Métrique en Ligne
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e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_3/HUG562
Victor HUGO
LA LÉGENDE DES SIÈCLES
PREMIÈRE SÉRIE
1859
I
D'ÈVE À JÉSUS
Le sacre de la femme
I
L'aurore apparaissait ;quelle aurore ? Un abîme 6+6 a
D'éblouissement, vaste,insondable, sublime ; 6+6 a
Une ardente lueurde paix et de bonté. 6+6 b
C'était aux premiers tempsdu globe ; et la clarté 6+6 b
5 Brillait sereine au frontdu ciel inaccessible, 6+6 a
Étant tout ce que Dieupeut avoir de visible ; 6+6 a
Tout s'illuminait, l'ombreet le brouillard obscur ; 6+6 b
Des avalanches d'ors'écroulaient dans l'azur ; 6+6 b
Le jour en flamme, au fondde la terre ravie, 6+6 a
10 Embrasait les lointainssplendides de la vie ; 6+6 a
Les horizons, pleins d'ombreet de rocs chevelus 6+6 b
Et d'arbres effrayantsque l'homme ne voit plus, 6+6 b
Luisaient, comme le songeet comme le vertige, 6+6 a
Dans une profondeurd'éclair et de prodige, 6+6 a
15 L'éden pudique et nus'éveillait mollement ; 6+6 b
Les oiseaux gazouillaientun hymne si charmant, 6+6 b
Si frais, si gracieux,si suave et si tendre, 6+6 a
Que les anges distraitsse penchaient pour l'entendre, 6+6 a
Le seul rugissementdu tigre était plus doux, 6+6 b
20 Les halliers l'agneaupaissait avec les loups, 6+6 b
Les mers l'hydre aimaitl'alcyon, et les plaines 6+6 a
les ours et les daimsconfondaient leurs haleines, 6+6 a
Hésitaient, dans le chœurdes concerts infinis, 6+6 b
Entre le cri de l'antreet la chanson des nids. 6+6 b
25 La prière semblaità la clarté mêlée ; 6+6 a
Et sur cette natureencore immaculée 6+6 a
Qui du verbe éternelavait gardé l'accent, 6+6 b
Sur ce monde céleste,angélique, innocent, 6+6 b
Le matin, murmurantune sainte parole, 6+6 a
30 Souriait, et l'auroreétait une auréole. 6+6 a
Tout avait la figureintègre du bonheur ; 6+6 b
Pas de bouche d' vîntun souffle empoisonneur ; 6+6 b
Pas un être qui n'tsa majesté première ; 6+6 a
Tout ce que l'infinipeut jeter de lumière 6+6 a
35 Éclatait pêle-mêleà la fois dans les airs ; 6+6 b
Le vent jouait aveccette gerbe d'éclairs 6+6 b
Dans le tourbillon libreet fuyant des nuées ; 6+6 a
L'enfer balbutiaitquelques vagues huées 6+6 a
Qui s'évanouissaientdans le grand cri joyeux 6+6 b
40 Des eaux, des monts, des bois,de la terre et des cieux. 6+6 b
Les vents et les rayonssemaient de tels délires 6+6 a
Que les forêts vibraientcomme de grandes lyres ; 6+6 a
De l'ombre à la clarté,de la base au sommet, 6+6 b
Une fraternitévénérable germait ; 6+6 b
45 L'astre était sans orgueilet le ver sans envie ; 6+6 a
On s'adorait d'un boutà l'autre de la vie ; 6+6 a
Une harmonie égaleà la clarté, versant 6+6 b
Une extase divineau globe adolescent, 6+6 b
Semblait sortir du cœurmystérieux du monde ; 6+6 a
50 L'herbe en était émue,et le nuage, et l'onde, 6+6 a
Et même le rocherqui songe et qui se tait ; 6+6 b
L'arbre, tout pénétréde lumière, chantait ; 6+6 b
Chaque fleur, échangeantson souffle et sa pensée 6+6 a
Avec le ciel sereind' tombe la rosée, 6+6 a
55 Recevait une perleet donnait un parfum ; 6+6 b
L'Être resplendissait,Un dans Tout, Tout dans Un ; 6+6 b
Le paradis brillaitsous les sombres ramures 6+6 a
De la vie ivre d'ombreet pleine de murmures, 6+6 a
Et la lumière étaitfaite de vérité ; 6+6 b
60 Et tout avait la grâce,ayant la pureté. 6+6 b
Tout était flamme, hymen,bonheur, douceur, clémence, 6+6 a
Tant ces immenses joursavaient une aube immense ! 6+6 a
II
Ineffable leverdu premier rayon d'or, 6+6 b
Du jour éclairant toutsans rien savoir encor ! 6+6 b
65 O matin des matins !amour ! joie effrénée 6+6 a
De commencer le temps,l'heure, le mois, l'année ! 6+6 a
Ouverture du monde !instant prodigieux ! 6+6 b
La nuit se dissolvaitdans les énormes cieux 6+6 b
rien ne tremble, rienne pleure, rien ne souffre ; 6+6 a
70 Autant que le chaosla lumière était gouffre ; 6+6 a
Dieu se manifestaitdans sa calme grandeur, 6+6 b
Certitude pour l'âmeet pour les yeux splendeur ; 6+6 b
De faite en fte, au cielet sur terre, et dans toutes 6+6 a
Les épaisseurs de l'êtreaux innombrables vtes, 6+6 a
75 On voyait l'évidenceadorable éclater ; 6+6 b
Le monde s'ébauchait ;tout semblait méditer ; 6+6 b
Les types primitifs,offrant dans leur mélange 6+6 a
Presque la brute informeet rude et presque l'ange, 6+6 a
Surgissaient, orageux,gigantesques, touffus ; 6+6 b
80 On sentait tressaillirsous leurs groupes confus 6+6 b
La terre, inépuisableet suprême matrice ; 6+6 a
La création sainte,à son tour créatrice, 6+6 a
Modelait vaguementdes aspects merveilleux, 6+6 b
Faisait sortir l'essaimdes êtres fabuleux 6+6 b
85 Tantôt des bois, tantôtdes mers, tantôt des nues, 6+6 a
Et proposait à Dieudes formes inconnues 6+6 a
Que le temps, moissonneurpensif, plus tard changea ; 6+6 b
On sentait sourdre, et vivre,et végéter déjà 6+6 b
Tous les arbres futurs,pins, érables, yeuses, 6+6 a
90 Dans des verdissementsde feuilles monstrueuses ; 6+6 a
Une sorte de vieexcessive gonflait 6+6 b
La mamelle du mondeau mystérieux lait ; 6+6 b
Tout semblait presque horsde la mesure éclore, 6+6 a
Comme si la nature,en étant proche encore, 6+6 a
95 t pris, pour ses essaissur la terre et les eaux, 6+6 b
Une difformitésplendide au noir chaos. 6+6 b
Les divins paradis,pleins d'une étrange sève, 6+6 a
Semblent au fond des tempsreluire dans le rêve, 6+6 a
Et, pour nos yeux obscurs,sans idéal, sans foi, 6+6 b
100 Leur extase aujourd'huiserait presque l'effroi. 6+6 b
Mais qu'importe à l'abîme,à l'âme universelle 6+6 a
Qui dépense un soleilau lieu d'une étincelle, 6+6 a
Et qui, pour y pouvoirposer l'ange azuré, 6+6 b
Fait crtre jusqu'aux cieuxl'éden démesuré ! 6+6 b
105 Jours inouïs ! le bien,le beau, le vrai, le juste, 6+6 a
Coulaient dans le torrent,frissonnaient dans l'arbuste ; 6+6 a
L'aquilon louait Dieude sagesse vêtu ; 6+6 b
L'arbre était bon ; la fleurétait une vertu ; 6+6 b
C'est trop peu d'être blanc,le lys était candide ; 6+6 a
110 Rien n'avait de souillureet rien n'avait de ride ; 6+6 a
Jours purs ! rien ne saignaitsous l'ongle et sous la dent ; 6+6 b
La bête heureuse étaitl'innocence rôdant ; 6+6 b
Le mal n'avait encorrien mis de son mystère 6+6 a
Dans le serpent, dans l'aiglealtier, dans la panthère, 6+6 a
115 Le précipice ouvertdans l'animal sacré 6+6 b
N'avait pas d'ombre, étantjusqu'au fond éclairé ; 6+6 b
La montagne était jeuneet la vague était vierge ; 6+6 a
Le globe, hors des mersdont le flot le submerge, 6+6 a
Sortait beau, magnifique,aimant, fier, triomphant, 6+6 b
120 Et rien n'était petitquoique tout fût enfant ; 6+6 b
La terre avait, parmises hymnes d'innocence, 6+6 a
Un étourdissementde sève et de croissance ; 6+6 a
L'instinct fécond faisaitrêver l'instinct vivant ; 6+6 b
Et, répandu partout,sur les eaux, dans le vent, 6+6 b
125 L'amour épars flottaitcomme un parfum s'exhale ; 6+6 a
La nature riait,naïve et colossale ; 6+6 a
L'espace vagissaitainsi qu'un nouveau-né. 6+6 b
L'aube était le regarddu soleil étonné. 6+6 b
III
Or, ce jour-là, c'étaitle plus beau qu't encore 6+6 a
130 Versé sur l'universla radieuse aurore ; 6+6 a
Le même séraphiqueet saint frémissement 6+6 b
Unissait l'algue à l'ondeet l'être à l'élément ; 6+6 b
L'éther plus pur luisaitdans les cieux plus sublimes ; 6+6 a
Les souffles abondaientplus profonds sur les cimes ; 6+6 a
135 Les feuillages avaientde plus doux mouvements ; 6+6 b
Et les rayons tombaientcaressants et charmants 6+6 b
Sur un frais vallon vert,, débordant d'extase, 6+6 a
Adorant ce grand cielque la lumière embrase, 6+6 a
Heureux d'être joyeuxd'aimer, ivres de voir, 6+6 b
140 Dans l'ombre, au bord d'un lac,vertigineux miroir, 6+6 b
Étaient assis, les piedseffleurés par la lame, 6+6 a
Le premier homme auprèsde la première femme. 6+6 a
L'époux priait, ayantl'épouse à son côté. 6+6 b
IV
Ève offrait au ciel bleula sainte nudité, 6+6 b
145 Ève blonde admiraitl'aube, sa sœur vermeille. 6+6 a
Chair de la femme ! argileidéale ! ô merveille ! 6+6 a
O pénétrationsublime de l'esprit 6+6 b
Dans le limon que l'Êtreineffable pétrit ! 6+6 b
Matière l'âme brilleà travers son suaire ! 6+6 a
150 Boue l'on voit les doigtsdu divin statuaire ! 6+6 a
Fange auguste appelantle baiser et le cœur, 6+6 b
Si sainte, qu'on ne sait,tant l'amour est vainqueur, 6+6 b
Tant l'âme est vers ce litmystérieux poussée, 6+6 a
Si cette voluptén'est pas une pensée, 6+6 a
155 Et qu'on ne peut, à l'heure les sens sont en feu, 6+6 b
Étreindre la beautésans croire embrasser Dieu ! 6+6 b
Ève laissait errerses yeux sur la nature. 6+6 a
Et, sous les verts palmiersà la haute stature, 6+6 a
Autour d'Ève, au-dessusde sa tête, l'œillet 6+6 b
160 Semblait songer, le bleulotus se recueillait, 6+6 b
Le frais myosotisse souvenait ; les roses 6+6 a
Cherchaient ses pieds avecleurs lèvres demi-closes ; 6+6 a
Un souffle fraternelsortait du lys vermeil ; 6+6 b
Comme si ce doux êtret été leur pareil, 6+6 b
165 Comme si de ces fleurs,ayant toutes une âme, 6+6 a
La plus belle s'étaitépanouie en femme. 6+6 a
V
Pourtant, jusqu'à ce jour,c'était Adam, l'élu 6+6 b
Qui dans le ciel sacréle premier avait lu, 6+6 b
C'était le Mariétranquille et fort, que l'ombre 6+6 a
170 Et la lumière, et l'aube,et les astres sans nombre, 6+6 a
Et les bêtes des bois,et les fleurs du ravin 6+6 b
Suivaient ou vénéraientcomme l'né divin, 6+6 b
Comme le front ayantla lueur la plus haute ; 6+6 a
Et, quand tous deux, la maindans la main, côte à côte, 6+6 a
175 Erraient dans la clartéde l'éden radieux, 6+6 b
La nature sans fond,sous ses millions d'yeux, 6+6 b
A travers les rochers,les rameaux, l'onde et l'herbe, 6+6 a
Couvait, avec amourpour le couple superbe, 6+6 a
Avec plus de respectpour l'homme, être complet, 6+6 b
180 Ève qui regardait,Adam qui contemplait. 6+6 b
Mais, ce jour-là, ces yeuxinnombrables qu'entrouvre 6+6 a
L'infini sous les plisdu voile qui le couvre, 6+6 a
S'attachaient sur l'épouseet non pas sur l'époux. 6+6 b
Comme si, dans ce jourreligieux et doux 6+6 b
185 Béni parmi les jourset parmi les aurores, 6+6 a
Aux nids ailés perdussous les branches sonores, 6+6 a
Au nuage, aux ruisseaux,aux frissonnants essaims, 6+6 b
Aux bêtes, aux cailloux,à tous ces êtres saints 6+6 b
Que de mots ténébreuxla terre aujourd'hui nomme, 6+6 a
190 La femme t apparuplus auguste que l'homme ! 6+6 a
VI
Pourquoi ce choix ? pourquoicet attendrissement 6+6 b
Immense du profondet divin firmament ? 6+6 b
Pourquoi tout l'universpenché sur une tête ? 6+6 a
Pourquoi l'aube donnantà la femme une fête ? 6+6 a
195 Pourquoi ces chants ? Pourquoices palpitations 6+6 b
Des flots dans plus de joieet dans plus de rayons ? 6+6 b
Pourquoi partout l'ivresseet la hâte d'éclore, 6+6 a
Et les antres heureuxde s'ouvrir à l'aurore, 6+6 a
Et plus d'encens sur terreet plus de flamme aux cieux ? 6+6 b
200 Le beau couple innocentsongeait silencieux. 6+6 b
VII
Cependant la tendresseinexprimable et douce 6+6 a
De l'astre, du vallon,du lac, du brin de mousse, 6+6 a
Tressaillait plus profondeà chaque instant autour 6+6 b
D'Ève, que saluaitdu haut des cieux le jour ; 6+6 b
205 Le regard qui sortaitdes choses et des êtres, 6+6 a
Des flots bénis, des boissacrés, des arbres prêtres, 6+6 a
Se fixait, plus pensifde moment en moment, 6+6 b
Sur cette femme au frontvénérable et charmant ; 6+6 b
Un long rayon d'amourlui venait des abîmes, 6+6 a
210 De l'ombre, de l'azur,des profondeurs, des cimes, 6+6 a
De la fleur, de l'oiseauchantant, du roc muet. 6+6 b
Et, pâle, Ève sentitque son flanc remuait. 6+6 b
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