Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_26/HUG1540
Victor HUGO
LES ANNÉES FUNESTES
1898
XLV
LESURQUES
La Chambre criminelle de la Cour
de cassation…
Déclare la révision du procès Lesurques
non recevable.
(Arrêt du 17 décembre 1868.).
I
Et c'est ainsi qu'un tasd'hommes à jupe rouge, 6+6 a
Plus vils dans leur sénatqu'un foat dans son bouge, 6+6 a
Prêtres hideux du templeindigné de la loi, 6+6 b
Plats sous la républiqueet rampants Sous le roi, 6+6 b
5 Culs-de-jatte du droitdont la griffe est impure, 6+6 a
Et dont la conscienceincurable suppure, 6+6 a
C'est ainsi que d'abjectset cyniques robins, 6+6 b
Jésuites que d'un signeon ferait jacobins, 6+6 b
Tout prêts à se taillerdes bonnets dans leurs toges, 6+6 a
10 Profils féroces, commeon en voit dans les loges 6+6 a
Du jardin bestiald'Anvers, et dans l'horreur 6+6 b
Des bois le loup rôdeet tient lieu d'empereur, 6+6 b
C'est ainsi que MonsieurTroplong, monsieur Delangle, 6+6 a
Cuistres, de Guillotinadorant le triangle, 6+6 a
15 Lourds magots variantleurs poses de sommeils, 6+6 b
Poussahs de la justiceet de l'ennui, pareils 6+6 b
Aux mandarins dormantsur les coussins des jonques ; 6+6 a
Dupins, Crispins, Scapins,Chaix d'Est-Anges quelconques, 6+6 a
C'est ainsi que ces gensqui disent : nous jugeons ! 6+6 b
20 Durs comme le granit,souples comme les joncs, 6+6 b
Valetaille à genouxsous le plat de l'épée, 6+6 a
Ont fait rouvrir les yeuxà la tête coupée ! 6+6 a
Elle était dans le fondde la tombe, elle avait 6+6 b
Les pierres de la fosseinfâme pour chevet ; 6+6 b
25 Autour d'elle gisaient,muets sous l'herbe haute, 6+6 a
Tous les sinistres mortsqui dorment côte à côte 6+6 a
Dans ce fatal Clamartdont les cercueils sont courts ; 6+6 b
Sans haleine, sans voix,morte, attendant toujours, 6+6 b
Elle était là, pensiveà cause des ténèbres ; 6+6 a
30 Ses yeux fermés, le sangcollant leurs cils funèbres, 6+6 a
Semblaient faire un refusfarouche au firmament, 6+6 b
Et vouloir regarderl'ombre éternellement. 6+6 b
L'âme espère au tombeaun'être point poursuivie. 6+6 a
Mais un bruit est venudu côté de la vie, 6+6 a
35 Et la tête coupéea remué, son œil. 6+6 b
Plein d'un feu sombre, a faitle jour dans le cercueil, 6+6 b
Et morne, a regardéles hommes, chose affreuse ! 6+6 a
Et la nature, mèreénorme et douloureuse, 6+6 a
Hélas ! s'est efforcéealors de l'apaiser ; 6+6 b
40 Les moineaux ont couruprès d'elle se poser, 6+6 b
Et la mouche, apportantla pitié de l'atome ; 6+6 a
La rosée a lavésa pâleur ; divin baume, 6+6 a
La fleur l'a-parfumée,et l'herbe qui verdit 6+6 b
L'a doucement baisée,et les corbeaux ont dit 6+6 b
45 — N'écoute pas le noircroassement des juges ! 6+6 a
Et dans ce moment-là,cyprès, tombeaux, refuges, 6+6 a
Ossements, ossements,vous l'avez entendu. 6+6 b
Et toi, ciel étoilé,gouffre rien n'est perdu, 6+6 b
Cette tête, du, fondde la fosse maudite, 6+6 a
50 A crié ; dans l'horreursacrée Dieu médite. 6+6 a
Ils ont trouvé moyende reboire mon sang, 6+6 b
Dieu juste, et de tuerdeux fois un innocent ! 6+6 b
II
« Si l'on eût réhabilité Lesurques,
il eût fallu restituer à sa famille ses biens
confisqués, capital et intérêts, depuis
plus de soixante ans, ce qui, dit-on,
dépasserait deux millions. Cette impor-
tante considération a dû gravement
influer sur l'arrêt de la cour. »
(Tous les journaux. Décembre 1868.).
Deux millions, voilàl'obstacle.
Si c'était 6+6 a
Pour qu'en son salon rose chante Colletet, 6+6 a
55 L'impératrice puisseinviter à Compiègne 6+6 b
Grandguillot, Grandperret,tous les grands de ce règne ; 6+6 b
Si c'était pour gaverde truffes les Bourbeaux, 6+6 a
Pour offrir à Pinarddes fêtes aux flambeaux, 6+6 a
Pour faire aux Nélatonsquitter leurs clientèles ; 6+6 b
60 Ou pour couvrir de fleurs,de bijoux, de dentelles 6+6 b
Les femmes de la couraux charmes ingénus, 6+6 a
Essaim de nymphes, tasde belles aux bras nus, 6+6 a
Riant, montrant l'aisselleet laissant voir la pointe 6+6 b
Du sein par l'hiatusd'une gaze peu jointe ; 6+6 b
65 Si c'était pour offrirdes chiens au grand veneur ; 6+6 a
Si c'était pour dorer,l'or rehaussant l'honneur, 6+6 a
Palikao, Failly,Lebœuf, Martinprey, Korte, 6+6 b
Tous les épouvantailsmoustachus de l'escorte ; 6+6 b
Si c'était pour aiderRome à faire la nuit ; 6+6 a
70 Si c'était pour allerau Mexique, à grand bruit, 6+6 a
Tambour battant, avecune nuée altière 6+6 b
D'étendards déployés,fonder un cimetière ; 6+6 b
Si c'était pour forgerdes chassepots meilleurs, 6+6 a
Si c'était pour créerdes engins mitrailleurs 6+6 a
75 Appropriés au tempsde progrès nous sommes, 6+6 b
Afin d'abattre viteet bien des milliers d'hommes 6+6 b
Comme une faulx passantdans un champ de maïs, 6+6 a
Afin de faire, au meurtreimmense du pays, 6+6 a
Travailler nos soldatschangés en janissaires, 6+6 b
80 Afin d'assassinerles hurlantes misères, 6+6 b
Afin que le drapeaude France dans ses plis 6+6 a
Montre Ricamarieà côté d'Austerlitz, 6+6 a
Afin d'exterminerdes pauvres, des famines, 6+6 b
Des détresses, vieillards,enfants, foats des mines, 6+6 b
85 Pâles, mourant de faim,réclamant des liards ; 6+6 a
Deux millions, c'est peu ;prenez deux milliards ; 6+6 a
Mais il s'agit de rendreà l'innocent justice, 6+6 b
Il s'agit de frapperun coup qui retentisse, 6+6 b
Et de purifierun nom infortuné ; 6+6 a
90 Il s'agit de tirerde l'enfer un damné ; 6+6 a
De dire : Apaise-toi,spectre qui te lamentes ! 6+6 b
Et d'aller, dans l'oublides tombes infamantes, 6+6 b
Chercher une Mémoire,et de mettre ; à côté 6+6 a
D'un mensonge, en ces nuitssans fond, la vérité : 6+6 a
95 On ne peut gaspillerà ce point les finances ! 6+6 b
Confisquer fut le droit.Les vieilles ordonnances 6+6 b
Sévirent sur Lesurqueainsi qu'au temps ancien. 6+6 a
Enlui volant sa vie ;on lui vola son bien. 6+6 a
Les fils ont disparu,famille foudroyée ; 6+6 b
100 La fille s'est jetéeà la Seine et noyée 6+6 b
Tout ce groupe effaré,morne, épàrs, frissonnant, 6+6 a
A sombré sous l'arrêtfunèbre ; et maintenant, 6+6 a
La nuit après la mort,hélas ! c'est la logique ; 6+6 b
On ne distingue riendans cette ombre tragique, 6+6 b
105 Sinon des enfants nus,quelques pauvres petits 6+6 a
Dans l'abîme ; orphelinspas ençore engloutis… 6+6 a
Cette détresse est làsous nos yeux, cela souffre, 6+6 b
Crie, appelle, et l'on voitleurs bras sortir du gouffre, 6+6 b
Ils pleurent, et la terreet le ciel sont témoins. 6+6 a
110 À présent, calculons.Deux millions au moins. 6+6 a
Trois peut-être. Tout rendreaux fils est nécessaire. 6+6 b
Il faudra remboursercette longue misère. 6+6 b
N'a-t-on pas plus tôt faitde dire : Toi qui fus 6+6 a
Innocent, reste infâme !Et c'est fini. Refus : 6+6 a
115 Tout est dit. Être justeest bien, être économe. 6+6 b
Est mieux.
Et puis, de quoite plains-tu, mon brave homme ? 6+6 b
De ce qu'on t'a coupéla tête par erreur ? 6+6 a
Ce n'est pas notre fauteà nous ; et l'empereur 6+6 a
Doit-il, parce qu'on ditbeaucoup d'impertinences 6+6 b
120 Sur cet accident-là,pâtir-dans ses finances, 6+6 b
Renonçer à Biarritz,vu que Lesurque est cher, 6+6 a
Et n'avoir plus de quoipayer monsieur Rouher ? 6+6 a
Qu'en pensez-vous, Glandaz ?Qu'en pensez-vous, Devienne ? 6+6 b
Président Legagneur,autant qu'il m'en souvienne, 6+6 b
125 Tu jugeas l'accuséBonaparte jadis, 6+6 a
Et tu sers l'empereur ;rends ton oracle ! dis ! 6+6 a
Allons-nous ruinerle budget, qui nous dote, 6+6 b
Pour recrépir à neufune antique anecdote, 6+6 b
Pour raccommoder, quoi ?le nom d'un homme mort, 6+6 a
130 Et pour laver au fonddu code un vieux remord ? 6+6 a
Bah ! nous rencontrerions,si nous l'osions prescrire, 6+6 b
Le doux nenni de Magneavec son doux sourire. 6+6 b
Le jour , devant l'huisdu trésor, surgirait, 6+6 a
Enclose dans les flancs' sacrés de notre arrêt, 6+6 a
135 La justice, devoir,dette, loi des croyances, 6+6 b
Clarté, sommationcéleste aux consciences ; 6+6 b
Le caissier, ricanantde Lesurques plaintif, 6+6 a
Allumerait son pleavec ce plumitif. 6+6 a
Sous l'empire on est fort ;on gouverne, on décrète ; 6+6 b
140 De la chose jugéeon fait sa cigarette. 6+6 b
D'ailleurs on est sceptique.À bas les morts gênants ! 6+6 a
On tourne volontiersle dos aux revenants, 6+6 a
Surtout quand le fantômeapporte une quittance. 6+6 b
Le vrai vieilli n'est plusvraisemblable à distance ; 6+6 b
145 Et nous ferions hausserles épaules de ceux 6+6 a
Qui gagnèrent le lotd'un coup d'état chanceux 6+6 a
Si nous venions leur dire :O succès ! ô puissance ! 6+6 b
Il existe une choseappelée innocence. 6+6 b
Et puis, voyons, vraiment, s'arrêterait-on ? 6+6 a
150 Que fut à son débutl'empire ? Un gueuleton. 6+6 a
S'ait : Mais si l'on persisteà faire ainsi ripaille, 6+6 b
L'empereur finirapar être sur la paille. 6+6 b
Le budget fêlé fuit.Nous avons des héros, 6+6 a
Nous avons des sauveurs,et cela cte gros. 6+6 a
155 On paya Bacciochi,Dieu sait pour quels services, 6+6 b
Magnan pour ses forfaitset Morny pour ses vices, 6+6 b
Va-t-on indemnisertout le monde à présent ? 6+6 a
Hier le criminel,aujourd'hui l'innocent.' 6+6 a
C'est trop. Bornons les frais.La loi, qui règne et fauche, 6+6 b
160 Frappa Lesurques. Bien.Complétons cette ébauche. 6+6 b
On a guillotinéle grand-père à tâtons ; 6+6 a
Exécutons les filsorphelins, et mettons 6+6 a
Leur requête au panier,comme on y mit sa tête. 6+6 b
Faisons à ce sépulcreune faillite honnête ; 6+6 b
165 Motivons-la si bienqu'on dise : Ils ont raison. 6+6 a
Remettons ce Lesurqueen terre, de façon 6+6 a
Qu'il ne puisse, à traversla broussaille, l'ortie, 6+6 b
L'injustice et l'oubli,faire une autre sortie. 6+6 b
Les morts n'ont pas le droitd'ennuyer les vivants. 6+6 a
170 Régnons, cadis altiers,du haut de nos divans, 6+6 a
Dans notre pourpre ayantun linceul pour doublure. 6+6 b
Ne cédons point ; laissonssur ce nom la souillure ; 6+6 b
Car la démagogieen ce siècle grandit. 6+6 a
Finissons-en avecce Lesurques. C'est dit. 6+6 a
175 Ne souffrons pas qu'on toucheaux lois, vieille bâtisse. 6+6 b
Quand un homme a péripar arrêt de justice, 6+6 b
Correctement, au jourvoulu, sur l'échafaud, 6+6 a
N'admettons point qu'on trouveà la hache un défaut. 6+6 a
Sans nous tout crouleraitsous d'effrayants déluges. 6+6 b
180 Résistons ; et soyonsdignes d'être des juges, 6+6 b
Après ces vénérésantiques magistrats, 6+6 a
Gravement accoudéssur d'augustes fatras, 6+6 a
Bien payés par les rois,bien bénis par les prêtres, 6+6 b
Et tous morts en odeurde Montfaucon, nos mtres ! 6+6 b
185 Vous allez me trouverpeut-être curieux, 6+6 a
Mais je voudrais savoir,si tous ces Partarrieux, 6+6 a
Tous ces Bellarts qu'on vanteet dont on nous agace, 6+6 b
Suin copiant Severt,Aulois singeant Bergasse, 6+6 b
L'un sanguinaire et vil,l'autre horrible et moqueur, 6+6 a
190 Ont quelque chose en euxqu'on puisse appeler cœur ! 6+6 a
III
Et puis, songez-y donc,si l'on allait conclure 6+6 b
De tout cela, qu'il estparfois une fêlure 6+6 b
A la chose jugée,et qu'un tribunal peut 6+6 a
Se tromper, faire faireà la corde un faux nœud, 6+6 a
195 Un faux coup à la hache,un faux acte au concierge 6+6 b
De Thémis, un faux pasà la loi ; cette vierge 6+6 b
Qui n'a jusqu'à ce jourguère eu d'autres époux 6+6 a
Que cinq ou six Bellartset sept ou huit Maupeoux ! 6+6 a
Reste, ô sombre innocent,dans ton opprobre inique. 6+6 b
200 Garde ce crime ainsique l'ardente tunique, 6+6 b
Que devient la peau mêmeet qu'on n'arrache pas 6+6 a
Les juges monstrueuxprennent leur faux compas 6+6 a
Et font autour de toice cercle épouvantable. 6+6 b
Au banquet de Césarla— Justice s'attable ; 6+6 b
205 Elle n'a pas le tempsd'être juste. Il te faut, 6+6 a
Comme Jésus sa croix,porter ton échafaud… 6+6 a
Reste sous ton fardeau,patient ! Sur ta tombe, 6+6 b
Un remords qui médite,une larme qui tombe, 6+6 b
Tu n'as pas même, hélas !ce lugubre bonheur. 6+6 a
210 Sois pour toujours murédans le noir déshonneur. 6+6 a
On t' enferme éperdudans le forfait d'un autre. 6+6 b
Va, ton crime n'est paston crime, il est le nôtre ! 6+6 b
Car, lorsqu'il râle et meurt,le fer des lois au sein, 6+6 a
L'innocent a le mondeentier pour assassin. 6+6 a
215 Quiconque a respirépendant le meurtre, adhère, 6+6 b
Et quiconque boit, mangeet dort, est solidaire ; 6+6 b
Le ciel blâme et mauditle genre humain, passant 6+6 a
Sans voir que sur la fouleimmense il pleut du sang. 6+6 a
Le peuple qui, stupide,aux juges se confie, 6+6 b
220 Regardant le bourreaupendant qu'il crucifie, 6+6 b
Laissant enfoncer l'unaprès l'autre-les clous, 6+6 a
Est lâche, et les moutonssont complices des loups. 6+6 a
Le juge, à ce Lesurque sa rage s'attache, 6+6 b
Donne un coup de poignardaprès un coup de hache ; 6+6 b
225 De féroce il devientinfâme ; et nous l'aidons 6+6 a
Par notre indifférenceet par nos abandons. 6+6 a
Il viole un cercueil.Sous ce fatal empire, 6+6 b
Le prêtre est assassinet le juge est vampire ! 6+6 b
Et nous voyons, béants,ces hommes manier 6+6 a
230 L'innocence et la loi,la tête et le panier ! 6+6 a
Ah ! la goutte de sang,plus que la goutte d'huile, 6+6 b
S'élargit, et la Grèveéclabousse la ville 6+6 b
L'échafaud, vu de tous,est un hideux sommet. 6+6 a
L'attentat qu'en plein jour,nous présents, l'on commet, 6+6 a
235 Est l'égout collecteurde nos lâchetés sombres. 6+6 b
Du droit humain brisénous sommes les décombres ; 6+6 b
Nul n'est de la souillureuniverselle exempt ; 6+6 a
Le grand forfait publicest én nous frémissant ; 6+6 a
Jamais l'innocent mort,qui nous trouble et nous pèse, 6+6 b
240 Dans notre conscienceobscure ne s'apaise. 6+6 b
Deuil profond !
Protestonsdu moins. Si je flétris 6+6 a
Ces juges, par mon versdans leur honte pétris, 6+6 a
Si j'ai cette huéeimplacable à la bouche, 6+6 b
Si j'ai redit vingt foiscette plainte farouche, 6+6 b
245 Peuple, c'est que ma partde crime m'étouffait. 6+6 a
Peuple, avoir laissé faire,hélas, c'est avoir fait ! 6+6 a
Garde toute l'horreurde ta lugubre histoire, 6+6 b
Lesurques ! dresse-toi,grande figure noire ! 6+6 b
Qu'on te voie à jamaisdebout sur l'horizon. 6+6 a
250 Et vous, famille à quil'on vola sa maison, 6+6 a
Martyrs dont la stupeurs'est changée en folie, 6+6 b
Veuves qu'on déshonore,orphelins qu'on spolie, 6+6 b
Désormais plus de plainte,et taisez-vous, proscrits. 6+6 a
Ah ! je frémis de voirleurs prières, leurs cris, 6+6 a
255 Leurs larmes, leurs appelscraintifs, leurs plaidoiries, 6+6 b
Leurs tremblantes douleurspar le dédain meurtries, 6+6 b
Leurs fronts baissés, leurs brassuppliants, quand c'est nous, 6+6 a
Nous tous, qui devrionsnous trner à genoux, 6+6 a
Joindre les mains, pleurernotre erreur insondable, 6+6 b
260 Peuple, et demander grâceau spectre formidable ! 6+6 b
IV
Pourquoi ne pas marcherun peu ? Je vais rêvant, 6+6 a
Tâchant de dispersermon mal de tête au vent. 6+6 a
C'est décembre. L'eau gronde,immense, et le rivage 6+6 b
La repousse et la briseen son refus sauvage ; 6+6 b
265 L'écume se déchireen larges haillons blancs ; 6+6 a
Tous les arbres du-bordde la mer sont tremblants ; 6+6 a
La nature subitl'hiver, ce noir malaise. 6+6 b
L'herbe est mouillée et morte ;au pied de la falaise 6+6 b
Un tumulte d'oiseaux,mauves, courlis, plongeons, 6+6 a
270 Fourmille et se querelleau milieu des ajoncs ; 6+6 a
Le nuage et le flotfont de grands plis farouches ; 6+6 b
Et l'on entend, dans l'airplein d'invisibles bouches, 6+6 b
Le Sourd chuchotementdu ciel mystérieux ; 6+6 a
L'écueil se tait, témointragique et sérieux, 6+6 a
275 Qui le jour est montagneet la nuit est fantôme, 6+6 b
Et qui, tandis qu'au loinfuit la barque, humble atome, 6+6 b
Regarde vaguementdé ses yeux de granit 6+6 a
Les constellationsqui rôdent au zénith ; 6+6 a
L'infini balbutieun fragment du cantique 6+6 b
280 Que dit le Pacifiqueet qu'entend l'Atlantique ; 6+6 b
Là-bas des voiles vont,Dieu sait ! dans les vents, 6+6 a
Les vagues, les rouliset lés fracas mouvants, 6+6 a
Et s'enfoncent, par l'ombreau loin diminuées, 6+6 b
Sous la mélancolieénorme des nuées ; 6+6 b
285 L'océan m'environneavec ses chants, ses cris, 6+6 a
Sa brume, et moi je songeà ce gouffre Paris. 6+6 a
Qu'est-ce que je fais là,près des mers ? Je suis triste. 6+6 b
Et vous vous figurezque votre arrêt existe ! 6+6 b
Ah ! nous déchirerons,nous tordrons, nous mettrons 6+6 a
290 En pièces la sentenceatroce sur vos fronts ! 6+6 a
Nous vous souffletteronsavec votre justice, 6+6 b
Juges ! Il ne se peutqu'un peuple s'abrutisse 6+6 b
Au point de' croire en vouset de vous respecter ! 6+6 a
Il faudra bien un jourte laisser confronter, 6+6 a
295 Code, avec le bon sens,et le bon sens est rude. 6+6 b
Juges ! votre sagesseest une vieille prude 6+6 b
Qui, pour cacher ses mainsmalpropres, met des gants, 6+6 a
Et votre conscience,ô bonzes arrogants, 6+6 a
A laissé bien des foisCésar trousser sa jupe : 6+6 b
300 Sous vos crânes hautainsdont le bourgeois est dupe, 6+6 b
Vos scrupules, vos lois,vos textes, vos fiertés, 6+6 a
Vos pudeurs, vos vertuset vos austérités, 6+6 a
N'ont qu'un souci, sé vendre,et sont des Rigolboches 6+6 b
Dansant leur danse impureau fond de vOs caboches. 6+6 b
305 Négocier sa voix,brocanter son serment, 6+6 a
Livrer au plus offrantson âme habilement 6+6 a
Et sans qu'il y paraisse,est votre art, et j'atteste 6+6 b
Troplong qui réussitle tour manqué par Teste. — 6+6 b
Troplong a le collieret Teste a le carcan 6+6 a
310 Au fond c'est le même hommeet c'est le même encan. 6+6 a
Vous êtes bien les vraissuccesseurs des vieux cuistres 6+6 b
Qui peuplaient la Grand'Chambreau temps des rois sinistres, 6+6 b
Et qui dans leurs décretsmêlaient le vrai, le faux, 6+6 a
Le bien, le mal, l'horreur,la mort, les échafauds, 6+6 a
315 Lourds, et dissimulantcette pointe assassine 6+6 b
Par l'assaisonnementd'un latin de cuisine ! 6+6 b
Votre sentence irapourrir dans le vieux tas 6+6 a
De leurs indignitéset de leurs attentats. 6+6 a
Vous imaginez-vous,ô sombres imbéciles, 6+6 b
320 Qu'après l'arrêt bavépar vos bouches fossiles, 6+6 b
Tout est dit ; que c'est fait ;que vous avez ôté 6+6 a
Du monde l'équilibreet des cœurs l'équité, 6+6 a
Que vous êtes, magotstoussant dans vos flanelles, 6+6 b
Quelque chose à côtédes clartés éternelles, 6+6 b
325 Et qu'il sort du bouquinlégal un tel pouvoir 6+6 a
Que l'homme empêche Dieude faire son devoir ! 6+6 a
Ah ! Ton pourra puiserau fond des écritoires 6+6 b
Les galimatiaset les réquisitoires 6+6 b
Et la prose infamante Broë triomphait, 6+6 a
330 Et cracher sur ce spectre,et dire : c'est bien fait ! 6+6 a
Ah ! l'on entasseratant qu'on voudra la honte ; 6+6 b
Le juge, le bailli,le capitoul, l'archonte, 6+6 b
Toutes les robes d'ombreet tous les bonnets noirs, 6+6 a
Tous les hiboux ayantles greffes pour manoirs, 6+6 a
335 Pourront venir, pourrontprodiguer leur grimoire 6+6 b
Et leur haine à cette humbleet tragique mémoire, 6+6 b
Ces stercoraires sontun assez vil essaim. 6+6 a
Pour croasser sans cesse :assassin ! assassin ! 6+6 a
Ils pourront, tous, en foule,à l'heure la nuit tombe, 6+6 b
340 Se percher, au-dessusde cette pauvre tombe, 6+6 b
Dans les hideux rameauxdu code, obscur cyprès 6+6 a
D' tombe cette fienteimmonde, leurs arrêts ; 6+6 a
Ils pourront épaissirleur justice fétide 6+6 b
Sur —ce damné, des loismorne cariatide ; 6+6 b
345 Ils pourront ajouterle désespoirau deuil, 6+6 a
Sous leur chose jugéeaccabler ce cercueil, 6+6 a
Faire une ignominieexprès pour cette fosse, 6+6 b
Déclarer le lys noiret la vérité fausse ; 6+6 b
Paris, ce vieux Parissi petit et si grand, 6+6 a
350 Pourra dormir, chanter,manger, boire, ignorant 6+6 a
A qui le droit, à quil'opprobre, à qui la palme ; 6+6 b
Soudain, un jour, le cieloublié, le ciel calme, 6+6 b
Blanchira du côtémaudit de l'horizon ; 6+6 a
Ceux qui regarderontauront un grand frisson 6+6 a
355 Et l'attente sacréeentrera dans leur âme ; 6+6 b
Et l'on verra, là-bas,dans l'atmosphère infâme, 6+6 b
Tout à coup, au-dessusdu sépulcre effrayant 6+6 a
Que la loi,— l'Euménideinepte, en bégayant, 6+6 a
Monstre aveugle, a flétridans sa toute-puissance, 6+6 b
360 Se lever lentementcet astre, l'innocence ! 6+6 b
H.-H.
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université