Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_26/HUG1537
Victor HUGO
LES ANNÉES FUNESTES
1898
XLII
BAUDIN
La barricade était | livide dans l'aurore, 6+6 a
Et, comme j'arrivais ; | elle fumait encore ; 6+6 a
Rey me serra la main | et dit : Baudin est mort. 6+6 b
Il semblait calme et doux | comme un enfant qui dort ; 6+6 b
5 Ses yeux étaient fermés, | ses bras pendaient, sa bouche 6+6 a
Souriait d'un sourire | héroïque et farouche ; 6+6 a
Ceux qui l'environnaient | l'emportèrent.
Et tous, 6+6 b
Depuis ce jour, l'exil | s'étant fermé sur nous, 6+6 b
Nous songeons à celui | qui mourut, et dont l'âme 6+6 a
10 Luit sur Paris ainsi | que dans l'ombre une flamme, 6+6 a
Et nous disons : Hélas ! | c'est toi qui fus choisi ! 6+6 b
Ô toi qui dors là-bas, | nous qui saignons ici, 6+6 b
Nous t'envions. Heureux | ceux que reprend la tombe ! 6+6 a
Celui qui reste droit | devant celui qui tombe 6+6 a
15 Médite, car tous deux | sont, en dépit du sort, 6+6 b
Debout, l'un dans la vie | et l'autre dans la mort. 6+6 b
Mais dans ce monde où passe | et repasse sans cesse 6+6 a
Une inondation | de honte et de bassesse, 6+6 a
Où tant d'hommes, plus vains | que les mouches d'été, 6+6 b
20 Vendant leur avenir | au présent effronté, 6+6 b
Pour-avoir plus d'orgie | acceptent plus d'abîme, 6+6 a
Et chantent, joyeux d'être | abjects, ô ciel 'sublime, 6+6 a
Ciel noir ! comment ne pas | envier la faveur 6+6 b
D'une balle qui vient | frapper un front rêveur ! 6+6 b
25 Comment ne pas frémir | devant la suite obscure 6+6 a
Des crimes de Néron | vivant comme Épicure, 6+6 a
Ne s'inquiétant pas | de ce que produiront 6+6 b
Ses forfaits, ses plaisirs, | sa joie et notre affront, 6+6 b
Faisant avec Dieu sombre | une folle gageure, 6+6 a
30 Et vil, petit, terrible, | avec son noir parjure, 6+6 a
Ses fraudes, son succès, | sa fange, affreux ciment, 6+6 b
Bâtissant on ne sait | quel vaste écroulement ! 6+6 b
Comment ne pas aimer | la caresse subite 6+6 a
De la mort, spectre auguste | avec qui l'âme habite, 6+6 a
35 Et qui vous ouvre une ombre | étoilée où tout luit ! 6+6 b
La mort, c'est le matin, | et l'exil, c'est la nuit. 6+6 b
Quand tombent les hérauts | du progrès populaire, 6+6 a
Quand une main d'en haut, | dans un jour de colère, 6+6 a
Leur ôte brusquement | des lèvres le clairon, 6+6 b
40 Quand Botzaris périt, | quand expire Byron, 6+6 b
Quand les quatre sergents | de la Rochelle meurent, 6+6 a
On entend le sanglot | des nations qui pleurent ; 6+6 a
Les peuples sous ces deuils | se courbent accablés 6+6 b
Et tristes, comme après | un orage les blés. 6+6 b
45 Ces martyrs sont sacrés, | et sur toutes les lèvres 6+6 a
Leurs noms volent, donnant | aux cœurs les saintes fièvres ; 6+6 a
Ils sont l'exemple, ils sont | l'honneur, ils sont l'espoir ; 6+6 b
Même quand tout s'éclipse | on croit encor les voir ; 6+6 b
Leur œil fixe soutient | ceux qui jamais ne cèdent ; 6+6 a
50 Ils font songer l'enfant— | qui s'élève, ils l'obsèdent 6+6 a
Du superbe besoin | de leur être pareils ; 6+6 b
Et quand la Liberté, | dorant les cieux vermeils, 6+6 b
Reparaît, et revient | sur les cimes éclore, 6+6 a
Leurs grands fantômes sont | mêlés à cette aurore. 6+6 a
55 Mourir, c'est vaincre. Un mort | brille, éclaire et conduit. 6+6 b
Dans les temps ténébreux | où tout s'écroule et fuit, 6+6 b
Quand un assassin fait | balbutier l'histoire, 6+6 a
Quand le crime finit | par avoir de la gloire, 6+6 a
Et qu'il ôte son masque | inutile à garder, 6+6 b
60 Estimant que sa honte | est bonne à regarder ; 6+6 b
Quand, lâche, et subissant | cette infâme bravade, 6+6 a
La conscience, ainsi | qu'un voleur qui s'évade, 6+6 a
Retient son souffle, rampe | et tremble ; quand les fronts 6+6 b
N'ont presque plus de forme | à cause des affronts, 6+6 b
65 Il est bon de sentir | dans l'ombre la présence 6+6 a
De la mystérieuse | et sévère innocence 6+6 a
Qui vit dans les tombeaux | et que les morts ont seuls, 6+6 b
Et de voir dans la nuit | la blancheur des linceuls. 6+6 b
Ce qu'on appelle une ombre | est une âme rentrée 6+6 a
70 Dans l'azur, mais restée | au fond de l'empyrée, 6+6 a
Et qui parle à voix basse | au peuple humilié. 6+6 b
Ah ! les morts sont présents ! | L'absent, c'est l'oublié. 6+6 b
L'absent, c'est le proscrit. |
Que fait donc la patrie ? 6+6 a
Se dit-il. Un bandit | la tient, elle est flétrie, 6+6 a
75 Elle est vendue, elle est | esclave, sans appui, 6+6 b
Sans gloire ; et l'on entend | quelqu'un rire, c'est lui, 6+6 b
Et c'est elle.
Eh bien, soit. | On est proscrit, on pense, 6+6 a
On saigne, avec l'oubli | railleur pour récompense ; 6+6 a
Tout est bien. Voulait-on | autre chose ? En avant ! 6+6 b
80 Vers quoi ? vers le tombeau, | vers la nuit, vers le vent, 6+6 b
Vers l'orage et l'écueil. | Pourquoi pas ? Rome ! Auguste 6+6 a
Sort d'Octave, et le vrai | devient faux, et l'injuste 6+6 a
En perspective avec | le juste se confond ; 6+6 b
Tais-toi, proscrit.
On sent | de l'ironie au fond 6+6 b
85 Du murmure des flots | comme du bruit des hommes. 6+6 a
Dans cette brume où tous | pêle-mêle nous sommes 6+6 a
On jette sa pensée, | inutile semeur ; 6+6 b
L'insulte est par moments | distincte en la rumeur 6+6 b
Que fait autour de vous | la vie universelle ; 6+6 a
90 On rêve ; l'océan, | plus grand que vous, chancelle ; 6+6 a
On est chez l'étranger | qui, froid, libre et jaloux, 6+6 b
Aime chez lui le droit | et le tyran chez vous' ; 6+6 b
On regarde l'anglais | admirer Bonaparte ; 6+6 a
On voit cette Carthage | où brille un peu de Sparte, 6+6 a
95 Londre, à quiconque opprime | autrui tendre la main. 6+6 b
On marche seul, on suit | à pas lents son chemin 6+6 b
Dans ce désert, la foule… | — Ô nostalgie amère ! — 6+6 a
On passe regardé | de travers, comme Homère. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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