Métrique en Ligne
HUG_27/HUG1602
Victor HUGO
DERNIÈRE GERBE
1902
XLIV
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Ô profondeur sans fond où va tout ce qui pense ! 6+6
Où l'on tombe, n'ayant que soi pour tout appui ! 6+6 a
Cet homme était hier empereur ; aujourd'hui. 6+6 a
5 Il est mort. Les canons tonnent, les clochers grondent ; 6+6 b
Toutes les voix d'airain dans les cieux se répondent ; 6+6 b
L'air murmure : — Il est mort ! Il est mort !à genoux ! 6+6 a
Celui qui disait : Moi ! celui qui disait : Nous ! 6+6 a
Le maître ! le héros ! la majesté sacrée ! 6+6 b
10 L'élu ! l'homme qui règne, ombre de Dieu qui crée ! 6+6 b
Il est au ciel, l'heureux, le superbe, le fort ! 6+6 a
Il fut grand dans la vie, il est grand dans la mort ! — 6+6 a
Et les foules en deuil se hâtent accourues, 6+6 b
Et les lourds pots-à-feu flambent le long des rues, 6+6 b
15 Et le royal convoi passe. Vingt escadrons 6+6 a
Ouvrent la marche ; on voit venir dans les clairons 6+6 a
Une espèce de tombe éblouissante et fière, 6+6 b
Un grand sépulcre trône inondé de lumière, 6+6 b
Un cénotaphe immense aux panaches mouvants 6+6 a
20 Qui roule et resplendit, secouant dans les vents 6+6 a
L'orgueil, l'encens, la myrrhe, et, comme des crinières, 6+6 b
Les flammes d'or, les plis de pourpre, les bannières. 6+6 b
Le corbillard étale au peuple émerveillé 6+6 a
Toute la gloire humaine, un manteau constellé, 6+6 a
25 Une couronne, un sceptre, une épée, un cadavre. 6+6 b
Et la grande cité que son veuvage navre, 6+6 b
Et, tout autour, les champs, les hameaux, les faubourgs 6+6 a
Ne sont qu'une rumeur de pas et de tambours. 6+6 a
Écoutez maintenant. Ô vertige ! peut-être, 6+6 b
30 Pendant qu'on dit : — C'est lui ! c'est le roi ! c'est le maître ! 6+6 b
Celui que Dieu servait dans ce qu'il entreprit ! — 6+6 a
Il vient de s'éveiller, morne et sinistre esprit, 6+6 a
Dans un des noirs chevaux de l'attelage sombre 6+6 b
Qui tirent ce grand char de triomphe vers l'ombre ! 6+6 b
35 Frissonnant, il bégaie : Où suis-je ? Il se souvient ; 6+6 a
Il sent derrière lui, son cadavre qui vient ; 6+6 a
De ses portes de marbre il voit s'arrondir l'arche ; 6+6 b
Il connaît le valet de pied qui lui dit : marche ! 6+6 b
Il veut crier : C'est moi ! le maître ! Il ne le peut ; 6+6 a
40 La mort le tient muet sous son terrible nœud. 6+6 a
Sous sa nouvelle forme effroyable, il tressaille ; 6+6 b
Et tout en traversant son Louvre, son Versaille, 6+6 b
Son Kremlin, son Windsor ou son Escurial, 6+6 a
Couverts de ses blasons : lys, aigle impérial, 6+6 a
45 Savoie, Espagne, Autriche, ou Lorraine, ou Bourgogne, 6+6 b
Son cocher le fustige au nom de sa charogne. 6+6 b
Misérable, il est pris dans la bête au pas lent. 6+6 a
Ce qu'il a d'éternel en lui, puni, tremblant, 6+6 a
S'attelle à ce qui va rentrer dans la nature ; 6+6 b
50 Son immortalité traîne sa pourriture ; 6+6 b
Terreur ! terreur ! tandis que son nom dans l'azur 6+6 a
Brille, et qu'on voit son chiffre à tous les coins de mur 6+6 a
Porté par un génie ou par une victoire ; 6+6 b
Tandis qu'auguste et beau, s'ouvrant à cette gloire 6+6 b
55 Comme s'ouvre au soleil le portique du soir, 6+6 a
Tout Saint-Denis n'est plus qu'un sarcophage noir 6+6 a
Si vaste qu'on dirait qu'on a fait, sous ses porches, 6+6 b
Avec ses millions d'étoiles et de torches, 6+6 b
Entrer toute la nuit pour en faire du deuil ; 6+6 a
60 Pendant que les drapeaux adorent son cercueil, 6+6 a
Pendant qu'un Bossuet quelconque le célèbre, 6+6 b
Et l'appelle, du haut de l'oraison funèbre, 6+6 b
Bon, juste, glorieux, grand comme l'univers, 6+6 a
Son âme sous le fouet porte son corps aux vers ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
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