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HUG_3/HUG570
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
PREMIÈRE SÉRIE
1859
II
DÉCADENCE DE ROME
Au lion d'Androclès
La ville ressemblait à l'univers. C'était 6+6 a
Cette heure où l'on dirait que toute âme se tait, 6+6 a
Que tout astre s'éclipse et que le monde change. 6+6 b
Rome avait étendu sa pourpre sur la fange. 6+6 b
5 Où l'aigle avait plané, rampait le scorpion. 6+6 a
Trimalcion foulait les os de Scipion. 6+6 a
Rome buvait, gaie, ivre et la face rougie ; 6+6 b
Et l'odeur du tombeau sortait de cette orgie. 6+6 b
L'amour et le bonheur, tout était effrayant. 6+6 a
10 Lesbie, en se faisant coiffer, heureuse, ayant 6+6 a
Son Tibulle à ses pieds qui chantait leurs tendresses, 6+6 b
Si l'esclave persane arrangeait mal ses tresses, 6+6 b
Lui piquait les seins nus de son épingle d'or. 6+6 a
Le mal à travers l'homme avait pris son essor ; 6+6 a
15 Toutes les passions sortaient de leurs orbites. 6+6 b
Les fils aux vieux parents faisaient des morts subites. 6+6 b
Les rhéteurs disputaient les tyrans aux bouffons. 6+6 a
La boue et l'or régnaient. Dans les cachots profonds 6+6 a
Les bourreaux s'accouplaient à des martyres mortes. 6+6 b
20 Rome horrible chantait. Parfois, devant ses portes, 6+6 b
Quelque Crassus, vainqueur d'esclaves et de rois, 6+6 a
Plantait le grand chemin de vaincus mis en croix ; 6+6 a
Et, quand Catulle, amant que notre extase écoute, 6+6 b
Errait avec Délie, aux deux bords de la route, 6+6 b
25 Six mille arbres humains saignaient sur leurs amours. 6+6 a
La gloire avait hanté Rome dans les grands jours, 6+6 a
Toute honte à présent était la bienvenue. 6+6 b
Messaline en riant se mettait toute nue, 6+6 b
Et sur le lit public, lascive, se couchait. 6+6 a
30 Épaphrodite avait un homme pour hochet 6+6 a
Et brisait en jouant les membres d'Épictète. 6+6 b
Femme grosse, vieillard débile, enfant qui tette, 6+6 b
Captifs, gladiateurs, chrétiens, étaient jetés 6+6 a
Aux bêtes, et, tremblants, blêmes, ensanglantés, 6+6 a
35 Fuyaient, et l'agonie effarée et vivante 6+6 b
Se tordait dans le cirque, abîme d'épouvante. 6+6 b
Pendant que l'ours grondait, et que les éléphants, 6+6 a
Effroyables, marchaient sur les petits enfants, 6+6 a
La vestale songeait dans sa chaise de marbre. 6+6 b
40 Par moments, le trépas, comme le fruit d'un arbre, 6+6 b
Tombait du front pensif de la pâle beauté ; 6+6 a
Le même éclair de meurtre et de férocité 6+6 a
Passait de l'œil du tigre au regard de la vierge. 6+6 b
Le monde était le bois, l'empire était l'auberge. 6+6 b
45 De noirs passants trouvaient le trône en leur chemin, 6+6 a
Entraient, donnaient un coup de dent au genre humain, 6+6 a
Puis s'en allaient. Néron venait après Tibère. 6+6 b
César foulait aux pieds le hun, le goth, l'ibère ; 6+6 b
Et l'empereur, pareil aux fleurs qui durent peu, 6+6 a
50 Le soir était charogne à moins qu'il ne fût dieu. 6+6 a
Le porc Vitellius roulait aux gémonies. 6+6 b
Escalier des grandeurs et des ignominies, 6+6 b
Bagne effrayant des morts, pilori des néants, 6+6 a
Saignant, fumant, infect, ce charnier de géants 6+6 a
55 Semblait fait pour pourrir le squelette du monde. 6+6 b
Des torturés râlaient sur cette rampe immonde, 6+6 b
Juifs sans langue, poltrons sans poings, larrons sans yeux ; 6+6 a
Ainsi que dans le cirque atroce et furieux 6+6 a
L'agonie était là, hurlant sur chaque marche. 6+6 b
60 Le noir gouffre cloaque au fond ouvrait son arche 6+6 b
Où croulait Rome entière ; et, dans l'immense égout, 6+6 a
Quand le ciel juste avait foudroyé coup sur coup, 6+6 a
Parfois deux empereurs, chiffres du fatal nombre, 6+6 b
Se rencontraient, vivants encore, et, dans cette ombre, 6+6 b
65 Où les chiens sur leurs os venaient mâcher leur chair, 6+6 a
Le césar d'aujourd'hui heurtait celui d'hier. 6+6 a
Le crime sombre était l'amant du vice infâme. 6+6 b
Au lieu de cette race en qui Dieu mit sa flamme, 6+6 b
Au lieu d'Ève et d'Adam, si beaux, si purs tous deux, 6+6 a
70 Une hydre se traînait dans l'univers hideux ; 6+6 a
L'homme était une tête et la femme était l'autre. 6+6 b
Rome était la truie énorme qui se vautre. 6+6 b
La créature humaine, importune au ciel bleu, 6+6 a
Faisait une ombre affreuse à la cloison de Dieu ; 6+6 a
75 Elle n'avait plus rien de sa forme première ; 6+6 b
Son œil semblait vouloir foudroyer la lumière ; 6+6 b
Et l'on voyait, c'était la veille d'Attila, 6+6 a
Tout ce qu'on avait eu de sacré jusque-là 6+6 a
Palpiter sous son ongle ; et pendre à ses mâchoires, 6+6 b
80 D'un côté les vertus et de l'autre les gloires. 6+6 b
Les hommes rugissaient quand ils croyaient parler. 6+6 a
L'âme du genre humain songeait à s'en aller ; 6+6 a
Mais, avant de quitter à jamais notre monde, 6+6 b
Tremblante, elle hésitait sous la voûte profonde, 6+6 b
85 Et cherchait une bête où se réfugier. 6+6 a
On entendait la tombe appeler et crier. 6+6 a
Au fond, la pâle Mort riait sinistre et chauve. 6+6 b
Ce fut alors que toi, né dans le désert fauve 6+6 b
Où le soleil est seul avec Dieu, toi, songeur 6+6 a
90 De l'antre que le soir emplit de sa rougeur ; 6+6 a
Tu vins dans la cité toute pleine de crimes 6+6 b
Tu frissonnas devant tant d'ombre et tant d'abîmes ; 6+6 b
Ton œil fit, sur ce monde horrible et châtié, 6+6 a
Flamboyer tout à coup l'amour et la pitié ; 6+6 a
95 Pensif tu secouas ta crinière sur Rome ; 6+6 b
Et, l'homme étant le monstre, ô lion, tu fus l'homme. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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