Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_25/HUG1494
Victor HUGO
DIEU
1855
LE SEUIL DU GOUFFRE
[L'ESPRIT HUMAIN]
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et je voyais au loin sur ma tête un point noir. 6+6 a
Comme on voit une mouche au plafond se mouvoir, 6+6 a
Ce point allait, venait ; et l'ombre était sublime. 6+6 a
Et l'homme, quand il pense, étant ailé, l'abîme 6+6 a
5 M'attirant dans sa nuit toujours de plus en plus, 6+6 a
Comme une algue qu'entraîne un ténébreux reflux, 6+6 a
Vers ce point noir, planant dans la profondeur blême, 6+6 a
Je me sentais dé m'envoler de moi-même 6+6 a
Quand je fus arrê par quelqu'un qui me dit 6+6 a
— Demeure. —
10 En même temps une main s'étendit. 6+6 a
J'étais déjà très haut dans la nuée obscure. 6+6 a
Et je vis apparaître une étrange figure ; 6+6 a
Un être tout se de bouches, d'ailes, d'yeux ; 6+6 a
Vivant, presque lugubre et presque radieux. 6+6 a
15 Vaste, il volait ; plusieurs des ailes étaient chauves. 6+6 a
En s'agitant, les cils de ses prunelles fauves 6+6 a
Jetaient plus de rumeur qu'une troupe d'oiseaux 6+6 a
Et ses plumes faisaient un bruit de grandes eaux. 6+6 a
Cauchemar de la chair ou vision d'apôtre, 6+6 a
20 Selon qu'il se montrait d'une face ou de l'autre, 6+6 a
Il semblait une bête ou semblait un esprit. 6+6 a
Il paraissait, dans l'air où mon vol le surprit, 6+6 a
Faire de la lumière et faire des ténèbres. 6+6 a
Calme, il me regardait dans les brouillards funèbres. 6+6 a
25 Et je sentais en lui quelque chose d'humain. 6+6 a
— Qu'es-tu donc, toi qui viens me barrer le chemin, 6+6 a
Être obscur, frissonnant au souffle de ces brumes ? 6+6 a
Lui dis-je.
Il répondit : — Je suis une des plumes 6+6 a
De la nuit, sombre oiseau de nue et de rayons, 6+6 a
30 Noir paon épanoui des constellations. 6+6 a
Je suis ce qui court, vole, erre, s'enfle, s'apaise ; 6+6 a
Je suis en même temps ce qui retombe, pèse, 6+6 a
Saisit l'aile qui va, retient l'essor qui fuit, 6+6 a
Et descend ; car le fond de mon être est la nuit. 6+6 a
— Ton nom ? dis-je.
Il reprit :
35 — Pour toi qui, loin des causes, 6+6 a
Vas flottant, et ne peux voir qu'un côté des choses, 6+6 a
Je suis l'Esprit Humain.
Mon nom est Légion, 6+6 a
Je suis, l'essaim des bruits et la contagion 6+6 a
Des mots vivants allant et venant d'âme en âme. 6+6 a
40 Je suis Souffle. Je suis cendre, fumée et flamme. 6+6 a
Tantôt l'instinct brutal, tantôt l'élan divin. 6+6 a
Je suis ce grand passant, vaste, invincible et vain, 6+6 a
Qu'on nomme vent ; et j'ai l'étoile et l'étincelle 6+6 a
Dans ma parole, étant l'haleine universelle ; 6+6 a
45 L'haleine et non la bouche ; un zéphir me grandit 6+6 a
Et m'abat ; et quand j'ai respiré, j'ai tout dit. 6+6 a
Je suis géant et nain, faux, vrai, sourd et sonore, 6+6 a
Populace dans l'ombre et peuple dans l'aurore ; 6+6 a
Je dis moi, je dis nous ; j'affirme, nous nions. 6+6 a
50 Je suis le flux des voix et des opinions, 6+6 a
Le fantôme de l'an, du mois, de la semaine, 6+6 a
Fait du groupe fuyant de la nuée humaine. 6+6 a
Homme, toujours en moi la contradiction 6+6 a
Tourne sa roue obscure et j'en suis l'Ixion. 6+6 a
55 Démos, c'est moi. C'est moi ce qui marche, attend, roule, 6+6 a
Pleure et rit, nie et croit ; je suis le démon Foule. 6+6 a
Je suis comme la trombe, ouragan et pilier. 6+6 a
En même temps je vis dans l'âtre familier. 6+6 a
Oui, j'arrache au tison la soudaine étincelle 6+6 a
60 Qui heurte un germe obscur que le crâne recèle, 6+6 a
Et qui, des fronts courbés perçant les épaisseurs, 6+6 a
Fait faire explosion à l'esprit des penseurs. 6+6 a
Je vis près d'eux, veilleur intime ; je combine 6+6 a
Le vieux houblon de Flandre et la vigne sabine, 6+6 a
65 La franche joie attique et le rire gaulois ; 6+6 a
L'antique insouciance avec ses douces lois, 6+6 a
Paix, liberté, gté, bon sens, est mon breuvage ; 6+6 a
J'en grise Érasme et Sterne, et même mon sauvage, 6+6 a
Diderot ; et j'en fais couler quelques filets 6+6 a
70 De la coupe d'Horace au broc de Rabelais. — 6+6 a
Il poursuivit :
— Je crie à quiconque commence, 6+6 a
Assez. — Finis. — Je suis le Médiocre immense. 6+6 a
Toutes les fois qu'on parle et qu'on dit : — Mitoyen, 6+6 a
Mode, médiateur, méridien, moyen, 6+6 a
75 Par chacun de ces mots on m'évoque, on m'adjure, 6+6 a
Et tantôt c'est louange, et tantôt c'est injure. 6+6 a
Je suis l'esprit Milieu ; l'être neutre qui va 6+6 a
Bas sans trouver Iblis, haut sans voir Jéhovah ; 6+6 a
Dans le nombre, je suis Multitude ; dans l'être, 6+6 a
80 Borne. Je m'oppose, homme, a l'excès de connaître, 6+6 a
De chercher, de trouver, d'errer, d'aller au bout ; 6+6 a
Je suis Tous, l'ennemi mystérieux de Tout. 6+6 a
Je suis la loi d'arrêt, d'enceinte, de ceinture 6+6 a
Et d'horizon, qui sort de toute la nature ; 6+6 a
85 L'éther irrespirable et bleu sur la hauteur, 6+6 a
Dans le gouffre implacable et sourd, la pesanteur. 6+6 a
C'est moi qui dis : — Voici ta sphère. Attends. Arrête. 6+6 a
Tout être a sa frontière, homme ou pierre, ange ou bête, 6+6 a
Et doit, sans dilater sa forme d'aujourd'hui, 6+6 a
90 Subir le nœud des lois qui se croisent en lui. 6+6 a
Je me nomme Limite et je me nomme Centre. 6+6 a
Je garde tous les seuils de tous les mondes. Rentre. 6+6 a
Tout est par moi, saisi, pris, circonscrit, dompté. 6+6 a
Je me défie, ayant peur de l'extrémité, 6+6 a
95 De la folie un peu, beaucoup de la sagesse. 6+6 a
Je tiens l'enthousiasme et l'appétit en laisse ; 6+6 a
Pour qu'il aille au réel sans s'écarter du bien, 6+6 a
J'attelle au genre humain ce lion et ce chien ; 6+6 a
Et, comme je suis souffle et poids, nul ne m'évite, 6+6 a
100 Car tout, comme esprit, flotte, et, comme corps, gravite. 6+6 a
Et l'explication, je te l'ai dit, vivant, 6+6 a
C'est que je suis l'esprit matériel, le vent ; 6+6 a
Et je suis la matière impalpable, la force. 6+6 a
Je contrains toute sève à rester sous l'écorce ; 6+6 a
105 Et tout piège miroir par mon souffle est terni. 6+6 a
Contre l'enivrement du sinistre infini 6+6 a
Je garde les penseurs, ces pauvres mouches frêles. 6+6 a
Je tiens les pieds de ceux dont l'azur prend les ailes. 6+6 a
Je suis parfum, poison, bien, mal, silence, bruit. 6+6 a
110 Je suis en haut midi, je suis en bas minuit ; 6+6 a
Je vais, je viens ; je suis l'alternative sombre ; 6+6 a
Je suis l'heure qui fait sortir en frappant l'ombre, 6+6 a
Douze apôtres le jour, la nuit douze césars. 6+6 a
Du beau donnant sa forme au grand, je fais les arts. 6+6 a
115 Dans les milieux humains, dans les brumes charnelles, 6+6 a
J'erre en voyant ; je suis le troupeau des prunelles. 6+6 a
Je suis l'universel, je suis le partiel. 6+6 a
Je nais de la vapeur ainsi que l'eau du ciel, 6+6 a
Et j'éclos du rocher comme le saxifrage. 6+6 a
120 Je sors du sentier vert, du foyer, du naufrage, 6+6 a
Du pavé du chemin, de la borne du champ, 6+6 a
Des haillons du no sur la grève séchant, 6+6 a
Du flambeau qui s'éteint, de la fleur qui se fane 6+6 a
Je me suis appe Pyrrhon, Aristophane, 6+6 a
125 Démocrite, Aristote, Ésope, Lucien, 6+6 a
Diogène, Timon, Plaute, Pline l'ancien, 6+6 a
Cervantes, Bacon, Swift, Locke, Rousseau, Voltaire. 6+6 a
Je suis la résultante énorme de la terre. 6+6 a
La raison.
J'étais là, pensif, troublé, muet ; 6+6 a
130 Pendant que j'écoutais, l'être continuait : 6+6 a
— Homme, à nous le mystère est ouvert. Nous en sommes. 6+6 a
Pour l'abîme, je suis un spectre ; pour vous, hommes, 6+6 a
Je suis la Voix qui dit : allez, mais sachez où. 6+6 a
J'erre près du néant le long du garde-fou. 6+6 a
J'avertis.
Il reprit :
135 Écoute, esprit qui trembles ; 6+6 a
Et qui ne peux pas même entrevoir les ensembles : 6+6 a
Hommes, vous m'ignorez, mais je vous connais tous ; 6+6 a
Et je suis encor vous, même en dehors de vous. 6+6 a
Entre les brutes, foule, et les anges, élite, 6+6 a
140 Il est sur chaque terre et chaque satellite, 6+6 a
Un être à part ; pensée et chair matière esprit ; 6+6 a
Page mixte du livre où la nature écrit, 6+6 a
Dernier feuillet du Monstre et premier du Génie ; 6+6 a
Créature où la fange et l'or font l'harmonie, 6+6 a
145 Dans la bête à moitié, dans l'idée à demi, 6+6 a
Flamme accouplée avec le corps son ennemi, 6+6 a
Double rayon tordu d'ombre et d'aube ravie, 6+6 a
Mystère ; ayant un pied, dans l'échelle de vie, 6+6 a
Sur une fin, un pied sur un commencement ; 6+6 a
150 Cet être comparant, sentant, voyant, aimant, 6+6 a
C'est l'homme. Que la mort conserve, accroisse ou fauche 6+6 a
Cet à peu près sublime et ce chef-d'œuvre ébauche, 6+6 a
Qu'il ait ce qu'il appelle une âme, en ce moment 6+6 a
Je ne t'en parle pas, je te dis seulement 6+6 a
155 Que partout l'homme existe, étant un milieu d'êtres. 6+6 a
Il vit près des soleils, foyers, astres ancêtres. 6+6 a
Sur des terres qui sont plus ou moins loin du feu, 6+6 a
Il vit, domptant son globe ; il est grand, il est peu ; 6+6 a
Par la forme divers, mais un par sa nature ; 6+6 a
160 Il a l'hydre animal et plante pour ceinture ; 6+6 a
Il est sur le sommet de son visible à lui ; 6+6 a
Et, larve où deux lueurs se croisent, point d'appui 6+6 a
De tout un phénomène, identique à lui-même, 6+6 a
Marque partout le même étage du problème ; 6+6 a
165 Entre l'aile, et le ventre il est l'être debout ; 6+6 a
Il est partout le roi planétaire ; partout 6+6 a
Il possède et régit l'astre intermédiaire 6+6 a
Entre l'ombre et le grand soleil incendiaire. 6+6 a
Car tout globe qui tourne autour d'une clarté 6+6 a
170 Est planète de loin, de près humanité. 6+6 a
Or, — puisque jusqu'a moi ton œil plonge et pénètre, 6+6 a
C'est moi qui suis l'esprit collectif de cet être, 6+6 a
Partout ; sous toute forme, et dans l'immensité. 6+6 a
Tu n'es qu'homme, ô passant ; je suis humanité. 6+6 a
175 L'être effrayant, planant dans l'ombre inaccessible, 6+6 a
Ajouta :
— Nul ne doit sortir de son possible. 6+6 a
Nul ne doit transgresser son réel. Cependant 6+6 a
Je veux, puisque tu viens dans cette ombre, imprudent, 6+6 a
Faire une exception pour toi que je rencontre. 6+6 a
180 Quel que soit ton dessein, va ! je n'irai pas contre ; 6+6 a
Homme, je consens même à contenter tes vœux. 6+6 a
Étant de l'infini, je peux ce que je veux ; 6+6 a
Ma main peut ouvrir tout puisqu'elle peut tout clore ; 6+6 a
Qui puise de la nuit peut puiser de l'aurore, 6+6 a
185 Et ce que tu voudras, je te l'accorderai. 6+6 a
Que demandes-tu ? parle.
Et dans l'effroi sacré 6+6 a
Je me taisais ; roseau ployant, vil brin de chaume. 6+6 a
— Tu n'es pas jusqu'ici venu, dit le fantôme, 6+6 a
Pour ne pas demander quelque chose. Voyons, 6+6 a
190 Parle. Veux-tu des feux, des nimbes, des rayons ? 6+6 a
Que veux-tu de ce gouffre où, lorsque je me penche, 6+6 a
La colombe nuée accourt, farouche et blanche ? 6+6 a
Veux-tu savoir le fond du serpent, ou du ver ? 6+6 a
Veux-tu que je t'emporte avec moi dans l'éther ? 6+6 a
195 Je t'obéirai. Parle. Ou faut-il qu'on te montre 6+6 a
Comment l'aurore arrive, et vient à la rencontre 6+6 a
Du parfum de la fleur et du chant des oiseaux ? 6+6 a
Veux-tu que nous prenions la tempête aux naseaux, 6+6 a
Et que nous nous roulions tous deux dans la tourmente, 6+6 a
200 Quand la meute du vent court sur l'onde écumante 6+6 a
Et quand l'archer tonnerre et le chasseur éclair 6+6 a
Percent de traits la peau d'écailles de la mer ? 6+6 a
Veux-tu qu'à pleines mains, tous deux, dans l'invisible, 6+6 a
O passant, nous puisions l'illusion terrible ? 6+6 a
205 Veux-tu que nous penchions nos yeux sur les secrets, 6+6 a
Et que nous regardions la nature de près 6+6 a
Pendant qu'elle produit dans l'immense pénombre ? 6+6 a
Parle. Es-tu curieux de l'accouchement sombre ? 6+6 a
Veux-tu voir dans le germe, et voir comment éclôt 6+6 a
210 Le songe ou le rocher, le sommeil ou le flot, 6+6 a
Et prendre sur le fait la création, mère 6+6 a
De la réali comme de la chimère ? 6+6 a
Veux-tu d'une naissance entendre la rumeur, 6+6 a
Regarder un éden poindre, avoir la primeur 6+6 a
215 D'une sphère, d'un globe en fleur, d'une lumière ? 6+6 a
Ou voir surgir l'idée, éblouissante, fière, 6+6 a
Cherchant l'époux Génie au fond du ciel lointain ? 6+6 a
Dis, veux-tu dans la nuit, veux-tu dans le destin- 6+6 a
Voir quelque lever d'astre ou quelque lever d'âme ? 6+6 a
220 Tu peux choisir. Demande, interroge, réclame ; 6+6 a
Parle. J'attends. Faut-il ressaisir, je le puis, 6+6 a
Une étoile aux cheveux dans la fuite des nuits, 6+6 a
Et te la rapporter splendide et frémissante ? 6+6 a
Que veux-tu ? Veux-tu voir dix soleils, vingt, soixante, 6+6 a
225 Se lever à la fois dans soixante univers ? 6+6 a
Veux-tu voir, sur le seuil des cieux tout grands ouverts, 6+6 a
Le matin dételant les sept chevaux de l'Ourse— ? 6+6 a
Ou veux-tu que, dans l'ombre où le jour a sa source, 6+6 a
Homme, pour te donner le temps d'examiner, 6+6 a
230 Les mondes, qu'un prodige éternel fait tourner, 6+6 a
S'arrêtent un moment et reprennent haleine ? 6+6 a
Parle.
L'esprit baissa ses ailes de phalène, 6+6 a
Et se tut. L'air tremblait sous mes pieds hasardeux. 6+6 a
Et l'âpre obscuri qui nous voyait tous deux 6+6 a
235 Et s'étoilait au loin de vagues auréoles, 6+6 a
Put entendre ce sombre échange de paroles. 6+6 a
Entre l'esprit étrange et moi, l'homme ébloui : 6+6 a
— Non, rien de tout cela — Que, demandes-tu ? — LUI. 6+6 a
Tout sembla devant moi se fermer ; et l'espèce 6+6 a
240 De clarté qui tremblait dans la nuée épaisse 6+6 a
Sombra dans l'air plus noir qu'un ciel cimmérien. 6+6 a
J'entendis un éclat de rire, et ne vis rien. 6+6 a
Hélas ! n'étant qu'un homme, une chair misérable, 6+6 a
Dans cette obscuri fauve, âpre, inexorable, 6+6 a
245 Dans ces brumes sans jour ; sans bords ; sous ce linceul, 6+6 a
Je songeai qu'il était horrible d'être seul. 6+6 a
Puis mon esprit revint à son but : — voir, connaître, 6+6 a
Savoir ; — pendant que l'ombre informe, louche, traître, 6+6 a
Roulant dans ses échos l'affreux rire moqueur, 6+6 a
250 Grandissait dans l'espace ainsi que dans mon cœur. 6+6 a
Et je criai, ployant mes ailes déjà lasses 6+6 a
— Dites-moi seulement son nom, tristes espaces, 6+6 a
Pour que je le répète à jamais dans la nuit ! — 6+6 a
Et je n'entendis rien que la bise qui fuit. 6+6 a
255 Alors il me sembla qu'en un sombre mirage, 6+6 a
Comme des tourbillons que chasse un vent d'orage, 6+6 a
Je voyais devant moi pêle-mêle passer 6+6 a
Et croître et frissonner et fuir et s'effacer 6+6 a
Ces cryptes du vertige et ces villes du rêve, 6+6 a
260 Rome sur ses frontons changeant en croix son glaive, 6+6 a
Thèbes, Jérusalem, Mecque, Médine, Hébron. 6+6 a
Des figures tenant à la main un clairon, 6+6 a
Et des arbres, hagards, des cavernes, des baumes 6+6 a
Où priaient, barbe au vent, de lugubres Jérômes, 6+6 a
265 Et, parmi des Babels, des tours, des temples grecs, 6+6 a
D'horribles fronts d'écueils aux cheveux de varechs 6+6 a
Et tout cela, Ninive, Éphèse, Delphe, Abdère, 6+6 a
Tombeau de saint Grégoire où veille un lampadaire, 6+6 a
Marches de Bénarès, pagodes de Ceylan, 6+6 a
270 Monts d'où l'aigle de mer le soir prend son élan, 6+6 a
Minarets, parthénons, wigwams, temple d'Aglaure 6+6 a
Où l'on voit l'aube, fleur vertigineuse, éclore, 6+6 a
Et grotte de Calvin, et chambre de Luther, 6+6 a
Passages d'anges bleus dans le liquide éther, 6+6 a
275 Trépieds où flamboyaient, des âmes, yeux de braise 6+6 a
De la chienne Scylla sur la mer calabraise, 6+6 a
Dodone, Horeb, rochers effarés, bois troublants, 6+6 a
Couvent d'Eschmiadzin aux quatre clochers blancs, 6+6 a
Noir cromlech de Bretagne, affreux cruach d'Irlande, 6+6 a
280 Pœstum où les rosiers suspendent leur guirlande, 6+6 a
Temples des fils de Cham, temples des fils de Seth, 6+6 a
Tout lentement flottait et s'évanouissait 6+6 a
Dans une sorte d'âpre et vague perspective ; 6+6 a
Et ce n'était ; devant ma prunelle attentive, 6+6 a
285 Que de la vision qui ne fait pas de bruit, 6+6 a
Et de la forme obscure éparse dans la nuit. 6+6 a
Et, pâle, en moi, tout bas, je fis cet appel sombre, 6+6 a
Sans oser élever la voix, de peur de l'ombre : 6+6 a
Êtres ! lieux ! choses ! nuit ! nuit froide qui te tais ! 6+6 a
290 Cèdres de Salomon, chênes de Teutatès ; 6+6 a
Ô plongeurs de nuée, ô rapporteurs de tables ; 6+6 a
Devins, mages, voyants, hommes épouvantables ; 6+6 a
Thébaïdes, forêts, solitudes ; Ombos 6+6 a
Où les docteurs, vivant dans des creux de tombeaux, 6+6 a
295 S'emplissent d'inconnu comme d'eau les éponges ; 6+6 a
Ô croisements obscurs des gouffres et des songes, 6+6 a
Sommeil, blanc soupirail des apparitions ; 6+6 a
Germes, avatars, nuit des transformations 6+6 a
Où l'archange s'envole, où le monstre se vautre ; 6+6 a
300 Mort, noir pont naturel entre une étoile et l'autre, 6+6 a
Communication entre l'homme et le ciel ; 6+6 a
Colosse de Minerve aptère, aux pieds duquel 6+6 a
Le vent respectueux fait tomber ceux qui passent' ; 6+6 a
Flots revenant toujours que les rocs toujours chassent ; 6+6 a
305 Chauve Apollonius, vieux rêveur sidéral ; 6+6 a
Ô scribes, qui, du bout du bâton augural 6+6 a
Tracez de l'alphabet les ténébreux jambages ; 6+6 a
Époptes grecs fakirs, voghis, bonzes, eubages, 6+6 a
Ô tours d'où se jetaient les circumcellions ; 6+6 a
310 Sanctuaires ; trépieds, autels, fosse aux lions ; 6+6 a
Vous qui voyez suer les fronts pâles des sages, 6+6 a
Cimetières, repos, asiles, noirs passages 6+6 a
Où viennent s'essuyer les penseurs, ces vaincus ; 6+6 a
Monstrueux caveau peint du roi Psamméticus ; 6+6 a
315 François d'Assises, Scot, Bruno, sainte Rhipsime 6+6 a
Ô marcheurs attirés aux clartés de la cime ; 6+6 a
Sept sages qui parlez dans l'ombre à Cyrselus ; 6+6 a
Du rêve et du-désert redoutables reclus' 6+6 a
Qui chuchotez avec les bouches invisibles ; 6+6 a
320 Fronts courbés sous les cieux d'ou descendent les bibles ; 6+6 a
Spectres ; effarements de lampe et de flambeau ; 6+6 a
Toi — qui vois Chanaan ; montagne de Nébo ; 6+6 a
Moines du mont Athos, chantant de sombres proses' ; 6+6 a
Libellules d'Asie errant dans les jamroses ; 6+6 a
325 Isthme de Suez fermant l'Inde comme un verrou ; 6+6 a
Ô voûtes d'Ellora, croupes du mont Mérou 6+6 a
D'où s'échappe le Gange aux grandes eaux sacrées ; 6+6 a
Ombre, qui n'as pas l'air de savoir que tu crées ; 6+6 a
Ô vous qui criez : deuil ! vous qui criez : espoir ! 6+6 a
330 Spherus qui, toujours seul dans l'antre toujours noir, 6+6 a
Cherches Dieu — par les mille ouvertures funèbres, 6+6 a
Blanches, tristes, que font à l'âme les ténèbres ; 6+6 a
Prêtres qu'en votre nuit suit le doute importun ; 6+6 a
Vous, psalmistes, David, Éthan, grave Idithun ; 6+6 a
335 Jean, interlocuteur de l'oiseau chéroubime ; 6+6 a
Et vous, poëtes ; Dante, homme effrayant d'abîme, 6+6 a
Grand front tragique ombré de feuilles de laurier, 6+6 a
Qui t'en reviens, laissant l'obscurité crier, 6+6 a
Rapportant sous tes cils la lueur des avernes ; 6+6 a
340 Dompteurs qui sans pâlir allez dans les cavernes 6+6 a
Chercher le hurlement jusque dans son chenil ; 6+6 a
Pilotes nubiens qui remontez le Nil ; 6+6 a
Ô prodigieux cerf aux rameaux noirs qui brames 6+6 a
Dans la forêt des djinns, des pandits et des brames ; 6+6 a
345 Hommes enterrés vifs, songeant dans vos cercueils ; 6+6 a
Ô pâtres accoudés ; ô bruyères ; écueils 6+6 a
Où rêve au crépuscule une forme sinistre ; 6+6 a
Pythie assise au front du hideux cap Canistre ; 6+6 a
Angles mystérieux où les songeurs entrés 6+6 a
350 Distinguent vaguement des satrapes mitrés ; 6+6 a
Vous que la lune enivre et trouble, sélénites ; 6+6 a
Vous, bénitiers sanglants des seules eaux bénites, 6+6 a
Yeux en pleurs des martyrs ; vous, savants indécis ; 6+6 a
Merlin, sous l'escarboucle inexprimable assis ; 6+6 a
355 Toi, Job, qui te plains ; toi, Basile, qui médites ; 6+6 a
Est-ce qu'on ne peut pas voir un peu de jour, dites ? 6+6 a
Et, sombre, j'attendis ; puis je continuai : 6+6 a
— Quoi ! l'homme tomberait, hagard, exténué, 6+6 a
Comme le moucheron qui bat la vitre blême ! 6+6 a
360 Quoi ! tout aboutirait a du néant suprême ! 6+6 a
Tout l'effort des chercheurs frémissants se perdrait ! 6+6 a
L'homme habiterait l'ombre et serait au secret ! 6+6 a
Marcher serait errer ! l'aile serait punie ! 6+6 a
L'aurore, ô cieux profonds, serait une ironie ! 6+6 a
365 Alors, tout haut ; levant la voix, levant les bras, 6+6 a
Éperdu, je criai : — Cela ne se peut pas ! 6+6 a
Grand inconnu ! méchant ou bon ! grand invisible ! 6+6 a
Je te le dis en face, Être ! c'est impossible ! 6+6 a
On éclata de rire une seconde fois. 6+6 a
370 Et ce rire était plus un rictus qu'une voix ; 6+6 a
Il remua longtemps l'ombre visionnaire, 6+6 a
Et, s'évanouissant, roula comme un tonnerre 6+6 a
Dans ce prodigieux silence où le néant 6+6 a
Semblait vivre, insondable, immobile et béant. 6+6 a
375 Ô méditations ! oh ! comme l'esprit souffre 6+6 a
Sous les porches hagards et difformes du gouffre ! 6+6 a
Comme le souffle noir du vide vous poursuit, 6+6 a
Sinistre, en vous jetant du trouble et de la nuit ! 6+6 a
Comme on sent que le rêve est un être qui vole 6+6 a
380 Et passe… — On m'adressait dans l'ombre la parole ; 6+6 a
Et de funèbres voix que sur mon front j'avais 6+6 a
Comme les endormis en ont à leurs chevets, 6+6 a
Chuchotaient au-dessus de moi des choses sombres. 6+6 a
Je sentais la terreur muette des décombres 6+6 a
385 Et je me demandais : — Qui donc murmure ainsi ? 6+6 a
C'était, dans le ciel morne et de brume épaissi, 6+6 a
Comme un nuage obscur de bouches sur ma tête ; 6+6 a
Des faces me parlaient dans un vent de tempête ; 6+6 a
Puis ces voix s'éteignaient comme le vague son 6+6 a
390 Qui n'est plus la parole et devient le frisson. 6+6 a
Noirs discours ! l'ironie y grinçait dans le râle ; 6+6 a
Des plaintes, sanglotant dans l'ombre sépulcrale 6+6 a
Comme entre les roseaux gémit le gavial, 6+6 a
S'achevaient en sarcasme amer et trivial ; 6+6 a
395 Je croyais par moments qu'en ces vagues royaumes 6+6 a
J'assistais au concile effrayant des fantômes 6+6 a
Que nous nommons raison, logique, utilité, 6+6 a
Certitude, calcul, sagesse, vérité ; 6+6 a
Il me semblait, parmi le grand murmure austère 6+6 a
400 De l'horreur, de la nuit, du tombeau, du mystère, 6+6 a
Entendre Aristophane ; et voir, après les pleurs, 6+6 a
Toutes sortes d'éclairs cyniques et railleurs, 6+6 a
Moqueurs, étincelants, percer l'ombre ennemie, 6+6 a
Et Rabelais passer à travers Jérémie ; 6+6 a
405 J'écoutais frémissant et par moments vaincu. 6+6 a
Était-ce des esprits d'hommes ayant vécu ? 6+6 a
Était-ce les conseils qui flottent dans les nues 6+6 a
Pour quiconque s'égare aux routes inconnues ? 6+6 a
Mon front sous l'infini ployait lugubrement. 6+6 a
410 L'espace affreux, éther, ténèbres, firmament, 6+6 a
Espèce de taillis sans branches étoilées, 6+6 a
Où les brouillards fuyaient en confuses mêlées, 6+6 a
Semblait d'une forêt le redoutable dais. 6+6 a
Qu'était-ce que ces voix ? je ne sais. J'entendais. 6+6 a
415 Et ma raison tremblait en moi, diminuée, 6+6 a
Dans des tressaillements d'orage et de nuée. 6+6 a
........................................................................
Cependant par degrés l'ombre devint visible ; 6+6
Et l'être qui m'avait parlé précédemment 6+6 a
420 Reparut, mais grandi jusqu'à l'effarement ; 6+6 a
Il remplissait du haut en bas le sombre dôme 6+6 a
Comme si l'infini dilatait ce fantôme ; 6+6 a
De sorte que l'esprit effrayant n'offrait plus 6+6 a
Que des faces roulant par flux et par reflux, 6+6 a
425 Un sourd fourmillement d'hydres, d'hommes, de bêtes, 6+6 a
Et que le fond du ciel me semblait plein de têtes. 6+6 a
Ces têtes par moments semblaient se quereller. 6+6 a
Je voyais tous ces yeux dans l'ombre étinceler. 6+6 a
Le monstre grandissait en silence, sans cesse. 6+6 a
430 Et je ne savais plus ce que c'était. Était-ce 6+6 a
Une montagne, une hydre, un gouffre, une cité, 6+6 a
Un nuage, un amas d'ombre, l'immensité ? 6+6 a
Je sentais tous ces yeux sur moi fixés ensemble. 6+6 a
Tout à coup, frissonnant comme un arbre qui tremble, 6+6 a
435 Le fantôme géant se répandit en voix, 6+6 a
Qui sous ses flancs confus murmuraient à la fois ; 6+6 a
Et, comme d'un brasier tombent des étincelles, 6+6 a
Comme on voit des oiseaux épars, pigeons, sarcelles, 6+6 a
D'un grand essaim passant s'écarter quelquefois, 6+6 a
440 Comme un vert tourbillon de feuilles sort d'un bois, 6+6 a
Comme, dans les hauteurs par les vents remuées, 6+6 a
En avant d'un orage il vole des nuées, 6+6 a
Toutes ces voix, mêlant le cri, l'appel, le chant, 6+6 a
De l'immense être informe et noir se détachant, 6+6 a
445 Me montrant vaguement des masques et des bouches, 6+6 a
Vinrent sur moi bruire avec des bruits farouches, 6+6 a
Parfois en même temps et souvent tour à tour, 6+6 a
Comme des monts, à l'heure où se lève le jour, 6+6 a
L'un après l'autre, au fond de l'horizon s'éclairent 6+6 a
450 Et des formes, sortant du monstre, me parlèrent : 6+6 a
[I]
UNE VOIX
Les rudes bûcherons sont venus dans le bois. 6+6 a
— Si tu ne vois pas nie et doute si tu vois, 6+6 a
A dit Cratès. — Zénon, Gorgias, Pythagore, 6+6 a
Plaute et Sénèque ont dit : — Si tu vois, nie encore. 6+6 a
455 Bacon a dit : — Voici l'objet, l'être, le corps, 6+6 a
Le fait. N'en sortez pas ; car tout tremble dehors. 6+6 a
— Quel est ce monde ? a dit Thalès. Apollodore 6+6 a
A dit : C'est de la nuit que de la cendre adore. 6+6 a
Et Démonax de Chypre, Épicharme de Cos, 6+6 a
460 Pyrrhon, le grand errant des monts et des échos, 6+6 a
Ont répondu : — Tout est fantôme. Pas de type. 6+6 a
Tout est larve. — Et fumée, a repris Aristippe. 6+6 a
— Rêve ! a dit Sergius, le fatal syrien. 6+6 a
— Rencontre de l'atome et de l'atome, et rien. — 6+6 a
465 Ces mots noirs ont é jetés par Démocrite. 6+6 a
Ésope a dit : — À bas, monde ! masque hypocrite ! 6+6 a
Épicure qui naît au mois Gamélion, 6+6 a
Et Job qui parle au ver, Dan qui parle au lion, 6+6 a
Amos et Jean troublés par les apocalypses, 6+6 a
470 Ont dit : — On ne le voit qu'à travers les éclipses. 6+6 a
— L'être est le premier texte et l'homme est le second. 6+6 a
Lisible dans la fleur et dans l'arbre fécond, 6+6 a
Et dans le calme éther des cieux que rien n'irrite, 6+6 a
La nature est dans l'homme obscure et mal transcrite. 6+6 a
475 Voilà ce qu'Alchin l'arabe a proclamé. 6+6 a
Cardan a dit : — Hélas ! c'est fermé, c'est fermé ! 6+6 a
Alcidamas a dit : — Miracle, autel, croyance, 6+6 a
Dogme, religion, fondent sous la science 6+6 a
Dieu sous l'esprit humain, tas de neige au dégel. 6+6 a
480 Et Gœthe au vaste front, Montaigne, Fichte, Hégel, 6+6 a
Se sont penchés pendant que le grand rieur maître, 6+6 a
Rabelais, chuchotait sur l'abîme Peut-être. 6+6 a
Diogène a crié : — Des flambeaux ! des flambeaux ! 6+6 a
Shakspeare a murmuré, courbé sur les tombeaux : 6+6 a
485 — Fossoyeur, combien Dieu pèse-t-il dans ta pelle ? 6+6 a
Et Jean-Paul a repris : — Ce qu'ainsi l'homme appelle, 6+6 a
C'est la vague lueur qui tremble sur le sort ; 6+6 a
C'est la phosphorescence impalpable qui sort 6+6 a
De l'incommensurable et lugubre matière ; 6+6 a
490 Dieu, c'est le feu follet du monde cimetière. 6+6 a
Dante a levé les bras en s'écriant : Pourquoi ? 6+6 a
— O nuit, j'attends que tout s'affirme et dise : moi. 6+6 a
Quel est le sens des mots : foi, conscience humaine, 6+6 a
Raison, devoir ? a dit le pâle Anaximène. 6+6 a
495 Locke a dit : — On voit mal avec ces appareils. 6+6 a
Reuchlin a demandé : — Qu'est-ce que les soleils ? 6+6 a
Sont-ce des piloris ou des apothéoses ? 6+6 a
Lucrèce a dit : — Quelle est la nature des choses ? 6+6 a
Il a dit : Tout est sourd, faux, muet, décevant. 6+6 a
500 Sous cette immense mort quelqu'un est-il vivant ? 6+6 a
Sent-on une âme au fond de la substance, et l'être 6+6 a
N'est-il pas tout entier dans ce mot : apparaître ? 6+6 a
L'ombre engendre la nuit. De quoi l'homme est-il sûr ? 6+6 a
Et le ciel, le hasard, l'obscurité, l'azur, 6+6 a
505 Le mystère, et la vie, et la tombe indignée 6+6 a
Retentissent encor de ces coups de cognée. 6+6 a
Oui, les douteurs ; les fiers incrédules, les forts, 6+6 a
Ont appelé Quelqu'un, quoique restés dehors ; 6+6 a
Ils ont bravé l'odeur que le sépulcre exhale ; 6+6 a
510 Le front haut, ils disaient à l'ombre colossale : 6+6 a
— Ose donc nous montrer ton Dieu, que nous voyions 6+6 a
Ce qu'il a de carreaux, ce qu'il a de rayons, 6+6 a
Gouffre horrible, et si c'est avec de la colère 6+6 a
Ou du pardon divin que son visage éclaire ! 6+6 a
515 Et, prêts à tout subir, sans peur, prêts à tout voir, 6+6 a
Calmes, ils regardaient en face le ciel noir, 6+6 a
Et le sourd firmament que l'obscurité voile, 6+6 a
Farouches, attendant quelque chute d'étoile ! 6+6 a
Certes, ces curieux, ces hardis ignorants, 6+6 a
520 Ces lutteurs, ces esprits, ces hommes étaient grands, 6+6 a
Et c'étaient des penseurs à l'âme fiers et fière 6+6 a
Qui jetaient à la nuit ce défi de lumière. 6+6 a
Chercheur, trouveras-tu ce qu'ils n'ont pas trouvé ? 6+6 a
Songeur, rêveras-tu plus loin qu'ils n'ont rêvé ? 6+6 a
[II]
UNE AUTRE VOIX
525 Ne nous demande pas, ô songeur, qui nous sommes. 6+6 a
S'ils nous entrevoyaient, nous ferions peur aux hommes. 6+6 a
Soit en bien, soit en mal, nous avons conseillé 6+6 a
Quiconque a médité, cherché, pensé, veillé,- 6+6 a
Tous les grands insensés, tous les sages célèbres : 6+6 a
530 Nous volons d'arbre en arbre aux forêts de ténèbres ; 6+6 a
Tout ce que l'homme appelle Énigme, Doute, Mort, 6+6 a
Brume, Silence, Effroi, Hasard, Mystère, Sort, 6+6 a
Est pour nous, sous l'horreur des voûtes éternelles, 6+6 a
Comme un taillis obscur par où passent nos ailes ; 6+6 a
535 Nous sommes les flottants de l'immense azur noir ; 6+6 a
Si quelque mage osait essayer de nous voir, 6+6 a
De saisir un de nous, de compter notre nombre, 6+6 a
Nous nous dissiperions comme des oiseaux d'ombre. 6+6 a
C'est nous que vous nommez démons ; homme, tu sens 6+6 a
540 Sous des souffles confus tes cheveux frémissants, 6+6 a
C'est nous. Nous versons l'ombre aux jours que tu consommes ; 6+6 a
Nous jetons des lueurs dans ton sommeil. Nous sommes 6+6 a
Pris dans l'obscuri comme vous dans la chair. 6+6 a
Nous, sommes les passants sinistres de l'éclair, 6+6 a
545 Les méduses du rêve aux robes dénouées, 6+6 a
Les visages d'abîme épars dans les nuées. 6+6 a
Tout ce que vous voyez, nous ne le voyons pas. 6+6 a
Nous ne distinguons point votre terre, vos pas, 6+6 a
Vos faces, d'un soleil invisible inondées, 6+6 a
550 Mais dans votre cerveau nous voyons vos idées ; 6+6 a
Votre pensée est nue à nos regards moqueurs ; 6+6 a
Nous voyons le dedans vertigineux des cœurs. 6+6 a
L'haleine de la nuit nous chasse et nous oublie, 6+6 a
Et fait flotter le fil mystérieux qui lie 6+6 a
555 Vos sciences, vos plans, vos travaux, vos desseins, 6+6 a
Vos efforts, vos projets, vos vœux, à nos essaims. 6+6 a
Nous mêlons notre nuit avec votre ignorance ; 6+6 a
Vous appelez cela savoir. La transparence 6+6 a
De l'Être parfois laisse apercevoir nos fronts. 6+6 a
560 Parfois jusqu'à vos cœurs, la nuit, nous pénétrons, 6+6 a
En rêve, et vous sentez comme une vague étreinte. 6+6 a
Sans cesse des courants d'espérance ou de crainte, 6+6 a
Des flux et des reflux de sentiments divers 6+6 a
Vont, dans les profondeurs de l'espace, à travers 6+6 a
565 Le vide, l'aquilon, le tombeau, le décombre, 6+6 a
De vous le peuple aveugle à nous le peuple sombre. 6+6 a
L'Inconnu nous tient tous dans ses mornes filets. 6+6 a
Nous sommes vos échos, vous êtes nos reflets ; 6+6 a
Car tout est l'unité. Forme joyeuse ou triste, 6+6 a
570 Tout se confond dans Tout, et rien à part n'existe, 6+6 a
O vivant ! Et sais-tu ce que dit l'abîme ? UN. 6+6 a
Sans que vous le sachiez, nous pensons en commun ; 6+6 a
Nous tremblons au-dessus de vous, livide armée ; 6+6 a
Et de votre feu noir nous sommes la fumée. 6+6 a
575 Nos formes de la nuit sont le lugubre jeu 6+6 a
Nous allons, nous flottons. — Et toi, tu cherches Dieu ? 6+6 a
Hélas !
[III]
UNE AUTRE VOIX
Qui que tu sois, redoute, au gouffre où tu te plonges, 6+6 a
Le vague coudoiement des vains passants des songes. 6+6 a
580 Fuyez d'ici, vivants, dont l'esprit, fléchissant 6+6 a
Sous l'incompréhensible et sous l'éblouissant, 6+6 a
Peut à peine porter le poids d'un évangile. 6+6 a
Ce n'est pas sans danger que des hommes d'argile, 6+6 a
Tremblants quand ils sont las, glacés quand ils sont nus, 6+6 a
585 Dialoguent dans l'ombre avec des inconnus. 6+6 a
À force de songer, ô pâle solitaire, 6+6 a
Tu sentiras de l'air sous toi ; tu perdras terre… — 6+6 a
Oh ! les souffles ! craignez les souffles de la nuit ! 6+6 a
Où vous emportent-ils ? Ceux qu'un rêve conduit 6+6 a
590 Deviennent rêve eux-même, et, sans être coupables, 6+6 a
Tombent dans l'essaim noir des faces impalpables. 6+6 a
C'est alors qu'éperdu, terrible, tu tendras 6+6 a
Les mains comme les morts sous leurs lugubres draps. 6+6 a
Mais à quoi bon ? Tout fuit. Un vent qui vous pénètre 6+6 a
595 Vous roule dans l'espace à jamais… — O deuil ! être 6+6 a
Des espèces d'esprits misérables chassés ! 6+6 a
Oh ! n'entendre jamais ce mot céleste : assez ! 6+6 a
Un souffle vous apporte, un souffle vous remmène.. 6+6 a
On a, sur ce qu'on garde encor de forme humaine, 6+6 a
600 D'obscurs attouchements et des passages froids ; 6+6 a
Toute l'ombre n'est plus qu'une suite d'effrois ; 6+6 a
On sent les longs frissons des roseaux de l'abîme. 6+6 a
Jamais le jour. — Jamais un rayon qui ranime. 6+6 a
Errer ! errer ! errer ! errer ! faire des nœuds 6+6 a
605 D'ombre, dans l'invisible et le vertigineux ! 6+6 a
Monter, tomber, monter, retomber ! sort terrible ! 6+6 a
Être à jamais l'informe égaré dans l'horrible, 6+6 a
Le contraire du jour, de l'hymne et de l'encens ! 6+6 a
Des témoins de l'énigme, à jamais frémissants 6+6 a
610 Devant le ténébreux, devant l'inabordable, 6+6 a
Et face à face avec un voile formidable ! 6+6 a
Être, en dehors de l'être, en dehors du trépas, 6+6 a
Quelque chose d'affreux qui souffre et ne vit pas ! 6+6 a
Être de la clameur dans l'infini semée, 6+6 a
615 Un vague tourbillon pleurant, une fumée 6+6 a
De larves, de regards, de masques, de rumeurs, 6+6 a
De voix ne pouvant pas même dire : je meurs, 6+6 a
Passant toujours, toujours, toujours, comme un flot sombre, 6+6 a
Sous les arches sans fin du hideux pont de l'ombre ! 6+6 a
[IV]
UNE AUTRE VOIX
620 Malheur au curieux lugubre, — qui s'acharne 6+6 a
A la vertigineuse et sinistre lucarne ! 6+6 a
Malheur aux imprudents penchés, sur l'absolu ! 6+6 a
Pour avoir trop sondé, pour avoir trop voulu, 6+6 a
Pour s'être trop plongés dans l'abstraction triste 6+6 a
625 Où rien de saisissable et d'humain ne persiste, 6+6 a
C'est fini ; les voi sur les fatals sommets, 6+6 a
Égarés en dehors de l'homme désormais, 6+6 a
Sortis du bien, du mal, de l'orgueil, de l'envie, 6+6 a
De l'amour, de la haine, et plus grands que la vie ! 6+6 a
630 Leur esprit, emporté loin de vous, ô viyants, 6+6 a
Prend, dans la vision des gouffres décevants, 6+6 a
Dans on ne sait quoi d'âpre et d'horrible et d'immense, 6+6 a
Cette divini que vous nommez démence. 6+6 a
Ils ne sont plus jamais éveillés ni dormants. 6+6 a
635 Terrestre et claire encor dans ses commencements, 6+6 a
Leur pensée, obscurcie en grandissant, achève 6+6 a
D'ouvrir ses vagues yeux dans le monde du rêve. 6+6 a
Oh ! monde redoutable ! oh ! ce que nous voyons ! 6+6 a
Des échelles d'esprits dans de pâles rayons ; 6+6 a
640 Les flamboiements, les feux, les cratères, les soufres, 6+6 a
Les éclairs, gouvernés par les anges des gouffres ; 6+6 a
Des sons de voix qu'on a dans la joie entendus ; 6+6 a
D'affreux escarpements dans des mondes perdus ; 6+6 a
Des astres, dans des mains portés comme des lampes ; 6+6 a
645 Et là-bas, dans la nue aux tortueuses rampes, 6+6 a
Errent ceux qui vivaient et ne sont plus ; ils vont, 6+6 a
Tous ces crânes à l'œil monstrueux et profond, 6+6 a
Tous ces squelettes blancs venus des ossuaires ; 6+6 a
Ils vont, tous ces linceuls, tous ces hideux suaires, 6+6 a
650 Tous ces draps frissonnants, foule effrayante à voir, 6+6 a
Et, chassant devant lui, dans l'affreux chemin noir, 6+6 a
Leur conscience nue et leur âme sans voiles, 6+6 a
L'ange fouette les morts avec son fouet d'étoiles. 6+6 a
Et l'on voit des lueurs, on entend des appels ; 6+6 a
655 Les constellations, flamboyants archipels, 6+6 a
Brillent au zénith sombre, et le chaos conspue 6+6 a
Le ciel avec son eau sinistre et corrompue. 6+6 a
Et les désespérés passent. Qui donc sont-ils ? 6+6 a
Sont-ce des esprits morts ? Sont-ce des corps subtils ? 6+6 a
660 Ils tombent on ne sait de quelle obscure cime, 6+6 a
Tantôt plus noirs, tantôt moins sombres que l'abîme ; 6+6 a
Leur chute flotte au gré de l'air qui les poursuit ; 6+6 a
Ils seraient les flocons, s'il neigeait de la nuit. 6+6 a
Qu'est-ce que ce nuage inconcevable d'êtres, 6+6 a
665 Phalènes se heurtant à de vagues fenêtres ? 6+6 a
Les uns n'ont qu'un regard et sont comme les yeux 6+6 a
De l'infini glacé, sourd et silencieux ; 6+6 a
D'autres vont droits et blancs dans la profondeur blême ; 6+6 a
D'autres, plus effrayants que les ténèbres même, 6+6 a
670 Luttent contre la nuit dans les horreurs du vent, 6+6 a
Poussant des cris, mordant l'ombre, n'apercevant 6+6 a
Que la lividi des mornes étendues, 6+6 a
Ne distinguant qu'un flot de formes éperdues, 6+6 a
Et que ce qu'on peut voir de nuée et de cieux. 6+6 a
675 Dans des renversements de torses furieux. 6+6 a
Et ces larves s'en vont. Est-on sûr qu'elles soient ? 6+6 a
Et les contemplateurs sont là. Tristes, ils voient. 6+6 a
Quoi ? l'inconnu, mu dans sa muette loi. 6+6 a
Et qui dira jamais ce qu'expriment d'effroi 6+6 a
680 Ces profils ténébreux, ces postures fatales, 6+6 a
Ces yeux hagards noyés dans des aurores pâles ? 6+6 a
Ils pensent, échoués dans l'immobilité ; 6+6 a
La terreur sans espoir fait leur tranquillité ; 6+6 a
Leur épaule fléchit comme s'ils portaient toute 6+6 a
685 La charpente du monde avec toute la voûte ; 6+6 a
Et, comme en un caveau, goutte à goutte, la nuit 6+6 a
Filtre sous leur front blême où leur œil fixe luit. 6+6 a
Ils ont pour vision éternelle la Chose 6+6 a
Sans nom, sans jour, sans bruit, sans bord, sans fin, sans cause, 6+6 a
690 Jamais ne s'arrêtant, jamais ne s'achevant, 6+6 a
Terrible, avec des vols de spectres dans le vent. 6+6 a
Que viens-tu demander à ce monde nocturne ? 6+6 a
Un Dieu !Pourquoi viens-tu plonger ta main dans l'Urne ? 6+6 a
Job en tire Satan et Mahomet Iblis. 6+6 a
695 Les gouffres ont-ils Dieu dans leurs profonds oublis ? 6+6 a
Ce Dieu sert-il de centre à leurs circonférences ? 6+6 a
Le voit-on à travers leurs sombres transparences ? 6+6 a
Ou bien est-ce ce Tout, cette âpre immensité, 6+6 a
Ce ciel, que vous prenez pour une volonté ? 6+6 a
700 Sont-ce ces profondeurs, ces vents, ces fondrières, 6+6 a
Ces forêts de nuée aux livides clairières, 6+6 a
Ces éléments, ces nuits, ces mornes régions, 6+6 a
Que vous appelez Dieu dans vos religions ? 6+6 a
Avez-vous pour mirage, ô fils du cimetière, 6+6 a
705 De voir la chose-Dieu sous la chose Matière ? 6+6 a
Est-ce Dieu qui paraît, quand s'enfuit l'alcyon ; 6+6 a
Quand l'hydre de l'écume entre en convulsion ; 6+6 a
Quand partout on entend dans la sombre nature 6+6 a
Comme un bruit d'ouragan brisant une mâture, 6+6 a
710 Quand le ciel lamentable éclate en tristes voix ; 6+6 a
Quand le nuage accourt ; quand les bêtes des bois 6+6 a
Tremblent ; quand les lions, hagards, baissent-la tête 6+6 a
Sous des écrasements d'éclairs et de tempête ? 6+6 a
Est-ce lui que la mer appelle en sa clameur ? 6+6 a
715 Homme, est-il quelque part un effrayant semeur 6+6 a
Qui jette dans l'azur des chiffres et des nombres, 6+6 a
De la graine d'abîme éclose en larves sombres, 6+6 a
Des vivants comme nous qui te semblent des morts, 6+6 a
Des esprits comme toi qui nous semblent des corps, 6+6 a
720 Et qui voit, dans le champ des espaces sonores, 6+6 a
Ondoyer des épis d'étoiles et d'aurores ? 6+6 a
Qui peut répondre oui ? qui peut répondre non ? 6+6 a
Un geôlier rôde-t-il autour du cabanon ? 6+6 a
Qu'importe ! Vis. Tais-toi. Va-t'en. Aime ton père, 6+6 a
725 Ta mère et tes enfants. Qui cherche désespère. 6+6 a
[V]
UNE AUTRE VOIX
Ah ! c'est l'obscurité, c'est la source profonde 6+6 a
Que ton œil veut scruter, que veut fouiller ta sonde, 6+6 a
O songeur dont la nuit hérisse les cheveux ! 6+6 a
Ah ! c'est l'énigme Dieu qui t'occupe ! Tu veux 6+6 a
730 Aller au fond ! tu veux voir clair dans la nuée ! 6+6 a
Vider l'ombre ! Il te faut, pauvre âme exténuée, 6+6 a
Cette science-là… — Voyons : tente ; entreprends ; 6+6 a
Avec les papyrus, les missels, les korans, 6+6 a
Les bibles que les sphynx portaient sur leurs poitrines, 6+6 a
735 Rebâtis la charpente informe des doctrines ; 6+6 a
Des croyances de l'homme écrasé sous le faix, 6+6 a
Echafaude l'amas monstrueux, et refais 6+6 a
Un édifice avec ces poutres mal unies 6+6 a
Qu'on nomme vérités, dogmes, théogonies ; 6+6 a
740 Restaure, démolis, fonde. Fais des essais. 6+6 a
Remets le vieux bahut debout sur ses vieux ais ; 6+6 a
Crois comme Jean Climaque et Jean Catéchumène ; 6+6 a
Ou taille un meuble neuf dans la science humaine 6+6 a
Pour y mettre sous clef l'ombre et l'éternité. 6+6 a
745 Questionne l'autel d'Isis ou d'Astarté, 6+6 a
Ou les temples payens, peu salués des sages, 6+6 a
Ayant de noirs corbeaux nichés dans leurs bossages, 6+6 a
Ou le blême Irmensul debout dans le menhir ; 6+6 a
Creuse dans le passé, creuse dans l'avenir ; 6+6 a
750 Regarde fixement le Temps noir qui feuillette 6+6 a
L'homme et la vie avec son pouce de squelette ; 6+6 a
Épèle l'univers que le souffle créa, 6+6 a
Texte dont chaque monde est un alinéa ; 6+6 a
Chiffre et déchiffre ; éprouve, interprète, proclame ; 6+6 a
755 Confronte ce que l'homme a d'ombre dans son âme 6+6 a
Avec ce que le ciel a d'âme dans sa nuit 6+6 a
Relance Olympe ermite au fond de son réduit ; 6+6 a
Interroge le ver sur la toile qu'il file ; 6+6 a
Montre et vois ; fais la pâque ainsi que Théophile 6+6 a
760 Le quatorzième jour de la lune de mars ; 6+6 a
Visite Ammon ; tiens tête aux colosses camards 6+6 a
Conteste, affirme ; nie, attends ; dis ton rosaire ; 6+6 a
Sens la terre trembler — sous toi comme Césaire ; 6+6 a
Prêche avant d'être prêtre ainsi que Bellarmin ; 6+6 a
765 Exprime en ton cerveau tout le savoir humain 6+6 a
Fais-toi de tout comprendre une étrange prouesse ; 6+6 a
Vois venir au-devant l'un de l'autre Boèce 6+6 a
Et saint-Denis, chacun sa tête dans sa main ; 6+6 a
De la même façon fais le même chemin ; 6+6 a
770 Hante les profondeurs dont Pythagore est pâle ; 6+6 a
Commente nuphre, Adon, Glareanus de Bâle 6+6 a
Sois druide, fakir, bonze, magicien ; 6+6 a
Installe, si tu veux ; sur le modèle ancien, 6+6 a
Au-dessus des brouillards de l'erreur chimérique, 6+6 a
775 Une sagesse avec entablement dorique ; 6+6 a
Sois le médiateur des aveugles Volta 6+6 a
Dément Clairaut ; Cyrille au front du Golgotha 6+6 a
Voit dans l'Ombre une croix haute de quinze stades 6+6 a
Bossuet de Calvin tance les incartades ; 6+6 a
780 L'évêque Archelaüs poursuit l'errant Manès ; 6+6 a
Hildebrand dit : MOI SEUL. Luther dit : HERR OMNES 6+6 a
Ce qu'adore Pascal Diderot le diffame ; 6+6 a
Reuchlin dit : — Vos trois rois ! conte de bonne femme ! 6+6 a
— D'où viennent-ils ? demande Arouet à Calmet ; 6+6 a
785 De l'Inde ou de l'Afrique ? — Et Paracelse met 6+6 a
Trois pégases de flamme aux ordres des trois mages ; 6+6 a
Salomon sculpte l'arche ; Huss brise les images ; 6+6 a
Pélage veut la lutte ; Augustin veut la foi ; 6+6 a
Interviens ; crée un-centre, une règle, une loi ; 6+6 a
790 Trouve l'axe commun des doctrines contraires 6+6 a
A force de raison rends les raisonneurs frères ; 6+6 a
Amalgame Épicure avec Ézéchiel ; 6+6 a
Pour ceux-ci, l'univers n'a que l'enfer pour ciel ; 6+6 a
C'est le cachot-du mal dont vous êtes les proies ; 6+6 a
795 Pour ceux-là, c'est le lieu des fêtes et des joies 6+6 a
Les uns vivent chantant : tout est plaisir et jeu ! 6+6 a
D'autres lisent le livre a la lueur du feu. 6+6 a
Combine ce zénith et ce nadir des sages. 6+6 a
Fais pour ton œil, penché sur les faits, sur les âges, 6+6 a
800 Une lentille avec tout ce que l'homme apprit ; 6+6 a
Cherche ; dis-toi : — Je vais faire dans mon esprit 6+6 a
Converger la clarté pour la changer en flamme, 6+6 a
Condenser Dieu sur moi pour allumer mon âme. 6+6 a
Fouille Alcuin, saint-Thomas, Gorgias Léontin, 6+6 a
805 Le ménologe grec, le rituel latin ; 6+6 a
Va de Thèbe Heptapyle à Thèbe Hécatonpyle ; 6+6 a
Éblouis-toi d'énigme et d'effroi la pupile ; 6+6 a
Écris et lis ; sois gond du portail ; sois flambeau, 6+6 a
Sois cardinal avec Sadolet et Bembo ; 6+6 a
810 Va-t'en dans le désert manger des sauterelles 6+6 a
Comme Jean qui de l'ombre écoutait les querelles ; 6+6 a
Fais une enquête ; prends des informations 6+6 a
Près des vents, près des flots où sont les alcyons ; 6+6 a
Cueille chaque chimere et chaque schisme ; laisse 6+6 a
815 Novatus pour Eustathe, Arius pour Mélèce ; 6+6 a
Va des juifs aux parsis, va des esprits aux corps, 6+6 a
De la ronde des dieux à la ronde des morts, 6+6 a
De la danse morphasme à la danse macabre. 6+6 a
Veille ; allume ta lampe au sombre candélabre 6+6 a
820 Que tiennent, près du trône où Septentrion luit, 6+6 a
Persée et Sirius, ces nègres de la nuit. 6+6 a
Interpelle le germe et la cendre ; rédige 6+6 a
Un interrogatoire en forme du prodige ; 6+6 a
Écoute pétiller le feu dans l'encensoir ; 6+6 a
825 Écoute le cri sourd de la foudre, et, le soir, 6+6 a
Dans le Campo Santo le bruit que fait la pioche ; 6+6 a
Parle à Domnus premier, évêque d'Antioche, 6+6 a
Et sur l'irrémissible et sur le véniel, 6+6 a
Consulte Cassien, Scaliger, Torniel ; 6+6 a
830 Sois le voyant ! pareil aux tremblants aruspices, 6+6 a
Va regarder la nuit l'horreur des précipices ; 6+6 a
Au fond de tout abîme aie un sinistre aimant ; 6+6 a
Observe, spectateur des deux gouffres, comment 6+6 a
L'homme entre dans la mort et l'astre dans l'éclipse ; 6+6 a
835 Donne aux vierges ta plume ainsi que Juste Lipse ; 6+6 a
Attends dans l'infini, leur morne promenoir, 6+6 a
Zénon, le sage fou, Gerbert, le pape noir ; 6+6 a
Prie, évoque, bénis, sacre, exorcise, adjure ; 6+6 a
Accoude-toi sur l'être obscur ; fais la gageure 6+6 a
840 De l'énigme, du sphinx, du gouffre, de demain, 6+6 a
D'hier, de l'avenir ! jauge, la toise en main, 6+6 a
Le ciel par kilomètre ou bien par centiare ; 6+6 a
Drape-toi d'un suaire ou coiffe une tiare ; 6+6 a
Tâte dans le cercueil l'affreux nœud gordien ; 6+6 a
845 Prends-toi pour unité ; fais-toi méridien ; 6+6 a
Ajoute ta raison, ton but ; ta conjecture 6+6 a
Et ta pensée ainsi qu'un faîte à la nature ; 6+6 a
Mets sur cette Chéops le pyramidion ; 6+6 a
Sois un convertisseur comme Spiridion ; 6+6 a
850 Sois un avertisseur comme le coq sonore ; 6+6 a
Monte sur le cheval terrible de Lénore, 6+6 a
Ayant pour t'éclairer le feu de ses naseaux, 6+6 a
Et la lumière qu'ont les spectres sur leurs os ; 6+6 a
Superpose et bâtis comme une tour solide 6+6 a
855 Wiclef, Leibnitz ; le diacre Ambroise, Basilide, 6+6 a
Swedenborg, Lyranus, Rupert, Abulensis, 6+6 a
Cardan, sous l'escarboucle inexprimable assis, 6+6 a
Photin, Cassiodore, Alcidamas, Eusèbe, 6+6 a
Potamon d'Héraclée et Paphnuce de Thèbe, 6+6 a
860 Tous les docteurs, vrais, faux, grands, petits, inconnus, 6+6 a
Connus, depuis Sophron jusqu'à Théotechnus, 6+6 a
Les devins, les savants, Paris, Rome, Épidaure, 6+6 a
Les poëtes sereins, ces frères de l'aurore 6+6 a
Faits de la même pourpre et dorés du même or, 6+6 a
865 La congrégation des pères de Saint Maur, 6+6 a
La grâce, le péché, l'oraison impétrante, 6+6 a
Les vingt-cinq sessions du concile de Trente, 6+6 a
Les feuillets sibyllins tombés on ne sait d'où, 6+6 a
Le livre turc, le livre hébreu, le livre indou ; 6+6 a
870 Passe lés jours, les nuits ; deviens blanc dans les rêves ; 6+6 a
Sois Jérôme ; oui, sois Jean rôdant le long des grèves ; 6+6 a
Sois Dante pour penser et sois Newton pour voir ; 6+6 a
Sois Origène, Euler, Platon ! Veux-tu savoir 6+6 a
Ce que tu construiras sur Dieu ? de la fumée. 6+6 a
875 Oui, combine, l'Égypte, et Delphe, et l'Idumée ; 6+6 a
Cherche le sens des mots Zéus, Vichnou, Mithra ; 6+6 a
Fouille le zodiaque obscur, de Denderah ; 6+6 a
Espère où Nicomaque et Thalès désespèrent ; 6+6 a
Reprends les chiffres noirs, où d'autres se trompèrent 6+6 a
880 Reprends-les tous, reprends ceux où tu te trompas ; 6+6 a
Tous les cercles que peut contenir ton compas, 6+6 a
Trace-les ; songe ; parle aux arbres ; fais-leur signe ; 6+6 a
Compte, compte, recompte ; additionne, aligne, 6+6 a
Devant l'impénétrable et devant le fatal, 6+6 a
885 Devant ce qui n'a pas de nombre et de total, 6+6 a
Tous tes zéros, anneaux du rideau de la tombe ; 6+6 a
Le sépulcre, c'est :là que toujours on retombe, 6+6 a
Se dresse devant toi, regarde tes travaux, 6+6 a
Bons, mauvais, inexacts, exacts, anciens, nouveaux, 6+6 a
890 Et ce tas de calculs que, ta pensée anime, 6+6 a
Et te jette ce cri, le seul mot de l'abîme 6+6 a
Qu'il sache, et le seul nom qu'il se connaisse : Après ? 6+6 a
Question que se font dans l'ombre les cyprès. 6+6 a
[VI]
UNE AUTRE VOIX
Et d'abord, de quel Dieu veux-tu parler ? Précise. 6+6 a
895 Quel est celui qui tient ta pensée indécise ? 6+6 a
Dis, est-ce du Dieu peint en jaune, en rouge, en bleu ; 6+6 a
Habitant d'un triangle où flambe un mot hébreu ; 6+6 a
Face dorée au fond d'une nuée épaisse ; 6+6 a
Portant couronne, étole, et glaive, et sceptre ; espèce 6+6 a
900 D'empereur, habillé d'un habit de soleil, 6+6 a
Ayant au poing le globe et Satan sous l'orteil, 6+6 a
Assis dans une chaire, et dictant la sentence 6+6 a
D'Arius à Nicée et de Huss à Constance ; 6+6 a
Niant le genre humain, concile universel ; 6+6 a
905 Servant de majuscule aux pages du missel ; 6+6 a
Dieu qui met Galilée en prison, et de Maistre 6+6 a
En sentinelle au seuil du paradis terrestre ; 6+6 a
Dieu qu'une vieille en rêve, au bruit qu'en se choquant 6+6 a
Font dans l'immensi des foudres de clinquant, 6+6 a
910 Sous un grand dais d'azur que l'astre damasquine, 6+6 a
Aperçoit lui montrant les numéros d'un quine ; 6+6 a
Dieu gothique, irritable, intolérant, tueur, 6+6 a
Noir vitrail effrayant qu'empourpre la lueur 6+6 a
Du bûcher qui flamboie et pétille derrière ? 6+6 a
915 Est-ce du Dieu qui veut la chanson pour prière, 6+6 a
Qu'on invoque en trinquant, Dieu bon vivant, qui rit ; 6+6 a
Comprend, sait que la chair est faible, a de l'esprit ; 6+6 a
Dieu point fâcheux qui vit en bonne intelligence 6+6 a
Avec les passions de votre pauvre engeance, 6+6 a
920 Excusant le péché, l'expliquant au besoin, 6+6 a
Clignant de l'œil avec le diable dans un coin, 6+6 a
Flânant, regardant l'homme en sa fainéantise, 6+6 a
Mais jamais du cô qui fait une sottise, 6+6 a
Et pas très sûr au fond lui-même d'exister ? 6+6 a
925 Est-ce du Dieu qu'on voit à Versailles monter 6+6 a
Aux carrosses du roi, bien né, suivant les modes, 6+6 a
Rendant aux Montespans les Bossuets commodes, 6+6 a
Dieu de cour, Dieu de ville, avec soin expurgé 6+6 a
De toute humeur brutale et de tout préjugé, 6+6 a
930 Complaisant ; paternel aux morales mondaines ; 6+6 a
Avec les Massillons émoussant les Bridaines ; 6+6 a
Dieu qu'un fripon coudoie avec tranquillité ; 6+6 a
Dieu par la politique et le siècle accepté ; 6+6 a
Lâchant son ciel ; disant : Paris vaut une messe ; 6+6 a
935 Souple et doux, dispensant les rois de leur promesse, 6+6 a
Point janséniste, point pédant, point monacal ; 6+6 a
Permettant à Sanchez d'effaroucher Pascal, 6+6 a
Au banquier d'encoffrer cent pour cent, à la femme, 6+6 a
Laide, d'être méchante, et, belle, d'être infame ; 6+6 a
940 Passant l'épice au juge, au marchand le faux poids ; 6+6 a
Habile ; à Notre-Dame accouplant Quincampoix ; 6+6 a
Sévère seulement aux têtes raisonnantes, 6+6 a
Tuant un peu Ramus, biffant l'édit de Nantes, 6+6 a
Mais qui, pourvu qu'on soit, dans les grands jours, pilier 6+6 a
945 A l'église, et qu'on soit cousin d'un marguillier, 6+6 a
Et qu'on veuille que Rome en tout règne et s'accroisse, 6+6 a
Et qu'on rende le pain bénit à sa paroisse, 6+6 a
Vous prend en amitié, vous soutient chaudement, 6+6 a
Vous épouse, travaille à votre avancement, 6+6 a
950 Parle à son excellence et vous pousse, et procure 6+6 a
Un grade aux fils nés, aux cadets une cure, 6+6 a
En attendant la mitre ou les canonicats ; 6+6 a
Dieu facile, logeable, aimable, utile en-cas 6+6 a
Qui se contente, ayant d'indulgence boutique, 6+6 a
955 D'un peu d'hypocrisie et d'un peu de pratique ; 6+6 a
Dogme et religion des dévôts positifs 6+6 a
Qui font de temps en temps des voyages furtifs, 6+6 a
Courts, dans l'éternité, l'abîme, le mystère, 6+6 a
Et l'insondable, avec ce Dieu pour pied-à-terre ? 6+6 a
960 Est-ce du Dieu guerrier, militaire, sanglant, 6+6 a
Qui s'inquiète peu que vous mangiez du gland 6+6 a
Ou du pain, mais qui veut pour rites et pour cultes 6+6 a
Glaives, piques, corbeaux, scorpions, catapultes, 6+6 a
Grappin horrible où pend un vaisseau tout entier, 6+6 a
965 Tortue avec sa claie enduite de mortier, 6+6 a
Béliers fixes, heurtant les murs comme des proues, 6+6 a
Telenos enlevant des soldats, tours a roues 6+6 a
Recouvertes de mousse et de crin de cheval ; 6+6 a
Plus tard, pierriers broyant quelque donjon-rival 6+6 a
970 Jusqu'à ce qu'il s'en aille en cendre et se dissoude, 6+6 a
Mangonneaux, fauconneaux, bat-murs, pièces à coude, 6+6 a
Renversant les cités dans leur fossé bourbeux ; 6+6 a
Volcans grégeois trnés par trente jougs-de bœufs, 6+6 a
Canons vénitiens, serpentines lombardes ; 6+6 a
975 Dieu qui dit à Coglione : attelle les bombardes ; 6+6 a
Qui rit, pauvre blessé, du grabat où tu geins, 6+6 a
Que la bataille enivre avec tous ses engins, 6+6 a
Chaudrons à poix bouillante et fours à boulets rouges, 6+6 a
Qui chasse les manants éperdus de leurs bouges ; 6+6 a
980 Qui rêve Te Deum qui s'endort aux accents 6+6 a
De l'obusier Lancastre et du mortier Paixhans ; 6+6 a
Qui prête, quand la mine est faite sous la brèche, 6+6 a
Son tonnerre au besoin pour allumer la mèche, 6+6 a
Et, quand la terre s'ouvre avec un large éclair, 6+6 a
985 S'épanouit de voir les gens sauter en l'air ? 6+6 a
Vision du passé par votre âge subie ! 6+6 a
Est-ce du Dieu jugeur ? Oh ! l'étrange lubie ! 6+6 a
Dieu chancelier, portant perruque in-folio, 6+6 a
Vidant le procès Homme et l'Être imbroglio ! 6+6 a
990 Dieu président, siégeant dans l'univers grand'chambre, 6+6 a
Jugeant l'âme, et bâillant, sous un ciel de décembre, 6+6 a
Entre l'avocat ange et l'avocat démon ? 6+6 a
Dis, est-ce le dieu guèbre, est-ce le dieu mormon 6+6 a
Qu'il te faut ? Ou le Dieu qui fit rouer Labarre ? 6+6 a
995 Vois. Choisis. Ou le Dieu qui donne au turc barbare 6+6 a
Des femmes plein la tombe et plein le firmament ? 6+6 a
Ou bien est-ce le Dieu qui fait lugubrement 6+6 a
Chanter, quand l'heure vient de vêpre ou de matines, 6+6 a
L'homme qui n'est plus homme aux chapelles sixtines, 6+6 a
1000 Et qui, lui créateur, se plaît à l'écouter ? 6+6 a
Ou parles-tu du Dieu qu'il faudrait inventer, 6+6 a
Que dans l'ombre la peur concède au phénomène, 6+6 a
Par les sages bâti sur la sagesse humaine, 6+6 a
Utile à ton valet, bon pour ton cuisinier, 6+6 a
1005 Modérateur des sauts de l'anse du panier, 6+6 a
Dieu de raison qu'au fond de son spectre solaire 6+6 a
Le bourgeois bienveillant raille, exile et tolère, 6+6 a
Dieu consenti par Locke et que Grimm refusa, 6+6 a
Très-Haut à qui d'Holbach a donné son visa, 6+6 a
1010 Éternel maçonné par le vivant qui passe, 6+6 a
Entrecolonnement du temps et de l'espace, 6+6 a
Pièce d'architecture ajoutée après coup 6+6 a
A la vie, au destin, au bien, au mal, à tout, 6+6 a
Tour tremblante de vide et hors-d'œuvre de l'homme ? 6+6 a
1015 Tous ces dieux, quel que soit le nom dont on les nomme, 6+6 a
Sont tout, excepté Dieu.
L'homme abject a besoin, 6+6 a
Étant méchant, d'un juge, et, hideux, d'un témoin ; 6+6 a
Il veut un Dieu. C'est bien. L'homme prend de la brique, 6+6 a
De la pierre, du plomb, du bois, et le fabrique ; 6+6 a
1020 Chaque peuple a le sien ; et la religion 6+6 a
A l'Unité pour masque et pour nom Légion. 6+6 a
Un temple voit la nuit où l'autre voit l'aurore ; 6+6 a
Chéos adore Ammon que Jagrenat ignore ; 6+6 a
Pour Delphe Odin n'est pas ; la solimaniéh 6+6 a
1025 Affirme Mahomet par le dolmen nié. 6+6 a
La terre crée un monstre et se met sous sa garde ; 6+6 a
Et c'est avec stupeur que le grand ciel regarde 6+6 a
Croître sur vos fumiers ce misérable Dieu. 6+6 a
Nous ne nous mettons pas en peine de si peu, 6+6 a
1030 Nous autres les esprits errant dans l'étendue ; 6+6 a
Et, sans nous acharner à la lueur perdue, 6+6 a
Sans poursuivre l'obscure et pâle vision, 6+6 a
Sans exiger de l'ombre une solution, 6+6 a
Nous raillons dans la nuit votre Brahma fétiche, 6+6 a
1035 Dieu qui mêle à sa barbe un infini postiche, 6+6 a
Dieu singe pour le nègre et Dieu peste au Thibet ; 6+6 a
Bourreau dressant sur l'homme un immense gibet, 6+6 a
Bœuf a Memphis, dragon à Tyr, hydre en Chaldée, 6+6 a
Chimère et non raison, idole et non idée. 6+6 a
1040 Ton globe, vieil enfant, joue avec ce hochet. 6+6 a
Homme, esprit fou qu'en vain Diogène cherchait, 6+6 a
Homme, tu fais pitié même aux êtres du gouffre, 6+6 a
Même à l'obscuri qui frissonne et qui souffre ; 6+6 a
Car ton monde étroit rêve un rêve limité ; 6+6 a
1045 Il se compose un Dieu de son infirmité ; 6+6 a
Et, dans l'abjection de ses passions vaines, 6+6 a
Instinct, science, amour, colère, guerres, haines, 6+6 a
Il se fait de sa fange une divinité ! 6+6 a
Il pétrit de la terre avec l'éternité ! 6+6 a
1050 Et quand dans sa furie, et quand dans sa débauche, 6+6 a
Inepte, il a forgé cette effroyable ébauche, 6+6 a
Ce géant muet, sourd, aveugle, dur, fatal, 6+6 a
Ce spectre d'ombre ayant l'horreur pour piédestal, 6+6 a
Il achève ce Dieu de laideur, d'imposture, 6+6 a
1055 De nuit, avec la peur qu'il a de la nature. 6+6 a
O toi qui passes là, que veux-tu donc ?
Et moi : 6+6 a
— Je veux le nom du vrai, criai-je plein d'effroi, 6+6 a
Pour que je le redise à la terre inquiète. 6+6 a
[VII]
UNE AUTRE VOIX
Est-ce que tu serais par hasard un poète ? 6+6 a
1060 Qui te rend si hardi ? réponds, questionneur. 6+6 a
Viens-tu comme Shakspeare à la tour d'Elseneur ? 6+6 a
Pour entrer dans la brume où s'éteint la science, 6+6 a
Pour tenter le mystère, aurais-tu confiance, 6+6 a
Homme dont l'ombre fuit les pas trop approchants, 6+6 a
1065 Dans le pouvoir suave et sinistre des chants ? 6+6 a
Oui, c'est vrai, le poète est puissant. Qui l'ignore ? 6+6 a
L'esprit, force et clarté, sort de sa voix sonore. 6+6 a
Trophonius est seul dans son caveau divin ; 6+6 a
L'homme lui dit : poëte ! et l'abîme : devin ! 6+6 a
1070 Amphion chante et met en mouvement les pierres ; 6+6 a
Orphée errant du tigre éblouit les paupières ; 6+6 a
Homère est dans la tombe, et son âme, à travers, 6+6 a
Pousse au Gange Alexandre enivré de ses vers ; 6+6 a
Prenant forme au plus noir de l'antre, les fantômes 6+6 a
1075 Blanchissent à l'appel des blêmes Chrysostômes 6+6 a
Isaïe en criant : Deuil ! malheur ! fait hennir 6+6 a
Le féroce Orient qui dit : je vais venir ! 6+6 a
Euripide, Sophocle, Eschyle qu'un dieu mine, 6+6 a
Sont comme le trépied d'où jaillit Salamine ; 6+6 a
1080 Élie a son gré vide et lance au peuple hébreu 6+6 a
Les flèches de la pluie ou le carquois du feu ; 6+6 a
L'âpre Archiloque avec le marteau de l'ïambe 6+6 a
Enfonce le clou sombre où se pendra Lycambe ; 6+6 a
Dante dit, l'œil fi sur un homme passant 6+6 a
1085 — Je t'ai vu dans l'enfer ! L'homme, pâle, y descend. 6+6 a
La Marseillaise énorme est un bruit de mêlée ; 6+6 a
Tyrtée est une lyre effrayante ; envolée 6+6 a
Au-devant des combats et des drapeaux mouvants, 6+6 a
Et trnant, après elle un peuple dans les vents. 6+6 a
1090 Les poètes profonds, hommes de la stature 6+6 a
Des éléments, du bien, du mal, de la nature, 6+6 a
Vivaient jadis, géants, en familiari 6+6 a
Avec le jour, la nuit, l'ombre et l'éternité ; 6+6 a
Ils méditaient, ayant, dans l'horreur solennelle, 6+6 a
1095 Toujours devant leur âme et devant leur prunelle 6+6 a
La contemplation ; ce mur vertigineux ; 6+6 a
Ils avaient la science et l'ignorance en eux ; 6+6 a
Épars, ils blanchissaient le fond des solitudes ; 6+6 a
Ils rêvaient ; ils avaient diverses attitudes ; 6+6 a
1100 Les uns, calmes, restaient, leur menton dans leur main, 6+6 a
Du côté des vivants, sur le rivage humain ; 6+6 a
Ils regardaient passer les foules pêle-mêle, 6+6 a
Homme, femme, vieillard, enfant à la mamelle, 6+6 a
Chocs de glaives, pavois ; codes, mœurs, échafauds, 6+6 a
1105 Les cintres pleins d'azur des grands arcs triomphaux, 6+6 a
Le trône avec son roi, le prêtre avec son livre ; 6+6 a
Et devant tout ce flot, forcené, bruyant, ivre, 6+6 a
Triste, joyeux, confus, violent, inclément, 6+6 a
Sourd, ignorant la chute et l'âpre escarpement, 6+6 a
1110 Ils contemplaient de loin la mort, sombre barrage. 6+6 a
Les autres se tenaient hors du terrestre orage, 6+6 a
Comme s'ils étaient morts, et de l'autre côté ; 6+6 a
Ils regardaient, roulant vers eux, l'humani 6+6 a
S'engouffrer sous leurs pieds, race à race engloutie ; 6+6 a
1115 De ce faîte, ils étaient présents à la sortie 6+6 a
Des empires, des faits, des grands événements, 6+6 a
Des prines, de puissance et de guerre écumants, 6+6 a
Et voyaient peuples, rois ; tout ce qu'en la, nuit noire 6+6 a
Dégorge le sépulcre ; énorme vomitoire. 6+6 a
1120 Ils rayonnaient ; leurs yeux sereins étincelaient ; 6+6 a
Ils devenaient eux-même ombre et souffle, et semblaient 6+6 a
Au genre humain, perdu dans ses mornes délires, 6+6 a
Des fantômes chantants, passant avec des lyres. 6+6 a
Quelques-uns, murés, sourds, n'avaient plus de regard 6+6 a
1125 Que l'œil intérieur, lumineux et hagard, 6+6 a
Et ces hommes sacrés, semblables à des mânes, 6+6 a
Hors du monde, habitaient dans l'antre de leurs crânes ; 6+6 a
D'autres vivaient aux bois, et leurs esprits songeaient, 6+6 a
Et, laissant là leurs corps, éblouis, voyageaient ; 6+6 a
1130 Ils erraient d'être en être et du fait a la cause ; 6+6 a
Voyaient s'épanouir l'arbre en apothéose ; 6+6 a
Ils allaient, pénétrant au-delà du réel, 6+6 a
Par la racine au gouffre et par la fleur au ciel, 6+6 a
Dans la création entraient le plus possible, 6+6 a
1135 Tordaient l'insaisissable avec l'inaccessible, 6+6 a
Étudiaient comment se forment les métaux 6+6 a
Dans la forge invisible aux ténébreux marteaux, 6+6 a
Et la seve, et le feu des volcans, et les haltes 6+6 a
Des laves sous l'écorce affreuse des basaltes ; 6+6 a
1140 Le vent chantait pour eux un sublime pæan ; 6+6 a
Ils observaient l'hiver, l'Ouragan, l'océan, 6+6 a
L'avalanche, l'écueil, les grêles épaissies, 6+6 a
Les vagues, effarés de ces épilepsies ; 6+6 a
Et, pensifs ; saisissant, jusqu'aux plus hauts zéniths, 6+6 a
1145 Les intersections de tous les infinis, 6+6 a
L'endroit où le bien nuit, l'endroit où le mal aime, 6+6 a
Ils tâchaient de trouver le point fatal, suprême, 6+6 a
Terrible, surprenant, caché sous le linceul, 6+6 a
Sombre, où tous les secrets se fondent en un seul ! 6+6 a
1150 Dans les grottes de l'Inde ou dans les rocs d'Eubée, 6+6 a
Lieux où l'on croit toujours être à la nuit tombée, 6+6 a
À Cartlane où la fleur mandragore chanta, 6+6 a
À Delphe, à Sunium, dans l'île Éléphanta, 6+6 a
Ou dans la Bactriane ou dans la Sogdiane, 6+6 a
1155 Ou dans les monts qu'emplit la sinistre Diane, 6+6 a
Dans les déserts où l'être a l'air de se mouvoir 6+6 a
En dégageant un sombre et lugubre pouvoir, 6+6 a
Les pâtres rencontraient un homme dont la face 6+6 a
Semblait une lueur étrange de l'espace, 6+6 a
1160 Dont la bouche parlait, et dont l'égarement 6+6 a
Ramenait tout à lui comme un farouche aimant ; 6+6 a
Le loup craignait cet homme, et les brutes fuyantes 6+6 a
S'en allaient de son ombre encor plus effrayantes ; 6+6 a
Et toute chose douce à ses pieds triomphait, 6+6 a
1165 L'agneau, l'aube ; et c'était le poète en effet. 6+6 a
Et de quoi vivait-il ? Nul ne le sait. Son âme 6+6 a
Aspirait l'inconnu comme un puissant dictame ; 6+6 a
Sa chair s'oubliait l'homme était en lui dissous ; 6+6 a
Du, splendide Univers il tâtait le dessous ; 6+6 a
1170 Livide, il assistait aux blancheurs idéales, 6+6 a
Aux détonations d'aurores boréales, 6+6 a
Aux déluges roulant dans leurs vastes limons 6+6 a
Des hydres qui semblaient des gouffres et des monts, 6+6 a
Aux chaos combattant la vie, aux héroïsmes 6+6 a
1175 Des : globes traversant ces rudes cataclysmes, 6+6 a
Au miracle, à l'atome ; et son regard voyait 6+6 a
Des naissances d'édens dans l'abîme inquiet, 6+6 a
Des jets d'étoiles d'or, des chutes de décombres, 6+6 a
Et des explosions de créations sombres. 6+6 a
1180 Et pendant qu'il rêvait, immobile,voyant 6+6 a
L'inouï, — l'ignoré, le-trouble, l'ondoyant, 6+6 a
Les visions, l'azur indicible, feux, nimbes, 6+6 a
Masques crispés d'enfants sanglotant dans les limbes, 6+6 a
Et la torche de l'astre allant mettre le feu 6+6 a
1185 A des mondes perdus au fond du vide bleu, 6+6 a
Et la larve, à travers les brumes décuplantes, 6+6 a
Entre les doigts des pieds il lui poussait des plantes, 6+6 a
Et les feuilles, qui font leur ouvrage sans bruit, 6+6 a
Couvraient cet homme ainsi qu'un chêne dans la nuit. 6+6 a
1190 Et cette intimi formidable avec l'être 6+6 a
Faisait de e songeur farouche, plus : qu'un prêtre, 6+6 a
Plus qu'un augure, plus qu'un pontife ; un esprit ; 6+6 a
Un spectre à qui, la mort radieuse sourit. 6+6 a
Et c'est de là que vient cette auguste puissance 6+6 a
1195 Faite d'immensité, d'épouvante, d'essence, 6+6 a
Qu'a le poète saint et, qu'on sent dans ses vers 6+6 a
Les prodiges au fond du mystère entr'ouverts 6+6 a
Mêlent leur rayon fauve à son âme élargie, 6+6 a
Presque jusqu'à l'horreur et jusqu'à la magie, 6+6 a
1200 Et qui parfois côtoie, ainsi qu'un noir plongeur ; 6+6 a
Le cercle où de l'enfer commence la rougeur. 6+6 a
Oui, le poète peut ce qu'il veut ; le poète 6+6 a
Arrête en lui parlant l'immense gypaète ; 6+6 a
Il domine la ville et le désert ; il peut 6+6 a
1205 Unir la terre au ciel ; et, dans le même nœud, 6+6 a
L'idéal au réel, et tisser une toile 6+6 a
Avec des fils de chanvre et des rayons d'étoile ; 6+6 a
Il dégage de tout, du fait, vaste ou petit, 6+6 a
De tout ce qu'on apprend, dé tout ce qu'on bâtit, 6+6 a
1210 Du progrès, du tombeau,de la matière même, 6+6 a
Une grande Uranie azurée et suprême ; 6+6 a
Il met sur la science un plafond sidéral ; 6+6 a
Il fait tomber la haine et l'épine et le mal 6+6 a
De la ronce hideuse et de l'âme méchante ; 6+6 a
1215 Tendre, il plane au-dessus du cirque horrible et chante 6+6 a
Pour les martyrs un chant qui fait honte aux lions ; 6+6 a
A la guerre civile il fait dire : oublions ! 6+6 a
Il prend les cœurs lointains des peuples et les mêle, 6+6 a
Accouple à la raison la foi, sa sœur jumelle, 6+6 a
1220 Calme la foule, endort le flot, dompte le feu, 6+6 a
Change l'homme ; il peut tout ; hors ceci : nommer Dieu. 6+6 a
Nommer Dieu de façon que l'abîme comprenne. 6+6 a
Il peut tout, hors ceci : faire à l'aube sereine, 6+6 a
Au lys, à l'astre, à l'hydre, à l'éclair enflammé, 6+6 a
1225 Dire dans l'étendue obscure : il l'a nommé ! 6+6 a
Ce nom déborde vaste, inouï, réfractaire, 6+6 a
Quelque être que ce soit, au ciel et sur la terre. 6+6 a
O passant, entends-tu bégayer à la fois 6+6 a
Par toutes les rumeurs et par toutes les voix 6+6 a
1230 De la création ténébreuse et murée, 6+6 a
Par toute l'étendue et toute la durée, 6+6 a
Ce nom mystérieux, énorme, illimité ? 6+6 a
Le printemps et l'automne et l'hiver et l'é 6+6 a
Sont quatre accents divers de ce grand nom qui gronde ; 6+6 a
1235 La syllabe du vent n'est pas elle de l'onde ; 6+6 a
Chaque être dit la sienne et la murmure à part ; 6+6 a
L'antilope en a peur quand c'est le léopard. 6+6 a
Qui le proclame au fond de la forêt sonore ; 6+6 a
Et la nuit le prononce autrement, que l'aurore. 6+6 a
1240 L'homme à saisir ce mot s'est parfois occupé ; 6+6 a
Mais en vain ; car ce nom ineffable est cou 6+6 a
En autant de tronçons qu'il est de créatures ; 6+6 a
Il est épars au loin dans les autres natures ; 6+6 a
Personne n'a l'alpha, personne l'oméga ; 6+6 a
1245 Ce nom, qu'en expirant le passé nous légua, 6+6 a
Sera continué par ceux qui sont a naître ; 6+6 a
Et tout l'univers n'a qu'un objet : nommer l'être ! 6+6 a
Et des soleils sont morts et des soleils mourront, 6+6 a
Et l'espace où l'étoile éclôt, la flamme au front, 6+6 a
1250 A vu naître et pâlir dans ses profondeurs fauves 6+6 a
Des feux qui ne sont plus que de vieux astres chauves ; 6+6 a
L'heure apporte et reprend les jours, les mois, les ans, 6+6 a
Et la mémoire avorte à compter ces passants, 6+6 a
Et l'ombre épouvantable en ses aveugles ondes 6+6 a
1255 Roule des millions de millions de mondes, 6+6 a
Et le sillon engendre et la fosse enfouit, 6+6 a
Et tout se développe et tout s'évanouit, 6+6 a
Et tout brille et s'éteint ; mon phosphore et le-vôtre, 6+6 a
Et les êtres confus tombent l'un après l'autre, 6+6 a
1260 Et toujours, à jamais, sans qu'il cesse un moment 6+6 a
D'emplir le jour, la nuit,l'éther, le firmament, 6+6 a
Sans qu'aucun autre bruit l'interrompe et s'y mêle, 6+6 a
Le nom infini sort de la bouche éternelle ! 6+6 a
[VIII]
UNE AUTRE VOIX
Est-ce que, voyageur fatal, tu prémédites 6+6 a
1265 Des actions de rêve étranges et maudites, 6+6 a
D'aller, de forcer l'Ombre, et fouillant, et bravant, 6+6 a
De t'enfoncer plus loin que les ailes du vent ? 6+6 a
Dis. Parle. Oh ! les songeurs ont une sombre envie 6+6 a
Ils voudraient tous avoir déjà franchi la vie, 6+6 a
1270 Pour connaître, pour être ailleurs, pour voir plus loin. 6+6 a
Pour eux, vivre est l'Obstacle et savoir le besoin. 6+6 a
En attendant la tombe, ils s'en vont aux nuées, 6+6 a
Par les rêves de l'homme en bas continuées, 6+6 a
Aux vents, aux monts ; aux lieux déserts, aux lieux secrets, 6+6 a
1275 À tout ce qui contient de l'abîme, forêts, 6+6 a
Antres, écueils des mers, nids d'où tombe la plume, 6+6 a
À la, fleur qui s'entr'ouvre, à l'astre qui s'allume, 6+6 a
A tout ce qui voit l'ombre et tremble sur le bord, 6+6 a
Désaltérer leur soif lugubre de la mort. 6+6 a
1280 As-tu donc aussi, toi, cette soif surhumaine ? 6+6 a
Veux-tu voir ? Est-ce là, passant, ce qui t'amène ? 6+6 a
Sois tranquille, homme. Attends : Cela finit toujours 6+6 a
Par s'ouvrir devant toi, pauvre ombre aux instants courts. 6+6 a
Le mystère, à présent sans clef, sans déchirure, 6+6 a
1285 Clos, fermé par la nuit, la sinistre serrure, 6+6 a
T'apparaît, recouvrant on ne sait quel écrou, 6+6 a
Barré, farouche, ayant tout l'azur pour verrou ; 6+6 a
Ton cadavre en tombant défonce cette porte. 6+6 a
Le ciel noir plie et s'ouvre au, poids de la chair morte. 6+6 a
1290 L'homme entre enfin au gouffre exécrable ou béni. 6+6 a
Par la fente que fait la mort à l'infini. 6+6 a
Attends donc cette mort qui fait l'âme complète, 6+6 a
La pénétration de Dieu dans ton squelette, 6+6 a
Les astres, plus nombreux, quand l'homme n'est pas noir, 6+6 a
1295 Dans les plis du linceul que dans les plis du soir ; 6+6 a
Attends l'ascension suprême de la chute ; 6+6 a
Attends la fin du songe, homme, et de la minute. 6+6 a
Cette explication qu'on nomme éternité. 6+6 a
Tout ce que tu peux faire en ton humanité, 6+6 a
1300 Écoute, — dans ta chair, homme, dans ta bassesse, 6+6 a
C'est de chercher, partout, de contempler sans cesse, 6+6 a
De loin, de près, avec ton cœur et ta raison, 6+6 a
Le trépas qui jamais ne manque à l'horizon, 6+6 a
C'est d'observer toujours, à travers ta souffrance, 6+6 a
1305 Ce visage sinistre et noir de l'espérance, 6+6 a
Homme, et de ne jamais quitter des yeux la mort, 6+6 a
Et de vivre tourné, comme l'aiguille au nord, 6+6 a
Vers ce but de ta route ; ô pauvre âme asservie ! 6+6 a
La mort est la veilleuse étrange de la vie, 6+6 a
1310 La lueur allumée au sommet du destin. 6+6 a
Rougeur du soir ayant des blancheurs de matin, 6+6 a
Elle fait apparaître à sa clarté des rives, 6+6 a
Des cieux toute l'énigme en pâles perspectives, 6+6 a
Les cimes des flots d'ombre au fond des gouffres noirs, 6+6 a
1315 Et le bien et le mal, mystérieux miroirs ; 6+6 a
Vivante, incorruptible, égale, elle prolonge 6+6 a
A travers l'apparence, et la brume, et le songe, 6+6 a
Et tout le faux dont l'être éperdu fait l'essai, 6+6 a
Une lumière intègre et terrible de vrai ; 6+6 a
1320 Elle montre la vie ; elle met en saillie 6+6 a
Tous ces masques, amour, haine, raison, folie, 6+6 a
Qui flottent dans le vent pêle-mêle, et qui vont ; 6+6 a
Elle blêmit le bord du sans fin, du sans fond 6+6 a
D'où l'on ne revient pas avec la même forme ; 6+6 a
1325 Elle jette un rayon sur une entrée énorme, 6+6 a
Effleure ces rondeurs, ciel, globe, crâne nu, 6+6 a
Et, tranquille ; avertit, de quoi ? de l'inconnu. 6+6 a
Elle éclaire un port vague où l'on se réfugie. 6+6 a
On voit sur l'infini cette sombre vigie. 6+6 a
Donc, attends.
1330 Autrement, sache, qui que tu sois, 6+6 a
Qu'un voyage en cette ombre est un lugubre choix ; 6+6 a
Le vertige saisit les ; noirs plongeurs tenaces 6+6 a
Qui du-grand ciel farouche affrontent les menaces ; 6+6 a
L'immobile infini, fait un nain du géant. 6+6 a
1335 Avant d'aller plus loin, regarde ton néant. 6+6 a
Car tu ne pourras, pas, quelle que soit ta course, 6+6 a
Aborder l'inconnu, l'origine, la source, 6+6 a
Le lieu fatal où tout s'explique et se rejoint, 6+6 a
Car tu n'entreras-point, car tu n'atteindras point, 6+6 a
1340 Car, l'océan de nuit, de bitume et de soufre, 6+6 a
Jamais tu ne pourras le franchir, car, le gouffre, 6+6 a
Tu ne le vaincras pas, quand même tu serais 6+6 a
Une espèce d'esprit des monts et des forêts, 6+6 a
Un cœur sentant en soi la nature bruire ; 6+6 a
1345 Un homme traversé par une énorme lyre ! 6+6 a
Quand même tu serais une âme aux yeux ardents 6+6 a
Dont la fauve pensée a pris le mors aux dents, 6+6 a
Et qui, dans la caverne où le trépas seul entre, 6+6 a
Fuit, terrible, aspirant tous les souffles de l'antre ! 6+6 a
1350 Quand même tu serais un de ces mages fiers 6+6 a
Que nous voyons parfois, blêmes passants des airs, 6+6 a
Se ruer dans le gouffre où, comme eux, tu te plonges, 6+6 a
Pâles, les poings crispés aux rênes de leurs songes, 6+6 a
Se penchant, se dressant, lâchant et retenant 6+6 a
1355 On ne sait quoi d'obscur, d'envolé, de tonnant, 6+6 a
Regardant, dispersant leurs prunelles livides, 6+6 a
Comme s'ils conduisaient dans l'ombre à grandes guides 6+6 a
A travers l'éther vague et le tourbillon fou, 6+6 a
Dans la brume, au hasard, devant eux, n'importe où, 6+6 a
1360 Peut-être vers la nuit, peut-être vers la cime, 6+6 a
Un char que, trneraient, avec-un bruit d'abîme, 6+6 a
Croupes sombres, fuyant, s'abaissant, s'élevant ; 6+6 a
Six cents chevaux d'éclair, de nuée et de vent ! 6+6 a
[IX]
UNE AUTRE VOIX
Te figures-tu donc être, par aventure, 6+6 a
1365 Autre chose qu'un point dans l'aveugle-nature ? 6+6 a
Toi, l'homme, cendre et chair, te persuades-tu 6+6 a
Que d'une fonction l'ombre t'a revêtu ? 6+6 a
Quel droit te crois-tu donc à chercher, à poursuivre, 6+6 a
A saisir ce qui peut exister, durer, vivre, 6+6 a
1370 A surprendre, à connaître, à savoir, toi qui n'es 6+6 a
Qu'une larve, et qui meurs aussitôt que tu nais ? 6+6 a
J'admire ton néant inouï s'il suppose' 6+6 a
Qu'il est par l'absolu compté pour quelque chose ! 6+6 a
Quelle idée, ô songeur du songe humanité, 6+6 a
1375 As-tu de ton cerveau pour croire, en vérité, 6+6 a
Qu'il peut prendre ou laisser une empreinte à l'abîme ? 6+6 a
Ta pensée est abjecte ; étroite, folle, infime 6+6 a
L'homme est de la fumée obscure qui descend. 6+6 a
T'imagines-tu donc laisser trace ; ô passant ? 6+6 a
1380 Rêves-tu l'absolu comme ton fleuve Seine. 6+6 a
Coulant entre les quais de ta ville malsaine, 6+6 a
Recueillant les égouts de toutes tes maisons, 6+6 a
Doctrines, volontés, illusions, raisons ; 6+6 a
Ayant dans son courant, si quelqu'un te réclame, 6+6 a
1385 Quelque pont de Saint-Cloud où l'on repêche l'âme ? 6+6 a
Crois-tu que cette eau vaste et sourde, Immensité, 6+6 a
Ne t'enveloppe pas d'oubli, de cécité, 6+6 a
De silence, et sanglote à ta chute, et soit triste ? 6+6 a
Crois-tu que ta chimère en ce gouffre persiste, 6+6 a
1390 Qu'elle y garde sa forme, espoir, rêve, action ; 6+6 a
Et qu'on retrouve, après ta disparition, 6+6 a
Quelque chose de toi, ton cadavre ou ton ombre, 6+6 a
Aux noirs filets flottants de l'éternité sombre ? 6+6 a
[X]
UNE AUTRE VOIX
As-tu vu les penseurs s'en aller dans les cieux ? 6+6 a
1395 Les as-tu vus partir, hautains, séditieux, 6+6 a
Jetant dans l'inconnu leur voix terrifiante, 6+6 a
Espérant abuser de la nuit confiante, 6+6 a
Méditant des larcins prodigieux, rêvant 6+6 a
D'aller toujours plus loin et toujours plus avant, 6+6 a
1400 Se proposant d'atteindre à la source première, 6+6 a
Au centre, au but ; de prendre ou l'ombre ou la lumière 6+6 a
Ou l'être, et de saisir le météore au vol, 6+6 a
Emportés comme Élie, ailés comme saint Paul, 6+6 a
Et de trouver le fond, dût-on faire le vide, 6+6 a
1405 Dût-on escalader le mystère livide, 6+6 a
L'obscurité, les cieux brumeux, les cieux vermeils, 6+6 a
Avec effraction d'azurs et de soleils ! 6+6 a
Les as-tu vus, fuyants, blanche robe du prêtre, 6+6 a
Bras levés du devin, décroître et disparaître 6+6 a
1410 Dans la profondeur sourde où tout s'évanouit ? 6+6 a
Parle ? et les as-tu vus devenir de la nuit ? 6+6 a
Es-tu resté tremblant, cherchant leur trace vague ? 6+6 a
Puis, regardant l'éther, les ténèbres, le vague, 6+6 a
Passant les jours, les nuits, debout sur une tour, 6+6 a
1415 O songeur, as-tu vu ces hommes au retour ? 6+6 a
Les as-tu vus de l'ombre énorme redescendre ? 6+6 a
Et toi, l'obscur veilleur vêtu du sac de cendre, 6+6 a
Te dressant au-devant de leur vol éperdu, 6+6 a
Leur as-tu dit : — Eh bien ? — Et qu'ont-ils répondu, 6+6 a
1420 Ces noirs navigateurs sans navire et sans voiles ? 6+6 a
Et qu'ont-ils rapporté, ces oiseleurs d'étoiles ? 6+6 a
Ils n'ont rien rapporté que des fronts sans couleur 6+6 a
Où rien n'avait grandi, si ce n'est la pâleur. 6+6 a
Tous sont hagards après cette aventure étrange ; 6+6 a
1425 Songeur ! tous ont, empreints au front, des ongles d'ange, 6+6 a
Tous ont dans le regard comme un songe qui fuit, 6+6 a
Tous ont l'air monstrueux en sortant de la nuit ! 6+6 a
On en voit quelques-uns dont l'âme saigne et souffre, 6+6 a
Portant de toutes parts les morsures du gouffre. 6+6 a
[XI]
UNE AUTRE VOIX
1430 Les monts sont vieux ; cent fois et cent fois séculaires, 6+6 a
Muets, drapés de nuit sous leurs manteaux polaires, 6+6 a
Leur âge monstrueux épouvante l'esprit ; 6+6 a
Sur leur front ténébreux tout l'abîme est écrit ; 6+6 a
Une neige de jours a neigé sur leur tête ; 6+6 a
1435 Le temps est un morceau de leur masse ; leur faîte, 6+6 a
De loin morne profil qui s'efface de près, 6+6 a
Livre au vent une barbe épaisse de forêts ; 6+6 a
Ils ont vu tous les deuils, toutes les défaillances, 6+6 a
Toutes les morts passer autour de leurs silences ; 6+6 a
1440 Ils ont vu s'écrouler des mondes dans le puits 6+6 a
De l'horreur infinie et sourde ; ils ont depuis 6+6 a
Bien des millions d'ans la lassitude d'être ; 6+6 a
Eh bien, sur leurs noirs flancs décrépits, le vent traître, 6+6 a
L'orage furieux, l'éclair fauve, ce ver 6+6 a
1445 Qui serpente dans l'ombre immense de l'hiver, 6+6 a
L'ouragan qui, farouche, aux grands sommets essuie 6+6 a
Sa chevelure d'air, de tempête et de pluie, 6+6 a
L'aquilon qui revient quand on croit qu'il s'enfuit, 6+6 a
La grêle, et l'avalanche, et la trombe, et le bruit, 6+6 a
1450 Toutes les visions des affreuses nuées, 6+6 a
La tourmente et ses chocs, la bise et ses huées, 6+6 a
S'acharnent ; et ne font, sous leurs dais de brouillards, 6+6 a
Pas même remuer ces effrayants vieillards. 6+6 a
Sois comme eux : si tu vas dans l'espace terrible, 6+6 a
1455 Ne chancelle pas, homme ; et garde un calme horrible. 6+6 a
[XII]
[AUTRES VOIX]
Remonte aux premiers jours de ton globe ; voi 6+6 a
Une muraille ; elle est prodigieuse ; elle a 6+6 a
Dix mille pieds de haut, et de largeur dix lieues. 6+6 a
Falaise, alluvion, dans les profondeurs bleues 6+6 a
1460 Ce haut boulevard monte, altier ; froid, surprenant, 6+6 a
Et d'une mer à l'autre il barre un continent : 6+6 a
Vaste géométrie, on dirait que l'équerre ; 6+6 a
Assise par assise, a fait ce mont calcaire, 6+6 a
Et que, forgeant l'espace, on ne sait quels marteaux 6+6 a
1465 L'un sur l'autre ont cloué ses plans horizontaux. 6+6 a
L'escarpement à pic montre en bandes étroites 6+6 a
Ses couches s'allongeant fermes, égales, droites, 6+6 a
Rides profondes, plis de ce front de la nuit. 6+6 a
Contre ce mur se heurte et flotte et roule, et fuit 6+6 a
1470 Ce que chaque saison pêle-mêle charrie. 6+6 a
Ce massif colossal de la maçonnerie 6+6 a
Terrible, que construit et détruit l'élément, 6+6 a
Semble un coffre de pierre immense renfermant 6+6 a
Les archives d'une âpre et sombre catastrophe, 6+6 a
1475 Et tout un monde mort ployé comme une étoffe, 6+6 a
Avec ses fleurs, ses champs, ses rocs boisés ou nus, 6+6 a
Et ses fourmillements de monstres inconnus. 6+6 a
Dans des millions d'ans, ses pierres ruinées, 6+6 a
Ses moellons croulants seront les Pyrénées. 6+6 a
1480 En attendant, vois : large, auguste, encombrant l'air, 6+6 a
Il est encor tout neuf, comme bâti d'hier ; 6+6 a
Rien n'ébrèche sa ligne entière et régulière ; 6+6 a
Et son sommet correct semble une seule pierre 6+6 a
Plate comme le toit d'un palais d'orient ; 6+6 a
1485 Le matin et le soir, en se contrariant, 6+6 a
Font de cette muraille épouvantable et sombre 6+6 a
Tantôt un banc d'aurore et tantôt un bloc d'ombre. 6+6 a
Et fais attention a présent : — l'air s'émeut ; 6+6 a
Voici que sur le haut, du mur géant, il pleut. 6+6 a
1490 La pluie erre et s'en va, par le vent emportée ; 6+6 a
Mais une goutte d'eau sur le faîte est restée. 6+6 a
Le lendemain, la brume, humide et blanc rideau, 6+6 a
Revient ; il pleut encore ; une autre goutte d'eau 6+6 a
S'ajoute à la première ; et ; sous cette :rosée, 6+6 a
1495 Une vasque s'ébauche, et la pierre est creusée. 6+6 a
Désormais sur ce point l'eau va s'obstiner. Vois ; 6+6 a
Il pleut ; et l'on entend comme une triste voix ; 6+6 a
Peut-être est-ce un démon sous la roche, qui grince 6+6 a
De sentir l'eau plus forte et la pierre plus mince. 6+6 a
1500 Il pleut, il pleut, il pleut ; janvier lugubre et mort 6+6 a
Passe avec l'ombre, il pleut ; la goutte tombe, mord, 6+6 a
Et creuse ; avril arrive et rapporte la nue, 6+6 a
Il pleut ; la goutte d'eau, féroce, continue ; 6+6 a
Et la première assise est percée ; et dé 6+6 a
1505 La deuxième, qu'en vain le granit protégea, 6+6 a
Est atteinte ; et la goutte, implacable, acharnée, 6+6 a
Qui dépense le siècle aussi bien que l'année, 6+6 a
Revient, et plonge, et troue et mine, dur foret, 6+6 a
Et le dedans du mont, formidable, apparaît, 6+6 a
1510 Zone à zone, et voi que, là-haut, l'aube éclaire, 6+6 a
La goutte étant sphérique, un bassin circulaire. 6+6 a
Un étang que le ciel dore, azure, rougit, 6+6 a
Sur le plateau désert s'étale et s'élargit. 6+6 a
La goutte d'eau revient, revient, revient encore, 6+6 a
1515 Et tombe opiniâtre, et se fait dès l'aurore 6+6 a
Rapporter par le vent qui, la nuit, l'enleva, 6+6 a
Et fait ses volontés dans la montagne, et va, 6+6 a
Vient, soumettant le marbre à ses lois triomphantes, 6+6 a
Et passe entre deux plans, et glisse entre deux fentes, 6+6 a
1520 Et démolit et sculpte, infatigable main. 6+6 a
Urne hier, aujourd'hui réservoir, lac demain, 6+6 a
L'œuvre augmente et s'enfonce, et l'œil qui veut la suivre 6+6 a
Croit voir un-trou qu'un ver fait aux pages d'un livre. 6+6 a
Penche-toi : devant nous, comme si nous rêvions, 6+6 a
1525 Forant ce monstrueux monceau d'alluvions, 6+6 a
D'une lame percée allant à l'autre lame, 6+6 a
Obéissant au poids qui d'en bas la réclame, 6+6 a
Hydre outil, vilbrequin ; pioche, trompe, suçoir, 6+6 a
Commençant le matin, recommençant le soir, 6+6 a
1530 Descendant l'escalier de l'épaisseur des couches, 6+6 a
Polissant leurs largeurs en murailles farouches, 6+6 a
Élargissant le haut, baissant l'âpre fond noir, 6+6 a
Évasant et fouillant sans cesse l'entonnoir, 6+6 a
Cognant partout, toujours, hiver, printemps, automne, 6+6 a
1535 Son petit marteau sombre, effrayant, monotone, 6+6 a
Usant le mont, coupant le roc, sciant le grès, 6+6 a
Complétant sa ruine et faisant son progrès, 6+6 a
Et profitant d'un creux pour creuser davantage, 6+6 a
Et d'une argile à l'autre, et d'étage en étage, 6+6 a
1540 Du haut en bas, de bloc en bloc, de banc en banc, 6+6 a
Errant, roulant, brisant, sapant, taillant, courbant, 6+6 a
La goutte d'eau travaille, et, terrible ouvrière, 6+6 a
Tord en cercles profonds l'énorme fondrière. 6+6 a
Le vaste mont, battu des aquilons sifflants, 6+6 a
1545 Frémit de voir creuser dans ses ténébreux flancs 6+6 a
Ce puits prodigieux par ette vrille infime, 6+6 a
Et de sentir l'atome en lui créer l'abîme. 6+6 a
Sur ce qui s'édifie et ce qui se détruit, 6+6 a
Laissons rouler du temps, du gouffre et de la nuit. 6+6 a
Et maintenant regarde :
1550 Un cirque ! un hippodrome, 6+6 a
Un théâtre où Stamboul, Tyr, Memphis, Londres, Rome, 6+6 a
Avec leurs millions d'hommes pourraient s'asseoir, 6+6 a
Où Paris flotterait comme un essaim du soir ! 6+6 a
Gavarnie ! un miracle ! un rêve !
Architectures 6+6 a
1555 Sans constructeurs connus, sans noms, sans signatures, 6+6 a
Qui dans l'obscuri gardez votre secret, 6+6 a
Arches, temples qu'Aaron ou Moïse sacrait, 6+6 a
O champ clos de Tarquin où trois-cent milles têtes 6+6 a
Fourmillaient, où l'Atlas hideux vidait ses bêtes, 6+6 a
1560 Casbahs, At-meïdans, tours, Kremlins, Rhamséions, 6+6 a
Où nous, spectres, venons, où nous nous asseyons, 6+6 a
Panthéons, parthénons, cathédrales qu'ont faites 6+6 a
De puissants charpentiers aux âmes de prophètes, 6+6 a
Monts creusés en pagode où vivent des airains, 6+6 a
1565 Aux plafonds monstrueux, sombres ciels souterrains, 6+6 a
Cirques, stades, Élis, Thèbe, arènes de Nîmes ; 6+6 a
Noirs monuments, géants, témoins, grands anonymes, 6+6 a
Vous n'êtes rien, palais, dômes, temples, tombeaux, 6+6 a
Devant ce colysée inouï du chaos ! 6+6 a
1570 Vois : l'homme fait ici le bruit de l'éphémère : 6+6 a
C'est l'apparition, l'énigme, la chimère 6+6 a
Taillée à pans coupés et tirée au cordeau. 6+6 a
L'aube est sur le fronton comme un sacré bandeau, 6+6 a
Et cette énormi songe, auguste et tranquille. 6+6 a
1575 Morceau d'Olympe ; reste étrange d'une ville 6+6 a
De l'infini, qu'un être inconnu démembra ; 6+6 a
Cour des lions d'un vague et sinistre Alhambra ; 6+6 a
Gageure de Dédale et de Titan ; démence 6+6 a
Du compas ivre et roi dans la montagne immense ; 6+6 a
1580 Stupeur du voyageur qui suspend son chemin ; 6+6 a
Exagération du monument humain. 6+6 a
Jusqu'à la vision, jusqu'à l'apothéose ; 6+6 a
Monde qui n'est pas l'homme et qui n'est plus la chose ; 6+6 a
Entrée inexprimable et sombre du granit 6+6 a
1585 Dans le rêve, où la pierre en prodige finit 6+6 a
Problème ; précipice édifice ; sculpture 6+6 a
Du mystère ; œuvre d'art de la fauve nature ; 6+6 a
Construction que nie et que voit la raison, 6+6 a
Et qu'achève, au de du terrestre horizon ; 6+6 a
1590 Sur le mur de la nuit, la fresque de L'abîme ; 6+6 a
C'est Vignole à la base et l'éclair sur la cime. 6+6 a
C'est le spectre de tout ce que l'homme bâtit, 6+6 a
Terrible, raillant l'homme, et le faisant petit. 6+6 a
La grande pyramide ici serait la borne. 6+6 a
1595 Où le taureau courbé vient aiguiser sa corne, 6+6 a
Et tu demanderais : quel est donc ce caillou ? 6+6 a
Plante dans le pa du cirque d'Arle un clou, 6+6 a
Et ce clou jettera dans l'herbe qui se fane 6+6 a
La même ombre qu'ici la colonne trajane. 6+6 a
1600 Quel joueur gigantesque a laissé là ce dé ? 6+6 a
Un mont dort dans un angle, un autre est accou 6+6 a
Et la brume à son cou s'enfle et pend comme un goître. 6+6 a
Vois croître vers la cime et vers le bas décroître, 6+6 a
Écaillant de lichens leurs lourds granits vermeils, 6+6 a
1605 Ces grands cercles de bancs superposés, pareils 6+6 a
A des boas roulés l'un au-dessus de l'autre. 6+6 a
Avec on ne sait quelle attitude d'apôtre, 6+6 a
Un rocher rêve au seuil, et, le long des degrés, 6+6 a
D'autres blocs stupéfaits, voilés, désespérés, 6+6 a
1610 Semblent des Niobés, des Rachels, des Hécubes. 6+6 a
Vois ces pavés ; le moindre a dix mille pieds cubes. 6+6 a
La forme est simple, c'est le cirque ; mais le mur, 6+6 a
A force de grandeur et de vie, est obscur ; 6+6 a
Qu'est-ce que c'est qu'un mur vertical, rouillé, fruste, 6+6 a
1615 Où, comme un bas-relief, le glacier blanc s'incruste ? 6+6 a
Des albâtres, des gneiss, des porphyres caducs 6+6 a
Mêlent à ses créneaux des arches d'aqueducs, 6+6 a
Et là-bas la vapeur sous des frontons estompe 6+6 a
Des éléphants portant des blocs, baissant leur trompe ; 6+6 a
1620 Ces tours sont les piliers angulaires ; de quoi— ? 6+6 a
Du vide, de l'éther, du souffle, de l'effroi. 6+6 a
L'impossible est ici debout ; l'aigle seul brave 6+6 a
Cette incommensurable et farouche architrave. 6+6 a
Comme, lorsque la terre a tremblé, sont confus 6+6 a
1625 Dans l'herbe, les claveaux, les chapiteaux, les fûts, 6+6 a
Tout se mêle, l'art grec avec l'art syriaque. 6+6 a
Sous les portes croupit l'ombre hypocondriaque. 6+6 a
Vois : tours où l'on dirait que chante Beethoven, 6+6 a
Pylône, imposte, cippe, obélisque, peulven, 6+6 a
1630 Tout en foule apparaît ; soubassements, balustres 6+6 a
Où l'eau nacrée étale au jour ses vagues lustres ; 6+6 a
Crevasses où pourraient tenir des bataillons ; 6+6 a
Sur les parois des creux pareils à ces sillons 6+6 a
Qu'aux temps diluviens faisaient aux seuils des antres 6+6 a
1635 Et dans les grands roseaux des passages de ventres ; 6+6 a
Là, des courbes, des arcs, des dômes ; par endroits 6+6 a
Des murs carrés, des plans égaux, des angles droits ; 6+6 a
Partout la symétrie inconcevable et sûre ; 6+6 a
Des gradins dont on semble avoir pris la mesure 6+6 a
1640 Aux angles des genoux des archanges assis ! 6+6 a
Des pinacles géants portent des oasis ; 6+6 a
Ordre et gouffre ; les pins semblent sous les arcades 6+6 a
L'herbe ; et les arcs-en-ciel s'envolent des cascades. 6+6 a
Tout est cyclopéen, vaste, stupéfiant ; 6+6 a
1645 Le bord fait reculer le chamois défiant ; 6+6 a
L'édifice, étageant ses marches que l'œil compte ; 6+6 a
Blanchit de plus en plus à mesure qu'il monte, 6+6 a
Et, de tous les reflets de l'heure s'empourprant, 6+6 a
Passe du roc calcaire au marbre pur, et prend, 6+6 a
1650 Comme pour consacrer sa forme solennelle, 6+6 a
Sa dernière corniche à la neige éternelle 6+6 a
Combien a-t-il de haut ? demande au ciel profond, 6+6 a
Au vent, à l'avalanche, aux vols d'oiseaux qui vont, 6+6 a
Aux douze chutes d'eau que l'ombre entend se plaindre 6+6 a
1655 Dans cet épouvantable et tournoyant cylindre, 6+6 a
Aux gaves, épuisés, d'écume et de combats, 6+6 a
Qui s'écroulent ; torrent en haut, fumée en bas ! 6+6 a
Piranèse effaré, maçon d'apocalypses, 6+6 a
Seul comprendrait ce nœud d'angles, d'orbes, d'ellipses ; 6+6 a
1660 Pourtant l'œil peut encore en mesurer, le jour, 6+6 a
La forme inexprimable et l'effrayant contour, 6+6 a
Mais sitôt qu'effaçant le bord, le fond, le centre, 6+6 a
Le soir dans l'édifice ainsi qu'un brouillard entre, 6+6 a
La forme disparaît ; c'est sous le firmament. 6+6 a
1665 Une espèce d'étrange et morne entassement 6+6 a
De brèches, dé frontons, de cavernes, de porches 6+6 a
Où les astres :hagards tremblent comme des torches, 6+6 a
Et, dans on ne sait quel cintre démesuré, 6+6 a
De l'étoilé qui flotte avec de l'azuré. 6+6 a
1670 Entre encor plus avant dans la chose géante : 6+6 a
Ce cirque, ce bassin, embouchure béante, 6+6 a
Imprime un mouvement de roue à l'aquilon, 6+6 a
Et fait de tout le vent qui passe un tourbillon ; 6+6 a
La bise habite :là, traître et battant de l'aile, 6+6 a
1675 Et la trombe y tournoie en spirale éternelle. 6+6 a
Embûche formidable à prendre l'ouragan ! 6+6 a
Le précipice s'ouvre en gueule de volcan, 6+6 a
Et malheur au nuage errant qui se hasarde 6+6 a
A venir regarder par quelque âpre lézarde ! 6+6 a
1680 Sitôt qu'il y pénètre, il ne-peut-plus sortir ; 6+6 a
Il a beau reculer, trembler, se repentir, 6+6 a
Le tourbillon le tient : C'est fini. Le nuage 6+6 a
Lutte, bat le courant comme un homme qui nage ; 6+6 a
Il roule. Il est saisi ! Vois, entends-le gronder. 6+6 a
1685 Il fait de vains efforts, il cherche à s'évader ; 6+6 a
On dirait que le gouffre implacable le raille ; 6+6 a
Il monte, il redescend ; le long de la muraille, 6+6 a
Fauve, il quête une issue, un soupirail, un trou ; 6+6 a
Étreint par la rafale, égaré, fuyant, fou, 6+6 a
1690 Il vomit ses grêlons, crache sa pluie, et crible 6+6 a
D'aveugles coups d'éclair l'escarpement terrible ; 6+6 a
Et le vieux mont s'émeut, car les rocs convulsifs 6+6 a
Tremblent quand, s'accrochant aux pitons, aux récifs, 6+6 a
Du haut de l'azur calme où toujours elle rôde, 6+6 a
1695 Libre et sans souonner l'immensité de fraude, 6+6 a
A ce sombre entonnoir trébuchant brusquement, 6+6 a
Et de son épouvante et de son hurlement 6+6 a
ébranlant la paroi, les tours, la plate-forme, 6+6 a
La tempête, ce loup, tombe en ce piège énorme ! 6+6 a
1700 Voisinage effrayant pour les arbres, tordus 6+6 a
Par le vent ou roulés dans l'abîme, éperdus ! 6+6 a
Du brin d'herbe au rocher, du chêne à la broussaille, 6+6 a
Tout l'horizon autour du cirque noir tressaille, 6+6 a
Le gave a peur, le pic, par l'orage mouillé, 6+6 a
1705 A le frisson dans l'ombre, et le pâtre éveillé, 6+6 a
Pâle, écoute, et, parmi les sapins centenaires, 6+6 a
Entend rugir la nuit cette fosse aux tonnerres ! 6+6 a
Et ce cirque qui met, au lieu de loups et d'ours, 6+6 a
Les ouragans aux fers dans ses cabanons sourds, 6+6 a
1710 Ce large amphithéâtre au mur inaccessible, 6+6 a
Cet édifice fou, redoutable, impossible, 6+6 a
Fait a l'esprit, et même au delà des titans, 6+6 a
Rêver de tels combats et de tels combattants 6+6 a
Qu'on le croirait bâti, qui sait ? pour la mêlée 6+6 a
1715 Des hydres que d'en bas la terre humble et troublée 6+6 a
Entrevoit dans l'horreur du taillis sidéral ; 6+6 a
Qu'il semble en ce champ clos étrange et sépulcral, 6+6 a
Que, sous cette splendide et sublime falaise, 6+6 a
Les constellations pourraient se tordre à l'aise ; 6+6 a
1720 Et que, dans cette arène inouïe, on a peur 6+6 a
Parfois d'y voir descendre à travers la vapeur, 6+6 a
Pour s'entre-dévorer, les bêtes des étoiles ; 6+6 a
Et d'entendre lutter, là, sous de sombres voiles, 6+6 a
Et hurler et rugir le taureau, monstre ailé, 6+6 a
1725 L'effrayant capricorne aux nuages mêlé, 6+6 a
Le lion flamboyant, tout semé d'yeux funèbres, 6+6 a
Bâillant de la lumière et mâchant des ténèbres, 6+6 a
Le scorpion tenant dans ses pattes le soir, 6+6 a
Et, se ruant sur tous, le sagittaire noir, 6+6 a
1730 Ce chasseur au carquois rempli de météores, 6+6 a
Dont par moments on voit, ainsi que des aurores 6+6 a
Qui passent et s'en vont et qu'un sillon d'or suit, 6+6 a
Les flèches d'astres luire et tomber dans la nuit ! 6+6 a
Immensité ! l'esprit frissonne. Quel Vitruve 6+6 a
1735 A bâti ce vertige et creusé cette cuve ? 6+6 a
Quel Scopas, quel Sostrate ou quel Eutinopus 6+6 a
A construit cet attique avec des monts rompus ? 6+6 a
Quel Phidias du ciel a fait à sa stature 6+6 a
L'âpre séréni de cette architecture ? 6+6 a
1740 Qui forgea les crampons ? qui broya les ciments ? 6+6 a
O nature, qui donc à ces escarpements 6+6 a
A lié les torrents, ces chevaux dont les queues 6+6 a
Pendent en crins d'argent dans les cascades bleues ? 6+6 a
Du haut de quel zénith tomba le fil à plomb ? 6+6 a
1745 Qui mesura, toisa ; régla ; tailla ? le long 6+6 a
De quel mur idéal a-t-on tracé l'épure ? 6+6 a
De quelle région de la vision pure 6+6 a
Est sorti le rêveur de ce rêve inouï ? 6+6 a
Quel cyclope savant de l'âge évanoui, 6+6 a
1750 Quel être monstrueux, plus grand que les idées ; 6+6 a
A pris un compas haut de cent mille coudées, 6+6 a
Et, le tournant d'un doigt prodigieux et sûr, 6+6 a
A tracé ce grand cercle au niveau de l'azur, 6+6 a
Rondeur sinistre ayant le gouffre pour fenêtre, 6+6 a
1755 Puits qui, lorsque le soir le noircit, pourrait être 6+6 a
La coupe d'ombre énorme où vient boire la-nuit ? 6+6 a
Aux temps où, rien n'étant complètement construit, 6+6 a
Du chaos encor proche on sentait le mélange, 6+6 a
Quand la montagne était encore un tas de-fange ; 6+6 a
1760 Quelque étrange géant, fils de Cham ou de Bel, 6+6 a
A-t-il pris brusquement et retourné Babel, 6+6 a
Et l'a-t-il appuyée à ce mont, comme on scelle. 6+6 a
Un cachet sur la cire ardente qui ruisselle, 6+6 a
De sorte que, léguant, dans le mont affaissé ; 6+6 a
1765 Sa forme renversée au trou qu'elle a laissé, 6+6 a
La tour s'est dans le roc imprimée en citerne, 6+6 a
Avec sa rampe où l'ombre après le jour alterne, 6+6 a
Et ses escaliers noirs et ses étages ronds ; 6+6 a
Et ses portails : s'ouvrant en bouches de clairons 6+6 a
1770 Si bien que maintenant l'œil voit ce moule horrible, 6+6 a
Et le creux dont Babel fut le relief terrible ! 6+6 a
L'auteur, je te l'ai dit ; c'est l'atome ; l'auteur, 6+6 a
C'est ce fil brun rayant l'azur sur la hauteur, 6+6 a
C'est un peu de brouillard d'où tombe un peu de pluie, 6+6 a
1775 C'est le grain de cristal qu'un souffle tiède essuie, 6+6 a
C'est, au jour ou dans l'ombre, au matin comme au soir, 6+6 a
La molécule d'eau qui coule du ciel noir, 6+6 a
C'est la larme échappée aux cils de la nuée ; 6+6 a
C'est ce qui tremble au bout de l'herbe remuée, 6+6 a
1780 Ce qui n'a pas de nom, ce qui ressemble aux pleurs ; 6+6 a
C'est ce que la lumière, en traversant, les fleurs, 6+6 a
Prend et roule en son vol sans en être chargée, 6+6 a
Ce qu'un petit oiseau boit dans une gorgée ! 6+6 a
Oui ; ce cirque et ses tours, édifice sacré 6+6 a
1785 Où le drapeau d'azur du gouffre est arboré, 6+6 a
Ce théâtre où le vent combat la trombe enfuie, 6+6 a
Voilà ce qu'a construit un atome de pluie. 6+6 a
Quel besoin as-tu donc d'un Vishnou, d'un Allah, 6+6 a
D'un Bouddha, d'un Ammon cornu, pour tout cela ? 6+6 a
1790 Pourquoi sortir du cercle où le réel t'enferme ? 6+6 a
A quoi bon détrôner l'élément et le germe ? 6+6 a
Pourquoi donc à la chose ôter sa mission ? 6+6 a
Pourquoi forcer l'atome a l'abdication ? 6+6 a
Pourquoi destituer, homme, le grain de sable ? 6+6 a
1795 Quelqu'un qui dise moi t'est-il indispensable ? 6+6 a
Tu mets en haut de tout un pronom personnel ! 6+6 a
Quelle rage as-tu donc d'un faiseur éternel ? 6+6 a
Ne peux-tu faire un pas sans un Très-Haut quelconque ? 6+6 a
L'océan se va-t-il ruer hors de sa conque, 6+6 a
1800 Tout mordre et tout ronger si ton Zéus n'est là 6+6 a
Pour le saisir aux crins et mettre le holà ? 6+6 a
Tout n'est-il qu'une grotte à loger ce druide ? 6+6 a
Crois-tu que le solide étreindra le fluide, 6+6 a
Que la mer manquera d'onde et de gonflement, 6+6 a
1805 Que le soleil fuira, s'éteignant et fumant, 6+6 a
Que le germe oubliera le secret de la vie, 6+6 a
Que la terre prendra la route qui dévie, 6+6 a
Ou que la lune va perdre un de ses quartiers, 6+6 a
Si tu n'as dans un coin, pilant dans les mortiers, 6+6 a
1810 Forgeant, créant, sculptant les os, broyant les poudres, 6+6 a
Un fantôme forgé d'étoiles et de foudres ? 6+6 a
Dis, sans cet arrangeur, vivant, perpétuel, 6+6 a
Soulignant ce qu'il faut changer au rituel, 6+6 a
Dont tu doutes, songeur, pendant que tu l'implores, 6+6 a
1815 Les lys pâliront-ils sur les robes des flores, 6+6 a
Les violettes, dis, perdront-elles la clé 6+6 a
De la boîte aux parfums dans l'herbe et dans le blé ? 6+6 a
Entre l'ombre passée et la flamme future, 6+6 a
Dis, l'homme sera-t-il, en sa sombre aventure, 6+6 a
1820 Englouti par hier ou détruit par demain, 6+6 a
Si tu n'as, pour sauver le triste germe humain, 6+6 a
Quelque Janus bifront, faisant face aux deux hydres ? 6+6 a
La minute va donc figer dans les clepsydres, 6+6 a
Le temps, cet ouvrier mystérieux qui court, 6+6 a
1825 Au cabestan du ciel va donc s'arrêter court, 6+6 a
La lumière, l'aimant, la sève, l'atmosphère, 6+6 a
Vont se déconcerter et ne savoir que faire, 6+6 a
Tout le mouvement va s'interrompre transi 6+6 a
Si ton Brahma ne vient leur crier par ici ! 6+6 a
1830 Avril a-t-il besoin d'un mot d'ordre ? Un tonnerre 6+6 a
Est-il un frissonnant et noir fonctionnaire 6+6 a
Attendant que quelqu'un lui fixe son emploi ? 6+6 a
Faut-il donc un veilleur toujours présent, sans quoi 6+6 a
Les astres manqueraient les heures des aurores ? 6+6 a
1835 Le monde est une tour pleine de bruits sonores ; 6+6 a
Faut-il un horloger derrière le cadran, 6+6 a
Réglant les poids dans l'ombre et tant de fois par an, 6+6 a
Mettant de l'ordre au ciel, versant l'huile aux rouages 6+6 a
Des globes, des saisons, des vents et des nuages ; 6+6 a
1840 Disant : Vesper, Vénus, rentrez ! sors, Jupiter ! 6+6 a
Donnant à chaque sphère à son tour dans l'éther 6+6 a
Ou la note qui chante, ou la note qui prie, 6+6 a
Et remontant la vaste et sombre sonnerie ? 6+6 a
Prends-tu pour des pantins et pour des jacquemards 6+6 a
1845 Orion, Sirius, Vesta, Saturne et Mars ? 6+6 a
Et la création est-elle une fontaine 6+6 a
A mécanique ainsi que la Samaritaine ? 6+6 a
As-tu donc peur de voir le monde aller tout seul ? 6+6 a
Faut-il que la forêt dise : — Père, un tilleul ! 6+6 a
1850 Un chêne ! des sapins ! donnez-moi de la mousse 6+6 a
Pour que le bruit du vent dans mes antres s'émousse ! 6+6 a
Quoi ! cet échange vaste et saint d'attraction, 6+6 a
Ce flux et ce reflux de la création 6+6 a
Qui jette dehors l'être et sans fin le résorbe, 6+6 a
1855 L'univers, ne peut-il rouler, cercle, flamme, orbe, 6+6 a
Sans que ta terreur crie : il nous fait des étais ! 6+6 a
Sans que l'homme, appelant à l'aide Teutatès, 6+6 a
Irmensul, Bhagavan, Chronos, Théos, échine 6+6 a
Un travailleur divin à tourner la machine ? 6+6 a
1860 Fais ce rêve, homme ! et marche où L'erreur te conduit. 6+6 a
Quant à moi ; qui suis l'ombre et qui vais dans la nuit, 6+6 a
Je n'accepterais pas, pour faire des prodiges, 6+6 a
Pour creuser un puits sombre et l'emplir de vertiges, 6+6 a
Pour soulever un monde, effroyable fardeau, 6+6 a
1865 L'échange de ton Dieu contre ma goutte d'eau. 6+6 a
— Oui, mais la goutte d'eau, criai-je, qui l'a faite ? 6+6
........................................................................
[XIII]
UNE AUTRE VOIX
Swedenborg prit un jour la coupe de Platon, 6+6
Et, pensif, s'en alla boire à l'azur terrible. 6+6 a
1870 Il entra sous le porche obscur de l'invisible 6+6 a
Et disparut. Où donc alla-t-il ? Qui le sait ? 6+6 a
Peut-être aux lieux sacrés où Socrate pensait, 6+6 a
Où, dans l'ombre, effleu de l'urne des Homères, 6+6 a
Le vin de l'idéal sort du puits des chimères. 6+6 a
1875 Peut-être égara-t-il ses pas plus haut encor ; 6+6 a
Jusqu'au gouffre inconnu, jusqu'aux pléiades d'or, 6+6 a
Jusqu'au ruissellement des fontaines d'aurore, 6+6 a
Jusqu'à l'ombre où l'on voit l'inexprimable éclore ; 6+6 a
La sont les cuves : sève, esprit, immensité ; 6+6 a
1880 Là vit, abonde et croît la vigne de clarté 6+6 a
Où l'on ne trouve pas un seul astre qui dorme, 6+6 a
Où les créations font leur vendange énorme ; 6+6 a
Où la grappe de vie à flots ruisselle, ayant 6+6 a
La pierre du tombeau pour pressoir effrayant ; 6+6 a
1885 Là sont les infinis, la cause, le principe, 6+6 a
L'être qui s'évapore en mondes, se dissipe 6+6 a
En astres, et s'épanche en ciel démesuré : 6+6 a
Il revint éperdu, chancelant, effaré, 6+6 a
Ployant sous la lueur farouche des étoiles ; 6+6 a
1890 Voyant l'homme à travers des épaisseurs de voiles 6+6 a
Et de tremblants rideaux de lumière où, sans fin 6+6 a
Multipliés ; flottaient l'ange et le séraphin ; 6+6 a
Ayant dans son cerveau l'ombre et tous ses délires, 6+6 a
De ses doigts écartés cherchant de vagues lyres, 6+6 a
1895 Nu, bégayant l'abîme et balbutiant Dieu ; 6+6 a
Rapportant cette joie étrange du ciel bleu 6+6 a
Qui fait peur à la vie et trouble les fils d'Ève, 6+6 a
Et laissant voir, ainsi que le monde du rêve, 6+6 a
Dans de blêmes rayons tombés on ne sait d'où, 6+6 a
1900 Un paradis sinistre au fond de son œil fou. 6+6 a
La raison l'attendait, grave, et lui dit : Ivrogne ! 6+6 a
Esprit, fais ton sillon, homme, fais ta besogne. 6+6 a
Ne va pas au delà. Cherche Dieu. Mais tiens-toi, 6+6 a
Pour le voir, dans l'amour et non pas dans l'effroi. 6+6 a
L'OCÉAN D'EN HAUT
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
I
1905 Et je vis au-dessus de ma tête un point noir. 6+6 a
Et ce point noir semblait une mouche du soir 6+6 a
Volant à l'heure où, l'ombre à prier nous invite. 6+6 a
Et, l'homme, quand il pense, étant ailé, j'eus vite, 6+6 a
Franchi l'éther, qui s'ouvre à l'essor des esprits 6+6 a
1910 Et cette mouche était une chauve-souris. 6+6 a
Et ce lugubre oiseau volait seul dans l'espace 6+6 a
Et disait : — C'est énorme et hideux. Ce qui passe 6+6 a
Devant mes yeux me fait trembler. C'est effrayant. 6+6 a
Quand donc serai-je hors de l'ombre ? Et, me voyant, 6+6 a
Il cria :
1915 Que veux-tu de moi, passant rapide ? 6+6 a
Je regarde, éperdu, la matière stupide. 6+6 a
Homme, écoute : je suis l'oiseau noir que trouva 6+6 a
Démogorgon en Grece et dans l'Inde Shiva 6+6 a
Je contemple l'horreur de la sombre nature. 6+6 a
1920 Homme, quel est le sens de l'affreuse aventure 6+6 a
Qu'on appelle univers ? Je le cherche et j'ai peur. 6+6 a
J'interroge ce bloc qui n'est qu'une vapeur ; 6+6 a
J'observe l'infini monstrueux, et je scrute 6+6 a
La taupe et le soleil, l'homme, l'arbre et la brute. 6+6 a
1925 Je suis triste. O passant, comprends-tu ce mot : Rien ! 6+6 a
Ce qu'on nomme le mal est peut-être le bien. 6+6 a
Quand un gouffre se comble, un autre puits se creuse. 6+6 a
Tourment, volupté, rire et clameur douloureuse, 6+6 a
Flux et reflux, le juste et l'injuste, le bon, 6+6 a
1930 Le mauvais, blanc et noir, diamant et charbon, 6+6 a
Vrai, faux, pourpre et haillon, le carcan, l'auréole, 6+6 a
Jour et nuit, vie et mort, oui, non ; navette folle 6+6 a
Que pousse le hasard, tisserand de la nuit ! 6+6 a
Connaît-on ce qui sert, et sait-on ce qui nuit ? 6+6 a
1935 Tout germe est un fléau, tout choc est un désastre ; 6+6 a
La comète, brûlot des mondes, détruit l'astre ; 6+6 a
Le même être est victime et bourreau tour à tour, 6+6 a
Et pour le moucheron l'hirondelle est vautour. 6+6 a
Les cailloux sont broyés par la bête de somme, 6+6 a
1940 L'âne paît le chardon, l'homme dévore l'homme, 6+6 a
L'agneau broute la fleur, le loup broute l'agneau, 6+6 a
Sombre chaîne éternelle où l'anneau mord l'anneau ! 6+6 a
Et ce qu'on voit n'est rien ; les fils tuant les pères, 6+6 a
Les requins, les Nérons, les Séjans, les vipères, 6+6 a
1945 Cela n'est que peu d'ombre et que peu de terreur ; 6+6 a
L'infiniment petit contient la grande horreur ; 6+6 a
L'atome est un bandit qui dévore l'atome ; 6+6 a
L'araignée a sa toile et le ver son royaume ; 6+6 a
Les fourmilières sont des Babels ; l'animal 6+6 a
1950 En se rapetissant se rapproche du mal ; 6+6 a
Plus la force décroît, plus la bête est difforme ; 6+6 a
Et, quand il les regarde avec son œil énorme, 6+6 a
Homme, les gouttes d'eau font peur à l'océan ; 6+6 a
La rosée en sa perle a Typhon et Satan ; 6+6 a
1955 Ils s'y tordent tous deux à jamais ; l'éphémère 6+6 a
Est Moloch ; l'infusoire, effroyable chimère, 6+6 a
Grince, et si le géant pouvait voir l'embryon, 6+6 a
Le béhémoth fuirait devant le vibrion. 6+6 a
Le Moindre grain de sable est un globe qui roule 6+6 a
1960 Trnant comme la terre une lugubre foule 6+6 a
Qui s'abhorre et s'acharne et s'exècre, et sans fin 6+6 a
Se dévore ; la haine est au fond de la faim. 6+6 a
La sphère impereptible à la grande est pareille ; 6+6 a
Et le songeur entend, quand, il penche l'oreille, 6+6 a
1965 Une rage tigresse et des cris léonins 6+6 a
Rugir profondément dans ces univers nains. 6+6 a
Toute gueule est un gouffre, et qui mange assassine. 6+6 a
L'animal a sa griffe et l'arbre a sa racine ; 6+6 a
Et la racine affreuse et pareille aux serpents 6+6 a
1970 Fait dans l'obscuri de sombres guet-apens ; 6+6 a
Tout se tient et s'embrasse et s'étreint pour se mordre ; 6+6 a
Un crime universel et monstrueux est l'ordre ; 6+6 a
Tout être boit un sang immense, ruisselant 6+6 a
De la création comme d'un vaste flanc. 6+6 a
1975 On lutte, on frappe, on blesse, on saigne, on souffre, on pleure. 6+6 a
Tout ce que vous voyez est larve ; tout vous leurre, 6+6 a
Et tout rapidement fond dans l'ombre ; car tout 6+6 a
Tremble dans le mystère immense et se dissout ; 6+6 a
La nuit reprend le spectre ainsi que l'eau la neige. 6+6 a
1980 La voix s'éteint avant d'avoir crié : Que sais-je ? 6+6 a
Le printemps, le soleil, les bêtes en chaleur, 6+6 a
Sont une chimérique et monstrueuse fleur ; 6+6 a
A travers son sommeil ce monde effaré souffre ; 6+6 a
Avril n'est que le rêve érotique du gouffre ; 6+6 a
1985 Une pollution nocturne de ruisseaux, 6+6 a
De rameaux, de parfums, d'aube et de chants d'oiseaux. 6+6 a
L'horreur seule survit, par tout continuée. 6+6 a
Et par moments un vent qui sort de la nuée 6+6 a
Dessine des contours, des rayons et des yeux 6+6 a
1990 Dans ce noir tourbillon d'atomes furieux. 6+6 a
O toi qui vas ! l'esprit, le vent, la feuille morte, 6+6 a
Le silence, le bruit, cette aile qui t'emporte, 6+6 a
Le jour que tu crois voir par moments, ce qui luit, 6+6 a
Ce qui tremble, le ciel, l'être, tout est la nuit ! 6+6 a
1995 Et la création tout entière, avec l'homme, 6+6 a
Avec ce que l'œil voit et ce que la voix nomme, 6+6 a
Ses mondes, ses soleils, ses courants inouïs, 6+6 a
Ses météores fous qui volent éblouis, 6+6 a
Avec ses globes d'or pareils à de grands dômes, 6+6 a
2000 Avec son éternel passage de fantômes, 6+6 a
Le flot, l'essaim, l'oiseau, le lys qu'on croit béni, 6+6 a
N'est qu'un vomissement d'ombre dans l'infini ! 6+6 a
La nuit produit, le mal, le mal produit le pire. 6+6 a
Écoute maintenant ce que je vais te dire : 6+6 a
2005 L'oiseau noir s'arrêta, d'épouvante troublé, 6+6 a
Puis, sombre et frémissant, reprit :
Je suis allé 6+6 a
Jusqu'au fond de cette ombre, et je n'ai vu personne. 6+6 a
Je tressaillis. L'oiseau poursuivit :
J'en frissonne 6+6 a
À jamais, dans ce gouffre où j'erre plein d'effroi ! 6+6 a
2010 Dans cette Obscuri personne ne dit : moi ! 6+6 a
Noire ébauche de rien que personne n'achève ! 6+6 a
L'univers est un monstre et le ciel est un rêve ; 6+6 a
Ni volonté, ni loi, ni pôles, ni milieu ; 6+6 a
Un chaos compo de néants ; pas de Dieu. 6+6 a
2015 Dieu, pourquoi ? L'idéal est absent. Dans ce monde, 6+6 a
La naissance est obscène et l'amour est immonde. 6+6 a
D'ailleurs, est-ce qu'on naît ? est-ce qu'on vit ? quel est 6+6 a
Le vivant, le réel, le certain, le complet ? 6+6 a
Les penseurs, dont la nuit je bats les fronts moroses, 6+6 a
2020 Questionnent en vain la surdité des choses ; 6+6 a
L'eau coule, l'arbre croît, l'âne brait, l'oiseau pond, 6+6 a
Le loup hurle, le ver mange ; rien ne répond. 6+6 a
La profondeur sans but, triste, idiote et blême ; 6+6 a
Quelque chose d'affreux qui s'ignore soi-même ; 6+6 a
2025 C'est tout : sous mon linceul voilà ce que je sais. 6+6 a
Et l'infini m'écrase, et j'ai beau dire : assez ! 6+6 a
C'est horrible. Toujours cette vision morne ! 6+6 a
Jamais le fond, jamais la fin, jamais la borne ! 6+6 a
Donc je te le redis, puisque tu passes là : 6+6 a
2030 J'entends crier en bas, Jéhovah, Christ, Allah ! 6+6 a
Tout n'est qu'un sombre amas d'apparitions folles ; 6+6 a
Rien n'existe ; et comment exprimer en paroles 6+6 a
La stupéfaction immense de la nuit ? 6+6 a
L'invisible s'efface et l'impalpable fuit ; 6+6 a
2035 L'ombre dort ; les, fœtus se mêlent aux décombres ; 6+6 a
Les formes, aspects vains, se perdent dans les nombres ; 6+6 a
Rien n'a de sens ; et tout, l'objet, l'espoir, l'effort, 6+6 a
Tout est insensé, vide et faux, même la mort ; 6+6 a
L'infini sombre au fond du tombeau déraisonne ; 6+6 a
2040 La bière est un grelot où le cadavre sonne ; 6+6 a
Si quelque chose vit, ce n'est pas encor né. 6+6 a
Muet, quoique béant, sourd, lugubre, étonné, 6+6 a
Les ténèbres en lui, hors de lui les ténèbres, 6+6 a
Sans qu'un rayon, éclos dans ces brumes funèbres, 6+6 a
2045 Vienne jamais blanchir l'horizon infini, 6+6 a
Pas même criminel, et pas même puni, 6+6 a
Le monde erre au hasard dans la nuit éternelle, 6+6 a
Et, n'ayant pas d'aurore, il n'a pas de prunelle. 6+6 a
Le monde est à tâtons dans son propre néant. 6+6 a
2050 La nuit triste emplissait le ciel comme un géant ; 6+6 a
Et la chauve-souris rentra dans l'ombre horrible ; 6+6 a
Et j'entendis l'oiseau, disparu, mais terrible, 6+6 a
Qui criait : — Dieu n'est pas ! Dieu n'est pas ! désespoir ! 6+6 a
II
Et je vis au-dessus de ma tête un point noir ; 6+6 a
2055 Et ce point noir semblait une mouche dans l'ombre. 6+6 a
Et rien n'avait de borne et rien n'avait de nombre ; 6+6 a
Et tout se confondait avec tout ; l'aquilon 6+6 a
Et la nuit ne faisaient qu'un même tourbillon. 6+6 a
Quelques ; formes sans nom, larves exténuées, 6+6 a
2060 Ou souffles noirs, passaient dans les sourdes nuées ; 6+6 a
Et tout le reste était immobile et voilé. 6+6 a
Alors, montant, montant, montant, je m'envolai 6+6 a
Vers ce point qui semblait reculer dans la brume ; 6+6 a
Car c'est la loi de l'être en qui l'esprit s'allume 6+6 a
2065 D'aller vers ce qui fuit et vers ce qui se tait. 6+6 a
Or ce que j'avais pris pour une mouche était 6+6 a
Un hibou, triste, froid, morne, et de sa prunelle 6+6 a
Il tombait moins de jour que de nuit de son aile. 6+6 a
Et ce hibou parlait devant lui, sans rien voir, 6+6 a
2070 Comme s'il se savait écouté dans le noir. 6+6 a
Inquiet, palpitant, il regardait, avide, 6+6 a
Le fond muet de l'ombre inexprimable et vide, 6+6 a
Et, l'œil fixe, attentif, sans louer, sans huer, 6+6 a
Disait :
— Quelqu'un est là. J'ai senti remuer. — 6+6 a
2075 Puis il reprit, parlant à la nuée épaisse : 6+6 a
— Quelqu'un est là. Mais qui ?Doute ! angoisse ! énigme ! Est-ce 6+6 a
Le Juste ou l'Inégal, le Bon ou le Méchant ? 6+6 a
Son nom est-il un cri ? son nom est-il un chant ? 6+6 a
Est-ce un père qui doit plus tard, chassant la crainte, 6+6 a
2080 Resplendir, éclaireur du profond labyrinthe ? 6+6 a
Est-ce un hermaphrodite, homme et femme, ange et nuit, 6+6 a
Vers qui tout monte et vole et devant qui tout fuit ? 6+6 a
Est-ce un capricieux qui réprouve ou préfère ? 6+6 a
Est-ce un contemplateur calme qui laisse faire ? 6+6 a
2085 Est-ce un hideux semeur de vrai, de faux, subtil 6+6 a
Et fort, puissant et traître ? Il est là ; mais qu'est-il ? 6+6 a
Alors je m'approchai de cette silhouette, 6+6 a
Et je lui demandai : que fais-tu là, chouette ? 6+6 a
Et le noir chat huant me dit : Je guette Dieu. 6+6 a
2090 Je suis la larve affreuse aspirant au ciel bleu ; 6+6 a
Je suis l'œil flamboyant des ténèbres ; j'épie 6+6 a
La grande forme obscure en l'abîme accroupie. 6+6 a
Moi, je ne la vois pas ; mais je crois qu'elle est là. 6+6 a
Un jour dans l'étendue une voix m'appela. 6+6 a
2095 — Hibou ! me dit Hermès j'étouffais dans le vide ; 6+6 a
Mais Hermès ægyptus, le grand songeur livide, 6+6 a
M'a pris, tout en rêvant son sacré Pœmander, 6+6 a
Et c'est lui qui m'a fait respirer un peu d'air. 6+6 a
Je suis-esprit par l'aile et démon par la griffe. 6+6 a
2100 Dans un long papyrus ; informe hiéroglyphe, 6+6 a
Lourd manuscrit de brume humaine submergé, 6+6 a
Hermès avait écrit ce qu'il avait songé. 6+6 a
Un soir Hermès, à l'heure où l'on sent l'être vivre, 6+6 a
Vit passer l'Inconnu qui lisait dans un livre ; 6+6 a
2105 Et l'Ombre s'approcha du blanc magicien, 6+6 a
Prit le livre d'Hermès et lui laissa le sien. 6+6 a
C'est ce livre que l'Inde épèle, et qu'en sa crypte 6+6 a
La bête Sphynx traduit tout bas au monstre Égypte, 6+6 a
Car il est défendu de parler haut ; on sent, 6+6 a
2110 Au silence du monde effrayé ; Dieu présent. 6+6 a
Dieu ! J'ai dit Dieu. Pourquoi ? Qui le voit ? Qui le prouve ? 6+6 a
C'est le vivant qu'on cherche et le cercueil qu'on trouve. 6+6 a
Qui donc peut adorer ? qui donc peut affirmer ? 6+6 a
Dès qu'on croit ouvrir l'être, on le sent se fermer. 6+6 a
2115 Dieu ! cri sans but peut-être, et nom vide et terrible ! 6+6 a
Souhait que fait l'esprit devant l'inaccessible ! 6+6 a
Invocation vaine aventurée au fond 6+6 a
Du précipice aveugle où nos songes s'en vont ! 6+6 a
Mot qui te porte, ô monde, et sur lequel tu vogues ! 6+6 a
2120 Nom mis en question dans les lourds dialogues 6+6 a
Du spectre avec le rêve, ô nuit, et des douleurs 6+6 a
Avec l'homme, et de l'astre avec les sombres fleurs 6+6 a
Qu'éveillent sur l'étang les froids rayons lunaires ! 6+6 a
Sujet de la querelle énorme des tonnerres ! 6+6 a
2125 Solution que va nuit et jour poursuivant 6+6 a
La polémique obscure et confuse du vent ! 6+6 a
Dieu ! conception folle ou sublime mystère ! 6+6 a
Notion que nul — crâne, au ciel ou sur la — terre, 6+6 a
Fût-il surnaturel, ne saurait contenir ! 6+6 a
2130 Quel que soit le passé, quel que soit l'avenir, 6+6 a
Nul ne la saisira, nul ne l'a possédée ; 6+6 a
Et, dans l'urne où l'on veut mettre une telle idée, 6+6 a
On sent de toutes parts des fuites d'infini. 6+6 a
Le ciel à force d'ombre était comme aplani. 6+6 a
2135 Et l'oiseau, dont l'œil rond jette un reflet de soufre, 6+6 a
Me dit :
Viens, je vais tout t'apprendre. Il est un gouffre. 6+6 a
Comme s'il eût tout dit dans ce mot, le hibou 6+6 a
S'arrêta ; puis reprit :
Quand ? pourquoi ? comment ? où ? 6+6 a
Tout se tait, tout est clos, tout est sourd ; tout recule. 6+6 a
2140 Tout vit dans l'insondable et fatal crépuscule. 6+6 a
L'être mortel médite et songe avec effroi 6+6 a
En attendant qu'un jour quelqu'un dise : c'est moi. 6+6 a
La taciturni de l'ombre est formidable. 6+6 a
Il semble qu'au de du nimbe inabordable, 6+6 a
2145 Une sorte de front vaste et mystérieux 6+6 a
Se meuve vaguement au plus obscur des cieux ; 6+6 a
Et Dieu, s'il est un Dieu, fit à sa ressemblance 6+6 a
L'universelle nuit et l'éternel silence. 6+6 a
Moi, j'attends. Qui va naître ? Est-ce l'aube, ou le soir ? 6+6 a
2150 Un de mes yeux est foi ; mais l'autre est désespoir. 6+6 a
J'examine et je plane. O brumes éternelles ! 6+6 a
La nuit rit du regard, l'infini rit des ailes. 6+6 a
Tout devant moi se perd, se mêle et se confond. 6+6 a
Je tâche de saisir, là-bas, dans le profond, 6+6 a
2155 Un moment de clarté, d'oubli, de transparence, 6+6 a
Ou d'entrevoir du moins le cadavre Espérance, 6+6 a
Afin de pouvoir dire au monde épouvanté : 6+6 a
C'est un tombeau ! Le fond, le fait, la vérité, 6+6 a
Le réel, quel qu'il soit, vide ou source féconde, 6+6 a
2160 Voilà ce qu'il me faut, voilà ce que je sonde. 6+6 a
Je suis le regardeur formidable du puits ; 6+6 a
Je suis celui qui veut savoir pourquoi ; je suis. 6+6 a
L'œil que le tortu dans la torture entr'ouvre ; 6+6 a
Je suis, si par hasard dans le deuil qui le couvre, 6+6 a
2165 Ce monde est le jouet de quelque infâme esprit, 6+6 a
La curiosi de ceux dont on se rit ; 6+6 a
Devant l'âme de tout, hélas, peut-être absente, 6+6 a
Je suis l'Anxié lugubre et grandissante ; 6+6 a
Et je serais géant, si je n'étais hibou. 6+6 a
2170 L'abîme, c'est le monde, et le monde est mon trou. 6+6 a
Triste, je rêve au creux de l'univers ; et l'ombre 6+6 a
Agite sur mon front son grand branchage sombre. 6+6 a
Je regarde le vide et l'éther fixement, 6+6 a
Et l'ouragan, et l'air, et le sourd firmament, 6+6 a
2175 Et les contorsions sinistres des nuées. 6+6 a
Mes paupières se sont au gouffre habituées. 6+6 a
Toute l'obscuri du ciel vertigineux 6+6 a
Entre en mon crâne, et tient dans mon œil lumineux. 6+6 a
Je sens frémir sur moi le bord vague du cercle ; 6+6 a
2180 L'urne Peut-être ayant l'infini pour couvercle ! 6+6 a
J'ai pour spectacle, au fond de ces limbes hagards, 6+6 a
Pour but à mon esprit, pour but à mes regards, 6+6 a
Pour méditation, pour raison, pour démence, 6+6 a
Le cratère inouï de la noirceur immense ; 6+6 a
2185 Et je suis devenu, n'ayant ni jour ni bruit, 6+6 a
Une espèce de vase horrible de la nuit, 6+6 a
Qu'emplissent lentement la chimère, le rêve, 6+6 a
Les aspects ténébreux, la profondeur sans grève, 6+6 a
Et, sur le seuil du vide aux vagues entonnoirs, 6+6 a
2190 L'âpre frémissement des escarpements noirs. 6+6 a
Homme, il se fait parfois dans cette léthargie, 6+6 a
Dans cette épaisseur triste à jamais élargie, 6+6 a
Comme une déchirure au vent de l'infini. 6+6 a
Alors, moi, le veilleur solitaire et banni, 6+6 a
2195 Je tressaille ; un rayon sort de la plénitude, 6+6 a
Et la création, difforme multitude, 6+6 a
M'apparaît ; et j'entends des bruits, des pas, des voix 6+6 a
Et, dans une clarté de vision, je vois 6+6 a
Ce livide univers, vaste danse macabre, 6+6 a
2200 Où l'astre tourbillonne, où la vague se cabre, 6+6 a
Où tout s'enfuit ! Je vois les sépulcres, les nids, 6+6 a
Le hallier, la montagne, et les rudes granits, 6+6 a
Du vieux squelette monde informes ankyloses, 6+6 a
La plaine vague ouvrant ses pâles fleurs écloses, 6+6 a
2205 Les flots démesurés poussant de longs abois, 6+6 a
Et les gestes hideux des arbres dans les bois. 6+6 a
Et d'en bas il m'arrive une musique, obscure, 6+6 a
L'hymne qu'après Hermès entendit Épicure ; 6+6 a
Tout vibre, et tout devient instrument ; le désert 6+6 a
2210 Chante, et la forêt donne au farouche concert 6+6 a
Son branchage sonore et triste, et le navire 6+6 a
Son gréement, dont le vent fait une sombre lyre. 6+6 a
Tout se transforme et court dans le brouillard trompeur ; 6+6 a
Les morts et les vivants qui sont une vapeur, 6+6 a
2215 Se mêlent ; le volcan, crête et bouche enflammée, 6+6 a
Vomit un long siphon de cendre et de fumée ; 6+6 a
L'air se tord, sans qu'on sache où l'aquilon conduit 6+6 a
Les miasmes pervers et traîtres de la nuit ; 6+6 a
La marée, immuable et hurlante bascule, 6+6 a
2220 Balance l'océan dans l'affreux crépuscule ; 6+6 a
Et la création n'est qu'un noir tremblement. 6+6 a
On ne sait quelle vie émeut lugubrement 6+6 a
L'homme, l'esquif, le mât, l'onde, l'écueil, le havre ; 6+6 a
Et la lune répand sa lueur de cadavre. 6+6 a
2225 Je cherche, un soupirail. Quel sens peut donc avoir 6+6 a
Ce monde aveugle et sourd, cet édifice noir, 6+6 a
Cette création ténébreuse et cltrée, 6+6 a
Sans fenêtre, sans toit, sans porte, sans entrée, 6+6 a
Sans issue, ô terreur ! par moment des blancheurs 6+6 a
2230 Passent ; on aperçoit vaguement des chercheurs, 6+6 a
Sans savoir si ce sont réellement des êtres, 6+6 a
Et si tous ces sondeurs du gouffre, mages, prêtres, 6+6 a
Eux-mêmes ne sont pas de l'ombre à qui les vents 6+6 a
Donnent dans le brouillard des formes de vivants ; 6+6 a
2235 On voit les grands fronts blancs d'Égypte et de Chaldée ; 6+6 a
Et, comme les forçats immenses de l'idée, 6+6 a
On voit passer au loin les esprits hasardeux 6+6 a
Trnant la pesanteur des problèmes hideux, 6+6 a
Savants, prophètes, djinns, démons, devins, poètes ; 6+6 a
2240 Et l'abîme leur dit : qu'êtes-vous, si vous êtes ? 6+6 a
Quel est cet univers ? et quel en est l'aïeul ? 6+6 a
Ce qu'on prend pour un ciel est peut-être un linceul. 6+6 a
Qui peut dire où l'on vogue et qui sait où l'on erre ? 6+6 a
Oh ! l'eau terrible ayant des rumeurs de tonnerre ! 6+6 a
2245 Les sourds chuchotements du vent sous l'horizon ! 6+6 a
Entre le jour et nous quelle épaisse cloison ! 6+6 a
Ténèbres. Pourquoi tout parle-t-il à voix basse ? 6+6 a
Tout visage qui rit a, dans l'horrible espace, 6+6 a
Derrière lui pour ombre une tête de mort. 6+6 a
2250 Naître ! mourir ! On entre, entrez. — Sortez, on sort ! — 6+6 a
Et je songe à jamais ! à jamais mon œil sombre 6+6 a
Voit aller et venir l'onde énorme de l'ombre ! 6+6 a
A quoi bon ? et vous tous, à quoi bon ? vous vivez ; 6+6 a
Vivez-vous ? et d'ailleurs, pourquoi ? pensez, rêvez, 6+6 a
2255 Mourez ! heurtez vos fronts à la sourde clôture ! 6+6 a
Qu'est-ce que le destin ? qu'est-ce que la nature ? 6+6 a
N'est-ce qu'un même texte en deux langues traduit ? 6+6 a
N'est-ce qu'un rameau double ayant le même fruit ? 6+6 a
Le lierre qui verdit à travers le décombre, 6+6 a
2260 La mer par le couchant chauffée au rouge sombre, 6+6 a
Les nuages ayant les cimes pour récifs, 6+6 a
Les tourmentes volant en groupes convulsifs, 6+6 a
La foudre, les Etnas jetant des pierres ponces, 6+6 a
Les crimes s'envoyant les fléaux pour réponses, 6+6 a
2265 L'antre surnaturel, l'étang plein de typhus, 6+6 a
Les prodiges hurlant sous les chênes touffus, 6+6 a
La matière, chaos, profondeur où s'étale 6+6 a
L'air furieux, le feu féroce, l'eau brutale ; 6+6 a
La nuit, cette prison, ce noir cachot mouvant 6+6 a
2270 Où l'on entend la sombre évasion du vent, 6+6 a
Tout est morne. On a peur quand l'aube qui s'éveille 6+6 a
Fait une plaie au bas des cieux, rouge et vermeille ; 6+6 a
On a peur quand la bise épand son long frisson ; 6+6 a
On a peur quand on voit, vague, à fleur d'horizon, 6+6 a
2275 Montrant, dans l'étendue au crépuscule ouverte, 6+6 a
Son dos mystérieux d'or et de nacre verte, 6+6 a
Ramper le scarabée effroyable du soir. 6+6 a
On a peur quand minuit sur les monts vient s'asseoir. 6+6 a
Pourtant, dans cette masse informe et frémissante, 6+6 a
2280 Il semble par moments qu'on saisisse et qu'on sente 6+6 a
Comme un besoin d'hymen et de' paix émouvant, 6+6 a
Toutes ces profondeurs de nuée et de vent ; 6+6 a
Tout cherche à se parler et tout cherche à s'entendre ; 6+6 a
La terre, à l'océan jetant un regard tendre, 6+6 a
2285 Attire à son flanc vert ce sombre apprivoi 6+6 a
Mais l'eau quitte le bord après l'avoir baisé, 6+6 a
Et retombe, et s'enfonce, et redevient, tourmente ; 6+6 a
Il n'est rien qui n'hésite et qui ne se démente ; 6+6 a
Le bien prête son voile au mal qui vient s'offrir ; 6+6 a
2290 Hélas ! l'autre cô de savoir, C'est souffrir ; 6+6 a
Aube et soir, vie et deuil ont les mêmes racines ; 6+6 a
Le sort fait la recherche et l`angoisse voisines ; 6+6 a
D'où jaillit le regard on voit sortir le pleur ; 6+6 a
Et, si l'œil dit Lumière, il dit aussi Douleur. 6+6 a
2295 Tout est morne. Il n est pas d'objet qui ne paraisse 6+6 a
Faire dans l'infini des signes de détresse 6+6 a
Et pendant que, lugubre et vague, autour de lui, 6+6 a
Dans la blême fumée et dans le vaste `ennui, 6+6 a
— Le tourbillon des faits et des choses s'engouffre, 6+6 a
2300 Ce spectre de la vie appelé l'homme, souffre, 6+6 a
Ces deux tragiques voix, Nature, Humanité, 6+6 a
Se font écho, chacune en son extrémi 6+6 a
La tristesse de l'un sur-l'autre se replie ; 6+6 a
La pâle angoisse humaine a la mélancolie 6+6 a
2305 Du plaintif univers pour explication ; 6+6 a
Et les gémissements de là création 6+6 a
Sont pleins de la misère insondable de l'homme. 6+6 a
Pourtant vous n'êtes rien que des larves en somme ! 6+6 a
Vous marchez l'un sur l'autre ; obscurs, troubles, dormants, 6+6 a
2310 Fuyants, et tous vos pas sont des effacements. 6+6 a
Il ne reste de vous, s'il reste quelque chose, 6+6 a
Que l'embryon, peut-être effet, peut-être cause, 6+6 a
Que les rudiments sourds, muets, primordiaux. 6+6 a
L'être éternel est fait d'atomes idiots. 6+6 a
2315 Lui-même est-il ? voi le sinistre problème. 6+6 a
O semeur, montre-nous du moins la main qui sème ! 6+6 a
Hermès, mais qui peut voir ce qu'a vu l'œil d'Hermès ? 6+6 a
M'a dit qu'il avait vu, du haut des grands sommets, 6+6 a
Au delà du réel, au delà du possible, 6+6 a
2320 Une clarté, reflet du visage invisible ; 6+6 a
Elle éclairait la brume où nous nus abîmons ; 6+6 a
Tout le bloc frissonnant des êtres ; arbres, monts, 6+6 a
Ailes, regards, rameaux, était penché sur elle ; 6+6 a
Et, jetant des éclairs soudains, surnaturelle, 6+6 a
2325 Cette lueur sans fond, qu'on n'osait approcher, 6+6 a
Épouvantait parfois le chêne et le rocher 6+6 a
Même le plus terrible et le plus intrépide. 6+6 a
Comme c'est immobile, et comme c'est rapide ! 6+6 a
Comme cela s'échappe à de certains moments ! 6+6 a
2330 Comme l'abîme fait d'étranges mouvements ! 6+6 a
Oh ! j'ai beau vouloir fuir, et fuir, et fuir encore ! 6+6 a
La contemplation du gouffre me dévore. 6+6 a
Oui, je te l'ai dit, oui, sur la sombre hauteur, 6+6 a
Je vois le monde !
Aimants, fluides, pesanteur, 6+6 a
2335 Axes, pôles, chaleur, gaz, rayons, feu sublime, 6+6 a
Toutes les forces sont les chevaux de l'abîme ; 6+6 a
Chevaux prodigieux dont le pied toujours fuit, 6+6 a
Et qui tirent le monde à travers l'âpre nuit ; 6+6 a
Et jamais de sommeil à leur fauve prunelle, 6+6 a
2340 Et jamais d'écurie à leur course éternelle ! 6+6 a
Ils vont, ils vont, ils vont, fatals alérions, 6+6 a
Franchissant les zéniths et les septentrions ; 6+6 a
Trnant-tous les soleils dans toutes, les ténèbres, 6+6 a
L'homme sent la terreur lui glacer les vertèbres 6+6 a
2345 Quand d'en bas il entend leur pas mystérieux. 6+6 a
Il dit : — Comme l'orage est profond dans les cieux ! 6+6 a
Comme les vents d'ouest soufflent là-bas au large ! 6+6 a
Comme les bâtiments doivent jeter leur charge, 6+6 a
Et comme-l'océan doit être affreux a voir ! 6+6 a
2350 Comme il pleut cette nuit ! comme il tonne ce soir ! 6+6 a
O vivants, fils du temps, de l'espace et du nombre, 6+6 a
Ce sont les noirs chevaux du chariot de l'ombre. 6+6 a
Écoutez-les passer. L'ouragan tortueux, 6+6 a
La foudre, tout ce bruit difforme et monstrueux 6+6 a
2355 Des souffles dans les monts, des vagues sur la plage, 6+6 a
Sont les hennissements du farouche attelage. 6+6 a
Cette création est toujours en travail ; 6+6 a
L'astre refait son or, et l'aube son émail, 6+6 a
La nuit détruit le jour, l'onde détruit la digue, 6+6 a
2360 Incessamment, sans fin, sans repos, sans fatigue. 6+6 a
Sans cesse les noirceurs, les germes, les clartés, 6+6 a
Les croisements d'éclairs dans les immensités, 6+6 a
Les effluves, les feux, les métaux, les mercures, 6+6 a
Les déluges profonds, ablutions obscures, 6+6 a
2365 Font des enfantements dans la destruction ; 6+6 a
La matière est pensée et l'idée action ; 6+6 a
On naît, on se féconde, on vit, on meurt, sans trêve ; 6+6 a
Et parfois j'aperçois, même au delà du rêve, 6+6 a
Dans des fonds ou mes yeux n'étaient jamais venus, 6+6 a
2370 Des levers effrayants de mondes inconnus. 6+6 a
Oh ! pourquoi ces chaos, si tout vient d'un génie ? 6+6 a
Oh ! si c'est le néant, pourquoi cette harmonie ? 6+6 a
Est-il, Lui ? L'univers m'apparaît tour à tour 6+6 a
Convulsion, puis ordre ; obscurité, puis jour. 6+6 a
2375 S'Il est, pourquoi sent-on le froid de la couleuvre ? 6+6 a
S'Il est, d'où vient qu'un ver ronge toute son œuvre, 6+6 a
La mère dans l'enfant, la fleur dans son pistil ? 6+6 a
Et pourquoi souffre-t-on ? Et pourquoi permet-il 6+6 a
La Douleur, cette immense et sombre calomnie ? 6+6 a
2380 Qu'est-ce que fait le mal dans l'univers ? il nie. 6+6 a
Il dit : — vous rêvez Dieu quand c'est moi qui vous suis. 6+6 a
La preuve qu'il n'est pas, vivants, c'est que je suis. 6+6 a
Est-ce mauvais ou bon ? est-ce splendide ou triste ? 6+6 a
Tout cela suffit-il pour prouver qu'Il existe ? 6+6 a
2385 Et qu'il est quelque part un Auteur, un Voyant, 6+6 a
Un être épouvantable ou secourable, ayant 6+6 a
La distance du mal au bien pour envergure ? 6+6 a
Esprit fait monde avec l'abîme pour figure ! 6+6 a
Grand inconnu tenant la pensée en arrêt ! 6+6 a
2390 Mais qui nous dit que l'ombre est ce qu'elle paraît ? 6+6 a
Est-elle unité sombre ? est-elle foule horrible ? 6+6 a
Ne voit-on de clarté que par les trous d'un crible ? 6+6 a
Cela roule ; sur qui ? Cela tourne ; sur quoi ? 6+6 a
D'où vient-on ? où va-t-on ? Je ne sais rien. Et toi ? 6+6 a
2395 Et l'oiseau regarda de ses deux Yeux mon âme ; 6+6 a
Et je vis de la nuit tout au fond de leur flamme. 6+6 a
Et, comme je restais pensif, il poursuivit : 6+6 a
Ombre sur ce qui meurt ! ombre sur ce qui vit ! 6+6 a
J'ai lu ceci, qu'Hermès écrivit sur sa table : 6+6 a
2400 — « Pyrrhon d'Élée était un mage redoutable. 6+6 a
« L'abîme en le voyant se mettait à _hennir. 6+6 a
« Il vint un jour au ciel ; Dieu le laissa venir ; 6+6 a
« Il vit la vérité, Dieu la lui laissa prendre. 6+6 a
« Comme il redescendait — car il faut redescendre ; 6+6 a
2405 « L'Idéal met dehors les sages enivrés ; — 6+6 a
« Comme il redescendait de degrés en degrés, 6+6 a
« De parvis en parvis, de pilastre en, pilastre, 6+6 a
« De la terre aperçu, tenant dans sa main l'astre, 6+6 a
« Soudain, sombre, il tourna vers les grands cieux brûlants 6+6 a
2410 « Son poing terrible et plein de rayons aveuglants, 6+6 a
« Et laissant de ses doigts jaillir l'astre, le sage 6+6 a
« Dit : je te lâche, ô Dieu, ton étoile au visage ! 6+6 a
« Et la clarté plongea jusqu'au fond de la nuit ; 6+6 a
« On vit un instant Dieu, puis tout s'évanouit. » 6+6 a
2415 Hermès contait encore avoir vu dans un songe. 6+6 a
Un esprit qui lui dit : — Homme, un doute me ronge. 6+6 a
Je ne me souviens point d'avoir été créé. 6+6 a
J'étais, je flottais, seul, pensif, pas effrayé ; 6+6 a
Forme au vent agrandie, au vent diminuée, 6+6 a
2420 J'étais dans la nuée et j'étais la nuée ; 6+6 a
Je nageais dans le rêve et dans la profondeur. 6+6 a
Tout a coup l'univers naquit ; cette rondeur 6+6 a
Entra dans l'horizon qui devint formidable ; 6+6 a
Je ne supposais pas le vide fécondable ; 6+6 a
2425 J'eus un moment d'effroi ; depuis, avec stupeur, 6+6 a
J'examine ce monde inquiétant ; j'ai peur 6+6 a
D'être dans l'ombre avec quelqu'un de redoutable. 6+6
Hermès s'en est allé les deux mains étendues. 6+6 a
Il cherchait, il sondait les profondeurs perdues ; 6+6 a
2430 Et comme lui je cherche ; et dans ce que je fais 6+6 a
J'étouffe, comme avant de chercher, j'étouffais. 6+6 a
Car la nuit me punit de vouloir la connaître. 6+6 a
C'est une obscéni de lever, fût-on prêtre, 6+6 a
Le grand voile pudique et sacré de l'horreur. 6+6 a
2435 D'ailleurs, que trouve-t-on ? faux sens, fumée, erreur. 6+6 a
L'illusion, riant de son rire sinistre, 6+6 a
Sort de l'ombre, écrit : FIN, et ferme le registre. 6+6 a
On se perd à descendre, on s'égare à monter. 6+6 a
Chercher, c'est offenser ; tenter, c'est attenter ; 6+6 a
2440 Savoir, c'est ignorer. Isis au bandeau triple 6+6 a
A la surdité morne et froide pour disciple. 6+6 a
Ne pas vouloir est bien, ne pas pouvoir est mieux. 6+6 a
Porte envie à l'aveugle, et n'ouvre pas les yeux. 6+6 a
Tais-toi ! tais-toi ! S'il est quelques bouches frivoles 6+6 a
2445 Qui parlent, ô vivant, sache que les paroles 6+6 a
Troublent l'énormi menaçante des cieux. 6+6 a
Le muet est plus saint que le silencieux. 6+6 a
Oui, se murer l'oreille avec, le mur silence ; 6+6 a
Ne jeter aucun poids dans aucune balance ; 6+6 a
2450 Ne pas toucher aux plis lugubres du rideau ; 6+6 a
Oui, garder le bâillon, oui, garder le bandeau ; 6+6 a
Végéter sans vouloir, sans tenter, sans atteindre ; 6+6 a
Laisser les yeux se clore et les soleils s'éteindre ; 6+6 a
Telle est la loi.
Pourtant je veux ; mais je ne puis. 6+6 a
2455 — Cherche, m'a dit Hermès. Je n'ai rien vu depuis. 6+6 a
Nuée en bas, nuée en haut, nuée au centre ; 6+6 a
Nuit et nuit ; rien devant, rien derrière ; rien entre. 6+6 a
Par moments, des essaims d'atomes vains et fous 6+6 a
Qui flottent ; ce-qu'on voit de plus réel, c'est vous, 6+6 a
2460 Mort, tombe, obscuri des blêmes sépultures, 6+6 a
Cimetières, de Dieu ténébreuses cultures. 6+6 a
Mais pourquoi donc ce mot me revient-il toujours ? 6+6 a
Est-ce qu'il est l'écho de ces grands porches sourds ? 6+6 a
Oh ! n'est-il pas plutôt le vide où tout s'achève ; 6+6 a
2465 L'éclat de rire vague et sinistre du rêve ? 6+6 a
Cependant il faut bien un axe à ce qu'on voit ; 6+6 a
Et, quelque chose étant ; il faut que quelqu'un soit. 6+6 a
Haine ou sagesse, joie ou deuil, paix ou colère, 6+6 a
Il faut la clef de voûte et la pierre, angulaire ; 6+6 a
2470 Il faut le point d'appui, le pivot, le milieu. 6+6 a
A la roue univers il faut bien un essieu. 6+6 a
Croyons ! croyons ! Sans voir la source, on peut conclure 6+6 a
De l'œuvre à l'ouvrier, et de la chevelure 6+6 a
A la tête, et du cercle au centre d'où : tout part, 6+6 a
2475 Et du parfum partout à la fleur quelque part. 6+6 a
Homme, l'Être doit être. Homme, il n'est pas possible 6+6 a
Que la flèche esprit vole et n'ait pas une cible. 6+6 a
Il ne se peut, si vain et si croulant que soit 6+6 a
Ce monde où l'on voit fuir tout ce qu'on aperçoit ; 6+6 a
2480 Il ne se peut, ô tombe ! ô nuit ! que la nature 6+6 a
Ne soit qu'une inutile et creuse couverture, 6+6 a
Que le fond soit de l'ombre aveugle, que le bout 6+6 a
Soit le vide, et que Rien ait pour écorce Tout. 6+6 a
Il ne se peut qu'avec l'amas crépusculaire 6+6 a
2485 De ses grands bas-reliefs qu'un jour lugubre éclaire, 6+6 a
Avec son bloc de nuit, de brume et de clarté, 6+6 a
La création soit, devant l'immensité, 6+6 a
Un piédestal ayant le néant pour statue. 6+6 a
Croyons. En disant non, l'esprit se prostitue. 6+6 a
2490 L'Être a beau se cacher, tout nous dit : le voilà ! 6+6 a
Croyons. —
Je me répète, ô songeur, tout cela ; 6+6 a
Mais c'est au-doute affreux que toujours je retombe ; 6+6 a
Tant la fleur et la foudre, et l'étoile et la trombe, 6+6 a
Et l'homme et le sépulcre, et la terre et le ciel, 6+6 a
2495 Font trembler et fléchir le rayon visuel ! 6+6 a
Tant ce qu'on aperçoit trouble ce qu'on suppose ! 6+6 a
Tant l'effet noir voit peu directement la cause ! 6+6 a
Tant, même aux meilleurs yeux, la brume et le rayon, 6+6 a
Les éléments toujours en-contradiction, 6+6 a
2500 Les souffles déchnés et les ailes captives, 6+6 a
Ouvrent sur l'inconnu de louches perspectives ! 6+6 a
Tant il est malai de crier : Vérité ! 6+6 a
Et tant, la certitude a d'obliquité ! 6+6 a
Je regarde et je cherche et j'attends et je songe, 6+6 a
2505 Et le silence froid devant moi se prolonge. 6+6 a
Par moments, dans l'espace où son fantôme a l'air 6+6 a
D'errer avec le vent, la nuée et l'éclair, 6+6 a
Je vois passer Hermès, mon prodigieux maître. 6+6 a
Abordant ou fuyant l'inconnu qu'il pénètre, 6+6 a
2510 Il rêve, il pense, il tend ses deux bras pour prier ; 6+6 a
J'entends alors sa voix formidable crier : 6+6 a
— Oh ! l'être ! l'être ! l'être effrayant ! il m'accable 6+6 a
Sous son nom inouï, sombre, incommunicable ! 6+6 a
Je ne le dirai pas ! Sois tranquille, infini ! 6+6 a
2515 Puis il passe terrible, après m'avoir béni. 6+6 a
Et moi je reste là, tressaillant, dans la nue. 6+6 a
Et l'oscillation des gouffres continue. 6+6 a
Oh ! toujours revenir au point d'où l'on partit ! 6+6 a
Et derrière le grand toujours voir le petit. 6+6 a
2520 J'ai beau creuser la vie et creuser la nature ; 6+6 a
J'ai des lueurs de-tout dans ma science obscure, 6+6 a
Mais j'y respire un air de sépulcre ; et j'ai froid. 6+6 a
Oh ! que cet univers, s'il est vide, est étroit ! 6+6 a
Oh ! toujours se heurter aux mêmes apparences ! 6+6 a
2525 Oh ! toujours se briser aux mêmes ignorances ! 6+6 a
S'il existe, d'où vient qu'il se cache et qu'il fuit ? 6+6 a
Est-il dans l'univers comme un grain dans le fruit, 6+6 a
Comme le sel dans l'eau, comme le vin dans l'outre ? 6+6 a
Oh ! percer la matière horrible d'outre en outre ! 6+6 a
2530 Faire, à travers le bien, le mal ; l'onde et le feu, 6+6 a
L'homme, l'astre et la bête ; une trouée a Dieu ! 6+6 a
Qui le pourra ? personne. Oh ! tout n'est qu'ironie. 6+6 a
Sage celui qui doute et fort celui qui nie ! 6+6 a
Tu cherches aussi l'Être, ô passant ! je te plains. 6+6 a
2535 Les firmaments d'abîme et d'abîme sont pleins. 6+6 a
La route est longue, va ! l'éternel, parallèle 6+6 a
A l'infini, t'aura bien vite brisé l'aile. 6+6 a
Cours, vole, essaie, et cherche, et plane, et sois puni ! 6+6 a
Moi, — l'œil fixe suffit tant qu'il n'est pas terni, — 6+6 a
2540 Je reste où je suis. Va, monte ! Et prends garde en route 6+6 a
Aux visions qui font qu'on s'égare et qu'on doute. 6+6 a
Tu trouveras peut-être à quelque seuil d'enfers 6+6 a
Des fantômes de feu, de pâles Lucifers, 6+6 a
Punis pour s'être mis au front un peu d'aurore, 6+6 a
2545 Larrons de feu céleste ou d'infernal phosphore, 6+6 a
Noirs dénicheurs de nids d'astres dans les rameaux 6+6 a
D'où tombent les terreurs, les songes et les maux. 6+6 a
Passe, et va devant toi, sois méfiant, et rôde, 6+6 a
Sans croire à la clarté, dans la nuit, cette fraude ; 6+6 a
2550 Ne suis pas ce qu'on voit, ne suis pas ce qui luit. 6+6 a
A force de vouloir aveugler tout, la nuit 6+6 a
Finit par faire éclore une lueur athée ; 6+6 a
Et les flamboiements sont de l'ombre révoltée. 6+6 a
J'en suis moi-même.
Alors le hibou frémissant 6+6 a
2555 Se tourna vers la nuit, cherchant l'énorme absent. 6+6 a
On eût dit que sa tête et ses deux ailes grises 6+6 a
Dans un pesant filet invisible étaient prises ; 6+6 a
Il tremblait, puis restait rêveur comme un vieillard. 6+6 a
Tout à coup il cria dans l'immense brouillard : 6+6 a
2560 Profondeurs ! Profondeurs ! Profondeurs formidables ! 6+6 a
Embryons éternels, atomes imperdables, 6+6 a
D'où sortez-vous ? Substance, air, flamme, moule humain, 6+6 a
Terre ! avez-vous é pétris par une main ? 6+6 a
O parturition ténébreuse de l'Être ! 6+6 a
2565 Je veux trouver, je veux savoir, je veux connaître ! 6+6 a
Le vide est impossible, et tout est plein ; tout vit. 6+6 a
Qui le sait ? Le ciel croule aussitôt qu'on gravit. 6+6 a
Si l'univers nous dit de douter ; ou nous somme 6+6 a
De croire, je l'ignore : Oh ! que dit l'aube à l'homme ? 6+6 a
2570 Que dit le froid mistral et le semoun ardent ? 6+6 a
Vision ! la mer triste entrechoque en grondant, 6+6 a
Sous les nuages lourds que les souffles assemblent, 6+6 a
Ses monstrueux airains en fusion, qui tremblent ! 6+6 a
Les flots font un fracas de boucliers affreux 6+6 a
2575 Se heurtant et l'éclair sépulcral est sur eux ! 6+6 a
Quelle est la foi, le dogme et la philosophie 6+6 a
Que toute cette horreur sombre nous signifie ? 6+6 a
L'étendue, où, vaincu ; mon vol s'est arrêté, 6+6 a
Est si lugubrement faite d'obscurité, 6+6 a
2580 L'obstacle est si fatal, l'ombre est si dérisoire, 6+6 a
Que j'arrive à ne plus comprendre, à ne rien croire ; 6+6 a
Et je dis à la nuit : pas un être n'est sûr 6+6 a
Même d'un peu de Dieu, nuit, dans un peu d'azur ! 6+6 a
Oh ! la création est-elle volontaire ? 6+6 a
2585 Un maître y dit-il moi ? Ciel ! Ciel ! de quel cratère 6+6 a
Du vieux volcan chaos ; sous l'énigme englouti, 6+6 a
Ce monde, éruption sinistre, est-il sorti ? 6+6 a
Quelqu'un a-t-il soufflé sur ses torrents funèbres : 6+6 a
Pour en faire la pierre énorme des ténèbres ? 6+6 a
2590 Quelqu'un l'a-t-il vu lave avant qu'il fût granit ? 6+6 a
Qui donc, sur le versant monstrueux du zénith, 6+6 a
Figea cette coulée effrayante d'étoiles ? 6+6 a
Est-il ? S'il est, qu'il parle ! Oh ! dis-moi qui tu voiles ; 6+6 a
Ciel morne ! L'être est-il parce que la vue est ? 6+6 a
2595 Je sens sous l'infini ce fantôme muet : 6+6 a
Je le sens ; mais est-il ? Et j'ai beau le poursuivre ; 6+6 a
L'ombre incommensurable et fuyante m'enivre. 6+6 a
Toute ma découverte est, cendre et chute. O deuil ! 6+6 a
Le strabisme effrayant du doute est dans mon œil ! 6+6 a
2600 Le fil de l'infini devant moi se dévide. 6+6 a
Que la création soit une chose vide, 6+6 a
Cela ne se peut pas. Où serait la raison ? 6+6 a
Mais d'un autre côté, dans le vaste horizon 6+6 a
Tout souffre ; et tout répond aux questions : je pleure ! 6+6 a
2605 L'esprit comme la chair, le siècle comme l'heure, 6+6 a
Le colosse et l'atome infinitésimal. 6+6 a
O nuit ! pourquoi le vide ? Oui, mais pourquoi le mal ? 6+6 a
Oh ! si je trouvais Dieu ! Si je pouvais, à force 6+6 a
D'user ma griffe obscure à saisir cette écorce, 6+6 a
2610 Déchirer l'ombre ! voir ce front, et le voir nu ! 6+6 a
Ôter enfin la nuit du visage inconnu ! 6+6 a
Mais rien ! Le ciel est faux, l'astre ment, l'aube est traître ! 6+6 a
Je n'ai qu'un seul effort, je me cramponne à l'être ; 6+6 a
Je me cramponne à Dieu dans l'ombre sans parois ; 6+6 a
2615 Si Dieu n'existait pas ! Oh ! par moments je crois 6+6 a
Voir pleurer la paupière horrible de l'abîme. 6+6 a
Si Dieu n'existait pas ? si rien n'avait de cime ? 6+6 a
Si les gouffres n'avaient qu'une ombre au milieu d'eux ? 6+6 a
Oh ! serais-je tout seul dans l'infini hideux ? 6+6 a
2620 O vous, les quatre vents soufflant dans le prodige, 6+6 a
Est-il ? est-il ? est-il ? est-il ? Moi-même suis-je ? 6+6 a
Ne verrai-je jamais blanchir les bleus sommets ? 6+6 a
Et devons-nous rester face à face à jamais, 6+6 a
Sous l'énigme, idiote et monstrueuse voûte, 6+6 a
2625 Lui qui s'appelle Nuit, moi qui m'appelle Doute ! 6+6 a
Et rien ne répondit ; et l'oiseau curieux 6+6 a
Et funèbre, crispant son ongle furieux, 6+6 a
Frémit ; et, se ruant sur l'espèce de face 6+6 a
Qui toujours dans la brume apparaît et s'efface, 6+6 a
2630 Poursuivant l'éternel évanouissement, 6+6 a
Tâchant de retenir le vide, le moment, 6+6 a
L'éclair, le phénomène informe, le problème, 6+6 a
Et tout ce rien fuyant qu'il ne voyait pas même, 6+6 a
Cherchant un pli, cherchant un nœud, faisant effort 6+6 a
2635 Pour prendre l'impalpable et l'obscur par le bord, 6+6 a
Et pour saisir, dans l'ombre où tout essor avorte, 6+6 a
La nuit par le trou noir de quelque étoile morte, 6+6 a
Las, rauque, haletant dans l'insondable exil : 6+6 a
— Mais, spectre, arrache donc ce masque ! cria-t-il. 6+6 a
2640 Et je ne le vis plus ; l'ombre avait saisi l'être 6+6 a
Qui voulait saisir l'ombre ; et tout doit disparaître, 6+6 a
Et tout doit s'effacer, et tout, Rhodope, Ossa, 6+6 a
Athos, tout doit passer, et cet oiseau passa. 6+6 a
Seulement, comme un souffle a peine saisissable, 6+6 a
2645 Comme un bruit de fourmi roulant un grain de sable, 6+6 a
Dans le gouffre où venait d'entrer l'oiseau d'Hermès, 6+6 a
J'entendis murmurer tout bas ce mot : jamais ! 6+6 a
Toute l'ombre exhalait un brouillard léthifère. 6+6 a
Et je demeurai là, ne sachant plus que faire 6+6 a
2650 De mes ailes, n'osant ni chercher, ni vouloir. 6+6 a
III
Et je vis au-dessus de ma tête un point noir ; 6+6 a
Et ce point noir semblait une mouche dans l'ombre. 6+6 a
Dans le profond nadir que la ruine encombre, 6+6 a
Où sans cesse, à jamais, sinistre et se taisant, 6+6 a
2655 Quelque chose de sombre et d'inconnu descend, 6+6 a
Les brouillards indistincts, et gris, fumée énorme, 6+6 a
S'enfonçaient et perdaient lugubrement leur forme, 6+6 a
Pareils à des : chaos l'un sur l'autre écroulés. 6+6 a
Montant toujours, laissant sous mes talons ailés 6+6 a
2660 L'abîme d'en bas, plein de l'ombre inférieure, 6+6 a
Je volai, dans la brume et dans le vent qui pleure, 6+6 a
Vers l'abîme d'en haut, obscur comme un tombeau ; 6+6 a
J'approchai de la mouche, et c'était un corbeau. 6+6 a
Et ce corbeau disait :
Ils sont deux ! Zoroastre. 6+6 a
2665 L'un est l'esprit de vie, au vol d'aigle, aux yeux d'astre, 6+6 a
Qui rayonne, crée, aime, illumine, construit ; 6+6 a
Et l'autre est l'araignée énorme de la nuit. 6+6 a
Ils sont deux ; l'un est l'hymne et l'autre est la huée. 6+6 a
Ils sont deux ; le linceul et l'être, la nuée 6+6 a
2670 Et le ciel, la paupière et l'œil, l'ombre et le jour, 6+6 a
La haine affreuse, noire, implacable, et l'amour. 6+6 a
Ils sont deux combattants. Le combat, c'est le monde. 6+6 a
L'un, qui mêle à l'azur sa chevelure blonde, 6+6 a
Est l'ange ; il est celui qui, dans le gouffre obscur, 6+6 a
2675 Apporte la clarté, le lys, le-bonheur pur ; 6+6 a
Du monstre aux pieds hideux il traverse les voiles ; 6+6 a
Sur sa robe frissonne un tremblement d'étoiles ; 6+6 a
Il est beau ! Semant l'être et le germe aux limons, 6+6 a
Allumant des blancheurs sur la cime des monts, 6+6 a
2680 Et pénétrant d'un feu mystérieux les choses, 6+6 a
Il vient, et l'on voit l'aube à travers ses doigts roses ; 6+6 a
Et tout rit ; l'herbe est verte et les hommes sont doux. 6+6 a
L'autre surgit à l'heure où pleurent à genoux. 6+6 a
Les mères et les sœurs, Rachel, Hécube, Électre ; 6+6 a
2685 Le soir monstrueux fait apparaître le spectre ; 6+6 a
Il sort du vaste ennui de l'ombre qui descend ; 6+6 a
Il arrête la sève et fait couler le sang ; 6+6 a
Le jardin sous ses pieds se change en ossuaire ; 6+6 a
De l'horreur infinie il traîne le suaire ; 6+6 a
2690 Il sort pour faire faire aux ténèbres le mal ; 6+6 a
Morne, en l'être charnel comme en l'être aromal, 6+6 a
Il pénètre ; et pendant qu'à l'autre bout du monde, 6+6 a
Abattant les rameaux du crime qu'il émonde, 6+6 a
L'éblouissant Ormus met sur son front vermeil. 6+6 a
2695 Cette tiare d'or qu'on nomme le soleil, 6+6 a
Lui, sur l'horizon noir, sinistre, à la nuit brune, 6+6 a
Se dresse avec le masque horrible de la lune, 6+6 a
Et, jetant à tout astre un regard de côté, 6+6 a
Rôde, voleur de l'ombre et de l'immensité. 6+6 a
2700 Grâce à lui, l'incendie éclos d'une étincelle, 6+6 a
Le jaguar qui dévore à jamais la gazelle, 6+6 a
La peste, le poison, l'épine, la noirceur, 6+6 a
L'âpre ciguë à qui le serpent dit : ma sœur, 6+6 a
Le feu qui ronge tout, l'eau sur qui tout chavire, 6+6 a
2705 L'avalanche, le roc qui brise le navire, 6+6 a
Le vent qui brise l'arbre, étalent sous le ciel 6+6 a
La vaste impuni du forfait éternel. 6+6 a
Il se penche effrayant sur les dormeurs qui rêvent ; 6+6 a
C'est vers lui qu'à travers l'obscurité s'élèvent 6+6 a
2710 L'hymne d'amour du monstre et le feu du bûcher, 6+6 a
Les langues des serpents cherchant à le lécher, 6+6 a
Tous les dos caressants des bêtes qu'il anime, 6+6 a
Et les miaulements énormes de l'abîme. 6+6 a
Il pousse tous les cris de guerre des humains ; 6+6 a
2715 Dans leurs combats hideux c'est lui qui bat des mains, 6+6 a
Et qui, lâchant la mort sur les têtes frappées, 6+6 a
Attache cette foudre à l'éclair des épées. 6+6 a
Il marche environné de la meute des maux ; 6+6 a
Il heurte aux rochers l'onde et l'homme aux animaux. 6+6 a
2720 Chaque nuit il est près de triompher ; il noie 6+6 a
Les cieux ; il tend la main, il va saisir la proie, 6+6 a
Le monde ; — l'océan frémit, le gouffre bout, 6+6 a
Ses dents claquent de joie, il grince, et tout à coup, 6+6 a
A l'heure où les parsis, les mages et les guèbres 6+6 a
2725 Entendent ce bandit rire dans les ténèbres, 6+6 a
Voilà que de l'abîme un rayon blanc jaillit, 6+6 a
Et que, sur le malade expirant dans son lit, 6+6 a
Sur les mères tordant leurs mains désespérées, 6+6 a
Sur le râle éperdu des lugubres marées, 6+6 a
2730 Sur le juste au tombeau, sur l'esclave au carcan, 6+6 a
Sur l'écueil, sur le bois profond, sur le volcan, 6+6 a
Sur tout cet univers que l'ombre veut proscrire, 6+6 a
L'aurore épanouit son immense sourire ! 6+6 a
Sous l'univers, hagard, lié d'un triple nœud, 6+6 a
2735 Un être, qui ne sait s'il existe, se meut ; 6+6 a
C'est l'idiot ; le sombre enchné de la cave, 6+6 a
Chaos, s'il est permis de nommer cet esclave. 6+6 a
Stupide, il rêve là, connu des spectres seuls, 6+6 a
Caché sous tous les plis que font tous les linceuls, 6+6 a
2740 Ébauche par en haut et par en bas décombre, 6+6 a
Mendiant sourdement un peu de jour dans l'ombre, 6+6 a
Sanglottant au hasard, formidable plreur, 6+6 a
Il tord ses deux moignons, ignorance et terreur ; 6+6 a
Et la pluie éternelle et lugubre l'inonde. 6+6 a
2745 Il rampe dans un trou ; fondrière du monde ; 6+6 a
Sans yeux, sans pieds, sans voix, mordant et dévoré, 6+6 a
Se heurtant aux parois des gouffres, effa 6+6 a
D'éclairs pleuvant sur lui comme sur une cible, 6+6 a
Espèce d'affreux tronc ayant pour gaine horrible 6+6 a
2750 La coque de l'œuf noir d'où l'univers sortit 6+6 a
Son crâne sous le poids du néant s'aplatit ; 6+6 a
Et l'on voit vaguement tâtonner dans l'informe, 6+6 a
Au fond de l'infini, ce cul-de-jatte énorme. 6+6 a
Il n'entend même pas le bruit que font en haut 6+6 a
2755 Les deux principes dieux, ébranlant son cachot, 6+6 a
Et leurs trépignements sur sa morne demeure. 6+6 a
Le méchant veut qu'il vive et le bon veut qu'il meure. 6+6 a
Ainsi luttent, hélas !'ces deux égaux puissants ; 6+6 a
L'un, roi de l'esprit ; l'autre, empoisonneur des sens ; 6+6 a
2760 Les choses à leur souffle expirent ou végètent. 6+6 a
Rien n'est au-dessus d'eux. Ils sont seuls. Ils se jettent 6+6 a
L'hiver et le printemps, l'éclair et le rayon ; 6+6 a
Ils sont l'effrayant duel de la création. 6+6 a
Tout est leur guerre ; ils sont dans la flamme, dans l'onde, 6+6 a
2765 Dans la terre où les monts fument, dans l'air qui gronde ; 6+6 a
Leurs chocs font tressaillir les firmaments, et font 6+6 a
Trembler les soleils d'or à ce sombre plafond ; 6+6 a
Et le nid, dans la mousse, est leur champ de bataille. 6+6 a
L'abîme est entr'ouvert quand Arimane bâille ; 6+6 a
2770 Alors l'essaim hagard des hydres se répand. 6+6 a
Les deux colosses, l'un planant, l'autre rampant, 6+6 a
S'étreignent. Où l'on voit deux cœurs qui se haïssent, 6+6 a
Deux dragons qui la nuit l'un vers l'autre se glissent, 6+6 a
Deux forces s'attaquant à grand bruit, deux guerriers 6+6 a
2775 Combattant, deux poignards dont les coups meurtriers 6+6 a
Se croisent, et parfois deux bouches qui se baisent, 6+6 a
Ce sont eux. Noirs assauts qu'aucuns repos n'apaisent ! 6+6 a
Jamais de trêve. Ils sont ; et rien n'existe qu'eux. 6+6 a
Les éléments sont pleins de leurs cris belliqueux. 6+6 a
2780 Et partout où l'on pleure et partout où l'on chante, 6+6 a
Dans l'homme, dans le vent, dans la ronce méchante, 6+6 a
Dans la bête des bois et dans les cieux émus, 6+6 a
L'ombre hurle Arimane et le jour dit Ormus ! 6+6 a
Et dans les profondeurs cette lutte s'étale ; 6+6 a
2785 Et l'oscillation est heureuse ou fatale, 6+6 a
Et le large roulis nous bere, ou son reflux 6+6 a
N'emporte que clameurs et sanglots superflus, 6+6 a
Et le boa s'enroule au tronc du sycomore, 6+6 a
Jérusalem voit naître à son côté Gomorrhe, 6+6 a
2790 Thèbes lègue un linceul de sables à Memphis, 6+6 a
Nemrod luit, Marc-Aurèle a Commode pour fils, 6+6 a
Ou l'océan sourit, et l'abîme et l'étoile 6+6 a
S'entendent pour sauver une petite voile, 6+6 a
Le bois chante ; les nids palpitent, les oiseaux 6+6 a
2795 Réjouissent les fleurs en buvant aux ruisseaux, 6+6 a
La mère, en qui l'orgueil à l'extase se mêle, 6+6 a
Emplit d'elle l'enfant qui presse sa mamelle, 6+6 a
Et l'homme semble un dieu de sagesse vêtu, 6+6 a
Et tout grandit en grâce, en puissance, en vertu, 6+6 a
2800 Ou dans le flot du mal tout naufrage et tout sombre, 6+6 a
Selon que le hasard, roi de la lutte sombre, 6+6 a
Précipite Arimane ou voile Ormus terni, 6+6 a
Et fait pencher, au fond du livide infini, 6+6 a
L'un ou l'autre plateau de la balance énorme. 6+6 a
2805 Arimane aux yeux d'ombre attend qu'Ormus s'endorme ; 6+6 a
Ce jour-là, le chaos et le mal le verront 6+6 a
Saisir dans ses bras noirs le ciel au vaste front, 6+6 a
Et, fouillant tout orbite et perçant tous les voiles, 6+6 a
De ce crâne éternel arracher les étoiles ; 6+6 a
2810 Ormus, tout en dormant, frémira de terreur ; 6+6 a
L'immensité, pareille au bœuf qu'un laboureur 6+6 a
A laissé dans un champ ténébreux, et qui beugle, 6+6 a
O nuit, s'éveillera le lendemain aveugle, 6+6 a
Et, dans l'espace affreux sous la brume enfoui, 6+6 a
2815 L'astre éteint cherchera le monde évanoui ! 6+6 a
Et le corbeau rentra dans l'ombre formidable. 6+6 a
L'infini sous mes pieds reflétait l'insondable ; 6+6 a
Des lueurs y flottaient comme dans un miroir. 6+6 a
IV
Et je vis au-dessus de ma tête un point noir, 6+6 a
2820 Et ce point noir semblait une mouche dans l'ombre. 6+6 a
J'y volai. L'eau des mers, sous son flot le plus sombre, 6+6 a
A des monstres obscurs qui vont, seuls ou nombreux, 6+6 a
Et l'éther cache aussi des êtres ténébreux ; 6+6 a
Sous les ombres on vit comme on vit sous les ondes. 6+6 a
2825 Je franchis ces hauteurs lugubres et profondes, 6+6 a
Et cette mouche tait un vautour.
Il planait 6+6 a
Dans le vide, que nul ne sonde et ne connaît, 6+6 a
Criant :
— Hé ! le géant ! Hé ! l'homme de l'abîme ! 6+6 a
Est-ce que tu n'es pas fatigué ? de ma cime, 6+6 a
2830 J'entends le craquement éternel de tes os. 6+6 a
Ta livide sueur pleut dans l'affreux chaos. 6+6 a
Es-tu bien las ? Réponds. Sur ton immense épaule 6+6 a
Pèse l'énormi monstrueuse du pôle ; 6+6 a
Le globe, avec les cieux, et les monts chevelus, 6+6 a
2835 Avec les mers roulant les flux et les reflux, 6+6 a
Avec ses dieux ayant des gouffres pour ancêtres, 6+6 a
Avec sa fourmilière épouvantable d'êtres, 6+6 a
Avec ses millions de chocs, de bruits, de pas, 6+6 a
Ses vivants et ses morts… — c'est très lourd, n'est-ce pas ? 6+6 a
2840 Nulle voix ne sortit du vide pour répondre ; 6+6 a
Et tout continua d'être horrible, et de fondre 6+6 a
La cécité muette avec l'obscurité. 6+6 a
Et le vautour me vit, et, s'étant arrêté, 6+6 a
Grave et hideux, me dit :
Passant, sache les choses. 6+6 a
2845 Il est des dieux. Ils sont les dieux, mais non les causes. 6+6 a
Il poursuivit :
Je suis le grand vautour béant. 6+6 a
J'étais sur la montagne et j'avais un géant. 6+6 a
Pas l'être à qui je viens de parler, mais un autre. 6+6 a
Vous, hommes, votre loi, c'est d'apprendre ; la nôtre, 6+6 a
2850 A nous, les becs d'acier, craints même des tombeaux, 6+6 a
C'est d'arracher la vie et la chair par lambeaux 6+6 a
Il faut au dur vautour la proie ensanglantée. 6+6 a
La mienne me plaisait ; je mangeais Prométhée ; 6+6 a
Quand Orphée apparut, et me dit : Viens. J'allai, 6+6 a
2855 Rauque et tout frémissant, vers cet homme étoilé. 6+6 a
Il chantait, et son hymne était une prière, 6+6 a
Et, lui, marchait devant, et je volais derrière ; 6+6 a
Et tout ce que je sais, ténèbres, c'est l'esprit, 6+6 a
C'est Orphée au front calme et doux, qui me l'apprit ; 6+6 a
2860 Stupide, j'ai suivi cette voix enchantée ; 6+6 a
Et c'est ainsi que fut délivré Prométhée. 6+6 a
Écoute. En écoutant l'esprit se forme et naît. 6+6 a
Prométhée, à travers les, tourments, m'enseignait ; 6+6 a
Orphée a complé l'œuvre de Prométhée ; 6+6 a
Sache à ton tour.
2865 Le monde est de l'ombre agitée ; 6+6 a
L'ombre en heurtant ses flots produit le chaos noir, 6+6 a
D'où sort la masse informe et brute, laissant voir 6+6 a
Dans ses plis ces noirceurs, ces larves, ces chimères 6+6 a
Que la nuit sombre appelle à voix basse les Mères ; 6+6 a
2870 Et le père de tout, c'est le vague étoilé. 6+6 a
L'univers a sur lui, globe d'ombre mêlé, 6+6 a
Trois déesses qui sont trois aveugles terribles. 6+6 a
Mtresses du réseau des forces invisibles, 6+6 a
Elles ouvrent sans bruit leurs bras insidieux, 6+6 a
2875 Et prennent les titans, les hommes et les dieux ; 6+6 a
L'œil partout voit surgir une sombre inconnue ; 6+6 a
Sur la terre Vénus, la grande nymphe nue, 6+6 a
En bas, dans l'âpre lieu des mânes redouté, 6+6 a
Le spectre Hécate, en haut l'ombre Fatalité ; 6+6 a
2880 Vénus étreint la vie et rien ne lui résiste, 6+6 a
Hécate tient l'enfer, et, comme un geôlier triste, 6+6 a
L'ombre Destin s'adosse au grand ciel constellé. 6+6 a
On voit sur l'azur noir ce fantôme voilé. 6+6 a
Ainsi le monde, enfer, terre et cieux, plein de haines, 6+6 a
2885 Est triple pour souffrir et frémit sous trois chaînes. 6+6 a
Tout par une noirceur vers un gouffre est conduit. 6+6 a
Hécate, c'est la nuit, le Destin, c'est la nuit, 6+6 a
Et Vénus, c'est la nuit ; Vénus, fauve et fatale, 6+6 a
A deux filles, la mort et la volupté pâle ; 6+6 a
2890 Et Mort et Volupté sont deux ombres qui font 6+6 a
Chacune sous la vie un abîme sans fond. 6+6 a
Ô déités, tenant, les noires et la blonde, 6+6 a
Les entrailles, le cœur et le cerveau du monde, 6+6 a
Et toute la nature attachée à trois fils ! 6+6 a
2895 Les astres sont leurs yeux, les nuits sont leurs profils. 6+6 a
Rien ne peut les fléchir ; c'est en vain qu'on réclame ; 6+6 a
Le sort est tigre, Hécate est sphynx, Vénus est femme. 6+6 a
Une cariatide immense porte tout : 6+6 a
Tellus en deuil, Neptune amer, Pluton qui bout, 6+6 a
2900 Arbres, moissons, déserts, flots confus, rocs inertes, 6+6 a
Fleuves laissant trner leurs longues barbes vertes, 6+6 a
Hommes et champs d'où sort un bruit sourd, tournoiements 6+6 a
Des nuages, de jour ou d'orage écumants, 6+6 a
Et Pan, qui, dérangeant les branchages des ormes, 6+6 a
2905 Apparaît vaguement au fond des bois énormes. 6+6 a
Tout est un groupe obscur d'aspects fallacieux ; 6+6 a
Les astres font un bruit de lyres dans les cieux ; 6+6 a
Le porche sidéral, antre du sort, gouverne 6+6 a
Ce monde triple, ciel, terre en fleurs, rouge Averne. 6+6 a
2910 Une grâce lugubre est mêlée à l'effroi. 6+6 a
Partout quelque chaos, dont quelque monstre est roi, 6+6 a
Obéit, dans l'écume ou la flamme ou l'épine, 6+6 a
Aux yeux d'une Amphitrite ou d'une Proserpine 6+6 a
Ou de quelque Cybèle au front blond et serein. 6+6 a
2915 Partout se croisent l'eau, le feu, l'autan sans frein, 6+6 a
Les satyres dansants, les nymphes chasseresses, 6+6 a
Et dans le sombre azur des essors de déesses. 6+6 a
Et, tour à tour, et l'un après l'autre, au plus noir 6+6 a
De l'antre, que blanchit l'aube et qu'ombre le soir, 6+6 a
2920 On voit passer, forgeant la lumière ou la brume 6+6 a
Sur l'Heure, étincelante et ténébreuse enclume, 6+6 a
Le Jour, la Nuit, géants, cyclopes à l'œil rond, 6+6 a
Ayant, l'un le soleil, l'autre la lune, au front. 6+6 a
La Matière est au centre, au fond des sombres voûtes, 6+6 a
2925 Hydre, divinité, la plus noire de toutes ! 6+6 a
Tout cherche tout, sans but ; sans trêve, sans repos. 6+6 a
Ces femmes qu'un dieu pousse et dont les blanches peaux 6+6 a
En touchant l'arbre ému, font frémir les écorces, 6+6 a
Ces démons composés d'ivresses et de forces, 6+6 a
2930 Les Ménades aux seins de Sirène, aux yeux fous, 6+6 a
Passent levant leur robe au-dessus des genoux, 6+6 a
Mêlant les voix, le luth, la timbale et le cistre. 6+6 a
O monde ténébreux, éblouissant, sinistre ! 6+6 a
La fange se soulève et veut lécher les cieux. 6+6 a
2935 Les cieux n'abhorrent pas cet hymen monstrueux. 6+6 a
Omphale aux blonds cheveux étreint le vaste Hercule. 6+6 a
Tout frémit. Dans le vague et trouble crépuscule 6+6 a
Les temples entrevus dressent leurs noirs piliers ; 6+6 a
Les flamboiements des yeux errent dans les halliers : 6+6 a
2940 Le pâtre attend Phœbé ; l'ombre qui se déchire 6+6 a
Laisse voir le dragon, l'elfe, l'hécatonchyre, 6+6 a
Tâchant de s'enlacer, de s'unir, de sentir ; 6+6 a
La blanche vision des nymphes fait sortir 6+6 a
Sylvain des bois, Triton des eaux, Vulcain des forges ; 6+6 a
2945 Pan contemple effa la nudité des gorges ; 6+6 a
L'arbre est un faune ardent qu'on ne peut assoupir, 6+6 a
Et les antres sont pleins d'un immense soupir, 6+6 a
Dans l'orageux banquet des thyrses et des lyres, 6+6 a
Et de toutes les soifs buvant tous les délires, 6+6 a
2950 Bacchus, environné de tigres, chante et rit ; 6+6 a
Et, dégorgeant au fond des cerveaux qu'il flétrit, 6+6 a
Sa fumée âcre où vont et viennent des fantômes, 6+6 a
Spectres bleus de l'éther, larves des noirs royaumes, 6+6 a
Les cris, les coups, la rage et le baiser lascif, 6+6 a
2955 Le vin cynique emplit les coupes d'or massif. 6+6 a
On fait un nid de l'ombre, un lit de la matière. 6+6 a
Se ruant les seins nus sur la nature entière, 6+6 a
Étonnés, hérissés, debout, couchés, assis, 6+6 a
Les mages de Cybèle et les mages d'Isis, 6+6 a
2960 L'éphèbe au front charmant, les vierges, les prêtresses ; 6+6 a
Les bacchantes livrant aux vents leurs folles tresses, 6+6 a
Naïades, chèvre-pieds, kabyres, ægipans, 6+6 a
Et les hommes chevaux et les femmes serpents, 6+6 a
Les prêtres qu'en passant, bouc rêveur, tu salues, 6+6 a
2965 Les troglodytes roux aux poitrines velues, 6+6 a
Polyphème, Astarté, Cerbère, Hylas, Atys, 6+6 a
Toutes les passions et tous les, appétits, 6+6 a
S'accouplent, Évohé ! rugissent, balbutient, 6+6 a
Et sous l'œil du destin calme et froid, associent 6+6 a
2970 Le râle et le baiser, la morsure et le chant, 6+6 a
La cruauté joyeuse et le bonheur méchant, 6+6 a
Et toutes les fureurs que la démence invente ; 6+6 a
Et célèbrent, devant l'esprit qui s'épouvante, 6+6 a
Devant l'aube, devant l'astre, devant l'éclair, 6+6 a
2975 Le mystère splendide et hideux de la chair ; 6+6 a
Et cherchant les lieux sourds, les rocs inabordables, 6+6 a
Échevelés, pâmés, amoureux, formidables, 6+6 a
Ivres, l'un qui s'échappe et l'autre qui poursuit, 6+6 a
Dansent dans l'impudeur farouche de la nuit ! 6+6 a
2980 Au faîte de l'orgie et dans le bruit des coupes, 6+6 a
La géante qui plonge aux flots ses larges croupes, 6+6 a
Dont chaque mouvement pour l'homme est un fléau, 6+6 a
Le monstre aux millions de visages, Géo, 6+6 a
Sur des Alpes couchée et montagne comme elles, 6+6 a
2985 Prodigue ses amours, ses lèvres, ses mamelles, 6+6 a
Et, s'ouvrant sans relâche aux longs embrassements, 6+6 a
Engouffre en ses flancs noirs tout un monde d'amants, 6+6 a
Le devin, le rôdeur, des monts, l'homme de l'antre, 6+6 a
Épicure, l'esprit, et Silène, le ventre, 6+6 a
2990 Le rayon, le fumier, et tout l'impur troupeau 6+6 a
Des êtres vils ayant des toisons sur la peau, 6+6 a
L'ours, l'hyène et le tigre et la louve échauffée, 6+6 a
Et derrière ce groupe affreux, le pâle Orphée ! 6+6 a
Elle se donne à tous ensemble, et, tour à tour, 6+6 a
2995 Les fait rugir de haine et se tordre d'amour, 6+6 a
Les étreint, les ravit, les baise et les dévore. 6+6 a
A ses cils ténébreux elle mêle l'aurore. 6+6 a
L'homme la voit qui guette au milieu des roseaux. 6+6 a
Laissant ses cheveux d'herbe ondoyer dans les eaux. 6+6 a
3000 Elle chante, appuyant à sa hanche écaillée 6+6 a
Ses coudes de branchage et ses mains de feuillée : 6+6 a
— Viens ! je suis la Nature ! — Et, charmés, palpitants, 6+6 a
Vaincus, de tous les points du monde en même temps, 6+6 a
Les bergers, les songeurs, les voyants, les colosses, 6+6 a
3005 Les mornes dieux de l'Inde aux têtes de molosses, 6+6 a
Les lourds typhons d'en bas, le peuple hydre et géant, 6+6 a
Pullulant, fécondant, multipliant, créant, 6+6 a
Frémissant d'approcher peut-être de leur mère, 6+6 a
Fixent leurs fauves yeux sur l'obscène chimère ! 6+6 a
3010 Et l'écume embrassant le roc sauvage et brut, 6+6 a
Les baisers de l'orage et des vagues en rut, 6+6 a
L'entourent ; et son souffle émeut la bête immonde ; 6+6 a
Et, sans cesse, à jamais, dans l'air, la flamme et l'onde, 6+6 a
A travers l'éternelle et livide vapeur, 6+6 a
3015 La prunelle des nuits regarde avec stupeur, 6+6 a
Et l'ouragan flagelle, et l'océan caresse 6+6 a
La prostitution de la sombre déesse ! 6+6 a
C'est ainsi que tout vit et tout meurt, haletant. 6+6 a
L'astre est une étincelle et le siècle un instant. 6+6 a
3020 Le souffle de la mort couvre à chaque rafale 6+6 a
D'ombres le fleuve Styx, d'oiseaux le lac Stymphale, 6+6 a
Et la guerre aux longs cris plane, et les pestes vont 6+6 a
S'accoupler pêle-mêle au bas du ciel profond, 6+6 a
Elles se dressent, sœurs du meurtre et de l'envie, 6+6 a
3025 Et leurs regards de larve épouvantent la vie. 6+6 a
Et l'on entend, au fond des brouillards soucieux, — 6+6 a
Hurler la bête fauve effrayante des cieux, 6+6 a
Le Tonnerre, et, troublés, et prêts à se dissoudre, 6+6 a
Les mers, les bois, les monts, sous les pas de la foudre, 6+6 a
3030 Tremblent, et le vent jette à travers ses éclats 6+6 a
Les imprécations du portefaix Atlas. 6+6 a
Car tout pèse sur lui. Je te l'ai dit, le monde, 6+6 a
Avec l'air bleu, le feu vermeil, l'eau verte et ronde, 6+6 a
Avec l'éther, l'espace, et les ascensions 6+6 a
3035 Splendides et sans fin, des constellations, 6+6 a
Oscille, soutenu sur ce vivant pilastre. 6+6 a
Au sommet resplendit l'Olympe, caverne astre. 6+6 a
L'Olympe est couronné de spectres radieux 6+6 a
Qui seraient des brigands s'ils n'étaient pas des dieux ; 6+6 a
3040 L'Olympe a pour fleurons les douze dieux sublimes. 6+6 a
Leur rayonnement calme aveugle les abîmes. 6+6 a
Au-dessous, les Titans, les mammons, les géants, 6+6 a
L'hydre Glaucus gonflant sa croupe d'océans, 6+6 a
Rampent, et les sylvains, les trichines, les dives, 6+6 a
3045 Dans les eaux, sous les plis des algues maladives, 6+6 a
Serpentent avec l'orphe horrible, et l'anthia, 6+6 a
Et l'impur Géryon qu'Alcide châtia ; 6+6 a
Et l'on distingue en bas la race lapidaire, 6+6 a
Gorgone, que la lune en tremblant considère, 6+6 a
3050 Les trois parques branlant la tête sur le bruit 6+6 a
Du rouet où le jour est filé par la nuit, 6+6 a
Chronos, face à quatre yeux, Derceto pisciforme ; 6+6 a
Et, comme lé brin d'herbe entre le cèdre et l'orme, 6+6 a
L'homme entre le titan et le dieu disparaît, 6+6 a
3055 Les monstres sur son front faisant une forêt. 6+6 a
Les douze dieux, ayant triomphé, sont tranquilles 6+6 a
Et féroces ; ils ont les temples : dans les villes, 6+6 a
Les forêts dans la plaine et les rocs sur les monts ; 6+6 a
Vulcain, par les Brontès et par les Pyracmons, 6+6 a
3060 Leur fait forger la foudre et le vent en armures ; 6+6 a
Dodone les salue avec de sourds murmures ; 6+6 a
Ils sont grands et sereins, et chacun de leurs pas 6+6 a
Mesure un tiers du ciel dans son vaste compas. 6+6 a
Toute pudeur sur tiers à leur souffle se fane ; 6+6 a
3065 Jupiter est tyran, Cypris est courtisane ; 6+6 a
Phœbus est assassin ; Pallas tue ; et Junon 6+6 a
A le meurtre au regard fixe pour compagnon ; 6+6 a
Éole fou vomit la pluie échevelée ; 6+6 a
Neptune est la tempête et Mars est la mêlée ; 6+6 a
3070 Saturne abat la vie avec sa large faulx ; 6+6 a
Parmi les dieux méchants Mercure est le dieu faux ; 6+6 a
Le serpent le soupçonne et le renard le flaire ; 6+6 a
En haut, l'horrible Amour ; pire que la colère, 6+6 a
Règne, et perçant les cœurs de flèches, diaprant 6+6 a
3075 La terre de rosiers et de tombeaux, il prend 6+6 a
L'univers par les dieux et les dieux par la femme ; 6+6 a
Telle est l'orgie ; et l'œil va, dans ce monde infâme, 6+6 a
De la substance énorme à l'esprit odieux. 6+6 a
Les fléaux sont titans et les vices sont dieux. 6+6 a
3080 On entend les dieux rire ; on voit leurs vagues trônes 6+6 a
Resplendir au-dessus des monts Acrocéraunes, 6+6 a
La vie est autour d'eux un sourd frémissement ; 6+6 a
La prière à leurs pieds boîte ; l'oracle ment ; 6+6 a
La moitié de la terre est un marais qui trempe 6+6 a
3085 Dans le chaos, cloaque où l'être informe rampe ; 6+6 a
Et le ciel est trop bas pour qu'Othryx le géant 6+6 a
Se puisse à son réveil mettre sur son séant. 6+6 a
Et Tout, c'est toi, Substance !
Oui, l'ombre où Pythagore 6+6 a
Voit passer le triton, la nymphe et l'égrégore ; 6+6 a
3090 La Syrène, la nuit, quand brille le halo, 6+6 a
Ouvrant son chant dans l'air, ses nageoires dans l'eau, 6+6 a
C'est toi ; c'est toi, Téthys, la femme aux mains palmées ; 6+6 a
Ces dieux, c'est toi ; c'est toi, ces monstres ; ces pygmées 6+6 a
Et ces géants, c'est toi ; tous ces masques béants, 6+6 a
3095 Corybantes hurlant les cyniques pæans, 6+6 a
Stryges, psylles, c'est toi ; c'est toi, ces myriades 6+6 a
De méduses, d'éons, de faunes, de dryades ; 6+6 a
C'est toi, cette stupeur, c'est toi, ce mouvement, 6+6 a
Matière ! bloc inerte et noir fourmillement ! 6+6 a
3100 Et, devant ce chaos, toute philosophie 6+6 a
Pousse un cri, puis se tait, rêve et se pétrifie. 6+6 a
Quant à l'homme, qu'est-il ? Rien. Et je te l'ai dit. 6+6 a
Fait d'un peu de limon que Jupiter perdit, 6+6 a
N'ayant, sous l'affreux ciel d'où tombe la sentence, 6+6 a
3105 Ni loi, ni liberté, ni droit, ni résistance, 6+6 a
Il n'est que le hochet des monstres.
Nu, fatal, 6+6 a
L'homme commet le crime et les dieux font le mal, 6+6 a
L'homme, face au vil souffle et bouche aux plaintes vaines, 6+6 a
Sent en lui, dans ses os, dans ses nerfs, dans ses veines, 6+6 a
3110 Germer l'arborescence horrible du destin. 6+6 a
Tout-banquet est suspect ; les dieux sont du festin ; 6+6 a
Atrée offre la coupe aux lèvres de Thyeste ; 6+6 a
Oreste est parricide et Jocaste est inceste ; 6+6 a
Phèdre a peur, Myrrha tremble, et Pasiphaè fuit ; 6+6 a
3115 Hélas ! elles ont bu les philtres de la nuit ! 6+6 a
Le sort est un bandit ; la vie est une folle. 6+6 a
Le glaive naît du glaive. Agamemnon immole 6+6 a
Sa fille, et Clytemnestre, immole Agamemnon. 6+6 a
— Justice ; crie Ajax, es-tu ? — La Mort dit : Non. 6+6 a
3120 Médée est ivre et rit. Oh ! comme vous pleurâtes, 6+6 a
Cassandre, dans l'horreur des ombres scélérates ! 6+6 a
Quoique innocents, il vont comme des criminels. 6+6 a
Autour d'eux à jamais se dressent éternels 6+6 a
Le remords, le bois triste où l'on entend des râles, 6+6 a
3125 Le meurtre ; et l'entourage, affreux des spectres pâles. 6+6 a
Apollon force se jette, sombre amant, 6+6 a
Sur Daphné ; c'est Daphné qu'atteint le châtiment. 6+6 a
Thémis aveugle tient la balance incertaine. 6+6 a
Tout est dragon, serpent, hydre, polype, antenne, 6+6 a
3130 Griffe, ongle, serre ; et l'homme est pris dans les anneaux 6+6 a
'De Géo, de Typhon, d'Éole et d'Ouranos. 6+6 a
Tous les arbres de l'ombre ont de fatales pommes. 6+6 a
Il suffit de passer dans le taillis des hommes 6+6 a
Pour secouer la branche exécrable des maux. 6+6 a
3135 Le crime et l'équi sont deux néants jumeaux 6+6 a
Que dans le même abîme emporte la même aile. 6+6 a
Sans voir, sans regarder, sans choisir, pêle-mêle, 6+6 a
Le dieu d'en bas, l'inepte et ténébreux Hadès 6+6 a
Jette vieillards, enfants, guerriers, rois sous le dais, 6+6 a
3140 A l'égout Styx, où pleut l'éternelle immondice ; 6+6 a
Sourd ; même pour Orphée, il lui prend Eurydice. 6+6 a
Tout est dérision. Vénus étreint Psyché. 6+6 a
Achille meurt par où sa mère l'a touché. 6+6 a
Oh ! les mères ! Cherchez les fils, cherchez la joie ! 6+6 a
3145 Niobé devient pierre et nuit ; Hécube aboie. 6+6 a
Être chaste. À quoi bon ? Vivre austère. Pourquoi ? 6+6 a
Plus de vertu contient plus d'ombre et plus d'effroi. 6+6 a
Les assassins, creuseurs de fosses à la hâte, 6+6 a
Le voleur, écoutant à la, porte qu'il tâte, 6+6 a
3150 Ne sont pas plus troublés qu'œdipe au front pieux. 6+6 a
Comme le sanglier s'abat sous les épieux. 6+6 a
L'homme tombe percé par les carquois célestes. 6+6 a
Les grands sont les maudits, les bons sont les funestes. 6+6 a
Le ciel sombre est croulant sur les hommes ; l'autel, 6+6 a
3155 Calme et froid, à celui qui l'embrasse est mortel, 6+6 a
Une Eurydice dort sur les marches du temple ; 6+6 a
Le meilleur, si le sort veut en faire un exemple, 6+6 a
N'a plus de cœur ; n'a plus d'entrailles, n'a plus d'yeux, 6+6 a
Ploie et meurt sous le poids formidable des dieux. 6+6 a
3160 Les générations s'envolent dissipées. 6+6 a
Les jours passent ainsi que des lueurs d'épées. 6+6 a
Au-dessus des vivants le sort lève le doigt. 6+6 a
Nul ne fait ce qu'il fait ; nul ne voit ce qu'il voit. 6+6 a
Nais : la main du sort s'ouvre. Expire : elle se ferme. 6+6 a
3165 Nul ne sait rien de plus. Guerres sans but, sans terme, 6+6 a
Sans conscience, écume aux dents, et glaive au poing ! 6+6 a
La bouche mord l'oreille et ne lui parle point 6+6 a
Le sourd étreint l'aveugle ; on lutte, on se dévore 6+6 a
On se prend ; on se quitte, on se reprend encore ; 6+6 a
3170 Et nul n'est jamais libre un instant sous les cieux ; 6+6 a
Ce que le destin lâche est repris par les dieux ; 6+6 a
Ce qu'épargnent les dieux fatigués, l'amour traître. 6+6 a
Le ressaisit ; tout saigne et tout souffre, sans être. 6+6 a
Le penseur voit, au-bord des noirs destins venu, 6+6 a
3175 Se prolonger sans fin dans le gouffre inconnu, 6+6 a
Cette agitation des vagues de ténèbres. 6+6 a
Où sont les grands, les forts, les puissants, les célèbres ? 6+6 a
Ils sont où la fumée est allée, où les bois 6+6 a
Ont envoyé les bruits, les souffles et les voix ; 6+6 a
3180 Et le sourd néant dit : ce n'était pas la peine. 6+6 a
Et maintenant, Platon, Socrate, Callysthène, 6+6 a
Diogène, Zénon, Démocrite, Archytas, 6+6 a
Thalès, Cratès, Pyrrhon, Anaxagore, ô tas 6+6 a
De sages, répondez : qu'est-ce que la sagesse ? 6+6 a
3185 Veille ou dors, viens ou fuis, nie ou crois, prends ou laisse. 6+6 a
Sois immonde ou sois pur sois bon ou sois pervers ; 6+6 a
Insulte l'aube, ou ris sous les feuillages verts ; 6+6 a
Montre-toi, cache-toi ; va-t-en,demeure, oscille ; 6+6 a
Ignore, ou bien apprends ; pense, ou sois imbécille. 6+6 a
3190 Science humaine ! essai de regard ! louche effort 6+6 a
Pour faire un trou de flamme au mur brumeux du sort ! 6+6 a
Imprécation sombre et pleine d'anathèmes ! 6+6 a
Esprit humain ! rumeur ! passage de systèmes ! 6+6 a
Place publique où vont et viennent, dans le soir, 6+6 a
3195 Les projets de penser que l'homme peut avoir ! 6+6 a
Le monde est une meule à broyer, la pensée. 6+6 a
Après une science épuisée et lassée, 6+6 a
Une doctrine vient criant : qu'est-ce que c'est ? 6+6 a
Et passe en redisant ce que l'autre disait. 6+6 a
3200 Tous répètent — Pourquoi ? pourquoi ? — Nul ne devine 6+6 a
L'obscur secret de l'ombre infernale et divine. 6+6 a
— Comment sortir ? comment entrer ? Vouloir, savoir, 6+6 a
Ouvrent-ils les verrous de ce dédale noir ? 6+6 a
Essayons de la mort ! Essayons de la vie ! 6+6 a
3205 La volonté se sent par le destin suivie. 6+6 a
Si nous redescendions ou si nous remontions ? 6+6 a
Quelle est l'issue, ô nuit ? — Toutes les questions 6+6 a
Ont des portes d'énigme et des yeux de fantôme ; 6+6 a
Et, tristes, et courbés sous le ténébreux dôme, 6+6 a
3210 Les songeurs frissonnants cherchent les sombres clefs 6+6 a
Dans la sereine horreur des gouffres étoilés. 6+6 a
Et chacun d'eux, penché sur l'ombre où tout s'achève, 6+6 a
Jette à qui passera ces noirs conseils du rêve : 6+6 a
— La prière est sans but. L'être est un fait hagard. 6+6 a
3215 Ne te mets pas en frais d'amour pour le hasard. 6+6 a
Chante ou maudis. Qu'importe au destin que tu l'aimes ? 6+6 a
Les pas du genre humain sont-bordés de problèmes. 6+6 a
La vie est l'avenue effrayante des sphinx. 6+6 a
L'orgueil et-la science, yeux de paon, yeux de lynx, 6+6 a
3220 Aboutissent au même avortement ; et l'homme. 6+6 a
Tremble, et sent des démons dans tous les dieux qu'il nomme. 6+6 a
Prométhée a voulu sortir de cette nuit, 6+6 a
Éclairer l'homme au fond du mystère introduit ; 6+6 a
Labourer, enseigner, civiliser, et faire 6+6 a
3225 Du globe une vivante et radieuse sphère ; 6+6 a
Tirer du roc sauvage et des halliers épais 6+6 a
Les éblouissements de l'ordre et de la paix, 6+6 a
Défricher la forêt monstrueuse de l'être, 6+6 a
Et faire vivre ceux que le destin fait naître ; 6+6 a
3230 Il a voulu sacrer la terre, ouvrir les yeux, 6+6 a
Mettre le pied de l'homme à l'échelle des cieux, 6+6 a
Soumettre la nature et que l'homme la mène, 6+6 a
Diminuer les dieux de la croissance humaine, 6+6 a
Couvrir les cœurs d'un pan de l'azur étoilé, 6+6 a
3235 Faire du ver rampant jaillir l'esprit ailé, 6+6 a
Tendre une chaîne d'or entre l'arbre et la ville, 6+6 a
Au Tartare à jamais plonger la haine vile, 6+6 a
Lier le mal horrible au chaos épineux, 6+6 a
Et fonder, dans le cœur des hommes lumineux, 6+6 a
3240 Afin que la raison l'achève et le bâtisse, 6+6 a
Un temple ; et remplacer Atlas par la justice. 6+6 a
Les dieux l'ont puni. Seul, vaincu, saignant, amer, 6+6 a
Il est tombé, pleu des filles de la mer ; 6+6 a
Et moi, j'ai bu le sang de l'enchné terrible. 6+6 a
3245 Tout est mort maintenant ; et, dans l'ombre inflexible, 6+6 a
Sous le rayonnement des boucliers divins, 6+6 a
Les efforts des géants et des hommes sont vains. 6+6 a
Toutefois, tant qu'il reste un peu d'air ; l'oiseau vole. 6+6 a
Orphée en me quittant m'a dit cette parole : 6+6 a
3250 « Être ailé ; l'aile est bonne et sainte. Souviens-toi 6+6 a
Qu'espérer est la force et qu'atteindre est la loi. 6+6 a
« L'obstacle est là ? passants ; il attend qu'on le brise. 6+6 a
« Ce qu'a fait Prométhée est fait ; la flamme est prise ; 6+6 a
« Elle est sur terre ; elle est quelque part ; l'homme peut 6+6 a
3255 « La retrouver ; grandir ; vivre, exister, s'il veut ! 6+6 a
« S'il sait penser, gravir, creuser ; saisir, étreindre, 6+6 a
« S'il ne laisse jamais le saint flambeau s'éteindre, 6+6 a
« S'il se souvient qu'il peut, puisque l'idée a lui, 6+6 a
« Allumer quelque chose en lui de plus que lui, 6+6 a
3260 « Qu'il doit lutter, que l'aube est une délivrance, 6+6 a
« Et qu'avoir le flambeau, c'est avoir l'espérance ; 6+6 a
« Car deux sacrés rayons composent la clarté, 6+6 a
« Et l'un est la puissance, et l'autre est la beauté. » 6+6 a
— Ô vautour, dans la nuit sans fond qui nous assiège, 6+6 a
3265 Où donc est la clarté dont tu parles ? criai-je. 6+6 a
J'attendais la réponse, il avait disparu. 6+6 a
Il s'était effa sans même avoir décru. 6+6 a
Ainsi vient, tourbillonne et fuit la feuille morte 6+6 a
Au vent que la nuit fait quand elle ouvre sa porte, 6+6 a
3270 A l'heure où sur les monts le pâtre vient s'asseoir. 6+6 a
V
Et je vis au-dessus de ma tête un point noir. 6+6 a
Et ce point noir semblait une mouche dans l'ombre. 6+6 a
Comme lorsque la lune au fond des brouillards sombre, 6+6 a
Une vague lueur flottait ; l'immensi 6+6 a
Blanchissait.
3275 Je repris ma course, et je montai 6+6 a
Dans l'air que je fendais d'une aile prompte et sûre, 6+6 a
Vers le point qu'on voyait dans l'espace ; à mesure 6+6 a
Que je montais, l'objet grossissait, et, pareil 6+6 a
Aux figures qu'on voit croître dans le sommeil, 6+6 a
3280 Il prenait une forme étrange ; et cette mouche 6+6 a
Était un aigle au vol tournoyant et farouche. 6+6 a
Le vide était moins sombre et le vent moins mauvais. 6+6 a
Chacun des noirs oiseaux vers qui je m'élevais, 6+6 a
Comme jadis le mage était loin de l'apôtre, 6+6 a
3285 Volait seul dans sa zone et ne voyait pas l'autre. 6+6 a
L'aigle criait :
Qui donc est là, gouffre hideux ? 6+6 a
Qui donc dit : il n'est pas ! Qui donc dit : ils sont deux ! 6+6 a
Qui donc dit : — Ils sont douze, ils sont cent, ils sont mille ; 6+6 a
Ils emplissent l'azur comme un peuple une ville ; 6+6 a
3290 Et le ciel serait clair, limpide et radieux, 6+6 a
S'il n'était obscurci du noir essaim des dieux. — 6+6 a
Ô vents, il est ! Abîme ! il est seul. Seul, vous dis-je ! 6+6 a
Ténèbres, demandez aux soleils. Le prodige, 6+6 a
Ô gouffres, ce serait qu'il ne fût pas. Je suis 6+6 a
3295 L'aigle éclairé d'en haut qui plane au fond des nuits ; 6+6 a
Je suis la bête à qui ressemble le génie ; 6+6 a
J'ai dans mon œil hagard la lueur infinie ; 6+6 a
Je suis le grand voyant et le grand inquiet. 6+6 a
J'étais près de Moïse alors qu'il s'écriait : 6+6 a
3300 — Ô soleil ! nourricier du monde ! anachorète ! 6+6 a
Seul au fond du grand ciel comme en une retraite ! 6+6 a
Père de l'aube, roi du jour ; maître du feu, 6+6 a
Écarte tes rayons, que je puisse voir Dieu ! 6+6 a
Au pied du Sina sombre, il dit : Qui m'accompagne ? 6+6 a
3305 J'ai dit : moi ! — J'étais là, quand, montant la montagne, 6+6 a
Il s'enfonça, superbe et tremblant à la fois, 6+6 a
Dans le nuage plein de foudres et de voix ; 6+6 a
J'ai suivi le prophète en cette ombre livide… — 6+6 a
Ô sanglots de la mère auprès du berceau vide, 6+6 a
3310 Ô chaîne de l'esclave, ô sceptre de Néron, 6+6 a
Toi, peste au souffle impur, toi, guerre au fier clairon, 6+6 a
Éperviers qui guettez la caille à sa sortie, 6+6 a
Broussailles de l'horreur, ronce, aconit, ortie, 6+6 a
Ô Fatalité, spectre à l'œil morne, au pas lent, 6+6 a
3315 Mal, millepieds hideux sur l'homme fourmillant, 6+6 a
Chimère Obscuri qui traînes tes vertèbres, 6+6 a
Chouette Nuit, crapaud Chaos, taupes Ténèbres, 6+6 a
Vieux ciel noir du néant, suaire du ciel bleu, 6+6 a
Vous mentez, vous mentez, vous mentez, j'ai vu Dieu ! 6+6 a
3320 En ce moment l'oiseau suprême et solitaire 6+6 a
M'aperçut ; fauve, il dit :
— Quel est ce ver de terre ? 6+6 a
De quel droit voles-tu dans l'ombre où tu rampas ? 6+6 a
Est-ce toi qui disais tout à l'heure : il n'est pas ? 6+6 a
Si c'est toi
— je n'osais parler —
Si c'est toi, sache 6+6 a
3325 Qu'il se montre surtout dans tout ce qui le cache. 6+6 a
Qu'es-tu ? Réponds. Sais-tu le but, l'objet, la loi ? 6+6 a
Sais-tu pourquoi le taon mord la vache, pourquoi 6+6 a
L'oiseau mange la mouche et le ver le concombre ? 6+6 a
Dis ? où sont les poumons du vent ? Connais-tu l'ombre ? 6+6 a
3330 Es-tu dans le secret ? Et, quand il a tonné, 6+6 a
Sais-tu ce qu'on a dit ? As-tu questionné 6+6 a
Les flots, quand vers l'écueil que bat leur inclémence 6+6 a
Ils viennent, commentant dans leur rumeur immense 6+6 a
Les actes inconnus de l'onde et de la nuit ? 6+6 a
3335 L'univers est un texte obscur ; l'as-tu traduit ? 6+6 a
Qu'est-ce que nous voulaient les aurores enfuies ? 6+6 a
Pourquoi le larmoiement formidable des pluies ? 6+6 a
Comment l'arbre tient-il dans le pépin du fruit ? 6+6 a
As-tu questionné le Gibel et son bruit, 6+6 a
3340 L'Atlas et son semoun, l'Alpe et son avalanche ? 6+6 a
Connais-tu la Jungfrau, la grande vierge blanche ? 6+6 a
T'a-t-elle dit le fond de la virginité ? 6+6 a
As-tu rempli ta cruche au puits éternité, 6+6 a
Et ta stupidi puise-t-elle à l'abîme ? 6+6 a
3345 Parle. Ton ignorance, homme, est-elle la dîme 6+6 a
Que tu viens prélever, précédé du corbeau, 6+6 a
Sur la science étrange et morne du tombeau, 6+6 a
Brume où se sont perdus tant de mages célèbres ? 6+6 a
T'es-tu penché pour boire a, même les ténèbres ? 6+6 a
3350 Et t'es-tu redressé sur le vide où tu vas, 6+6 a
Recrachant ta gorgée et criant : Dieu n'est pas ! 6+6 a
En est-il ainsi, brute ? En ce cas, je m'afflige 6+6 a
De te voir. C'est Dieu seul qui règne et vit, te dis-je, 6+6 a
Et Dieu seul qui survit. Fais-tu le froid, le chaud, 6+6 a
3355 La nuit, l'aube ? Est-ce toi qui fais hurler là-haut 6+6 a
L'orage maniaque, et toi qui le fais taire ? 6+6 a
Es-tu le personnage immense du mystère ? 6+6 a
Prouve-le-moi. Voyons, homme. Quand le torrent, 6+6 a
Cet ouvrier terrible, inquiet, dévorant, 6+6 a
3360 Sciant les rocs, trnant les terres aux campagnes, 6+6 a
Se met à décharner dans l'ombre les montagnes, 6+6 a
Empêche-le donc ! dis à l'océan à bas ! 6+6 a
Est-ce toi qui, prenant les lions, les courbas 6+6 a
Si bien qu'on ne sait plus, dans leurs fuites funèbres, 6+6 a
3365 Si ce sont des lions ou si ce sont des zèbres ! 6+6 a
Es-tu de ceux qui vont dans l'inconnu sans-voir, 6+6 a
Qui se heurtent la nuit à l'immense mur noir, 6+6 a
Et qui, battant l'obstacle avec leurs sombres : ailes, 6+6 a
Glissent sans fin le long, des parois éternelles ? 6+6 a
3370 Sors-tu de quelque grotte affreuse, aux âpres flancs, 6+6 a
Où ton œil est resté fixe quatre mille ans, 6+6 a
Comme Satan dans l'ombre où Dieu le fit descendre ? 6+6 a
As-tu l'esprit qu'avait la payenne Cassandre 6+6 a
Lorsqu'elle allait voyant d'avance Ajax brigand, 6+6 a
3375 Comptant les grands palais en flamme, et distinguant 6+6 a
Dans la profonde nuit le glaive nu d'Égysthe ? 6+6 a
Parle. Es-tu plein du gouffre ? Es-tu le trismégiste, 6+6 a
Marches-tu de plain-pied avec les cieux, disant 6+6 a
Aux douze heures : venez me parler, à présent 6+6 a
3380 Que vous voilà sur terre, ayant en vous chacune 6+6 a
La gté du soleil ou l'horreur de la lune ? 6+6 a
As-tu vécu parmi les bêtes dans les bois, 6+6 a
Le tigre t'indiquant la source, et disant : bois ! 6+6 a
Et, lorsque tu songeais la face contre terre, 6+6 a
3385 Un ange, qu'adoraient le lynx et la panthère, 6+6 a
T'a-t-il jeté, de l'ombre écartant les rideaux, 6+6 a
Quelque effrayant manteau d'étoiles sur le dos ? 6+6 a
Pour parler de la sorte, es-tu celui qui lie 6+6 a
Et qui délie ? As-tu le double esprit d'Élie ? 6+6 a
3390 Qu'es-tu ? Dis-moi ton nom. Les prophètes jadis, 6+6 a
A l'heure où, sur les monts par la brume engourdis ; 6+6 a
La large lune d'or surgissait comme un dôme, 6+6 a
Faisaient sur l'horizon des gestes de fantôme, 6+6 a
Dialoguaient avec les vents, et grands, et seuls, 6+6 a
3395 Ils secouaient les nuits ainsi que des linceuls ; 6+6 a
Car le désert, prenant de graves attitudes, 6+6 a
Jadis parlait a l'homme, et l'homme aux solitudes ; 6+6 a
La mer ouvrant son gouffre et l'aigle ouvrant son bec 6+6 a
Entendaient les devins, dans Endor, dans Balbeck, 6+6 a
3400 Faire des questions aux ténèbres, et l'ombre 6+6 a
Donner aux noirs devins l'explication sombre. 6+6 a
Es-tu de ceux-la ? Non ! Tu serais le dernier 6+6 a
Que tu ne serais pas si fou de le nier. 6+6 a
Serais-tu par hasard, ô parleur dérisoire, 6+6 a
3405 Un des grands mécontents de l'immensité noire ? 6+6 a
Trouves-tu que les cieux sacrés vont de travers ? 6+6 a
Peut-être étais-tu là quand Dieu fit l'univers ? 6+6 a
Et sans doute, en ce cas, ta peine fut cruelle 6+6 a
De voir que ce maçon n'avait pas de truelle, 6+6 a
3410 Et qu'il bâtissait l'ombre et l'azur et le ciel, 6+6 a
Et l'être universel et l'être partiel, 6+6 a
Et l'étendue où fuit le pâle météore, 6+6 a
Qu'il bâtissait le temps, qu'il bâtissait l'aurore, 6+6 a
Qu'il bâtissait le jour que l'aube épanouit, 6+6 a
3415 Les vastes firmaments bleus jusque dans la nuit, 6+6 a
Et les dômes profonds où vole la tempête, 6+6 a
Sans monter à l'échelle, une auge sur la tête ! 6+6 a
Es-tu quelque être à qui la clarté dit : Va-t-en ! 6+6 a
Sorti du grand flanc sombre et triste de Satan ? 6+6 a
3420 Non ! tu n'es qu'un passant frêle et vain. Je convie 6+6 a
Ton esprit à songer que Dieu seul est la vie ; 6+6 a
Tout le reste est la mort ; et je l'affirme en toi 6+6 a
A l'homme, ce buveur de la coupe d'effroi, 6+6 a
Ce pâle choisisseur de redoutables routes, 6+6 a
3425 Cet aveugle qui guette : et ce sourd aux écoutes ! 6+6 a
Viens-tu braver ce Dieu que l'ombre a combattu ? 6+6 a
Allons, parle, as-tu vu Léviathan ? L'as-tu 6+6 a
Surpris dans l'antre où-l'eau, baigne les granits chauves, 6+6 a
Ou dans quelque forêt pleine de-lueurs fauves ? 6+6 a
3430 Peux-tu dire : j'ai vu Léviathan ! voici 6+6 a
Comment il — est ! comment il rampe ! il nage ainsi ! 6+6 a
As-tu lu seulement ce qu'en dit Job ? Non, certes ! 6+6 a
Écoute alors :
« Son corps, couvert de lames vertes, 6+6 a
Semble un mouvant amas de boucliers — d'airain. 6+6 a
3435 Son sommeil fait le bruit d'un torrent souterrain. 6+6 a
Quand il a soif, sa gueule, ouverte, vaste, horrible, 6+6 a
Boit tout un fleuve avec un abment terrible. » 6+6 a
Voilà ce que dit Job, c'est effroyable, eh bien, 6+6 a
Moi qui l'ai vu je dis : ce que dit Job n'est rien. 6+6 a
3440 Léviathan ! Des poils, des crêtes, des mâchoires ; 6+6 a
Ailes qui sont des bras, pieds qui, sont des nageoires, 6+6 a
Des griffes qu'on prendrait pour des herbes, des nœuds, 6+6 a
Mille antennes qui font un branchage épineux, » 6+6 a
Un nombril vert ; pareil à là mer qui se creuse, 6+6 a
3445 C'est l'ombre faite monstre, et qui vit ; chose affreuse ! 6+6 a
Je ne sais quoi de noir et de prodigieux 6+6 a
Qui mord avec-des dents, qui voit avec des yeux ! 6+6 a
La façon dont il met ses pieds l'un devant l'autre 6+6 a
Est horrible ; le flot rugit quand, il s'y vautre ; 6+6 a
3450 Ainsi qu'un vase au feu sur son front la mer bout ; 6+6 a
Il sème en se trnant ses écailles partout 6+6 a
Comme un cygne sa plume au moment de la mue 6+6 a
La foudre tomberait sur lui sans qu'il remue. 6+6 a
Il est l'horreur ; il est l'hydre dont tout frémit ; 6+6 a
3455 Et quand. Léviathan crache, Satan vomit. 6+6 a
Que cet être affreux soit dans le monde où nous sommes 6+6 a
Et puisse regarder le ciel comme les hommes, 6+6 a
Cela trouble l'esprit et confond la raison. 6+6 a
Lorsqu'il passe la nuit derrière l'horizon, 6+6 a
3460 La lueur de ses yeux semble l'aube ; la grève 6+6 a
Blanchit ; le voyageur dit : l'aurore se lève, 6+6 a
Et ne se doute pas, dans sa tranquillité, 6+6 a
Que c'est Léviathan qui fait cette-clarté. 6+6 a
Passant paisible, il songe à l'aube douce et blonde, 6+6 a
3465 A la rosée, aux fleurs… — Quelle terreur profonde, 6+6 a
Quel frisson si dans l'ombre il pouvait soudain voir 6+6 a
Cette forme inouïe et sombre se mouvoir ! 6+6 a
Parfois Léviathan redescend vers le gouffre, 6+6 a
Et les masques ont peur au fond du lac de soufre, 6+6 a
3470 Et l'enfer tremble avec son geôlier pâlissant 6+6 a
Quand, là-haut, sur leurs fronts, tout a coup surgissant, 6+6 a
Sa tête, comme un mont qui remuerait sa cime, 6+6 a
Se dresse épouvantable au rebord de l'abîme. 6+6 a
Toi qui viens dans mon ombre, iras-tu le chercher 6+6 a
3475 Dans sa grande herbe verte, ou bien sous son rocher ? 6+6 a
Iras-tu le lier de cordes sous le ventre, 6+6 a
Et le trneras-tu, hideux, hors de son antre, 6+6 a
Pour faire dans ta cour, en plein soleil, devant 6+6 a
Cet être, objet nocturne, incroyable et vivant 6+6 a
3480 De tant de visions et de tant d'épouvantes, 6+6 a
Attrouper les enfants et rire les servantes ! 6+6 a
Eh bien ! dans sa main — songe à cela, vil roseau, 6+6 a
Dieu prend Léviathan comme on prend un oiseau ! 6+6 a
L'aigle reprit
— Moïse était seul sous la nue ; 6+6 a
3485 Au fond resplendissait une face inconnue, 6+6 a
Et moi, je regardai ; la face, c'était Dieu. 6+6 a
Je l'ai vu ! Je l'annonce à vous qui vivez peu, 6+6 a
J'ai vu l'effrayant Dieu de l'éternité sombre ! 6+6 a
Dieu ! dernier jour du temps ! dernier chiffre du nombre ! 6+6 a
3490 Voici ce que l'esprit apprend sur la hauteur : 6+6 a
Avant la créature était le créateur ; 6+6 a
Le temps sans fin était avant le temps qui passe ; 6+6 a
Avant le monde immense était l'immense, espace ; 6+6 a
Avant tout ce qui parle était ce qui se tait ; 6+6 a
3495 Avant tout ce qui vit le possible existait ; 6+6 a
L'infini sans figure au fond de tout séjourne. 6+6 a
Au-dessus du ciel bleu qui remue et qui tourne, 6+6 a
Où les chars des soleils vont, viennent et s'en vont, 6+6 a
Est le ciel immobile, éternel et profond. 6+6 a
3500 Là, vit Dieu. La durée, ainsi qu'une couleuvre, 6+6 a
Se roule et se déroule autour de lui. Son œuvre, 6+6 a
C'est le monde ; il la fait ; l'œuvre faite, il s'endort. 6+6 a
Alors partout s'épand comme une nuit de mort 6+6 a
Où les créations flottent abandonnées ; 6+6 a
3505 Après avoir dormi des millions d'années, 6+6 a
L'être incommensurable à qui rien n'est pareil, 6+6 a
Dont l'œil en s'entr'ouvrant luit comme le soleil, 6+6 a
Se réveille au milieu d'une extase profonde 6+6 a
Et de son premier souffle il crée un nouveau monde, 6+6 a
3510 Création splendide, univers lumineux, 6+6 a
Où l'atome étincelle, où se croisent des feux, 6+6 a
Clair, vivant, traversé par des astres sans nombre, 6+6 a
Qui tourbillonne autour de sa bouche — dans l'ombre. 6+6 a
Et puis il se rendort, et ce monde s'en va. 6+6 a
3515 Un monde évanoui, qu'importe à Jéhovah ? 6+6 a
Il est, lui seul existe, et l'homme est un fantôme. 6+6 a
Pas plus que le soleil ne s'occupe du chaume 6+6 a
Après la moisson faite et les épis coupés, 6+6 a
L'être ne prend souci des mondes dissipés. 6+6 a
3520 Il est. Cela suffit. Sa plénitude ignore. 6+6 a
La forme fuit, le son neurt dans l'onde sonore, 6+6 a
Ce qui s'éteint s'éteint, ce qui change,est changé. 6+6 a
Il dit : je suis c'est tout. C'est en bas qu'on dit : j'ai ! 6+6 a
L'ombre croit posséder, d'un vain songe animée, 6+6 a
3525 Et tient des biens de endre en des doigts de fumée. 6+6 a
Dieu-n'a rien, étant tout. Ah ! malheur à-celui 6+6 a
Qui doute : Je vous dis que sa face m'a lui 6+6 a
Et que j'ai vu son œil sombre dans les tonnerres. 6+6 a
Les patriarches blancs et huit fois centenaires 6+6 a
3530 Lui parlaient autrefois. C'est lui ! C'est le vivant. 6+6 a
C'est dans la grande nuit le grand soleil levant. 6+6 a
Rien n'existe que Dieu.
Tout le craint, tout le nomme. 6+6 a
La pierre du tombeau souffle sur l'homme, et l'homme 6+6 a
S'évanouit ; ses jours n'ont pas de lendemain 6+6 a
3535 Il marche quelques pas dans un obscur chemin, 6+6 a
Puis son pied se dissipe et sa route s'efface ; 6+6 a
Il meurt, et tout est mort Quoi qu'il tente ou qu'il fasse, 6+6 a
Il possède l'éclair, le vent, l'instant, le lieu ; 6+6 a
Il est le rêve, et vit le temps de dire adieu. 6+6 a
3540 Fantômes ! vous flottez sur les heures obscures 6+6 a
Dans ce monde ou l'on voit passer quelques figures ! 6+6 a
Hommes, qu'êtes-vous donc ? Des visages pensifs. 6+6 a
Le mal descend de vous comme le froid des ifs. 6+6 a
Vos desseins sont des puits d'iniquité ; vous êtes 6+6 a
3545 Des antres où le vie et le crime ont leurs fêtes ; 6+6 a
Vos maisons et vos seuils et vos toits et vos murs 6+6 a
Portent plus de forfaits qu'un cep de raisins mûrs 6+6 a
Vous incrustez d'or fin vos lits de bois d'érable ; 6+6 a
Vous tordez les haillons du pauvre misérable 6+6 a
3550 Et votre pourpre est faite avec le sang qui sort ; 6+6 a
Vous changez-en hochet le redoutable sort ; 6+6 a
Et vous jouez aux dés, riant, perdant des sommes, 6+6 a
Pendant que «dans sa nuit le destin joue aux hommes ; 6+6 a
Vos villes sont des bois ; on vole, on fraude, on vend ; 6+6 a
3555 L'ignorant est le pain que mange le savant ; 6+6 a
Et l'homme vautour tient l'homme taupe en sa serre, 6+6 a
Et l'ânier Intérêt fouette l'âne Misère ; 6+6 a
Vous souffrez à toute heure et de tous les côtés. 6+6 a
A quoi bon— ? étant tous au néant emportés. 6+6 a
3560 Vous pensez. Croyez-vous ? Vos crânes sont des voûtes 6+6 a
Sans lampes, d'où les pleurs suintent à larges gouttes. 6+6 a
Vous priez. Qui ? comment' ? pourquoi ? Vous ne savez. 6+6 a
Vous aimez. O nuit sombre ! ô cieux en vain rêvés ! 6+6 a
Vos sens sont un fumier dont votre amour s'arrange, 6+6 a
3565 Et dans votre baiser le porc se mêle à l'ange. 6+6 a
Et Satan a tant fait que votre abaissement 6+6 a
Est noirceur sur la terre et tache au firmament. 6+6 a
Donc il fit tout, ce Dieu ! les cieux, les monts, les bêtes, 6+6 a
Tout, même votre bruit et l'ombre que vous faites ; 6+6 a
3570 Donc il ouvrit la main, le semeur éternel, 6+6 a
Et sema dans l'espace à tous les vents du ciel 6+6 a
Les étoiles, poussière ardente, cendre ignée, 6+6 a
Tout ce que vous voyez la nuit ; cette poignée 6+6 a
De graines d'or, jetée au sillon de clarté, 6+6 a
3575 Tombe dans l'infini pendant l'éternité. 6+6 a
Parfois, quand Dieu regarde, il a honte de l'homme ; 6+6 a
Et les tigres des bois et les césars de Rome, 6+6 a
Les rois portant au front Mané Thécel Pharès, 6+6 a
Réverbèrent, parmi les vivants effarés, 6+6 a
3580 Le vague flamboiement de sa colère immense. 6+6 a
Hommes, sachez ceci, spectres pleins de démence 6+6 a
Il est, quand il lui plaît, le Dieu farouche. Il met 6+6 a
La marque de sa foudre à tout hautain sommet ; 6+6 a
Lorsqu'il s'éveille, il est terrible ; il frappe, il venge. 6+6 a
3585 Il souffle sur la cendre, il crache sur la fange ; 6+6 a
Il livre Tyr et Suze aux onagres rayés ; 6+6 a
Il poursuit, à travers les siècles effrayés, 6+6 a
Ainsi qu'on traque un loup de repaire en repaire, 6+6 a
Vingt générations pour le crime du père. 6+6 a
3590 O passants de la nuit, marcheurs des noirs sentiers, 6+6 a
Hommes, larves sans nom, qui mourez tout entiers, 6+6 a
Dieu montre brusquement sa face à qui l'outrage ; 6+6 a
Et quand vous l'insultez dans votre folle rage, 6+6 a
Comme le grand lion surgit dans la forêt, 6+6 a
3595 Adonaï s'efface et Sabaoth paraît ! 6+6 a
Saint, saint, saint, le seigneur mon Dieu ! Silence, abîmes ! 6+6 a
Et l'aigle s'enfonça dans les brumes sublimes 6+6 a
Pareil au grain de feu tombé de l'encensoir. 6+6 a
VI
Et je vis au-dessus de ma tête un point noir ; 6+6 a
3600 Et ce point noir semblait une mouche dans l'ombre. 6+6 a
J'y volai.
L'âpre nuit mourait, mais sa pénombre 6+6 a
Mourait dans un jour gris qu'on voyait poindre aux cieux. 6+6 a
Et cette mouche était un griffon monstrueux 6+6 a
Qui faisait trembler l'ombre avec son-aile énorme. 6+6 a
Et le griffon cria :
3605 — Que l'aigle d'en bas dorme ! 6+6 a
Je veille : Dieu plus haut que l'aigle m'emporta. 6+6 a
Tu viens du Sinaï, je viens du Golgotha ; 6+6 a
Aigle, la foudre emplit ton œ il visionnaire 6+6 a
Moi, j'ai vu le gibet plus grand que le tonnerre ! 6+6 a
3610 Quand les bourreaux dressaient la croix, j'étais dessus ; 6+6 a
J'ai frissonné sur l'arbre où l'on cloua Jésus ; 6+6 a
J'ai vu cette agonie immense et solennelle ; 6+6 a
Marc a pris pour l'écrire une plume à mon aile ; 6+6 a
J'ai regardé Jésus saigner et s'assoupir ; 6+6 a
3615 Je sais tout ; je suis plein de son dernier soupir. 6+6 a
Je sème sa parole au souffle de la bise. 6+6 a
Aigle, Christ en sait plus que Moïse, Moïse 6+6 a
N'ayant que les rayons, et Christ ayant les clous. 6+6 a
Non, Dieu n'est pas vengeur ! non, Dieu n'est pas jaloux ! 6+6 a
3620 Non, Dieu ne s'endort pas, portant toute la voûte ! 6+6 a
Non, l'homme ne meurt pas tout entier.
Aigle, écoute : 6+6 a
Dieu, le monde étant fait, reconnut que cela 6+6 a
N'était-rien, puisque rien n'y disait : me voilà ; 6+6 a
Puisque rien n'y pensait et n'y parlait ; de sorte 6+6 a
3625 Que là création en naissant était morte ; 6+6 a
Or l'incréé voulut engendrer l'immortel. 6+6 a
Il fit l'âme, et la mit dans l'homme, son autel. 6+6 a
L'homme seul reçut l'âme en l'univers visible. 6+6 a
Dieu créa pour Adam ce faîte inacessible. 6+6 a
3630 Au-dessous dé l'homme, âme, intelligence, esprit, 6+6 a
La matière-roula dans la pierre, fleurit 6+6 a
Dans la plante, et hurla dans la bête, sans vivre. 6+6 a
Voyant qu'il avait seul une âme, Adam fut ivre ; 6+6 a
Il voulut la science et déroba le fruit. 6+6 a
3635 C'est pourquoi Dieu jeta les hommes dans la nuit. 6+6 a
Et depuis ce jour-là, l'urne amère est remplie. 6+6 a
Sous la faute d'Adam tout le genre humain plie. 6+6 a
Le labeur est ingrat et le sillon est dur ; 6+6 a
L'homme naît mauvais, triste, inexorable, impur ; 6+6 a
3640 L'enfantement du mal déchire le flanc d'Ève. 6+6 a
La guerre et l'échafaud, ces deux tranchants du glaive, 6+6 a
Vont fauchant l'ignorant, le faible et l'innocent ; 6+6 a
Le fratricide affreux, qui croit le père absent, 6+6 a
Fait peur aux cieux avec le sang qu'on lui voit boire ; 6+6 a
3645 Hélas ! dans la forêt de l'humanité noire, 6+6 a
Un éternel Caïn tue à jamais Abel. 6+6 a
L'homme adore Moloch, Dagon, Teutatès, Bel ; 6+6 a
Et sur les crimes rois les monstres dieux flamboient. 6+6 a
Les vices, meute infâme, autour de l'âme aboient. 6+6 a
3650 Toute l'humani tinte comme un beffroi. 6+6 a
Partout l'horreur, le râle et le rire, et l'effroi. 6+6 a
Toute bouche est ulcère et tout faîte est cratère. 6+6 a
Un bruit si monstrueux sort de toute la terre 6+6 a
Que la nuit, veuve en deuil, dit au jour qui rougit : 6+6 a
3655 C'est le tigre qui parle ou l'homme qui rugit ! 6+6 a
Satan à l'entour vole et plane, oiseau de proie 6+6 a
Des âmes. La douleur formidable est sa joie. 6+6 a
Et plein de feux, de pleurs, de tourments éperdus, 6+6 a
Et de bustes vivants dans les flammes tordus, 6+6 a
3660 Pleins de cris qui s'en vont au bronze de la voûte 6+6 a
Et que la surdi de l'impossible écoute, 6+6 a
Coupole de l'abîme ayant pour pendentifs 6+6 a
D'affreux écroulements d'êtres noirs et plaintifs, 6+6 a
Geôle sans fond, sans jour, sans espoir, sous la foule 6+6 a
3665 Des vivants, sous ce tas de vanité qui roule, 6+6 a
Sous le flot des passants de la vie et du bruit, 6+6 a
Sous le penseur, captif du rêve qu'il construit, 6+6 a
Sous les guerriers casqués et sous les femmes nues, 6+6 a
Sous les larges festins qui chantent jusqu'aux nues, 6+6 a
3670 Sous tout ce qui s'allume et tout e qui s'éteint, 6+6 a
Sous tous les pas de l'homme, orgueil, science, instinct, 6+6 a
Sous tout être qui marche, ou chancelle, ou trébuche, 6+6 a
L'enfer éternel guette et s'ouvre, vaste embûche. 6+6 a
Noir sillon compo de tous les vils limons, 6+6 a
3675 Qui reçoit des esprits et qui rend des démons, 6+6 a
Qui produit des moissons de spectres, et des gerbes 6+6 a
De monstres flamboyants, lugubres et superbes, 6+6 a
D'où sort tout ce qui tue, où croît tout ce qui ment, 6+6 a
Et qui tressaille, ému d'un long frémissement, 6+6 a
3680 Chaque fois qu'il entend l'affreux cri de la chute, 6+6 a
Chaque fois qu'en sa nuit descend, essaim qui lutte, 6+6 a
Quelque tourbillon sombre et triste où l'âme luit, 6+6 a
Et qu'il voit au-dessus de lui, noire et-sans bruit, 6+6 a
S'ouvrir l'immense main de son semeur sinistre ! 6+6 a
3685 Mais le livre de vie est là, divin registre, 6+6 a
L'homme, c'est l'âme ; l'homme est l'hôte d'un rayon, 6+6 a
Et la matière seule est la damnation. 6+6 a
Dieu pense, et la douleur lentement le désarme. 6+6 a
Dieu s'appelle pardon, l'homme se nomme larme ; 6+6 a
3690 Dieu créa la pitié le : jour où l'homme est né. 6+6 a
Devant lés actions de l'homme infortu 6+6 a
Souvent, la, pure des firmaments s'indigne ; 6+6 a
Souvent l'astre aux yeux d'aigle et l'ange au vol de cygne 6+6 a
S'étonnent de ette ombre et de cette noirceur ; 6+6 a
3695 Dieu, voyant l'homme fourbe, implacable, oppresseur, 6+6 a
Est triste ; et quand, sortant de la nuit, la Colère 6+6 a
Apparaît, face sombre et que la foudre éclaire, 6+6 a
Rappelant au Seigneur ce que l'homme lui doit, 6+6 a
Prête à maudire, il met sur cette bouche un doigt. 6+6 a
3700 Ce doigt mystérieux et doux, c'est la clémence. 6+6 a
Le pardon dit tout bas à l'homme : recommence ! 6+6 a
Redeviens pur. Remonte à ta source. Essayons 6+6 a
Rentre au creuset : Ton Dieu t'offre dans les rayons : 6+6 a
Pour refaire ton âme obscurcie et difforme, 6+6 a
3705 Le cercueil, ce berceau de la naissance énorme. 6+6 a
Clémence, c'est le fond de Dieu. Dieu boit le fiel. 6+6 a
Dieu ne vengé pas Dieu devant l'azur-du ciel. 6+6 a
Il ne revomit rien sur l'homme. Secourable, 6+6 a
Tendre, il chasse du pied le mal, ce misérable : 6+6 a
3710 Dieu, que l'homme coupable appelait, s'est penché, 6+6 a
Et, voyant l'univers sanglant ; mort, desséché ; 6+6 a
Et, songeant, pour lui-même et pour lui seul sévère, 6+6 a
Que pour sauver un monde il suffit d'un calvaire, 6+6 a
Il a dit : Va, mon fils ! Et son fils est allé. 6+6 a
3715 Rédemption ! mystère ! Ô grand Christ étoilé ! 6+6 a
Soif du crucifié, d'amertume assouvie ! 6+6 a
Linceul dont tous les-plis font tomber de la vie ! 6+6 a
Ô gibet qui bénit Judas et Barabbas ! 6+6 a
Qui verse à flots la sève et l'espérance en bas, 6+6 a
3720 Croix, à tous les esprits, arbre, à toutes les plantes ! 6+6 a
Sublime embrassement des grandes mains sanglantes ! 6+6 a
œil mourant de Jésus dont l'éternité luit ! 6+6 a
Ô pardon ! ô pitié de l'azur pour la nuit ! 6+6 a
Paix céleste qui sort de toutes les clémences ! 6+6 a
3725 Ô mont mystérieux des oliviers immenses ! 6+6 a
Après le créateur, le sauveur s'est montré. 6+6 a
Le sauveur a veillé pour tous les yeux, pleu 6+6 a
Pour tous les pleurs, saigné pour toutes les blessures. 6+6 a
Les routes des vivants, hélas ! ne sont pas sûres, 6+6 a
3730 Mais Christ, sur le poteau du fatal carrefour, 6+6 a
Montre d'un bras la nuit et de l'autre le jour ! 6+6 a
Après lui sont venus les apôtres, ces têtes 6+6 a
Flamboyantes ; les saints ; martyrs jetés aux bêtes, 6+6 a
Vierges louant Jésus dans le noir tombereau, 6+6 a
3735 Femmes grosses chantant pendant que le bourreau, 6+6 a
Effroyable, arrachait leurs enfants de leurs ventres, 6+6 a
Et les pères des bois et les docteurs des antres, 6+6 a
Et les voix des déserts et des cloîtres, criant 6+6 a
A l'homme en sa nuit froide : Orient ! Orient ! 6+6 a
3740 Oh ! vous l'avez cherché sans l'entrevoir, sibylles, 6+6 a
Ce Dieu mystérieux des azurs immobiles ! 6+6 a
Filles des visions, toi, sous l'arche d'un pont, 6+6 a
Daphné ; toi, guettant l'œuf que la chouette pond, 6+6 a
Albunée, et brûlant une torche de cire ; 6+6 a
3745 Toi, celle de Phrygie, épouvante d'Ancyre, 6+6 a
Parlant à l'astre et, pâle, écoutant s'il répond ; 6+6 a
Celle d'Imbrasia ; celle de l'Hellespont 6+6 a
Qui se dresse déesse et qui retombe hyène ; 6+6 a
Toi, Tiburtine ; et toi, la rauque Libyenne, 6+6 a
3750 Criant : Treize ! essayant la loi du nombre impair ; 6+6 a
Toi dont le regard fixe inquiétait Vesper, 6+6 a
Larve d'Endor ; et toi, les dents blanches d'écume, 6+6 a
Les deux seins nus, ô folle effrayante de Cume ; 6+6 a
Chaldéenne, filant un invisible fil ; 6+6 a
3755 Sardique a l'œil de chèvre, au tragique profil ; 6+6 a
Toi, maigre et toute nue au soleil, Érythrée, 6+6 a
D'azur et de lumière et d'horreur pénétrée ; 6+6 a
Toi, Persique, habitant un sépulcre détruit, 6+6 a
Ô face à qui parlaient les passants de la nuit 6+6 a
3760 Et les échevelés qui se penchent dans l'ombre 6+6 a
Toi, mangeant du cresson dans ta fontaine sombre, 6+6 a
Delphique ; âpres esprits, toutes, vous eûtes beau 6+6 a
Hurler, frapper le vent, remuer le tombeau, 6+6 a
Rouler vos fauves yeux dans la profondeur noire, 6+6 a
3765 Nulle de vous n'a vu clairement dans sa gloire 6+6 a
Ce grand Dieu du pardon sur la terre levé. 6+6 a
Sainte-Thérèse, avec un soupir, l'a trouvé. 6+6 a
Le pardon est phis grand que Caïn, et le couvre. 6+6 a
La clémence de Dieu de tous les côtés s'ouvre, 6+6 a
3770 Et c'est là le seul piège où l'on tombe toujours. 6+6 a
La langue des muets et l'oreille des sourds, 6+6 a
C'est le pardon : La grâce aide clin s'abandonne. 6+6 a
C'est ce qui manque à tous et ce qu'à, tous Dieu donne. 6+6 a
Père, il sourit aux fils clin lui, Montrent le poing. 6+6 a
3775 Dieu serait le puni s'il ne pardonnait point : 6+6 a
Son ciél est un regard clément. Toutes les grâces 6+6 a
Qu'il fait à chaque instant, s'envolent, jamais lasses, 6+6 a
Se dispersent au loin dans tous les univers, 6+6 a
Et, du faible au méchant, du farouche au pervers, 6+6 a
3780 Errent, abeilles d'or, et butinent les âmes, 6+6 a
Puis reviennent, mêlant baumes, encens, dictames, 6+6 a
Rapportant les parfums extraits des cœurs maudits, 6+6 a
Emplir du miel pardon la ruche paradis. 6+6 a
Clémence ! mot formé de toutes les étoiles ! 6+6 a
3785 Dieu ! ciel de tous les yeux ! port de toutes les voiles ! 6+6 a
Jamais, brume ou tempête, et quel que soit le vent, 6+6 a
L'asile n'est fermé tant que l'homme est vivant ; 6+6 a
Toute lèvre est reçue au céleste ciboire ; 6+6 a
Le sang du sauveur coule et toute âme y peut boire ; 6+6 a
3790 Si ténébreux que soit l'homme qui va partir, 6+6 a
A l'heure de la mort un cri de repentir, 6+6 a
Un appel de la foi que le tombeau recrée, 6+6 a
Un regard attendri vers la lueur sacrée, 6+6 a
Vers ce qu'on insultait et ce qu'on dénigrait, 6+6 a
3795 Un sanglot, moins encore, un soupir, un regret 6+6 a
De l'âme détestant sa tache originelle, 6+6 a
Suffit pour qu'elle échappe à la peine éternelle, 6+6 a
A l'enfer qui, voyant ce que les hommes font, 6+6 a
Tord les chaînes sans fin dans les gouffres sans fond. 6+6 a
3800 Qui que fil sois, esquif, tourne vers Dieu ta proue. 6+6 a
Le châtiment sans terme et sans espoir écroue, 6+6 a
Sous les éternités plus lourdes que les monts, 6+6 a
Les démons seuls et ceux qui deviennent démons. 6+6 a
Pour que la peine tombe immuable et tardive, 6+6 a
3805 Il faut du dernier cri l'horrible récidive ; 6+6 a
Dans l'éternité sombre, Achab, Caligula, 6+6 a
Borgia qu'entre tous la tiare étoila, 6+6 a
Philippe deux, Timour, Phalaris, Louis onze, 6+6 a
Néron, sont au carcan sur des trônes de bronze. 6+6 a
3810 Pourquoi ? parce qu'ils ont dit non ! au grand moment, 6+6 a
Que leur âme est sortie en un vomissement ! 6+6 a
L'homme n'a qu'à pleurer pour retrouver son père. 6+6 a
Le malheur lui dit : crois. La mort lui crie : espère ! 6+6 a
Qu'il se repente, il tient la clef d'un sort meilleur. 6+6 a
3815 Dieu lui remplace, après l'épreuve et la douleur, 6+6 a
Le paradis des fleurs par l'éden des étoiles. 6+6 a
Ève, à ta nudi Marie offre ses voiles ; 6+6 a
L'ange au glaive de feu rappelle Adam proscrit ; 6+6 a
L'âme arrive portant la croix de Jésus-Christ ; 6+6 a
3820 L'éternel pres de lui fait asseoir l'immortelle. 6+6 a
Aigle, la sainte de l'âme humaine est telle 6+6 a
Qu'au fond du ciel suprême où la clarté sourit, 6+6 a
Où le Père et le Fils se mêlent dans l'Esprit, 6+6 a
Il semble que l'azur égalise et confonde 6+6 a
3825 Jésus, l'âme de l'homme, et Dieu, l'âme du monde ! — 6+6 a
Et, l'œil au firmament, ne regardant plus rien, 6+6 a
Comme ivre de rayons, le monstre aérien, 6+6 a
Lion par la crinière et l'ongle, aigle par l'aile ; 6+6 a
Chanta :
Paix, vie et gloire à la voûte éternelle ! 6+6 a
3830 Il est le véritable ! Il vit. Il est présent. 6+6 a
Comme il est l'invisible, il est l'éblouissant ; 6+6 a
Il a créé d'un mot la chose et le mystère, 6+6 a
Tout ce qu'on peut nommer et tout ce qu'il faut taire. 6+6 a
Quand l'homme juste meurt, il lui ferme les yeux ; 6+6 a
3835 Le beau jardin Azur est plein d'esprits joyeux ; 6+6 a
Ils entrent à toute heure et par toutes les portes ; 6+6 a
Dieu fait évanouir les gonds des villes fortes ; 6+6 a
Entre ses doigts distraits il tord le pâle éclair ; 6+6 a
Le grand serpent lui semble un cheveu dans la mer. 6+6 a
3840 Il est le grand poëte, il est le grand prophète. 6+6 a
Il est la base, il est le centre, il est le faîte ; 6+6 a
Il est celui qui songe, il est celui qui voit ; 6+6 a
Il connaît l'avenir auquel tout homme a droit, 6+6 a
L'Éden soleil, l'abîme et ses chambres funèbres. 6+6 a
3845 Ceux qui marchent sans lui s'en vont dans les ténèbres. 6+6 a
Il ordonne à la nuit d'envelopper le jour. 6+6 a
Il met la mort, archer, au créneau de la tour. 6+6 a
Les cèdres du Liban, pareils à de vieux prêtres, 6+6 a
Parlent de lui tout bas ; l'ombre de tous les êtres 6+6 a
3850 S'incline devant lui les matins et les soirs. 6+6 a
Les vierges à ses pieds, dans de purs encensoirs, 6+6 a
Font brûler un parfum composé des prières 6+6 a
De tous ceux que le monde appelle ses lumières, 6+6 a
De tous les saints qui sont sur terre et dans le ciel ; 6+6 a
3855 Cette blanche fumée enveloppe l'autel, 6+6 a
Et l'Incréé, caché sous des voiles de flammes, 6+6 a
Se penche, respirant la douce odeur des âmes. 6+6 a
Les colonnes des cieux s'étonnent devant lui ; 6+6 a
Ces hauts piliers, chargés de ce dôme inouï, 6+6 a
3860 Frissonnent éperdus à son souffle, et ressemblent 6+6 a
À leur propre reflet dans des ondes qui tremblent. 6+6 a
Ô Dieu ! roi ! père ! asile ! espoir du criminel ! 6+6 a
Éternel laboureur ! moissonneur éternel ! 6+6 a
Maître à la première heure et juge à la — dernière ! 6+6 a
3865 C'est lui qui fit le monde avec de la lumière ! 6+6 a
Le firmament — est clair de sa sérénité. 6+6 a
Par moments, dans l'azur splendide et redouté, 6+6 a
Ô mystère ! il se fait des silences d'une heure ; 6+6 a
Personne en haut ne chante et nul en bas ne pleure ; 6+6 a
3870 L'ange abaisse, pensif, son clairon éclatant ; 6+6 a
Dieu médite ; le ciel rêve ; l'enfer attend. 6+6 a
Et c'est ce mot qui sort de l'ombre : Je pardonne. 6+6 a
Le griffon s'effaça, comme l'éclair qui tonne, 6+6 a
Dans une brume où rien ne semblait se mouvoir. 6+6 a
VII
3875 Et je vis au-dessus de ma tête un point noir ; 6+6 a
Et ce point noir semblait une mouche dans l'ombre. 6+6 a
La nuit derrière moi, comme un hideux décombre, 6+6 a
Fuyait, et vers le point lointain, vague et vivant, 6+6 a
Je volai, m'enfonçant de plus en plus avant 6+6 a
3880 Dans le bleu firmament doré d'une aube étrange ; 6+6 a
Et cette mouche était un ange.
Et cet archange, 6+6 a
Immense, déployant sur mon front qui rêvait, 6+6 a
Deux ailes, l'une blanche et l'autre noire, avait 6+6 a
L'œil fixe, et sur son front le jour semblait éclore ; 6+6 a
3885 Et l'aile blanche allait se fondre dans l'aurore, 6+6 a
Et l'aile noire allait se perdre dans la nuit. 6+6 a
Dans ce ciel où mon vol profond m'avait conduit, 6+6 a
Mer où notre ciel noir semblait une presqu'île, 6+6 a
L'ange apparaissait fier, heureux, puissant, tranquille ; 6+6 a
3890 Si la nuit descendait et si le jour montait, 6+6 a
Il ne le savait pas ; on eût dit qu'il était 6+6 a
A jamais immobile ; ayant trouvé la sphère 6+6 a
Où l'extase n'a plus de mouvement à faire, 6+6 a
Et qu'il était créé, lui l'être grand et pur, 6+6 a
3895 Pour ne rien regarder qui ne fût pas l'azur ; 6+6 a
Il se tenait debout sans baisser la prunelle, 6+6 a
Comme s'il ne voyait qu'une chose éternelle. 6+6 a
Et, sentant que vers lui d'en bas quelqu'un venait, 6+6 a
— Qu'es-tu ? dit l'ange, beau comme l'astre qui naît, 6+6 a
3900 Et sans tourner vers moi ses yeux ni sa figure ; 6+6 a
Et je lui dis : — O front voisin de l'aube pure, 6+6 a
Je suis l'être à qui plaît la tombe dans l'exil. 6+6 a
L'ange me regarda. — Demeure, me dit-il. 6+6 a
Puis, et je vis alors qu'il tenait une palme, 6+6 a
Il se mit à parler au gouffre :
3905 — L'Être est calme. 6+6 a
Dieu vit. Le Oui du jour et le Non de la nuit 6+6 a
Sont deux larves qu'un souffle obscur forme et détruit ; 6+6 a
Le mot noir est un grain de cendre dans la brume, 6+6 a
O gouffre, et le mot blanc est un flocon d'écume ; 6+6 a
3910 L'infini ne sait point ce qu'on murmure en bas ; 6+6 a
Moi, j'écoute et j'entends. Shiva dit : — Dieu n'est pas, 6+6 a
Et du crime de tout personne n'est coupable. 6+6 a
Hermès dit : — L'invisible erre dans l'impalpable. 6+6 a
— Deux dieux, dit Zoroastre. Un désordre normal. 6+6 a
3915 L'être, n'est le combat du bien contre le mal. — 6+6 a
Orphée au chant profond dit : — Les dieux semblent être ; 6+6 a
Mais quand on les contemple, on les voit disparaître ; 6+6 a
Tant la Fatalité, larve sans front, sans yeux, 6+6 a
Sans cœur, étreint la terre et l'enfer et les cieux. 6+6 a
3920 Moïse dit : — Il n'est qu'un Dieu. Dieu crée et venge. 6+6 a
L'homme est une ombre, et meurt. — Et Jésus au front d'ange 6+6 a
Dit : — Dieu pardonne. Il rend les bons au paradis. 6+6 a
L'âme humaine survit à l'homme. — Et moi, je dis, 6+6 a
— Car, sur chaque échelon de l'échelle où meurt l'ombre, 6+6 a
3925 Le verbe lumineux succède au verbe sombre' ; 6+6 a
On monte à la parole après le bégaiement 6+6 a
Je dis :
Dieu, c'est le vrai. Ni vengeur, ni clément ; 6+6 a
Il est juste. Venger l'affront, c'est le connaître, 6+6 a
Et c'est le mériter. Être clément, c'est être 6+6 a
3930 Injuste pour tous eux qu'on ne pardonne pas. 6+6 a
Quand tu vis Sabaoth, aigle, tu te trompas. 6+6 a
Griffon, qui sur ton aile as porté l'évangile, 6+6 a
Écoute. Écoutez tous ! Zoroastre est d'argile ; 6+6 a
Shiva, qui n'est qu'un sage et que l'Inde croit dieu, 6+6 a
3935 Est un morceau de terre ; Orphée au regard bleu 6+6 a
A senti son squelette au sépulcre descendre ; 6+6 a
Et le voleur du feu, Prométhée, est de cendre ; 6+6 a
Moïse n'est pas près du Seigneur Jésus-Christ 6+6 a
N'est pas près du Seigneur ; nul prophète n'écrit 6+6 a
3940 Près de Dieu ; nul archange ailé, nul personnage, 6+6 a
Nul saint : l'Éterni n'a pas de voisinage. 6+6 a
Écoutez ! Gravissez le réel pas à pas. 6+6 a
Dieu n'est point le pêcheur qui jette des appâts 6+6 a
Au pauvre être fuyant que l'appétit assiège ; 6+6 a
3945 Et son bonheur n'est pas de prendre l'homme au piège. 6+6 a
Pas d'enfer éternel.
Quoi, l'être aux instants courts, 6+6 a
Quoi, le vivant rapide enchné pour toujours ! 6+6 a
Quoi, des illusions, des erreurs, des risées, 6+6 a
Quoi, des fautes d'un jour et d'une ombre, écrasées 6+6 a
3950 Par ce roc immobile et monstrueux, jamais ! 6+6 a
Dieu se faisant bourreau du haut des clairs sommets ! 6+6 a
Dieu, pire que Shylock, le vil rogneur de piastres ! 6+6 a
L'Incréé, couronné de comètes et d'astres, 6+6 a
Tenaillant dans sa cave un moucheron puni ! 6+6 a
3955 La grandeur s'acharnant aux petits ! L'infini 6+6 a
Donnant la question à l'insecte qui pleure ! 6+6 a
L'Éternité tordant les minutes de l'heure ! 6+6 a
Quoi ! ce juge aurait soif, quoi ! ce père aurait faim 6+6 a
De l'angoisse sans borne et du-tourment sans fin ! 6+6 a
3960 Il aurait pour travail la souffrance, et pour joie 6+6 a
De faire écarteler, dans l'enfer qui flamboie, 6+6 a
L'homme, atome éperdu, sanglant, épouvanté, 6+6 a
Aux quatre vents de l'ombre et de l'immensité ! 6+6 a
Chassez ce songe, vous, fantômes, qui le faites ! 6+6 a
3965 Quoi ! ces mondes créés dans des robes de fêtes, 6+6 a
Quoi ! la vie et le jour, l'éther, le firmament, 6+6 a
L'azur, l'océan perle et l'astre diamant, 6+6 a
Cette resplendissante et profonde nature, 6+6 a
Ne seraient qu'une chambre énorme de torture ! 6+6 a
3970 Et dans les vastes cieux la constellation, 6+6 a
Du gouffre émerveillé sublime vision, 6+6 a
Mêlant l'étoile bleue et blanche au soleil rouge, 6+6 a
Éclatante, serait la chandelle du bouge ! 6+6 a
Que quelqu'un ait rê cela, c'est mon ennui. 6+6 a
3975 Et, comme les damnés, hier, demain, aujourd'hui, 6+6 a
Toujours, brûlent au feu qui ne doit pas s'éteindre ; 6+6 a
Et, comme ce serait blâmer Dieu que les plaindre ; 6+6 a
Ce serait supposer qu'il peut être meilleur ; 6+6 a
En outre, comme, étant larme, angoisse et douleur, 6+6 a
3980 La pitié ferait tache au paradis ; et, comme 6+6 a
Dieu ne doit rien cacher de sa justice a l'homme, 6+6 a
A l'âme, à l'ange, aux saints, et que l'éternel feu, 6+6 a
L'enfer, est un cô de la vertu de Dieu ; 6+6 a
Comme, alors, les élus devant voir la géhenne, 6+6 a
3985 Il faut qu'elle les charme, et que pour eux la peine 6+6 a
Se résolve en bonheur, et qu'avec son tourment 6+6 a
L'enfer soit pour le »ciel un assaisonnement, 6+6 a
Et que l'ange se plaise au sanglot qui s'élève ; 6+6 a
Le paradis n'est plus qu'un balcon de la Grève, 6+6 a
3990 Où l'on vient voir, avec un sourire serein, 6+6 a
Brûler la Brinvilliers et rouer vif Mandrin, 6+6 a
Où l'on vient savourer l'agonie âpre et lente, 6+6 a
Et voir l'effet que font l'huile et la poix bouillante 6+6 a
Sur Caïn, et Judas hurler, et Lucifer 6+6 a
3995 Rugir à chaque coup de la barre de fer ! 6+6 a
Il se tut ; puis rouvrit ses deux lèvres vermeilles 6+6 a
D'où les mots s'envolaient ainsi qûe des abeilles, 6+6 a
Comme s'ouvre la ruche après que l'aube a lui : 6+6 a
— Personne n'est puni pour la faute d'autrui. 6+6 a
4000 D'ailleurs, hommes, le fruit est fait, pour qu'on le cueille. 6+6 a
Le livre monde est fait pour qu'on tourne la feuille. 6+6 a
Savoir, c'est vivre ; et vivre est le droit. Adorer, 6+6 a
C'est connaître ; et la porte aime à voir l'âme entrer. 6+6 a
Quelle que soit la lutte ou la peine ou l'épreuve, 6+6 a
4005 Chaque fois que l'homme, humble et que le doute abreuve, 6+6 a
Saisit un fait nouveau dans l'ombre, il a g 6+6 a
De Dieu, de la lumière et de l'éternité. 6+6 a
C'est bien. C'est vers le jour une marche gagnée. 6+6 a
A grands coups de science, à grands coups de cognée, 6+6 a
4010 Les vivants ont raison, dans leur obscurité, 6+6 a
D'ébaucher la statue immense Vérité. 6+6 a
L'homme est le noir sculpteur, le mystère est le marbre. 6+6 a
Faites. Ève a raison de se dresser vers l'arbre ; 6+6 a
Prométhée a raison, Galilée a raison ; 6+6 a
4015 Colomb, qui cueille un monde au fond de l'horizon, 6+6 a
Fait bien ; Dante envahit la nuit cercle par cercle ; 6+6 a
Spinosa du néant lève l'affreux couvercle ; 6+6 a
Fulton dompte la mer que Xercès révolta ; 6+6 a
Galvani forge et mêle, à côté de Volta, 6+6 a
4020 Les fluides, force, âme, aimants, métaux, mercures ; — 6+6 a
Mesmer tressaillant touche aux frontières obscures ; 6+6 a
C'est ton droit, homme. Eschyle et Shaskpeare ont raison, 6+6 a
Ô terre, d'étoiler ton plafond de prison. 6+6 a
Rœmer arrête au vol la lumière ravie ; 6+6 a
4025 Guttenberg fait du jour, de l'amour, de la vie 6+6 a
Avec le plomb fondu du vieux supplice humain ; 6+6 a
Pythagore soumet l'ombre a son examen ; 6+6 a
Papin attelle à l'homme, à la terre charmée, 6+6 a
A l'âme ; au char de feu, le noir cheval fumée ; 6+6 a
4030 Halley de la comète est l'éclatant héraut ; 6+6 a
Leibniz offre à l'esprit l'évasion d'en haut, 6+6 a
Et, tressant le calcul, la pensée et l'étude, 6+6 a
Jette dans l'infini l'échelle de Latude ; 6+6 a
Harvey dit : le sang coule, et l'homme vit ! Képler 6+6 a
4035 Prend dans les cieux l'étoile, et Franklin prend l'éclair ; 6+6 a
Jackson ôte l'angoisse à la chair qu'il mutile ; 6+6 a
Ils sont tous dans le vrai, dans le beau, dans l'utile. 6+6 a
Allez ! prenez la bêche et bêchez le jardin ! 6+6 a
Mongolfier veut l'azur en attendant l'Éden ; 6+6 a
4040 Bien. Et Luther fait bien d'ouvrir l'âme, et Vésale 6+6 a
Éclairant le dedans de la mort colossale, 6+6 a
Fait bien. L'audace est sainte et Dieu bénit l'effort. 6+6 a
Tous les glaives de feu derrière Adam ont tort. 6+6 a
Monte, esprit. Dieu t'attend. Dans ses deux mains de flamme, 6+6 a
4045 Équilibre, il tient l'astre, et, justice, il tient l'âme ; 6+6 a
Et, l'univers ayant ce but : voir et savoir, 6+6 a
Pour l'astre et pour l'esprit rayonner est devoir. 6+6 a
Monte, et ne tremble pas. C'est une âpre montée. 6+6 a
Quelquefois l'âme hésite, à mi-côte arrêtée. 6+6 a
4050 L'esprit humain qui va, voit devant lui l'écueil, 6+6 a
L'escarpement, l'horreur, le chaos, le cercueil, 6+6 a
Et le sentier toujours plus sinistre et plus roide. 6+6 a
Ce marcheur a le front baigné de sueur froide. 6+6 a
Va, marcheur ! Mal et Bien portent à leurs deux bouts 6+6 a
4055 L'effroi. Souvent, féroce au bonheur des hiboux, 6+6 a
Le, progrès, rudoyant tous les petits bien-êtres, 6+6 a
Vomit tous les rayons dans toutes les fenêtres. 6+6 a
Le bien est sans pitié. Traverse sans trembler 6+6 a
Tout ce que tu verras autour de toi hurler ; 6+6 a
4060 Le progrès a parfois l'allure vaste et fauve ; 6+6 a
Et le bien bondissant effare : ceux qu'il sauve. 6+6 a
Va donc ! Double le pas ! L'horizon s'élargit. 6+6 a
Va ! monte ! à chaque étape une larve surgit ; 6+6 a
C'est l'avenir debout dans sa figure étrange 6+6 a
4065 L'avenir semble spectre avant d'apparaître ange. 6+6 a
Marche ! Qui veut aller à lui doit être prêt, 6+6 a
A tous les grands combats ; l'homme se tromperait 6+6 a
S'il croyait qu'on-obtient Dieu sans peine, et qu'on pousse 6+6 a
L'enfer dans le tombeau sans lutte et ; sans secousse. 6+6 a
4070 L'enfantement du mieux a ses convulsions. 6+6 a
Tout dans les cieux se fait par révolutions. 6+6 a
Qu'est-ce que le progrès ? un lumineux désastre, 6+6 a
Tombant comme la bombe et restant comme l'astre. 6+6 a
L'avenir vient avec, le souffle d un grand vent. 6+6 a
4075 Il chasse rudement les peuples en avant ; 6+6 a
Il fait sous les gibets des tremblements de terre ; 6+6 a
Il creuse brusquement sous l'erreur qu'il fait taire, 6+6 a
Sous tout ce qui fut lâche, atroce, vil, petit, 6+6 a
Des ouvertures d'ombre où le mal s'engloutit. 6+6 a
4080 Va, lutte, Esprit de l'homme ! il ne faut pas qu'on aille 6+6 a
S'imaginer le bien de facile trouvaille. 6+6 a
Le bien étonne ; et l'âme a peur en le créant ; 6+6 a
Il a la majesté suspecte du géant 6+6 a
Quand, écumant, avec une rumeur confuse, 6+6 a
4085 Il sort, lion de l'antre, ou vague de l'écluse. 6+6 a
Oui, le, bien est une eau qui monte dans la nuit ; 6+6 a
Il monte, il est torrent du passé qu'il détruit, 6+6 a
Il est le châtiment ; il vient ; pas de refuge ; 6+6 a
Il monte, il est marée ; il monte, il est déluge ! 6+6 a
4090 Sombre inondation de bonheur ! ô terreur, 6+6 a
Dit l'homme ! Et le génie, indomptable éclaireur, 6+6 a
Crie : O joie ! — Allons, marche, esprit de l'homme ! avance. 6+6 a
Accepte des fléaux l'énorme connivence ! 6+6 a
Marche ! Oui, souvent, douteux pour qui l'a souhaité, 6+6 a
4095 Le progrès, effrayant à force de clarté, 6+6 a
A, quand il vient broyer le faux, l'abject, l'horrible, 6+6 a
Des apparitions de crinière terrible : 6+6 a
Sa promesse menace ; et pour tout ce qui doit 6+6 a
Tomber, mourir, finir dans le jour qui s'accroît, 6+6 a
4100 Faux dieux, faux prêtres, mage impur, juge vendable, 6+6 a
Son rire est le rictus de l'aube formidable. 6+6 a
Depuis Adam, depuis Noé, de temps en temps, 6+6 a
Le progrès, qui poursuit ses vaincus haletants, 6+6 a
Qui veut qu'on soit, qu'on marche et qu'on creuse et qu'on taille, 6+6 a
4105 Pousse ses légions d'azur dans la bataille, 6+6 a
Ses penseurs constellés, éthérés, spacieux, 6+6 a
Tous ses olympiens vêtus d'un pan des cieux ; 6+6 a
Euler le sidéral ; le splendide Épicure, 6+6 a
Et, comme les chouans dans la Vendée obscure, 6+6 a
4110 Les hommes du passé, lourds, troublés, nébuleux, 6+6 a
Disent en les voyant : fuyons ! voici les bleus ! 6+6 a
Et ces hommes divins, et ces hommes solaires 6+6 a
Font marcher leurs bienfaits aux pas de leurs colères. 6+6 a
Le bien saisit le mal et l'écrase à son tour. 6+6 a
4115 Accepte l'incendie invincible du jour, 6+6 a
Homme ! va ! jette-toi dans ces gueules ouvertes 6+6 a
Qu'on nomme inventions, nouveautés, découvertes ! 6+6 a
L'esprit humain, chercheur de Dieu, voit par moments 6+6 a
Les rayons s'irriter comme des flamboiements 6+6 a
4120 Quand, poussant devant lui la foule coutumière, 6+6 a
Il va de l'hydre d'ombre à l'hydre de lumière ! 6+6 a
N'importe ! ne crains pas le progrès rugissant 6+6 a
Pour le sage, le bon, le juste et l'innocent ! 6+6 a
Ne crains pas le progrès dévorant les ténèbres ! 6+6 a
4125 Trouvant les idéals par l'effort des algèbres ! 6+6 a
Montant, géométrie et poésie, à Dieu ! 6+6 a
Ne crains pas le progrès, conquérant de ciel bleu, 6+6 a
Sphynx qui fait vivre, archer de l'éternelle cible, 6+6 a
Montagnard du sublime et de l'inaccessible ! 6+6 a
4130 Suis ce monstre splendide, homme ! car il est beau 6+6 a
De toutes es laideurs qu'on nomme Mirabeau, 6+6 a
Socrate, Camoëns, Cromwell, Tyrtée, Ésope ; 6+6 a
Et, faisant le niveau du cèdre et de l'hysope ; 6+6 a
Il apparaît, mê d'Homère, de Newton, 6+6 a
4135 Et de Moïse, avec la face de Danton, 6+6 a
Et monte aux cieux portant la tête échevelée 6+6 a
De la nuit sombre au bout de sa pique étoilée ! 6+6 a
C'est bien.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L'ange songeait, pareil au lys qui penche. 6+6 a
Il semblait ne vouloir voir que son aile blanche ; 6+6 a
4140 On eût dit qu'il chantait et priait tour à tour, 6+6 a
Et qu'il assoupissait et noyait dans le jour, 6+6 a
Ne se sentant plus vivre et palpiter qu'à peine ; 6+6 a
Ses yeux demi fermés pleins de fierté sereine : 6+6 a
Mais l'autre aile tremblait sur son dos frémissant 6+6 a
4145 Comme pour réveiller le grand esprit absent ; 6+6 a
Il rouvrit par degrés ses yeux brillants de gloire, 6+6 a
Et reprit, regardant malgré lui l'aile noire : 6+6 a
— Oui, c'est vrai, l'ombre. — Hélas ! quand donc l'Éden, l'hymen, 6+6 a
L'aube ? ô noirs cauchemars du lourd sommeil humain ! 6+6 a
4150 Le crime originel ! l'enfer ! Ève et la pomme ! 6+6 a
Lugubres visions ! Hélas ! hélas ! pour l'homme, 6+6 a
Dieu ne se fait sentir que par sa pesanteur. 6+6 a
L'homme s'obstine à voir dans Dieu le tourmenteur, 6+6 a
Le boucher sombre, armant de tenailles tonnerres 6+6 a
4155 Et de pinces éclairs ses poings tortionnaires, 6+6 a
Le tortureur sans frein, sans loi, sans cœur, sans but ! 6+6 a
Il rêve dans les cieux l'effrayant Belzébuth ! 6+6 a
Il se fait un azur, un mystère, une bible 6+6 a
Qu'emplit une façon d'Être Suprême horrible ; 6+6 a
Les hommes font Dieu sombre !
4160 Oui, quand l'immensi 6+6 a
Germe en religion dans leur cœur agité, 6+6 a
Voilà ce qu'en voyant l'absolu, leurs yeux voient ! 6+6 a
Oui, Dieu monstre attisant les mondes qui flamboient ! 6+6 a
L'homme voudrait au ciel arracher cet aveu ! 6+6 a
4165 Nous ne pouvons parler avec l'homme de Dieu 6+6 a
Sans mâcher quelque idée affreuse de supplice ; 6+6 a
Démons dans le brasier, damnés sous le cilice, 6+6 a
Dieu borné par l'enfer sans bornes, — les pavés 6+6 a
De l'ombre à jamais pleins de pâles réprouvés ! 6+6 a
4170 Ceux-là, dans l'infini, comme tombe une pierre, 6+6 a
S'enfoncent, et, tremblants, ayant dans leur paupière 6+6 a
Le gouffre, vision et disparition, 6+6 a
Dévidant l'écheveau, de la damnation, 6+6 a
Pendent au fil sans fin d'une chute éternelle ; 6+6 a
4175 Ceux-là râlent, saignant sous leur forme charnelle 6+6 a
Dans on ne : sait quel antre idéal et hideux ! 6+6 a
Satan fait un coupable, et le ciel en veut deux ; 6+6 a
Adam et l'homme. Ainsi, comme il est impossible 6+6 a
Que, lorsque l'innocent dans le monde visible, 6+6 a
4180 Pour la faute d'Adam est puni sans pitié, 6+6 a
Lui, le vrai criminel, ne soit pas châtié, 6+6 a
Adam aurait é conduit devant le juge, 6+6 a
Et là, sombre, à genoux, sans espoir, sans refuge, 6+6 a
Sur le ciel formidable et tendu d'un drap noir, 6+6 a
4185 Lié sur une claie, affreux, terrible à voir, 6+6 a
Sous l'éternité morne abaissant son front blême, 6+6 a
Adam l'ingrat, Adam, le coupable suprême, 6+6 a
Ajoutant tous les maux de sa race — à ses maux, 6+6 a
Souffrant, tronc monstrueux, dans ses mille rameaux, 6+6 a
4190 Ayant pour cri le cri qui sort de tous les langes, 6+6 a
Serait exécu par des bourreaux archanges ! 6+6 a
Il serait à jamais supplicié là-haut ! 6+6 a
Les hommes, ses enfants, auraient dans leur cachot 6+6 a
Pour plafond le dessous de l'échafaud du père ! 6+6 a
4195 Ces étoiles qu'on voit parfois, dans leur repaire, 6+6 a
Par des fentes du ciel s'échappant et glissant, 6+6 a
Tomber sur eux, seraient les gouttes dé son sang ! 6+6 a
Ah ! fais cela, toi, l'homme à qui l'horreur agrée, 6+6 a
Esprit de jour taché de nuit, âme tigrée ! 6+6 a
4200 Homme de Louis onze et de Domitien, 6+6 a
Qui, dans les temps nouveaux comme dans l'âge ancien, 6+6 a
Mets l'âme et le cadavre à jamais en présence ! 6+6 a
Qui t'appelles Jeffrye et t'es nommé Mézence ! 6+6 a
O du bien et du mal amphibie effrayant, 6+6 a
4205 Homme qui ne vois pas les anges s'enfuyant ! 6+6 a
Fais ces actions-là dans ta brume de crimes ; 6+6 a
Mais ne les prête pas au songeur des abîmes ! 6+6 a
Ne les impute pas au Dieu vivant ! —
L'esprit 6+6 a
S'arrêta, regarda le gouffre, puis reprit : 6+6 a
4210 Cependant, dans tes jours de piété, toi, l'homme, 6+6 a
Tu rends hommage à Dieu ; tu dis : « — Je souffre. En somme, 6+6 a
« J'ai l'âme. Ame, ici-bas je ne suis pas fini. 6+6 a
« Tout est bien. Je vivrai par la mort rajeuni. 6+6 a
« Qu'importe que mon corps se blesse et se meurtrisse ! 6+6 a
4215 « Mon âme ira montrer à Dieu la cicatrice. 6+6 a
« Dieu, le débiteur sûr, s'est : toujours acquitté. 6+6 a
« Je suis le créancier de la grande équité. 6+6 a
« Souffrir, trner la vie est l'affaire d'une heure ; 6+6 a
« L'astre me tire hors de l'ombre inférieure. 6+6 a
4220 « Mes maux obligent Dieu ; le baume après le fiel ; 6+6 a
« Tout homme en pleurs a droit au regard éternel. 6+6 a
« Tous, l'esclave, le nègre aux reins ceints d'une pagne, 6+6 a
« Le casseur de cailloux songeant dans la campagne, 6+6 a
« Le vil forçat, roulant quelque horrible rocher, 6+6 a
4225 « N'ont qu'à gémir pour voir Jéhovah se pencher. 6+6 a
« L'oubli que ferait Dieu du dernier et du moindre 6+6 a
« Suffirait pour ôter au jour le droit de poindre, 6+6 a
« Pour que l'univers ploie et tremble comme un jonc, 6+6 a
« Pour que l'étoile ait peur et dise : qu'est-ce donc ? 6+6 a
4230 « Et pour qu'au seuil de l'ombre aux profondes marées, 6+6 a
« Les constellations se dressent effarées ! 6+6 a
« Oui ; je souffre, mais j'ai, dans mon accablement, 6+6 a
« Hypothèque sur l'aube et sur le firmament, 6+6 a
« Sur tous les éléments que, vivants, nous subîmes, 6+6 a
4235 « Sur l'équilibre immense et sombre des abîmes ! 6+6 a
« Je suis aux fers, j'ai soif ; j'ai faim, j'ai froid, j'ai chaud ; 6+6 a
« Mais le paradis brille aux fentes du cachot. 6+6 a
« De ce monde si noir l'ombre est à claire-voie. 6+6 a
« Dieu juste ne veut pas que ma larme me noie ; 6+6 a
4240 « Jamais le port ne manque au pauvre matelot ; 6+6 a
« Ma tempête aboutit à l'azur ; mon sanglot 6+6 a
« Sourit subitement et s'achève cantique. 6+6 a
« Mourir, c'est naître à Dieu. Je suis Caton d'Utique, 6+6 a
« Je ne veux point du bât que portent les romains, 6+6 a
4245 « Et je tombe indigné, poignardé de mes mains, 6+6 a
« Sanglant ; je suis Socrate, et je bois la ciguë ; 6+6 a
« Je suis Jean Huss, ma chair meurt dans la flamme aiguë ; 6+6 a
« Mais j'ai l'éternité. Je suis l'atome humain, 6+6 a
« Mais l'enfer aujourd'hui promet le ciel demain ; 6+6 a
4250 « Nous luttons, nous râlons, nous gémissons, qu'importe ! 6+6 a
« Pas un cri n'est perdu, pas un tourment n'avorte ; 6+6 a
« Le paradis se fait de toutes les douleurs 6+6 a
« Qui deviennent baisers sur le front des meilleurs. 6+6 a
« Le deuil conquiert les cieux comme l'aigle sa proie. 6+6 a
4255 « La racine malheur s'épanouit en joie 6+6 a
« Dans cet Éden sublime où la terre fleurit ; 6+6 a
« Mes maux seront un jour mes biens ; je suis l'esprit. 6+6 a
« Misère, angoisse, pleurs, tout ce que nous saignâmes 6+6 a
« Se retrouve en rayons dans la main de nos âmes ; 6+6 a
4260 « Le tombeau, que la nuit flamboyante bénit, 6+6 a
« Murmure : Ciel ! avec ses lèvres de granit ; 6+6 a
« Là-haut toute souffrance en bonheur est comptée ; 6+6 a
« Dieu, ce soleil qui fait même une ombre à l'athée, 6+6 a
« Serait injuste et faux si c'était autrement. 6+6 a
4265 « Le sépulcre n'est pas une bouche qui ment. 6+6 a
« J'ai la peine d'un jour, mais j'ai l'âme immortelle ! » 6+6 a
Alors, homme, pourquoi la brute souffre-t-elle ? 6+6 a
Pourquoi bats-tu ton âne à grands coups de bâton ? 6+6 a
Quel est son lendemain ? Ton âne est-il Caton ? 6+6 a
4270 Pourquoi le héron gris, qui s'enfuit dans les brumes, 6+6 a
Sent-il le noir faucon fouiller du bec ses plumes ? 6+6 a
Pourquoi, troussant ta manche et tachant tes habits, 6+6 a
Plonges-tu les couteaux aux gorges des brebis ? 6+6 a
Pourquoi bois-tu le sang ayant tondu la laine ? 6+6 a
4275 Pourquoi vas-tu trnant tes buffles dans la plaine 6+6 a
Par cet anneau de fer qui perce leurs naseaux ? 6+6 a
Qu'est-ce que l'hydre doit penser au fond des eaux ? 6+6 a
Vois ce saumon d'argent : vers ses pauvres ouïes 6+6 a
Les flammes du brasier montent épanouies ; 6+6 a
4280 Il était fait pour fuir sous l'eau des bleus ruisseaux. 6+6 a
Vois. Juge. Quoi ! la carpe est coupée en morceaux, 6+6 a
Elle est jetée à l'huile ardente, toute vive ! 6+6 a
Quoi ! l'huître vit et souffre aux dents de ton convive ! 6+6 a
Et c'est, tout ! Te voi satisfait dans ta chair 6+6 a
4285 Quand, devant un grand tas de fagots, vif et clair, 6+6 a
Ta broche plie, offrant les lièvres et les cailles. 6+6 a
A la bûche qui rit, monstre aux rouges écailles, 6+6 a
Et livrant l'humble essaim qui jouait, qui volait, 6+6 a
Le hallier, et la sauge avec le serpolet, 6+6 a
4290 L'alouette et les prés, l'étang et la macreuse, 6+6 a
Aux mâchoires de feu de l'âtre qui se creuse ! 6+6 a
Les charbons dans la cendre ouvrent leurs sombres yeux. 6+6 a
En voyant ce brasier riche, éclatant, joyeux, 6+6 a
Le passant, à travers la vitre illuminée, 6+6 a
4295 S'empourpre ; et, contemplant ta haute cheminée, 6+6 a
Tu ne te doutes pas que, toi-même, tu ris 6+6 a
A la géhenne horrible, et que, rempli de cris, 6+6 a
D'engrenages hideux et de pinces rougies, 6+6 a
Ce beau foyer de pierre, espoir de tes orgies, 6+6 a
4300 Ce réchaud où la mort frémit à pleine voix, 6+6 a
Où les battements d'aile et les soupirs des bois 6+6 a
S'en vont, chants des vanneaux et baisers des sarcelles, 6+6 a
Dans la fumée affreuse en fauves étincelles, 6+6 a
Cet antre, où l'on entend, quand on vient s'y pencher, 6+6 a
4305 Tous les pétillements du rire et du bûcher, 6+6 a
Où l'oiseau fume, où meurt le nid, où flambe l'orme, 6+6 a
Est un des trous béants de la fournaise énorme ! 6+6 a
C'est l'autel vil du ventre et du plaisir charnel ; 6+6 a
Et le fond communique au mystère éternel ! 6+6 a
4310 Cours au désert ; la vie est-elle plus joyeuse ? 6+6 a
Que d'effrayants combats dans le creux d'une yeuse 6+6 a
Entre la guêpe tigre et l'abeille du miel ! 6+6 a
Va-t'en aux lieux profonds, aux rocs voisins du ciel, 6+6 a
Aux caves des souris, aux ravins à panthères ; 6+6 a
4315 Regarde ce bloc d'ombre et ce tas de mystères ; 6+6 a
Fouille l'air, l'onde, l'herbe ; écoute l'affreux bruit 6+6 a
Des broussailles, le cri des Alpes dans la nuit, 6+6 a
Le hurlement sans nom des jongles tropicales ; 6+6 a
Quelle vaste douleur ! Les hyènes bancales 6+6 a
4320 Rôdent ; sur la perdrix le milan tombe à pic ; 6+6 a
La martre infâme mord le flanc du porc-épic ; 6+6 a
La chèvre, les deux pieds de devant dans la haie, 6+6 a
Voit la couleuvre et bêle avec terreur ; l'orfraie 6+6 a
S'agite dans l'effroi du problème inconnu ; 6+6 a
4325 Sur le crâne pe du mont sinistre et nu 6+6 a
Le trou de l'aigle est plein de carnage et de — fiente ; 6+6 a
La chouette, en qui vit la nuit terrifiante, 6+6 a
Tout en broyant du bec le rat qu'elle surprit, 6+6 a
Songe ; le vautour blanc lui prend sa proie, et rit ; 6+6 a
4330 L'éléphant marche avec un fracas d'épouvante ; 6+6 a
L'affreux jararrara, comme une onde vivante, 6+6 a
Autour des hauts bambous et des joncs tortueux 6+6 a
Se roule, et les roseaux deviennent monstrueux ; 6+6 a
Le museau de la fouine au poulailler se plonge ; 6+6 a
4335 Sur la biche aux yeux bleus le léopard s'allonge ; 6+6 a
Le bison sur son dos emporte le couquard 6+6 a
Qui lui suce le sang pendant qu'il fuit hagard ; 6+6 a
La baudroie erre et semble un monstre chimérique ; 6+6 a
Quand le grand-duc cornu dans les bois d'Amérique 6+6 a
4340 Plane, l'essaim fuyant des ramiers prend son vol. 6+6 a
Vois. L'oblique hibou guette le rossignol. 6+6 a
Le loup montre sa gueule et l'homme son visage, 6+6 a
Le désert frémit. Vois, les pigeons de passage 6+6 a
Qui vont ; pillant le houx et le genévrier, 6+6 a
4345 L'ours qui sort de son antre au mois de février, 6+6 a
Le phoque au poil luisant qui semble frotté d'huile, 6+6 a
Tout le fourmillement des brutes, le reptile, 6+6 a
L'autour, le scorpion tapi dans les lieux frais, 6+6 a
Le renard, le puma, ce grand chat des forêts 6+6 a
4350 Qui fait en miaulant le bruit d'un bœuf qui gronde, 6+6 a
Le lynx, l'impur condor à la prunelle ronde, 6+6 a
Brigands que la nuit cache en son vaste recel, 6+6 a
Le jaguar à l'affût près, des sources de sel, 6+6 a
Les files de chameaux des horizons arabes, 6+6 a
4355 L'ibis mangeur de vers ; le rat mangeur de crabes ; 6+6 a
Les musquas rongeurs pris au fond des lacs vitreux 6+6 a
Par la glace et l'hiver, se dévorant entr'eux, 6+6 a
Et les boas nageurs et les boas énygres, 6+6 a
Et les vipères, sœurs du crâne plat des tigres, 6+6 a
4360 Le mulot, la bigaille, et, sortant du ruisseau, 6+6 a
L'horrible caïman à tête de pourceau, 6+6 a
Méduse, cachalot, orphe, requin, marbrée, 6+6 a
Baleine à la mâchoire infecte et délabrée, 6+6 a
Mouches s'engloutissant au gouffre engoulevent, 6+6 a
4365 L'unau, le fourmilier traître, lent et bavant, 6+6 a
L'once au jurement fauve, aux moustaches roidies, 6+6 a
Bêtes de l'ombre errant comme des Canidies, 6+6 a
Tout souffre ; grand, petit, le hardi, le prudent, 6+6 a
Tout rencontre un chasseur, une griffe, une dent ! 6+6 a
4370 Une sorte d'horreur implacable enveloppe 6+6 a
L'aigle et le colibri, le tigre et l'antilope. 6+6 a
L'eau noire fait songer le grave pélican. 6+6 a
Partout la gueule s'ouvre à côté du volcan ; 6+6 a
Partout les bois ont peur partout la bête tremble 6+6 a
4375 D'un frisson de colère ou d'épouvante ; il semble 6+6 a
A celui qui ne voit l'être que d'un cô 6+6 a
Qu'une haine inouïe emplit l'immensité. 6+6 a
Hommes, les animaux, confuses multitudes ; 6+6 a
Saignent dans vos cités et dans leurs solitudes ; 6+6 a
4380 La bête pleure, rampe, agonise. Pourquoi ? 6+6 a
Et si le lion dit : qu'est-ce que j'ai fait, moi ? 6+6 a
Que pourras-tu répondre à ce montagnard triste ? 6+6 a
Quoi ! Timour est, Nemrod sûrvit, Caïphe existe ; 6+6 a
Ils souffrent ; mais leur âme est là, blanche et-rêvant, 6+6 a
4385 Qui, prête pour les cieux, frémit dans l'ombre au vent, 6+6 a
Et l'ours et le chacal râlent sans espérance ! 6+6 a
Et Dieu voit tout le reste avec indifférence, 6+6 a
Tandis que, regardant fuir Tibère envolé, 6+6 a
Le grand lion rugit sous le ciel étoilé ! » 6+6 a
4390 Est-ce que cette rosse efflanquée, et qu'on tire 6+6 a
Par la bride au charnier, passe sans te rien dire ? 6+6 a
Pauvre être qui s'en va, ses os trouant sa peau, 6+6 a
Boitant, suivi d'un tas d'enfants, riant troupeau, 6+6 a
Qui viennent lui jeter des pierres et qui chantent ! 6+6 a
4395 Est-ce que Montfaucon, ce lieu spectre que hantent 6+6 a
Les noirs Laubardemont, les Maillards, les Vouglans, 6+6 a
Ce sphynx mystérieux des abattoirs sanglants, 6+6 a
Devient soudain pour toi clair comme l'eau de roche, 6+6 a
Parce qu'il démolit sa potence, décroche 6+6 a
4400 L'affreux squelette humain de son fétide étal, 6+6 a
Et se fait, d'étrangleur légal, royal, fatal, 6+6 a
Équarrisseur tuant la brute à tant par tête, 6+6 a
Et, de bourreau de l'homme, assassin de la bête ! 6+6 a
Parce qu'il a chan le sang du tablier, 6+6 a
4405 Tout est dit ! Retournez l'effrayant sablier, 6+6 a
Ou chargez-en le sable, et faites qu'il y tienne 6+6 a
De la cendre animale au lieu de cendre humaine, 6+6 a
Plus d'énigme ! la bête appartient à la mort ; 6+6 a
C'est l'ordre, et tout est bien. Ni doute, ni remord : 6+6 a
4410 Quoi ! partout, crocs, bouchers, égorgements, tueries ! 6+6 a
Quoi ! dans les noirs combats du bœuf des Asturies, 6+6 a
Ivresse populaire et passe-temps royaux, 6+6 a
Le cheval éperdu, marche sur ses boyaux, 6+6 a
Le taureau lui crevant le ventre à coups de cornes ! 6+6 a
4415 Quoi ! vous jetez des cœurs sanglants aux coins des bornes, 6+6 a
Les pattes des oiseaux et leur pauvre duvet, 6+6 a
Des entrailles, des yeux, et tout cela vivait ! 6+6 a
Les chênes qu'adoraient les fauves troglodytes 6+6 a
Sous la hache à grand bruit tombent c'est ; vous le dites, 6+6 a
4420 De la nature morte et l'on peut la tuer. 6+6 a
Le chien aux coups de fouet a dû s'habituer ; 6+6 a
La bête doit souffrir sous le dieu qui foudroie ; 6+6 a
Tout l'arbre qu'on abat et le pavé qu'on broie, 6+6 a
Tout souffre pour souffrir ! C'est bien ? Iniquité ! 6+6 a
4425 De quel droit, moi l'esprit, suis-je dans la clarté ? 6+6 a
Pourquoi faut-il que toi, matière, tu pâtisses ! 6+6 a
Quoi ! l'astre et le caillou seraient des injustices ! 6+6 a
Une injustice en haut ! une injustice en bas ! 6+6 a
Quoi ! le porc dans l'ordure et l'âne sous les bâts, 6+6 a
4430 A jamais ! La souffrance à l'angoisse s'enlace ; 6+6 a
Puis, rien ! quoi, l'homme, roi ! quoi, l'être, populace ! 6+6 a
Adam seul serait graine et sa seule âme fleur ! 6+6 a
Sabaoth vannerait dans un van de douleur 6+6 a
Le monde, et l'homme seul passerait par le crible ! 6+6 a
4435 S'il en était ainsi, tout deviendrait terrible, 6+6 a
L'univers fourmillant de bêtes s'emplirait 6+6 a
D'un long rugissement ainsi qu'une forêt, 6+6 a
Les pierres hurleraient : injuste ! injuste ! injuste ! 6+6 a
L'arbre en convulsion, la broussaille, l'arbuste, 6+6 a
4440 Se tordraient comme ceux qui sont sur un grabat ; 6+6 a
Et la création ne serait qu'un combat 6+6 a
Des monstres révoltés contre Dieu, belluaire. 6+6 a
S'il en était ainsi, ce monde mortuaire, 6+6 a
Chaos infâme en proie au furieux autan, 6+6 a
4445 Ne vaudrait même pas le crachat de Satan ! 6+6 a
S'il en était ainsi, créer serait un crime ; 6+6 a
Une exécration, sortirait de l'abîme, 6+6 a
Te dis-je, on entendrait les brutes gémissant, 6+6 a
Et le loup sans reproche, et le tigre innocent, 6+6 a
4450 Devant les éléments cités en témoignage, 6+6 a
Devant l'infini triste où l'équité surnage, 6+6 a
Dénonçant Dieu, bourreau masqué du monstre obscur. 6+6 a
Alors, sur la sellette immense de l'azur, 6+6 a
L'horreur souffletterait cet accusé sinistre. 6+6 a
4455 Quoi, le malheur pour œuvre et le mal pour ministre ! 6+6 a
Quoi ! ployés à jamais sous un arrêt hideux, 6+6 a
Tant d'êtres si nombreux qu'Adam n'est rien près d'eux ! 6+6 a
Quoi, pas de lendemain ! quoi, pas de récompense ! 6+6 a
Quoi, l'homme seul dirait : je vivrai, car je pense ! 6+6 a
4460 Qu'a-t-il fait pour cela ? — l'être, galérien ! 6+6 a
Fouettés, brisés, broyés, pétrifiés, puis rien ! 6+6 a
Se tordre ! et n'être plus, pour dernière aventure ! 6+6 a
L'évanouissement au bout de la torture ! 6+6 a
Le supplice, et c'est tout ! quoi, cet être vaincu, 6+6 a
4465 Quoi ! cette créature innocente a vécu, 6+6 a
Souffert, saigné, tr la terreur, bu la haine, 6+6 a
Et traversé d'un bout à l'autre la géhenne, 6+6 a
Tandis que je rayonne et luis, moi séraphin, 6+6 a
Et quand, lasse, elle tombe, agonisante enfin, 6+6 a
4470 Et pose sur la nuit sa tête exténuée, 6+6 a
Dieu ne lui doit rien' ! vide, effacement, nuée, 6+6 a
Silence ; et le néant, oreiller de l'enfer ! 6+6 a
Ô loi dont frémirait même un livre de fer, 6+6 a
Qui, par Néron dictée en un éclat de rire, 6+6 a
4475 Ferait pleurer le bronze où l'on voudrait l'écrire ! 6+6 a
Quoi ! je suis une bête et fais ce que je puis ! 6+6 a
L'abîme ! et puis l'abîme, et puis l'abîme, et puis 6+6 a
L'abîme ! O désespoir ! ce serait la sentence ! 6+6 a
Mais toi, l'élu risible, homme à quelle distance 6+6 a
4480 Es-tu de l'animal ? Le sais-tu ? Ta maison 6+6 a
Est celle du castor ; l'Égypte avait raison 6+6 a
D'être inquiète au seuil de la grande syringe ; 6+6 a
Es-tu sûr de ne pas jeter l'ombre d'un singe ? 6+6 a
Quoi ! l'animal n'est rien ! vaux-tu mieux par hasard ? 6+6 a
4485 Le flatteur sait-il mieux ramper que le-lézard ? 6+6 a
L'envieux a-t-il plus d'esprit que la vipère ? 6+6 a
Qui, de l'homme ou du porc, est le fils ou le père ? 6+6 a
Vaux-tu le geai voleur que tu prends à l'appeau ? 6+6 a
Je voudrais bien savoir ce que c'est que ta peau, 6+6 a
4490 Et si les astres, pleins de sombres rêveries, 6+6 a
En la voyant pendue à vos écorcheries, 6+6 a
S'en étonneraient plus, dans le gouffre des cieux, 6+6 a
Que de la peau d'un bœuf aux yeux mystérieux, 6+6 a
Ou du cerf au poil roux jaspé de taches blanches 6+6 a
4495 Dont l'œil effaré fait des lueurs dans les branches ! 6+6 a
Plus d'un secret étrange entre le monstre et toi 6+6 a
Palpite ; et parfois-l'homme en sent le vague effroi 6+6 a
Il est des êtres noirs au-dessous de la bête, 6+6 a
Qui, miasme, poison, peste, aquilon, tempête, 6+6 a
4500 Ouvrant en bas la gueule, aveugle des fléaux, 6+6 a
Font à tous les vivants la guerre du chaos. 6+6 a
Quoique sa dent te morde et que ton bras l'assomme, 6+6 a
L'animal est ton frère, et la bête avec l'homme 6+6 a
Contre la nature hydre a souvent combattu ; 6+6 a
4505 Elle te communique une obscure vertu, 6+6 a
Et la peau du lion aidait le grand Hercule. 6+6 a
Ah ! tu te crois plein jour et ris du crépuscule ! 6+6 a
La pensée est ton lot ! Dieu n'a rien réussi 6+6 a
Hors toi ! Tu te crois rare et parmi tous choisi, 6+6 a
4510 Parce qu'un vent d'en haut parfois souffle en ta brise, 6+6 a
Et que, de temps en temps, criant : Brahma ! Moïse ! 6+6 a
Isis ! ou murmurant : Lamma Sabacthani, 6+6 a
Relayant d'autres sœurs dont le temps est fini, 6+6 a
Une. Religion, dans l'ombre ou la lumière, 6+6 a
4515 Paraît à ton chevet, et, nouvelle infirmière, 6+6 a
Vient charger l'oreiller de ton lit d'hôpital ! 6+6 a
Toi providentiel, et le reste fatal ! 6+6 a
Mais, voyons, raisonnons un peu ; sois économe 6+6 a
D'extase pour toi-même, et regarde-toi.
L'homme, 6+6 a
4520 Titan du relatif et nain de l'absolu, 6+6 a
Se croit astre, et se voit de clarté chevelu ; 6+6 a
Homme, l'orgueil t'enivre ! et c'est un vin de l'ombre. 6+6 a
Redescends ! redescends ! tout à l'heure, âpre et sombre, 6+6 a
L'aigle en rudoyant l'homme avait raison souvent. 6+6 a
4525 Parce que je t'ai dit, moi : c'est bien ! en avant ! 6+6 a
Ne t'en va pas cogner les soleils, larve noire ! 6+6 a
Épargne à l'infini l'assaut de l'infusoire. 6+6 a
Voyons, qu'es-tu ? peux-tu toi-même t'affirmer ? 6+6 a
A quoi te résous-tu ? douter ? haïr ? aimer ? 6+6 a
4530 Que crois-tu ? Que sais-tu ? Tu n'as dans ta science 6+6 a
Pas même un parti pris d'ombre ou de confiance. 6+6 a
Tu sais au hasard. Lois que ton œil calcula, 6+6 a
Faits, chiffres, procédés, classements, tout cela 6+6 a
Contient-il Dieu ? réponds. Ta science est l'ânesse 6+6 a
4535 Qui va, portant sa charge au moulin de Gonesse, 6+6 a
Sans savoir, en marchant front bas et l'œil troublé, 6+6 a
Si c'est un sac de cendre ou bien un sac de blé. 6+6 a
Que dit l'artiste ému, le prêtre en sa chapelle, 6+6 a
Le vacher retournant le fumier sous sa pelle, 6+6 a
4540 Le pâtre à l'œil vitreux, l'ermite, l'érudit ? 6+6 a
Que dit l'anatomiste au trappiste ? Que dit 6+6 a
Le plongeur du cadavre au mineur du squelette ? 6+6 a
Que dit le médecin au géologue, athlète 6+6 a
Qui lutte avec la terre et tombe exténué ? 6+6 a
4545 Et l'algébriste exact, par l'espace hué, 6+6 a
Que dit-il, ce berger des chiffres indociles ? 6+6 a
Que dit le devin, roi des stryges et des psylles, 6+6 a
Poussant vers l'inconnu qu'à ton vol tu soumets, 6+6 a
Quelque système aveugle ou bteux qui jamais 6+6 a
4550 N'arrive au bout d'un fait sans trouble et sans encombre ? 6+6 a
Que dit le philosophe, aventurier de l'ombre ? 6+6 a
Et le poète ami des cieux où l'aube point ? 6+6 a
Que disent, frémissants, pâles, la pioche au poing, 6+6 a
Tous ces noirs fossoyeurs de la fosse Science ? 6+6 a
4555 Homme ! ils disent tous : nuit, misère, imprévoyance, 6+6 a
Erreur, néant, fumée, imbécillité, deuil. 6+6 a
Et c'est avec cela que tu fais ton orgueil ! 6+6 a
Jour coudoie ignorance en ton savoir hybride. 6+6 a
Tu ne sais pas tenir ta fantaisie en bride. 6+6 a
Tu vas, tu vas, tu vas ! Où vas-tu ?
4560 Vanité ! 6+6 a
Tu crois qu'en te créant Dieu t'a mis de côté, 6+6 a
Que ton berceau contient toutes les origines, 6+6 a
Et que tout se condense en toi ; tu t'imagines 6+6 a
Qu'à mesure que tout naissait et surgissait, 6+6 a
4565 L'Éternel t'en donnait quelque chose ; et que c'est 6+6 a
Sous ton crâne que Dieu pensif traça l'épure 6+6 a
De ce monde qu'emplit son auréole pure. 6+6 a
Tu dis : j'ai la raison, la vertu, la beauté. 6+6 a
Tu dis : Dieu fut très las pour m'avoir inventé, 6+6 a
4570 Et tu crois l'égaler chaque fois que tu bouges. 6+6 a
Allons ! mire-toi donc un peu dans les peaux-rouges ! 6+6 a
Que dis-tu-des Yolofs, barbouillés de roucou, 6+6 a
Attachant des colliers d'oreilles à leur cou, 6+6 a
Et des hurons ornés de stupides balafres ? 6+6 a
4575 Mire-toi dans les noirs, mire-toi dans les cafres, 6+6 a
Dans les Yoways ; trouant leurs nez, peignant leurs peaux, 6+6 a
Empoisonnant leur flèche aux glandes dés crapauds ! 6+6 a
Apprends ceci, rayon apprends ceci, pensée 6+6 a
L'ange commence à l'homme et l'homme au chimpanzée ; 6+6 a
4580 L'orang-outang ton frère, est, un homme à tâtons. 6+6 a
Tu peux bien l'accepter, puisque nous t'acceptons ! 6+6 a
Mire-toi dans tes goûts, dans tes mœurs, dans tes races ! 6+6 a
Dans tes amours brutaux dans tes instincts voraces ; 6+6 a
Dans l'auge où nous voyons boire tes appétits ! 6+6 a
4585 Ton histoire ! tes lois ! ton bruit ! ton cliquetis ! 6+6 a
Te figures-tu pas que tes gestes, tes guerres, 6+6 a
Tes cris, troublent l'azur de leurs fracas vulgaires, 6+6 a
Et que le jour mesure à ton pas son déclin ? 6+6 a
Crois-tu pas que le ciel est guelfe ou gibelin, 6+6 a
4590 Que l'Être est Armagnac ou Bourguignon, que l'astre 6+6 a
Connaît oui, non, Genève et, Rome, York et Lancastre, 6+6 a
Et que le monde pend à ton sacré cheveu ? 6+6 a
Tes princes ? tes sultans ? tes rois ? demande un peu 6+6 a
Ce que de ta grandeur pensent les astronomes. 6+6 a
4595 Parles-en à Newton. Parce que tu te nommes 6+6 a
César ou Henri quatre, et qu'un beau jour Casca 6+6 a
Ou Ravaillac, te prit en traître, s'embusqua 6+6 a
Dans l'ombre, et te coupa la veine cardiaque, 6+6 a
Crois-tu pas déranger l'énorme zodiaque ? 6+6 a
4600 Et quant à tes cités, Babels de monuments 6+6 a
Où parlent à la fois tous les événements, 6+6 a
Qu'est-ce :que cela pèse ? arches, tours, pyramides, 6+6 a
Je serais peu : surpris qu'en ses rayons humides, 6+6 a
L'aube les emportât pêle-mêle un matin 6+6 a
4605 Avec les gouttes d'eau de la sauge et du thym. 6+6 a
Et ton architecture étagée et superbe 6+6 a
Finit par n'être plus qu'un tas de pierre et d'herbe 6+6 a
Où, la tête au soleil, siffle l'aspic subtil : 6+6 a
Ton marbre, dont tu fais des dieux, que devient-il ? 6+6 a
4610 Le temps court, et monnoye en courant tes statues ; 6+6 a
Ton bronze qu'à tes rois guerriers tu prostitues, 6+6 a
On en fait des liards qui valent les héros. 6+6 a
Ton marbre, chaux et plâtre, emplit les tombereaux. 6+6 a
Homme, le papillon qui vit une semaine, 6+6 a
4615 Le puceron qu'un jour crée et qu'un jour remmène, 6+6 a
L'éphémère, enviant cette longévité, 6+6 a
Égalent ton granit devant l'immensité. 6+6 a
Ah ! tes œuvres, vraiment, parlons-en. Meurtre, envie, 6+6 a
Sang ! Tu construis la mort quand Dieu sème la vie ! 6+6 a
4620 Et, pendant que Dieu fait les chênes sur les monts, 6+6 a
Les baobabs pareils à des pieds de mammons, 6+6 a
L'arbre a pain, le palmier splendide, les mélèzes, 6+6 a
D'où sort un chant pareil à la voix des falaises, 6+6 a
L'olivier, le figuier, le cèdre, le nopal, 6+6 a
4625 Tu fais l'arbre gibet, l'arbre croix, l'arbre pal, 6+6 a
L'affreux arbre supplice, énorme, vaste, infame, 6+6 a
Cyprès dont les rameaux, faisant la nuit sur l'âme, 6+6 a
Sonnent lugubrement comme des enchnés, 6+6 a
Dont chaque branche, hélas ! porte deux condamnés, 6+6 a
4630 Et penche en frissonnant deux spectres sur l'abîme ; 6+6 a
Au soleil, du cô de l'homme, la victime, 6+6 a
Et du côté de Dieu, dans l'ombre, le bourreau ! 6+6 a
Ah ! tu te crois divin ! tu places ton zéro 6+6 a
En regard de cet orbe inouï qu'emplit l'onde 6+6 a
4635 De l'océan sagesse et qu'on nomme le monde ! 6+6 a
Ah ! géant ! tout savoir, ce n'est pour toi qu'un jeu. 6+6 a
Pourquoi te contenter d'un à peu près de Dieu ? 6+6 a
Pourquoi ne pas tirer l'abîme à clair ? Colosse ! 6+6 a
Plus haut qu'Atlas, et plus que les oiseaux véloce ! 6+6 a
4640 Pourquoi te contenter de tes religions ? 6+6 a
Lorsque dans l'infini nous nous réfugions, 6+6 a
Pourquoi ne pas nous suivre, âme au cercueil penchante, 6+6 a
Et tout prendre ? Pourquoi, ce que l'abîme chante, 6+6 a
Ne pas le déchiffrer ? tu n'as qu'à le vouloir ! 6+6 a
4645 Si tu ne l'entends pas, tu peux du moins le voir, 6+6 a
L'hymne éternel vibrant sous les éternels voiles. 6+6 a
Les constellations sont des gammes d'étoiles ; 6+6 a
Et les vents par moments te chantent des lambeaux 6+6 a
Du chant prodigieux qui remplit les tombeaux. 6+6 a
4650 Allons, fais un effort, esprit plus grand que l'aigle ; 6+6 a
Prends ton échelle, prends ta plume, prends ta règle ; 6+6 a
Toute cette musique à l'ineffable bruit 6+6 a
Est là sur le registre effrayant de la nuit ; 6+6 a
Va, monte ; tu n'as plus qu'à tracer des portées 6+6 a
4655 Sous les septentrions et sous les voies-lactées 6+6 a
Pour lire à l'instant même, au fond des cieux vermeils, 6+6 a
La symphonie écrite en notes de soleils ! 6+6 a
Qu'attends-tu, dis ? Va donc au fond de Dieu ! va vite ! 6+6 a
Ah ! souffle du fumier que le parfum évite, 6+6 a
4660 Homme, ombre ! coureur vain de tous les pas perdus ! 6+6 a
Marchand des Christs trahis et des Josephs vendus ! 6+6 a
Va ! tu sors de la fange, et ta mère malsaine, 6+6 a
C'est la matière infecte et la matière obscène ! 6+6 a
Tes sombres légions vermineuses, amas, 6+6 a
4665 Troupeau, tas imbécile adorant des lamas, 6+6 a
Avec ce qu'elles font et ce qu'elles projettent, 6+6 a
Entre la nourriture et l'excrément végètent ! 6+6 a
Mais tu te fais petit ; tu changes d'argument, 6+6 a
Et c'est là, reprends-tu, ta plainte justement 6+6 a
4670 L'homme est un désir vaste en une étreinte étroite, 6+6 a
Un eunuque amoureux, un voyageur qui boîte ; 6+6 a
L'homme n'est rien la terre à chaque heure lui ment ; 6+6 a
La vie est un à-compte au lieu d'être un paiement ; 6+6 a
Tes sages te l'ont dit, et, dans ton humeur noire, 6+6 a
4675 Toi, l'homme, tu n'es pas éloigné de le croire ; 6+6 a
C'est trop peu d'être un homme ; en naissant Dieu devait 6+6 a
Te donner tout l'azur dont la mort te revêt. 6+6 a
Ah ! tu n'es pas dé content de Dieu toi-même ! 6+6 a
Tu voudrais sur la terre être un être suprême ; 6+6 a
4680 Créancier exigeant, tu te plains d'être né 6+6 a
A demi, que le ciel ne t'ait pas tout donné, 6+6 a
Que Dieu soit en retard, que lui, lui qui médite, 6+6 a
Lui qui vit, ne t'ait pas, à l'échéance dite, 6+6 a
Fait livraison de l'ombre — et de l'éternité ; 6+6 a
4685 Et tu voudrais encor que tout l'autre cô 6+6 a
De la création, misère inaperçue, 6+6 a
Fût à jamais plon dans la nuit sans issue ! 6+6 a
Mais tu dis : — Le caillou brisé, l'arbre abattu, 6+6 a
Ne souffrent point ; la bête ignore. — Qu'en sais-tu ? 6+6 a
4690 Sais-tu la profondeur du soupir, et l'abîme 6+6 a
Du cri ? pour voir le fond du gouffre, es-tu la cime ? 6+6 a
Et s'il était des pleurs — qui coulent en dedans ? 6+6 a
Et s'il était un doigt, léché des flots grondants, 6+6 a
Qui sentît tressaillir la montagne plaintive, 6+6 a
4695 Et pour qui le rocher fût une sensitive ? 6+6 a
Que sais-tu ? Ta morale ; ô juif, payen, chrétien, 6+6 a
Est une carte obscure et bizarre du bien 6+6 a
Et du mal, dont tu peins a ton gré les frontières. 6+6 a
Ce livre, dont tu fais la table des matières, 6+6 a
4700 L'as-tu lu ? Que vois-tu par ton trou de prison ? 6+6 a
Portes-tu dans ton-œil l'insondable horizon ? 6+6 a
Fermes-tu l'univers en fermant ta fenêtre ? 6+6 a
De quel droit marques-tu des limites a l'être, 6+6 a
Et dis-tu, te penchant sur le monde obscurci 6+6 a
4705 Et sur le flot vivant : On souffre jusqu'ici ! 6+6 a
Eh ! vois donc les douleurs de ces bêtes hagardes ! 6+6 a
Ah ! la souffrance étant l'avenir, tu la gardes ! 6+6 a
Tu n'en veux que pour toi ! tout le reste est trop vil. 6+6 a
Tu vois l'arbre se tordre et : tu dis Souffre-t-il ? 6+6 a
4710 Tu dis : — La brute meurt' ; son souvenir s'envole 6+6 a
Elle ne s'aperçoit pas même qu'on la vole. 6+6 a
Quoi ! l'homme fils unique, et l'univers bâtard ! 6+6 a
Quoi ! tes maux seuls auraient le paradis plus tard 6+6 a
Qui, vrai pour toi, serait pour tout autre une fable ! 6+6 a
4715 La bête trouverait l'Éternel insolvable ! 6+6 a
Quoi ! les monstres auraient, songeurs silencieux, 6+6 a
Droit de hocher la tête en présence des cieux ! 6+6 a
Dieu baisserait les yeux devant leur sombre lutte ! 6+6 a
Ils pourraient lui jeter le mépris de la brute ! 6+6 a
4720 Quoi ! devant les soleils, les astres triomphaux, 6+6 a
Et l'étoile, et l'aurore, ils pourraient dire : or faux ! 6+6 a
Douleur, néant, horreur, seraient la destinée ! 6+6 a
Quoi ! la création tout entière damnée, 6+6 a
Rêve affreux ! pas de but ; l'homme seul arrivé ; 6+6 a
4725 Souffrir, et ne rien voir ; la douleur, œil crevé ; 6+6 a
Tout injuste, une vaste et stupide spirale 6+6 a
D'êtres perdus, sans jour, sans nœud, sans loi morale, 6+6 a
Allant on ne sait où, venant on ne sait d'où, 6+6 a
Et, tout au fond de l'ombre effroyable, Dieu fou ! 6+6 a
4730 Ce Jéhovah Moloch ! que veut-on que j'en fasse ? 6+6 a
Songe exécré ! crachat de l'homme sur ta face, 6+6 a
Ô mon Dieu ! calomnie au père universel ! 6+6 a
Bave d'inventions qui tacherait le ciel, 6+6 a
Si la fange pouvait atteindre, écume vile, 6+6 a
4735 Dieu, l'outragé sublime, éternel et tranquille ! 6+6 a
Non ! tous les êtres sont, et furent, et seront. 6+6 a
Qu'il ait sa cendre au cœur, qu'il ait sa flamme au front, 6+6 a
Tout être est immortel comme essence ; et retrouve 6+6 a
Ce qui lui reste dû par la loi qui l'éprouve ; 6+6 a
4740 Ce n'est point un motif parce qu'on est petit 6+6 a
Pour ne pas être vu ; nul en vain ne pâtit ; 6+6 a
Dieu n'est pas le myope immense de l'espace. 6+6 a
L'aboiement de l'écueil qui-jamais ne se lasse, 6+6 a
Le tonnerre, le vol de l'astre échevelé, 6+6 a
4745 Tous les rugissements du vent démuselé, 6+6 a
La trombe, le volcan, font, dans l'éternel gouffre, 6+6 a
Moins de bruit que ce cri d'un moucheron : je souffre ! 6+6 a
Tous les êtres sont Dieu ; tous les flots sont la mer. 6+6 a
Non ! non ! l'écrasement n'est point la loi du ver. 6+6 a
4750 Non ! non ! toute souffrance est un sillon. Prière 6+6 a
Et pleurs défont toujours quelque chose en arrière 6+6 a
Et font, ô cieux sereins ! quelque chose en avant. 6+6 a
Tout être se rachète ou tout être se vend. 6+6 a
Bien et mal. La loi vient de derrière la vie 6+6 a
4755 Et derrière la mort continue. Homme, envie 6+6 a
Ton chien ; tu ne sais pas ; triste maître hagard, 6+6 a
S'il n'a pas plus d'azur que toi dans le regard. 6+6 a
Tout vit. Création couvre métempsychose. 6+6 a
Ô dédain de la bête et mépris de la chose ! 6+6 a
4760 Double faute de l'homme et son double malheur ! 6+6 a
Si pour la vie infime il eût été meilleur, 6+6 a
Au lieu d'écraser tout, s'il eût fait le contraire, 6+6 a
Au lieu d'être bourreau, s'il se fût montré frère, 6+6 a
S'il eût compris l'amas vivant qui remuait, 6+6 a
4765 Et l'être monstrueux, ce grand souffrant muet, 6+6 a
L'homme, en butte à cette heure aux aboiements de l'ombre, 6+6 a
Eût été l'né roi de la famille sombre. 6+6 a
Cet aveugle serait devenu le voyant. 6+6 a
Il eût vu revenir à lui l'être fuyant. 6+6 a
4770 La vie a son esprit qu'a troublé l'ignorance 6+6 a
Fût apparue avec toute sa transparence, 6+6 a
Et l'homme, sous le marbre ou le bois ou la chair, 6+6 a
De l'âme universelle eût vu le pâle éclair. 6+6 a
En s'inclinant, avec la majesté des prêtres, 6+6 a
4775 Sur ces masques hagards qu'on appelle les êtres, 6+6 a
Calme, il eût rele le morne abattement 6+6 a
Du monde terrassé qui vit sinistrement. 6+6 a
Sa pitié, s'émiettant aux souffrances farouches, 6+6 a
Eût fait tourner vers lui toutes ces âpres bouches. 6+6 a
4780 La bête eût accepté l'homme ; le chêne l'eût 6+6 a
Accueilli dans les bois de son grave salut ; 6+6 a
La pierre en son horreur l'eût adoré. La roche, 6+6 a
Morne, se fût sentie émue à son approche ; 6+6 a
Et dans tous les cailloux il eût eu des autels. 6+6 a
4785 Il eût senti sous lui de sombres immortels. 6+6 a
Il eût été le mage. Il eût connu lès causes. 6+6 a
Il aurait sur son front la lumière des choses ; 6+6 a
Il serait l'Homme Esprit. L'aigle eût fraternisé ; 6+6 a
Et, lui montrant le, ciel, le lion eût po 6+6 a
4790 Sa griffe sur l'épaule auguste du Génie. 6+6 a
Au lieu de le haïr dans leur morne agonie, 6+6 a
Les vivants effrayants d'en bas eussent béni 6+6 a
Ce grand communiant de l'amour infini. 6+6 a
En le voyant, la fosse eût resplendi, pareille 6+6 a
4795 Aux soirs d'été qu'embrase une clarté vermeille ; 6+6 a
La tombe aurait chanté, le spectre aurait souri. 6+6 a
Il eût des inconnus été le favori, 6+6 a
Le bien-aimé de ceux qui sont sous, les écorces, 6+6 a
Sous les granits, avec les sèves et les forces, 6+6 a
4800 Et, dans tous ses travaux, sans cesse, à tout moment, 6+6 a
Toute l'obscuri l'eût baisé doucement. 6+6 a
L'ombre immense serait son fauve auxiliaire. 6+6 a
La nature, de l'homme aurait été le lierre, 6+6 a
Et l'aurait, dans les pleurs, dans les chocs, dans les maux, 6+6 a
4805 Dans les deuils, proté de ses mille rameaux. 6+6 a
Il eût senti, du fond des insondables cuves, 6+6 a
Monter vers lui les vents, les parfums, les effluves, 6+6 a
Les magnétismes purs, les souffles, les aimants, 6+6 a
Et le secours profond des sombres éléments ; 6+6 a
4810 Les fléaux, qui lui font la guerre du désordre, 6+6 a
Fussent venus lécher ses pieds qu'ils viennent mordre ; 6+6 a
Quand sa barque, le soir, se risque hors du port, 6+6 a
Le flot eût dit au vent : c'est lui. Souffle moins fort. 6+6 a
L'azur eût murmuré : paix à la voile blonde ! 6+6 a
4815 L'écueil eût fait effort pour se courber sous l'onde. 6+6 a
L'être multiple épars dans l'expiation 6+6 a
L'eût partout conseillé de son vague rayon ; 6+6 a
Sentant cette belle âme humaine, bonne et tendre, 6+6 a
Se baisser, et toucher leur chaîne, et la détendre, 6+6 a
4820 La création brute au difforme poitrail, 6+6 a
L'instinct, cette lueur de l'âme au soupirail, 6+6 a
Le grand Tout, ce flot sourd qui s'enfle et qui se creuse, 6+6 a
L'énormité, la chose informe et ténébreuse, 6+6 a
L'horreur des bois, l'horreur des mers, l'horreur des cieux, 6+6 a
4825 Tout le mystérieux, tout le prodigieux, 6+6 a
Fût accouru, soumis, à son appel sublime, 6+6 a
A travers l'ombre ; et l'homme eût eu pour chien l'abîme. 6+6 a
Il sentirait, rêveur, satisfait, ébloui, 6+6 a
La pénétration des étoiles en lui ; 6+6 a
4830 L'ange le montrerait à l'ange qui se penche ; 6+6 a
Il serait aujourd'hui la grande tête blanche 6+6 a
Aperçue au-dessus du gouffre et de la nuit. 6+6 a
Mais il n'a rien compris, rien sondé, rien traduit, 6+6 a
Rien aimé, que lui-même et lui seul. L'égoïste 6+6 a
4835 Vit dans sa vani démesurée et triste, 6+6 a
Presque en dehors du groupe immense des vivants. 6+6 a
Dans ce sombre univers, monceau d'esprits rêvants, 6+6 a
Il voit deux êtres : lui qu'il sent, Dieu qu'il suppose. 6+6 a
L'étincelle de Dieu, l'âme, est dans toute chose. 6+6 a
4840 Le monde est un ensemble où personne n'est seul ; 6+6 a
Tout corps masque un esprit ; toute chair est linceul ; 6+6 a
Et pour voir l'âme on n'a qu'à lever le suaire. 6+6 a
La faute est le squelette et l'être est l'ossuaire. 6+6 a
C'est à dire, ô vivant, — car pour la terre il faut 6+6 a
4845 Sans cesse commenter les formules d'en haut, 6+6 a
Que ce monde, où Dieu met ce que des cieux il ôte, 6+6 a
N'est que le cimetière horrible de la faute. 6+6 a
Tout fait, germe : Et la vie est un flanc qui conçoit, 6+6 a
Quoi ? la vie à venir. Tout être, quel qu'il soit, 6+6 a
4850 De l'astre à l'excrément, de la taupe au prophète, 6+6 a
Est un esprit trnant la forme qu'il s'est faite. 6+6 a
Autant que dans la grâce et que dans la beauté, 6+6 a
L'être persiste et vit dans la difformi 6+6 a
Sous l'engloutissement de la matière infâme ; 6+6 a
4855 Autant qu'Ève au doux front, Léviathan, c'est l'âme. 6+6 a
La noirceur d'aujourd'hui fait la nuit de demain. 6+6 a
Oui, bête, arbre, rocher, broussaille du chemin, 6+6 a
Tout être est un vivant de l'immensité sombre ; 6+6 a
L'homme n'est pas le seul qui soit suivi d'une ombre ; 6+6 a
4860 Tous, même le caillou misérable et honteux, 6+6 a
Ont derrière eux une ombre, une ombre devant eux ; 6+6 a
Tous sont l'âme, qui vit, qui vécut, qui doit vivre, 6+6 a
Qui tombe et s'emprisonne, ou monte et se délivre ! 6+6 a
Tout ce qui rampe expie une chute du ciel. 6+6 a
4865 La pierre est une cave où rêve un criminel, 6+6 a
Prends garde, esprit ! recule au seuil du mal, arrête ! 6+6 a
L'arbre t'attend, le roc te guette, esprit ! La bête 6+6 a
Est une chausse-trape où l'homme peut tomber. 6+6 a
Tremble. Pas d'action qu'on puisse dérober 6+6 a
4870 A Dieu, pour qui dans toi veille ta conscience. 6+6 a
Tout être est responsable ; il croît, décroît, vit, pense, 6+6 a
Condamné par lui-même ou par lui-même absous ; 6+6 a
Tout ce qu'il fait s'en va dans l'espace ; et dessous 6+6 a
Est l'infini, compteur exact, plateau sans bornes ; 6+6 a
4875 Et la chute possible, et les ténèbres mornes 6+6 a
Où serpentent, chassés du vent qui les poursuit, 6+6 a
Les essaims tortueux des mondes de la nuit. 6+6 a
Oui, l'âme dans le mal, hélas, naufrage et sombre. 6+6 a
Hommes, votre lumière est faite avec de l'ombre ; 6+6 a
4880 Sous votre bagne il est d'autres cachots profonds ; 6+6 a
Vous ne vous en doutez pas même ; ô noirs bouffons, 6+6 a
Qui riez, qui chantez, qui raillez, c'est le pire, 6+6 a
Le monde des sanglots commence a votre rire. 6+6 a
En même temps la joie est au-dessus de vous ; 6+6 a
4885 Car, devant le regard de l'Être sans courroux, 6+6 a
Tout se tient ; et l'extase a la douleur s'enlace. 6+6 a
L'ange me regardait, et, sans que je parlasse, 6+6 a
Il voyait ma pensée, et, dans mon âme entrant, 6+6 a
Son œil fixe rendait mon crâne transparent. 6+6 a
4890 Il dit, levant un doigt de sa main souveraine : 6+6 a
— Que l'oreille d'en bas qui m'écoute, comprenne 6+6 a
Que l'ange — ne s'est pas contredit en montrant 6+6 a
L'homme si vain après l'avoir montré si grand ; 6+6 a
Tout est haut, tout est bas tout est lent, tout va vite ; 6+6 a
4895 Toute chose créée est splendide et petite ; 6+6 a
Tout être a deux aspects, ténèbres et rayons ; 6+6 a
Et la justice sort des confrontations 6+6 a
Du côté misérable avec la face auguste. 6+6 a
L'être est un hideux tronc qui porte un divin buste. 6+6 a
4900 Mais — à la conscience heureux qui s'est fié ! — 6+6 a
Tout, même ce tronc vil, sera glorifié. 6+6 a
Dieu, l'avertisseur juste, incessamment regarde 6+6 a
La vie, et dans les vents murmure : prenez garde ! 6+6 a
Et suit des yeux le choc des bons et des mauvais. 6+6 a
4905 Tout à l'heure, ô vivant terrestre, tu pouvais 6+6 a
Me répondre : Oui, le ciel est gibelin ou guelfe ; 6+6 a
L'astre connaît — Isis et Phœbus, Thèbe et Delphe, 6+6 a
Genève et Rome, œdipe et Sphynx, énigme et mot ; 6+6 a
Le météore prend fait et cause là-haut 6+6 a
4910 Pour ou contre Pompée ou César, pour ou contre 6+6 a
Le pâle Capulet qu'un Montaigu rencontre ; 6+6 a
Car dans toute querelle est un peu d'équité, 6+6 a
Et dans toute lueur un peu de vérité ; 6+6 a
Et si la rose rouge a tort, la rose blanche 6+6 a
4915 A raison. Et cela suffit pour que Dieu penche. 6+6 a
Le nuage, le jour ; la rosée en sueur, 6+6 a
La comète trnant sa sinistre lueur, 6+6 a
Tous les êtres profonds qui passent dans l'abîme, 6+6 a
Sont du parti de ceux qu'on foule et qu'on opprime ; 6+6 a
4920 Et, luttant pour le droit et pour la vérité, 6+6 a
Le faible a dans les reins toute l'immensi 6+6 a
De là l'auguste foi du cœur simple et robuste. 6+6 a
Vivants, tous les cheveux de la tête du juste, 6+6 a
Par des fils que nul bras n'a pu briser encor, 6+6 a
4925 Sont liés aux rayons de tous les astres d'or. 6+6 a
Vis, âme : — Oh ! que Dieu soit dans ce que tu préfères ! 6+6 a
La loi, sous ses deux noms une dans les deux sphères, 6+6 a
Vivants, c'est le progrès ; morts, c'est l'ascension. 6+6 a
Toute cité, d'en bas ou d'en haut, est Sion ; 6+6 a
4930 Tout être, par l'effort du labeur volontaire, 6+6 a
Sort de l'épreuve, et rentre au bonheur ; toute terre 6+6 a
Doit devenir Éden et tout ciel paradis. 6+6 a
Les gisants s'écrieront : debout ! les engourdis 6+6 a
Remueront ; l'avenir, parlant d'une voix tendre, 6+6 a
4935 Dira : terre, voici le chemin qu'il faut prendre, 6+6 a
O terre ! et l'harmonie en chantant conquerra 6+6 a
L'horreur du Groënland, l'horreur du Sahara, 6+6 a
Et le sable et la neige, et ces larves barbares, 6+6 a
Caraïbes, hurons, bédouins, malabares, 6+6 a
4940 Peuples sourds de l'Ohio, du Thibet, du Darfour, 6+6 a
Que l'ombre garde assis dans son noir carrefour. 6+6 a
L'aube, cette blancheur juste, sacrée, intègre, 6+6 a
Qui se fait dans la nuit, se fera dans le nègre. 6+6 a
La Rome du désert ntra de Tombouctou. 6+6 a
4945 Oh ! pourvu que ce soit en avant, Dieu sait où, 6+6 a
Va, vole ! Je l'ai dit, et je te le répète, 6+6 a
La-bas, où l'on entend sonner de la trompette, 6+6 a
La-bas dans l'inconnu, là-bas dans le réel, 6+6 a
Dans ;le vrai ; dans le beau, dans le grand, dans le ciel, 6+6 a
4950 Genre humain, genre humain, ouvre tes larges ailes ! 6+6 a
En même temps la mort aux splendides prunelles 6+6 a
Pousse vers l'éternelle et suprême clarté 6+6 a
Le monstre, et l'homme au vent du sépulcre emporté, 6+6 a
Troupeau fuyant qu'au bord du gouffre elle dénombre. 6+6 a
4955 L'aurore est un baiser qui veut les fronts de l'ombre. 6+6 a
Tout se meut, se soulève, et s'efforce, et gravit, 6+6 a
Et se hausse, et s'envole, et ressuscite, et vit ! 6+6 a
Rien n'est fait pour rester dans l'obscurité sourde. 6+6 a
L'âme en exil devient à chaque instant moins lourde, 6+6 a
4960 Et s'approche du ciel qui vous réclame tous. 6+6 a
D'heure en heure, pour ceux qui se sont faits plis doux, 6+6 a
La peine s'attendrit l'ombre en bonheur se change ; 6+6 a
La bête est commuée en homme, l'homme en ange ; 6+6 a
Par l'expiation, échelle d'équité, 6+6 a
4965 Dont un bout est nuit froide et l'autre bout clarté, 6+6 a
Sans cesse, sous l'azur que la lumière noie, 6+6 a
L'univers Châtiment monte à l'univers Joie. 6+6 a
Et l'on y vient d'un bond, et du plus triste lieu. 6+6 a
Oui, l'horreur et le mal peuvent aux pieds de Dieu 6+6 a
4970 Se verser tout à coup en urnes de lumière. 6+6 a
Oui, les plus noirs ont droit à la plus blanche sphère ; 6+6 a
Les plus vils ont pour loi d'atteindre les plus hauts. 6+6 a
Tous les rayonnements puisent tous les chaos, 6+6 a
Vident la nuit, et font, ravissement des anges, 6+6 a
4975 Des gerbes d'arcs-en-ciel avec toutes les fanges ! 6+6 a
Point de déshérité ! Non ! point de paria ! 6+6 a
Je levai les deux mains au ciel ; l'ange cria : 6+6 a
Ô profondeurs, voi que ce passant s'étonne ! 6+6 a
Puis il reprit :
— Rêveur qu'emporte un vent d'automne, 6+6 a
4980 Sors de l'infirmi de ta stupeur sans yeux. 6+6 a
Apprends l'immensité. Guetteur obscur des cieux, 6+6 a
Sache, ô vivant qui viens regarder l'aube naître, 6+6 a
Que l'expiation va plus avant peut-être 6+6 a
Que tu ne descendis et que tu ne sondas, 6+6 a
4985 Homme, et qu'elle peut faire un élu de Judas 6+6 a
Sache que Dieu, domptant même l'œil qui fascine, 6+6 a
Change, quand il lui, plaît, le serpent en racine, 6+6 a
Si bien qu'avec le temps ses desseins sont remplis, 6+6 a
Et que de la vipère il fait sortir un lys. 6+6 a
4990 Qu'ont donc appris à l'homme Inde, Égypte et Chaldée, 6+6 a
S'il est pétrifié par cette simple idée 6+6 a
Que l'âme se perdra, se perd et se perdit, 6+6 a
Mais que Dieu peut toujours la trouver ? Qui te dit 6+6 a
Que, le jour où, la mort enfin te fera naître, 6+6 a
4995 Tu ne verras, pas, homme, au seuil des cieux paraître, 6+6 a
Un archange plus grand et plus éblouissant 6+6 a
Et plus beau que celui qui te parle à présent, 6+6 a
Ayant des fleurs soleils, des astres étincelles, 6+6 a
Et tous les diamants du gouffre dans ses ailes, 6+6 a
5000 Qui viendra vers toi, pur, auguste, doux ; serein, 6+6 a
Calme, et qui te dira : c'est moi qui fus :Caïn ? 6+6 a
Homme, sache que Dieu pourrait prendre un cloporte, 6+6 a
Un crapaud, l'acarus que ton ulcère porte, 6+6 a
Et lui donner l'aurore et le septentrion. 6+6 a
5005 Sache que Dieu pourrait choisir un vibrion, 6+6 a
Un ver de terre au fond du sépulcre nocturne, 6+6 a
Et lui dire : — Voi Sirius et Saturne, 6+6 a
Arcturus, Orion et les pléiades d'or ; 6+6 a
Je te les donne. Prends. Et je te donne encor 6+6 a
5010 Le vaste Jupiter avec ses quatre lunes. 6+6 a
Prends l'ouragan, le bruit, le jour bleu, les nuits brunes, 6+6 a
Le tropique et l'été, le pôle avec l'hiver. 6+6 a
Vénus, perle du soir, je te donne à ce ver. 6+6 a
Ver, prends Aldebaran que vit Jean, mon apôtre, 6+6 a
5015 Et prends ses trois soleils qui roulent l'un sur l'autre ; 6+6 a
Prends tous les firmaments et tous les océans, 6+6 a
Et le haut zodiaque aux douze astres géants, 6+6 a
Tournant comme une roue au fond des ombres noires. 6+6 a
Sache que Dieu pourrait donner toutes ces gloires 6+6 a
5020 A ce vil ver de terre immonde et chassieux 6+6 a
Sans étonner un seul — archange dans les cieux ! 6+6 a
Et sache aussi que Dieu donnerait à cet être : 6+6 a
Ce que dans tous les lieux l'éternité voit naître, 6+6 a
Tous les astres qu'on voit, tous ceux qu'on ne voit pas, 6+6 a
5025 Tout ce qui tourbillonne au souffle du trépas, 6+6 a
Et les mille flambeaux tremblant sur le grand voile, 6+6 a
Sans que l'infini fût amoindri d'une étoile, 6+6 a
Et qu'ayant tout donné, Dieu n'aurait rien de moins. 6+6 a
Et l'archange reprit : Soleils, soyez témoins, 6+6 a
5030 Soyez témoins, ô cieux, que l'ilote et l'esclave, 6+6 a
Le gtreux dont l'œil rêve et dont la lèvre bave 6+6 a
Dans ses mornes sommeils, 6 a
Et sur son lit maudit, le lépreux solitaire, 6+6 b
Ô cieux, sont vos égaux, et que les vers de terre 6+6 b
5035 Sont vos frères, soleils ! 6 a
Soyez témoins, éthers où vit l'âme ravie, 6+6 a
Épanouissements de splendeur et de vie, 6+6 a
Édens par Dieu dorés ; 6 a
Paradis qui passez avec le son des lyres, 6+6 b
5040 Rayons, soyez témoins, soyez témoins, sourires, 6+6 b
Que les pleurs sont sacrés ! 6 a
Il ne tient qu à la nuit, et cela dépend d'elle, 6+6 a
D'être heureuse, innocente, et sincère, et fidèle, 6+6 a
De nous éblouir tous, 6 a
5045 Et de voir tout à coup, clartés dans l'ombre écloses, 6+6 b
Des flots de colibris ; sortis d'un tas de roses, 6+6 b
Aveugler ses hiboux ! 6 a
Le méchant est un mort dont l'harmonie est veuve. 6+6 a
Il peut, quand il lui plaît, renaître après l'épreuve, 6+6 a
5050 Et revenir, ailé, 6 a
Superbe, triomphant, sans pleurs, sans deuil, sans crainte, 6+6 b
Serein car tout esprit de la justice sainte 6+6 b
Est l'époux étoilé ! 6 a
Hommes ! l'orgueil en vous parfois crie et résiste, 6+6 a
5055 Et vous dites, entant que votre terre est triste : 6+6 a
— « Dieu pour nous est sans nom : 6 a
« Qu'a trouvé Ptolémée et que sait Épicure ? 6+6 b
« Double négation « : le ciel noir, l'âme obscure. 6+6 b
« L'être est Nuit, l'homme est Non. 6 a
5060 « Le mal est notre maître et, le doute est notre hôte ; 6+6 a
« Dieu nous montre la peine et nous cache la faute ; 6+6 a
« Que veut ce dieu lointain ? 6 a
« Notre vie est si morne et notre âme est si noire, 6+6 b
« Hélas ! que, par moments, nous hésitons à croire 6+6 b
5065 « L'étoile du matin ! 6 a
« Il semble que Dieu triste essaie à chaque aurore 6+6 a
« De créer un jour pur, divin, charmant, sonore, 6+6 a
« Par la joie expliqué, 6 a
« D'un éternel midi réchauffant la nature, 6+6 b
5070 « Sans tache… — et chaque soir, la nuit revient, rature 6+6 b
« Du jour toujours manqué ! 6 a
« Qui nous dit que ce monde inique et léthifère 6+6 a
« Est l'œuvre de quelqu'un qui sait ce qu'il veut faire ? 6+6 a
« Tout rampe de terreur ; 6 a
5075 « Ces monts, ces mers, ces champs où nos troupeaux vont paître, 6+6 b
« Ces globes, ces soleil ; ces cieux ne sont peut être 6+6 b
« Que quelque immense erreur ! — » 6 a
Et vous criez, vivants sinistres de la tombe : 6+6 a
« L'anathème nous tient ;l'horreur sur nous surplombe ; 6+6 a
5080 « Ce guichetier nous suit ; 6 a
« L'obscurité nous couve, et la geôle âpre et lourde 6+6 b
« Nous guette, et chaque étoile est la lanterne sourde 6+6 b
« D'un spectre de la nuit ! 6 a
« Nous sommes prisonniers ; les ténèbres nous gardent ; 6+6 a
5085 « Tous les yeux de l'abîme à la fois nous regardent ; 6+6 a
« Comment fuir ? on nous voit ! 6 a
« Comment nous évader ? — » Il suffit, pour — qu'on sorte, 6+6 b
Qu'une bonne action pousse l'énorme porte.. 6+6 b
Du bout du petit doigt ! 6 a
5090 Le Dieu juste, qui met à toute peine un terme 6+6 a
Ne veut pas que le grand sur le petit se ferme ; 6+6 a
Il veut la liberté, 6 a
Et c'est avec l'atome, ô pauvre âme inquiète, 6+6 b
Que ce Dieu fait la clef de la serrure faite 6+6 b
5095 Avec l'immensité. 6 a
Dieu ne permet à rien l'oppression ; la brute 6+6 a
Et l'ange sont amis ; au fond de toute chute 6+6 a
Dieu met de sa clarté ; 6 a
De toute ascension Dieu marque le solstice ; 6+6 b
5100 Il crie aux quatre vents : Égalité ! Justice ! 6+6 b
Équilibre ! Équité ! 6 a
Et l'un des quatre vents va le dire à l'aurore ; 6+6 a
L'autre au couchant pourpré qu'un divin nimbe dore 6+6 a
Et qui s'épanouit 6 a
5105 Le troisième le dit au midi qui s'enivre 6+6 b
De l'éblouissement de tout ce qu'il fait vivre ; 6+6 b
Le dernier à la nuit. 6 a
Qu'est-ce que le rayon a de plus que la bête ? 6+6 a
Le tigre a sa fureur, le ciel a sa tempête ; 6+6 a
5110 Tout est égal à tout 6 a
L'insecte vaut le globe ; et, soleils, sphères, gloires, 6+6 b
Tous les géants, égaux à tous les infusoires, 6+6 b
Gisent sous Dieu debout. 6 a
Tout n'est qu'un tourbillon de poussière qui vole. 6+6 a
5115 La mouche et sa lueur, l'astre et son auréole, 6+6 a
Cendre ! apparitions ! 6 a
Vie ! Être ! ô précipice obscur ! horreurs sacrées, 6+6 b
Où Dieu laisse en rêvant tomber des empyrées 6+6 b
Et des créations ! 6 a
5120 L'infiniment petit, l'infiniment grand ; songes ! 6+6 a
Ces soleils que tu vois, ces azurs où tu plonges ; 6+6 a
Âme errant sans appuis, 6 a
Les orbites de feu des sphères vagabondes, 6+6 b
Les éthers constellés, les firmaments ; les mondes, 6+6 b
5125 Cercles du fond du puits ! 6 a
Ô citerne de l'ombre ! Ô profondeurs livides ! 6+6 a
Les plénitudes sont pareilles à des vides. 6+6 a
L'œil cherche le soutien. 6 a
L'être est prodigieux à ce point, j'en frissonne, 6+6 b
5130 Qu'il ressemble au néant ; et Tout par moments donne 6+6 b
Le vertige de Rien ! 6 a
On revient au néant par l'énormité même, 6+6 a
Oui ! — S'il n'était pas là, lui, le témoin suprême, 6+6 a
Oh ! comme on frémirait ! 6 a
5135 Mais ce grand front serein dans l'immensité rentre, 6+6 b
Et, comme un feu suffit pour éclairer un antre, 6+6 b
L'univers reparaît. 6 a
Ô Création, choc de souffles, bruit d'atomes, 6+6 a
Terre, trône de l'homme, univers, cieux, royaumes, 6+6 a
5140 Rayons, sceptres, pavois, 6 a
Monde noir qui te tais et qui dors ! Dieu se lève. 6+6 b
Ombre ! il est le regard ; sommeil ! il est le rêve ; 6+6 b
Silence, il est la voix ! 6 a
Dieu vit. Quiconque mange est assis à sa table. 6+6 a
5145 Il est l'inaccessible, il est l'inévitable ; 6+6 a
L'athée au sombre vœu, 6 a
En se précipitant, sans foi, sans loi, sans prisme, 6+6 b
La tête la première ; au fond de l'athéisme, 6+6 b
Brise son âme à Dieu ! 6 a
5150 Il est le fond de l'être. Oui, terrible ou propice, 6+6 a
Tout vertige le trouve au bas du précipice. 6+6 a
Satan, l'ange échappé, 6 a
Se cramponne lui-même au père, et l'on devine 6+6 b
Dans le pli d'un des pans de la robe divine 6+6 b
5155 Ce noir poignet crispé. 6 a
Dieu ! Dieu ! Dieu ! l'âme unique est dans tout, et traverse 6+6 a
L'âme individuelle, en chaque être diverse ; 6+6 a
Tout char l'a pour essieu ; 6 a
La tête de mort, blême au fond de l'ombre immonde, 6+6 b
5160 Par un de ses deux trous, sinistre, voit le monde, 6+6 b
Et par l'autre voit Dieu. 6 a
Cet ensemble, où l'on voit toujours plus d'aube naître, 6+6 a
Et qu'on nomme le ciel et l'enfer, se pénètre ; 6+6 a
Rayon et flamboiement ; 6 a
5165 L'un descend, l'autre monte ; et Dieu dans l'ombre passe ; 6+6 b
Et chacun d'eux éclaire un côté de sa face 6+6 b
Au fond du firmament. 6 a
Par moments, dans l'azur où l'archange a son aire, 6+6 a
Il se fait des hymens que chante le tonnerre ; 6+6 a
5170 L'âme épouse le ver ; 6 a
Et le ciel et l'enfer, et la lumière et l'ombre, 6+6 b
Et le rayon splendide et le flamboiement sombre 6+6 b
Se mêlent dans l'éclair. 6 a
Rien n'est désespéré, car rien n'est hors de l'être. 6+6 a
5175 Vivez ! Le disparu peut toujours reparaître. 6+6 a
Le mal par vous construit, 6 a
Se place, dans la vaste et morne apocalypse, 6+6 b
Entre votre âme et Dieu ; l'enfer est une éclipse ; 6+6 b
Le mal passe, Dieu luit ! 6 a
5180 Transfigurations splendides et subites ! 6+6 a
Les châtiments sont pleins de sombres : cénobites, 6+6 a
De bras au ciel tendus. 6 a
Parfois les lieux profonds ont des sanglots sublimes 6+6 b
Qui jettent tout à coup près de Dieu sur les cimes 6+6 b
5185 Des monstres éperdus ! 6 a
Chaque globe est un œuf hideux, sur qui se pose 6+6 a
La nuit triste, où l'on sent remuer quelque chose, 6+6 a
Couvert d'êtres maudits, 6 a
Lugubre, affreux, ron de moisissure verte, 6+6 b
5190 Qu'un jour un bec de feu brise, et d'où, l'aile ouverte, 6+6 b
Sort l'aigle Paradis. 6 a
Ce n'est pas le pardon c'est la justice auguste ; 6+6 a
C'est, après le rachat, la délivrance juste ; 6+6 a
L'équitable retour 6 a
5195 Des hydres vers l'azur où l'on voit l'astre éclore, 6+6 b
Des muets vers la voix, des larmes vers-l'aurore, 6+6 b
Des spectres vers le jour ! 6 a
Dieu n'est pas moins en bas qu'en haut ; oui, la nature 6+6 a
Sacre l'égali de toute créature 6+6 a
5200 Devant le créateur ; 6 a
Et c'est le cœur de Dieu que sent l'être unanime 6+6 b
Dans ces deux battements énormes de l'abîme, 6+6 b
Profondeur et Hauteur. 6 a
Ces deux pulsations de la vie éternelle 6+6 a
5205 Jettent l'âme innocente et l'âme criminelle, 6+6 a
L'une aux cieux ; l'autre aux nuits ; 6 a
Chacun va dans la sphère où sa pesanteur tombe. 6+6 b
Dieu, pour noircir l'orfraie et blanchir la colombe, 6+6 b
N'a qu'à dire je suis. 6 a
5210 La conscience est là, lueur crépusculaire. 6+6 a
Vous êtes avertis, vivants ; le crime éclaire. 6+6 a
Tu tombes, tu sais où ! 6 a
La drachme de Judas, par la nuit ramassée, 6+6 b
Rayonne et luit au fond de l'ombre hérissée ; 6+6 b
5215 C'est l'œil rond du hibou. 6 a
Dieu laisse à tous le poids qu'ils ont. Coupable ou sainte, 6+6 a
L'action est un pied qui marque son empreinte. 6+6 a
Dieu laisse au mal le mal. 6 a
Dieu, choisir ! l'absolu n'a pas de préférence ; 6+6 b
5220 Le cercle ne peut rien sur la circonférence ; 6+6 b
Le parfait est fatal. 6 a
Oui, Dieu, c'est l'équilibre. Êtres, Dieu pèse et crée : 6+6 a
À droite l'étendue, a gauche la durée ; 6+6 a
L'évident, l'incompris ; 6 a
5225 Les éblouissements, contre-poids des désastres ; 6+6 b
L'abîme balançant l'âme ; ici tous les astres, 6+6 b
Et là tous les esprits. 6 a
En lui sont la raison et le centre imperdable ; 6+6 a
Tous les balancements de l'ordre formidable 6+6 a
5230 S'y règlent à la fois ; 6 a
Toutes les équités forment cette âme immense ; 6+6 b
Elle est le grand niveau de l'être ; et la clémence 6+6 b
Y serait un faux poids. 6 a
L'absolu ! l'absolu ! Ni fureurs, ni faiblesses. 6+6 a
5235 Impassible, étoilée, âpre, tu ne te laisses, 6+6 a
Au fond du ciel béni, 6 a
Violer, dans ta paix qu'aucun flot ne déborde, 6+6 b
Jamais, à rien, pas même à la miséricorde, 6+6 b
Sombre vierge Infini ! 6 a
5240 Rien ne fait vaciller l'axe, que la justice. 6+6 a
Chacun pèse sa vie ; orgueil, sagesse ou vice. 6+6 a
Vivez ! cherchez le mieux ! 6 a
L'action pend à l'âme. Avec tout ce qu'il sème, 6+6 b
Chaque être a son insu se compose à lui-même 6+6 b
5245 Son poids mystérieux. 6 a
La balance n'a pas le droit de faire grâce. 6+6 a
Elle oscille en dehors du temps et de l'espace ; 6+6 a
Elle est la vérité ; 6 a
Sous la seule équi son tremblement s'apaise. 6+6 b
5250 Demande aux deux plateaux si l'immensité pèse. 6+6 b
Plus que l'éternité ! 6 a
L'archange disparut comme, au front du Vésuve, 6+6 a
S'efface une fumée, ou comme, dans la cuve, 6+6 a
S'évanouit l'écume en tombant du pressoir. 6+6 a
VIII
5255 Et je vis au-dessus de ma tête un point noir. 6+6 a
Et ce point noir semblait une mouche dans l'ombre. 6+6 a
Comme un vert rejeton sort d'une souche sombre, 6+6 a
Des profondeurs sortait le jour éblouissant. 6+6 a
Je me précipitai vers le point grandissant, 6+6 a
5260 Plus prompt que les oiseaux envolés hors des branches ; 6+6 a
C'était une lumière avec deux ailes blanches ; 6+6 a
Et qui m'avait semblé, lorsque je l'aperçus, 6+6 a
Obscure, tant le ciel rayonnait au-dessus. 6+6 a
Cette clarté disait :
— Pas de droite et de gauche ; 6+6 a
5265 Pas de haut ni de bas ; pas de glaive qui fauche ; 6+6 a
Pas de trône jetant dans l'ombre un vague éclair ; 6+6 a
Pas de lendemain, pas d'aujourd'hui, pas d'hier ; 6+6 a
Pas d'heure frissonnant au — vol du temps rapace ; 6+6 a
Point de temps ; point d'ici, point de là ; point d'espace ; 6+6 a
5270 Pas d'aube et pas de soir ; pas de tiare ayant 6+6 a
L'astre pour escarboucle à son faîte effrayant ; 6+6 a
Pas de balance ; pas de sceptre, pas de globe ; 6+6 a
Pas de Satan caché dans les plis de la robe ; 6+6 a
Pas de robe ; pas d'âme à la main ; pas de mains ; 6+6 a
5275 Et vengeance, pardon, justice, mots humains. 6+6 a
Qui que tu sois, écoute : il est.
Qu'est-il ? Renonce ! 6+6 a
L'ombre est la question, le monde est la réponse. 6+6 a
Il est. C'est le vivant, le vaste épanoui ! 6+6 a
Ce que contemple au, loin le soleil ébloui, 6+6 a
5280 C'est lui : Les cieux, vous, nous ; les étoiles, poussière ! 6+6 a
Il est l'œil gouffre, ouvert au fond de la lumière, 6+6 a
Vu par tous les flambeaux, senti par tous les nids, 6+6 a
D'où l'univers jaillit en rayons infinis. 6+6 a
Il regarde, et c'est tout. Voir suffit au sublime, 6+6 a
5285 Il crée un monde rien qu'en voyant un abîme 6+6 a
Et cet être qui voit, ayant toujours été, 6+6 a
A toujours tout créé, de toute éternité. 6+6 a
Quand la bouche d'en bas touche à ce nom suprême, 6+6 a
L'essai de la louange est presque le blasphème : 6+6 a
5290 Pas d'explication donc ! Fais mettre à genoux 6+6 a
Ta pensée, et deviens un regard ; comme nous. 6+6 a
Pourquoi chercher les mots où ne sont plus les choses ? 6+6 a
Le vil langage humain n'a pas d'apothéoses. 6+6 a
Ce qu'Il est, est à peine entrevu du tombeau. 6+6 a
5295 Il échappe aux mots noirs de l'ombre. On aurait beau 6+6 a
Faire une strophe avec les brises éternelles, 6+6 a
Et, pour en parfumer et dorer les deux ailes, 6+6 a
Mettre l'astre dans l'une et dans l'autre la fleur, 6+6 a
Et mêler tout l'azur à leur splendide ampleur, 6+6 a
5300 On ne peindrait pas Dieu. Songeur, qu'on le revête 6+6 a
De bruit et d'aquilon, de foudre et de tempête ; 6+6 a
Qu'on le montre éveillé, qu'on le montre dormant, 6+6 a
Sa respiration soulevant doucement 6+6 a
Toutes les profondeurs de toute l'étendue, 6+6 a
5305 Remuant la comète au fond des cieux perdue, 6+6 a
Le vent sur son cheval, la mort sur son éclair, 6+6 a
Et le balancement monstrueux de la mer, 6+6 a
On ne le peindra pas. Lui ! Lui ! l'inamissible, 6+6 a
L'éternel, l'incréé, l'imprévu, l'impossible, 6+6 a
5310 Il est. La taupe fouille et creuse, et l'aperçoit ; 6+6 a
L'ombre dit à la taupe es-tu sûre qu'il soit ? 6+6 a
La taupe répond : Dieu ! Dieu de l'aigle est la proie. 6+6 a
Suppose que sur terre un seul être en Dieu croie, 6+6 a
Cet être, si jamais le soleil, s'éclipsait, 6+6 a
5315 Remplacerait l'aurore. Et sais-tu ce que c'est 6+6 a
Que le fauve ouragan, tonnant et formidable ? 6+6 a
C'est, dans les profondeurs du gouffre inabordable, 6+6 a
L'infini murmurant : je l'aime ! à demi-voix ; 6+6 a
Quand l'étoile rayonne, elle dit : je le vois ! 6+6 a
5320 Tout le cri, tout le bruit et tout l'hymne de l'homme 6+6 a
Avorte à dire Dieu ! Le baiser seul le nomme. 6+6 a
J'aime !
Ici la clarté me dit :
— Si tu m'en crois, 6+6 a
Va-t'en. Car les rayons brûlants dont tu t'accroîs 6+6 a
Pourraient te consumer, frémissant, avant l'heure. 6+6 a
5325 L'homme meurt d'un excès de flamme intérieure ; 6+6 a
L'ange qui va trop loin dit : Ne restons pas là. 6+6 a
En voulant trop voir Dieu, Moïse chancela ; 6+6 a
Un peu plus, il tombait du haut de cette cime, 6+6 a
L'œil plein des tournoiements terribles de l'abîme. 6+6 a
5330 — Parle ! oh ! parle ! criai-je à la forme de feu. 6+6 a
— Ô curieux du gouffre, Empédocle de Dieu, 6+6 a
Je parlerai, dit l'être, et même ton langage ; 6+6 a
Car, quand dans l'infini sous vos yeux on s'engage, 6+6 a
Hommes, on ne peut plus toucher a ses rameaux 6+6 a
5335 Sans en faire tomber vos misérables mots. 6+6 a
Le tout éternel sort de l'éternel atome. 6+6 a
De l'équation Dieu le monde est le binôme 6+6 a
Dieu, c'est le grand réel et le grand inconnu ; 6+6 a
Il est ; et c'est errer que dire : Il est venu. 6+6 a
5340 Quoique l'impénétrable énigme le vêtisse, 6+6 a
Quoiqu'il n'ait ni lever, ni coucher, ni solstice, 6+6 a
Êtres bornés, il marque, au fond du ciel sans bord, 6+6 a
Vos quatre angles, levant, occident, midi, nord ; 6+6 a
Il est Xiks, élément du rayonnement, nombre 6+6 a
5345 De l'infini, clarté formidable de l'ombre, 6+6 a
Lueur sur le coran comme sur le missel, 6+6 a
Éternelle présence à l'œil universel ! 6+6 a
C'est lui l'autori d'où jaillit l'âme libre ; 6+6 a
C'est lui l'axe invisible autour duquel tout vibre, 6+6 a
5350 Et l'oscillation dans l'immobilité ; 6+6 a
Oscillation sombre, au cercle illimité, 6+6 a
Qui va, prodigieuse, une, inouïe, étrange, 6+6 a
Des oreilles de l'âne aux ailes de l'archange. 6+6 a
L'être sans cesse en lui se forme et se dissout ; 6+6 a
5355 Il est la parallèle éternelle de tout ; 6+6 a
Il est précision, loi, règle, certitude, 6+6 a
Justesse, abstraction, rigueur, exactitude, 6+6 a
Et toute cette algèbre en tendresse se fond. 6+6 a
Et dans l'indéfini, l'obscur et le profond, 6+6 a
5360 A travers ce qu'on nomme air et terre, flamme, onde, 6+6 a
Cet Xiks a quatre bras, pour embrasser le monde, 6+6 a
Et, se dressant visible aux yeux morts ou déçus, 6+6 a
Il est croix sur la terre et s'appelle Jésus. 6+6 a
Hors de la terre il est l'innommé.
Chaque sphère 6+6 a
5365 Le nomme en frissonnant du nom qu'elle préfère, 6+6 a
Mais tous les noms sur Dieu sont des flots insensés. 6+6 a
Quant au globe-chétif et morne où vous passez, 6+6 a
Hommes, l'ange a parlé d'une façon sévère ; 6+6 a
L'homme est l'être sacré que la terre révère ; 6+6 a
5370 Mais l'arbre est quelque chose et la bête est quelqu'un ; 6+6 a
La pierre et son silence, et l'herbe et son parfum ; 6+6 a
Vivent ; l'homme, rayon, doit plaindre la poussière ; 6+6 a
L'être est une famille où l'homme est le grand frère 6+6 a
Et lui, l'âme, d'en haut, il doit, dans leurs combats, 6+6 a
5375 Verser tout son azur sur les âmes d'en bas ; 6+6 a
L'homme, malgré sa haine et malgré sa démence, 6+6 a
Est le commencement de la lumière immense. 6+6 a
L'égalité dans l'ombre ébauche l'unité ; 6+6 a
L'unité, c'est le but de la route clarté. 6+6 a
Âme ! être, c'est aimer.
Il est.
5380 C'est l'être extrême. 6+6 a
Dieu, c'est le jour sans borne et sans fin qui dit : j'aime. 6+6 a
Lui, l'incommensurable, il n'a point de compas ; 6+6 a
Il ne se venge pas, il ne pardonne pas ; 6+6 a
Son baiser éternel ignore la morsure ; 6+6 a
5385 Et quand on dit : justice, on suppose mesure. 6+6 a
Il n'est point juste ; il est. Qui n'est que juste est peu. 6+6 a
La justice, c'est vous, humanité ; mais Dieu 6+6 a
Est la bonté. Dieu, branche où tout oiseau se pose ! 6+6 a
Dieu, c'est la flamme aimante au fond de toute chose. 6+6 a
5390 Oh ! tous sont appelés et tous seront élus. 6+6 a
Père, il songe au méchant pour l'aimer un peu plus. 6+6 a
Vivants, Dieu pénétrant en vous ; chasse le vice. 6+6 a
L'infini qui dans l'homme entre, y devient justice ; 6+6 a
La justice n'étant que le rapport secret 6+6 a
5395 De ce que l'homme fait à ce que Dieu ferait. 6+6 a
Bonté, c'est la lueur qui dore tous les faîtes ; 6+6 a
Et, pour parler toujours, hommes, comme vous faites, 6+6 a
Vous qui ne pouvez voir que-la forme et le lieu, 6+6 a
Justice est le profil de la face de Dieu. 6+6 a
5400 Vous voyez un côté, vous ne voyez pas l'autre. 6+6 a
Le bon, c'est le martyr ; le juste n'est qu'apôtre ; 6+6 a
Et votre infirmité, c'est que votre raison 6+6 a
De l'horizon humain conclut l'autre horizon. 6+6 a
Limités, vous prenez Dieu pour l'autre hémisphère. 6+6 a
5405 Mais lui, l'être absolu, qu'est-ce qu'il pourrait faire 6+6 a
D'un rapport ? L'innombrable est-il fait pour chiffrer ? 6+6 a
Non, tout dans sa bon sombre vient s'engouffrer. 6+6 a
On ne sait où l'on vole, on ne sait où l'on tombe, 6+6 a
On nomme cela mort, néant, ténèbres, tombe, 6+6 a
5410 Et, sage, fou, riant, pleurant, tremblant, moqueur, 6+6 a
On s'abîme éperdu dans cet immense cœur ! 6+6 a
Dans cet azur sans fond la clémence étoilée 6+6 a
Elle-même s'efface, étant d'ombre mêlée ! 6+6 a
L'être pardonné garde un souvenir secret, 6+6 a
5415 Et n'ose aller trop haut ; le pardon semblerait 6+6 a
Reproche à la prière, et Dieu veut qu'elle approche ; 6+6 a
N'étant jamais tristesse, il n'est jamais reproche, 6+6 a
Enfants ; et maintenant, croyez si vous voulez ! 6+6 a
Devant le sacrifice et les cieux constellés, 6+6 a
5420 Devant l'aigle effaré ; devant les forêts vertes, 6+6 a
Devant les profondeurs dans tout être entr'ouvertes, 6+6 a
Hommes, on peut nier, mais l'inconvénient 6+6 a
C'est que l'esprit décroît et noircit en niant. 6+6 a
L'être fait pour l'extase et la soif infinie 6+6 a
5425 Devient sarcasme, rire, ignorance, ironie ; 6+6 a
Il n'a plus rien de saint, il n'a plus rien de cher ; 6+6 a
Et sa tête de mort apparaît sous sa chair. 6+6 a
Votre t'erre niant ne serait qu'une infâme, 6+6 a
Et sa nuit grandirait ; car retirer cette âme. 6+6 a
5430 A l'univers, c'est faire un abîme au milieu. 6+6 a
Qui, du centre de l'être insondable, ôte Dieu, 6+6 a
Ôte l'Idée avec tous ses aspects, puissance, 6+6 a
Vérité, liberté, paix, justice, innocence ; 6+6 a
Ôte aux êtres le droit, ôte aux forces l'aimant, 6+6 a
5435 Ote la clef de voûte, et vois l'écroulement ! 6+6 a
Je t'ai parlé ta langue, homme que je rencontre. 6+6 a
Et que veux-tu de plus ? faut-il qu'on te le montre ? 6+6 a
O regardeur aveugle et qui te crois voyant, 6+6 a
Comment te montrer Dieu, cet informe effrayant ? 6+6 a
5440 Comment te dire : ici finit, ici commence ? 6+6 a
Fin et commencement sont des mots de démence. 6+6 a
Fin et commencement sont vos deux grands haillons. 6+6 a
Homme, chante ou blasphème à travers tes bâillons, 6+6 a
Tu mêleras, sans dire un mot de la grande âme, 6+6 a
5445 Ton blasphème à la nuit et ton hymne à la flamme : 6+6 a
L'idée à peine éclôt que les mots la défont. 6+6 a
Comment se figurer la face du profond, 6+6 a
Le contour du vivant sans borne, et l'attitude 6+6 a
De la toute-puissance et de la plénitude ? 6+6 a
5450 Est-ce Allah, Brahma, Pan, Jésus, que nous-voyons ? 6+6 a
Ou Jéhovah ? Rayons ! rayons ! rayons ! rayons ! 6+6 a
La clarté s'arrêta, comme tout éblouie. 6+6 a
Je m'évanouissais, et la vue et l'ouïe, 6+6 a
Et jusqu'aux battements du cœur s'interrompant, 6+6 a
5455 S'en allaient hors de moi comme une eau se répand. 6+6 a
Et la clarté cria dans la profondeur noire 6+6 a
Où flottaient vaguement sous la brume illusoire 6+6 a
Ces faces de néant qu'on voit dans le trépas : 6+6 a
Ô Ténèbres, sachez ceci : la nuit n'est pas. 6+6 a
5460 Tout est azur, aurore, aube sans crépuscule, 6+6 a
Et fournaise d'extase où l'âme parfum brûle. 6+6 a
Le noir, c'est non ; et non, c'est Rien. Tout est certain. 6+6 a
Tout est blancheur, vertu, soleil levant, matin, 6+6 a
Placide éclair, rayon serein, frisson de flamme. 6+6 a
5465 Un ange qui dirait : la nuit, dirait : je blâme. 6+6 a
Les astres ne sont pas. Ces lueurs des tombeaux 6+6 a
Sont fausses, et le jour ignore les flambeaux. 6+6 a
La constellation dans l'illusion rampe ; 6+6 a
Le plein midi n'aurait que faire d'une lampe ; 6+6 a
5470 Tout rayonnement vient du centre et du milieu ; 6+6 a
Comme il n'est qu'une aurore, il n'est qu'un soleil, Dieu, 6+6 a
Qui pour les yeux de chair, couverts de sombres voiles, 6+6 a
Pleut le jour en rayons et la nuit en étoiles. 6+6 a
L'âme est l'œil, il est l'astre. Elle ne voit que lui. 6+6 a
5475 Tout est clarté. Le ver rampant, l'ange ébloui, 6+6 a
Tout, les immensités où se perdent les sondes, 6+6 a
Tout, ces vagues de Dieu que vous nommez les mondes, 6+6 a
L'apparent, le réel, vierge en robe de lin, 6+6 a
Homme, enfant, cieux et mers, espaces, tout est plein 6+6 a
5480 D'un resplendissement d'éternité tranquille. 6+6 a
Comptez les milliards de siècles par cent mille, 6+6 a
Vous n'aurez pas dit un devant l'éternité. 6+6 a
Jetez toute votre ombre, ô nuits, à la clarté, 6+6 a
Au gouffre de splendeur que Dieu profond anime, 6+6 a
5485 Et vous ne ferez pas une tache a l'abîme. 6+6 a
Vous n'êtes point. Au bas des cieux où nous montons, 6+6 a
On voit vos grandes mains qui cherchent a tâtons, 6+6 a
O nuits, spectres ! on voit vos formes de nuées 6+6 a
S'approcher et grandir ou fuir diminuées, 6+6 a
5490 Et le grand gouffre bleu, plein d'éblouissements, 6+6 a
O brumes, ne sait rien de vos écroulements, 6+6 a
Et le rayonnement formidable flamboie. 6+6 a
Ombres, vous n'êtes point. Pour être il faut qu'on voie. 6+6 a
Ténèbres, il n'est pas, devant les firmaments, 6+6 a
5495 De ténèbres ; il n'est que des aveuglements. 6+6 a
Des aveugles ! Pourquoi ?
Pourquoi la loi, la règle, 6+6 a
Le gland avant le chêne, et l'œuf sombre avant l'aigle ? 6+6 a
L'aveugle est l'embryon du voyant ; le voyant 6+6 a
Se change en lumineux ; qui devient, flamboyant ; 6+6 a
5500 C'est la loi. Vous verrez, vous rayonnerez ; ombres ! 6+6 a
Vous serez les frontons éternels, ô décombres ! 6+6 a
Limbes, vous serez ciel ! Vous l'êtes déjà, nuit ! 6+6 a
De même que dé le germe, c'est le fruit ; 6+6 a
Que déjà dans le gland, monde que l'herbe ignore, 6+6 a
5505 Avec toute sa feuille éclatante d'aurore, 6+6 a
Avec son noir branchage où la lune blêmit, 6+6 a
Solide et frissonnant, le grand chêne frémit, 6+6 a
Plein de cris, de chansons, d'hymens et de querelles ; 6+6 a
Et que dans l'œuf profond déjà tremblent les ailes ! 6+6 a
5510 Devoir être, c'est être. Oui, la fange est cristal : 6+6 a
Chrysalide du bien qu'on appelle le mal, 6+6 a
Ne te plains pas ; un fil à Dieu même te noue. 6+6 a
Le réel, c'est la roue, et non le tour de roue. 6+6 a
Ô larves, vous serez. Attendez votre tour. 6+6 a
5515 Puisque le papillon qu'elle doit être un jour ; 6+6 a
Est là-haut, ouvrant l'aile ; et, joyeux, tourbillonne, 6+6 a
Puisque le paradis qu'il doit être-rayonne, 6+6 a
La chenille n'est pas, l'enfer n'existe point. 6+6 a
À la vie à venir le sort présent se joint. 6+6 a
5520 L'être, qui n'est vivant que complet, se déploie 6+6 a
Composé d'aucune ombre et de toute la joie, 6+6 a
Ne gardant du passé que l'extase, et rempli 6+6 a
D'un souvenir céleste et d'un divin oubli. 6+6 a
L'univers, c'est un livre, et des yeux qui le lisent. 6+6 a
5525 Ceux qui sont dans la nuit ont raison quand ils disent : 6+6 a
Rien n'existe ! Car c'est dans un rêve qu'ils sont. 6+6 a
Rien n'existe que lui, le flamboiement profond, 6+6 a
Et les âmes, les grains de lumière, les mythes, 6+6 a
Les moi mystérieux, atomes sans limites, 6+6 a
5530 Qui vont vers le grand moi, leur centre et leur aimant ; 6+6 a
Points touchant au zénith par le rayonnement, 6+6 a
Ainsi qu'un vêtement subissant la matière, 6+6 a
Traversant tour à tour dans l'étendue entière 6+6 a
La formule de chair propre à chaque milieu, 6+6 a
5535 Ici la sève, ici le sang, ici le feu ; 6+6 a
Blocs, arbres, griffes, dents, fronts pensants, auréoles ; 6+6 a
Retournant aux cercueils comme à des alvéoles ; 6+6 a
Mourant pour s'épurer, tombant pour s'élever, 6+6 a
Sans fin, ne se perdant que pour se retrouver, 6+6 a
5540 Chaîne d'êtres qu'en haut l'échelle d'or réclame, 6+6 a
Vers l'éternel foyer volant de flamme en flamme, 6+6 a
Juste éclos du pervers, bon sorti du méchant ; 6+6 a
Montant, montant, montant sans cesse, et le cherchant, 6+6 a
Et l'approchant toujours, mais sans jamais l'atteindre, 6+6 a
5545 Lui, l'être qu'on ne peut toucher, ternir, éteindre, 6+6 a
Le voyant, le vivant, sans mort, sans nuit, sans mal, 6+6 a
L'idée énorme au fond de l'immense idéal ! 6+6 a
La matière n'est pas et l'âme seule existe. 6+6 a
Rien n'est mort, rien n'est faux, rien n'est noir, rien n'est triste ; 6+6 a
5550 Personne n'est puni, personne n'est banni. 6+6 a
Tous les cercles qui sont dans le cercle infini 6+6 a
N'ont que de l'idéal dans leurs circonférences. 6+6 a
Astres, mondes, soleils, étoiles, apparences, 6+6 a
Masques d'ombre ou de feu, faces des visions, 6+6 a
5555 Globes, humanités, terres, créations, 6+6 a
Univers où jamais on ne voit rien qui dorme, 6+6 a
Points d'intersection du nombre et de la forme, 6+6 a
Chocs de l'éclair puissance et du rayon beauté, 6+6 a
Rencontres de la vie avec l'éternité, 6+6 a
5560 Ô fumée, écoutez ! Et vous, écoutez, âmes, 6+6 a
Qui seules resterez étant souffles et flammes, 6+6 a
Esprits purs qui mourez et naissez tour à tour : 6+6 a
Dieu n'a qu'un front : Lumière ! et n'a qu'un nom : Amour ! 6+6 a
Je tremblais ; comme si, prêt à changer de forme, 6+6 a
5565 J'eusse été foudro par un baiser énorme. 6+6 a
La clarté flamboyait, transparente et debout. 6+6 a
Et je criai : lumière, ô lumière, est-ce tout ? 6+6 a
Et la clarté me dit : silence. Le prodige 6+6 a
Sort éternellement du mystère, te dis-je. 6+6 a
5570 Aveugle qui croit lire et fou qui croit savoir ! 6+6 a
[IX]
Et je vis au-dessus de ma tête un point noir. 6+6 a
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mètre profils métriques : 6, 6+6
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