Métrique en Ligne
HUG_26/HUG1536
Victor HUGO
LES ANNÉES FUNESTES
1898
XLI
APRÈS SEIZE ANS
I
L'empire est un succès. Quel beau commencement ! 6+6 a
Paris vaut une messe et coûte un faux serment ; 6+6 a
Ce n'est pas cher. Seize ans de gloire ! une jonchée 6+6 b
De lauriers et de fleurs, et l'histoire est trichée. 6+6 b
5 Tant pis pour elle. Hurrah ! plus d'émeute à Roubaix. 6+6 a
Le sultan à la France offre huit chevaux bais ; 6+6 a
On en attellera le carrosse du sacre. 6+6 b
Nul revenant ne vient rabâcher le massacre ; 6+6 b
Les morts du Deux-Décembre ont le sommeil profond. 6+6 a
10 Les institutions de bienfaisance vont, 6+6 a
Et Saint-François-Régis sourit dans l'atmosphère. 6+6 b
Le crédit mobilier est une bonne affaire 6+6 b
Pour les Pereire ; et Fould, quoique mort, est vivant 6+6 a
Dans tout ce qu'on achète et dans tout ce qu'on vend, 6+6 a
15 Compris la conscience, et dans les phénomènes, 6+6 b
De l'enregistrement, du timbre et des domaines. 6+6 b
L'emprunt met une pièce aux déficits. Fort bien. 6+6 a
Le vieux Paris, Sauvai, Du Breul, Félibien, 6+6 a
Se sauvent effarés devant Haussmann qui pioche. 6+6 b
20 Au bambino du ciel l'empire offre son mioche ; 6+6 b
Le pape, doux parrain, donne un récépissé. 6+6 a
Le droit est un vieux mot, peu su, mal prononcé ; 6+6 a
La justice est un pont qu'on passe avec péage ; 6+6 b
Quand les Communiqués pleuvent, c'est un nuage 6+6 b
25 De vérités qui crève, et, nôn sans quelque ennui, 6+6 a
Le journal se secoue, arrosé malgré lui ; 6+6 a
L'honneur, qui pour bien vivre a plus d'une recette, 6+6 b
Est un fils que Tartuffe eut jadis de Macette 6+6 b
Quant à la probité, c'est une bague au doigt ; 6+6 a
30 Ayez cet ornement, si bon vous semble. On voit 6+6 a
Le temps qu'il fait au juge ainsi qu'au baromètre. 6+6 b
Tout ce qu'un crime peut au bon ordre promettre, 6+6 b
L'empire l'a tenu. Le peuple est au repos ; 6+6 a
Les Turennes manquant, on a des chassepots ; 6+6 a
35 Tout rit. L'esprit humain est las ; l'armée est forte. 6+6 b
Lui, règne.
Mais Dieu dit : Le châtiment m'importe. 6+6 b
Nous l'aurons.
II
Vous l'avez. Que vous faut-il de plus ? 6+6 a
Quoi donc ! ne voit-on pas commencer le reflux ? 6+6 a
Hier triste, Aujourd'hui lugubre, et Demain pire. 6+6 b
40 Derrière ce châssis mal peint qu'on nomme empire, 6+6 b
Les ténèbres ; un puits d'ignorance, un cachot 6+6 a
D'opprobre, en bas la faim, la banqueroute en haut, 6+6 a
Paphos pourrie offerte à ceux qui rêvaient Sparte, 6+6 b
Deuil, cendre, et tout au fond l'accusé Bonaparte ; 6+6 b
45 Si Won tâche de voir un peu l'autre côté 6+6 a
Du triomphe, et l'envers de la prospérité, 6+6 a
On aperçoit cela. Que vous faut-il encore ? 6+6 b
Le hibou ne croasse et Troplong ne pérore 6+6 b
Que la nuit. La nuit sourde est leur milieu joyeux. 6+6 a
50 Donc il fait nuit. Voyez la lueur de leurs yeux. 6+6 a
Sans doute on parle fort dans-les régions hautes 6+6 b
Des succès qu'on remporte, ici, là, sur ces côtes, 6+6 b
Dans ce désert, là-bas, en Cochinchine, ailleurs, 6+6 a
Partout ; on a de quoi se railler des railleurs, 6+6 a
55 On est vêtu de pourpre, et l'historiographe 6+6 b
Du manteau de César pourra dorer l'agrafe. 6+6 b
Bien. Soit. — Tournez la page et voyez le verso. 6+6 a
Le sépulcre est déjà visible en ce berceau. 6+6 a
Nous eûmes du bonheur au jeu ; mais notre caisse 6+6 b
60 A des fêlures, fuit, penche, et son niveau baisse 6+6 b
Comme une eau qui se vide en d'obscurs entonnoirs ; 6+6 a
L'azur du Livre Bleu se pique de points noirs ; 6+6 a
Sadowa nous surprend, Luxembourg nous échappe ; 6+6 b
Que faire ? s'incliner. La Providence frappe. 6+6 b
65 La main est divine. Oui. Le soufflet est prussien. 6+6 a
Notre pape in petto, le petit Lucien, 6+6 a
A tout l'air d'un fruit sec. Du Vulturne à la Sprée, 6+6 b
Toute la monarchie en masse est délabrée. 6+6 b
Czars mal portants, sultans malades, archiducs 6+6 a
70 Peu chanceux, pape aveugle et sanglant, rois caducs. 6+6 a
Est-ce que ces voleurs de peuples, ces gueux princes, 6+6 b
Ces grecs du trône, entr'eux s'escroquant des provinces, 6+6 b
N'entendent point craquer sous leurs pas le plancher ? 6+6 a
Mané Thécel Pharès commence à s'ébaucher. 6+6 a
75 Couza fuit, François fuit, Maximilien tombe. 6+6 b
Le trône est une trappe ouverte sur la tombe. 6+6 b
Le dur Mexique lutte armé du talion, 6+6 a
Car la louve espagnole allaita ce lion, 6+6 a
Et sa liberté fauve ignore la clémence ; 6+6 b
80 Dans cette ombre, hélas, erre une femme en démence ; 6+6 b
Les contre-coups lointains deviennent sérieux 6+6 a
Et, dans on ne sait quel brouillard mystérieux 6+6 a
Où pleure Hécube, ou rit Cassandre, où rôde Électre, 6+6 b
L'empereur assassin songe à l'empereur spectre. 6+6 b
85 Il décline par où naguère il triomphait. 6+6 a
Que de revers ! Comptez. Qu'est-ce que, son forfait ? 6+6 a
Un cachot sur nos fronts ; sous ses pieds un abîme. 6+6 b
Il sent se lézarder sinistrement son crime. 6+6 b
N'est-ce, pas assez ?
— Non.
— Que voulez-vous donc ?
— Tout. 6+6 a
III
90 Tout. Les tyrans à bas et les hommes debout. 6+6 a
Tout. La fin. Ce qu'il faut à notre âpre insomnie, 6+6 b
C'est la captivité du genre humain finie, 6+6 b
C'est le souffle orageux des clairons, c'est l'écho 6+6 a
Des trompettes jetant à terre Jéricho, 6+6 a
95 C'est le débordement des Tibres et des Rhônes, 6+6 b
C'est l'écroulement vaste et farouche des trônes, 6+6 b
C'est leur dernière armée en fuite à l'horizon ! 6+6 a
Ce qu'il nous faut, c'est l'âme écrasant sa prison, 6+6 a
C'est le peuple arrachant sa chaîne avec furie, 6+6 b
100 C'est l'Amour criant : Guerre ! et la sainte Patrie 6+6 b
Criant : Peuples, j'abdique, et suis l'Humanité ! 6+6 a
C'est la Paix disant : Passe avant moi, Liberté ! 6+6 a
C'est en nos cœurs gonflés la colère profonde, 6+6 b
C'est l'épée en nos mains pour délivrer le monde, 6+6 b
105 C'est l'imbécile amas des rois séditieux 6+6 a
A nos pieds, et l'aurore immense dans les cieux ! 6+6 a
H. H.
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 53((aa))
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