Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_3/HUG573
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
PREMIÈRE SÉRIE
1859
III
L'ISLAM
Le Cèdre
Omer, scheik de l'Islam et de la loi nouvelle 6+6 a
Que Mahomet ajoute à ce qu'Issa révèle, 6+6 a
Marchant, puis s'arrêtant, et sur son long bâton, 6+6 b
Par moments, comme un pâtre, appuyant son menton, 6+6 b
5 Errait près de Djeddah la sainte, sur la grève 6+6 a
De la mer Rouge, où Dieu luit comme au fond d'un rêve, 6+6 a
Dans le désert jadis noir de l'ombre des cieux 6+6 b
Où Moïse voilé passait mystérieux. 6+6 b
Tout en marchant ainsi, plein d'une grave idée, 6+6 a
10 Par-dessus le désert, l'Égypte et la Judée, 6+6 a
A Pathmos, au penchant d'un mont, chauve sommet, 6+6 b
Il vit Jean qui, couché sur le sable, dormait. 6+6 b
Car saint Jean n'est pas mort, l'effrayant solitaire ; 6+6 a
Dieu le tient en réserve ; il reste sur la terre 6+6 a
15 Ainsi qu'Énoch le juste, et, comme il est écrit, 6+6 b
Ainsi qu'Élie, afin de vaincre l'Antéchrist. 6+6 b
Jean dormait ; ses regards étaient fermés qui virent 6+6 a
Les océans du songe où les astres chavirent ; 6+6 a
L'obscur sommeil couvrait cet œil illuminé, 6+6 b
20 Le seul chez les vivants auquel il fut donné 6+6 b
De regarder, par l'âpre ouverture du gouffre, 6+6 a
Les anges noirs vêtus de cuirasses de soufre, 6+6 a
Et de voir les Babels pencher, et les Sions 6+6 b
Tomber, et s'écrouler les blêmes visions, 6+6 b
25 Et les religions rire prostituées, 6+6 a
Et des noms de blasphème errer dans les nuées. 6+6 a
Jean dormait, et sa tête était nue au soleil. 6+6 b
Omer, le puissant prêtre, aux prophètes pareil, 6+6 b
Aperçut, tout auprès de la mer Rouge, à l'ombre 6+6 a
30 D'un santon, un vieux cèdre au grand feuillage sombre 6+6 a
Croissant dans un rocher qui bordait le chemin ; 6+6 b
Scheik Omer étendit à l'horizon sa main 6+6 b
Vers le nord habité par les aigles rapaces, 6+6 a
Et, montrant au vieux cèdre, au-delà des espaces, 6+6 a
35 La mer Égée, et Jean endormi dans Pathmos, 6+6 b
Il poussa du doigt l'arbre et prononça ces mots : 6+6 b
— Va, cèdre, va couvrir de ton ombre cet homme ! 6+6 a
Le blanc spectre de sel qui regarde Sodome 6+6 a
N'est pas plus immobile au bord du lac amer 6+6 b
40 Que ne le fut le cèdre à qui parlait Omer ; 6+6 b
Plus rétif que l'onagre à la voix de son maître, 6+6 a
L'arbre n'agita pas une branche.
Le prêtre 6+6 a
Dit : Va donc ! et frappa l'arbre de son bâton. 6+6 b
Le cèdre, enraciné sous le mur du santon, 6+6 b
45 N'eut pas même un frisson et demeura paisible. 6+6 a
Le scheik alors tourna ses yeux vers l'invisible, 6+6 a
Fit trois pas, puis, ouvrant sa droite et la levant : 6+6 b
— Va ! cria-t-il, va, cèdre, au nom du Dieu vivant ! 6+6 b
— Que n'as-tu prononcé ce nom plus tôt ? dit l'arbre. 6+6 a
50 Et, frissonnant, brisant le dur rocher de marbre, 6+6 a
Dressant ses bras ainsi qu'un vaisseau ses agrès, 6+6 b
Fendant la vieille terre aïeule des forêts, 6+6 b
Le grand cèdre, arrachant aux profondes crevasses 6+6 a
Son tronc et sa racine et ses ongles vivaces, 6+6 a
55 S'envola comme un sombre et formidable oiseau. 6+6 b
Il passa le mont Gour, posé comme un boisseau 6+6 b
Sur la rouge lueur des forgerons d'Érèbe ; 6+6 a
Laissa derrière lui Gophna, Jéricho, Thèbe, 6+6 a
L'Égypte aux dieux sans nombre, informe panthéon, 6+6 b
60 Le Nil, fleuve d'Éden, qu'Adam nommait Gehon, 6+6 b
Le champ de Galgala plein de couteaux de pierre, 6+6 a
Ur, d'où vint Abraham, Bethsad, où naquit Pierre, 6+6 a
Et, quittant le désert d'où sortent les fléaux, 6+6 b
Traversa Chanaan d'Arphac à Borcéos ; 6+6 b
65 Là, retrouvant la mer, vaste, obscure, sublime, 6+6 a
Il plongea dans la nue énorme de l'abîme, 6+6 a
Et franchissant les flots, sombre gouffre ennemi, 6+6 b
Vint s'abattre à Pathmos près de Jean endormi. 6+6 b
Jean, s'étant réveillé, vit l'arbre, et le prophète 6+6 a
70 Songea, surpris d'avoir de l'ombre sur sa tête ; 6+6 a
Puis il dit, redoutable en sa sérénité : 6+6 b
— Arbre, que fais-tu là ? pourquoi t'es-tu hâté 6+6 b
De sourdre, de germer, de grandir dans une heure ? 6+6 a
Pourquoi donner de l'ombre au roc où je demeure ? 6+6 a
75 L'ordre éternel n'a point de ces rapidités ; 6+6 b
Jéhovah, dont les yeux s'ouvrent de tous côtés, 6+6 b
Veut que l'œuvre soit lente, et que l'arbre se fonde 6+6 a
Sur un pied fort, scellé dans l'argile profonde ; 6+6 a
Pendant qu'un arbre naît, bien des hommes mourront ; 6+6 b
80 La pluie est sa servante, et, par le bois du tronc, 6+6 b
La racine aux rameaux frissonnants distribue 6+6 a
L'eau qui se change en sève aussitôt qu'elle est bue. 6+6 a
Dieu le nourrit de terre, et, l'en rassasiant, 6+6 b
Veut que l'arbre soit dur, solide et patient, 6+6 b
85 Pour qu'il brave, à travers sa rude carapace, 6+6 a
Les coups de fouet du vent tumultueux qui passe, 6+6 a
Pour qu'il porte le temps comme l'âne son bât, 6+6 b
Et qu'on puisse compter, quand la hache l'abat, 6+6 b
Les ans de sa durée aux anneaux de sa sève. 6+6 a
90 Un cèdre n'est pas fait pour croître comme un rêve ; 6+6 a
Ce que l'heure a construit, l'instant peut le briser. — 6+6 b
Le cèdre répondit : — Jean, pourquoi m'accuser ? 6+6 b
Jean, si je suis ici c'est par l'ordre d'un homme. — 6+6 a
Et Jean, fauve songeur, qu'en frémissant on nomme, 6+6 a
95 Reprit : — Quel est cet homme à qui tout se soumet ? — 6+6 b
L'arbre dit : — C'est Omer, prêtre de Mahomet. 6+6 b
J'étais près de Djeddah depuis des ans sans nombre ; 6+6 a
Il m'a dit de venir te couvrir de mon ombre. 6+6 a
Alors Jean, oublié par Dieu chez les vivants, 6+6 b
100 Se tourna vers le sud, et cria dans les vents, 6+6 b
Par-dessus le rivage austère de son île : 6+6 a
— Nouveaux venus, laissez la nature tranquille. — 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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