Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_3/HUG567
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
PREMIÈRE SÉRIE
1859
I
D'ÈVE À JÉSUS
Booz endormi
Booz s'était couché | de fatigue accablé ; 6+6 a
Il avait tout le jour | travaillé dans son aire, 6+6 b
Puis avait fait son lit | à sa place ordinaire ; 6+6 b
Booz dormait auprès | des boisseaux pleins de blé. 6+6 a
5 Ce vieillard possédait | des champs de blés et d'orge ; 6+6 a
Il était, quoique riche, | à la justice enclin ; 6+6 b
Il n'avait pas de fange | en l'eau de son moulin, 6+6 b
Il n'avait pas d'enfer | dans le feu de sa forge. 6+6 a
Sa barbe était d'argent | comme un ruisseau d'avril. 6+6 a
10 Sa gerbe n'était point | avare ni haineuse ; 6+6 b
Quand il voyait passer | quelque pauvre glaneuse : 6+6 b
— Laissez tomber exprès | des épis, disait-il. 6+6 a
Cet homme marchait pur | loin des sentiers obliques, 6+6 a
Vêtu de probité | candide et de lin blanc ; 6+6 b
15 Et, toujours du côté | des pauvres ruisselant, 6+6 b
Ses sacs de grains semblaient | des fontaines publiques. 6+6 a
Booz était bon maître | et fidèle parent ; 6+6 a
Il était généreux, | quoiqu'il fût économe ; 6+6 b
Les femmes regardaient | Booz plus qu'un jeune homme, 6+6 b
20 Car le jeune homme est beau, | mais le vieillard est grand. 6+6 a
Le vieillard, qui revient | vers la source première, 6+6 a
Entre aux jours éternels | et sort des jours changeants ; 6+6 b
Et l'on voit de la flamme | aux yeux des jeunes gens, 6+6 b
Mais dans l'œil du vieillard | on voit de la lumière. 6+6 a
*
25 Donc, Booz dans la nuit | dormait parmi les siens ; 6+6 a
Près des meules, qu'on eût | prises pour des décombres, 6+6 b
Les moissonneurs couchés | faisaient des groupes sombres ; 6+6 b
Et ceci se passait | dans des temps très anciens. 6+6 a
Les tribus d'Israël | avaient pour chef un juge ; 6+6 a
30 La terre, où l'homme errait | sous la tente, inquiet 6+6 b
Des empreintes de pieds | de géant qu'il voyait, 6+6 b
Était encor mouillée | et molle du déluge. 6+6 a
*
Comme dormait Jacob, | comme dormait Judith, 6+6 a
Booz, les yeux fermés, | gisait sous la feuillée ; 6+6 b
35 Or, la porte du ciel | s'étant entre-bâillée 6+6 b
Au-dessus de sa tête, | un songe en descendit. 6+6 a
Et ce songe était tel, | que Booz vit un chêne 6+6 a
Qui, sorti de son ventre, | allait jusqu'au ciel bleu ; 6+6 b
Une race y montait | comme une longue chaîne ; 6+6 a
40 Un roi chantait en bas, | en haut mourait un dieu. 6+6 b
Et Booz murmurait | avec la voix de l'âme : 6+6 a
« Comment se pourrait-il | que de moi ceci vînt ? 6+6 b
Le chiffre de mes ans | a passé quatre-vingt, 6+6 b
Et je n'ai pas de fils, | et je n'ai plus de femme. 6+6 a
45 « Voilà longtemps que celle | avec qui j'ai dormi, 6+6 a
O Seigneur ! a quitté | ma couche pour la vôtre ; 6+6 b
Et nous sommes encor | tout mêlés l'un à l'autre, 6+6 b
Elle à demi vivante | et moi mort à demi. 6+6 a
« Une race naîtrait | de moi ! Comment le croire ? 6+6 a
50 Comment se pourrait-il | que j'eusse des enfants ? 6+6 b
Quand on est jeune, on a | des matins triomphants, 6+6 b
Le jour sort de la nuit | comme d'une victoire ; 6+6 a
« Mais, vieux, on tremble ainsi | qu'à l'hiver le bouleau. 6+6 a
Je suis veuf, je suis seul, | et sur moi le soir tombe, 6+6 b
55 Et je courbe, ô mon Dieu ! | mon âme vers la tombe 6+6 b
Comme un bœuf ayant soif | penche son front vers l'eau. 6+6 a
Ainsi parlait Booz | dans le rêve et l'extase, 6+6 a
Tournant vers Dieu ses yeux | par le sommeil noyés ; 6+6 b
Le cèdre ne sent pas | une rose à sa base, 6+6 a
60 Et lui ne sentait pas | une femme à ses pieds. 6+6 b
*
Pendant qu'il sommeillait, | Ruth, une moabite, 6+6 a
S'était couchée aux pieds | de Booz, le sein nu, 6+6 b
Espérant on ne sait | quel rayon inconnu, 6+6 b
Quand viendrait du réveil | la lumière subite. 6+6 a
65 Booz ne savait point | qu'une femme était là, 6+6 a
Et Ruth ne savait point | ce que Dieu voulait d'elle, 6+6 b
Un frais parfum sortait | des touffes d'asphodèle ; 6+6 b
Les souffles de la nuit | flottaient sur Galgala. 6+6 a
L'ombre était nuptiale, | auguste et solennelle ; 6+6 a
70 Les anges y volaient | sans doute obscurément, 6+6 b
Car on voyait passer | dans la nuit, par moment, 6+6 b
Quelque chose de bleu | qui paraissait une aile. 6+6 a
La respiration | de Booz qui dormait, 6+6 a
Se mêlait au bruit sourd | des ruisseaux sur la mousse. 6+6 b
75 On était dans le mois | où la nature est douce, 6+6 b
Les collines ayant | des lys sur leur sommet. 6+6 a
Ruth songeait et Booz | dormait ; l'herbe était noire ; 6+6 a
Les grelots des troupeaux | palpitaient vaguement ; 6+6 b
Une immense bonté | tombait du firmament ; 6+6 b
80 C'était l'heure tranquille | où les lions vont boire. 6+6 a
Tout reposait dans Ur | et dans Jérimadeth ; 6+6 a
Les astres émaillaient | le ciel profond et sombre ; 6+6 b
Le croissant fin et clair | parmi ces fleurs de l'ombre 6+6 b
Brillait à l'occident, | et Ruth se demandait, 6+6 a
85 Immobile, ouvrant l'œil | à moitié sous ses voiles, 6+6 a
Quel dieu, quel moissonneur | de l'éternel été 6+6 b
Avait, en s'en allant, | négligemment jeté 6+6 b
Cette faucille d'or | dans le champ des étoiles. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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