6 a
15 Sans que la vie autourdes enfants s'assombrisse. 6+6 b
L'aïeul est le marquisd'Albenga, ce Fabrice 6+6 b
Qui fut bon ; cher au pâtre,aimé du laboureur ; 6+6 a
Il fut, pour guerroyerle pape ou l'empereur, 6+6 a
Commandeur de la meret général des villes ; 6+6 b
20 Gênes le fit abbédu peuple, et, des mains viles 6+6 b
Ayant livré l'étataux rois, il combattit. 6+6 a
Tout homme auprès de luijadis semblait petit ; 6+6 a
L'antique Sparte étaitsur son visage empreinte ; 6+6 b
La loyauté mettaitsa cordiale étreinte 6+6 b
25 Dans la main de cet hommeà bien faire obstiné. 6+6 a
Comme il était bâtardd'Othon, dit le Non-Né 6+6 a
Parce qu'on le tira,vers l'an douze cent trente, 6+6 b
Du ventre de sa mèreHonorate expirante, 6+6 b
Les rois faisaient dédainde ce fils belliqueux ; 6+6 a
30 Fabrice s'en vengeaiten étant plus grand qu'eux. 6+6 a
A vingt ans, il étaitblond et beau ; ce jeune homme 6+6 b
Avait l'air d'un tribunmilitaire de Rome ; 6+6 b
Comme pour exprimerles détours du destin 6+6 a
Dont le héros triomphe,un graveur florentin 6+6 a
35 Avait sur son écusculpté le labyrinthe ; 6+6 b
Les femmes l'admiraient,se montrant avec crainte 6+6 b
La tête de lionqu'il avait dans le dos. 6+6 a
Il a vu les plus fiers,Requesens et Chandos, 6+6 a
Et Robert, avouéd'Arras, sieur de Béthune, 6+6 b
40 Fuir devant son épéeet devant sa fortune ; 6+6 b
Les princes pâlissaientde l'entendre gronder ; 6+6 a
Un jour, il a forcéle pape à demander 6+6 a
Une fuite rapideaux galères de Gênes ; 6+6 b
C'était un grand briseurde lances et de chnes, 6+6 b
45 Guerroyant volontiers,mais surtout délivrant ; 6+6 a
Il a par tous étéproclamé le plus grand 6+6 a
D'un siècle fort auquelsuccède un siècle trtre ; 6+6 b
Il a toujours frémiquand des bouches de prêtre 6+6 b
Dans les sombres claironsde la guerre ont soufflé ; 6+6 a
50 Et souvent de saint Pierreil a tordu la clé 6+6 a
Dans la vieille serrurehorrible de l'église. 6+6 b
Sa bannière cherchaitla bourrasque et la bise ; 6+6 b
Plus d'un monstre a grincédes dents sous son talon, 6+6 a
Son bras se raidissaitchaque fois qu'un félon 6+6 a
55 Déformait quelque étatpopulaire en royaume. 6+6 b
Allant, venant dans l'ombreainsi qu'un grand fantôme, 6+6 b
Fier, levant dans la nuitson cimier flamboyant, 6+6 a
Homme auguste au dedans,ferme au dehors, ayant 6+6 a
En lui toute la gloireet toute la patrie, 6+6 b
60 Belle âme invulnérableet cependant meurtrie, 6+6 b
Sauvant les lois, gardantles murs, vengeant les droits, 6+6 a
Et sonnant dans la nuitsous tous les coups des rois, 6+6 a
Cinquante ans, ce soldat,dont la tête enfin plie, 6+6 b
Fut l'armure de ferde la vieille Italie, 6+6 b
65 Et ce noir siècle, à quitout rayon semble ôté, 6+6 a
Garde quelque lueurencor de son côté. 6+6 a
II
LE DÉFAUT DE CUIRASSE
Maintenant il est vieux ;son donjon, c'est son cltre ; 6+6 b
Il tombe, et, déclinant,sent dans son âme crtre 6+6 b
La confiance honnêteet calme des grands cœurs ; 6+6 a
70 Le brave ne croit pasau lâche, les vainqueurs 6+6 a
Sont forts, et le hérosest ignorant du fourbe. 6+6 b
Ce qu'osent les tyrans,ce qu'accepte la tourbe, 6+6 b
Il ne le sait ; il esthors de ce siècle vil ; 6+6 a
N'en étant vu qu'à peine,à peine le voit-il ; 6+6 a
75 N'ayant jamais de ruse,il n'eut jamais de crainte ; 6+6 b
Son défaut fut toujoursla crédulité sainte, 6+6 b
Et, quand il fut vaincu,ce fut par loyauté ; 6+6 a
Plus de péril lui faitplus de sécurité. 6+6 a
Comme dans un exilil vit seul dans sa gloire, 6+6 b
80 Oublié ; l'ancien peuplea gardé sa mémoire, 6+6 b
Mais le nouveau le perddans l'ombre, et ce vieillard, 6+6 a
Qui fut astre, s'éteintdans un morne brouillard. 6+6 a
Dans sa brume, les feuxdu couchant se dispersent, 6+6 b
Il a cette mer vasteet ce grand ciel qui versent 6+6 b
85 Sur le bonheur la joieet sur le deuil l'ennui. 6+6 a
Tout est derrière luimaintenant ; tout a fui ; 6+6 a
L'ombre d'un siècle entierdevant ses pas s'allonge ; 6+6 b
Il semble des yeux suivreon ne sait quel grand songe ; 6+6 b
Parfois, il marche et vasans entendre et sans voir. 6+6 a
90 Vieillir, sombre déclin !l'homme est triste le soir ; 6+6 a
Il sent l'accablementde l'œuvre finissante. 6+6 b
On dirait par instantsque son âme s'absente, 6+6 b
Et va savoir là-hauts'il est temps de partir. 6+6 a
Il n'a pas un remordset pas un repentir ; 6+6 a
95 Après quatre-vingts ansson âme est toute blanche ; 6+6 b
Parfois, à ce soldatqui s'accoude et se penche, 6+6 b
Quelque vieux mur, croulantlui-même, offre un appui ; 6+6 a
Grave, il pense, et tous ceuxqui sont auprès de lui 6+6 a
L'aiment ; il faut aimerpour jeter sa racine 6+6 b
100 Dans un isolementet dans une ruine ; 6+6 b
Et la feuille de lierrea la forme d'un cœur. 6+6 a
III
AÏEUL MATERNEL
Ce vieillard, c'est un chêneadorant une fleur ; 6+6 a
A présent un enfantest toute sa famille. 6+6 b
Il la regarde, il rêve ;il dit : « C'est une fille, 6+6 b
105 Tant mieux ! » étant aïeuldu côté maternel. 6+6 a
La vie en ce donjona le pas solennel ; 6+6 a
L'heure passe et revientramenant l'habitude. 6+6 b
Ignorant le souon,la peur, l'inquiétude, 6+6 b
Tous les matins, il boucleà ses flancs refroidis 6+6 a
110 Son épée, aujourd'huirouillée, et qui jadis 6+6 a
Avait la pesanteurde la chose publique ; 6+6 b
Quand parfois du fourreau,vénérable relique, 6+6 b
Il arrache la lameillustre avec effort, 6+6 a
Calme, il y croit toujourssentir peser le sort. 6+6 a
115 Tout homme ici-bas porteen sa main une chose, 6+6 b
, du bien et du mal,de l'effet, de la cause, 6+6 b
Du genre humain, de Dieu,du gouffre, il sent le poids ; 6+6 a
Le juge au front morosea son livre des lois, 6+6 a
Le roi son sceptre d'or,le fossoyeur sa pelle. 6+6 b
120 Tous les soirs il conduitl'enfant à la chapelle ; 6+6 b
L'enfant prie, et regardeavec ses yeux si beaux, 6+6 a
Gaie, et questionnantl'aïeul sur les tombeaux ; 6+6 a
Et Fabrice a dans l'œilune humide étincelle. 6+6 b
La main qui tremble aidantla marche qui chancelle, 6+6 b
125 Ils vont sous les portailset le long des piliers 6+6 a
Peuplés de séraphinsmêlés aux chevaliers ; 6+6 a
Chaque statue, émueà leur pas doux et sombre, 6+6 b
Vibre, et toutes ont l'airde saluer dans l'ombre, 6+6 b
Les héros le vieillard,et les anges l'enfant. 6+6 a
130 Parfois Isoretta,que sa grâce défend, 6+6 a
S'échappe dès l'auroreet s'en va jouer seule 6+6 b
Dans quelque grande tourqui lui semble une aïeule 6+6 b
Et qui mêle, croulanteau milieu des buissons, 6+6 a
La légende romaneaux souvenirs saxons. 6+6 a
135 Pauvre être qui contienttoute une fière race, 6+6 b
Elle trouble, en passant,le bouc, vieillard vorace 6+6 b
Dans les fentes des mursbroutant le câprier ; 6+6 a
Pendant que derrière elleon voit l'aïeul prier, 6+6 a
— Car il ne tarde pasà venir la rejoindre, 6+6 b
140 Et cherche son enfantdès qu'il voit l'aube poindre, — 6+6 b
Elle court, va, revient,met sa robe en haillons, 6+6 a
Erre de tombe en tombeet suit des papillons, 6+6 a
Ou s'assied, l'air pensif,sur quelque âpre architrave ; 6+6 b
Et la tour semble heureuseet l'enfant part grave ; 6+6 b
145 La ruine et l'enfanceont de secrets accords, 6+6 a
Car le temps sombre y metce qui reste des morts. 6+6 a
IV
UN SEUL HOMME SAIT OÙ EST CACHÉ LE TRÉSOR
Dans ce siècle tout peuplea son chef qui le broie, 6+6 b
Parmi les rois vautourset les princes de proie, 6+6 b
Certe, on n'en trouveraitpas un qui méprisât 6+6 a
150 Final, donjon splendideet riche marquisat ; 6+6 a
Tous les ans, les alleux,les rentes, les censives, 6+6 b
Surchargent vingt muletsde sacoches massives ; 6+6 b
La grande tour surveille,au milieu du ciel bleu, 6+6 a
Le sud, le nord, l'ouestet l'est, et saint Mathieu, 6+6 a
155 Saint Marc, saint Luc, saint Jean,les quatre évangélistes, 6+6 b
Sont sculptés et doréssur les quatre balistes ; 6+6 b
La montagne a pour garde,en outre, deux châteaux, 6+6 a
Soldats de pierre ayantdu fer sous leurs manteaux. 6+6 a
Le trésor, quand du coffreon détache les boucles, 6+6 b
160 Semble à qui l'entrevoitun rêve d'escarboucles ; 6+6 b
Ce trésor est murédans un caveau discret 6+6 a
Dont le marquis régnantgarde seul le secret, 6+6 a
Et qui fut autrefoisle puits d'une sachette ; 6+6 b
Fabrice maintenantconnt seul la cachette ; 6+6 b
165 Le fils de Witikindvieilli dans les combats, 6+6 a
Othon, scella jadisdans les chambres d'en bas 6+6 a
Vingt caissons dont le ferverrouille les façades, 6+6 b
Et qu'Anselme plus tardfit remplir de cruzades, 6+6 b
Pour que dans l'avenirjamais on n'en manquât ; 6+6 a
170 Le casque du marquisest en or de ducat ; 6+6 a
On a sculpté deux roispersans, Narse et Tigrane, 6+6 b
Dans la visière aux trousgrillés de filigrane, 6+6 b
Et sur le haut cimier,taillé d'un seul onyx, 6+6 a
Un brasier de rubisbrûle l'oiseau Phénix ; 6+6 a
175 Et le seul diamantdu sceptre pèse une once. 6+6 b
V
LE CORBEAU
Un matin, les portierssonnent du cor. Un nonce 6+6 b
Se présente ; il apporte,assisté d'un coureur, 6+6 a
Une lettre du roiqu'on nomme l'empereur ; 6+6 a
Ratbert écrit qu'avantde partir pour Tarente 6+6 b
180 Il viendra visiterIsora, sa parente, 6+6 b
Pour lui baiser le frontet pour lui faire honneur. 6+6 a
Le nonce, s'inclinant,dit au marquis : — Seigneur, 6+6 a
Sa majesté ne faitde visites qu'aux reines. 6+6 b
Au message émanéde ses mains très sereines 6+6 b
185 L'empereur joint un donsplendide et triomphant ; 6+6 a
C'est un grand chariotplein de jouets d'enfant ; 6+6 a
Isora bat des mainsavec des cris de joie. 6+6 b
Le nonce, retournantvers celui qui l'envoie, 6+6 b
Prend congé de l'enfant,et, comme procureur 6+6 a
190 Du très victorieuxet très noble empereur, 6+6 a
Fait le salut qu'on faitaux têtes souveraines. 6+6 b
— Qu'il soit le bienvenu !Bas le pont ! bas les chnes ! 6+6 b
Dit le marquis ; sonnezla trompe et l'olifant ! — 6+6 a
Et, fier de voir qu'on traiteen reine son enfant, 6+6 a
195 La joie a rayonnésur sa face loyale. 6+6 b
Or, comme il relisaitla lettre impériale, 6+6 b
Un corbeau qui passaitfit de l'ombre dessus. 6+6 a
— Les oiseaux noirs guidaientjudas cherchant Jésus ; 6+6 a
Sire, vois ce corbeau,dit une sentinelle. 6+6 b
200 Et, regardant l'oiseauplaner sur la tournelle : 6+6 b
— Bah ! dit l'aïeul, j'étaispas plus haut que cela, 6+6 a
Compagnon, que déjàce corbeau que voilà, 6+6 a
Dans la plus fière tourde toute la contrée 6+6 b
Avait bâti son nid,dont on voyait l'entrée ; 6+6 b
205 Je le connais ; le soir,volant dans la vapeur, 6+6 a
Il criait ; tous tremblaient ;mais, loin d'en avoir peur, 6+6 a
Moi petit, je l'aimais ;ce corbeau centenaire 6+6 b
Étant un vieux voisinde l'astre et du tonnerre. 6+6 b
VI
LE PÈRE ET LA MÈRE
Les marquis de Finalont leur royal tombeau 6+6 a
210 Dans une cave luit,jour et nuit, un flambeau ; 6+6 a
Le soir, l'homme qui metde l'huile dans les lampes 6+6 b
A son heure ordinaireen descendit les rampes ; 6+6 b
Là, mangé par les versdans l'ombre de la mort, 6+6 a
Chaque marquis auprèsde sa marquise dort, 6+6 a
215 Sans voir cette clartéqu'un vieil esclave apporte. 6+6 b
A l'endroit même pendla lampe, sous la porte, 6+6 b
Était le monumentdes deux derniers défunts ; 6+6 a
Pour raviver la flammeet brûler des parfums, 6+6 a
Le serf s'en approcha ;sur la funèbre table, 6+6 b
220 Sculpté très ressemblant,le couple lamentable 6+6 b
Dont Isora, sa dame,était l'unique enfant, 6+6 a
Apparaissait ; tous deux,dans cet air étouffant, 6+6 a
Silencieux, couchéscôte à côte, statues 6+6 b
Aux mains jointes, d'habitsseigneuriaux vêtues, 6+6 b
225 L'homme avec son lion,la femme avec son chien. 6+6 a
Il vit que le flambeaunocturne brûlait bien ; 6+6 a
Puis, courbé, regarda,des pleurs dans la paupière, 6+6 b
Ce père de granit,cette mère de pierre ; 6+6 b
Alors il recula,pâle ; car il crut voir 6+6 a
230 Que ces deux fronts, tournésvers la vte au fond noir, 6+6 a
S'étaient subitementassombris sur leur couche, 6+6 b
Elle ayant l'air plus tristeet lui l'air plus farouche. 6+6 b
VII
JOIE AU CHÂTEAU
Une file de longset pesants chariots 6+6 a
Qui précède ou qui suitles camps impériaux, 6+6 a
235 Marche là-bas avecdes éclats de trompette 6+6 b
Et des cris que l'échodes montagnes répète ; 6+6 b
Un gros de lances brilleà l'horizon lointain. 6+6 a
La cloche du Finaltinte, et c'est ce matin 6+6 a
Que, du noble empereuron attend la visite. 6+6 b
240 On arrache des toursla ronce parasite ; 6+6 b
On blanchit à la chauxen hâte les grands murs ; 6+6 a
On range dans la courdes plateaux de fruits mûrs ; 6+6 a
Des grenades venantdes vieux monts Alpujarres, 6+6 b
Le vin dans les barilset l'huile dans les jarres ; 6+6 b
245 L'herbe et la sauge en fleurjonchent tout l'escalier ; 6+6 a
Dans la cuisine un feurôtit un sanglier ; 6+6 a
On voit fumer les peauxdes bêtes qu'on écorche ; 6+6 b
Et tout rit ; et l'on atendu sous le grand porche 6+6 b
Une tapisserie Blanche d'Est jadis 6+6 a
250 A brodé trois héros,Macchabée, Amadis, 6+6 a
Achille, et le fanalde Rhode, et le quadrige 6+6 b
D'Aétius, vainqueurdu peuple latobrige, 6+6 b
Et, dans trois médaillonsmarqués d'un chiffre en or, 6+6 a
Trois poètes, Platon,Plaute et Scaeva Memor. 6+6 a
255 Ce tapis autrefoisornait la grande chambre ; 6+6 b
Au dire des vieillards,l'effrayant roi sicambre, 6+6 b
Witikind, l'avait faitclouer en cet endroit, 6+6 a
De peur que dans leur litses enfants n'eussent froid. 6+6 a
VIII
LA TOILETTE D'ISORA
Cris, chansons ; et voilàces vieilles tours vivantes. 6+6 b
260 La chambre d'Isorase remplit de servantes ; 6+6 b
Pour faire un digne accueilau roi d'Arle, on revêt 6+6 a
L'enfant de ses habitsde fête ; à son chevet, 6+6 a
L'aïeul, dans un fauteuild'orme incrusté d'érable, 6+6 b
S'assied, songeant aux jourspassés, et, vénérable, 6+6 b
265 Il contemple Isora,front joyeux, cheveux d'or, 6+6 a
Comme les chérubinspeints dans le corridor, 6+6 a
Regard d'enfant Jésusque porte la madone, 6+6 b
Joue ignorante dortle seul baiser qui donne 6+6 b
Aux lèvres la frcheur,tous les autres étant 6+6 a
270 Des flammes, même, hélas !quand le cœur est content. 6+6 a
Isore est sur le litassise, jambes nues ; 6+6 b
Son œil bleu rêve avecdes lueurs ingénues ; 6+6 b
L'aïeul rit, doux refletde l'aube sur le soir ! 6+6 a
Et le sein de l'enfant,demi-nu, laisse voir 6+6 a
275 Ce bouton rose, germeauguste des mamelles ; 6+6 b
Et ses beaux petits brasont des mouvements d'ailes. 6+6 b
Le vétéran lui prendles mains, les réchauffant ; 6+6 a
Et, dans tout ce qu'il ditaux femmes, à l'enfant, 6+6 a
Sans ordre, en en laissantdeviner davantage, 6+6 b
280 Espèce de murmureenfantin du grand âge, 6+6 b
Il semble qu'on entendparler toutes les voix 6+6 a
De la vie, heur, malheur,à présent, autrefois, 6+6 a
Deuil, espoir, souvenir,rire et pleurs, joie et peine ; 6+6 b
Ainsi tous les oiseauxchantent dans le grand chêne. 6+6 b
285 — Fais-toi belle ; un seigneurva venir ; il est bon ; 6+6 a
C'est l'empereur ; un roi,ce n'est pas un barbon 6+6 a
Comme nous ; il est jeune ;il est roi d'Arle, en France ; 6+6 b
Vois-tu, tu lui ferasta belle révérence, 6+6 b
Et tu n'oublieras pasde dire : monseigneur. 6+6 a
290 Vois tous les beaux cadeauxqu'il nous fait ! Quel bonheur ! 6+6 a
Tous nos bons paysansviendront, parce qu'on t'aime ; 6+6 b
Et tu leur jetterasdes sequins d'or, toi-même, 6+6 b
De façon que celatombe dans leur bonnet. 6+6 a
Et le marquis, parlantaux femmes, leur prenait 6+6 a
Les vêtements des mains.
295 — Laissez, que je l'habille ! 6+6 b
Oh ! quand sa mère étaittoute petite fille, 6+6 b
Et que j'étais déjàbarbe grise, elle avait 6+6 a
Coutume de venirdès l'aube à mon chevet ; 6+6 a
Parfois, elle voulaitm'attacher mon épée, 6+6 b
300 Et, de la duretéd'une boucle occupée, 6+6 b
Ou se piquant les doigtsaux clous du ceinturon, 6+6 a
Elle riait. C'étaitle temps mon clairon 6+6 a
Sonnait superbementà travers l'Italie. 6+6 b
Ma fille est maintenantsous terre, et nous oublie. 6+6 b
305 D' vient qu'elle a quittésa tâche, ô dure loi ! 6+6 a
Et qu'elle dort déjàquand je veille encor, moi ? 6+6 a
La fille qui granditsans la mère, chancelle. 6+6 b
Oh ! c'est triste, et je haisla mort. Pourquoi prend-elle 6+6 b
Cette jeune épouséeet non mes pas tremblants ? 6+6 a
310 Pourquoi ces cheveux noirset non mes cheveux blancs ? 6+6 a
Et, pleurant, il offraità l'enfant des dragées. 6+6 b
— Les choses ne sont pasainsi bien arrangées ; 6+6 b
Celui qui fait le choixse trompe ; il serait mieux 6+6 a
Que l'enfant t la mèreet la tombe le vieux. 6+6 a
315 Mais de la mère au moinsil sied qu'on se souvienne ; 6+6 b
Et, puisqu'elle a ma place,hélas ! je prends la sienne. 6+6 b
« Vois donc le beau soleilet les fleurs dans les prés ! 6+6 a
C'est par un jour pareil,les grecs étant rentrés 6+6 a
Dans Smyrne, le plus grandde leurs ports maritimes, 6+6 b
320 Que, le bailli de Rhodeet moi, nous les battîmes. 6+6 b
Mais regarde-moi donctous ces beaux jouets-là ! 6+6 a
Vois ce rtre, on diraitun archer d'Attila. 6+6 a
Mais c'est qu'il est vêtude soie et non de serge ! 6+6 b
Et le chapeau d'argentde cette sainte Vierge ! 6+6 b
325 Et ce bonhomme en or !Ce n'est pas très hideux. 6+6 a
Mais comme nous allonsjouer demain tous deux ! 6+6 a
Si ta mère était là,qu'elle serait contente ! 6+6 b
Ah ! quand on est enfant,ce qui plt, ce qui tente, 6+6 b
C'est un hochet qui sonneun moment dans la main, 6+6 a
330 Peu de chose le soiret rien le lendemain ; 6+6 a
Plus tard, on a le gtdes soldats véritables, 6+6 b
Des palefrois battantdu pied dans les étables, 6+6 b
Des drapeaux, des buccinsjetant de longs éclats, 6+6 a
Des camps, et c'est toujoursla même chose, hélas ! 6+6 a
335 Sinon qu'alors on adu sang à ses chimères. 6+6 b
Tout est vain. C'est égal,je plains les pauvres mères 6+6 b
Qui laissent leurs enfantsderrière elles ainsi. — 6+6 a
Ainsi parlait l'aïeul,l'œil de pleurs obscurci, 6+6 a
Souriant cependant,car telle est l'ombre humaine. 6+6 b
340 Tout à l'ajustementde son ange de reine, 6+6 b
Il habillait l'enfant,et, tandis qu'à genoux 6+6 a
Les servantes chaussaientces pieds charmants et doux 6+6 a
Et, les parfumant d'ambre,en lavaient la poussière, 6+6 b
Il nouait gauchementla petite brassière, 6+6 b
345 Ayant plus d'habitudeaux chemises d'acier. 6+6 a
IX
JOIE HORS DU CHÂTEAU
Le soir vient, le soleildescend dans son brasier ; 6+6 a
Et voilà qu'au penchantdes mers, sur les collines, 6+6 b
Partout, l'es milans roux,les chouettes félines, 6+6 b
L'autour glouton, l'orfraiehorrible dont l'œil luit 6+6 a
350 Avec du sang le jour,qui devient feu la nuit, 6+6 a
Tous les tristes oiseauxmangeurs de chair humaine, 6+6 b
Fils de ces vieux vautoursnés de l'aigle romaine 6+6 b
Que la louve d'airainaux cirques appela, 6+6 a
Qui suivaient Mariuset connaissaient Sylla, 6+6 a
355 S'assemblent ; et les uns,laissant un crâne chauve, 6+6 b
Les autres, aux gibetsessuyant leur bec fauve, 6+6 b
D'autres, d'un mât rompuquittant les noirs agrès, 6+6 a
D'autres, prenant leur voldu mur des lazarets, 6+6 a
Tous, joyeux et criant,en tumulte et sans nombre, 6+6 b
360 Ils se montrent Final,la grande cime sombre 6+6 b
Qu'Othon, fils d'Aleramle Saxon, crénela, 6+6 a
Et se disent entre eux :Un empereur est là ! 6+6 a
X
SUITE DE LA JOIE
Cloche ; acclamations ;gémissements ; fanfares ; 6+6 b
Feux de joie ; et les tourssemblent toutes des phares, 6+6 b
365 Tant on a, pour fêterce jour grand à jamais, 6+6 a
De brasiers frissonnantsencombré leurs sommets. 6+6 a
La table colossaleen plein air est dressée. 6+6 b
Ce qu'on a sous les yeuxrépugne à la pensée 6+6 b
Et fait peur ; c'est la joieeffrayante du mal ; 6+6 a
370 C'est plus que le démon,c'est moins que l'animal ; 6+6 a
C'est la cour du donjontout entière rougie 6+6 b
D'une prodigieuseet ténébreuse orgie ; 6+6 b
C'est Final, mais Finalvaincu, tombé, flétri ; 6+6 a
C'est un chant dans lequelsemble se tordre un cri ; 6+6 a
375 Un gouffre les lueursde l'enfer sont voisines 6+6 b
Du rayonnement calmeet joyeux des cuisines ; 6+6 b
Le triomphe de l'ombre,obscène, effronté, cru ; 6+6 a
Le souper de Satandans un rêve apparu. 6+6 a
A l'angle de la cour,ainsi qu'un témoin sombre, 6+6 b
380 Un squelette de tour,formidable décombre, 6+6 b
Sur son fte vermeild' s'enfuit le corbeau, 6+6 a
Dresse et secoue aux vents,brûlant comme un flambeau, 6+6 a
Tout le branchage et toutle feuillage d'un orme ; 6+6 b
Valet géant portantun chandelier énorme. 6+6 b
385 Le drapeau de l'empire,arboré sur ce bruit, 6+6 a
Gonfle son aigle immenseau souffle de la nuit. 6+6 a
Tout un cortège étrangeest là : femmes et prêtres ; 6+6 b
Prélats parmi les ducs,moines parmi les rtres ; 6+6 b
Les crosses et les croixd'évêques, au milieu 6+6 a
390 Des piques et des dards,mêlent aux meurtres Dieu, 6+6 a
Les mitres figurantde plus gros fers de lance. 6+6 b
Un tourbillon d'horreur,de nuit, de violence, 6+6 b
Semble emplir tous ces cœurs ;que disent-ils entre eux, 6+6 a
Ces hommes ? En voyantces convives affreux, 6+6 a
395 On doute si l'aspecthumain est véritable ; 6+6 b
Un sein charmant se dresseau-dessus de la table, 6+6 b
On redoute au-dessousquelque corps tortueux ; 6+6 a
C'est un de ces banquetsdu monde monstrueux 6+6 a
Qui règne et vit depuisles Héliogabales ; 6+6 b
400 Le luth lascif s'accoupleaux féroces cymbales ; 6+6 b
Le cynique baisercherche à se prodiguer ; 6+6 a
Il semble qu'on pourraità peine distinguer 6+6 a
De ces hommes les loups,les chiennes de ces femmes ; 6+6 b
A travers l'ombre, on voittoutes les soifs infâmes, 6+6 b
405 Le désir, l'instinct vil,l'ivresse aux cris hagards, 6+6 a
Flamboyer dans l'étoilehorrible des regards. 6+6 a
Quelque chose de rougeentre les dalles fume ; 6+6 b
Mais, si tiède que soitcette douteuse écume, 6+6 b
Assez de barils sontéventrés et crevés 6+6 a
410 Pour que ce soit du vinqui court sur les pavés. 6+6 a
Est-ce une vaste noce ?est-ce un deuil morne et triste ? 6+6 b
On ne sait pas à queldénment on assiste, 6+6 b
Si c'est quelque affreux mondeà la terre étranger, 6+6 a
Si l'on voit des vivantsou des larves manger, 6+6 a
415 Et si ce qui dans l'ombreindistincte surnage 6+6 b
Est la fin d'un festinou la fin d'un carnage. 6+6 b
Par moments, le tambour,le cistre, le clairon, 6+6 a
Font ces rages de bruitqui rendaient fou Néron. 6+6 a
Ce tumulte rugit,chante, boit, mange, râle, 6+6 b
420 Sur un trône est assisRatbert, content et pâle. 6+6 b
C'est, parmi le butin,les chants, les arcs de fleurs, 6+6 a
Dans un antre de roisun Louvre de voleurs. 6+6 a
Presque nue au milieudes montagnes de roses, 6+6 b
Comme des déitésdans les apothéoses, 6+6 b
425 Altière, recevantvaguement les saluts, 6+6 a
Marquant avec ses doigtsla mesure des luths, 6+6 a
Ayant dans le galales langueurs de l'alcôve, 6+6 b
Près du mtre souritMatha, la blonde fauve ; 6+6 b
Et sous la table, heureux,du genou la pressant, 6+6 a
430 Le roi cherche son pieddans les mares de sang. 6+6 a
Les grands brasiers, ouvrantleur gouffre d'étincelles, 6+6 b
Font resplendir les orsd'un chaos de vaisselles ; 6+6 b
On ébrèche aux moutons,aux lièvres montagnards, 6+6 a
Aux faisans, les couteauxtout à l'heure poignards ; 6+6 a
435 Sixte Malaspina,derrière le roi, songe ; 6+6 b
Toute lèvre se rueà l'ivresse et s'y plonge ; 6+6 b
On achève un mouranten peant un tonneau ; 6+6 a
L'œil croit, parmi les osde chevreuil et d'agneau, 6+6 a
Aux tremblantes clartésque les flambeaux prolongent, 6+6 b
440 Voir des profils humainsdans ce que les chiens rongent ; 6+6 b
Des chanteurs grecs, portantdes images d'étain 6+6 a
Sur leurs chapes, selonl'usage byzantin, 6+6 a
Chantent Ratbert, césar,roi, vainqueur, dieu, génie ; 6+6 b
On entend sous les bancsdes soupirs d'agonie ; 6+6 b
445 Une odeur de tuerieet de cadavres frais 6+6 a
Se mêle au vague encensbrûlant dans les coffret ; 6+6 a
Et les btes d'argentsur des trépieds de nacre ; 6+6 b
Les pages, les valets,encor chauds du massacre, 6+6 b
Servent dans le banquetleur empereur ravi 6+6 a
450 Et sombre, après l'avoirdans le meurtre servi ; 6+6 a
Sur le bord des plats d'oron voit des mains sanglantes ; 6+6 b
Ratbert s'accoude avecdes poses indolentes ; 6+6 b
Au-dessus du festin,dans le ciel blanc du soir, 6+6 a
De partout, des hanaps,du buffet, du dressoir, 6+6 a
455 Des plateaux les paonsouvrent leurs larges queues, 6+6 b
Des écuelles brûleun philtre aux lueurs bleues, 6+6 b
Des verres, d'hypocraset de vin écumants, 6+6 a
Des bouches des buveurs,des bouches des amants, 6+6 a
S'élève une vapeurgaie, ardente, enflammée, 6+6 b
460 Et les âmes des mortssont dans cette fumée. 6+6 b
XI
TOUTES LES FAIMS SATISFAITES
C'est que les noirs oiseauxde l'ombre ont eu raison, 6+6 a
C'est que l'orfraie a bienflairé la trahison, 6+6 a
C'est qu'un fourbe a surprisle vaillant sans défense, 6+6 b
C'est qu'on vient d'écraserla vieillesse et l'enfance. 6+6 b
465 En vain quelques soldatsfidèles ont voulu 6+6 a
Résister, à l'abrid'un créneau vermoulu ; 6+6 a
Tous sont morts ; et de sangles dalles sont trempées, 6+6 b
Et la hache, l'estoc,les masses, les épées 6+6 b
N'ont fait grâce à pas un,sur l'ordre que donna 6+6 a
470 Le roi d'Arle au prévôtSixte Malaspina. 6+6 a
Et, quant aux plus mutins,c'est ainsi que les nomme 6+6 b
L'aventurier royalfait empereur par Rome, 6+6 b
Trente sur les crochetset douze sur le pal 6+6 a
Expirent au-dessusdu porche principal. 6+6 a
475 Tandis qu'en joyeux chantsles vainqueurs se répandent, 6+6 b
Auprès de ces poteauxet de ces croix pendent 6+6 b
Ceux que Malaspinavient de supplicier, 6+6 a
Corbeaux, hiboux, milans,tout l'essaim carnassier, 6+6 a
Venus des monts, des bois,des cavernes, des havres, 6+6 b
480 S'abattent par volée,et font sur les cadavres 6+6 b
Un banquet, moins hideuxque celui d'à côté. 6+6 a
Ah ! le vautour est tristeà voir, en vérité, 6+6 a
Déchiquetant sa proieet planant ; on s'effraie 6+6 b
Du cri de la fauvetteaux griffes de l'orfraie ; 6+6 b
485 L'épervier est affreuxrongeant des os brisés 6+6 a
Pourtant, par l'ombre immenseon les sent excusés, 6+6 a
L'impénétrable faimest la loi de la terre, 6+6 b
Et le ciel, qui conntla grande énigme austère, 6+6 b
La nuit, qui sert de fondau guet mystérieux 6+6 a
490 Du hibou promenantla rondeur de ses yeux 6+6 a
Ainsi qu'à l'araignéeouvrant ses pâles toiles, 6+6 b
Met à ce festin sombreune nappe d'étoiles ; 6+6 b
Mais l'être intelligent,le fils d'Adam, l'élu 6+6 a
Qui doit trouver le bienaprès l'avoir voulu, 6+6 a
495 L'homme exterminant l'hommeet riant, épouvante, 6+6 b
Même au fond de la nuit,l'immensité vivante, 6+6 b
Et, que le ciel soit noirou que le ciel soit bleu, 6+6 a
Caïn tuant Abelest la stupeur de Dieu. 6+6 a
XII
QUE C'EST FABRICE QUI EST UN TRAÎTRE
Un homme qu'un piquetde lansquenets escorte, 6+6 b
500 Qui tient une bannièreinclinée, et qui porte 6+6 b
Une jacque de vairtaillée en éventail, 6+6 a
Un héraut, fait ce cridevant le grand portail : 6+6 a
« Au nom de l'empereurclément et plein de gloire, 6+6 b
— Dieu le protège ! — peuple !il est pour tous notoire 6+6 b
505 Que le trtre marquisFabrice d'Albenga 6+6 a
Jadis avec les gensdes villes se ligua, 6+6 a
Et qu'il a maintes foisguerroyé le saint-siège ; 6+6 b
C'est pourquoi l'empereurtrès clément, — Dieu protège 6+6 b
L'empereur ! — le citantà son haut tribunal, 6+6 a
510 A pris possessionde l'état de Final. » 6+6 a
L'homme ajoute, dressantsa bannière penchée : 6+6 b
— Qui me contredira,soit sa tête tranchée, 6+6 b
Et ses biens confisquésà l'empereur. J'ai dit. 6+6 a
XIII
SILENCE
Tout à coup on se tait ;ce silence grandit, 6+6 a
515 Et l'on dirait qu'au chocbrusque d'un vent qui tombe 6+6 b
Cet enfer a reprissa figure de tombe ; 6+6 b
Ce pandémonium,ivre d'ombre et d'orgueil, 6+6 a
S'éteint ; c'est qu'un vieillarda paru sur le seuil ; 6+6 a
Un prisonnier, un juge,un fantôme ; l'ancêtre ! 6+6 b
C'est Fabrice.
520 On l'amèneà la merci du mtre. 6+6 b
Ses blêmes cheveux blancscouronnent sa pâleur ; 6+6 a
Il a les bras liésau dos comme un voleur ; 6+6 a
Et, pareil au milanqui suit des yeux sa proie, 6+6 b
Derrière le captifmarche, sans qu'il le voie, 6+6 b
525 Un homme qui tient hauteune épée à deux mains. 6+6 a
Matha, fixant sur luises beaux yeux inhumains, 6+6 a
Rit sans savoir pourquoi,rire étant son caprice. 6+6 b
Dix valets de la lanceenvironnent Fabrice. 6+6 b
Le roi dit : — Le trésorest caché dans un lieu 6+6 a
530 Qu'ici tu connais seul,et je jure par Dieu 6+6 a
Que, si tu dis l'endroit,marquis, ta vie est sauve. 6+6 b
Fabrice lentementlève sa tête chauve 6+6 b
Et se tait.
Le roi dit :Es-tu sourd, compagnon ? 6+6 a
Un rtre avec le doigtfait signe au roi que non. 6+6 a
535 — Marquis, parle ! ou sinon,vrai comme je me nomme 6+6 b
Empereur des Romains,roi d'Arle et gentilhomme, 6+6 b
Lion, tu vas japperainsi qu'un épagneul. 6+6 a
Ici, bourreaux ! — Réponds,le trésor ?
Et l'aïeul 6+6 a
Semble, droit et glacéparmi les fers de lance, 6+6 b
540 Avoir déjà pris placeen l'éternel silence. 6+6 b
Le roi dit : — Préparezles coins et les crampons. 6+6 a
Pour la troisième foisparleras-tu ? Réponds. 6+6 a
Fabrice, sans qu'un motd'entre ses lèvres sorte, 6+6 b
Regarde le roi d'Arleet d'une telle sorte, 6+6 b
545 Avec un si superbeéclair, qu'il l'interdit ; 6+6 a
Et Ratbert, furieuxsous ce regard, bondit 6+6 a
Et crie, en s'arrachantle poil de la moustache : 6+6 b
— Je te trouve idiotet mal en point, et sache 6+6 b
Que les jouets d'enfantétaient pour toi, vieillard ! 6+6 a
550 Çà, rends-moi ce trésor,fruit de tes vols, pillard ! 6+6 a
Et ne m'irrite pas,ou ce sera ta faute, 6+6 b
Et je vais envoyersur ta tour la plus haute 6+6 b
Ta tête au bout d'un pieuse taire dans la nuit. 6+6 a
Mais l'aïeul semble d'ombreet de pierre construit ; 6+6 a
555 On dirait qu'il ne saitpas même qu'on lui parle. 6+6 b
— Le brodequin ! A toi,bourreau ! dit le roi d'Arle, 6+6 b
Le bourreau vient, la fouleeffarée écoutait. 6+6 a
On entend l'os crier,mais la bouche se tait. 6+6 a
Toujours prêt à frapperle prisonnier en trtre, 6+6 b
560 Le coupe-tête jetteun coup d'œil à son mtre. 6+6 b
Attends que je te fasseun signe, dit Ratbert. 6+6 a
Et, reprenant :
— Voyons,toi chevalier haubert, 6+6 a
Mais cadet, toi marquis,mais bâtard, si tu donnes 6+6 b
Ces quelques diamantsde plus à mes couronnes, 6+6 b
565 Si tu veux me livrerce trésor, je te fais 6+6 a
Prince, et j'ai dans mes portsdix galères de Fez 6+6 a
Dont je te fais présentavec cinq cents esclaves. 6+6 b
Le vieillard semble sourdet muet.
— Tu me braves ! 6+6 b
Eh bien ! tu vas pleurer,dit le fauve empereur. 6+6 a
XIV
RATBERT REND L'ENFANT À L'AÏEUL
570 Et voici qu'on entendcomme un souffle d'horreur 6+6 a
Frémir, même en cette ombreet même en cette horde. 6+6 b
Une civière passe,il y pend une corde ; 6+6 b
Un linceul la recouvre ;on la pose à l'écart ; 6+6 a
On voit deux pieds d'enfantsqui sortent du brancard. 6+6 a
575 Fabrice, comme au ventse renverse un grand arbre, 6+6 b
Tremble, et l'homme de chairsous cet homme de marbre 6+6 b
Repart ; et Ratbertfait lever le drap noir. 6+6 a
C'est elle ! Isora ! pâle,inexprimable à voir, 6+6 a
Étranglée ; et sa maincrispée, et cela navre, 6+6 b
580 Tient encore un hochet ;pauvre petit cadavre ! 6+6 b
L'aïeul tressaille avecla force d'unant ; 6+6 a
Formidable, il arracheau brodequinant 6+6 a
Son pied dont le bourreauvient de briser le pouce ; 6+6 b
Les bras toujours liés,de l'épaule il repousse 6+6 b
585 Tout ce tas de démons,et va jusqu'à l'enfant, 6+6 a
Et sur ses deux genouxtombe, et son cœur se fend. 6+6 a
Il crie en se roulantsur la petite morte : 6+6 b
— Tuée ! ils l'ont tuée !et la place était forte, 6+6 b
Le pont avait sa chneet la herse ses poids, 6+6 a
590 On avait des fourneauxpour le soufre et la poix, 6+6 a
On pouvait mordre avecses dents le roc farouche, 6+6 b
Se défendre, hurler,lutter, s'emplir la bouche 6+6 b
De feu, de plomb fondu,d'huile, et les leur cracher 6+6 a
A la figure avecles éclats du rocher ! 6+6 a
595 Non ! on a dit : Entrez,et, par la porte ouverte, 6+6 b
Ils sont entrés ! la vieà la mort s'est offerte ! 6+6 b
On a livré la place,on n'a point combattu ! 6+6 a
Voilà la chose ; elle esttoute simple ; ils n'ont eu 6+6 a
Affaire qu'à ce vieuxmisérable imbécile ! 6+6 b
600 Égorger un enfant,ce n'est pas difficile. 6+6 b
Tout à l'heure, j'étaistranquille, ayant peu vu 6+6 a
Qu'on tuât des enfants,et je disais : Pourvu 6+6 a
Qu'Isora vive, eh bien !après cela, qu'importe ? — 6+6 b
Mais l'enfant ! O mon Dieu !c'est donc vrai qu'elle est morte ! 6+6 b
605 Penser que nous étionslà tous deux hier encor ! 6+6 a
Elle allait et venaitdans un gai rayon d'or ; 6+6 a
Cela jouait toujours,pauvre mouche éphémère ! 6+6 b
C'était la petite âmeerrante de sa mère ! 6+6 b
Le soir, elle posaitson doux front sur mon sein, 6+6 a
610 Et dormait… — Ah ! brigand !assassin ! assassin ! 6+6 a
Il se dressait, et touttremblait dans le repaire, 6+6 b
Tant c'était la douleurd'un lion et d'un père, 6+6 b
Le deuil, l'horreur, et tantce sanglot rugissait ! 6+6 a
Et moi qui, ce matin,lui nouais son corset ! 6+6 a
615 Je disais : Fais-toi belle,enfant ! Je parais l'ange 6+6 b
Pour le spectre. — Oh ! ris donclà-bas, femme de fange ! 6+6 b
Riez tous ! Idiot,en effet, moi qui crois 6+6 a
Qu'on peut se confieraux paroles des rois 6+6 a
Et qu'un hôte n'est pasune bête féroce ! 6+6 b
620 Le roi, les chevaliers,l'évêque avec sa crosse, 6+6 b
Ils sont venus, j'ai dit :Entrez ; c'étaient des loups ! 6+6 a
Est-ce qu'ils ont marchésur elle avec des clous 6+6 a
Qu'elle est toute meurtrie ?Est-ce qu'ils l'ont battue ? 6+6 b
Et voilà maintenantnos filles qu'on nous tue 6+6 b
625 Pour voler un vieux casqueen vieil or de ducat ! 6+6 a
Je voudrais que quelqu'und'honnête m'expliquât 6+6 a
Cet événement-ci,voilà ma fille morte ! 6+6 b
Dire qu'un empereurvient avec une escorte, 6+6 b
Et que des gens nommésFarnèse, Spinola, 6+6 a
630 Malaspina, Cibo,font de ces choses-là, 6+6 a
Et qu'on se met à cent,à mille, avec ce prêtre, 6+6 b
Ces femmes, pour venirprendre un enfant en trtre, 6+6 b
Et que l'enfant est là,mort, et que c'est un jeu ; 6+6 a
C'est à se demanders'il est encore un Dieu, 6+6 a
635 Et si, demain, aprèsde si lâches désastres, 6+6 b
Quelqu'un osera faireencor lever les astres 6+6 b
M'avoir assassinéce petit être-là ! 6+6 a
Mais c'est affreux d'avoirà se mettre cela 6+6 a
Dans la tête, que c'estfini, qu'ils l'ont tuée, 6+6 b
640 Qu'elle est morte ! — Oh ! ce filsde la prostituée, 6+6 b
Ce Ratbert, comme il m'ahideusement trompé ! 6+6 a
O Dieu ! de quel démonest cet homme échappé ? 6+6 a
Vraiment ! est-ce donc tropespérer que de croire 6+6 b
Qu'on ne va point, par ruseet par trahison noire, 6+6 b
645 Massacrer des enfants,broyer des orphelins, 6+6 a
Des anges, de clartécéleste encor tout pleins ? 6+6 a
Mais c'est qu'elle est là, morte,immobile, insensible ! 6+6 b
Je n'aurais jamais cruque cela fût possible. 6+6 b
Il faut être le filsde cette infâme Agnès ! 6+6 a
650 Rois ! j'avais tort jadisquand je vous épargnais ; 6+6 a
Quand, pouvant vous briserau front le diadème, 6+6 b
Je vous lâchais, j'étaisun scélérat moi-même, 6+6 b
J'étais un meurtrierd'avoir pitié de vous ! 6+6 a
Oui, j'aurais dû vous tordreentre mes serres, tous ! 6+6 a
655 Est-ce qu'il est permisd'aller dans les abîmes 6+6 b
Reculer la limiteeffroyable des crimes, 6+6 b
De voler, oui, ce sontdes vols, de faire un tas 6+6 a
D'abominations,de maux et d'attentats, 6+6 a
De tuer des enfantset de tuer des femmes, 6+6 b
660 Sous prétexte qu'on fut,parmi les oriflammes 6+6 b
Et les clairons, sacrédevant le monde entier 6+6 a
Par Urbain quatre, pape,et fils d'un savetier ? 6+6 a
Que voulez-vous qu'on fasseà de tels misérables ? 6+6 b
Avoir mis son doigt noirsur ces yeux adorables ! 6+6 b
665 Ce chef-d'œuvre du Dieuvivant, l'avoir détruit ! 6+6 a
Quelle mamelle d'ombreet d'horreur et de nuit, 6+6 a
Dieu juste, a donc étéde ce monstre nourrice ? 6+6 b
Un tel homme suffitpour qu'un siècle pourrisse. 6+6 b
Plus de bien ni de mal,plus de droit, plus de lois. 6+6 a
670 Est-ce que le tonnerreest absent quelquefois ? 6+6 a
Est-ce qu'il n'est pas tempsque la foudre se prouve, 6+6 b
Cieux profonds, en broyantce chien, fils de la louve ? 6+6 b
Oh ! sois maudit, maudit,maudit, et sois maudit, 6+6 a
Ratbert, empereur, roi,césar, escroc, bandit ! 6+6 a
675 O grand vainqueur d'enfantsde cinq ans ! maudits soient 6+6 b
Les pas que font tes pieds,les jours que tes yeux voient, 6+6 b
Et la gueuse qui t'offreen riant son sein nu, 6+6 a
Et ta mère publique,et ton père inconnu ! 6+6 a
Terre et cieux ! c'est pourtantbien le moins qu'un doux être 6+6 b
680 Qui joue à notre porteet sous notre fenêtre, 6+6 b
Qui ne fait rien que rireet courir dans les fleurs, 6+6 a
Et qu'emplir de soleilnos pauvres yeux en pleurs, 6+6 a
Ait le droit de jouirde l'aube qui l'enivre, 6+6 b
Puisque les empereurslaissent les foats vivre, 6+6 b
685 Et puisque Dieu, témoindes deuils et des horreurs, 6+6 a
Laisse sous le ciel noirvivre les empereurs ! 6+6 a
XV
LES DEUX TÊTES
Ratbert en ce moment,distrait jusqu'à sourire, 6+6 b
Écoutait Afranusà voix basse lui dire : 6+6 b
— Majesté, le caveaudu trésor est trouvé. 6+6 a
L'aïeul pleurait.
690 Un chien,au coin des murs crevé, 6+6 a
Est un être enviableauprès de moi. Va, pille, 6+6 b
Vole, égorge, empereur !O ma petite fille, 6+6 b
Parle-moi ! Rendez-moimon doux ange, ô mon Dieu ! 6+6 a
Elle ne va donc pasme regarder un peu ? 6+6 a
695 Mon enfant ! Tous les joursnous allions dans les lierres. 6+6 b
Tu disais : Vois les fleurs,et moi : Prends garde aux pierres ! 6+6 b
Et je la regardais,et je crois qu'un rocher 6+6 a
Se fût attendri rienqu'en la voyant marcher. 6+6 a
Hélas ! avoir eu foidans ce monstrueux drôle ! 6+6 b
700 Mets ta tête adoréeauprès de mon épaule. 6+6 b
Est-ce que tu m'en veux ?C'est moi qui suis là ! Dis, 6+6 a
Tu n'ouvriras donc plustes yeux du paradis ! 6+6 a
Je n'entendrai donc plusta voix, pauvre petite ! 6+6 b
Tout ce qui me tenaitaux entrailles me quitte ; 6+6 b
705 Et ce sera mon sortà moi, le vieux vainqueur, 6+6 a
Qu'à deux reprises Dieum'ait arraché le cœur, 6+6 a
Et qu'il ait retiréde ma poitrine amère 6+6 b
L'enfant, après m'avoirôté du flanc la mère ! 6+6 b
Mon Dieu, pourquoi m'avoirpris cet être si doux ? 6+6 a
710 Je n'étais pourtant pasrévolté contre vous, 6+6 a
Et le consentais presqueà ne plus avoir qu'elle. 6+6 b
Morte ! et moi, je suis là,stupide, qui l'appelle ! 6+6 b
Oh ! si je n'avais pasles bras liés, je crois 6+6 a
Que je réchaufferaisses pauvres membres froids. 6+6 a
715 Comme ils l'ont fait souffrir !La corde l'a coupée. 6+6 b
Elle saigne.
Ratbert,blême et la main crispée, 6+6 b
Le voyant à genouxsur son ange dormant, 6+6 a
Dit : — Porte-glaive, il estainsi commodément. 6+6 a
Le porte-glaive fit,n'étant qu'un misérable, 6+6 b
720 Tomber sur l'enfant mortla tête vénérable. 6+6 b
Et voici ce qu'on vitdans ce même instant-là : 6+6 a
La tête de Ratbertsur le pavé roula, 6+6 a
Hideuse, comme sile même coup d'épée, 6+6 b
Frappant deux fois, l'avaitavec l'autre coupée. 6+6 b
725 L'horreur fut inouïe ;et tous, se retournant, 6+6 a
Sur le grand fauteuil d'ordu trône rayonnant 6+6 a
Apeurent le corpsde l'empereur sans tête, 6+6 b
Et son cou d' sortait,dans un bruit de tempête, 6+6 b
Un flot rouge, un sanglotde pourpre, éclaboussant 6+6 a
730 Les convives, le trôneet la table, de sang. 6+6 a
Alors dans la clartéd'abîme et de vertige 6+6 b
Qui marque le passageénorme d'un prodige, 6+6 b
Des deux têtes on vitl'une, celle du roi, 6+6 a
Entrer sous terre et fuirdans le gouffre d'effroi 6+6 a
735 Dont l'expiationformidable est la règle, 6+6 b
Et l'autre s'envoleravec des ailes d'aigle. 6+6 b
XVI
APRÈS JUSTICE FAITE
L'ombre couvre à présentRatbert, l'homme de nuit. 6+6 a
Nos pères — c'est ainsiqu'un nom s'évanouit — 6+6 a
Défendaient d'en parler,et du mur de l'histoire 6+6 b
740 Les ans ont effacécette vision noire. 6+6 b
Le glaive qui frappane fut point apeu ; 6+6 a
D' vint ce sombre coup,personne ne l'a su ; 6+6 a
Seulement, ce soir-là,bêchant pour se distraire, 6+6 b
Héraclius le Chauve,abbé de Joug-Dieu, frère 6+6 b
745 D'Acceptus, archevêqueet primat de Lyon, 6+6 a
Étant aux champs avecle diacre Pollion, 6+6 a
Vit, dans les profondeurspar les vents remuées, 6+6 b
Un archange essuyerson épée aux nuées. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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