Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_25/HUG1494
Victor HUGO
DIEU
1855
LE SEUIL DU GOUFFRE
[L'ESPRIT HUMAIN]
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et je voyais au loinsur ma tête un point noir. 6+6 a
Comme on voit une moucheau plafond se mouvoir, 6+6 a
Ce point allait, venait ;et l'ombre était sublime. 6+6 a
Et l'homme, quand il pense,étant ailé, l'abîme 6+6 a
5 M'attirant dans sa nuittoujours de plus en plus, 6+6 a
Comme une algue qu'entrneun ténébreux reflux, 6+6 a
Vers ce point noir, planantdans la profondeur blême, 6+6 a
Je me sentais déjàm'envoler de moi-même 6+6 a
Quand je fus arrêtépar quelqu'un qui me dit 6+6 a
— Demeure. —
10 En même tempsune main s'étendit. 6+6 a
J'étais déjà très hautdans la nuée obscure. 6+6 a
Et je vis appartreune étrange figure ; 6+6 a
Un être tout seméde bouches, d'ailes, d'yeux ; 6+6 a
Vivant, presque lugubreet presque radieux. 6+6 a
15 Vaste, il volait ; plusieursdes ailes étaient chauves. 6+6 a
En s'agitant, les cilsde ses prunelles fauves 6+6 a
Jetaient plus de rumeurqu'une troupe d'oiseaux 6+6 a
Et ses plumes faisaientun bruit de grandes eaux. 6+6 a
Cauchemar de la chairou vision d'apôtre, 6+6 a
20 Selon qu'il se montraitd'une face ou de l'autre, 6+6 a
Il semblait une bêteou semblait un esprit. 6+6 a
Il paraissait, dans l'air mon vol le surprit, 6+6 a
Faire de la lumièreet faire des ténèbres. 6+6 a
Calme, il me regardaitdans les brouillards funèbres. 6+6 a
25 Et je sentais en luiquelque chose d'humain. 6+6 a
— Qu'es-tu donc, toi qui viensme barrer le chemin, 6+6 a
Être obscur, frissonnantau souffle de ces brumes ? 6+6 a
Lui dis-je.
Il répondit :— Je suis une des plumes 6+6 a
De la nuit, sombre oiseaude nue et de rayons, 6+6 a
30 Noir paon épanouides constellations. 6+6 a
Je suis ce qui court, vole,erre, s'enfle, s'apaise ; 6+6 a
Je suis en même tempsce qui retombe, pèse, 6+6 a
Saisit l'aile qui va,retient l'essor qui fuit, 6+6 a
Et descend ; car le fondde mon être est la nuit. 6+6 a
— Ton nom ? dis-je.
Il reprit :
35 — Pour toi qui, loin des causes, 6+6 a
Vas flottant, et ne peuxvoir qu'un côté des choses, 6+6 a
Je suis l'Esprit Humain.
Mon nom est Légion, 6+6 a
Je suis, l'essaim des bruitset la contagion 6+6 a
Des mots vivants allantet venant d'âme en âme. 6+6 a
40 Je suis Souffle. Je suiscendre, fumée et flamme. 6+6 a
Tantôt l'instinct brutal,tantôt l'élan divin. 6+6 a
Je suis ce grand passant,vaste, invincible et vain, 6+6 a
Qu'on nomme vent ; et j'ail'étoile et l'étincelle 6+6 a
Dans ma parole, étantl'haleine universelle ; 6+6 a
45 L'haleine et non la bouche ;un zéphir me grandit 6+6 a
Et m'abat ; et quand j'airespiré, j'ai tout dit. 6+6 a
Je suis géant et nain,faux, vrai, sourd et sonore, 6+6 a
Populace dans l'ombreet peuple dans l'aurore ; 6+6 a
Je dis moi, je dis nous ;j'affirme, nous nions. 6+6 a
50 Je suis le flux des voixet des opinions, 6+6 a
Le fantôme de l'an,du mois, de la semaine, 6+6 a
Fait du groupe fuyantde la nuée humaine. 6+6 a
Homme, toujours en moila contradiction 6+6 a
Tourne sa roue obscureet j'en suis l'Ixion. 6+6 a
55 Démos, c'est moi. C'est moice qui marche, attend, roule, 6+6 a
Pleure et rit, nie et croit ;je suis le démon Foule. 6+6 a
Je suis comme la trombe,ouragan et pilier. 6+6 a
En même temps je visdans l'âtre familier. 6+6 a
Oui, j'arrache au tisonla soudaine étincelle 6+6 a
60 Qui heurte un germe obscurque le crâne recèle, 6+6 a
Et qui, des fronts courbéspeant les épaisseurs, 6+6 a
Fait faire explosionà l'esprit des penseurs. 6+6 a
Je vis près d'eux, veilleurintime ; je combine 6+6 a
Le vieux houblon de Flandreet la vigne sabine, 6+6 a
65 La franche joie attiqueet le rire gaulois ; 6+6 a
L'antique insoucianceavec ses douces lois, 6+6 a
Paix, liberté, gté,bon sens, est mon breuvage ; 6+6 a
J'en grise Érasme et Sterne,et même mon sauvage, 6+6 a
Diderot ; et j'en faiscouler quelques filets 6+6 a
70 De la coupe d'Horaceau broc de Rabelais. — 6+6 a
Il poursuivit :
— Je crieà quiconque commence, 6+6 a
Assez. — Finis. — Je suisle Médiocre immense. 6+6 a
Toutes les fois qu'on parleet qu'on dit : — Mitoyen, 6+6 a
Mode, médiateur,méridien, moyen, 6+6 a
75 Par chacun de ces motson m'évoque, on m'adjure, 6+6 a
Et tantôt c'est louange,et tantôt c'est injure. 6+6 a
Je suis l'esprit Milieu ;l'être neutre qui va 6+6 a
Bas sans trouver Iblis,haut sans voir Jéhovah ; 6+6 a
Dans le nombre, je suisMultitude ; dans l'être, 6+6 a
80 Borne. Je m'oppose, homme,a l'excès de conntre, 6+6 a
De chercher, de trouver,d'errer, d'aller au bout ; 6+6 a
Je suis Tous, l'ennemimystérieux de Tout. 6+6 a
Je suis la loi d'arrêt,d'enceinte, de ceinture 6+6 a
Et d'horizon, qui sortde toute la nature ; 6+6 a
85 L'éther irrespirableet bleu sur la hauteur, 6+6 a
Dans le gouffre implacableet sourd, la pesanteur. 6+6 a
C'est moi qui dis : — Voicita sphère. Attends. Arrête. 6+6 a
Tout être a sa frontière,homme ou pierre, ange ou bête, 6+6 a
Et doit, sans dilatersa forme d'aujourd'hui, 6+6 a
90 Subir le nœud des loisqui se croisent en lui. 6+6 a
Je me nomme Limiteet je me nomme Centre. 6+6 a
Je garde tous les seuilsde tous les mondes. Rentre. 6+6 a
Tout est par moi, saisi,pris, circonscrit, dompté. 6+6 a
Je me défie, ayantpeur de l'extrémité, 6+6 a
95 De la folie un peu,beaucoup de la sagesse. 6+6 a
Je tiens l'enthousiasmeet l'appétit en laisse ; 6+6 a
Pour qu'il aille au réelsans s'écarter du bien, 6+6 a
J'attelle au genre humaince lion et ce chien ; 6+6 a
Et, comme je suis souffleet poids, nul ne m'évite, 6+6 a
100 Car tout, comme esprit, flotte,et, comme corps, gravite. 6+6 a
Et l'explication,je te l'ai dit, vivant, 6+6 a
C'est que je suis l'espritmatériel, le vent ; 6+6 a
Et je suis la matièreimpalpable, la force. 6+6 a
Je contrains toute sèveà rester sous l'écorce ; 6+6 a
105 Et tout piège miroirpar mon souffle est terni. 6+6 a
Contre l'enivrementdu sinistre infini 6+6 a
Je garde les penseurs,ces pauvres mouches frêles. 6+6 a
Je tiens les pieds de ceuxdont l'azur prend les ailes. 6+6 a
Je suis parfum, poison,bien, mal, silence, bruit. 6+6 a
110 Je suis en haut midi,je suis en bas minuit ; 6+6 a
Je vais, je viens ; je suisl'alternative sombre ; 6+6 a
Je suis l'heure qui faitsortir en frappant l'ombre, 6+6 a
Douze apôtres le jour,la nuit douze césars. 6+6 a
Du beau donnant sa formeau grand, je fais les arts. 6+6 a
115 Dans les milieux humains,dans les brumes charnelles, 6+6 a
J'erre en voyant ; je suisle troupeau des prunelles. 6+6 a
Je suis l'universel,je suis le partiel. 6+6 a
Je nais de la vapeurainsi que l'eau du ciel, 6+6 a
Et j'éclos du rochercomme le saxifrage. 6+6 a
120 Je sors du sentier vert,du foyer, du naufrage, 6+6 a
Du pavé du chemin,de la borne du champ, 6+6 a
Des haillons du noyésur la grève séchant, 6+6 a
Du flambeau qui s'éteint,de la fleur qui se fane 6+6 a
Je me suis appeléPyrrhon, Aristophane, 6+6 a
125 Démocrite, Aristote,Ésope, Lucien, 6+6 a
Diogène, Timon,Plaute, Pline l'ancien, 6+6 a
Cervantes, Bacon, Swift,Locke, Rousseau, Voltaire. 6+6 a
Je suis la résultanteénorme de la terre. 6+6 a
La raison.
J'étais là,pensif, troublé, muet ; 6+6 a
130 Pendant que j'écoutais,l'être continuait : 6+6 a
— Homme, à nous le mystèreest ouvert. Nous en sommes. 6+6 a
Pour l'abîme, je suisun spectre ; pour vous, hommes, 6+6 a
Je suis la Voix qui dit :allez, mais sachez . 6+6 a
J'erre près du néantle long du garde-fou. 6+6 a
J'avertis.
Il reprit :
135 Écoute, esprit qui trembles ; 6+6 a
Et qui ne peux pas mêmeentrevoir les ensembles : 6+6 a
Hommes, vous m'ignorez,mais je vous connais tous ; 6+6 a
Et je suis encor vous,même en dehors de vous. 6+6 a
Entre les brutes, foule,et les anges, élite, 6+6 a
140 Il est sur chaque terreet chaque satellite, 6+6 a
Un être à part ; penséeet chair matière esprit ; 6+6 a
Page mixte du livre la nature écrit, 6+6 a
Dernier feuillet du Monstreet premier du Génie ; 6+6 a
Créature la fangeet l'or font l'harmonie, 6+6 a
145 Dans la bête à moitié,dans l'idée à demi, 6+6 a
Flamme accouplée avecle corps son ennemi, 6+6 a
Double rayon tordud'ombre et d'aube ravie, 6+6 a
Mystère ; ayant un pied,dans l'échelle de vie, 6+6 a
Sur une fin, un piedsur un commencement ; 6+6 a
150 Cet être comparant,sentant, voyant, aimant, 6+6 a
C'est l'homme. Que la mortconserve, accroisse ou fauche 6+6 a
Cet à peu près sublimeet ce chef-d'œuvre ébauche, 6+6 a
Qu'il ait ce qu'il appelleune âme, en ce moment 6+6 a
Je ne t'en parle pas,je te dis seulement 6+6 a
155 Que partout l'homme existe,étant un milieu d'êtres. 6+6 a
Il vit près des soleils,foyers, astres ancêtres. 6+6 a
Sur des terres qui sontplus ou moins loin du feu, 6+6 a
Il vit, domptant son globe ;il est grand, il est peu ; 6+6 a
Par la forme divers,mais un par sa nature ; 6+6 a
160 Il a l'hydre animalet plante pour ceinture ; 6+6 a
Il est sur le sommetde son visible à lui ; 6+6 a
Et, larve deux lueursse croisent, point d'appui 6+6 a
De tout un phénomène,identique à lui-même, 6+6 a
Marque partout le mêmeétage du problème ; 6+6 a
165 Entre l'aile, et le ventreil est l'être debout ; 6+6 a
Il est partout le roiplanétaire ; partout 6+6 a
Il possède et régitl'astre intermédiaire 6+6 a
Entre l'ombre et le grandsoleil incendiaire. 6+6 a
Car tout globe qui tourneautour d'une clarté 6+6 a
170 Est planète de loin,de près humanité. 6+6 a
Or, — puisque jusqu'a moiton œil plonge et pénètre, 6+6 a
C'est moi qui suis l'espritcollectif de cet être, 6+6 a
Partout ; sous toute forme,et dans l'immensité. 6+6 a
Tu n'es qu'homme, ô passant ;je suis humanité. 6+6 a
175 L'être effrayant, planantdans l'ombre inaccessible, 6+6 a
Ajouta :
— Nul ne doitsortir de son possible. 6+6 a
Nul ne doit transgresserson réel. Cependant 6+6 a
Je veux, puisque tu viensdans cette ombre, imprudent, 6+6 a
Faire une exceptionpour toi que je rencontre. 6+6 a
180 Quel que soit ton dessein,va ! je n'irai pas contre ; 6+6 a
Homme, je consens mêmeà contenter tes vœux. 6+6 a
Étant de l'infini,je peux ce que je veux ; 6+6 a
Ma main peut ouvrir toutpuisqu'elle peut tout clore ; 6+6 a
Qui puise de la nuitpeut puiser de l'aurore, 6+6 a
185 Et ce que tu voudras,je te l'accorderai. 6+6 a
Que demandes-tu ? parle.
Et dans l'effroi sacré 6+6 a
Je me taisais ; roseauployant, vil brin de chaume. 6+6 a
— Tu n'es pas jusqu'icivenu, dit le fantôme, 6+6 a
Pour ne pas demanderquelque chose. Voyons, 6+6 a
190 Parle. Veux-tu des feux,des nimbes, des rayons ? 6+6 a
Que veux-tu de ce gouffre, lorsque je me penche, 6+6 a
La colombe nuéeaccourt, farouche et blanche ? 6+6 a
Veux-tu savoir le fonddu serpent, ou du ver ? 6+6 a
Veux-tu que je t'emporteavec moi dans l'éther ? 6+6 a
195 Je t'obéirai. Parle.Ou faut-il qu'on te montre 6+6 a
Comment l'aurore arrive,et vient à la rencontre 6+6 a
Du parfum de la fleuret du chant des oiseaux ? 6+6 a
Veux-tu que nous prenionsla tempête aux naseaux, 6+6 a
Et que nous nous roulionstous deux dans la tourmente, 6+6 a
200 Quand la meute du ventcourt sur l'onde écumante 6+6 a
Et quand l'archer tonnerreet le chasseur éclair 6+6 a
Percent de traits la peaud'écailles de la mer ? 6+6 a
Veux-tu qu'à pleines mains,tous deux, dans l'invisible, 6+6 a
O passant, nous puisionsl'illusion terrible ? 6+6 a
205 Veux-tu que nous penchionsnos yeux sur les secrets, 6+6 a
Et que nous regardionsla nature de près 6+6 a
Pendant qu'elle produitdans l'immense pénombre ? 6+6 a
Parle. Es-tu curieuxde l'accouchement sombre ? 6+6 a
Veux-tu voir dans le germe,et voir comment éclôt 6+6 a
210 Le songe ou le rocher,le sommeil ou le flot, 6+6 a
Et prendre sur le faitla création, mère 6+6 a
De la réalitécomme de la chimère ? 6+6 a
Veux-tu d'une naissanceentendre la rumeur, 6+6 a
Regarder un édenpoindre, avoir la primeur 6+6 a
215 D'une sphère, d'un globeen fleur, d'une lumière ? 6+6 a
Ou voir surgir l'idée,éblouissante, fière, 6+6 a
Cherchant l'époux Génieau fond du ciel lointain ? 6+6 a
Dis, veux-tu dans la nuit,veux-tu dans le destin- 6+6 a
Voir quelque lever d'astreou quelque lever d'âme ? 6+6 a
220 Tu peux choisir. Demande,interroge, réclame ; 6+6 a
Parle. J'attends. Faut-ilressaisir, je le puis, 6+6 a
Une étoile aux cheveuxdans la fuite des nuits, 6+6 a
Et te la rapportersplendide et frémissante ? 6+6 a
Que veux-tu ? Veux-tu voirdix soleils, vingt, soixante, 6+6 a
225 Se lever à la foisdans soixante univers ? 6+6 a
Veux-tu voir, sur le seuildes cieux tout grands ouverts, 6+6 a
Le matin dételantles sept chevaux de l'Ourse— ? 6+6 a
Ou veux-tu que, dans l'ombre le jour a sa source, 6+6 a
Homme, pour te donnerle temps d'examiner, 6+6 a
230 Les mondes, qu'un prodigeéternel fait tourner, 6+6 a
S'arrêtent un momentet reprennent haleine ? 6+6 a
Parle.
L'esprit baissases ailes de phalène, 6+6 a
Et se tut. L'air tremblaitsous mes pieds hasardeux. 6+6 a
Et l'âpre obscuritéqui nous voyait tous deux 6+6 a
235 Et s'étoilait au loinde vagues auréoles, 6+6 a
Put entendre ce sombreéchange de paroles. 6+6 a
Entre l'esprit étrangeet moi, l'homme ébloui : 6+6 a
— Non, rien de tout celaQue, demandes-tu ? — LUI. 6+6 a
Tout sembla devant moise fermer ; et l'espèce 6+6 a
240 De clarté qui tremblaitdans la nuée épaisse 6+6 a
Sombra dans l'air plus noirqu'un ciel cimmérien. 6+6 a
J'entendis un éclatde rire, et ne vis rien. 6+6 a
Hélas ! n'étant qu'un homme,une chair misérable, 6+6 a
Dans cette obscuritéfauve, âpre, inexorable, 6+6 a
245 Dans ces brumes sans jour ;sans bords ; sous ce linceul, 6+6 a
Je songeai qu'il étaithorrible d'être seul. 6+6 a
Puis mon esprit revintà son but : — voir, conntre, 6+6 a
Savoir ; — pendant que l'ombreinforme, louche, trtre, 6+6 a
Roulant dans ses échosl'affreux rire moqueur, 6+6 a
250 Grandissait dans l'espaceainsi que dans mon cœur. 6+6 a
Et je criai, ployantmes ailes déjà lasses 6+6 a
— Dites-moi seulementson nom, tristes espaces, 6+6 a
Pour que je le répèteà jamais dans la nuit ! — 6+6 a
Et je n'entendis rienque la bise qui fuit. 6+6 a
255 Alors il me semblaqu'en un sombre mirage, 6+6 a
Comme des tourbillonsque chasse un vent d'orage, 6+6 a
Je voyais devant moipêle-mêle passer 6+6 a
Et crtre et frissonneret fuir et s'effacer 6+6 a
Ces cryptes du vertigeet ces villes du rêve, 6+6 a
260 Rome sur ses frontonschangeant en croix son glaive, 6+6 a
Thèbes, Jérusalem,Mecque, Médine, Hébron. 6+6 a
Des figures tenantà la main un clairon, 6+6 a
Et des arbres, hagards,des cavernes, des baumes 6+6 a
priaient, barbe au vent,de lugubres Jérômes, 6+6 a
265 Et, parmi des Babels,des tours, des temples grecs, 6+6 a
D'horribles fronts d'écueilsaux cheveux de varechs 6+6 a
Et tout cela, Ninive,Éphèse, Delphe, Abdère, 6+6 a
Tombeau de saint Grégoire veille un lampadaire, 6+6 a
Marches de Bénarès,pagodes de Ceylan, 6+6 a
270 Monts d' l'aigle de merle soir prend son élan, 6+6 a
Minarets, parthénons,wigwams, temple d'Aglaure 6+6 a
l'on voit l'aube, fleurvertigineuse, éclore, 6+6 a
Et grotte de Calvin,et chambre de Luther, 6+6 a
Passages d'anges bleusdans le liquide éther, 6+6 a
275 Trépieds flamboyaient,des âmes, yeux de braise 6+6 a
De la chienne Scyllasur la mer calabraise, 6+6 a
Dodone, Horeb, rocherseffarés, bois troublants, 6+6 a
Couvent d'Eschmiadzinaux quatre clochers blancs, 6+6 a
Noir cromlech de Bretagne,affreux cruach d'Irlande, 6+6 a
280 Pœstum les rosierssuspendent leur guirlande, 6+6 a
Temples des fils de Cham,temples des fils de Seth, 6+6 a
Tout lentement flottaitet s'évanouissait 6+6 a
Dans une sorte d'âpreet vague perspective ; 6+6 a
Et ce n'était ; devantma prunelle attentive, 6+6 a
285 Que de la visionqui ne fait pas de bruit, 6+6 a
Et de la forme obscureéparse dans la nuit. 6+6 a
Et, pâle, en moi, tout bas,je fis cet appel sombre, 6+6 a
Sans oser éleverla voix, de peur de l'ombre : 6+6 a
Êtres ! lieux ! choses ! nuit !nuit froide qui te tais ! 6+6 a
290 Cèdres de Salomon,chênes de Teutatès ; 6+6 a
Ô plongeurs de nuée,ô rapporteurs de tables ; 6+6 a
Devins, mages, voyants,hommes épouvantables ; 6+6 a
Thébaïdes, forêts,solitudes ; Ombos 6+6 a
les docteurs, vivantdans des creux de tombeaux, 6+6 a
295 S'emplissent d'inconnucomme d'eau les éponges ; 6+6 a
Ô croisements obscursdes gouffres et des songes, 6+6 a
Sommeil, blanc soupiraildes apparitions ; 6+6 a
Germes, avatars, nuitdes transformations 6+6 a
l'archange s'envole, le monstre se vautre ; 6+6 a
300 Mort, noir pont naturelentre une étoile et l'autre, 6+6 a
Communicationentre l'homme et le ciel ; 6+6 a
Colosse de Minerveaptère, aux pieds duquel 6+6 a
Le vent respectueuxfait tomber ceux qui passent' ; 6+6 a
Flots revenant toujoursque les rocs toujours chassent ; 6+6 a
305 Chauve Apollonius,vieux rêveur sidéral ; 6+6 a
Ô scribes, qui, du boutdu bâton augural 6+6 a
Tracez de l'alphabetles ténébreux jambages ; 6+6 a
Époptes grecs fakirs,voghis, bonzes, eubages, 6+6 a
Ô tours d' se jetaientles circumcellions ; 6+6 a
310 Sanctuaires ; trépieds,autels, fosse aux lions ; 6+6 a
Vous qui voyez suerles fronts pâles des sages, 6+6 a
Cimetières, repos,asiles, noirs passages 6+6 a
viennent s'essuyerles penseurs, ces vaincus ; 6+6 a
Monstrueux caveau peintdu roi Psamméticus ; 6+6 a
315 François d'Assises, Scot,Bruno, sainte Rhipsime 6+6 a
Ô marcheurs attirésaux clartés de la cime ; 6+6 a
Sept sages qui parlezdans l'ombre à Cyrselus ; 6+6 a
Du rêve et du-désertredoutables reclus' 6+6 a
Qui chuchotez avecles bouches invisibles ; 6+6 a
320 Fronts courbés sous les cieuxd'ou descendent les bibles ; 6+6 a
Spectres ; effarementsde lampe et de flambeau ; 6+6 a
Toi — qui vois Chanaan ;montagne de Nébo ; 6+6 a
Moines du mont Athos,chantant de sombres proses' ; 6+6 a
Libellules d'Asieerrant dans les jamroses ; 6+6 a
325 Isthme de Suez fermantl'Inde comme un verrou ; 6+6 a
Ô vtes d'Ellora,croupes du mont Mérou 6+6 a
D' s'échappe le Gangeaux grandes eaux sacrées ; 6+6 a
Ombre, qui n'as pas l'airde savoir que tu crées ; 6+6 a
Ô vous qui criez : deuil !vous qui criez : espoir ! 6+6 a
330 Spherus qui, toujours seuldans l'antre toujours noir, 6+6 a
Cherches Dieu — par les milleouvertures funèbres, 6+6 a
Blanches, tristes, que fontà l'âme les ténèbres ; 6+6 a
Prêtres qu'en votre nuitsuit le doute importun ; 6+6 a
Vous, psalmistes, David,Éthan, grave Idithun ; 6+6 a
335 Jean, interlocuteurde l'oiseau chéroubime ; 6+6 a
Et vous, poëtes ; Dante,homme effrayant d'abîme, 6+6 a
Grand front tragique ombréde feuilles de laurier, 6+6 a
Qui t'en reviens, laissantl'obscurité crier, 6+6 a
Rapportant sous tes cilsla lueur des avernes ; 6+6 a
340 Dompteurs qui sans pâlirallez dans les cavernes 6+6 a
Chercher le hurlementjusque dans son chenil ; 6+6 a
Pilotes nubiensqui remontez le Nil ; 6+6 a
Ô prodigieux cerfaux rameaux noirs qui brames 6+6 a
Dans la forêt des djinns,des pandits et des brames ; 6+6 a
345 Hommes enterrés vifs,songeant dans vos cercueils ; 6+6 a
Ô pâtres accoudés ;ô bruyères ; écueils 6+6 a
rêve au crépusculeune forme sinistre ; 6+6 a
Pythie assise au frontdu hideux cap Canistre ; 6+6 a
Angles mystérieux les songeurs entrés 6+6 a
350 Distinguent vaguementdes satrapes mitrés ; 6+6 a
Vous que la lune enivreet trouble, sélénites ; 6+6 a
Vous, bénitiers sanglantsdes seules eaux bénites, 6+6 a
Yeux en pleurs des martyrs ;vous, savants indécis ; 6+6 a
Merlin, sous l'escarboucleinexprimable assis ; 6+6 a
355 Toi, Job, qui te plains ; toi,Basile, qui médites ; 6+6 a
Est-ce qu'on ne peut pasvoir un peu de jour, dites ? 6+6 a
Et, sombre, j'attendis ;puis je continuai : 6+6 a
— Quoi ! l'homme tomberait,hagard, exténué, 6+6 a
Comme le moucheronqui bat la vitre blême ! 6+6 a
360 Quoi ! tout aboutiraita du néant suprême ! 6+6 a
Tout l'effort des chercheursfrémissants se perdrait ! 6+6 a
L'homme habiterait l'ombreet serait au secret ! 6+6 a
Marcher serait errer !l'aile serait punie ! 6+6 a
L'aurore, ô cieux profonds,serait une ironie ! 6+6 a
365 Alors, tout haut ; levantla voix, levant les bras, 6+6 a
Éperdu, je criai :— Cela ne se peut pas ! 6+6 a
Grand inconnu ! méchantou bon ! grand invisible ! 6+6 a
Je te le dis en face,Être ! c'est impossible ! 6+6 a
On éclata de rireune seconde fois. 6+6 a
370 Et ce rire était plusun rictus qu'une voix ; 6+6 a
Il remua longtempsl'ombre visionnaire, 6+6 a
Et, s'évanouissant,roula comme un tonnerre 6+6 a
Dans ce prodigieuxsilence leant 6+6 a
Semblait vivre, insondable,immobile et béant. 6+6 a
375 Ô méditations !oh ! comme l'esprit souffre 6+6 a
Sous les porches hagardset difformes du gouffre ! 6+6 a
Comme le souffle noirdu vide vous poursuit, 6+6 a
Sinistre, en vous jetantdu trouble et de la nuit ! 6+6 a
Comme on sent que le rêveest un être qui vole 6+6 a
380 Et passe… — On m'adressaitdans l'ombre la parole ; 6+6 a
Et de funèbres voixque sur mon front j'avais 6+6 a
Comme les endormisen ont à leurs chevets, 6+6 a
Chuchotaient au-dessusde moi des choses sombres. 6+6 a
Je sentais la terreurmuette des décombres 6+6 a
385 Et je me demandais :— Qui donc murmure ainsi ? 6+6 a
C'était, dans le ciel morneet de brume épaissi, 6+6 a
Comme un nuage obscurde bouches sur ma tête ; 6+6 a
Des faces me parlaientdans un vent de tempête ; 6+6 a
Puis ces voix s'éteignaientcomme le vague son 6+6 a
390 Qui n'est plus la paroleet devient le frisson. 6+6 a
Noirs discours ! l'ironiey grinçait dans le râle ; 6+6 a
Des plaintes, sanglotantdans l'ombre sépulcrale 6+6 a
Comme entre les roseauxgémit le gavial, 6+6 a
S'achevaient en sarcasmeamer et trivial ; 6+6 a
395 Je croyais par momentsqu'en ces vagues royaumes 6+6 a
J'assistais au concileeffrayant des fantômes 6+6 a
Que nous nommons raison,logique, utilité, 6+6 a
Certitude, calcul,sagesse, vérité ; 6+6 a
Il me semblait, parmile grand murmure austère 6+6 a
400 De l'horreur, de la nuit,du tombeau, du mystère, 6+6 a
Entendre Aristophane ;et voir, après les pleurs, 6+6 a
Toutes sortes d'éclairscyniques et railleurs, 6+6 a
Moqueurs, étincelants,percer l'ombre ennemie, 6+6 a
Et Rabelais passerà travers Jérémie ; 6+6 a
405 J'écoutais frémissantet par moments vaincu. 6+6 a
Était-ce des espritsd'hommes ayant vécu ? 6+6 a
Était-ce les conseilsqui flottent dans les nues 6+6 a
Pour quiconque s'égareaux routes inconnues ? 6+6 a
Mon front sous l'infiniployait lugubrement. 6+6 a
410 L'espace affreux, éther,ténèbres, firmament, 6+6 a
Espèce de taillissans branches étoilées, 6+6 a
les brouillards fuyaienten confuses mêlées, 6+6 a
Semblait d'une forêtle redoutable dais. 6+6 a
Qu'était-ce que ces voix ?je ne sais. J'entendais. 6+6 a
415 Et ma raison tremblaiten moi, diminuée, 6+6 a
Dans des tressaillementsd'orage et de nuée. 6+6 a
........................................................................
Cependant par degrésl'ombre devint visible ; 6+6
Et l'être qui m'avaitparlé précédemment 6+6 a
420 Reparut, mais grandijusqu'à l'effarement ; 6+6 a
Il remplissait du hauten bas le sombre dôme 6+6 a
Comme si l'infinidilatait ce fantôme ; 6+6 a
De sorte que l'espriteffrayant n'offrait plus 6+6 a
Que des faces roulantpar flux et par reflux, 6+6 a
425 Un sourd fourmillementd'hydres, d'hommes, de bêtes, 6+6 a
Et que le fond du cielme semblait plein de têtes. 6+6 a
Ces têtes par momentssemblaient se quereller. 6+6 a
Je voyais tous ces yeuxdans l'ombre étinceler. 6+6 a
Le monstre grandissaiten silence, sans cesse. 6+6 a
430 Et je ne savais plusce que c'était. Était-ce 6+6 a
Une montagne, une hydre,un gouffre, une cité, 6+6 a
Un nuage, un amasd'ombre, l'immensité ? 6+6 a
Je sentais tous ces yeuxsur moi fixés ensemble. 6+6 a
Tout à coup, frissonnantcomme un arbre qui tremble, 6+6 a
435 Le fantôme géantse répandit en voix, 6+6 a
Qui sous ses flancs confusmurmuraient à la fois ; 6+6 a
Et, comme d'un brasiertombent des étincelles, 6+6 a
Comme on voit des oiseauxépars, pigeons, sarcelles, 6+6 a
D'un grand essaim passants'écarter quelquefois, 6+6 a
440 Comme un vert tourbillonde feuilles sort d'un bois, 6+6 a
Comme, dans les hauteurspar les vents remuées, 6+6 a
En avant d'un orageil vole des nuées, 6+6 a
Toutes ces voix, mêlantle cri, l'appel, le chant, 6+6 a
De l'immense être informeet noir se détachant, 6+6 a
445 Me montrant vaguementdes masques et des bouches, 6+6 a
Vinrent sur moi bruireavec des bruits farouches, 6+6 a
Parfois en même tempset souvent tour à tour, 6+6 a
Comme des monts, à l'heure se lève le jour, 6+6 a
L'un après l'autre, au fondde l'horizon s'éclairent 6+6 a
450 Et des formes, sortantdu monstre, me parlèrent : 6+6 a
[I]
UNE VOIX
Les rudes bûcheronssont venus dans le bois. 6+6 a
— Si tu ne vois pas nieet doute si tu vois, 6+6 a
A dit Cratès. — Zénon,Gorgias, Pythagore, 6+6 a
Plaute et Sénèque ont dit :— Si tu vois, nie encore. 6+6 a
455 Bacon a dit : — Voicil'objet, l'être, le corps, 6+6 a
Le fait. N'en sortez pas ;car tout tremble dehors. 6+6 a
— Quel est ce monde ? a ditThalès. Apollodore 6+6 a
A dit : C'est de la nuitque de la cendre adore. 6+6 a
Et Démonax de Chypre,Épicharme de Cos, 6+6 a
460 Pyrrhon, le grand errantdes monts et des échos, 6+6 a
Ont répondu : — Tout estfantôme. Pas de type. 6+6 a
Tout est larve. — Et fumée,a repris Aristippe. 6+6 a
— Rêve ! a dit Sergius,le fatal syrien. 6+6 a
— Rencontre de l'atomeet de l'atome, et rien. — 6+6 a
465 Ces mots noirs ont étéjetés par Démocrite. 6+6 a
Ésope a dit : — À bas,monde ! masque hypocrite ! 6+6 a
Épicure qui ntau mois Gamélion, 6+6 a
Et Job qui parle au ver,Dan qui parle au lion, 6+6 a
Amos et Jean troubléspar les apocalypses, 6+6 a
470 Ont dit : — On ne le voitqu'à travers les éclipses. 6+6 a
— L'être est le premier texteet l'homme est le second. 6+6 a
Lisible dans la fleuret dans l'arbre fécond, 6+6 a
Et dans le calme étherdes cieux que rien n'irrite, 6+6 a
La nature est dans l'hommeobscure et mal transcrite. 6+6 a
475 Voilà ce qu'Alchindél'arabe a proclamé. 6+6 a
Cardan a dit : — Hélas !c'est fermé, c'est fermé ! 6+6 a
Alcidamas a dit :— Miracle, autel, croyance, 6+6 a
Dogme, religion,fondent sous la science 6+6 a
Dieu sous l'esprit humain,tas de neige au dégel. 6+6 a
480 Et Gœthe au vaste front,Montaigne, Fichte, Hégel, 6+6 a
Se sont penchés pendantque le grand rieur mtre, 6+6 a
Rabelais, chuchotaitsur l'abîme Peut-être. 6+6 a
Diogène a crié :— Des flambeaux ! des flambeaux ! 6+6 a
Shakspeare a murmuré,courbé sur les tombeaux : 6+6 a
485 — Fossoyeur, combien Dieupèse-t-il dans ta pelle ? 6+6 a
Et Jean-Paul a repris :— Ce qu'ainsi l'homme appelle, 6+6 a
C'est la vague lueurqui tremble sur le sort ; 6+6 a
C'est la phosphorescenceimpalpable qui sort 6+6 a
De l'incommensurableet lugubre matière ; 6+6 a
490 Dieu, c'est le feu folletdu monde cimetière. 6+6 a
Dante a levé les brasen s'écriant : Pourquoi ? 6+6 a
O nuit, j'attends que touts'affirme et dise : moi. 6+6 a
Quel est le sens des mots :foi, conscience humaine, 6+6 a
Raison, devoir ? a ditle pâle Anaximène. 6+6 a
495 Locke a dit : — On voit malavec ces appareils. 6+6 a
Reuchlin a demandé :— Qu'est-ce que les soleils ? 6+6 a
Sont-ce des pilorisou des apothéoses ? 6+6 a
Lucrèce a dit : — Quelle estla nature des choses ? 6+6 a
Il a dit : Tout est sourd,faux, muet, décevant. 6+6 a
500 Sous cette immense mortquelqu'un est-il vivant ? 6+6 a
Sent-on une âme au fondde la substance, et l'être 6+6 a
N'est-il pas tout entierdans ce mot : appartre ? 6+6 a
L'ombre engendre la nuit.De quoi l'homme est-il sûr ? 6+6 a
Et le ciel, le hasard,l'obscurité, l'azur, 6+6 a
505 Le mystère, et la vie,et la tombe indignée 6+6 a
Retentissent encorde ces coups de cognée. 6+6 a
Oui, les douteurs ; les fiersincrédules, les forts, 6+6 a
Ont appelé Quelqu'un,quoique restés dehors ; 6+6 a
Ils ont bravé l'odeurque le sépulcre exhale ; 6+6 a
510 Le front haut, ils disaientà l'ombre colossale : 6+6 a
Ose donc nous montrerton Dieu, que nous voyions 6+6 a
Ce qu'il a de carreaux,ce qu'il a de rayons, 6+6 a
Gouffre horrible, et si c'estavec de la colère 6+6 a
Ou du pardon divinque son visage éclaire ! 6+6 a
515 Et, prêts à tout subir,sans peur, prêts à tout voir, 6+6 a
Calmes, ils regardaienten face le ciel noir, 6+6 a
Et le sourd firmamentque l'obscurité voile, 6+6 a
Farouches, attendantquelque chute d'étoile ! 6+6 a
Certes, ces curieux,ces hardis ignorants, 6+6 a
520 Ces lutteurs, ces esprits,ces hommes étaient grands, 6+6 a
Et c'étaient des penseursà l'âme fiers et fière 6+6 a
Qui jetaient à la nuitce défi de lumière. 6+6 a
Chercheur, trouveras-tuce qu'ils n'ont pas trouvé ? 6+6 a
Songeur, rêveras-tuplus loin qu'ils n'ont rêvé ? 6+6 a
[II]
UNE AUTRE VOIX
525 Ne nous demande pas,ô songeur, qui nous sommes. 6+6 a
S'ils nous entrevoyaient,nous ferions peur aux hommes. 6+6 a
Soit en bien, soit en mal,nous avons conseillé 6+6 a
Quiconque a médité,cherché, pensé, veillé,- 6+6 a
Tous les grands insensés,tous les sages célèbres : 6+6 a
530 Nous volons d'arbre en arbreaux forêts de ténèbres ; 6+6 a
Tout ce que l'homme appelleÉnigme, Doute, Mort, 6+6 a
Brume, Silence, Effroi,Hasard, Mystère, Sort, 6+6 a
Est pour nous, sous l'horreurdes vtes éternelles, 6+6 a
Comme un taillis obscurpar passent nos ailes ; 6+6 a
535 Nous sommes les flottantsde l'immense azur noir ; 6+6 a
Si quelque mage osaitessayer de nous voir, 6+6 a
De saisir un de nous,de compter notre nombre, 6+6 a
Nous nous dissiperionscomme des oiseaux d'ombre. 6+6 a
C'est nous que vous nommezdémons ; homme, tu sens 6+6 a
540 Sous des souffles confustes cheveux frémissants, 6+6 a
C'est nous. Nous versons l'ombreaux jours que tu consommes ; 6+6 a
Nous jetons des lueursdans ton sommeil. Nous sommes 6+6 a
Pris dans l'obscuritécomme vous dans la chair. 6+6 a
Nous, sommes les passantssinistres de l'éclair, 6+6 a
545 Les méduses du rêveaux robes dénouées, 6+6 a
Les visages d'abîmeépars dans les nuées. 6+6 a
Tout ce que vous voyez,nous ne le voyons pas. 6+6 a
Nous ne distinguons pointvotre terre, vos pas, 6+6 a
Vos faces, d'un soleilinvisible inondées, 6+6 a
550 Mais dans votre cerveaunous voyons vos idées ; 6+6 a
Votre pensée est nueà nos regards moqueurs ; 6+6 a
Nous voyons le dedansvertigineux des cœurs. 6+6 a
L'haleine de la nuitnous chasse et nous oublie, 6+6 a
Et fait flotter le filmystérieux qui lie 6+6 a
555 Vos sciences, vos plans,vos travaux, vos desseins, 6+6 a
Vos efforts, vos projets,vos vœux, à nos essaims. 6+6 a
Nous mêlons notre nuitavec votre ignorance ; 6+6 a
Vous appelez celasavoir. La transparence 6+6 a
De l'Être parfois laisseapercevoir nos fronts. 6+6 a
560 Parfois jusqu'à vos cœurs,la nuit, nous pénétrons, 6+6 a
En rêve, et vous sentezcomme une vague étreinte. 6+6 a
Sans cesse des courantsd'espérance ou de crainte, 6+6 a
Des flux et des refluxde sentiments divers 6+6 a
Vont, dans les profondeursde l'espace, à travers 6+6 a
565 Le vide, l'aquilon,le tombeau, le décombre, 6+6 a
De vous le peuple aveugleà nous le peuple sombre. 6+6 a
L'Inconnu nous tient tousdans ses mornes filets. 6+6 a
Nous sommes vos échos,vous êtes nos reflets ; 6+6 a
Car tout est l'unité.Forme joyeuse ou triste, 6+6 a
570 Tout se confond dans Tout,et rien à part n'existe, 6+6 a
O vivant ! Et sais-tuce que dit l'abîme ? UN. 6+6 a
Sans que vous le sachiez,nous pensons en commun ; 6+6 a
Nous tremblons au-dessusde vous, livide armée ; 6+6 a
Et de votre feu noirnous sommes la fumée. 6+6 a
575 Nos formes de la nuitsont le lugubre jeu 6+6 a
Nous allons, nous flottons.Et toi, tu cherches Dieu ? 6+6 a
Hélas !
[III]
UNE AUTRE VOIX
Qui que tu sois, redoute,au gouffre tu te plonges, 6+6 a
Le vague coudoiementdes vains passants des songes. 6+6 a
580 Fuyez d'ici, vivants,dont l'esprit, fléchissant 6+6 a
Sous l'incompréhensibleet sous l'éblouissant, 6+6 a
Peut à peine porterle poids d'un évangile. 6+6 a
Ce n'est pas sans dangerque des hommes d'argile, 6+6 a
Tremblants quand ils sont las,glacés quand ils sont nus, 6+6 a
585 Dialoguent dans l'ombreavec des inconnus. 6+6 a
À force de songer,ô pâle solitaire, 6+6 a
Tu sentiras de l'airsous toi ; tu perdras terre… — 6+6 a
Oh ! les souffles ! craignezles souffles de la nuit ! 6+6 a
vous emportent-ils ?Ceux qu'un rêve conduit 6+6 a
590 Deviennent rêve eux-même,et, sans être coupables, 6+6 a
Tombent dans l'essaim noirdes faces impalpables. 6+6 a
C'est alors qu'éperdu,terrible, tu tendras 6+6 a
Les mains comme les mortssous leurs lugubres draps. 6+6 a
Mais à quoi bon ? Tout fuit.Un vent qui vous pénètre 6+6 a
595 Vous roule dans l'espaceà jamais… — O deuil ! être 6+6 a
Des espèces d'espritsmisérables chassés ! 6+6 a
Oh ! n'entendre jamaisce mot céleste : assez ! 6+6 a
Un souffle vous apporte,un souffle vous remmène.. 6+6 a
On a, sur ce qu'on gardeencor de forme humaine, 6+6 a
600 D'obscurs attouchementset des passages froids ; 6+6 a
Toute l'ombre n'est plusqu'une suite d'effrois ; 6+6 a
On sent les longs frissonsdes roseaux de l'abîme. 6+6 a
Jamais le jour. — Jamaisun rayon qui ranime. 6+6 a
Errer ! errer ! errer !errer ! faire des nœuds 6+6 a
605 D'ombre, dans l'invisibleet le vertigineux ! 6+6 a
Monter, tomber, monter,retomber ! sort terrible ! 6+6 a
Être à jamais l'informeégaré dans l'horrible, 6+6 a
Le contraire du jour,de l'hymne et de l'encens ! 6+6 a
Des témoins de l'énigme,à jamais frémissants 6+6 a
610 Devant le ténébreux,devant l'inabordable, 6+6 a
Et face à face avecun voile formidable ! 6+6 a
Être, en dehors de l'être,en dehors du trépas, 6+6 a
Quelque chose d'affreuxqui souffre et ne vit pas ! 6+6 a
Être de la clameurdans l'infini semée, 6+6 a
615 Un vague tourbillonpleurant, une fumée 6+6 a
De larves, de regards,de masques, de rumeurs, 6+6 a
De voix ne pouvant pasmême dire : je meurs, 6+6 a
Passant toujours, toujours,toujours, comme un flot sombre, 6+6 a
Sous les arches sans findu hideux pont de l'ombre ! 6+6 a
[IV]
UNE AUTRE VOIX
620 Malheur au curieuxlugubre, — qui s'acharne 6+6 a
A la vertigineuseet sinistre lucarne ! 6+6 a
Malheur aux imprudentspenchés, sur l'absolu ! 6+6 a
Pour avoir trop sondé,pour avoir trop voulu, 6+6 a
Pour s'être trop plongésdans l'abstraction triste 6+6 a
625 rien de saisissableet d'humain ne persiste, 6+6 a
C'est fini ; les voilàsur les fatals sommets, 6+6 a
Égarés en dehorsde l'homme désormais, 6+6 a
Sortis du bien, du mal,de l'orgueil, de l'envie, 6+6 a
De l'amour, de la haine,et plus grands que la vie ! 6+6 a
630 Leur esprit, emportéloin de vous, ô viyants, 6+6 a
Prend, dans la visiondes gouffres décevants, 6+6 a
Dans on ne sait quoi d'âpreet d'horrible et d'immense, 6+6 a
Cette divinitéque vous nommez démence. 6+6 a
Ils ne sont plus jamaiséveillés ni dormants. 6+6 a
635 Terrestre et claire encordans ses commencements, 6+6 a
Leur pensée, obscurcieen grandissant, achève 6+6 a
D'ouvrir ses vagues yeuxdans le monde du rêve. 6+6 a
Oh ! monde redoutable !oh ! ce que nous voyons ! 6+6 a
Des échelles d'espritsdans de pâles rayons ; 6+6 a
640 Les flamboiements, les feux,les cratères, les soufres, 6+6 a
Les éclairs, gouvernéspar les anges des gouffres ; 6+6 a
Des sons de voix qu'on adans la joie entendus ; 6+6 a
D'affreux escarpementsdans des mondes perdus ; 6+6 a
Des astres, dans des mainsportés comme des lampes ; 6+6 a
645 Et là-bas, dans la nueaux tortueuses rampes, 6+6 a
Errent ceux qui vivaientet ne sont plus ; ils vont, 6+6 a
Tous ces crânes à l'œilmonstrueux et profond, 6+6 a
Tous ces squelettes blancsvenus des ossuaires ; 6+6 a
Ils vont, tous ces linceuls,tous ces hideux suaires, 6+6 a
650 Tous ces draps frissonnants,foule effrayante à voir, 6+6 a
Et, chassant devant lui,dans l'affreux chemin noir, 6+6 a
Leur conscience nueet leur âme sans voiles, 6+6 a
L'ange fouette les mortsavec son fouet d'étoiles. 6+6 a
Et l'on voit des lueurs,on entend des appels ; 6+6 a
655 Les constellations,flamboyants archipels, 6+6 a
Brillent au zénith sombre,et le chaos conspue 6+6 a
Le ciel avec son eausinistre et corrompue. 6+6 a
Et les désespéréspassent. Qui donc sont-ils ? 6+6 a
Sont-ce des esprits morts ?Sont-ce des corps subtils ? 6+6 a
660 Ils tombent on ne saitde quelle obscure cime, 6+6 a
Tantôt plus noirs, tantôtmoins sombres que l'abîme ; 6+6 a
Leur chute flotte au gréde l'air qui les poursuit ; 6+6 a
Ils seraient les flocons,s'il neigeait de la nuit. 6+6 a
Qu'est-ce que ce nuageinconcevable d'êtres, 6+6 a
665 Phalènes se heurtantà de vagues fenêtres ? 6+6 a
Les uns n'ont qu'un regardet sont comme les yeux 6+6 a
De l'infini glacé,sourd et silencieux ; 6+6 a
D'autres vont droits et blancsdans la profondeur blême ; 6+6 a
D'autres, plus effrayantsque les ténèbres même, 6+6 a
670 Luttent contre la nuitdans les horreurs du vent, 6+6 a
Poussant des cris, mordantl'ombre, n'apercevant 6+6 a
Que la lividitédes mornes étendues, 6+6 a
Ne distinguant qu'un flotde formes éperdues, 6+6 a
Et que ce qu'on peut voirde nuée et de cieux. 6+6 a
675 Dans des renversementsde torses furieux. 6+6 a
Et ces larves s'en vont.Est-on sûr qu'elles soient ? 6+6 a
Et les contemplateurssont là. Tristes, ils voient. 6+6 a
Quoi ? l'inconnu, murédans sa muette loi. 6+6 a
Et qui dira jamaisce qu'expriment d'effroi 6+6 a
680 Ces profils ténébreux,ces postures fatales, 6+6 a
Ces yeux hagards noyésdans des aurores pâles ? 6+6 a
Ils pensent, échouésdans l'immobilité ; 6+6 a
La terreur sans espoirfait leur tranquillité ; 6+6 a
Leur épaule fléchitcomme s'ils portaient toute 6+6 a
685 La charpente du mondeavec toute la vte ; 6+6 a
Et, comme en un caveau,goutte à goutte, la nuit 6+6 a
Filtre sous leur front blême leur œil fixe luit. 6+6 a
Ils ont pour visionéternelle la Chose 6+6 a
Sans nom, sans jour, sans bruit,sans bord, sans fin, sans cause, 6+6 a
690 Jamais ne s'arrêtant,jamais ne s'achevant, 6+6 a
Terrible, avec des volsde spectres dans le vent. 6+6 a
Que viens-tu demanderà ce monde nocturne ? 6+6 a
Un Dieu !Pourquoi viens-tuplonger ta main dans l'Urne ? 6+6 a
Job en tire Satanet Mahomet Iblis. 6+6 a
695 Les gouffres ont-ils Dieudans leurs profonds oublis ? 6+6 a
Ce Dieu sert-il de centreà leurs circonférences ? 6+6 a
Le voit-on à traversleurs sombres transparences ? 6+6 a
Ou bien est-ce ce Tout,cette âpre immensité, 6+6 a
Ce ciel, que vous prenezpour une volonté ? 6+6 a
700 Sont-ce ces profondeurs,ces vents, ces fondrières, 6+6 a
Ces forêts de nuéeaux livides clairières, 6+6 a
Ces éléments, ces nuits,ces mornes régions, 6+6 a
Que vous appelez Dieudans vos religions ? 6+6 a
Avez-vous pour mirage,ô fils du cimetière, 6+6 a
705 De voir la chose-Dieusous la chose Matière ? 6+6 a
Est-ce Dieu qui part,quand s'enfuit l'alcyon ; 6+6 a
Quand l'hydre de l'écumeentre en convulsion ; 6+6 a
Quand partout on entenddans la sombre nature 6+6 a
Comme un bruit d'ouraganbrisant une mâture, 6+6 a
710 Quand le ciel lamentableéclate en tristes voix ; 6+6 a
Quand le nuage accourt ;quand les bêtes des bois 6+6 a
Tremblent ; quand les lions,hagards, baissent-la tête 6+6 a
Sous des écrasementsd'éclairs et de tempête ? 6+6 a
Est-ce lui que la merappelle en sa clameur ? 6+6 a
715 Homme, est-il quelque partun effrayant semeur 6+6 a
Qui jette dans l'azurdes chiffres et des nombres, 6+6 a
De la graine d'abîmeéclose en larves sombres, 6+6 a
Des vivants comme nousqui te semblent des morts, 6+6 a
Des esprits comme toiqui nous semblent des corps, 6+6 a
720 Et qui voit, dans le champdes espaces sonores, 6+6 a
Ondoyer des épisd'étoiles et d'aurores ? 6+6 a
Qui peut répondre oui ?qui peut répondre non ? 6+6 a
Un geôlier rôde-t-ilautour du cabanon ? 6+6 a
Qu'importe ! Vis. Tais-toi.Va-t'en. Aime ton père, 6+6 a
725 Ta mère et tes enfants.Qui cherche désespère. 6+6 a
[V]
UNE AUTRE VOIX
Ah ! c'est l'obscurité,c'est la source profonde 6+6 a
Que ton œil veut scruter,que veut fouiller ta sonde, 6+6 a
O songeur dont la nuithérisse les cheveux ! 6+6 a
Ah ! c'est l'énigme Dieuqui t'occupe ! Tu veux 6+6 a
730 Aller au fond ! tu veuxvoir clair dans la nuée ! 6+6 a
Vider l'ombre ! Il te faut,pauvre âme exténuée, 6+6 a
Cette science-là— Voyons : tente ; entreprends ; 6+6 a
Avec les papyrus,les missels, les korans, 6+6 a
Les bibles que les sphynxportaient sur leurs poitrines, 6+6 a
735 Rebâtis la charpenteinforme des doctrines ; 6+6 a
Des croyances de l'hommeécrasé sous le faix, 6+6 a
Echafaude l'amasmonstrueux, et refais 6+6 a
Un édifice avecces poutres mal unies 6+6 a
Qu'on nomme vérités,dogmes, théogonies ; 6+6 a
740 Restaure, démolis,fonde. Fais des essais. 6+6 a
Remets le vieux bahutdebout sur ses vieux ais ; 6+6 a
Crois comme Jean Climaqueet Jean Catéchumène ; 6+6 a
Ou taille un meuble neufdans la science humaine 6+6 a
Pour y mettre sous clefl'ombre et l'éternité. 6+6 a
745 Questionne l'auteld'Isis ou d'Astarté, 6+6 a
Ou les temples payens,peu salués des sages, 6+6 a
Ayant de noirs corbeauxnichés dans leurs bossages, 6+6 a
Ou le blême Irmensuldebout dans le menhir ; 6+6 a
Creuse dans le passé,creuse dans l'avenir ; 6+6 a
750 Regarde fixementle Temps noir qui feuillette 6+6 a
L'homme et la vie avecson pouce de squelette ; 6+6 a
Épèle l'universque le souffle créa, 6+6 a
Texte dont chaque mondeest un alia ; 6+6 a
Chiffre et déchiffre ; éprouve,interprète, proclame ; 6+6 a
755 Confronte ce que l'hommea d'ombre dans son âme 6+6 a
Avec ce que le ciela d'âme dans sa nuit 6+6 a
Relance Olympe ermiteau fond de son réduit ; 6+6 a
Interroge le versur la toile qu'il file ; 6+6 a
Montre et vois ; fais la pâqueainsi que Théophile 6+6 a
760 Le quatorzième jourde la lune de mars ; 6+6 a
Visite Ammon ; tiens têteaux colosses camards 6+6 a
Conteste, affirme ; nie,attends ; dis ton rosaire ; 6+6 a
Sens la terre tremblersous toi comme Césaire ; 6+6 a
Prêche avant d'être prêtreainsi que Bellarmin ; 6+6 a
765 Exprime en ton cerveautout le savoir humain 6+6 a
Fais-toi de tout comprendreune étrange prouesse ; 6+6 a
Vois venir au-devantl'un de l'autre Boèce 6+6 a
Et saint-Denis, chacunsa tête dans sa main ; 6+6 a
De la même façonfais le même chemin ; 6+6 a
770 Hante les profondeursdont Pythagore est pâle ; 6+6 a
Commente nuphre, Adon,Glareanus de Bâle 6+6 a
Sois druide, fakir,bonze, magicien ; 6+6 a
Installe, si tu veux ;sur le modèle ancien, 6+6 a
Au-dessus des brouillardsde l'erreur chimérique, 6+6 a
775 Une sagesse avecentablement dorique ; 6+6 a
Sois le médiateurdes aveugles Volta 6+6 a
Dément Clairaut ; Cyrilleau front du Golgotha 6+6 a
Voit dans l'Ombre une croixhaute de quinze stades 6+6 a
Bossuet de Calvintance les incartades ; 6+6 a
780 L'évêque Archelaüspoursuit l'errant Manès ; 6+6 a
Hildebrand dit : MOI SEUL.Luther dit : HERR OMNES 6+6 a
Ce qu'adore PascalDiderot le diffame ; 6+6 a
Reuchlin dit : — Vos trois rois !conte de bonne femme ! 6+6 a
— D' viennent-ils ? demandeArouet à Calmet ; 6+6 a
785 De l'Inde ou de l'Afrique ?Et Paracelse met 6+6 a
Trois pégases de flammeaux ordres des trois mages ; 6+6 a
Salomon sculpte l'arche ;Huss brise les images ; 6+6 a
Pélage veut la lutte ;Augustin veut la foi ; 6+6 a
Interviens ; crée un-centre,une règle, une loi ; 6+6 a
790 Trouve l'axe commundes doctrines contraires 6+6 a
A force de raisonrends les raisonneurs frères ; 6+6 a
Amalgame Épicureavec Ézéchiel ; 6+6 a
Pour ceux-ci, l'universn'a que l'enfer pour ciel ; 6+6 a
C'est le cachot-du maldont vous êtes les proies ; 6+6 a
795 Pour ceux-là, c'est le lieudes fêtes et des joies 6+6 a
Les uns vivent chantant :tout est plaisir et jeu ! 6+6 a
D'autres lisent le livrea la lueur du feu. 6+6 a
Combine ce zénithet ce nadir des sages. 6+6 a
Fais pour ton œil, penchésur les faits, sur les âges, 6+6 a
800 Une lentille avectout ce que l'homme apprit ; 6+6 a
Cherche ; dis-toi : — Je vaisfaire dans mon esprit 6+6 a
Converger la clartépour la changer en flamme, 6+6 a
Condenser Dieu sur moipour allumer mon âme. 6+6 a
Fouille Alcuin, saint-Thomas,Gorgias Léontin, 6+6 a
805 Le ménologe grec,le rituel latin ; 6+6 a
Va de Thèbe Heptapyleà Thèbe Hécatonpyle ; 6+6 a
Éblouis-toi d'énigmeet d'effroi la pupile ; 6+6 a
Écris et lis ; sois gonddu portail ; sois flambeau, 6+6 a
Sois cardinal avecSadolet et Bembo ; 6+6 a
810 Va-t'en dans le désertmanger des sauterelles 6+6 a
Comme Jean qui de l'ombreécoutait les querelles ; 6+6 a
Fais une enquête ; prendsdes informations 6+6 a
Près des vents, près des flots sont les alcyons ; 6+6 a
Cueille chaque chimereet chaque schisme ; laisse 6+6 a
815 Novatus pour Eustathe,Arius pour Mélèce ; 6+6 a
Va des juifs aux parsis,va des esprits aux corps, 6+6 a
De la ronde des dieuxà la ronde des morts, 6+6 a
De la danse morphasmeà la danse macabre. 6+6 a
Veille ; allume ta lampeau sombre candélabre 6+6 a
820 Que tiennent, près du trône Septentrion luit, 6+6 a
Persée et Sirius,ces nègres de la nuit. 6+6 a
Interpelle le germeet la cendre ; rédige 6+6 a
Un interrogatoireen forme du prodige ; 6+6 a
Écoute pétillerle feu dans l'encensoir ; 6+6 a
825 Écoute le cri sourdde la foudre, et, le soir, 6+6 a
Dans le Campo Santole bruit que fait la pioche ; 6+6 a
Parle à Domnus premier,évêque d'Antioche, 6+6 a
Et sur l'irrémissibleet sur le véniel, 6+6 a
Consulte Cassien,Scaliger, Torniel ; 6+6 a
830 Sois le voyant ! pareilaux tremblants aruspices, 6+6 a
Va regarder la nuitl'horreur des précipices ; 6+6 a
Au fond de tout abîmeaie un sinistre aimant ; 6+6 a
Observe, spectateurdes deux gouffres, comment 6+6 a
L'homme entre dans la mortet l'astre dans l'éclipse ; 6+6 a
835 Donne aux vierges ta plumeainsi que Juste Lipse ; 6+6 a
Attends dans l'infini,leur morne promenoir, 6+6 a
Zénon, le sage fou,Gerbert, le pape noir ; 6+6 a
Prie, évoque, bénis,sacre, exorcise, adjure ; 6+6 a
Accoude-toi sur l'êtreobscur ; fais la gageure 6+6 a
840 De l'énigme, du sphinx,du gouffre, de demain, 6+6 a
D'hier, de l'avenir !jauge, la toise en main, 6+6 a
Le ciel par kilomètreou bien par centiare ; 6+6 a
Drape-toi d'un suaireou coiffe une tiare ; 6+6 a
Tâte dans le cercueill'affreux nœud gordien ; 6+6 a
845 Prends-toi pour unité ;fais-toi méridien ; 6+6 a
Ajoute ta raison,ton but ; ta conjecture 6+6 a
Et ta pensée ainsiqu'un fte à la nature ; 6+6 a
Mets sur cette Chéopsle pyramidion ; 6+6 a
Sois un convertisseurcomme Spiridion ; 6+6 a
850 Sois un avertisseurcomme le coq sonore ; 6+6 a
Monte sur le chevalterrible de Lénore, 6+6 a
Ayant pour t'éclairerle feu de ses naseaux, 6+6 a
Et la lumière qu'ontles spectres sur leurs os ; 6+6 a
Superpose et bâtiscomme une tour solide 6+6 a
855 Wiclef, Leibnitz ; le diacreAmbroise, Basilide, 6+6 a
Swedenborg, Lyranus,Rupert, Abulensis, 6+6 a
Cardan, sous l'escarboucleinexprimable assis, 6+6 a
Photin, Cassiodore,Alcidamas, Eusèbe, 6+6 a
Potamon d'Héracléeet Paphnuce de Thèbe, 6+6 a
860 Tous les docteurs, vrais, faux,grands, petits, inconnus, 6+6 a
Connus, depuis Sophronjusqu'à Théotechnus, 6+6 a
Les devins, les savants,Paris, Rome, Épidaure, 6+6 a
Les poëtes sereins,ces frères de l'aurore 6+6 a
Faits de la même pourpreet dorés du même or, 6+6 a
865 La congrégationdes pères de Saint Maur, 6+6 a
La grâce, le péché,l'oraison impétrante, 6+6 a
Les vingt-cinq sessionsdu concile de Trente, 6+6 a
Les feuillets sibyllinstombés on ne sait d', 6+6 a
Le livre turc, le livrehébreu, le livre indou ; 6+6 a
870 Passe lés jours, les nuits ;deviens blanc dans les rêves ; 6+6 a
Sois Jérôme ; oui, sois Jeanrôdant le long des grèves ; 6+6 a
Sois Dante pour penseret sois Newton pour voir ; 6+6 a
Sois Origène, Euler,Platon ! Veux-tu savoir 6+6 a
Ce que tu construirassur Dieu ? de la fumée. 6+6 a
875 Oui, combine, l'Égypte,et Delphe, et l'Idumée ; 6+6 a
Cherche le sens des motsZéus, Vichnou, Mithra ; 6+6 a
Fouille le zodiaqueobscur, de Denderah ; 6+6 a
Espère Nicomaqueet Thalès désespèrent ; 6+6 a
Reprends les chiffres noirs, d'autres se trompèrent 6+6 a
880 Reprends-les tous, reprendsceux tu te trompas ; 6+6 a
Tous les cercles que peutcontenir ton compas, 6+6 a
Trace-les ; songe ; parleaux arbres ; fais-leur signe ; 6+6 a
Compte, compte, recompte ;additionne, aligne, 6+6 a
Devant l'impénétrableet devant le fatal, 6+6 a
885 Devant ce qui n'a pasde nombre et de total, 6+6 a
Tous tes zéros, anneauxdu rideau de la tombe ; 6+6 a
Le sépulcre, c'est :làque toujours on retombe, 6+6 a
Se dresse devant toi,regarde tes travaux, 6+6 a
Bons, mauvais, inexacts,exacts, anciens, nouveaux, 6+6 a
890 Et ce tas de calculsque, ta pensée anime, 6+6 a
Et te jette ce cri,le seul mot de l'abîme 6+6 a
Qu'il sache, et le seul nomqu'il se connaisse : Après ? 6+6 a
Question que se fontdans l'ombre les cyprès. 6+6 a
[VI]
UNE AUTRE VOIX
Et d'abord, de quel Dieuveux-tu parler ? Précise. 6+6 a
895 Quel est celui qui tientta pensée indécise ? 6+6 a
Dis, est-ce du Dieu peinten jaune, en rouge, en bleu ; 6+6 a
Habitant d'un triangle flambe un mot hébreu ; 6+6 a
Face dorée au fondd'une nuée épaisse ; 6+6 a
Portant couronne, étole,et glaive, et sceptre ; espèce 6+6 a
900 D'empereur, habilléd'un habit de soleil, 6+6 a
Ayant au poing le globeet Satan sous l'orteil, 6+6 a
Assis dans une chaire,et dictant la sentence 6+6 a
D'Arius à Nicéeet de Huss à Constance ; 6+6 a
Niant le genre humain,concile universel ; 6+6 a
905 Servant de majusculeaux pages du missel ; 6+6 a
Dieu qui met Galiléeen prison, et de Maistre 6+6 a
En sentinelle au seuildu paradis terrestre ; 6+6 a
Dieu qu'une vieille en rêve,au bruit qu'en se choquant 6+6 a
Font dans l'immensitédes foudres de clinquant, 6+6 a
910 Sous un grand dais d'azurque l'astre damasquine, 6+6 a
Apeoit lui montrantles numéros d'un quine ; 6+6 a
Dieu gothique, irritable,intolérant, tueur, 6+6 a
Noir vitrail effrayantqu'empourpre la lueur 6+6 a
Du bûcher qui flamboieet pétille derrière ? 6+6 a
915 Est-ce du Dieu qui veutla chanson pour prière, 6+6 a
Qu'on invoque en trinquant,Dieu bon vivant, qui rit ; 6+6 a
Comprend, sait que la chairest faible, a de l'esprit ; 6+6 a
Dieu point fâcheux qui viten bonne intelligence 6+6 a
Avec les passionsde votre pauvre engeance, 6+6 a
920 Excusant le péché,l'expliquant au besoin, 6+6 a
Clignant de l'œil avecle diable dans un coin, 6+6 a
Flânant, regardant l'hommeen sa fainéantise, 6+6 a
Mais jamais du côtéqui fait une sottise, 6+6 a
Et pas très sûr au fondlui-même d'exister ? 6+6 a
925 Est-ce du Dieu qu'on voità Versailles monter 6+6 a
Aux carrosses du roi,bien né, suivant les modes, 6+6 a
Rendant aux Montespansles Bossuets commodes, 6+6 a
Dieu de cour, Dieu de ville,avec soin expurgé 6+6 a
De toute humeur brutaleet de tout préjugé, 6+6 a
930 Complaisant ; paternelaux morales mondaines ; 6+6 a
Avec les Massillonsémoussant les Bridaines ; 6+6 a
Dieu qu'un fripon coudoieavec tranquillité ; 6+6 a
Dieu par la politiqueet le siècle accepté ; 6+6 a
Lâchant son ciel ; disant :Paris vaut une messe ; 6+6 a
935 Souple et doux, dispensantles rois de leur promesse, 6+6 a
Point janséniste, pointpédant, point monacal ; 6+6 a
Permettant à Sanchezd'effaroucher Pascal, 6+6 a
Au banquier d'encoffrercent pour cent, à la femme, 6+6 a
Laide, d'être méchante,et, belle, d'être infame ; 6+6 a
940 Passant l'épice au juge,au marchand le faux poids ; 6+6 a
Habile ; à Notre-Dameaccouplant Quincampoix ; 6+6 a
Sévère seulementaux têtes raisonnantes, 6+6 a
Tuant un peu Ramus,biffant l'édit de Nantes, 6+6 a
Mais qui, pourvu qu'on soit,dans les grands jours, pilier 6+6 a
945 A l'église, et qu'on soitcousin d'un marguillier, 6+6 a
Et qu'on veuille que Romeen tout règne et s'accroisse, 6+6 a
Et qu'on rende le painbénit à sa paroisse, 6+6 a
Vous prend en amitié,vous soutient chaudement, 6+6 a
Vous épouse, travailleà votre avancement, 6+6 a
950 Parle à son excellenceet vous pousse, et procure 6+6 a
Un grade aux fils nés,aux cadets une cure, 6+6 a
En attendant la mitreou les canonicats ; 6+6 a
Dieu facile, logeable,aimable, utile en-cas 6+6 a
Qui se contente, ayantd'indulgence boutique, 6+6 a
955 D'un peu d'hypocrisieet d'un peu de pratique ; 6+6 a
Dogme et religiondes dévôts positifs 6+6 a
Qui font de temps en tempsdes voyages furtifs, 6+6 a
Courts, dans l'éternité,l'abîme, le mystère, 6+6 a
Et l'insondable, avecce Dieu pour pied-à-terre ? 6+6 a
960 Est-ce du Dieu guerrier,militaire, sanglant, 6+6 a
Qui s'inquiète peuque vous mangiez du gland 6+6 a
Ou du pain, mais qui veutpour rites et pour cultes 6+6 a
Glaives, piques, corbeaux,scorpions, catapultes, 6+6 a
Grappin horrible pendun vaisseau tout entier, 6+6 a
965 Tortue avec sa claieenduite de mortier, 6+6 a
Béliers fixes, heurtantles murs comme des proues, 6+6 a
Telenos enlevantdes soldats, tours a roues 6+6 a
Recouvertes de mousseet de crin de cheval ; 6+6 a
Plus tard, pierriers broyantquelque donjon-rival 6+6 a
970 Jusqu'à ce qu'il s'en ailleen cendre et se dissoude, 6+6 a
Mangonneaux, fauconneaux,bat-murs, pièces à coude, 6+6 a
Renversant les citésdans leur fossé bourbeux ; 6+6 a
Volcans grégeois trnéspar trente jougs-de bœufs, 6+6 a
Canons vénitiens,serpentines lombardes ; 6+6 a
975 Dieu qui dit à Coglione :attelle les bombardes ; 6+6 a
Qui rit, pauvre blessé,du grabat tu geins, 6+6 a
Que la bataille enivreavec tous ses engins, 6+6 a
Chaudrons à poix bouillanteet fours à boulets rouges, 6+6 a
Qui chasse les manantséperdus de leurs bouges ; 6+6 a
980 Qui rêve Te Deumqui s'endort aux accents 6+6 a
De l'obusier Lancastreet du mortier Paixhans ; 6+6 a
Qui prête, quand la mineest faite sous la brèche, 6+6 a
Son tonnerre au besoinpour allumer la mèche, 6+6 a
Et, quand la terre s'ouvreavec un large éclair, 6+6 a
985 S'épanouit de voirles gens sauter en l'air ? 6+6 a
Vision du passépar votre âge subie ! 6+6 a
Est-ce du Dieu jugeur ?Oh ! l'étrange lubie ! 6+6 a
Dieu chancelier, portantperruque in-folio, 6+6 a
Vidant le procès Hommeet l'Être imbroglio ! 6+6 a
990 Dieu président, siégeantdans l'univers grand'chambre, 6+6 a
Jugeant l'âme, et bâillant,sous un ciel de décembre, 6+6 a
Entre l'avocat angeet l'avocat démon ? 6+6 a
Dis, est-ce le dieu guèbre,est-ce le dieu mormon 6+6 a
Qu'il te faut ? Ou le Dieuqui fit rouer Labarre ? 6+6 a
995 Vois. Choisis. Ou le Dieuqui donne au turc barbare 6+6 a
Des femmes plein la tombeet plein le firmament ? 6+6 a
Ou bien est-ce le Dieuqui fait lugubrement 6+6 a
Chanter, quand l'heure vientde vêpre ou de matines, 6+6 a
L'homme qui n'est plus hommeaux chapelles sixtines, 6+6 a
1000 Et qui, lui créateur,se plt à l'écouter ? 6+6 a
Ou parles-tu du Dieuqu'il faudrait inventer, 6+6 a
Que dans l'ombre la peurconcède au phénomène, 6+6 a
Par les sages bâtisur la sagesse humaine, 6+6 a
Utile à ton valet,bon pour ton cuisinier, 6+6 a
1005 Modérateur des sautsde l'anse du panier, 6+6 a
Dieu de raison qu'au fondde son spectre solaire 6+6 a
Le bourgeois bienveillantraille, exile et tolère, 6+6 a
Dieu consenti par Lockeet que Grimm refusa, 6+6 a
Très-Haut à qui d'Holbacha donné son visa, 6+6 a
1010 Éternel maçonnépar le vivant qui passe, 6+6 a
Entrecolonnementdu temps et de l'espace, 6+6 a
Pièce d'architectureajoutée après coup 6+6 a
A la vie, au destin,au bien, au mal, à tout, 6+6 a
Tour tremblante de videet hors-d'œuvre de l'homme ? 6+6 a
1015 Tous ces dieux, quel que soitle nom dont on les nomme, 6+6 a
Sont tout, excepté Dieu.
L'homme abject a besoin, 6+6 a
Étant méchant, d'un juge,et, hideux, d'un témoin ; 6+6 a
Il veut un Dieu. C'est bien.L'homme prend de la brique, 6+6 a
De la pierre, du plomb,du bois, et le fabrique ; 6+6 a
1020 Chaque peuple a le sien ;et la religion 6+6 a
A l'Unité pour masqueet pour nom Légion. 6+6 a
Un temple voit la nuit l'autre voit l'aurore ; 6+6 a
Chéos adore Ammonque Jagrenat ignore ; 6+6 a
Pour Delphe Odin n'est pas ;la solimaniéh 6+6 a
1025 Affirme Mahometpar le dolmen nié. 6+6 a
La terre crée un monstreet se met sous sa garde ; 6+6 a
Et c'est avec stupeurque le grand ciel regarde 6+6 a
Crtre sur vos fumiersce misérable Dieu. 6+6 a
Nous ne nous mettons pasen peine de si peu, 6+6 a
1030 Nous autres les espritserrant dans l'étendue ; 6+6 a
Et, sans nous acharnerà la lueur perdue, 6+6 a
Sans poursuivre l'obscureet pâle vision, 6+6 a
Sans exiger de l'ombreune solution, 6+6 a
Nous raillons dans la nuitvotre Brahma fétiche, 6+6 a
1035 Dieu qui mêle à sa barbeun infini postiche, 6+6 a
Dieu singe pour le nègreet Dieu peste au Thibet ; 6+6 a
Bourreau dressant sur l'hommeun immense gibet, 6+6 a
Bœuf a Memphis, dragonà Tyr, hydre en Chaldée, 6+6 a
Chimère et non raison,idole et non idée. 6+6 a
1040 Ton globe, vieil enfant,joue avec ce hochet. 6+6 a
Homme, esprit fou qu'en vainDiogène cherchait, 6+6 a
Homme, tu fais pitiémême aux êtres du gouffre, 6+6 a
Même à l'obscuritéqui frissonne et qui souffre ; 6+6 a
Car ton monde étroit rêveun rêve limité ; 6+6 a
1045 Il se compose un Dieude son infirmité ; 6+6 a
Et, dans l'abjectionde ses passions vaines, 6+6 a
Instinct, science, amour,colère, guerres, haines, 6+6 a
Il se fait de sa fangeune divinité ! 6+6 a
Il pétrit de la terreavec l'éternité ! 6+6 a
1050 Et quand dans sa furie,et quand dans sa débauche, 6+6 a
Inepte, il a forgécette effroyable ébauche, 6+6 a
Ce géant muet, sourd,aveugle, dur, fatal, 6+6 a
Ce spectre d'ombre ayantl'horreur pour piédestal, 6+6 a
Il achève ce Dieude laideur, d'imposture, 6+6 a
1055 De nuit, avec la peurqu'il a de la nature. 6+6 a
O toi qui passes là,que veux-tu donc ?
Et moi : 6+6 a
— Je veux le nom du vrai,criai-je plein d'effroi, 6+6 a
Pour que je le rediseà la terre inquiète. 6+6 a
[VII]
UNE AUTRE VOIX
Est-ce que tu seraispar hasard un poète ? 6+6 a
1060 Qui te rend si hardi ?réponds, questionneur. 6+6 a
Viens-tu comme Shakspeareà la tour d'Elseneur ? 6+6 a
Pour entrer dans la brume s'éteint la science, 6+6 a
Pour tenter le mystère,aurais-tu confiance, 6+6 a
Homme dont l'ombre fuitles pas trop approchants, 6+6 a
1065 Dans le pouvoir suaveet sinistre des chants ? 6+6 a
Oui, c'est vrai, le poèteest puissant. Qui l'ignore ? 6+6 a
L'esprit, force et clarté,sort de sa voix sonore. 6+6 a
Trophonius est seuldans son caveau divin ; 6+6 a
L'homme lui dit : poëte !et l'abîme : devin ! 6+6 a
1070 Amphion chante et meten mouvement les pierres ; 6+6 a
Orphée errant du tigreéblouit les paupières ; 6+6 a
Homère est dans la tombe,et son âme, à travers, 6+6 a
Pousse au Gange Alexandreenivré de ses vers ; 6+6 a
Prenant forme au plus noirde l'antre, les fantômes 6+6 a
1075 Blanchissent à l'appeldes blêmes Chrysostômes 6+6 a
Isaïe en criant :Deuil ! malheur ! fait hennir 6+6 a
Le féroce Orientqui dit : je vais venir ! 6+6 a
Euripide, Sophocle,Eschyle qu'un dieu mine, 6+6 a
Sont comme le trépiedd' jaillit Salamine ; 6+6 a
1080 Élie a son gré videet lance au peuple hébreu 6+6 a
Les flèches de la pluieou le carquois du feu ; 6+6 a
L'âpre Archiloque avecle marteau de l'ïambe 6+6 a
Enfonce le clou sombre se pendra Lycambe ; 6+6 a
Dante dit, l'œil fixésur un homme passant 6+6 a
1085 — Je t'ai vu dans l'enfer !L'homme, pâle, y descend. 6+6 a
La Marseillaise énormeest un bruit de mêlée ; 6+6 a
Tyrtée est une lyreeffrayante ; envolée 6+6 a
Au-devant des combatset des drapeaux mouvants, 6+6 a
Et trnant, après elleun peuple dans les vents. 6+6 a
1090 Les poètes profonds,hommes de la stature 6+6 a
Des éléments, du bien,du mal, de la nature, 6+6 a
Vivaient jadis, géants,en familiarité 6+6 a
Avec le jour, la nuit,l'ombre et l'éternité ; 6+6 a
Ils méditaient, ayant,dans l'horreur solennelle, 6+6 a
1095 Toujours devant leur âmeet devant leur prunelle 6+6 a
La contemplation ;ce mur vertigineux ; 6+6 a
Ils avaient la scienceet l'ignorance en eux ; 6+6 a
Épars, ils blanchissaientle fond des solitudes ; 6+6 a
Ils rêvaient ; ils avaientdiverses attitudes ; 6+6 a
1100 Les uns, calmes, restaient,leur menton dans leur main, 6+6 a
Du côté des vivants,sur le rivage humain ; 6+6 a
Ils regardaient passerles foules pêle-mêle, 6+6 a
Homme, femme, vieillard,enfant à la mamelle, 6+6 a
Chocs de glaives, pavois ;codes, mœurs, échafauds, 6+6 a
1105 Les cintres pleins d'azurdes grands arcs triomphaux, 6+6 a
Le trône avec son roi,le prêtre avec son livre ; 6+6 a
Et devant tout ce flot,forcené, bruyant, ivre, 6+6 a
Triste, joyeux, confus,violent, inclément, 6+6 a
Sourd, ignorant la chuteet l'âpre escarpement, 6+6 a
1110 Ils contemplaient de loinla mort, sombre barrage. 6+6 a
Les autres se tenaienthors du terrestre orage, 6+6 a
Comme s'ils étaient morts,et de l'autre côté ; 6+6 a
Ils regardaient, roulantvers eux, l'humanité 6+6 a
S'engouffrer sous leurs pieds,race à race engloutie ; 6+6 a
1115 De ce fte, ils étaientprésents à la sortie 6+6 a
Des empires, des faits,des grands événements, 6+6 a
Des prines, de puissanceet de guerre écumants, 6+6 a
Et voyaient peuples, rois ;tout ce qu'en la, nuit noire 6+6 a
Dégorge le sépulcre ;énorme vomitoire. 6+6 a
1120 Ils rayonnaient ; leurs yeuxsereins étincelaient ; 6+6 a
Ils devenaient eux-mêmeombre et souffle, et semblaient 6+6 a
Au genre humain, perdudans ses mornes délires, 6+6 a
Des fantômes chantants,passant avec des lyres. 6+6 a
Quelques-uns, murés, sourds,n'avaient plus de regard 6+6 a
1125 Que l'œil intérieur,lumineux et hagard, 6+6 a
Et ces hommes sacrés,semblables à des mânes, 6+6 a
Hors du monde, habitaientdans l'antre de leurs crânes ; 6+6 a
D'autres vivaient aux bois,et leurs esprits songeaient, 6+6 a
Et, laissant là leurs corps,éblouis, voyageaient ; 6+6 a
1130 Ils erraient d'être en êtreet du fait a la cause ; 6+6 a
Voyaient s'épanouirl'arbre en apothéose ; 6+6 a
Ils allaient, pénétrantau-delà du réel, 6+6 a
Par la racine au gouffreet par la fleur au ciel, 6+6 a
Dans la créationentraient le plus possible, 6+6 a
1135 Tordaient l'insaisissableavec l'inaccessible, 6+6 a
Étudiaient commentse forment les métaux 6+6 a
Dans la forge invisibleaux ténébreux marteaux, 6+6 a
Et la seve, et le feudes volcans, et les haltes 6+6 a
Des laves sous l'écorceaffreuse des basaltes ; 6+6 a
1140 Le vent chantait pour euxun sublimean ; 6+6 a
Ils observaient l'hiver,l'Ouragan, l'oan, 6+6 a
L'avalanche, l'écueil,les grêles épaissies, 6+6 a
Les vagues, effarésde ces épilepsies ; 6+6 a
Et, pensifs ; saisissant,jusqu'aux plus hauts zéniths, 6+6 a
1145 Les intersectionsde tous les infinis, 6+6 a
L'endroit le bien nuit,l'endroit le mal aime, 6+6 a
Ils tâchaient de trouverle point fatal, suprême, 6+6 a
Terrible, surprenant,caché sous le linceul, 6+6 a
Sombre, tous les secretsse fondent en un seul ! 6+6 a
1150 Dans les grottes de l'Indeou dans les rocs d'Eubée, 6+6 a
Lieux l'on croit toujoursêtre à la nuit tombée, 6+6 a
À Cartlane la fleurmandragore chanta, 6+6 a
À Delphe, à Sunium,dans l'île Éléphanta, 6+6 a
Ou dans la Bactrianeou dans la Sogdiane, 6+6 a
1155 Ou dans les monts qu'emplitla sinistre Diane, 6+6 a
Dans les déserts l'êtrea l'air de se mouvoir 6+6 a
En dégageant un sombreet lugubre pouvoir, 6+6 a
Les pâtres rencontraientun homme dont la face 6+6 a
Semblait une lueurétrange de l'espace, 6+6 a
1160 Dont la bouche parlait,et dont l'égarement 6+6 a
Ramenait tout à luicomme un farouche aimant ; 6+6 a
Le loup craignait cet homme,et les brutes fuyantes 6+6 a
S'en allaient de son ombreencor plus effrayantes ; 6+6 a
Et toute chose douceà ses pieds triomphait, 6+6 a
1165 L'agneau, l'aube ; et c'étaitle poète en effet. 6+6 a
Et de quoi vivait-il ?Nul ne le sait. Son âme 6+6 a
Aspirait l'inconnucomme un puissant dictame ; 6+6 a
Sa chair s'oubliait l'hommeétait en lui dissous ; 6+6 a
Du, splendide Universil tâtait le dessous ; 6+6 a
1170 Livide, il assistaitaux blancheurs iales, 6+6 a
Aux détonationsd'aurores boales, 6+6 a
Aux déluges roulantdans leurs vastes limons 6+6 a
Des hydres qui semblaientdes gouffres et des monts, 6+6 a
Aux chaos combattantla vie, aux héroïsmes 6+6 a
1175 Des : globes traversantces rudes cataclysmes, 6+6 a
Au miracle, à l'atome ;et son regard voyait 6+6 a
Des naissances d'édensdans l'abîme inquiet, 6+6 a
Des jets d'étoiles d'or,des chutes de décombres, 6+6 a
Et des explosionsde créations sombres. 6+6 a
1180 Et pendant qu'il rêvait,immobile,voyant 6+6 a
L'inouï, — l'ignoré,le-trouble, l'ondoyant, 6+6 a
Les visions, l'azurindicible, feux, nimbes, 6+6 a
Masques crispés d'enfantssanglotant dans les limbes, 6+6 a
Et la torche de l'astreallant mettre le feu 6+6 a
1185 A des mondes perdusau fond du vide bleu, 6+6 a
Et la larve, à traversles brumes décuplantes, 6+6 a
Entre les doigts des piedsil lui poussait des plantes, 6+6 a
Et les feuilles, qui fontleur ouvrage sans bruit, 6+6 a
Couvraient cet homme ainsiqu'un chêne dans la nuit. 6+6 a
1190 Et cette intimitéformidable avec l'être 6+6 a
Faisait de e songeurfarouche, plus : qu'un prêtre, 6+6 a
Plus qu'un augure, plusqu'un pontife ; un esprit ; 6+6 a
Un spectre à qui, la mortradieuse sourit. 6+6 a
Et c'est de là que vientcette auguste puissance 6+6 a
1195 Faite d'immensité,d'épouvante, d'essence, 6+6 a
Qu'a le poète saintet, qu'on sent dans ses vers 6+6 a
Les prodiges au fonddu mystère entr'ouverts 6+6 a
Mêlent leur rayon fauveà son âme élargie, 6+6 a
Presque jusqu'à l'horreuret jusqu'à la magie, 6+6 a
1200 Et qui parfois côtoie,ainsi qu'un noir plongeur ; 6+6 a
Le cercle de l'enfercommence la rougeur. 6+6 a
Oui, le poète peutce qu'il veut ; le poète 6+6 a
Arrête en lui parlantl'immense gypaète ; 6+6 a
Il domine la villeet le désert ; il peut 6+6 a
1205 Unir la terre au ciel ;et, dans le même nœud, 6+6 a
L'idéal au réel,et tisser une toile 6+6 a
Avec des fils de chanvreet des rayons d'étoile ; 6+6 a
Il dégage de tout,du fait, vaste ou petit, 6+6 a
De tout ce qu'on apprend,dé tout ce qu'on bâtit, 6+6 a
1210 Du progrès, du tombeau,de la matière même, 6+6 a
Une grande Uranieazurée et suprême ; 6+6 a
Il met sur la scienceun plafond sidéral ; 6+6 a
Il fait tomber la haineet l'épine et le mal 6+6 a
De la ronce hideuseet de l'âme méchante ; 6+6 a
1215 Tendre, il plane au-dessusdu cirque horrible et chante 6+6 a
Pour les martyrs un chantqui fait honte aux lions ; 6+6 a
A la guerre civileil fait dire : oublions ! 6+6 a
Il prend les cœurs lointainsdes peuples et les mêle, 6+6 a
Accouple à la raisonla foi, sa sœur jumelle, 6+6 a
1220 Calme la foule, endortle flot, dompte le feu, 6+6 a
Change l'homme ; il peut tout ;hors ceci : nommer Dieu. 6+6 a
Nommer Dieu de façonque l'abîme comprenne. 6+6 a
Il peut tout, hors ceci :faire à l'aube sereine, 6+6 a
Au lys, à l'astre, à l'hydre,à l'éclair enflammé, 6+6 a
1225 Dire dans l'étendueobscure : il l'a nommé ! 6+6 a
Ce nom déborde vaste,inouï, réfractaire, 6+6 a
Quelque être que ce soit,au ciel et sur la terre. 6+6 a
O passant, entends-tubégayer à la fois 6+6 a
Par toutes les rumeurset par toutes les voix 6+6 a
1230 De la créationténébreuse et murée, 6+6 a
Par toute l'étendueet toute la durée, 6+6 a
Ce nom mystérieux,énorme, illimité ? 6+6 a
Le printemps et l'automneet l'hiver et l'été 6+6 a
Sont quatre accents diversde ce grand nom qui gronde ; 6+6 a
1235 La syllabe du ventn'est pas elle de l'onde ; 6+6 a
Chaque être dit la sienneet la murmure à part ; 6+6 a
L'antilope en a peurquand c'est le léopard. 6+6 a
Qui le proclame au fondde la forêt sonore ; 6+6 a
Et la nuit le prononceautrement, que l'aurore. 6+6 a
1240 L'homme à saisir ce mots'est parfois occupé ; 6+6 a
Mais en vain ; car ce nomineffable est coupé 6+6 a
En autant de tronçonsqu'il est de créatures ; 6+6 a
Il est épars au loindans les autres natures ; 6+6 a
Personne n'a l'alpha,personne l'oméga ; 6+6 a
1245 Ce nom, qu'en expirantle passé nous légua, 6+6 a
Sera continuépar ceux qui sont a ntre ; 6+6 a
Et tout l'univers n'aqu'un objet : nommer l'être ! 6+6 a
Et des soleils sont mortset des soleils mourront, 6+6 a
Et l'espace l'étoileéclôt, la flamme au front, 6+6 a
1250 A vu ntre et pâlirdans ses profondeurs fauves 6+6 a
Des feux qui ne sont plusque de vieux astres chauves ; 6+6 a
L'heure apporte et reprendles jours, les mois, les ans, 6+6 a
Et la mémoire avorteà compter ces passants, 6+6 a
Et l'ombre épouvantableen ses aveugles ondes 6+6 a
1255 Roule des millionsde millions de mondes, 6+6 a
Et le sillon engendreet la fosse enfouit, 6+6 a
Et tout se développeet tout s'évanouit, 6+6 a
Et tout brille et s'éteint ;mon phosphore et le-vôtre, 6+6 a
Et les êtres confustombent l'un après l'autre, 6+6 a
1260 Et toujours, à jamais,sans qu'il cesse un moment 6+6 a
D'emplir le jour, la nuit,l'éther, le firmament, 6+6 a
Sans qu'aucun autre bruitl'interrompe et s'y mêle, 6+6 a
Le nom infini sortde la bouche éternelle ! 6+6 a
[VIII]
UNE AUTRE VOIX
Est-ce que, voyageurfatal, tu prémédites 6+6 a
1265 Des actions de rêveétranges et maudites, 6+6 a
D'aller, de forcer l'Ombre,et fouillant, et bravant, 6+6 a
De t'enfoncer plus loinque les ailes du vent ? 6+6 a
Dis. Parle. Oh ! les songeursont une sombre envie 6+6 a
Ils voudraient tous avoirdéjà franchi la vie, 6+6 a
1270 Pour conntre, pour êtreailleurs, pour voir plus loin. 6+6 a
Pour eux, vivre est l'Obstacleet savoir le besoin. 6+6 a
En attendant la tombe,ils s'en vont aux nuées, 6+6 a
Par les rêves de l'hommeen bas continuées, 6+6 a
Aux vents, aux monts ; aux lieuxdéserts, aux lieux secrets, 6+6 a
1275 À tout ce qui contientde l'abîme, forêts, 6+6 a
Antres, écueils des mers,nids d' tombe la plume, 6+6 a
À la, fleur qui s'entr'ouvre,à l'astre qui s'allume, 6+6 a
A tout ce qui voit l'ombreet tremble sur le bord, 6+6 a
Désaltérer leur soiflugubre de la mort. 6+6 a
1280 As-tu donc aussi, toi,cette soif surhumaine ? 6+6 a
Veux-tu voir ? Est-ce là,passant, ce qui t'amène ? 6+6 a
Sois tranquille, homme. Attends :Cela finit toujours 6+6 a
Par s'ouvrir devant toi,pauvre ombre aux instants courts. 6+6 a
Le mystère, à présentsans clef, sans déchirure, 6+6 a
1285 Clos, fermé par la nuit,la sinistre serrure, 6+6 a
T'appart, recouvranton ne sait quel écrou, 6+6 a
Barré, farouche, ayanttout l'azur pour verrou ; 6+6 a
Ton cadavre en tombantdéfonce cette porte. 6+6 a
Le ciel noir plie et s'ouvreau, poids de la chair morte. 6+6 a
1290 L'homme entre enfin au gouffreexécrable ou béni. 6+6 a
Par la fente que faitla mort à l'infini. 6+6 a
Attends donc cette mortqui fait l'âme complète, 6+6 a
La pénétrationde Dieu dans ton squelette, 6+6 a
Les astres, plus nombreux,quand l'homme n'est pas noir, 6+6 a
1295 Dans les plis du linceulque dans les plis du soir ; 6+6 a
Attends l'ascensionsuprême de la chute ; 6+6 a
Attends la fin du songe,homme, et de la minute. 6+6 a
Cette explicationqu'on nomme éternité. 6+6 a
Tout ce que tu peux faireen ton humanité, 6+6 a
1300 Écoute, — dans ta chair,homme, dans ta bassesse, 6+6 a
C'est de chercher, partout,de contempler sans cesse, 6+6 a
De loin, de près, avecton cœur et ta raison, 6+6 a
Le trépas qui jamaisne manque à l'horizon, 6+6 a
C'est d'observer toujours,à travers ta souffrance, 6+6 a
1305 Ce visage sinistreet noir de l'espérance, 6+6 a
Homme, et de ne jamaisquitter des yeux la mort, 6+6 a
Et de vivre tourné,comme l'aiguille au nord, 6+6 a
Vers ce but de ta route ;ô pauvre âme asservie ! 6+6 a
La mort est la veilleuseétrange de la vie, 6+6 a
1310 La lueur alluméeau sommet du destin. 6+6 a
Rougeur du soir ayantdes blancheurs de matin, 6+6 a
Elle fait appartreà sa clarté des rives, 6+6 a
Des cieux toute l'énigmeen pâles perspectives, 6+6 a
Les cimes des flots d'ombreau fond des gouffres noirs, 6+6 a
1315 Et le bien et le mal,mystérieux miroirs ; 6+6 a
Vivante, incorruptible,égale, elle prolonge 6+6 a
A travers l'apparence,et la brume, et le songe, 6+6 a
Et tout le faux dont l'êtreéperdu fait l'essai, 6+6 a
Une lumière intègreet terrible de vrai ; 6+6 a
1320 Elle montre la vie ;elle met en saillie 6+6 a
Tous ces masques, amour,haine, raison, folie, 6+6 a
Qui flottent dans le ventpêle-mêle, et qui vont ; 6+6 a
Elle blêmit le borddu sans fin, du sans fond 6+6 a
D' l'on ne revient pasavec la même forme ; 6+6 a
1325 Elle jette un rayonsur une entrée énorme, 6+6 a
Effleure ces rondeurs,ciel, globe, crâne nu, 6+6 a
Et, tranquille ; avertit,de quoi ? de l'inconnu. 6+6 a
Elle éclaire un port vague l'on se réfugie. 6+6 a
On voit sur l'infinicette sombre vigie. 6+6 a
Donc, attends.
1330 Autrement,sache, qui que tu sois, 6+6 a
Qu'un voyage en cette ombreest un lugubre choix ; 6+6 a
Le vertige saisitles ; noirs plongeurs tenaces 6+6 a
Qui du-grand ciel faroucheaffrontent les menaces ; 6+6 a
L'immobile infini,fait un nain duant. 6+6 a
1335 Avant d'aller plus loin,regarde tonant. 6+6 a
Car tu ne pourras, pas,quelle que soit ta course, 6+6 a
Aborder l'inconnu,l'origine, la source, 6+6 a
Le lieu fatal touts'explique et se rejoint, 6+6 a
Car tu n'entreras-point,car tu n'atteindras point, 6+6 a
1340 Car, l'océan de nuit,de bitume et de soufre, 6+6 a
Jamais tu ne pourrasle franchir, car, le gouffre, 6+6 a
Tu ne le vaincras pas,quand même tu serais 6+6 a
Une espèce d'espritdes monts et des forêts, 6+6 a
Un cœur sentant en soila nature bruire ; 6+6 a
1345 Un homme traversépar une énorme lyre ! 6+6 a
Quand même tu seraisune âme aux yeux ardents 6+6 a
Dont la fauve penséea pris le mors aux dents, 6+6 a
Et qui, dans la caverne le trépas seul entre, 6+6 a
Fuit, terrible, aspiranttous les souffles de l'antre ! 6+6 a
1350 Quand même tu seraisun de ces mages fiers 6+6 a
Que nous voyons parfois,blêmes passants des airs, 6+6 a
Se ruer dans le gouffre, comme eux, tu te plonges, 6+6 a
Pâles, les poings crispésaux rênes de leurs songes, 6+6 a
Se penchant, se dressant,lâchant et retenant 6+6 a
1355 On ne sait quoi d'obscur,d'envolé, de tonnant, 6+6 a
Regardant, dispersantleurs prunelles livides, 6+6 a
Comme s'ils conduisaientdans l'ombre à grandes guides 6+6 a
A travers l'éther vagueet le tourbillon fou, 6+6 a
Dans la brume, au hasard,devant eux, n'importe , 6+6 a
1360 Peut-être vers la nuit,peut-être vers la cime, 6+6 a
Un char que, trneraient,avec-un bruit d'abîme, 6+6 a
Croupes sombres, fuyant,s'abaissant, s'élevant ; 6+6 a
Six cents chevaux d'éclair,de nuée et de vent ! 6+6 a
[IX]
UNE AUTRE VOIX
Te figures-tu doncêtre, par aventure, 6+6 a
1365 Autre chose qu'un pointdans l'aveugle-nature ? 6+6 a
Toi, l'homme, cendre et chair,te persuades-tu 6+6 a
Que d'une fonctionl'ombre t'a revêtu ? 6+6 a
Quel droit te crois-tu doncà chercher, à poursuivre, 6+6 a
A saisir ce qui peutexister, durer, vivre, 6+6 a
1370 A surprendre, à conntre,à savoir, toi qui n'es 6+6 a
Qu'une larve, et qui meursaussitôt que tu nais ? 6+6 a
J'admire ton néantinouï s'il suppose' 6+6 a
Qu'il est par l'absolucompté pour quelque chose ! 6+6 a
Quelle idée, ô songeurdu songe humanité, 6+6 a
1375 As-tu de ton cerveaupour croire, en vérité, 6+6 a
Qu'il peut prendre ou laisserune empreinte à l'abîme ? 6+6 a
Ta pensée est abjecte ;étroite, folle, infime 6+6 a
L'homme est de la fuméeobscure qui descend. 6+6 a
T'imagines-tu donclaisser trace ; ô passant ? 6+6 a
1380 Rêves-tu l'absolucomme ton fleuve Seine. 6+6 a
Coulant entre les quaisde ta ville malsaine, 6+6 a
Recueillant les égoutsde toutes tes maisons, 6+6 a
Doctrines, volontés,illusions, raisons ; 6+6 a
Ayant dans son courant,si quelqu'un te réclame, 6+6 a
1385 Quelque pont de Saint-Cloud l'on repêche l'âme ? 6+6 a
Crois-tu que cette eau vasteet sourde, Immensité, 6+6 a
Ne t'enveloppe pasd'oubli, de cécité, 6+6 a
De silence, et sangloteà ta chute, et soit triste ? 6+6 a
Crois-tu que ta chimèreen ce gouffre persiste, 6+6 a
1390 Qu'elle y garde sa forme,espoir, rêve, action ; 6+6 a
Et qu'on retrouve, aprèsta disparition, 6+6 a
Quelque chose de toi,ton cadavre ou ton ombre, 6+6 a
Aux noirs filets flottantsde l'éternité sombre ? 6+6 a
[X]
UNE AUTRE VOIX
As-tu vu les penseurss'en aller dans les cieux ? 6+6 a
1395 Les as-tu vus partir,hautains, séditieux, 6+6 a
Jetant dans l'inconnuleur voix terrifiante, 6+6 a
Espérant abuserde la nuit confiante, 6+6 a
Méditant des larcinsprodigieux, rêvant 6+6 a
D'aller toujours plus loinet toujours plus avant, 6+6 a
1400 Se proposant d'atteindreà la source première, 6+6 a
Au centre, au but ; de prendreou l'ombre ou la lumière 6+6 a
Ou l'être, et de saisirle météore au vol, 6+6 a
Emportés comme Élie,ailés comme saint Paul, 6+6 a
Et de trouver le fond,dût-on faire le vide, 6+6 a
1405 Dût-on escaladerle mystère livide, 6+6 a
L'obscurité, les cieuxbrumeux, les cieux vermeils, 6+6 a
Avec effractiond'azurs et de soleils ! 6+6 a
Les as-tu vus, fuyants,blanche robe du prêtre, 6+6 a
Bras levés du devin,décrtre et dispartre 6+6 a
1410 Dans la profondeur sourde tout s'évanouit ? 6+6 a
Parle ? et les as-tu vusdevenir de la nuit ? 6+6 a
Es-tu resté tremblant,cherchant leur trace vague ? 6+6 a
Puis, regardant l'éther,les ténèbres, le vague, 6+6 a
Passant les jours, les nuits,debout sur une tour, 6+6 a
1415 O songeur, as-tu vuces hommes au retour ? 6+6 a
Les as-tu vus de l'ombreénorme redescendre ? 6+6 a
Et toi, l'obscur veilleurvêtu du sac de cendre, 6+6 a
Te dressant au-devantde leur vol éperdu, 6+6 a
Leur as-tu dit : — Eh bien ?Et qu'ont-ils répondu, 6+6 a
1420 Ces noirs navigateurssans navire et sans voiles ? 6+6 a
Et qu'ont-ils rapporté,ces oiseleurs d'étoiles ? 6+6 a
Ils n'ont rien rapportéque des fronts sans couleur 6+6 a
rien n'avait grandi,si ce n'est la pâleur. 6+6 a
Tous sont hagards aprèscette aventure étrange ; 6+6 a
1425 Songeur ! tous ont, empreintsau front, des ongles d'ange, 6+6 a
Tous ont dans le regardcomme un songe qui fuit, 6+6 a
Tous ont l'air monstrueuxen sortant de la nuit ! 6+6 a
On en voit quelques-unsdont l'âme saigne et souffre, 6+6 a
Portant de toutes partsles morsures du gouffre. 6+6 a
[XI]
UNE AUTRE VOIX
1430 Les monts sont vieux ; cent foiset cent fois séculaires, 6+6 a
Muets, drapés de nuitsous leurs manteaux polaires, 6+6 a
Leur âge monstrueuxépouvante l'esprit ; 6+6 a
Sur leur front ténébreuxtout l'abîme est écrit ; 6+6 a
Une neige de joursa neigé sur leur tête ; 6+6 a
1435 Le temps est un morceaude leur masse ; leur fte, 6+6 a
De loin morne profilqui s'efface de près, 6+6 a
Livre au vent une barbeépaisse de forêts ; 6+6 a
Ils ont vu tous les deuils,toutes les défaillances, 6+6 a
Toutes les morts passerautour de leurs silences ; 6+6 a
1440 Ils ont vu s'écroulerdes mondes dans le puits 6+6 a
De l'horreur infinieet sourde ; ils ont depuis 6+6 a
Bien des millions d'ansla lassitude d'être ; 6+6 a
Eh bien, sur leurs noirs flancsdécrépits, le vent trtre, 6+6 a
L'orage furieux,l'éclair fauve, ce ver 6+6 a
1445 Qui serpente dans l'ombreimmense de l'hiver, 6+6 a
L'ouragan qui, farouche,aux grands sommets essuie 6+6 a
Sa chevelure d'air,de tempête et de pluie, 6+6 a
L'aquilon qui revientquand on croit qu'il s'enfuit, 6+6 a
La grêle, et l'avalanche,et la trombe, et le bruit, 6+6 a
1450 Toutes les visionsdes affreuses nuées, 6+6 a
La tourmente et ses chocs,la bise et ses huées, 6+6 a
S'acharnent ; et ne font,sous leurs dais de brouillards, 6+6 a
Pas même remuerces effrayants vieillards. 6+6 a
Sois comme eux : si tu vasdans l'espace terrible, 6+6 a
1455 Ne chancelle pas, homme ;et garde un calme horrible. 6+6 a
[XII]
[AUTRES VOIX]
Remonte aux premiers joursde ton globe ; voilà 6+6 a
Une muraille ; elle estprodigieuse ; elle a 6+6 a
Dix mille pieds de haut,et de largeur dix lieues. 6+6 a
Falaise, alluvion,dans les profondeurs bleues 6+6 a
1460 Ce haut boulevard monte,altier ; froid, surprenant, 6+6 a
Et d'une mer à l'autreil barre un continent : 6+6 a
Vaste géométrie,on dirait que l'équerre ; 6+6 a
Assise par assise,a fait ce mont calcaire, 6+6 a
Et que, forgeant l'espace,on ne sait quels marteaux 6+6 a
1465 L'un sur l'autre ont clouéses plans horizontaux. 6+6 a
L'escarpement à picmontre en bandes étroites 6+6 a
Ses couches s'allongeantfermes, égales, droites, 6+6 a
Rides profondes, plisde ce front de la nuit. 6+6 a
Contre ce mur se heurteet flotte et roule, et fuit 6+6 a
1470 Ce que chaque saisonpêle-mêle charrie. 6+6 a
Ce massif colossalde la maçonnerie 6+6 a
Terrible, que construitet détruit l'élément, 6+6 a
Semble un coffre de pierreimmense renfermant 6+6 a
Les archives d'une âpreet sombre catastrophe, 6+6 a
1475 Et tout un monde mortployé comme une étoffe, 6+6 a
Avec ses fleurs, ses champs,ses rocs boisés ou nus, 6+6 a
Et ses fourmillementsde monstres inconnus. 6+6 a
Dans des millions d'ans,ses pierres ruinées, 6+6 a
Ses moellons croulantsseront les Pyrénées. 6+6 a
1480 En attendant, vois : large,auguste, encombrant l'air, 6+6 a
Il est encor tout neuf,comme bâti d'hier ; 6+6 a
Rien n'ébrèche sa ligneentière et régulière ; 6+6 a
Et son sommet correctsemble une seule pierre 6+6 a
Plate comme le toitd'un palais d'orient ; 6+6 a
1485 Le matin et le soir,en se contrariant, 6+6 a
Font de cette murailleépouvantable et sombre 6+6 a
Tantôt un banc d'auroreet tantôt un bloc d'ombre. 6+6 a
Et fais attentiona présent : — l'air s'émeut ; 6+6 a
Voici que sur le haut,du mur géant, il pleut. 6+6 a
1490 La pluie erre et s'en va,par le vent emportée ; 6+6 a
Mais une goutte d'eausur le fte est restée. 6+6 a
Le lendemain, la brume,humide et blanc rideau, 6+6 a
Revient ; il pleut encore ;une autre goutte d'eau 6+6 a
S'ajoute à la première ;et ; sous cette :rosée, 6+6 a
1495 Une vasque s'ébauche,et la pierre est creusée. 6+6 a
Désormais sur ce pointl'eau va s'obstiner. Vois ; 6+6 a
Il pleut ; et l'on entendcomme une triste voix ; 6+6 a
Peut-être est-ce un démonsous la roche, qui grince 6+6 a
De sentir l'eau plus forteet la pierre plus mince. 6+6 a
1500 Il pleut, il pleut, il pleut ;janvier lugubre et mort 6+6 a
Passe avec l'ombre, il pleut ;la goutte tombe, mord, 6+6 a
Et creuse ; avril arriveet rapporte la nue, 6+6 a
Il pleut ; la goutte d'eau,féroce, continue ; 6+6 a
Et la première assiseest percée ; et déjà 6+6 a
1505 La deuxième, qu'en vainle granit protégea, 6+6 a
Est atteinte ; et la goutte,implacable, acharnée, 6+6 a
Qui dépense le siècleaussi bien que l'année, 6+6 a
Revient, et plonge, et troueet mine, dur foret, 6+6 a
Et le dedans du mont,formidable, appart, 6+6 a
1510 Zone à zone, et voilàque, là-haut, l'aube éclaire, 6+6 a
La goutte étant sphérique,un bassin circulaire. 6+6 a
Un étang que le cieldore, azure, rougit, 6+6 a
Sur le plateau déserts'étale et s'élargit. 6+6 a
La goutte d'eau revient,revient, revient encore, 6+6 a
1515 Et tombe opiniâtre,et se fait dès l'aurore 6+6 a
Rapporter par le ventqui, la nuit, l'enleva, 6+6 a
Et fait ses volontésdans la montagne, et va, 6+6 a
Vient, soumettant le marbreà ses lois triomphantes, 6+6 a
Et passe entre deux plans,et glisse entre deux fentes, 6+6 a
1520 Et démolit et sculpte,infatigable main. 6+6 a
Urne hier, aujourd'huiréservoir, lac demain, 6+6 a
L'œuvre augmente et s'enfonce,et l'œil qui veut la suivre 6+6 a
Croit voir un-trou qu'un verfait aux pages d'un livre. 6+6 a
Penche-toi : devant nous,comme si nous rêvions, 6+6 a
1525 Forant ce monstrueuxmonceau d'alluvions, 6+6 a
D'une lame percéeallant à l'autre lame, 6+6 a
Obéissant au poidsqui d'en bas la réclame, 6+6 a
Hydre outil, vilbrequin ;pioche, trompe, suçoir, 6+6 a
Commençant le matin,recommençant le soir, 6+6 a
1530 Descendant l'escalierde l'épaisseur des couches, 6+6 a
Polissant leurs largeursen murailles farouches, 6+6 a
Élargissant le haut,baissant l'âpre fond noir, 6+6 a
Évasant et fouillantsans cesse l'entonnoir, 6+6 a
Cognant partout, toujours,hiver, printemps, automne, 6+6 a
1535 Son petit marteau sombre,effrayant, monotone, 6+6 a
Usant le mont, coupantle roc, sciant le grès, 6+6 a
Complétant sa ruineet faisant son progrès, 6+6 a
Et profitant d'un creuxpour creuser davantage, 6+6 a
Et d'une argile à l'autre,et d'étage en étage, 6+6 a
1540 Du haut en bas, de blocen bloc, de banc en banc, 6+6 a
Errant, roulant, brisant,sapant, taillant, courbant, 6+6 a
La goutte d'eau travaille,et, terrible ouvrière, 6+6 a
Tord en cercles profondsl'énorme fondrière. 6+6 a
Le vaste mont, battudes aquilons sifflants, 6+6 a
1545 Frémit de voir creuserdans ses ténébreux flancs 6+6 a
Ce puits prodigieuxpar ette vrille infime, 6+6 a
Et de sentir l'atomeen lui créer l'abîme. 6+6 a
Sur ce qui s'édifieet ce qui se détruit, 6+6 a
Laissons rouler du temps,du gouffre et de la nuit. 6+6 a
Et maintenant regarde :
1550 Un cirque ! un hippodrome, 6+6 a
Un théâtre Stamboul,Tyr, Memphis, Londres, Rome, 6+6 a
Avec leurs millionsd'hommes pourraient s'asseoir, 6+6 a
Paris flotteraitcomme un essaim du soir ! 6+6 a
Gavarnie ! un miracle !un rêve !
Architectures 6+6 a
1555 Sans constructeurs connus,sans noms, sans signatures, 6+6 a
Qui dans l'obscuritégardez votre secret, 6+6 a
Arches, temples qu'Aaronou Moïse sacrait, 6+6 a
O champ clos de Tarquin trois-cent milles têtes 6+6 a
Fourmillaient, l'Atlashideux vidait ses bêtes, 6+6 a
1560 Casbahs, At-meïdans,tours, Kremlins, Rhamséions, 6+6 a
nous, spectres, venons, nous nous asseyons, 6+6 a
Panthéons, parthénons,cathédrales qu'ont faites 6+6 a
De puissants charpentiersaux âmes de prophètes, 6+6 a
Monts creusés en pagode vivent des airains, 6+6 a
1565 Aux plafonds monstrueux,sombres ciels souterrains, 6+6 a
Cirques, stades, Élis,Thèbe, arènes de Nîmes ; 6+6 a
Noirs monuments, géants,témoins, grands anonymes, 6+6 a
Vous n'êtes rien, palais,dômes, temples, tombeaux, 6+6 a
Devant ce colyséeinouï du chaos ! 6+6 a
1570 Vois : l'homme fait icile bruit de l'éphémère : 6+6 a
C'est l'apparition,l'énigme, la chimère 6+6 a
Taillée à pans coupéset tirée au cordeau. 6+6 a
L'aube est sur le frontoncomme un sacré bandeau, 6+6 a
Et cette énormitésonge, auguste et tranquille. 6+6 a
1575 Morceau d'Olympe ; resteétrange d'une ville 6+6 a
De l'infini, qu'un êtreinconnu démembra ; 6+6 a
Cour des lions d'un vagueet sinistre Alhambra ; 6+6 a
Gageure de Dédaleet de Titan ; démence 6+6 a
Du compas ivre et roidans la montagne immense ; 6+6 a
1580 Stupeur du voyageurqui suspend son chemin ; 6+6 a
Exagérationdu monument humain. 6+6 a
Jusqu'à la vision,jusqu'à l'apothéose ; 6+6 a
Monde qui n'est pas l'hommeet qui n'est plus la chose ; 6+6 a
Entrée inexprimableet sombre du granit 6+6 a
1585 Dans le rêve, la pierreen prodige finit 6+6 a
Problème ; précipiceédifice ; sculpture 6+6 a
Du mystère ; œuvre d'artde la fauve nature ; 6+6 a
Construction que nieet que voit la raison, 6+6 a
Et qu'achève, au delàdu terrestre horizon ; 6+6 a
1590 Sur le mur de la nuit,la fresque de L'abîme ; 6+6 a
C'est Vignole à la baseet l'éclair sur la cime. 6+6 a
C'est le spectre de toutce que l'homme bâtit, 6+6 a
Terrible, raillant l'homme,et le faisant petit. 6+6 a
La grande pyramideici serait la borne. 6+6 a
1595 le taureau courbévient aiguiser sa corne, 6+6 a
Et tu demanderais :quel est donc ce caillou ? 6+6 a
Plante dans le pavédu cirque d'Arle un clou, 6+6 a
Et ce clou jetteradans l'herbe qui se fane 6+6 a
La même ombre qu'icila colonne trajane. 6+6 a
1600 Quel joueur gigantesquea laissé là ce dé ? 6+6 a
Un mont dort dans un angle,un autre est accoudé 6+6 a
Et la brume à son cous'enfle et pend comme un gtre. 6+6 a
Vois crtre vers la cimeet vers le bas décrtre, 6+6 a
Écaillant de lichensleurs lourds granits vermeils, 6+6 a
1605 Ces grands cercles de bancssuperposés, pareils 6+6 a
A des boas roulésl'un au-dessus de l'autre. 6+6 a
Avec on ne sait quelleattitude d'apôtre, 6+6 a
Un rocher rêve au seuil,et, le long des degrés, 6+6 a
D'autres blocs stupéfaits,voilés, désespérés, 6+6 a
1610 Semblent des Niobés,des Rachels, des Hécubes. 6+6 a
Vois ces pavés ; le moindrea dix mille pieds cubes. 6+6 a
La forme est simple, c'estle cirque ; mais le mur, 6+6 a
A force de grandeuret de vie, est obscur ; 6+6 a
Qu'est-ce que c'est qu'un murvertical, rouillé, fruste, 6+6 a
1615 , comme un bas-relief,le glacier blanc s'incruste ? 6+6 a
Des albâtres, des gneiss,des porphyres caducs 6+6 a
Mêlent à ses créneauxdes arches d'aqueducs, 6+6 a
Et là-bas la vapeursous des frontons estompe 6+6 a
Des éléphants portantdes blocs, baissant leur trompe ; 6+6 a
1620 Ces tours sont les piliersangulaires ; de quoi— ? 6+6 a
Du vide, de l'éther,du souffle, de l'effroi. 6+6 a
L'impossible est icidebout ; l'aigle seul brave 6+6 a
Cette incommensurableet farouche architrave. 6+6 a
Comme, lorsque la terrea tremblé, sont confus 6+6 a
1625 Dans l'herbe, les claveaux,les chapiteaux, les fûts, 6+6 a
Tout se mêle, l'art grecavec l'art syriaque. 6+6 a
Sous les portes croupitl'ombre hypocondriaque. 6+6 a
Vois : tours l'on diraitque chante Beethoven, 6+6 a
Pylône, imposte, cippe,obélisque, peulven, 6+6 a
1630 Tout en foule appart ;soubassements, balustres 6+6 a
l'eau nacrée étaleau jour ses vagues lustres ; 6+6 a
Crevasses pourraienttenir des bataillons ; 6+6 a
Sur les parois des creuxpareils à ces sillons 6+6 a
Qu'aux temps diluviensfaisaient aux seuils des antres 6+6 a
1635 Et dans les grands roseauxdes passages de ventres ; 6+6 a
Là, des courbes, des arcs,des dômes ; par endroits 6+6 a
Des murs carrés, des planségaux, des angles droits ; 6+6 a
Partout la symétrieinconcevable et sûre ; 6+6 a
Des gradins dont on sembleavoir pris la mesure 6+6 a
1640 Aux angles des genouxdes archanges assis ! 6+6 a
Des pinacles géantsportent des oasis ; 6+6 a
Ordre et gouffre ; les pinssemblent sous les arcades 6+6 a
L'herbe ; et les arcs-en-ciels'envolent des cascades. 6+6 a
Tout est cyclopéen,vaste, stupéfiant ; 6+6 a
1645 Le bord fait reculerle chamois défiant ; 6+6 a
L'édifice, étageantses marches que l'œil compte ; 6+6 a
Blanchit de plus en plusà mesure qu'il monte, 6+6 a
Et, de tous les refletsde l'heure s'empourprant, 6+6 a
Passe du roc calcaireau marbre pur, et prend, 6+6 a
1650 Comme pour consacrersa forme solennelle, 6+6 a
Sa dernière cornicheà la neige éternelle 6+6 a
Combien a-t-il de haut ?demande au ciel profond, 6+6 a
Au vent, à l'avalanche,aux vols d'oiseaux qui vont, 6+6 a
Aux douze chutes d'eauque l'ombre entend se plaindre 6+6 a
1655 Dans cet épouvantableet tournoyant cylindre, 6+6 a
Aux gaves, épuisés,d'écume et de combats, 6+6 a
Qui s'écroulent ; torrenten haut, fumée en bas ! 6+6 a
Piranèse effaré,maçon d'apocalypses, 6+6 a
Seul comprendrait ce nœudd'angles, d'orbes, d'ellipses ; 6+6 a
1660 Pourtant l'œil peut encoreen mesurer, le jour, 6+6 a
La forme inexprimableet l'effrayant contour, 6+6 a
Mais sitôt qu'effaçantle bord, le fond, le centre, 6+6 a
Le soir dans l'édificeainsi qu'un brouillard entre, 6+6 a
La forme dispart ;c'est sous le firmament. 6+6 a
1665 Une espèce d'étrangeet morne entassement 6+6 a
De brèches, dé frontons,de cavernes, de porches 6+6 a
les astres :hagardstremblent comme des torches, 6+6 a
Et, dans on ne sait quelcintre démesuré, 6+6 a
De l'étoilé qui flotteavec de l'azuré. 6+6 a
1670 Entre encor plus avantdans la choseante : 6+6 a
Ce cirque, ce bassin,embouchureante, 6+6 a
Imprime un mouvementde roue à l'aquilon, 6+6 a
Et fait de tout le ventqui passe un tourbillon ; 6+6 a
La bise habite :là,trtre et battant de l'aile, 6+6 a
1675 Et la trombe y tournoieen spirale éternelle. 6+6 a
Embûche formidableà prendre l'ouragan ! 6+6 a
Le précipice s'ouvreen gueule de volcan, 6+6 a
Et malheur au nuageerrant qui se hasarde 6+6 a
A venir regarderpar quelque âpre lézarde ! 6+6 a
1680 Sitôt qu'il y pénètre,il ne-peut-plus sortir ; 6+6 a
Il a beau reculer,trembler, se repentir, 6+6 a
Le tourbillon le tient :C'est fini. Le nuage 6+6 a
Lutte, bat le courantcomme un homme qui nage ; 6+6 a
Il roule. Il est saisi !Vois, entends-le gronder. 6+6 a
1685 Il fait de vains efforts,il cherche à s'évader ; 6+6 a
On dirait que le gouffreimplacable le raille ; 6+6 a
Il monte, il redescend ;le long de la muraille, 6+6 a
Fauve, il quête une issue,un soupirail, un trou ; 6+6 a
Étreint par la rafale,égaré, fuyant, fou, 6+6 a
1690 Il vomit ses grêlons,crache sa pluie, et crible 6+6 a
D'aveugles coups d'éclairl'escarpement terrible ; 6+6 a
Et le vieux mont s'émeut,car les rocs convulsifs 6+6 a
Tremblent quand, s'accrochantaux pitons, aux récifs, 6+6 a
Du haut de l'azur calme toujours elle rôde, 6+6 a
1695 Libre et sans souonnerl'immensité de fraude, 6+6 a
A ce sombre entonnoirtrébuchant brusquement, 6+6 a
Et de son épouvanteet de son hurlement 6+6 a
ébranlant la paroi,les tours, la plate-forme, 6+6 a
La tempête, ce loup,tombe en ce piège énorme ! 6+6 a
1700 Voisinage effrayantpour les arbres, tordus 6+6 a
Par le vent ou roulésdans l'abîme, éperdus ! 6+6 a
Du brin d'herbe au rocher,du chêne à la broussaille, 6+6 a
Tout l'horizon autourdu cirque noir tressaille, 6+6 a
Le gave a peur, le pic,par l'orage mouillé, 6+6 a
1705 A le frisson dans l'ombre,et le pâtre éveillé, 6+6 a
Pâle, écoute, et, parmiles sapins centenaires, 6+6 a
Entend rugir la nuitcette fosse aux tonnerres ! 6+6 a
Et ce cirque qui met,au lieu de loups et d'ours, 6+6 a
Les ouragans aux fersdans ses cabanons sourds, 6+6 a
1710 Ce large amphithéâtreau mur inaccessible, 6+6 a
Cet édifice fou,redoutable, impossible, 6+6 a
Fait a l'esprit, et mêmeau delà des titans, 6+6 a
Rêver de tels combatset de tels combattants 6+6 a
Qu'on le croirait bâti,qui sait ? pour la mêlée 6+6 a
1715 Des hydres que d'en basla terre humble et troublée 6+6 a
Entrevoit dans l'horreurdu taillis sidéral ; 6+6 a
Qu'il semble en ce champ closétrange et sépulcral, 6+6 a
Que, sous cette splendideet sublime falaise, 6+6 a
Les constellationspourraient se tordre à l'aise ; 6+6 a
1720 Et que, dans cette arèneinouïe, on a peur 6+6 a
Parfois d'y voir descendreà travers la vapeur, 6+6 a
Pour s'entre-dévorer,les bêtes des étoiles ; 6+6 a
Et d'entendre lutter,là, sous de sombres voiles, 6+6 a
Et hurler et rugirle taureau, monstre ailé, 6+6 a
1725 L'effrayant capricorneaux nuages mêlé, 6+6 a
Le lion flamboyant,tout semé d'yeux funèbres, 6+6 a
Bâillant de la lumièreet mâchant des ténèbres, 6+6 a
Le scorpion tenantdans ses pattes le soir, 6+6 a
Et, se ruant sur tous,le sagittaire noir, 6+6 a
1730 Ce chasseur au carquoisrempli de météores, 6+6 a
Dont par moments on voit,ainsi que des aurores 6+6 a
Qui passent et s'en vontet qu'un sillon d'or suit, 6+6 a
Les flèches d'astres luireet tomber dans la nuit ! 6+6 a
Immensité ! l'espritfrissonne. Quel Vitruve 6+6 a
1735 A bâti ce vertigeet creusé cette cuve ? 6+6 a
Quel Scopas, quel Sostrateou quel Eutinopus 6+6 a
A construit cet attiqueavec des monts rompus ? 6+6 a
Quel Phidias du ciela fait à sa stature 6+6 a
L'âpre sérénitéde cette architecture ? 6+6 a
1740 Qui forgea les crampons ?qui broya les ciments ? 6+6 a
O nature, qui doncà ces escarpements 6+6 a
A lié les torrents,ces chevaux dont les queues 6+6 a
Pendent en crins d'argentdans les cascades bleues ? 6+6 a
Du haut de quel zénithtomba le fil à plomb ? 6+6 a
1745 Qui mesura, toisa ;régla ; tailla ? le long 6+6 a
De quel mur idéala-t-on tracé l'épure ? 6+6 a
De quelle régionde la vision pure 6+6 a
Est sorti le rêveurde ce rêve inouï ? 6+6 a
Quel cyclope savantde l'âge évanoui, 6+6 a
1750 Quel être monstrueux,plus grand que les idées ; 6+6 a
A pris un compas hautde cent mille coudées, 6+6 a
Et, le tournant d'un doigtprodigieux et sûr, 6+6 a
A tracé ce grand cercleau niveau de l'azur, 6+6 a
Rondeur sinistre ayantle gouffre pour fenêtre, 6+6 a
1755 Puits qui, lorsque le soirle noircit, pourrait être 6+6 a
La coupe d'ombre énorme vient boire la-nuit ? 6+6 a
Aux temps , rien n'étantcomplètement construit, 6+6 a
Du chaos encor procheon sentait le mélange, 6+6 a
Quand la montagne étaitencore un tas de-fange ; 6+6 a
1760 Quelque étrange géant,fils de Cham ou de Bel, 6+6 a
A-t-il pris brusquementet retourné Babel, 6+6 a
Et l'a-t-il appuyéeà ce mont, comme on scelle. 6+6 a
Un cachet sur la cireardente qui ruisselle, 6+6 a
De sorte que, léguant,dans le mont affaissé ; 6+6 a
1765 Sa forme renverséeau trou qu'elle a laissé, 6+6 a
La tour s'est dans le rocimprimée en citerne, 6+6 a
Avec sa rampe l'ombreaprès le jour alterne, 6+6 a
Et ses escaliers noirset ses étages ronds ; 6+6 a
Et ses portails : s'ouvranten bouches de clairons 6+6 a
1770 Si bien que maintenantl'œil voit ce moule horrible, 6+6 a
Et le creux dont Babelfut le relief terrible ! 6+6 a
L'auteur, je te l'ai dit ;c'est l'atome ; l'auteur, 6+6 a
C'est ce fil brun rayantl'azur sur la hauteur, 6+6 a
C'est un peu de brouillardd' tombe un peu de pluie, 6+6 a
1775 C'est le grain de cristalqu'un souffle tiède essuie, 6+6 a
C'est, au jour ou dans l'ombre,au matin comme au soir, 6+6 a
La molécule d'eauqui coule du ciel noir, 6+6 a
C'est la larme échappéeaux cils de la nuée ; 6+6 a
C'est ce qui tremble au boutde l'herbe remuée, 6+6 a
1780 Ce qui n'a pas de nom,ce qui ressemble aux pleurs ; 6+6 a
C'est ce que la lumière,en traversant, les fleurs, 6+6 a
Prend et roule en son volsans en être chargée, 6+6 a
Ce qu'un petit oiseauboit dans une gorgée ! 6+6 a
Oui ; ce cirque et ses tours,édifice sacré 6+6 a
1785 le drapeau d'azurdu gouffre est arboré, 6+6 a
Ce théâtre le ventcombat la trombe enfuie, 6+6 a
Voilà ce qu'a construitun atome de pluie. 6+6 a
Quel besoin as-tu doncd'un Vishnou, d'un Allah, 6+6 a
D'un Bouddha, d'un Ammoncornu, pour tout cela ? 6+6 a
1790 Pourquoi sortir du cercle le réel t'enferme ? 6+6 a
A quoi bon détrônerl'élément et le germe ? 6+6 a
Pourquoi donc à la choseôter sa mission ? 6+6 a
Pourquoi forcer l'atomea l'abdication ? 6+6 a
Pourquoi destituer,homme, le grain de sable ? 6+6 a
1795 Quelqu'un qui dise moit'est-il indispensable ? 6+6 a
Tu mets en haut de toutun pronom personnel ! 6+6 a
Quelle rage as-tu doncd'un faiseur éternel ? 6+6 a
Ne peux-tu faire un passans un Très-Haut quelconque ? 6+6 a
L'océan se va-t-ilruer hors de sa conque, 6+6 a
1800 Tout mordre et tout rongersi ton Zéus n'est là 6+6 a
Pour le saisir aux crinset mettre le holà ? 6+6 a
Tout n'est-il qu'une grotteà loger ce druide ? 6+6 a
Crois-tu que le solideétreindra le fluide, 6+6 a
Que la mer manquerad'onde et de gonflement, 6+6 a
1805 Que le soleil fuira,s'éteignant et fumant, 6+6 a
Que le germe oublierale secret de la vie, 6+6 a
Que la terre prendrala route qui dévie, 6+6 a
Ou que la lune vaperdre un de ses quartiers, 6+6 a
Si tu n'as dans un coin,pilant dans les mortiers, 6+6 a
1810 Forgeant, créant, sculptantles os, broyant les poudres, 6+6 a
Un fantôme forgéd'étoiles et de foudres ? 6+6 a
Dis, sans cet arrangeur,vivant, perpétuel, 6+6 a
Soulignant ce qu'il fautchanger au rituel, 6+6 a
Dont tu doutes, songeur,pendant que tu l'implores, 6+6 a
1815 Les lys pâliront-ilssur les robes des flores, 6+6 a
Les violettes, dis,perdront-elles la clé 6+6 a
De la bte aux parfumsdans l'herbe et dans le blé ? 6+6 a
Entre l'ombre passéeet la flamme future, 6+6 a
Dis, l'homme sera-t-il,en sa sombre aventure, 6+6 a
1820 Englouti par hierou détruit par demain, 6+6 a
Si tu n'as, pour sauverle triste germe humain, 6+6 a
Quelque Janus bifront,faisant face aux deux hydres ? 6+6 a
La minute va doncfiger dans les clepsydres, 6+6 a
Le temps, cet ouvriermystérieux qui court, 6+6 a
1825 Au cabestan du cielva donc s'arrêter court, 6+6 a
La lumière, l'aimant,la sève, l'atmosphère, 6+6 a
Vont se déconcerteret ne savoir que faire, 6+6 a
Tout le mouvement vas'interrompre transi 6+6 a
Si ton Brahma ne vientleur crier par ici ! 6+6 a
1830 Avril a-t-il besoind'un mot d'ordre ? Un tonnerre 6+6 a
Est-il un frissonnantet noir fonctionnaire 6+6 a
Attendant que quelqu'unlui fixe son emploi ? 6+6 a
Faut-il donc un veilleurtoujours présent, sans quoi 6+6 a
Les astres manqueraientles heures des aurores ? 6+6 a
1835 Le monde est une tourpleine de bruits sonores ; 6+6 a
Faut-il un horlogerderrière le cadran, 6+6 a
Réglant les poids dans l'ombreet tant de fois par an, 6+6 a
Mettant de l'ordre au ciel,versant l'huile aux rouages 6+6 a
Des globes, des saisons,des vents et des nuages ; 6+6 a
1840 Disant : Vesper, Vénus,rentrez ! sors, Jupiter ! 6+6 a
Donnant à chaque sphèreà son tour dans l'éther 6+6 a
Ou la note qui chante,ou la note qui prie, 6+6 a
Et remontant la vasteet sombre sonnerie ? 6+6 a
Prends-tu pour des pantinset pour des jacquemards 6+6 a
1845 Orion, Sirius,Vesta, Saturne et Mars ? 6+6 a
Et la créationest-elle une fontaine 6+6 a
A mécanique ainsique la Samaritaine ? 6+6 a
As-tu donc peur de voirle monde aller tout seul ? 6+6 a
Faut-il que la forêtdise : — Père, un tilleul ! 6+6 a
1850 Un chêne ! des sapins !donnez-moi de la mousse 6+6 a
Pour que le bruit du ventdans mes antres s'émousse ! 6+6 a
Quoi ! cet échange vasteet saint d'attraction, 6+6 a
Ce flux et ce refluxde la création 6+6 a
Qui jette dehors l'êtreet sans fin le résorbe, 6+6 a
1855 L'univers, ne peut-ilrouler, cercle, flamme, orbe, 6+6 a
Sans que ta terreur crie :il nous fait des étais ! 6+6 a
Sans que l'homme, appelantà l'aide Teutatès, 6+6 a
Irmensul, Bhagavan,Chronos, Théos, échine 6+6 a
Un travailleur divinà tourner la machine ? 6+6 a
1860 Fais ce rêve, homme ! et marche L'erreur te conduit. 6+6 a
Quant à moi ; qui suis l'ombreet qui vais dans la nuit, 6+6 a
Je n'accepterais pas,pour faire des prodiges, 6+6 a
Pour creuser un puits sombreet l'emplir de vertiges, 6+6 a
Pour soulever un monde,effroyable fardeau, 6+6 a
1865 L'échange de ton Dieucontre ma goutte d'eau. 6+6 a
— Oui, mais la goutte d'eau,criai-je, qui l'a faite ? 6+6
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[XIII]
UNE AUTRE VOIX
Swedenborg prit un jourla coupe de Platon, 6+6
Et, pensif, s'en allaboire à l'azur terrible. 6+6 a
1870 Il entra sous le porcheobscur de l'invisible 6+6 a
Et disparut. doncalla-t-il ? Qui le sait ? 6+6 a
Peut-être aux lieux sacrés Socrate pensait, 6+6 a
, dans l'ombre, effleuréde l'urne des Homères, 6+6 a
Le vin de l'idéalsort du puits des chimères. 6+6 a
1875 Peut-être égara-t-ilses pas plus haut encor ; 6+6 a
Jusqu'au gouffre inconnu,jusqu'aux pléiades d'or, 6+6 a
Jusqu'au ruissellementdes fontaines d'aurore, 6+6 a
Jusqu'à l'ombre l'on voitl'inexprimable éclore ; 6+6 a
La sont les cuves : sève,esprit, immensité ; 6+6 a
1880 Là vit, abonde et crtla vigne de clarté 6+6 a
l'on ne trouve pasun seul astre qui dorme, 6+6 a
les créationsfont leur vendange énorme ; 6+6 a
la grappe de vieà flots ruisselle, ayant 6+6 a
La pierre du tombeaupour pressoir effrayant ; 6+6 a
1885 Là sont les infinis,la cause, le principe, 6+6 a
L'être qui s'évaporeen mondes, se dissipe 6+6 a
En astres, et s'épancheen ciel démesuré : 6+6 a
Il revint éperdu,chancelant, effaré, 6+6 a
Ployant sous la lueurfarouche des étoiles ; 6+6 a
1890 Voyant l'homme à traversdes épaisseurs de voiles 6+6 a
Et de tremblants rideauxde lumière , sans fin 6+6 a
Multipliés ; flottaientl'ange et le séraphin ; 6+6 a
Ayant dans son cerveaul'ombre et tous ses délires, 6+6 a
De ses doigts écartéscherchant de vagues lyres, 6+6 a
1895 Nu, bégayant l'abîmeet balbutiant Dieu ; 6+6 a
Rapportant cette joieétrange du ciel bleu 6+6 a
Qui fait peur à la vieet trouble les fils d'Ève, 6+6 a
Et laissant voir, ainsique le monde du rêve, 6+6 a
Dans de blêmes rayonstombés on ne sait d', 6+6 a
1900 Un paradis sinistreau fond de son œil fou. 6+6 a
La raison l'attendait,grave, et lui dit : Ivrogne ! 6+6 a
Esprit, fais ton sillon,homme, fais ta besogne. 6+6 a
Ne va pas au delà.Cherche Dieu. Mais tiens-toi, 6+6 a
Pour le voir, dans l'amouret non pas dans l'effroi. 6+6 a
L'OCÉAN D'EN HAUT
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
I
1905 Et je vis au-dessusde ma tête un point noir. 6+6 a
Et ce point noir semblaitune mouche du soir 6+6 a
Volant à l'heure , l'ombreà prier nous invite. 6+6 a
Et, l'homme, quand il pense,étant ailé, j'eus vite, 6+6 a
Franchi l'éther, qui s'ouvreà l'essor des esprits 6+6 a
1910 Et cette mouche étaitune chauve-souris. 6+6 a
Et ce lugubre oiseauvolait seul dans l'espace 6+6 a
Et disait : — C'est énormeet hideux. Ce qui passe 6+6 a
Devant mes yeux me faittrembler. C'est effrayant. 6+6 a
Quand donc serai-je horsde l'ombre ? Et, me voyant, 6+6 a
Il cria :
1915 Que veux-tude moi, passant rapide ? 6+6 a
Je regarde, éperdu,la matière stupide. 6+6 a
Homme, écoute : je suisl'oiseau noir que trouva 6+6 a
Démogorgon en Greceet dans l'Inde Shiva 6+6 a
Je contemple l'horreurde la sombre nature. 6+6 a
1920 Homme, quel est le sensde l'affreuse aventure 6+6 a
Qu'on appelle univers ?Je le cherche et j'ai peur. 6+6 a
J'interroge ce blocqui n'est qu'une vapeur ; 6+6 a
J'observe l'infinimonstrueux, et je scrute 6+6 a
La taupe et le soleil,l'homme, l'arbre et la brute. 6+6 a
1925 Je suis triste. O passant,comprends-tu ce mot : Rien ! 6+6 a
Ce qu'on nomme le malest peut-être le bien. 6+6 a
Quand un gouffre se comble,un autre puits se creuse. 6+6 a
Tourment, volupté, rireet clameur douloureuse, 6+6 a
Flux et reflux, le justeet l'injuste, le bon, 6+6 a
1930 Le mauvais, blanc et noir,diamant et charbon, 6+6 a
Vrai, faux, pourpre et haillon,le carcan, l'auréole, 6+6 a
Jour et nuit, vie et mort,oui, non ; navette folle 6+6 a
Que pousse le hasard,tisserand de la nuit ! 6+6 a
Connt-on ce qui sert,et sait-on ce qui nuit ? 6+6 a
1935 Tout germe est un fléau,tout choc est un désastre ; 6+6 a
La comète, brûlotdes mondes, détruit l'astre ; 6+6 a
Le même être est victimeet bourreau tour à tour, 6+6 a
Et pour le moucheronl'hirondelle est vautour. 6+6 a
Les cailloux sont broyéspar la bête de somme, 6+6 a
1940 L'âne pt le chardon,l'homme dévore l'homme, 6+6 a
L'agneau broute la fleur,le loup broute l'agneau, 6+6 a
Sombre chne éternelle l'anneau mord l'anneau ! 6+6 a
Et ce qu'on voit n'est rien ;les fils tuant les pères, 6+6 a
Les requins, les Nérons,les Séjans, les vipères, 6+6 a
1945 Cela n'est que peu d'ombreet que peu de terreur ; 6+6 a
L'infiniment petitcontient la grande horreur ; 6+6 a
L'atome est un banditqui dévore l'atome ; 6+6 a
L'araignée a sa toileet le ver son royaume ; 6+6 a
Les fourmilières sontdes Babels ; l'animal 6+6 a
1950 En se rapetissantse rapproche du mal ; 6+6 a
Plus la force décrt,plus la bête est difforme ; 6+6 a
Et, quand il les regardeavec son œil énorme, 6+6 a
Homme, les gouttes d'eaufont peur à l'océan ; 6+6 a
La rosée en sa perlea Typhon et Satan ; 6+6 a
1955 Ils s'y tordent tous deuxà jamais ; l'éphémère 6+6 a
Est Moloch ; l'infusoire,effroyable chimère, 6+6 a
Grince, et si le géantpouvait voir l'embryon, 6+6 a
Le béhémoth fuiraitdevant le vibrion. 6+6 a
Le Moindre grain de sableest un globe qui roule 6+6 a
1960 Trnant comme la terreune lugubre foule 6+6 a
Qui s'abhorre et s'acharneet s'exècre, et sans fin 6+6 a
Se dévore ; la haineest au fond de la faim. 6+6 a
La sphère impereptibleà la grande est pareille ; 6+6 a
Et le songeur entend,quand, il penche l'oreille, 6+6 a
1965 Une rage tigresseet des cris léonins 6+6 a
Rugir profondémentdans ces univers nains. 6+6 a
Toute gueule est un gouffre,et qui mange assassine. 6+6 a
L'animal a sa griffeet l'arbre a sa racine ; 6+6 a
Et la racine affreuseet pareille aux serpents 6+6 a
1970 Fait dans l'obscuritéde sombres guet-apens ; 6+6 a
Tout se tient et s'embrasseet s'étreint pour se mordre ; 6+6 a
Un crime universelet monstrueux est l'ordre ; 6+6 a
Tout être boit un sangimmense, ruisselant 6+6 a
De la créationcomme d'un vaste flanc. 6+6 a
1975 On lutte, on frappe, on blesse,on saigne, on souffre, on pleure. 6+6 a
Tout ce que vous voyezest larve ; tout vous leurre, 6+6 a
Et tout rapidementfond dans l'ombre ; car tout 6+6 a
Tremble dans le mystèreimmense et se dissout ; 6+6 a
La nuit reprend le spectreainsi que l'eau la neige. 6+6 a
1980 La voix s'éteint avantd'avoir crié : Que sais-je ? 6+6 a
Le printemps, le soleil,les bêtes en chaleur, 6+6 a
Sont une chimériqueet monstrueuse fleur ; 6+6 a
A travers son sommeilce monde effaré souffre ; 6+6 a
Avril n'est que le rêveérotique du gouffre ; 6+6 a
1985 Une pollutionnocturne de ruisseaux, 6+6 a
De rameaux, de parfums,d'aube et de chants d'oiseaux. 6+6 a
L'horreur seule survit,par tout continuée. 6+6 a
Et par moments un ventqui sort de la nuée 6+6 a
Dessine des contours,des rayons et des yeux 6+6 a
1990 Dans ce noir tourbillond'atomes furieux. 6+6 a
O toi qui vas ! l'esprit,le vent, la feuille morte, 6+6 a
Le silence, le bruit,cette aile qui t'emporte, 6+6 a
Le jour que tu crois voirpar moments, ce qui luit, 6+6 a
Ce qui tremble, le ciel,l'être, tout est la nuit ! 6+6 a
1995 Et la créationtout entière, avec l'homme, 6+6 a
Avec ce que l'œil voitet ce que la voix nomme, 6+6 a
Ses mondes, ses soleils,ses courants inouïs, 6+6 a
Ses météores fousqui volent éblouis, 6+6 a
Avec ses globes d'orpareils à de grands dômes, 6+6 a
2000 Avec son éternelpassage de fantômes, 6+6 a
Le flot, l'essaim, l'oiseau,le lys qu'on croit béni, 6+6 a
N'est qu'un vomissementd'ombre dans l'infini ! 6+6 a
La nuit produit, le mal,le mal produit le pire. 6+6 a
Écoute maintenantce que je vais te dire : 6+6 a
2005 L'oiseau noir s'arrêta,d'épouvante troublé, 6+6 a
Puis, sombre et frémissant,reprit :
Je suis allé 6+6 a
Jusqu'au fond de cette ombre,et je n'ai vu personne. 6+6 a
Je tressaillis. L'oiseaupoursuivit :
J'en frissonne 6+6 a
À jamais, dans ce gouffre j'erre plein d'effroi ! 6+6 a
2010 Dans cette Obscuritépersonne ne dit : moi ! 6+6 a
Noire ébauche de rienque personne n'achève ! 6+6 a
L'univers est un monstreet le ciel est un rêve ; 6+6 a
Ni volonté, ni loi,ni pôles, ni milieu ; 6+6 a
Un chaos composéde néants ; pas de Dieu. 6+6 a
2015 Dieu, pourquoi ? L'idéalest absent. Dans ce monde, 6+6 a
La naissance est obscèneet l'amour est immonde. 6+6 a
D'ailleurs, est-ce qu'on nt ?est-ce qu'on vit ? quel est 6+6 a
Le vivant, le réel,le certain, le complet ? 6+6 a
Les penseurs, dont la nuitje bats les fronts moroses, 6+6 a
2020 Questionnent en vainla surdité des choses ; 6+6 a
L'eau coule, l'arbre crt,l'âne brait, l'oiseau pond, 6+6 a
Le loup hurle, le vermange ; rien ne répond. 6+6 a
La profondeur sans but,triste, idiote et blême ; 6+6 a
Quelque chose d'affreuxqui s'ignore soi-même ; 6+6 a
2025 C'est tout : sous mon linceulvoilà ce que je sais. 6+6 a
Et l'infini m'écrase,et j'ai beau dire : assez ! 6+6 a
C'est horrible. Toujourscette vision morne ! 6+6 a
Jamais le fond, jamaisla fin, jamais la borne ! 6+6 a
Donc je te le redis,puisque tu passes là : 6+6 a
2030 J'entends crier en bas,Jéhovah, Christ, Allah ! 6+6 a
Tout n'est qu'un sombre amasd'apparitions folles ; 6+6 a
Rien n'existe ; et commentexprimer en paroles 6+6 a
La stupéfactionimmense de la nuit ? 6+6 a
L'invisible s'effaceet l'impalpable fuit ; 6+6 a
2035 L'ombre dort ; les, fœtusse mêlent aux décombres ; 6+6 a
Les formes, aspects vains,se perdent dans les nombres ; 6+6 a
Rien n'a de sens ; et tout,l'objet, l'espoir, l'effort, 6+6 a
Tout est insensé, videet faux, même la mort ; 6+6 a
L'infini sombre au fonddu tombeau déraisonne ; 6+6 a
2040 La bière est un grelot le cadavre sonne ; 6+6 a
Si quelque chose vit,ce n'est pas encor né. 6+6 a
Muet, quoique béant,sourd, lugubre, étonné, 6+6 a
Les ténèbres en lui,hors de lui les ténèbres, 6+6 a
Sans qu'un rayon, éclosdans ces brumes funèbres, 6+6 a
2045 Vienne jamais blanchirl'horizon infini, 6+6 a
Pas même criminel,et pas même puni, 6+6 a
Le monde erre au hasarddans la nuit éternelle, 6+6 a
Et, n'ayant pas d'aurore,il n'a pas de prunelle. 6+6 a
Le monde est à tâtonsdans son propreant. 6+6 a
2050 La nuit triste emplissaitle ciel comme unant ; 6+6 a
Et la chauve-sourisrentra dans l'ombre horrible ; 6+6 a
Et j'entendis l'oiseau,disparu, mais terrible, 6+6 a
Qui criait : — Dieu n'est pas !Dieu n'est pas ! désespoir ! 6+6 a
II
Et je vis au-dessusde ma tête un point noir ; 6+6 a
2055 Et ce point noir semblaitune mouche dans l'ombre. 6+6 a
Et rien n'avait de borneet rien n'avait de nombre ; 6+6 a
Et tout se confondaitavec tout ; l'aquilon 6+6 a
Et la nuit ne faisaientqu'un même tourbillon. 6+6 a
Quelques ; formes sans nom,larves exténuées, 6+6 a
2060 Ou souffles noirs, passaientdans les sourdes nuées ; 6+6 a
Et tout le reste étaitimmobile et voilé. 6+6 a
Alors, montant, montant,montant, je m'envolai 6+6 a
Vers ce point qui semblaitreculer dans la brume ; 6+6 a
Car c'est la loi de l'êtreen qui l'esprit s'allume 6+6 a
2065 D'aller vers ce qui fuitet vers ce qui se tait. 6+6 a
Or ce que j'avais prispour une mouche était 6+6 a
Un hibou, triste, froid,morne, et de sa prunelle 6+6 a
Il tombait moins de jourque de nuit de son aile. 6+6 a
Et ce hibou parlaitdevant lui, sans rien voir, 6+6 a
2070 Comme s'il se savaitécouté dans le noir. 6+6 a
Inquiet, palpitant,il regardait, avide, 6+6 a
Le fond muet de l'ombreinexprimable et vide, 6+6 a
Et, l'œil fixe, attentif,sans louer, sans huer, 6+6 a
Disait :
— Quelqu'un est là.J'ai senti remuer. — 6+6 a
2075 Puis il reprit, parlantà la nuée épaisse : 6+6 a
— Quelqu'un est là. Mais qui ?Doute ! angoisse ! énigme ! Est-ce 6+6 a
Le Juste ou l'Inégal,le Bon ou le Méchant ? 6+6 a
Son nom est-il un cri ?son nom est-il un chant ? 6+6 a
Est-ce un père qui doitplus tard, chassant la crainte, 6+6 a
2080 Resplendir, éclaireurdu profond labyrinthe ? 6+6 a
Est-ce un hermaphrodite,homme et femme, ange et nuit, 6+6 a
Vers qui tout monte et voleet devant qui tout fuit ? 6+6 a
Est-ce un capricieuxqui réprouve ou préfère ? 6+6 a
Est-ce un contemplateurcalme qui laisse faire ? 6+6 a
2085 Est-ce un hideux semeurde vrai, de faux, subtil 6+6 a
Et fort, puissant et trtre ?Il est là ; mais qu'est-il ? 6+6 a
Alors je m'approchaide cette silhouette, 6+6 a
Et je lui demandai :que fais-tu là, chouette ? 6+6 a
Et le noir chat huantme dit : Je guette Dieu. 6+6 a
2090 Je suis la larve affreuseaspirant au ciel bleu ; 6+6 a
Je suis l'œil flamboyantdes ténèbres ; j'épie 6+6 a
La grande forme obscureen l'abîme accroupie. 6+6 a
Moi, je ne la vois pas ;mais je crois qu'elle est là. 6+6 a
Un jour dans l'étendueune voix m'appela. 6+6 a
2095 — Hibou ! me dit Hermèsj'étouffais dans le vide ; 6+6 a
Mais Hermès ægyptus,le grand songeur livide, 6+6 a
M'a pris, tout en rêvantson sacré Pœmander, 6+6 a
Et c'est lui qui m'a faitrespirer un peu d'air. 6+6 a
Je suis-esprit par l'aileet démon par la griffe. 6+6 a
2100 Dans un long papyrus ;informe hiéroglyphe, 6+6 a
Lourd manuscrit de brumehumaine submergé, 6+6 a
Hermès avait écritce qu'il avait songé. 6+6 a
Un soir Hermès, à l'heure l'on sent l'être vivre, 6+6 a
Vit passer l'Inconnuqui lisait dans un livre ; 6+6 a
2105 Et l'Ombre s'approchadu blanc magicien, 6+6 a
Prit le livre d'Hermèset lui laissa le sien. 6+6 a
C'est ce livre que l'Indeépèle, et qu'en sa crypte 6+6 a
La bête Sphynx traduittout bas au monstre Égypte, 6+6 a
Car il est défendude parler haut ; on sent, 6+6 a
2110 Au silence du mondeeffrayé ; Dieu présent. 6+6 a
Dieu ! J'ai dit Dieu. Pourquoi ?Qui le voit ? Qui le prouve ? 6+6 a
C'est le vivant qu'on chercheet le cercueil qu'on trouve. 6+6 a
Qui donc peut adorer ?qui donc peut affirmer ? 6+6 a
Dès qu'on croit ouvrir l'être,on le sent se fermer. 6+6 a
2115 Dieu ! cri sans but peut-être,et nom vide et terrible ! 6+6 a
Souhait que fait l'espritdevant l'inaccessible ! 6+6 a
Invocation vaineaventurée au fond 6+6 a
Du précipice aveugle nos songes s'en vont ! 6+6 a
Mot qui te porte, ô monde,et sur lequel tu vogues ! 6+6 a
2120 Nom mis en questiondans les lourds dialogues 6+6 a
Du spectre avec le rêve,ô nuit, et des douleurs 6+6 a
Avec l'homme, et de l'astreavec les sombres fleurs 6+6 a
Qu'éveillent sur l'étangles froids rayons lunaires ! 6+6 a
Sujet de la querelleénorme des tonnerres ! 6+6 a
2125 Solution que vanuit et jour poursuivant 6+6 a
La polémique obscureet confuse du vent ! 6+6 a
Dieu ! conception folleou sublime mystère ! 6+6 a
Notion que nul — crâne,au ciel ou sur la — terre, 6+6 a
Fût-il surnaturel,ne saurait contenir ! 6+6 a
2130 Quel que soit le passé,quel que soit l'avenir, 6+6 a
Nul ne la saisira,nul ne l'a possédée ; 6+6 a
Et, dans l'urne l'on veutmettre une telle idée, 6+6 a
On sent de toutes partsdes fuites d'infini. 6+6 a
Le ciel à force d'ombreétait comme aplani. 6+6 a
2135 Et l'oiseau, dont l'œil rondjette un reflet de soufre, 6+6 a
Me dit :
Viens, je vais toutt'apprendre. Il est un gouffre. 6+6 a
Comme s'il t tout ditdans ce mot, le hibou 6+6 a
S'arrêta ; puis reprit :
Quand ? pourquoi ? comment ? ? 6+6 a
Tout se tait, tout est clos,tout est sourd ; tout recule. 6+6 a
2140 Tout vit dans l'insondableet fatal crépuscule. 6+6 a
L'être mortel méditeet songe avec effroi 6+6 a
En attendant qu'un jourquelqu'un dise : c'est moi. 6+6 a
La taciturnitéde l'ombre est formidable. 6+6 a
Il semble qu'au delàdu nimbe inabordable, 6+6 a
2145 Une sorte de frontvaste et mystérieux 6+6 a
Se meuve vaguementau plus obscur des cieux ; 6+6 a
Et Dieu, s'il est un Dieu,fit à sa ressemblance 6+6 a
L'universelle nuitet l'éternel silence. 6+6 a
Moi, j'attends. Qui va ntre ?Est-ce l'aube, ou le soir ? 6+6 a
2150 Un de mes yeux est foi ;mais l'autre est désespoir. 6+6 a
J'examine et je plane.O brumes éternelles ! 6+6 a
La nuit rit du regard,l'infini rit des ailes. 6+6 a
Tout devant moi se perd,se mêle et se confond. 6+6 a
Je tâche de saisir,là-bas, dans le profond, 6+6 a
2155 Un moment de clarté,d'oubli, de transparence, 6+6 a
Ou d'entrevoir du moinsle cadavre Espérance, 6+6 a
Afin de pouvoir direau monde épouvanté : 6+6 a
C'est un tombeau ! Le fond,le fait, la vérité, 6+6 a
Le réel, quel qu'il soit,vide ou source féconde, 6+6 a
2160 Voilà ce qu'il me faut,voilà ce que je sonde. 6+6 a
Je suis le regardeurformidable du puits ; 6+6 a
Je suis celui qui veutsavoir pourquoi ; je suis. 6+6 a
L'œil que le torturédans la torture entr'ouvre ; 6+6 a
Je suis, si par hasarddans le deuil qui le couvre, 6+6 a
2165 Ce monde est le jouetde quelque infâme esprit, 6+6 a
La curiositéde ceux dont on se rit ; 6+6 a
Devant l'âme de tout,hélas, peut-être absente, 6+6 a
Je suis l'Anxiétélugubre et grandissante ; 6+6 a
Et je serais géant,si je n'étais hibou. 6+6 a
2170 L'abîme, c'est le monde,et le monde est mon trou. 6+6 a
Triste, je rêve au creuxde l'univers ; et l'ombre 6+6 a
Agite sur mon frontson grand branchage sombre. 6+6 a
Je regarde le videet l'éther fixement, 6+6 a
Et l'ouragan, et l'air,et le sourd firmament, 6+6 a
2175 Et les contorsionssinistres des nuées. 6+6 a
Mes paupières se sontau gouffre habituées. 6+6 a
Toute l'obscuritédu ciel vertigineux 6+6 a
Entre en mon crâne, et tientdans mon œil lumineux. 6+6 a
Je sens frémir sur moile bord vague du cercle ; 6+6 a
2180 L'urne Peut-être ayantl'infini pour couvercle ! 6+6 a
J'ai pour spectacle, au fondde ces limbes hagards, 6+6 a
Pour but à mon esprit,pour but à mes regards, 6+6 a
Pour méditation,pour raison, pour démence, 6+6 a
Le cratère inouïde la noirceur immense ; 6+6 a
2185 Et je suis devenu,n'ayant ni jour ni bruit, 6+6 a
Une espèce de vasehorrible de la nuit, 6+6 a
Qu'emplissent lentementla chimère, le rêve, 6+6 a
Les aspects ténébreux,la profondeur sans grève, 6+6 a
Et, sur le seuil du videaux vagues entonnoirs, 6+6 a
2190 L'âpre frémissementdes escarpements noirs. 6+6 a
Homme, il se fait parfoisdans cette léthargie, 6+6 a
Dans cette épaisseur tristeà jamais élargie, 6+6 a
Comme une déchirureau vent de l'infini. 6+6 a
Alors, moi, le veilleursolitaire et banni, 6+6 a
2195 Je tressaille ; un rayonsort de la plénitude, 6+6 a
Et la création,difforme multitude, 6+6 a
M'appart ; et j'entendsdes bruits, des pas, des voix 6+6 a
Et, dans une clartéde vision, je vois 6+6 a
Ce livide univers,vaste danse macabre, 6+6 a
2200 l'astre tourbillonne, la vague se cabre, 6+6 a
tout s'enfuit ! Je voisles sépulcres, les nids, 6+6 a
Le hallier, la montagne,et les rudes granits, 6+6 a
Du vieux squelette mondeinformes ankyloses, 6+6 a
La plaine vague ouvrantses pâles fleurs écloses, 6+6 a
2205 Les flots démesuréspoussant de longs abois, 6+6 a
Et les gestes hideuxdes arbres dans les bois. 6+6 a
Et d'en bas il m'arriveune musique, obscure, 6+6 a
L'hymne qu'après Hermèsentendit Épicure ; 6+6 a
Tout vibre, et tout devientinstrument ; le désert 6+6 a
2210 Chante, et la forêt donneau farouche concert 6+6 a
Son branchage sonoreet triste, et le navire 6+6 a
Son gréement, dont le ventfait une sombre lyre. 6+6 a
Tout se transforme et courtdans le brouillard trompeur ; 6+6 a
Les morts et les vivantsqui sont une vapeur, 6+6 a
2215 Se mêlent ; le volcan,crête et bouche enflammée, 6+6 a
Vomit un long siphonde cendre et de fumée ; 6+6 a
L'air se tord, sans qu'on sache l'aquilon conduit 6+6 a
Les miasmes perverset trtres de la nuit ; 6+6 a
La marée, immuableet hurlante bascule, 6+6 a
2220 Balance l'océandans l'affreux crépuscule ; 6+6 a
Et la créationn'est qu'un noir tremblement. 6+6 a
On ne sait quelle vieémeut lugubrement 6+6 a
L'homme, l'esquif, le mât,l'onde, l'écueil, le havre ; 6+6 a
Et la lune répandsa lueur de cadavre. 6+6 a
2225 Je cherche, un soupirail.Quel sens peut donc avoir 6+6 a
Ce monde aveugle et sourd,cet édifice noir, 6+6 a
Cette créationténébreuse et cltrée, 6+6 a
Sans fenêtre, sans toit,sans porte, sans entrée, 6+6 a
Sans issue, ô terreur !par moment des blancheurs 6+6 a
2230 Passent ; on apeoitvaguement des chercheurs, 6+6 a
Sans savoir si ce sontréellement des êtres, 6+6 a
Et si tous ces sondeursdu gouffre, mages, prêtres, 6+6 a
Eux-mêmes ne sont pasde l'ombre à qui les vents 6+6 a
Donnent dans le brouillarddes formes de vivants ; 6+6 a
2235 On voit les grands fronts blancsd'Égypte et de Chaldée ; 6+6 a
Et, comme les foatsimmenses de l'idée, 6+6 a
On voit passer au loinles esprits hasardeux 6+6 a
Trnant la pesanteurdes problèmes hideux, 6+6 a
Savants, prophètes, djinns,démons, devins, poètes ; 6+6 a
2240 Et l'abîme leur dit :qu'êtes-vous, si vous êtes ? 6+6 a
Quel est cet univers ?et quel en est l'aïeul ? 6+6 a
Ce qu'on prend pour un cielest peut-être un linceul. 6+6 a
Qui peut dire l'on vogueet qui sait l'on erre ? 6+6 a
Oh ! l'eau terrible ayantdes rumeurs de tonnerre ! 6+6 a
2245 Les sourds chuchotementsdu vent sous l'horizon ! 6+6 a
Entre le jour et nousquelle épaisse cloison ! 6+6 a
Ténèbres. Pourquoi toutparle-t-il à voix basse ? 6+6 a
Tout visage qui rita, dans l'horrible espace, 6+6 a
Derrière lui pour ombreune tête de mort. 6+6 a
2250 Ntre ! mourir ! On entre,entrez. — Sortez, on sort ! — 6+6 a
Et je songe à jamais !à jamais mon œil sombre 6+6 a
Voit aller et venirl'onde énorme de l'ombre ! 6+6 a
A quoi bon ? et vous tous,à quoi bon ? vous vivez ; 6+6 a
Vivez-vous ? et d'ailleurs,pourquoi ? pensez, rêvez, 6+6 a
2255 Mourez ! heurtez vos frontsà la sourde clôture ! 6+6 a
Qu'est-ce que le destin ?qu'est-ce que la nature ? 6+6 a
N'est-ce qu'un même texteen deux langues traduit ? 6+6 a
N'est-ce qu'un rameau doubleayant le même fruit ? 6+6 a
Le lierre qui verdità travers le décombre, 6+6 a
2260 La mer par le couchantchauffée au rouge sombre, 6+6 a
Les nuages ayantles cimes pour récifs, 6+6 a
Les tourmentes volanten groupes convulsifs, 6+6 a
La foudre, les Etnasjetant des pierres ponces, 6+6 a
Les crimes s'envoyantles fléaux pour réponses, 6+6 a
2265 L'antre surnaturel,l'étang plein de typhus, 6+6 a
Les prodiges hurlantsous les chênes touffus, 6+6 a
La matière, chaos,profondeur s'étale 6+6 a
L'air furieux, le feuféroce, l'eau brutale ; 6+6 a
La nuit, cette prison,ce noir cachot mouvant 6+6 a
2270 l'on entend la sombreévasion du vent, 6+6 a
Tout est morne. On a peurquand l'aube qui s'éveille 6+6 a
Fait une plaie au basdes cieux, rouge et vermeille ; 6+6 a
On a peur quand la biseépand son long frisson ; 6+6 a
On a peur quand on voit,vague, à fleur d'horizon, 6+6 a
2275 Montrant, dans l'étendueau crépuscule ouverte, 6+6 a
Son dos mystérieuxd'or et de nacre verte, 6+6 a
Ramper le scarabéeeffroyable du soir. 6+6 a
On a peur quand minuitsur les monts vient s'asseoir. 6+6 a
Pourtant, dans cette masseinforme et frémissante, 6+6 a
2280 Il semble par momentsqu'on saisisse et qu'on sente 6+6 a
Comme un besoin d'hymenet de' paix émouvant, 6+6 a
Toutes ces profondeursde nuée et de vent ; 6+6 a
Tout cherche à se parleret tout cherche à s'entendre ; 6+6 a
La terre, à l'océanjetant un regard tendre, 6+6 a
2285 Attire à son flanc vertce sombre apprivoisé 6+6 a
Mais l'eau quitte le bordaprès l'avoir baisé, 6+6 a
Et retombe, et s'enfonce,et redevient, tourmente ; 6+6 a
Il n'est rien qui n'hésiteet qui ne se démente ; 6+6 a
Le bien prête son voileau mal qui vient s'offrir ; 6+6 a
2290 Hélas ! l'autre côtéde savoir, C'est souffrir ; 6+6 a
Aube et soir, vie et deuilont les mêmes racines ; 6+6 a
Le sort fait la rechercheet l`angoisse voisines ; 6+6 a
D' jaillit le regardon voit sortir le pleur ; 6+6 a
Et, si l'œil dit Lumière,il dit aussi Douleur. 6+6 a
2295 Tout est morne. Il n est pasd'objet qui ne paraisse 6+6 a
Faire dans l'infinides signes de détresse 6+6 a
Et pendant que, lugubreet vague, autour de lui, 6+6 a
Dans la blême fuméeet dans le vaste `ennui, 6+6 a
— Le tourbillon des faitset des choses s'engouffre, 6+6 a
2300 Ce spectre de la vieappelé l'homme, souffre, 6+6 a
Ces deux tragiques voix,Nature, Humanité, 6+6 a
Se font écho, chacuneen son extrémité 6+6 a
La tristesse de l'unsur-l'autre se replie ; 6+6 a
La pâle angoisse humainea la mélancolie 6+6 a
2305 Du plaintif universpour explication ; 6+6 a
Et les gémissementsde là création 6+6 a
Sont pleins de la misèreinsondable de l'homme. 6+6 a
Pourtant vous n'êtes rienque des larves en somme ! 6+6 a
Vous marchez l'un sur l'autre ;obscurs, troubles, dormants, 6+6 a
2310 Fuyants, et tous vos passont des effacements. 6+6 a
Il ne reste de vous,s'il reste quelque chose, 6+6 a
Que l'embryon, peut-êtreeffet, peut-être cause, 6+6 a
Que les rudiments sourds,muets, primordiaux. 6+6 a
L'être éternel est faitd'atomes idiots. 6+6 a
2315 Lui-même est-il ? voilàle sinistre problème. 6+6 a
O semeur, montre-nousdu moins la main qui sème ! 6+6 a
Hermès, mais qui peut voirce qu'a vu l'œil d'Hermès ? 6+6 a
M'a dit qu'il avait vu,du haut des grands sommets, 6+6 a
Au delà du réel,au delà du possible, 6+6 a
2320 Une clarté, refletdu visage invisible ; 6+6 a
Elle éclairait la brume nous nus abîmons ; 6+6 a
Tout le bloc frissonnantdes êtres ; arbres, monts, 6+6 a
Ailes, regards, rameaux,était penché sur elle ; 6+6 a
Et, jetant des éclairssoudains, surnaturelle, 6+6 a
2325 Cette lueur sans fond,qu'on n'osait approcher, 6+6 a
Épouvantait parfoisle chêne et le rocher 6+6 a
Même le plus terribleet le plus intrépide. 6+6 a
Comme c'est immobile,et comme c'est rapide ! 6+6 a
Comme cela s'échappeà de certains moments ! 6+6 a
2330 Comme l'abîme faitd'étranges mouvements ! 6+6 a
Oh ! j'ai beau vouloir fuir,et fuir, et fuir encore ! 6+6 a
La contemplationdu gouffre me dévore. 6+6 a
Oui, je te l'ai dit, oui,sur la sombre hauteur, 6+6 a
Je vois le monde !
Aimants,fluides, pesanteur, 6+6 a
2335 Axes, pôles, chaleur,gaz, rayons, feu sublime, 6+6 a
Toutes les forces sontles chevaux de l'abîme ; 6+6 a
Chevaux prodigieuxdont le pied toujours fuit, 6+6 a
Et qui tirent le mondeà travers l'âpre nuit ; 6+6 a
Et jamais de sommeilà leur fauve prunelle, 6+6 a
2340 Et jamais d'écurieà leur course éternelle ! 6+6 a
Ils vont, ils vont, ils vont,fatals alérions, 6+6 a
Franchissant les zénithset les septentrions ; 6+6 a
Trnant-tous les soleilsdans toutes, les ténèbres, 6+6 a
L'homme sent la terreurlui glacer les vertèbres 6+6 a
2345 Quand d'en bas il entendleur pas mystérieux. 6+6 a
Il dit : — Comme l'orageest profond dans les cieux ! 6+6 a
Comme les vents d'ouestsoufflent là-bas au large ! 6+6 a
Comme les bâtimentsdoivent jeter leur charge, 6+6 a
Et comme-l'océandoit être affreux a voir ! 6+6 a
2350 Comme il pleut cette nuit !comme il tonne ce soir ! 6+6 a
O vivants, fils du temps,de l'espace et du nombre, 6+6 a
Ce sont les noirs chevauxdu chariot de l'ombre. 6+6 a
Écoutez-les passer.L'ouragan tortueux, 6+6 a
La foudre, tout ce bruitdifforme et monstrueux 6+6 a
2355 Des souffles dans les monts,des vagues sur la plage, 6+6 a
Sont les hennissementsdu farouche attelage. 6+6 a
Cette créationest toujours en travail ; 6+6 a
L'astre refait son or,et l'aube son émail, 6+6 a
La nuit détruit le jour,l'onde détruit la digue, 6+6 a
2360 Incessamment, sans fin,sans repos, sans fatigue. 6+6 a
Sans cesse les noirceurs,les germes, les clartés, 6+6 a
Les croisements d'éclairsdans les immensités, 6+6 a
Les effluves, les feux,les métaux, les mercures, 6+6 a
Les déluges profonds,ablutions obscures, 6+6 a
2365 Font des enfantementsdans la destruction ; 6+6 a
La matière est penséeet l'idée action ; 6+6 a
On nt, on se féconde,on vit, on meurt, sans trêve ; 6+6 a
Et parfois j'apeois,même au delà du rêve, 6+6 a
Dans des fonds ou mes yeuxn'étaient jamais venus, 6+6 a
2370 Des levers effrayantsde mondes inconnus. 6+6 a
Oh ! pourquoi ces chaos,si tout vient d'un génie ? 6+6 a
Oh ! si c'est le néant,pourquoi cette harmonie ? 6+6 a
Est-il, Lui ? L'universm'appart tour à tour 6+6 a
Convulsion, puis ordre ;obscurité, puis jour. 6+6 a
2375 S'Il est, pourquoi sent-onle froid de la couleuvre ? 6+6 a
S'Il est, d' vient qu'un verronge toute son œuvre, 6+6 a
La mère dans l'enfant,la fleur dans son pistil ? 6+6 a
Et pourquoi souffre-t-on ?Et pourquoi permet-il 6+6 a
La Douleur, cette immenseet sombre calomnie ? 6+6 a
2380 Qu'est-ce que fait le maldans l'univers ? il nie. 6+6 a
Il dit : — vous rêvez Dieuquand c'est moi qui vous suis. 6+6 a
La preuve qu'il n'est pas,vivants, c'est que je suis. 6+6 a
Est-ce mauvais ou bon ?est-ce splendide ou triste ? 6+6 a
Tout cela suffit-ilpour prouver qu'Il existe ? 6+6 a
2385 Et qu'il est quelque partun Auteur, un Voyant, 6+6 a
Un être épouvantableou secourable, ayant 6+6 a
La distance du malau bien pour envergure ? 6+6 a
Esprit fait monde avecl'abîme pour figure ! 6+6 a
Grand inconnu tenantla pensée en arrêt ! 6+6 a
2390 Mais qui nous dit que l'ombreest ce qu'elle part ? 6+6 a
Est-elle unité sombre ?est-elle foule horrible ? 6+6 a
Ne voit-on de clartéque par les trous d'un crible ? 6+6 a
Cela roule ; sur qui ?Cela tourne ; sur quoi ? 6+6 a
D' vient-on ? va-t-on ?Je ne sais rien. Et toi ? 6+6 a
2395 Et l'oiseau regardade ses deux Yeux mon âme ; 6+6 a
Et je vis de la nuittout au fond de leur flamme. 6+6 a
Et, comme je restaispensif, il poursuivit : 6+6 a
Ombre sur ce qui meurt !ombre sur ce qui vit ! 6+6 a
J'ai lu ceci, qu'Hermèsécrivit sur sa table : 6+6 a
2400 — « Pyrrhon d'Élée étaitun mage redoutable. 6+6 a
« L'abîme en le voyantse mettait à _hennir. 6+6 a
« Il vint un jour au ciel ;Dieu le laissa venir ; 6+6 a
« Il vit la vérité,Dieu la lui laissa prendre. 6+6 a
« Comme il redescendait —car il faut redescendre ; 6+6 a
2405 « L'Idéal met dehorsles sages enivrés ; — 6+6 a
« Comme il redescendaitde degrés en degrés, 6+6 a
« De parvis en parvis,de pilastre en, pilastre, 6+6 a
« De la terre apeu,tenant dans sa main l'astre, 6+6 a
« Soudain, sombre, il tournavers les grands cieux brûlants 6+6 a
2410 « Son poing terrible et pleinde rayons aveuglants, 6+6 a
« Et laissant de ses doigtsjaillir l'astre, le sage 6+6 a
« Dit : je te lâche, ô Dieu,ton étoile au visage ! 6+6 a
« Et la clarté plongeajusqu'au fond de la nuit ; 6+6 a
« On vit un instant Dieu,puis tout s'évanouit. » 6+6 a
2415 Hermès contait encoreavoir vu dans un songe. 6+6 a
Un esprit qui lui dit :— Homme, un doute me ronge. 6+6 a
Je ne me souviens pointd'avoir été créé. 6+6 a
J'étais, je flottais, seul,pensif, pas effrayé ; 6+6 a
Forme au vent agrandie,au vent diminuée, 6+6 a
2420 J'étais dans la nuéeet j'étais la nuée ; 6+6 a
Je nageais dans le rêveet dans la profondeur. 6+6 a
Tout a coup l'universnaquit ; cette rondeur 6+6 a
Entra dans l'horizonqui devint formidable ; 6+6 a
Je ne supposais pasle vide fécondable ; 6+6 a
2425 J'eus un moment d'effroi ;depuis, avec stupeur, 6+6 a
J'examine ce mondeinquiétant ; j'ai peur 6+6 a
D'être dans l'ombre avecquelqu'un de redoutable. 6+6
Hermès s'en est alléles deux mains étendues. 6+6 a
Il cherchait, il sondaitles profondeurs perdues ; 6+6 a
2430 Et comme lui je cherche ;et dans ce que je fais 6+6 a
J'étouffe, comme avantde chercher, j'étouffais. 6+6 a
Car la nuit me punitde vouloir la conntre. 6+6 a
C'est une obscénitéde lever, fût-on prêtre, 6+6 a
Le grand voile pudiqueet sacré de l'horreur. 6+6 a
2435 D'ailleurs, que trouve-t-on ?faux sens, fumée, erreur. 6+6 a
L'illusion, riantde son rire sinistre, 6+6 a
Sort de l'ombre, écrit : FIN,et ferme le registre. 6+6 a
On se perd à descendre,on s'égare à monter. 6+6 a
Chercher, c'est offenser ;tenter, c'est attenter ; 6+6 a
2440 Savoir, c'est ignorer.Isis au bandeau triple 6+6 a
A la surdité morneet froide pour disciple. 6+6 a
Ne pas vouloir est bien,ne pas pouvoir est mieux. 6+6 a
Porte envie à l'aveugle,et n'ouvre pas les yeux. 6+6 a
Tais-toi ! tais-toi ! S'il estquelques bouches frivoles 6+6 a
2445 Qui parlent, ô vivant,sache que les paroles 6+6 a
Troublent l'énormitémenaçante des cieux. 6+6 a
Le muet est plus saintque le silencieux. 6+6 a
Oui, se murer l'oreilleavec, le mur silence ; 6+6 a
Ne jeter aucun poidsdans aucune balance ; 6+6 a
2450 Ne pas toucher aux plislugubres du rideau ; 6+6 a
Oui, garder le bâillon,oui, garder le bandeau ; 6+6 a
Végéter sans vouloir,sans tenter, sans atteindre ; 6+6 a
Laisser les yeux se cloreet les soleils s'éteindre ; 6+6 a
Telle est la loi.
Pourtantje veux ; mais je ne puis. 6+6 a
2455 — Cherche, m'a dit Hermès.Je n'ai rien vu depuis. 6+6 a
Nuée en bas, nuéeen haut, nuée au centre ; 6+6 a
Nuit et nuit ; rien devant,rien derrière ; rien entre. 6+6 a
Par moments, des essaimsd'atomes vains et fous 6+6 a
Qui flottent ; ce-qu'on voitde plus réel, c'est vous, 6+6 a
2460 Mort, tombe, obscuritédes blêmes sépultures, 6+6 a
Cimetières, de Dieuténébreuses cultures. 6+6 a
Mais pourquoi donc ce motme revient-il toujours ? 6+6 a
Est-ce qu'il est l'échode ces grands porches sourds ? 6+6 a
Oh ! n'est-il pas plutôtle vide tout s'achève ; 6+6 a
2465 L'éclat de rire vagueet sinistre du rêve ? 6+6 a
Cependant il faut bienun axe à ce qu'on voit ; 6+6 a
Et, quelque chose étant ;il faut que quelqu'un soit. 6+6 a
Haine ou sagesse, joieou deuil, paix ou colère, 6+6 a
Il faut la clef de vteet la pierre, angulaire ; 6+6 a
2470 Il faut le point d'appui,le pivot, le milieu. 6+6 a
A la roue universil faut bien un essieu. 6+6 a
Croyons ! croyons ! Sans voirla source, on peut conclure 6+6 a
De l'œuvre à l'ouvrier,et de la chevelure 6+6 a
A la tête, et du cercleau centre d' : tout part, 6+6 a
2475 Et du parfum partoutà la fleur quelque part. 6+6 a
Homme, l'Être doit être.Homme, il n'est pas possible 6+6 a
Que la flèche esprit voleet n'ait pas une cible. 6+6 a
Il ne se peut, si vainet si croulant que soit 6+6 a
Ce monde l'on voit fuirtout ce qu'on apeoit ; 6+6 a
2480 Il ne se peut, ô tombe !ô nuit ! que la nature 6+6 a
Ne soit qu'une inutileet creuse couverture, 6+6 a
Que le fond soit de l'ombreaveugle, que le bout 6+6 a
Soit le vide, et que Rienait pour écorce Tout. 6+6 a
Il ne se peut qu'avecl'amas crépusculaire 6+6 a
2485 De ses grands bas-reliefsqu'un jour lugubre éclaire, 6+6 a
Avec son bloc de nuit,de brume et de clarté, 6+6 a
La création soit,devant l'immensité, 6+6 a
Un piédestal ayantle néant pour statue. 6+6 a
Croyons. En disant non,l'esprit se prostitue. 6+6 a
2490 L'Être a beau se cacher,tout nous dit : le voilà ! 6+6 a
Croyons. —
Je me répète,ô songeur, tout cela ; 6+6 a
Mais c'est au-doute affreuxque toujours je retombe ; 6+6 a
Tant la fleur et la foudre,et l'étoile et la trombe, 6+6 a
Et l'homme et le sépulcre,et la terre et le ciel, 6+6 a
2495 Font trembler et fléchirle rayon visuel ! 6+6 a
Tant ce qu'on apeoittrouble ce qu'on suppose ! 6+6 a
Tant l'effet noir voit peudirectement la cause ! 6+6 a
Tant, même aux meilleurs yeux,la brume et le rayon, 6+6 a
Les éléments toujoursen-contradiction, 6+6 a
2500 Les souffles déchnéset les ailes captives, 6+6 a
Ouvrent sur l'inconnude louches perspectives ! 6+6 a
Tant il est malaiséde crier : Vérité ! 6+6 a
Et tant, la certitudea d'obliquité ! 6+6 a
Je regarde et je chercheet j'attends et je songe, 6+6 a
2505 Et le silence froiddevant moi se prolonge. 6+6 a
Par moments, dans l'espace son fantôme a l'air 6+6 a
D'errer avec le vent,la nuée et l'éclair, 6+6 a
Je vois passer Hermès,mon prodigieux mtre. 6+6 a
Abordant ou fuyantl'inconnu qu'il pénètre, 6+6 a
2510 Il rêve, il pense, il tendses deux bras pour prier ; 6+6 a
J'entends alors sa voixformidable crier : 6+6 a
Oh ! l'être ! l'être ! l'êtreeffrayant ! il m'accable 6+6 a
Sous son nom inouï,sombre, incommunicable ! 6+6 a
Je ne le dirai pas !Sois tranquille, infini ! 6+6 a
2515 Puis il passe terrible,après m'avoir béni. 6+6 a
Et moi je reste là,tressaillant, dans la nue. 6+6 a
Et l'oscillationdes gouffres continue. 6+6 a
Oh ! toujours revenirau point d' l'on partit ! 6+6 a
Et derrière le grandtoujours voir le petit. 6+6 a
2520 J'ai beau creuser la vieet creuser la nature ; 6+6 a
J'ai des lueurs de-toutdans ma science obscure, 6+6 a
Mais j'y respire un airde sépulcre ; et j'ai froid. 6+6 a
Oh ! que cet univers,s'il est vide, est étroit ! 6+6 a
Oh ! toujours se heurteraux mêmes apparences ! 6+6 a
2525 Oh ! toujours se briseraux mêmes ignorances ! 6+6 a
S'il existe, d' vientqu'il se cache et qu'il fuit ? 6+6 a
Est-il dans l'universcomme un grain dans le fruit, 6+6 a
Comme le sel dans l'eau,comme le vin dans l'outre ? 6+6 a
Oh ! percer la matièrehorrible d'outre en outre ! 6+6 a
2530 Faire, à travers le bien,le mal ; l'onde et le feu, 6+6 a
L'homme, l'astre et la bête ;une trouée a Dieu ! 6+6 a
Qui le pourra ? personne.Oh ! tout n'est qu'ironie. 6+6 a
Sage celui qui douteet fort celui qui nie ! 6+6 a
Tu cherches aussi l'Être,ô passant ! je te plains. 6+6 a
2535 Les firmaments d'abîmeet d'abîme sont pleins. 6+6 a
La route est longue, va !l'éternel, parallèle 6+6 a
A l'infini, t'aurabien vite brisé l'aile. 6+6 a
Cours, vole, essaie, et cherche,et plane, et sois puni ! 6+6 a
Moi, — l'œil fixe suffittant qu'il n'est pas terni, — 6+6 a
2540 Je reste je suis. Va,monte ! Et prends garde en route 6+6 a
Aux visions qui fontqu'on s'égare et qu'on doute. 6+6 a
Tu trouveras peut-êtreà quelque seuil d'enfers 6+6 a
Des fantômes de feu,de pâles Lucifers, 6+6 a
Punis pour s'être misau front un peu d'aurore, 6+6 a
2545 Larrons de feu célesteou d'infernal phosphore, 6+6 a
Noirs dénicheurs de nidsd'astres dans les rameaux 6+6 a
D' tombent les terreurs,les songes et les maux. 6+6 a
Passe, et va devant toi,sois méfiant, et rôde, 6+6 a
Sans croire à la clarté,dans la nuit, cette fraude ; 6+6 a
2550 Ne suis pas ce qu'on voit,ne suis pas ce qui luit. 6+6 a
A force de vouloiraveugler tout, la nuit 6+6 a
Finit par faire écloreune lueur athée ; 6+6 a
Et les flamboiements sontde l'ombre révoltée. 6+6 a
J'en suis moi-même.
Alorsle hibou frémissant 6+6 a
2555 Se tourna vers la nuit,cherchant l'énorme absent. 6+6 a
On t dit que sa têteet ses deux ailes grises 6+6 a
Dans un pesant filetinvisible étaient prises ; 6+6 a
Il tremblait, puis restaitrêveur comme un vieillard. 6+6 a
Tout à coup il criadans l'immense brouillard : 6+6 a
2560 Profondeurs ! Profondeurs !Profondeurs formidables ! 6+6 a
Embryons éternels,atomes imperdables, 6+6 a
D' sortez-vous ? Substance,air, flamme, moule humain, 6+6 a
Terre ! avez-vous étépétris par une main ? 6+6 a
O parturitionténébreuse de l'Être ! 6+6 a
2565 Je veux trouver, je veuxsavoir, je veux conntre ! 6+6 a
Le vide est impossible,et tout est plein ; tout vit. 6+6 a
Qui le sait ? Le ciel crouleaussitôt qu'on gravit. 6+6 a
Si l'univers nous ditde douter ; ou nous somme 6+6 a
De croire, je l'ignore :Oh ! que dit l'aube à l'homme ? 6+6 a
2570 Que dit le froid mistralet le semoun ardent ? 6+6 a
Vision ! la mer tristeentrechoque en grondant, 6+6 a
Sous les nuages lourdsque les souffles assemblent, 6+6 a
Ses monstrueux airainsen fusion, qui tremblent ! 6+6 a
Les flots font un fracasde boucliers affreux 6+6 a
2575 Se heurtant et l'éclairsépulcral est sur eux ! 6+6 a
Quelle est la foi, le dogmeet la philosophie 6+6 a
Que toute cette horreursombre nous signifie ? 6+6 a
L'étendue, , vaincu ;mon vol s'est arrêté, 6+6 a
Est si lugubrementfaite d'obscurité, 6+6 a
2580 L'obstacle est si fatal,l'ombre est si dérisoire, 6+6 a
Que j'arrive à ne pluscomprendre, à ne rien croire ; 6+6 a
Et je dis à la nuit :pas un être n'est sûr 6+6 a
Même d'un peu de Dieu,nuit, dans un peu d'azur ! 6+6 a
Oh ! la créationest-elle volontaire ? 6+6 a
2585 Un mtre y dit-il moi ?Ciel ! Ciel ! de quel cratère 6+6 a
Du vieux volcan chaos ;sous l'énigme englouti, 6+6 a
Ce monde, éruptionsinistre, est-il sorti ? 6+6 a
Quelqu'un a-t-il soufflésur ses torrents funèbres : 6+6 a
Pour en faire la pierreénorme des ténèbres ? 6+6 a
2590 Quelqu'un l'a-t-il vu laveavant qu'il fût granit ? 6+6 a
Qui donc, sur le versantmonstrueux du zénith, 6+6 a
Figea cette couléeeffrayante d'étoiles ? 6+6 a
Est-il ? S'il est, qu'il parle !Oh ! dis-moi qui tu voiles ; 6+6 a
Ciel morne ! L'être est-ilparce que la vue est ? 6+6 a
2595 Je sens sous l'infinice fantôme muet : 6+6 a
Je le sens ; mais est-il ?Et j'ai beau le poursuivre ; 6+6 a
L'ombre incommensurableet fuyante m'enivre. 6+6 a
Toute ma découverteest, cendre et chute. O deuil ! 6+6 a
Le strabisme effrayantdu doute est dans mon œil ! 6+6 a
2600 Le fil de l'infinidevant moi se dévide. 6+6 a
Que la créationsoit une chose vide, 6+6 a
Cela ne se peut pas. serait la raison ? 6+6 a
Mais d'un autre côté,dans le vaste horizon 6+6 a
Tout souffre ; et tout répondaux questions : je pleure ! 6+6 a
2605 L'esprit comme la chair,le siècle comme l'heure, 6+6 a
Le colosse et l'atomeinfinitésimal. 6+6 a
O nuit ! pourquoi le vide ?Oui, mais pourquoi le mal ? 6+6 a
Oh ! si je trouvais Dieu !Si je pouvais, à force 6+6 a
D'user ma griffe obscureà saisir cette écorce, 6+6 a
2610 Déchirer l'ombre ! voirce front, et le voir nu ! 6+6 a
Ôter enfin la nuitdu visage inconnu ! 6+6 a
Mais rien ! Le ciel est faux,l'astre ment, l'aube est trtre ! 6+6 a
Je n'ai qu'un seul effort,je me cramponne à l'être ; 6+6 a
Je me cramponne à Dieudans l'ombre sans parois ; 6+6 a
2615 Si Dieu n'existait pas !Oh ! par moments je crois 6+6 a
Voir pleurer la paupièrehorrible de l'abîme. 6+6 a
Si Dieu n'existait pas ?si rien n'avait de cime ? 6+6 a
Si les gouffres n'avaientqu'une ombre au milieu d'eux ? 6+6 a
Oh ! serais-je tout seuldans l'infini hideux ? 6+6 a
2620 O vous, les quatre ventssoufflant dans le prodige, 6+6 a
Est-il ? est-il ? est-il ?est-il ? Moi-même suis-je ? 6+6 a
Ne verrai-je jamaisblanchir les bleus sommets ? 6+6 a
Et devons-nous resterface à face à jamais, 6+6 a
Sous l'énigme, idioteet monstrueuse vte, 6+6 a
2625 Lui qui s'appelle Nuit,moi qui m'appelle Doute ! 6+6 a
Et rien ne répondit ;et l'oiseau curieux 6+6 a
Et funèbre, crispantson ongle furieux, 6+6 a
Frémit ; et, se ruantsur l'espèce de face 6+6 a
Qui toujours dans la brumeappart et s'efface, 6+6 a
2630 Poursuivant l'éternelévanouissement, 6+6 a
Tâchant de retenirle vide, le moment, 6+6 a
L'éclair, le phénomèneinforme, le problème, 6+6 a
Et tout ce rien fuyantqu'il ne voyait pas même, 6+6 a
Cherchant un pli, cherchantun nœud, faisant effort 6+6 a
2635 Pour prendre l'impalpableet l'obscur par le bord, 6+6 a
Et pour saisir, dans l'ombre tout essor avorte, 6+6 a
La nuit par le trou noirde quelque étoile morte, 6+6 a
Las, rauque, haletantdans l'insondable exil : 6+6 a
— Mais, spectre, arrache doncce masque ! cria-t-il. 6+6 a
2640 Et je ne le vis plus ;l'ombre avait saisi l'être 6+6 a
Qui voulait saisir l'ombre ;et tout doit dispartre, 6+6 a
Et tout doit s'effacer,et tout, Rhodope, Ossa, 6+6 a
Athos, tout doit passer,et cet oiseau passa. 6+6 a
Seulement, comme un soufflea peine saisissable, 6+6 a
2645 Comme un bruit de fourmiroulant un grain de sable, 6+6 a
Dans le gouffre venaitd'entrer l'oiseau d'Hermès, 6+6 a
J'entendis murmurertout bas ce mot : jamais ! 6+6 a
Toute l'ombre exhalaitun brouillard léthifère. 6+6 a
Et je demeurai là,ne sachant plus que faire 6+6 a
2650 De mes ailes, n'osantni chercher, ni vouloir. 6+6 a
III
Et je vis au-dessusde ma tête un point noir ; 6+6 a
Et ce point noir semblaitune mouche dans l'ombre. 6+6 a
Dans le profond nadirque la ruine encombre, 6+6 a
sans cesse, à jamais,sinistre et se taisant, 6+6 a
2655 Quelque chose de sombreet d'inconnu descend, 6+6 a
Les brouillards indistincts,et gris, fumée énorme, 6+6 a
S'enfonçaient et perdaientlugubrement leur forme, 6+6 a
Pareils à des : chaosl'un sur l'autre écroulés. 6+6 a
Montant toujours, laissantsous mes talons ailés 6+6 a
2660 L'abîme d'en bas, pleinde l'ombre inférieure, 6+6 a
Je volai, dans la brumeet dans le vent qui pleure, 6+6 a
Vers l'abîme d'en haut,obscur comme un tombeau ; 6+6 a
J'approchai de la mouche,et c'était un corbeau. 6+6 a
Et ce corbeau disait :
Ils sont deux ! Zoroastre. 6+6 a
2665 L'un est l'esprit de vie,au vol d'aigle, aux yeux d'astre, 6+6 a
Qui rayonne, crée, aime,illumine, construit ; 6+6 a
Et l'autre est l'araignéeénorme de la nuit. 6+6 a
Ils sont deux ; l'un est l'hymneet l'autre est la huée. 6+6 a
Ils sont deux ; le linceulet l'être, la nuée 6+6 a
2670 Et le ciel, la paupièreet l'œil, l'ombre et le jour, 6+6 a
La haine affreuse, noire,implacable, et l'amour. 6+6 a
Ils sont deux combattants.Le combat, c'est le monde. 6+6 a
L'un, qui mêle à l'azursa chevelure blonde, 6+6 a
Est l'ange ; il est celuiqui, dans le gouffre obscur, 6+6 a
2675 Apporte la clarté,le lys, le-bonheur pur ; 6+6 a
Du monstre aux pieds hideuxil traverse les voiles ; 6+6 a
Sur sa robe frissonneun tremblement d'étoiles ; 6+6 a
Il est beau ! Semant l'êtreet le germe aux limons, 6+6 a
Allumant des blancheurssur la cime des monts, 6+6 a
2680 Et pénétrant d'un feumystérieux les choses, 6+6 a
Il vient, et l'on voit l'aubeà travers ses doigts roses ; 6+6 a
Et tout rit ; l'herbe est verteet les hommes sont doux. 6+6 a
L'autre surgit à l'heure pleurent à genoux. 6+6 a
Les mères et les sœurs,Rachel, Hécube, Électre ; 6+6 a
2685 Le soir monstrueux faitappartre le spectre ; 6+6 a
Il sort du vaste ennuide l'ombre qui descend ; 6+6 a
Il arrête la sèveet fait couler le sang ; 6+6 a
Le jardin sous ses piedsse change en ossuaire ; 6+6 a
De l'horreur infinieil trne le suaire ; 6+6 a
2690 Il sort pour faire faireaux ténèbres le mal ; 6+6 a
Morne, en l'être charnelcomme en l'être aromal, 6+6 a
Il pénètre ; et pendantqu'à l'autre bout du monde, 6+6 a
Abattant les rameauxdu crime qu'il émonde, 6+6 a
L'éblouissant Ormusmet sur son front vermeil. 6+6 a
2695 Cette tiare d'orqu'on nomme le soleil, 6+6 a
Lui, sur l'horizon noir,sinistre, à la nuit brune, 6+6 a
Se dresse avec le masquehorrible de la lune, 6+6 a
Et, jetant à tout astreun regard de côté, 6+6 a
Rôde, voleur de l'ombreet de l'immensité. 6+6 a
2700 Grâce à lui, l'incendieéclos d'une étincelle, 6+6 a
Le jaguar qui dévoreà jamais la gazelle, 6+6 a
La peste, le poison,l'épine, la noirceur, 6+6 a
L'âpre ciguë à quile serpent dit : ma sœur, 6+6 a
Le feu qui ronge tout,l'eau sur qui tout chavire, 6+6 a
2705 L'avalanche, le rocqui brise le navire, 6+6 a
Le vent qui brise l'arbre,étalent sous le ciel 6+6 a
La vaste impunitédu forfait éternel. 6+6 a
Il se penche effrayantsur les dormeurs qui rêvent ; 6+6 a
C'est vers lui qu'à traversl'obscurité s'élèvent 6+6 a
2710 L'hymne d'amour du monstreet le feu du bûcher, 6+6 a
Les langues des serpentscherchant à le lécher, 6+6 a
Tous les dos caressantsdes bêtes qu'il anime, 6+6 a
Et les miaulementsénormes de l'abîme. 6+6 a
Il pousse tous les crisde guerre des humains ; 6+6 a
2715 Dans leurs combats hideuxc'est lui qui bat des mains, 6+6 a
Et qui, lâchant la mortsur les têtes frappées, 6+6 a
Attache cette foudreà l'éclair des épées. 6+6 a
Il marche environnéde la meute des maux ; 6+6 a
Il heurte aux rochers l'ondeet l'homme aux animaux. 6+6 a
2720 Chaque nuit il est prèsde triompher ; il noie 6+6 a
Les cieux ; il tend la main,il va saisir la proie, 6+6 a
Le monde ; — l'océanfrémit, le gouffre bout, 6+6 a
Ses dents claquent de joie,il grince, et tout à coup, 6+6 a
A l'heure les parsis,les mages et les guèbres 6+6 a
2725 Entendent ce banditrire dans les ténèbres, 6+6 a
Voilà que de l'abîmeun rayon blanc jaillit, 6+6 a
Et que, sur le maladeexpirant dans son lit, 6+6 a
Sur les mères tordantleurs mains désespérées, 6+6 a
Sur le râle éperdudes lugubres marées, 6+6 a
2730 Sur le juste au tombeau,sur l'esclave au carcan, 6+6 a
Sur l'écueil, sur le boisprofond, sur le volcan, 6+6 a
Sur tout cet universque l'ombre veut proscrire, 6+6 a
L'aurore épanouitson immense sourire ! 6+6 a
Sous l'univers, hagard,lié d'un triple nœud, 6+6 a
2735 Un être, qui ne saits'il existe, se meut ; 6+6 a
C'est l'idiot ; le sombreenchné de la cave, 6+6 a
Chaos, s'il est permisde nommer cet esclave. 6+6 a
Stupide, il rêve là,connu des spectres seuls, 6+6 a
Caché sous tous les plisque font tous les linceuls, 6+6 a
2740 Ébauche par en hautet par en bas décombre, 6+6 a
Mendiant sourdementun peu de jour dans l'ombre, 6+6 a
Sanglottant au hasard,formidable plreur, 6+6 a
Il tord ses deux moignons,ignorance et terreur ; 6+6 a
Et la pluie éternelleet lugubre l'inonde. 6+6 a
2745 Il rampe dans un trou ;fondrière du monde ; 6+6 a
Sans yeux, sans pieds, sans voix,mordant et dévoré, 6+6 a
Se heurtant aux paroisdes gouffres, effaré 6+6 a
D'éclairs pleuvant sur luicomme sur une cible, 6+6 a
Espèce d'affreux troncayant pour gaine horrible 6+6 a
2750 La coque de l'œuf noird' l'univers sortit 6+6 a
Son crâne sous le poidsdu néant s'aplatit ; 6+6 a
Et l'on voit vaguementtâtonner dans l'informe, 6+6 a
Au fond de l'infini,ce cul-de-jatte énorme. 6+6 a
Il n'entend même pasle bruit que font en haut 6+6 a
2755 Les deux principes dieux,ébranlant son cachot, 6+6 a
Et leurs trépignementssur sa morne demeure. 6+6 a
Le méchant veut qu'il viveet le bon veut qu'il meure. 6+6 a
Ainsi luttent, hélas !'ces deux égaux puissants ; 6+6 a
L'un, roi de l'esprit ; l'autre,empoisonneur des sens ; 6+6 a
2760 Les choses à leur souffleexpirent ou végètent. 6+6 a
Rien n'est au-dessus d'eux.Ils sont seuls. Ils se jettent 6+6 a
L'hiver et le printemps,l'éclair et le rayon ; 6+6 a
Ils sont l'effrayant duelde la création. 6+6 a
Tout est leur guerre ; ils sontdans la flamme, dans l'onde, 6+6 a
2765 Dans la terre les montsfument, dans l'air qui gronde ; 6+6 a
Leurs chocs font tressaillirles firmaments, et font 6+6 a
Trembler les soleils d'orà ce sombre plafond ; 6+6 a
Et le nid, dans la mousse,est leur champ de bataille. 6+6 a
L'abîme est entr'ouvertquand Arimane bâille ; 6+6 a
2770 Alors l'essaim hagarddes hydres se répand. 6+6 a
Les deux colosses, l'unplanant, l'autre rampant, 6+6 a
S'étreignent. l'on voitdeux cœurs qui se haïssent, 6+6 a
Deux dragons qui la nuitl'un vers l'autre se glissent, 6+6 a
Deux forces s'attaquantà grand bruit, deux guerriers 6+6 a
2775 Combattant, deux poignardsdont les coups meurtriers 6+6 a
Se croisent, et parfoisdeux bouches qui se baisent, 6+6 a
Ce sont eux. Noirs assautsqu'aucuns repos n'apaisent ! 6+6 a
Jamais de trêve. Ils sont ;et rien n'existe qu'eux. 6+6 a
Les éléments sont pleinsde leurs cris belliqueux. 6+6 a
2780 Et partout l'on pleureet partout l'on chante, 6+6 a
Dans l'homme, dans le vent,dans la ronce méchante, 6+6 a
Dans la bête des boiset dans les cieux émus, 6+6 a
L'ombre hurle Arimaneet le jour dit Ormus ! 6+6 a
Et dans les profondeurscette lutte s'étale ; 6+6 a
2785 Et l'oscillationest heureuse ou fatale, 6+6 a
Et le large roulisnous bere, ou son reflux 6+6 a
N'emporte que clameurset sanglots superflus, 6+6 a
Et le boa s'enrouleau tronc du sycomore, 6+6 a
Jérusalem voit ntreà son côté Gomorrhe, 6+6 a
2790 Thèbes lègue un linceulde sables à Memphis, 6+6 a
Nemrod luit, Marc-Aurèlea Commode pour fils, 6+6 a
Ou l'océan sourit,et l'abîme et l'étoile 6+6 a
S'entendent pour sauverune petite voile, 6+6 a
Le bois chante ; les nidspalpitent, les oiseaux 6+6 a
2795 Réjouissent les fleursen buvant aux ruisseaux, 6+6 a
La mère, en qui l'orgueilà l'extase se mêle, 6+6 a
Emplit d'elle l'enfantqui presse sa mamelle, 6+6 a
Et l'homme semble un dieude sagesse vêtu, 6+6 a
Et tout grandit en grâce,en puissance, en vertu, 6+6 a
2800 Ou dans le flot du maltout naufrage et tout sombre, 6+6 a
Selon que le hasard,roi de la lutte sombre, 6+6 a
Précipite Arimaneou voile Ormus terni, 6+6 a
Et fait pencher, au fonddu livide infini, 6+6 a
L'un ou l'autre plateaude la balance énorme. 6+6 a
2805 Arimane aux yeux d'ombreattend qu'Ormus s'endorme ; 6+6 a
Ce jour-là, le chaoset le mal le verront 6+6 a
Saisir dans ses bras noirsle ciel au vaste front, 6+6 a
Et, fouillant tout orbiteet peant tous les voiles, 6+6 a
De ce crâne éternelarracher les étoiles ; 6+6 a
2810 Ormus, tout en dormant,frémira de terreur ; 6+6 a
L'immensité, pareilleau bœuf qu'un laboureur 6+6 a
A laissé dans un champténébreux, et qui beugle, 6+6 a
O nuit, s'éveillerale lendemain aveugle, 6+6 a
Et, dans l'espace affreuxsous la brume enfoui, 6+6 a
2815 L'astre éteint chercherale monde évanoui ! 6+6 a
Et le corbeau rentradans l'ombre formidable. 6+6 a
L'infini sous mes piedsreflétait l'insondable ; 6+6 a
Des lueurs y flottaientcomme dans un miroir. 6+6 a
IV
Et je vis au-dessusde ma tête un point noir, 6+6 a
2820 Et ce point noir semblaitune mouche dans l'ombre. 6+6 a
J'y volai. L'eau des mers,sous son flot le plus sombre, 6+6 a
A des monstres obscursqui vont, seuls ou nombreux, 6+6 a
Et l'éther cache aussides êtres ténébreux ; 6+6 a
Sous les ombres on vitcomme on vit sous les ondes. 6+6 a
2825 Je franchis ces hauteurslugubres et profondes, 6+6 a
Et cette mouche taitun vautour.
Il planait 6+6 a
Dans le vide, que nulne sonde et ne connt, 6+6 a
Criant :
— Hé ! le géant !Hé ! l'homme de l'abîme ! 6+6 a
Est-ce que tu n'es pasfatigué ? de ma cime, 6+6 a
2830 J'entends le craquementéternel de tes os. 6+6 a
Ta livide sueurpleut dans l'affreux chaos. 6+6 a
Es-tu bien las ? Réponds.Sur ton immense épaule 6+6 a
Pèse l'énormitémonstrueuse du pôle ; 6+6 a
Le globe, avec les cieux,et les monts chevelus, 6+6 a
2835 Avec les mers roulantles flux et les reflux, 6+6 a
Avec ses dieux ayantdes gouffres pour ancêtres, 6+6 a
Avec sa fourmilièreépouvantable d'êtres, 6+6 a
Avec ses millionsde chocs, de bruits, de pas, 6+6 a
Ses vivants et ses morts…— c'est très lourd, n'est-ce pas ? 6+6 a
2840 Nulle voix ne sortitdu vide pour répondre ; 6+6 a
Et tout continuad'être horrible, et de fondre 6+6 a
La cécité muetteavec l'obscurité. 6+6 a
Et le vautour me vit,et, s'étant arrêté, 6+6 a
Grave et hideux, me dit :
Passant, sache les choses. 6+6 a
2845 Il est des dieux. Ils sontles dieux, mais non les causes. 6+6 a
Il poursuivit :
Je suisle grand vautour béant. 6+6 a
J'étais sur la montagneet j'avais unant. 6+6 a
Pas l'être à qui je viensde parler, mais un autre. 6+6 a
Vous, hommes, votre loi,c'est d'apprendre ; la nôtre, 6+6 a
2850 A nous, les becs d'acier,craints même des tombeaux, 6+6 a
C'est d'arracher la vieet la chair par lambeaux 6+6 a
Il faut au dur vautourla proie ensanglantée. 6+6 a
La mienne me plaisait ;je mangeais Prométhée ; 6+6 a
Quand Orphée apparut,et me dit : Viens. J'allai, 6+6 a
2855 Rauque et tout frémissant,vers cet homme étoilé. 6+6 a
Il chantait, et son hymneétait une prière, 6+6 a
Et, lui, marchait devant,et je volais derrière ; 6+6 a
Et tout ce que je sais,ténèbres, c'est l'esprit, 6+6 a
C'est Orphée au front calmeet doux, qui me l'apprit ; 6+6 a
2860 Stupide, j'ai suivicette voix enchantée ; 6+6 a
Et c'est ainsi que futdélivré Prométhée. 6+6 a
Écoute. En écoutantl'esprit se forme et nt. 6+6 a
Prométhée, à traversles, tourments, m'enseignait ; 6+6 a
Orphée a complétél'œuvre de Prométhée ; 6+6 a
Sache à ton tour.
2865 Le mondeest de l'ombre agitée ; 6+6 a
L'ombre en heurtant ses flotsproduit le chaos noir, 6+6 a
D' sort la masse informeet brute, laissant voir 6+6 a
Dans ses plis ces noirceurs,ces larves, ces chimères 6+6 a
Que la nuit sombre appelleà voix basse les Mères ; 6+6 a
2870 Et le père de tout,c'est le vague étoilé. 6+6 a
L'univers a sur lui,globe d'ombre mêlé, 6+6 a
Trois déesses qui sonttrois aveugles terribles. 6+6 a
Mtresses du réseaudes forces invisibles, 6+6 a
Elles ouvrent sans bruitleurs bras insidieux, 6+6 a
2875 Et prennent les titans,les hommes et les dieux ; 6+6 a
L'œil partout voit surgirune sombre inconnue ; 6+6 a
Sur la terre Vénus,la grande nymphe nue, 6+6 a
En bas, dans l'âpre lieudes mânes redouté, 6+6 a
Le spectre Hécate, en hautl'ombre Fatalité ; 6+6 a
2880 Vénus étreint la vieet rien ne lui résiste, 6+6 a
Hécate tient l'enfer,et, comme un geôlier triste, 6+6 a
L'ombre Destin s'adosseau grand ciel constellé. 6+6 a
On voit sur l'azur noirce fantôme voilé. 6+6 a
Ainsi le monde, enfer,terre et cieux, plein de haines, 6+6 a
2885 Est triple pour souffriret frémit sous trois chnes. 6+6 a
Tout par une noirceurvers un gouffre est conduit. 6+6 a
Hécate, c'est la nuit,le Destin, c'est la nuit, 6+6 a
Et Vénus, c'est la nuit ;Vénus, fauve et fatale, 6+6 a
A deux filles, la mortet la volupté pâle ; 6+6 a
2890 Et Mort et Voluptésont deux ombres qui font 6+6 a
Chacune sous la vieun abîme sans fond. 6+6 a
Ô déités, tenant,les noires et la blonde, 6+6 a
Les entrailles, le cœuret le cerveau du monde, 6+6 a
Et toute la natureattachée à trois fils ! 6+6 a
2895 Les astres sont leurs yeux,les nuits sont leurs profils. 6+6 a
Rien ne peut les fléchir ;c'est en vain qu'on réclame ; 6+6 a
Le sort est tigre, Hécateest sphynx, Vénus est femme. 6+6 a
Une cariatideimmense porte tout : 6+6 a
Tellus en deuil, Neptuneamer, Pluton qui bout, 6+6 a
2900 Arbres, moissons, déserts,flots confus, rocs inertes, 6+6 a
Fleuves laissant trnerleurs longues barbes vertes, 6+6 a
Hommes et champs d' sortun bruit sourd, tournoiements 6+6 a
Des nuages, de jourou d'orage écumants, 6+6 a
Et Pan, qui, dérangeantles branchages des ormes, 6+6 a
2905 Appart vaguementau fond des bois énormes. 6+6 a
Tout est un groupe obscurd'aspects fallacieux ; 6+6 a
Les astres font un bruitde lyres dans les cieux ; 6+6 a
Le porche sidéral,antre du sort, gouverne 6+6 a
Ce monde triple, ciel,terre en fleurs, rouge Averne. 6+6 a
2910 Une grâce lugubreest mêlée à l'effroi. 6+6 a
Partout quelque chaos,dont quelque monstre est roi, 6+6 a
Obéit, dans l'écumeou la flamme ou l'épine, 6+6 a
Aux yeux d'une Amphitriteou d'une Proserpine 6+6 a
Ou de quelque Cybèleau front blond et serein. 6+6 a
2915 Partout se croisent l'eau,le feu, l'autan sans frein, 6+6 a
Les satyres dansants,les nymphes chasseresses, 6+6 a
Et dans le sombre azurdes essors de déesses. 6+6 a
Et, tour à tour, et l'unaprès l'autre, au plus noir 6+6 a
De l'antre, que blanchitl'aube et qu'ombre le soir, 6+6 a
2920 On voit passer, forgeantla lumière ou la brume 6+6 a
Sur l'Heure, étincelanteet ténébreuse enclume, 6+6 a
Le Jour, la Nuit, géants,cyclopes à l'œil rond, 6+6 a
Ayant, l'un le soleil,l'autre la lune, au front. 6+6 a
La Matière est au centre,au fond des sombres vtes, 6+6 a
2925 Hydre, divinité,la plus noire de toutes ! 6+6 a
Tout cherche tout, sans but ;sans trêve, sans repos. 6+6 a
Ces femmes qu'un dieu pousseet dont les blanches peaux 6+6 a
En touchant l'arbre ému,font frémir les écorces, 6+6 a
Ces démons composésd'ivresses et de forces, 6+6 a
2930 Les Ménades aux seinsde Sirène, aux yeux fous, 6+6 a
Passent levant leur robeau-dessus des genoux, 6+6 a
Mêlant les voix, le luth,la timbale et le cistre. 6+6 a
O monde ténébreux,éblouissant, sinistre ! 6+6 a
La fange se soulèveet veut lécher les cieux. 6+6 a
2935 Les cieux n'abhorrent pascet hymen monstrueux. 6+6 a
Omphale aux blonds cheveuxétreint le vaste Hercule. 6+6 a
Tout frémit. Dans le vagueet trouble crépuscule 6+6 a
Les temples entrevusdressent leurs noirs piliers ; 6+6 a
Les flamboiements des yeuxerrent dans les halliers : 6+6 a
2940 Le pâtre attend Phœbé ;l'ombre qui se déchire 6+6 a
Laisse voir le dragon,l'elfe, l'hécatonchyre, 6+6 a
Tâchant de s'enlacer,de s'unir, de sentir ; 6+6 a
La blanche visiondes nymphes fait sortir 6+6 a
Sylvain des bois, Tritondes eaux, Vulcain des forges ; 6+6 a
2945 Pan contemple effaréla nudité des gorges ; 6+6 a
L'arbre est un faune ardentqu'on ne peut assoupir, 6+6 a
Et les antres sont pleinsd'un immense soupir, 6+6 a
Dans l'orageux banquetdes thyrses et des lyres, 6+6 a
Et de toutes les soifsbuvant tous les délires, 6+6 a
2950 Bacchus, environnéde tigres, chante et rit ; 6+6 a
Et, dégorgeant au fonddes cerveaux qu'il flétrit, 6+6 a
Sa fumée âcre vontet viennent des fantômes, 6+6 a
Spectres bleus de l'éther,larves des noirs royaumes, 6+6 a
Les cris, les coups, la rageet le baiser lascif, 6+6 a
2955 Le vin cynique emplitles coupes d'or massif. 6+6 a
On fait un nid de l'ombre,un lit de la matière. 6+6 a
Se ruant les seins nussur la nature entière, 6+6 a
Étonnés, hérissés,debout, couchés, assis, 6+6 a
Les mages de Cybèleet les mages d'Isis, 6+6 a
2960 L'éphèbe au front charmant,les vierges, les prêtresses ; 6+6 a
Les bacchantes livrantaux vents leurs folles tresses, 6+6 a
Naïades, chèvre-pieds,kabyres, ægipans, 6+6 a
Et les hommes chevauxet les femmes serpents, 6+6 a
Les prêtres qu'en passant,bouc rêveur, tu salues, 6+6 a
2965 Les troglodytes rouxaux poitrines velues, 6+6 a
Polyphème, Astarté,Cerbère, Hylas, Atys, 6+6 a
Toutes les passionset tous les, appétits, 6+6 a
S'accouplent, Évohé !rugissent, balbutient, 6+6 a
Et sous l'œil du destincalme et froid, associent 6+6 a
2970 Le râle et le baiser,la morsure et le chant, 6+6 a
La cruauté joyeuseet le bonheur méchant, 6+6 a
Et toutes les fureursque la démence invente ; 6+6 a
Et célèbrent, devantl'esprit qui s'épouvante, 6+6 a
Devant l'aube, devantl'astre, devant l'éclair, 6+6 a
2975 Le mystère splendideet hideux de la chair ; 6+6 a
Et cherchant les lieux sourds,les rocs inabordables, 6+6 a
Échevelés, pâmés,amoureux, formidables, 6+6 a
Ivres, l'un qui s'échappeet l'autre qui poursuit, 6+6 a
Dansent dans l'impudeurfarouche de la nuit ! 6+6 a
2980 Au fte de l'orgieet dans le bruit des coupes, 6+6 a
La géante qui plongeaux flots ses larges croupes, 6+6 a
Dont chaque mouvementpour l'homme est un fléau, 6+6 a
Le monstre aux millionsde visages, Géo, 6+6 a
Sur des Alpes couchéeet montagne comme elles, 6+6 a
2985 Prodigue ses amours,ses lèvres, ses mamelles, 6+6 a
Et, s'ouvrant sans relâcheaux longs embrassements, 6+6 a
Engouffre en ses flancs noirstout un monde d'amants, 6+6 a
Le devin, le rôdeur,des monts, l'homme de l'antre, 6+6 a
Épicure, l'esprit,et Silène, le ventre, 6+6 a
2990 Le rayon, le fumier,et tout l'impur troupeau 6+6 a
Des êtres vils ayantdes toisons sur la peau, 6+6 a
L'ours, l'hyène et le tigreet la louve échauffée, 6+6 a
Et derrière ce groupeaffreux, le pâle Orphée ! 6+6 a
Elle se donne à tousensemble, et, tour à tour, 6+6 a
2995 Les fait rugir de haineet se tordre d'amour, 6+6 a
Les étreint, les ravit,les baise et les dévore. 6+6 a
A ses cils ténébreuxelle mêle l'aurore. 6+6 a
L'homme la voit qui guetteau milieu des roseaux. 6+6 a
Laissant ses cheveux d'herbeondoyer dans les eaux. 6+6 a
3000 Elle chante, appuyantà sa hanche écaillée 6+6 a
Ses coudes de branchageet ses mains de feuillée : 6+6 a
— Viens ! je suis la Nature !Et, charmés, palpitants, 6+6 a
Vaincus, de tous les pointsdu monde en même temps, 6+6 a
Les bergers, les songeurs,les voyants, les colosses, 6+6 a
3005 Les mornes dieux de l'Indeaux têtes de molosses, 6+6 a
Les lourds typhons d'en bas,le peuple hydre et géant, 6+6 a
Pullulant, fécondant,multipliant, créant, 6+6 a
Frémissant d'approcherpeut-être de leur mère, 6+6 a
Fixent leurs fauves yeuxsur l'obscène chimère ! 6+6 a
3010 Et l'écume embrassantle roc sauvage et brut, 6+6 a
Les baisers de l'orageet des vagues en rut, 6+6 a
L'entourent ; et son souffleémeut la bête immonde ; 6+6 a
Et, sans cesse, à jamais,dans l'air, la flamme et l'onde, 6+6 a
A travers l'éternelleet livide vapeur, 6+6 a
3015 La prunelle des nuitsregarde avec stupeur, 6+6 a
Et l'ouragan flagelle,et l'océan caresse 6+6 a
La prostitutionde la sombre déesse ! 6+6 a
C'est ainsi que tout vitet tout meurt, haletant. 6+6 a
L'astre est une étincelleet le siècle un instant. 6+6 a
3020 Le souffle de la mortcouvre à chaque rafale 6+6 a
D'ombres le fleuve Styx,d'oiseaux le lac Stymphale, 6+6 a
Et la guerre aux longs crisplane, et les pestes vont 6+6 a
S'accoupler pêle-mêleau bas du ciel profond, 6+6 a
Elles se dressent, sœursdu meurtre et de l'envie, 6+6 a
3025 Et leurs regards de larveépouvantent la vie. 6+6 a
Et l'on entend, au fonddes brouillards soucieux, — 6+6 a
Hurler la bête fauveeffrayante des cieux, 6+6 a
Le Tonnerre, et, troublés,et prêts à se dissoudre, 6+6 a
Les mers, les bois, les monts,sous les pas de la foudre, 6+6 a
3030 Tremblent, et le vent jetteà travers ses éclats 6+6 a
Les imprécationsdu portefaix Atlas. 6+6 a
Car tout pèse sur lui.Je te l'ai dit, le monde, 6+6 a
Avec l'air bleu, le feuvermeil, l'eau verte et ronde, 6+6 a
Avec l'éther, l'espace,et les ascensions 6+6 a
3035 Splendides et sans fin,des constellations, 6+6 a
Oscille, soutenusur ce vivant pilastre. 6+6 a
Au sommet resplenditl'Olympe, caverne astre. 6+6 a
L'Olympe est couronnéde spectres radieux 6+6 a
Qui seraient des brigandss'ils n'étaient pas des dieux ; 6+6 a
3040 L'Olympe a pour fleuronsles douze dieux sublimes. 6+6 a
Leur rayonnement calmeaveugle les abîmes. 6+6 a
Au-dessous, les Titans,les mammons, les géants, 6+6 a
L'hydre Glaucus gonflantsa croupe d'oans, 6+6 a
Rampent, et les sylvains,les trichines, les dives, 6+6 a
3045 Dans les eaux, sous les plisdes algues maladives, 6+6 a
Serpentent avec l'orphehorrible, et l'anthia, 6+6 a
Et l'impur Géryonqu'Alcide châtia ; 6+6 a
Et l'on distingue en basla race lapidaire, 6+6 a
Gorgone, que la luneen tremblant considère, 6+6 a
3050 Les trois parques branlantla tête sur le bruit 6+6 a
Du rouet le jourest filé par la nuit, 6+6 a
Chronos, face à quatre yeux,Derceto pisciforme ; 6+6 a
Et, comme lé brin d'herbeentre le cèdre et l'orme, 6+6 a
L'homme entre le titanet le dieu dispart, 6+6 a
3055 Les monstres sur son frontfaisant une forêt. 6+6 a
Les douze dieux, ayanttriomphé, sont tranquilles 6+6 a
Et féroces ; ils ontles temples : dans les villes, 6+6 a
Les forêts dans la plaineet les rocs sur les monts ; 6+6 a
Vulcain, par les Brontèset par les Pyracmons, 6+6 a
3060 Leur fait forger la foudreet le vent en armures ; 6+6 a
Dodone les salueavec de sourds murmures ; 6+6 a
Ils sont grands et sereins,et chacun de leurs pas 6+6 a
Mesure un tiers du cieldans son vaste compas. 6+6 a
Toute pudeur sur tiersà leur souffle se fane ; 6+6 a
3065 Jupiter est tyran,Cypris est courtisane ; 6+6 a
Phœbus est assassin ;Pallas tue ; et Junon 6+6 a
A le meurtre au regardfixe pour compagnon ; 6+6 a
Éole fou vomitla pluie échevelée ; 6+6 a
Neptune est la tempêteet Mars est la mêlée ; 6+6 a
3070 Saturne abat la vieavec sa large faulx ; 6+6 a
Parmi les dieux méchantsMercure est le dieu faux ; 6+6 a
Le serpent le souonneet le renard le flaire ; 6+6 a
En haut, l'horrible Amour ;pire que la colère, 6+6 a
Règne, et peant les cœursde flèches, diaprant 6+6 a
3075 La terre de rosierset de tombeaux, il prend 6+6 a
L'univers par les dieuxet les dieux par la femme ; 6+6 a
Telle est l'orgie ; et l'œilva, dans ce monde infâme, 6+6 a
De la substance énormeà l'esprit odieux. 6+6 a
Les fléaux sont titanset les vices sont dieux. 6+6 a
3080 On entend les dieux rire ;on voit leurs vagues trônes 6+6 a
Resplendir au-dessusdes monts Acrocéraunes, 6+6 a
La vie est autour d'euxun sourd frémissement ; 6+6 a
La prière à leurs piedsbte ; l'oracle ment ; 6+6 a
La moitié de la terreest un marais qui trempe 6+6 a
3085 Dans le chaos, cloaque l'être informe rampe ; 6+6 a
Et le ciel est trop baspour qu'Othryx leant 6+6 a
Se puisse à son réveilmettre sur sonant. 6+6 a
Et Tout, c'est toi, Substance !
Oui, l'ombre Pythagore 6+6 a
Voit passer le triton,la nymphe et l'égrégore ; 6+6 a
3090 La Syrène, la nuit,quand brille le halo, 6+6 a
Ouvrant son chant dans l'air,ses nageoires dans l'eau, 6+6 a
C'est toi ; c'est toi, Téthys,la femme aux mains palmées ; 6+6 a
Ces dieux, c'est toi ; c'est toi,ces monstres ; ces pygmées 6+6 a
Et ces géants, c'est toi ;tous ces masques béants, 6+6 a
3095 Corybantes hurlantles cyniques pæans, 6+6 a
Stryges, psylles, c'est toi ;c'est toi, ces myriades 6+6 a
De méduses, d'éons,de faunes, de dryades ; 6+6 a
C'est toi, cette stupeur,c'est toi, ce mouvement, 6+6 a
Matière ! bloc inerteet noir fourmillement ! 6+6 a
3100 Et, devant ce chaos,toute philosophie 6+6 a
Pousse un cri, puis se tait,rêve et se pétrifie. 6+6 a
Quant à l'homme, qu'est-il ?Rien. Et je te l'ai dit. 6+6 a
Fait d'un peu de limonque Jupiter perdit, 6+6 a
N'ayant, sous l'affreux cield' tombe la sentence, 6+6 a
3105 Ni loi, ni liberté,ni droit, ni résistance, 6+6 a
Il n'est que le hochetdes monstres.
Nu, fatal, 6+6 a
L'homme commet le crimeet les dieux font le mal, 6+6 a
L'homme, face au vil souffleet bouche aux plaintes vaines, 6+6 a
Sent en lui, dans ses os,dans ses nerfs, dans ses veines, 6+6 a
3110 Germer l'arborescencehorrible du destin. 6+6 a
Tout-banquet est suspect ;les dieux sont du festin ; 6+6 a
Atrée offre la coupeaux lèvres de Thyeste ; 6+6 a
Oreste est parricideet Jocaste est inceste ; 6+6 a
Phèdre a peur, Myrrha tremble,et Pasiphaè fuit ; 6+6 a
3115 Hélas ! elles ont bules philtres de la nuit ! 6+6 a
Le sort est un bandit ;la vie est une folle. 6+6 a
Le glaive nt du glaive.Agamemnon immole 6+6 a
Sa fille, et Clytemnestre,immole Agamemnon. 6+6 a
— Justice ; crie Ajax,es-tu ? — La Mort dit : Non. 6+6 a
3120 Médée est ivre et rit.Oh ! comme vous pleurâtes, 6+6 a
Cassandre, dans l'horreurdes ombres scélérates ! 6+6 a
Quoique innocents, il vontcomme des criminels. 6+6 a
Autour d'eux à jamaisse dressent éternels 6+6 a
Le remords, le bois triste l'on entend des râles, 6+6 a
3125 Le meurtre ; et l'entourage,affreux des spectres pâles. 6+6 a
Apollon forcenése jette, sombre amant, 6+6 a
Sur Daphné ; c'est Daphnéqu'atteint le châtiment. 6+6 a
Thémis aveugle tientla balance incertaine. 6+6 a
Tout est dragon, serpent,hydre, polype, antenne, 6+6 a
3130 Griffe, ongle, serre ; et l'hommeest pris dans les anneaux 6+6 a
'De Géo, de Typhon,d'Éole et d'Ouranos. 6+6 a
Tous les arbres de l'ombreont de fatales pommes. 6+6 a
Il suffit de passerdans le taillis des hommes 6+6 a
Pour secouer la brancheexécrable des maux. 6+6 a
3135 Le crime et l'équitésont deux néants jumeaux 6+6 a
Que dans le même abîmeemporte la même aile. 6+6 a
Sans voir, sans regarder,sans choisir, pêle-mêle, 6+6 a
Le dieu d'en bas, l'inepteet ténébreux Hadès 6+6 a
Jette vieillards, enfants,guerriers, rois sous le dais, 6+6 a
3140 A l'égout Styx, pleutl'éternelle immondice ; 6+6 a
Sourd ; même pour Orphée,il lui prend Eurydice. 6+6 a
Tout est dérision.Vénus étreint Psyché. 6+6 a
Achille meurt par sa mère l'a touché. 6+6 a
Oh ! les mères ! Cherchezles fils, cherchez la joie ! 6+6 a
3145 Niobé devient pierreet nuit ; Hécube aboie. 6+6 a
Être chaste. À quoi bon ?Vivre austère. Pourquoi ? 6+6 a
Plus de vertu contientplus d'ombre et plus d'effroi. 6+6 a
Les assassins, creuseursde fosses à la hâte, 6+6 a
Le voleur, écoutantà la, porte qu'il tâte, 6+6 a
3150 Ne sont pas plus troublésqu'œdipe au front pieux. 6+6 a
Comme le sangliers'abat sous les épieux. 6+6 a
L'homme tombe percépar les carquois célestes. 6+6 a
Les grands sont les maudits,les bons sont les funestes. 6+6 a
Le ciel sombre est croulantsur les hommes ; l'autel, 6+6 a
3155 Calme et froid, à celuiqui l'embrasse est mortel, 6+6 a
Une Eurydice dortsur les marches du temple ; 6+6 a
Le meilleur, si le sortveut en faire un exemple, 6+6 a
N'a plus de cœur ; n'a plusd'entrailles, n'a plus d'yeux, 6+6 a
Ploie et meurt sous le poidsformidable des dieux. 6+6 a
3160 Les générationss'envolent dissipées. 6+6 a
Les jours passent ainsique des lueurs d'épées. 6+6 a
Au-dessus des vivantsle sort lève le doigt. 6+6 a
Nul ne fait ce qu'il fait ;nul ne voit ce qu'il voit. 6+6 a
Nais : la main du sort s'ouvre.Expire : elle se ferme. 6+6 a
3165 Nul ne sait rien de plus.Guerres sans but, sans terme, 6+6 a
Sans conscience, écumeaux dents, et glaive au poing ! 6+6 a
La bouche mord l'oreilleet ne lui parle point 6+6 a
Le sourd étreint l'aveugle ;on lutte, on se dévore 6+6 a
On se prend ; on se quitte,on se reprend encore ; 6+6 a
3170 Et nul n'est jamais libreun instant sous les cieux ; 6+6 a
Ce que le destin lâcheest repris par les dieux ; 6+6 a
Ce qu'épargnent les dieuxfatigués, l'amour trtre. 6+6 a
Le ressaisit ; tout saigneet tout souffre, sans être. 6+6 a
Le penseur voit, au-borddes noirs destins venu, 6+6 a
3175 Se prolonger sans findans le gouffre inconnu, 6+6 a
Cette agitationdes vagues de ténèbres. 6+6 a
sont les grands, les forts,les puissants, les célèbres ? 6+6 a
Ils sont la fuméeest allée, les bois 6+6 a
Ont envoyé les bruits,les souffles et les voix ; 6+6 a
3180 Et le sourd néant dit :ce n'était pas la peine. 6+6 a
Et maintenant, Platon,Socrate, Callysthène, 6+6 a
Diogène, Zénon,Démocrite, Archytas, 6+6 a
Thalès, Cratès, Pyrrhon,Anaxagore, ô tas 6+6 a
De sages, répondez :qu'est-ce que la sagesse ? 6+6 a
3185 Veille ou dors, viens ou fuis,nie ou crois, prends ou laisse. 6+6 a
Sois immonde ou sois pursois bon ou sois pervers ; 6+6 a
Insulte l'aube, ou rissous les feuillages verts ; 6+6 a
Montre-toi, cache-toi ;va-t-en,demeure, oscille ; 6+6 a
Ignore, ou bien apprends ;pense, ou sois imbécille. 6+6 a
3190 Science humaine ! essaide regard ! louche effort 6+6 a
Pour faire un trou de flammeau mur brumeux du sort ! 6+6 a
Imprécation sombreet pleine d'anathèmes ! 6+6 a
Esprit humain ! rumeur !passage de systèmes ! 6+6 a
Place publique vontet viennent, dans le soir, 6+6 a
3195 Les projets de penserque l'homme peut avoir ! 6+6 a
Le monde est une meuleà broyer, la pensée. 6+6 a
Après une scienceépuisée et lassée, 6+6 a
Une doctrine vientcriant : qu'est-ce que c'est ? 6+6 a
Et passe en redisantce que l'autre disait. 6+6 a
3200 Tous répètent — Pourquoi ?pourquoi ? — Nul ne devine 6+6 a
L'obscur secret de l'ombreinfernale et divine. 6+6 a
— Comment sortir ? commententrer ? Vouloir, savoir, 6+6 a
Ouvrent-ils les verrousde ce dédale noir ? 6+6 a
Essayons de la mort !Essayons de la vie ! 6+6 a
3205 La volonté se sentpar le destin suivie. 6+6 a
Si nous redescendionsou si nous remontions ? 6+6 a
Quelle est l'issue, ô nuit ?— Toutes les questions 6+6 a
Ont des portes d'énigmeet des yeux de fantôme ; 6+6 a
Et, tristes, et courbéssous le ténébreux dôme, 6+6 a
3210 Les songeurs frissonnantscherchent les sombres clefs 6+6 a
Dans la sereine horreurdes gouffres étoilés. 6+6 a
Et chacun d'eux, penchésur l'ombre tout s'achève, 6+6 a
Jette à qui passeraces noirs conseils du rêve : 6+6 a
— La prière est sans but.L'être est un fait hagard. 6+6 a
3215 Ne te mets pas en fraisd'amour pour le hasard. 6+6 a
Chante ou maudis. Qu'importeau destin que tu l'aimes ? 6+6 a
Les pas du genre humainsont-bordés de problèmes. 6+6 a
La vie est l'avenueeffrayante des sphinx. 6+6 a
L'orgueil et-la science,yeux de paon, yeux de lynx, 6+6 a
3220 Aboutissent au mêmeavortement ; et l'homme. 6+6 a
Tremble, et sent des démonsdans tous les dieux qu'il nomme. 6+6 a
Prométhée a voulusortir de cette nuit, 6+6 a
Éclairer l'homme au fonddu mystère introduit ; 6+6 a
Labourer, enseigner,civiliser, et faire 6+6 a
3225 Du globe une vivanteet radieuse sphère ; 6+6 a
Tirer du roc sauvageet des halliers épais 6+6 a
Les éblouissementsde l'ordre et de la paix, 6+6 a
Défricher la forêtmonstrueuse de l'être, 6+6 a
Et faire vivre ceuxque le destin fait ntre ; 6+6 a
3230 Il a voulu sacrerla terre, ouvrir les yeux, 6+6 a
Mettre le pied de l'hommeà l'échelle des cieux, 6+6 a
Soumettre la natureet que l'homme la mène, 6+6 a
Diminuer les dieuxde la croissance humaine, 6+6 a
Couvrir les cœurs d'un pande l'azur étoilé, 6+6 a
3235 Faire du ver rampantjaillir l'esprit ailé, 6+6 a
Tendre une chne d'orentre l'arbre et la ville, 6+6 a
Au Tartare à jamaisplonger la haine vile, 6+6 a
Lier le mal horribleau chaos épineux, 6+6 a
Et fonder, dans le cœurdes hommes lumineux, 6+6 a
3240 Afin que la raisonl'achève et le bâtisse, 6+6 a
Un temple ; et remplacerAtlas par la justice. 6+6 a
Les dieux l'ont puni. Seul,vaincu, saignant, amer, 6+6 a
Il est tombé, pleurédes filles de la mer ; 6+6 a
Et moi, j'ai bu le sangde l'enchné terrible. 6+6 a
3245 Tout est mort maintenant ;et, dans l'ombre inflexible, 6+6 a
Sous le rayonnementdes boucliers divins, 6+6 a
Les efforts des géantset des hommes sont vains. 6+6 a
Toutefois, tant qu'il resteun peu d'air ; l'oiseau vole. 6+6 a
Orphée en me quittantm'a dit cette parole : 6+6 a
3250 « Être ailé ; l'aile est bonneet sainte. Souviens-toi 6+6 a
Qu'espérer est la forceet qu'atteindre est la loi. 6+6 a
« L'obstacle est là ? passants ;il attend qu'on le brise. 6+6 a
« Ce qu'a fait Prométhéeest fait ; la flamme est prise ; 6+6 a
« Elle est sur terre ; elle estquelque part ; l'homme peut 6+6 a
3255 « La retrouver ; grandir ;vivre, exister, s'il veut ! 6+6 a
« S'il sait penser, gravir,creuser ; saisir, étreindre, 6+6 a
« S'il ne laisse jamaisle saint flambeau s'éteindre, 6+6 a
« S'il se souvient qu'il peut,puisque l'idée a lui, 6+6 a
« Allumer quelque choseen lui de plus que lui, 6+6 a
3260 « Qu'il doit lutter, que l'aubeest une délivrance, 6+6 a
« Et qu'avoir le flambeau,c'est avoir l'espérance ; 6+6 a
« Car deux sacrés rayonscomposent la clarté, 6+6 a
« Et l'un est la puissance,et l'autre est la beauté. » 6+6 a
Ô vautour, dans la nuitsans fond qui nous assiège, 6+6 a
3265 donc est la clartédont tu parles ? criai-je. 6+6 a
J'attendais la réponse,il avait disparu. 6+6 a
Il s'était effacésans même avoir décru. 6+6 a
Ainsi vient, tourbillonneet fuit la feuille morte 6+6 a
Au vent que la nuit faitquand elle ouvre sa porte, 6+6 a
3270 A l'heure sur les montsle pâtre vient s'asseoir. 6+6 a
V
Et je vis au-dessusde ma tête un point noir. 6+6 a
Et ce point noir semblaitune mouche dans l'ombre. 6+6 a
Comme lorsque la luneau fond des brouillards sombre, 6+6 a
Une vague lueurflottait ; l'immensité 6+6 a
Blanchissait.
3275 Je reprisma course, et je montai 6+6 a
Dans l'air que je fendaisd'une aile prompte et sûre, 6+6 a
Vers le point qu'on voyaitdans l'espace ; à mesure 6+6 a
Que je montais, l'objetgrossissait, et, pareil 6+6 a
Aux figures qu'on voitcrtre dans le sommeil, 6+6 a
3280 Il prenait une formeétrange ; et cette mouche 6+6 a
Était un aigle au voltournoyant et farouche. 6+6 a
Le vide était moins sombreet le vent moins mauvais. 6+6 a
Chacun des noirs oiseauxvers qui je m'élevais, 6+6 a
Comme jadis le mageétait loin de l'apôtre, 6+6 a
3285 Volait seul dans sa zoneet ne voyait pas l'autre. 6+6 a
L'aigle criait :
Qui doncest là, gouffre hideux ? 6+6 a
Qui donc dit : il n'est pas !Qui donc dit : ils sont deux ! 6+6 a
Qui donc dit : — Ils sont douze,ils sont cent, ils sont mille ; 6+6 a
Ils emplissent l'azurcomme un peuple une ville ; 6+6 a
3290 Et le ciel serait clair,limpide et radieux, 6+6 a
S'il n'était obscurcidu noir essaim des dieux. — 6+6 a
Ô vents, il est ! Abîme !il est seul. Seul, vous dis-je ! 6+6 a
Ténèbres, demandezaux soleils. Le prodige, 6+6 a
Ô gouffres, ce seraitqu'il ne fût pas. Je suis 6+6 a
3295 L'aigle éclairé d'en hautqui plane au fond des nuits ; 6+6 a
Je suis la bête à quiressemble le génie ; 6+6 a
J'ai dans mon œil hagardla lueur infinie ; 6+6 a
Je suis le grand voyantet le grand inquiet. 6+6 a
J'étais près de Moïsealors qu'il s'écriait : 6+6 a
3300 Ô soleil ! nourricierdu monde ! anachorète ! 6+6 a
Seul au fond du grand cielcomme en une retraite ! 6+6 a
Père de l'aube, roidu jour ; mtre du feu, 6+6 a
Écarte tes rayons,que je puisse voir Dieu ! 6+6 a
Au pied du Sina sombre,il dit : Qui m'accompagne ? 6+6 a
3305 J'ai dit : moi ! — J'étais là,quand, montant la montagne, 6+6 a
Il s'enfonça, superbeet tremblant à la fois, 6+6 a
Dans le nuage pleinde foudres et de voix ; 6+6 a
J'ai suivi le prophèteen cette ombre livide… — 6+6 a
Ô sanglots de la mèreauprès du berceau vide, 6+6 a
3310 Ô chne de l'esclave,ô sceptre de Néron, 6+6 a
Toi, peste au souffle impur,toi, guerre au fier clairon, 6+6 a
Éperviers qui guettezla caille à sa sortie, 6+6 a
Broussailles de l'horreur,ronce, aconit, ortie, 6+6 a
Ô Fatalité, spectreà l'œil morne, au pas lent, 6+6 a
3315 Mal, millepieds hideuxsur l'homme fourmillant, 6+6 a
Chimère Obscuritéqui trnes tes vertèbres, 6+6 a
Chouette Nuit, crapaudChaos, taupes Ténèbres, 6+6 a
Vieux ciel noir du néant,suaire du ciel bleu, 6+6 a
Vous mentez, vous mentez,vous mentez, j'ai vu Dieu ! 6+6 a
3320 En ce moment l'oiseausuprême et solitaire 6+6 a
M'apeut ; fauve, il dit :
— Quel est ce ver de terre ? 6+6 a
De quel droit voles-tudans l'ombre tu rampas ? 6+6 a
Est-ce toi qui disaistout à l'heure : il n'est pas ? 6+6 a
Si c'est toi
— je n'osaisparler
Si c'est toi, sache 6+6 a
3325 Qu'il se montre surtoutdans tout ce qui le cache. 6+6 a
Qu'es-tu ? Réponds. Sais-tule but, l'objet, la loi ? 6+6 a
Sais-tu pourquoi le taonmord la vache, pourquoi 6+6 a
L'oiseau mange la moucheet le ver le concombre ? 6+6 a
Dis ? sont les poumonsdu vent ? Connais-tu l'ombre ? 6+6 a
3330 Es-tu dans le secret ?Et, quand il a tonné, 6+6 a
Sais-tu ce qu'on a dit ?As-tu questionné 6+6 a
Les flots, quand vers l'écueilque bat leur inclémence 6+6 a
Ils viennent, commentantdans leur rumeur immense 6+6 a
Les actes inconnusde l'onde et de la nuit ? 6+6 a
3335 L'univers est un texteobscur ; l'as-tu traduit ? 6+6 a
Qu'est-ce que nous voulaientles aurores enfuies ? 6+6 a
Pourquoi le larmoiementformidable des pluies ? 6+6 a
Comment l'arbre tient-ildans le pépin du fruit ? 6+6 a
As-tu questionnéle Gibel et son bruit, 6+6 a
3340 L'Atlas et son semoun,l'Alpe et son avalanche ? 6+6 a
Connais-tu la Jungfrau,la grande vierge blanche ? 6+6 a
T'a-t-elle dit le fondde la virginité ? 6+6 a
As-tu rempli ta crucheau puits éternité, 6+6 a
Et ta stupiditépuise-t-elle à l'abîme ? 6+6 a
3345 Parle. Ton ignorance,homme, est-elle la dîme 6+6 a
Que tu viens prélever,précédé du corbeau, 6+6 a
Sur la science étrangeet morne du tombeau, 6+6 a
Brume se sont perdustant de mages célèbres ? 6+6 a
T'es-tu penché pour boirea, même les ténèbres ? 6+6 a
3350 Et t'es-tu redressésur le vide tu vas, 6+6 a
Recrachant ta gorgéeet criant : Dieu n'est pas ! 6+6 a
En est-il ainsi, brute ?En ce cas, je m'afflige 6+6 a
De te voir. C'est Dieu seulqui règne et vit, te dis-je, 6+6 a
Et Dieu seul qui survit.Fais-tu le froid, le chaud, 6+6 a
3355 La nuit, l'aube ? Est-ce toiqui fais hurler là-haut 6+6 a
L'orage maniaque,et toi qui le fais taire ? 6+6 a
Es-tu le personnageimmense du mystère ? 6+6 a
Prouve-le-moi. Voyons,homme. Quand le torrent, 6+6 a
Cet ouvrier terrible,inquiet, dévorant, 6+6 a
3360 Sciant les rocs, trnantles terres aux campagnes, 6+6 a
Se met à décharnerdans l'ombre les montagnes, 6+6 a
Empêche-le donc ! disà l'océan à bas ! 6+6 a
Est-ce toi qui, prenantles lions, les courbas 6+6 a
Si bien qu'on ne sait plus,dans leurs fuites funèbres, 6+6 a
3365 Si ce sont des lionsou si ce sont des zèbres ! 6+6 a
Es-tu de ceux qui vontdans l'inconnu sans-voir, 6+6 a
Qui se heurtent la nuità l'immense mur noir, 6+6 a
Et qui, battant l'obstacleavec leurs sombres : ailes, 6+6 a
Glissent sans fin le long,des parois éternelles ? 6+6 a
3370 Sors-tu de quelque grotteaffreuse, aux âpres flancs, 6+6 a
ton œil est restéfixe quatre mille ans, 6+6 a
Comme Satan dans l'ombre Dieu le fit descendre ? 6+6 a
As-tu l'esprit qu'avaitla payenne Cassandre 6+6 a
Lorsqu'elle allait voyantd'avance Ajax brigand, 6+6 a
3375 Comptant les grands palaisen flamme, et distinguant 6+6 a
Dans la profonde nuitle glaive nu d'Égysthe ? 6+6 a
Parle. Es-tu plein du gouffre ?Es-tu le trismégiste, 6+6 a
Marches-tu de plain-piedavec les cieux, disant 6+6 a
Aux douze heures : venezme parler, à présent 6+6 a
3380 Que vous voilà sur terre,ayant en vous chacune 6+6 a
La gté du soleilou l'horreur de la lune ? 6+6 a
As-tu vécu parmiles bêtes dans les bois, 6+6 a
Le tigre t'indiquantla source, et disant : bois ! 6+6 a
Et, lorsque tu songeaisla face contre terre, 6+6 a
3385 Un ange, qu'adoraientle lynx et la panthère, 6+6 a
T'a-t-il jeté, de l'ombreécartant les rideaux, 6+6 a
Quelque effrayant manteaud'étoiles sur le dos ? 6+6 a
Pour parler de la sorte,es-tu celui qui lie 6+6 a
Et qui délie ? As-tule double esprit d'Élie ? 6+6 a
3390 Qu'es-tu ? Dis-moi ton nom.Les prophètes jadis, 6+6 a
A l'heure , sur les montspar la brume engourdis ; 6+6 a
La large lune d'orsurgissait comme un dôme, 6+6 a
Faisaient sur l'horizondes gestes de fantôme, 6+6 a
Dialoguaient avecles vents, et grands, et seuls, 6+6 a
3395 Ils secouaient les nuitsainsi que des linceuls ; 6+6 a
Car le désert, prenantde graves attitudes, 6+6 a
Jadis parlait a l'homme,et l'homme aux solitudes ; 6+6 a
La mer ouvrant son gouffreet l'aigle ouvrant son bec 6+6 a
Entendaient les devins,dans Endor, dans Balbeck, 6+6 a
3400 Faire des questionsaux ténèbres, et l'ombre 6+6 a
Donner aux noirs devinsl'explication sombre. 6+6 a
Es-tu de ceux-la ? Non !Tu serais le dernier 6+6 a
Que tu ne serais passi fou de le nier. 6+6 a
Serais-tu par hasard,ô parleur dérisoire, 6+6 a
3405 Un des grands mécontentsde l'immensité noire ? 6+6 a
Trouves-tu que les cieuxsacrés vont de travers ? 6+6 a
Peut-être étais-tu làquand Dieu fit l'univers ? 6+6 a
Et sans doute, en ce cas,ta peine fut cruelle 6+6 a
De voir que ce maçonn'avait pas de truelle, 6+6 a
3410 Et qu'il bâtissait l'ombreet l'azur et le ciel, 6+6 a
Et l'être universelet l'être partiel, 6+6 a
Et l'étendue fuitle pâle météore, 6+6 a
Qu'il bâtissait le temps,qu'il bâtissait l'aurore, 6+6 a
Qu'il bâtissait le jourque l'aube épanouit, 6+6 a
3415 Les vastes firmamentsbleus jusque dans la nuit, 6+6 a
Et les dômes profonds vole la tempête, 6+6 a
Sans monter à l'échelle,une auge sur la tête ! 6+6 a
Es-tu quelque être à quila clarté dit : Va-t-en ! 6+6 a
Sorti du grand flanc sombreet triste de Satan ? 6+6 a
3420 Non ! tu n'es qu'un passantfrêle et vain. Je convie 6+6 a
Ton esprit à songerque Dieu seul est la vie ; 6+6 a
Tout le reste est la mort ;et je l'affirme en toi 6+6 a
A l'homme, ce buveurde la coupe d'effroi, 6+6 a
Ce pâle choisisseurde redoutables routes, 6+6 a
3425 Cet aveugle qui guette :et ce sourd aux écoutes ! 6+6 a
Viens-tu braver ce Dieuque l'ombre a combattu ? 6+6 a
Allons, parle, as-tu vuLéviathan ? L'as-tu 6+6 a
Surpris dans l'antre -l'eau,baigne les granits chauves, 6+6 a
Ou dans quelque forêtpleine de-lueurs fauves ? 6+6 a
3430 Peux-tu dire : j'ai vuLéviathan ! voici 6+6 a
Comment il — est ! commentil rampe ! il nage ainsi ! 6+6 a
As-tu lu seulementce qu'en dit Job ? Non, certes ! 6+6 a
Écoute alors :
« Son corps,couvert de lames vertes, 6+6 a
Semble un mouvant amasde boucliers — d'airain. 6+6 a
3435 Son sommeil fait le bruitd'un torrent souterrain. 6+6 a
Quand il a soif, sa gueule,ouverte, vaste, horrible, 6+6 a
Boit tout un fleuve avecun abment terrible. » 6+6 a
Voilà ce que dit Job,c'est effroyable, eh bien, 6+6 a
Moi qui l'ai vu je dis :ce que dit Job n'est rien. 6+6 a
3440 Léviathan ! Des poils,des crêtes, des mâchoires ; 6+6 a
Ailes qui sont des bras,pieds qui, sont des nageoires, 6+6 a
Des griffes qu'on prendraitpour des herbes, des nœuds, 6+6 a
Mille antennes qui fontun branchage épineux, » 6+6 a
Un nombril vert ; pareilà là mer qui se creuse, 6+6 a
3445 C'est l'ombre faite monstre,et qui vit ; chose affreuse ! 6+6 a
Je ne sais quoi de noiret de prodigieux 6+6 a
Qui mord avec-des dents,qui voit avec des yeux ! 6+6 a
La façon dont il metses pieds l'un devant l'autre 6+6 a
Est horrible ; le flotrugit quand, il s'y vautre ; 6+6 a
3450 Ainsi qu'un vase au feusur son front la mer bout ; 6+6 a
Il sème en se trnantses écailles partout 6+6 a
Comme un cygne sa plumeau moment de la mue 6+6 a
La foudre tomberaitsur lui sans qu'il remue. 6+6 a
Il est l'horreur ; il estl'hydre dont tout frémit ; 6+6 a
3455 Et quand. Léviathancrache, Satan vomit. 6+6 a
Que cet être affreux soitdans le monde nous sommes 6+6 a
Et puisse regarderle ciel comme les hommes, 6+6 a
Cela trouble l'espritet confond la raison. 6+6 a
Lorsqu'il passe la nuitderrière l'horizon, 6+6 a
3460 La lueur de ses yeuxsemble l'aube ; la grève 6+6 a
Blanchit ; le voyageurdit : l'aurore se lève, 6+6 a
Et ne se doute pas,dans sa tranquillité, 6+6 a
Que c'est Léviathanqui fait cette-clarté. 6+6 a
Passant paisible, il songeà l'aube douce et blonde, 6+6 a
3465 A la rosée, aux fleurs…— Quelle terreur profonde, 6+6 a
Quel frisson si dans l'ombreil pouvait soudain voir 6+6 a
Cette forme inouïeet sombre se mouvoir ! 6+6 a
Parfois Léviathanredescend vers le gouffre, 6+6 a
Et les masques ont peurau fond du lac de soufre, 6+6 a
3470 Et l'enfer tremble avecson geôlier pâlissant 6+6 a
Quand, là-haut, sur leurs fronts,tout a coup surgissant, 6+6 a
Sa tête, comme un montqui remuerait sa cime, 6+6 a
Se dresse épouvantableau rebord de l'abîme. 6+6 a
Toi qui viens dans mon ombre,iras-tu le chercher 6+6 a
3475 Dans sa grande herbe verte,ou bien sous son rocher ? 6+6 a
Iras-tu le lierde cordes sous le ventre, 6+6 a
Et le trneras-tu,hideux, hors de son antre, 6+6 a
Pour faire dans ta cour,en plein soleil, devant 6+6 a
Cet être, objet nocturne,incroyable et vivant 6+6 a
3480 De tant de visionset de tant d'épouvantes, 6+6 a
Attrouper les enfantset rire les servantes ! 6+6 a
Eh bien ! dans sa main — songeà cela, vil roseau, 6+6 a
Dieu prend Léviathancomme on prend un oiseau ! 6+6 a
L'aigle reprit
— Moïseétait seul sous la nue ; 6+6 a
3485 Au fond resplendissaitune face inconnue, 6+6 a
Et moi, je regardai ;la face, c'était Dieu. 6+6 a
Je l'ai vu ! Je l'annonceà vous qui vivez peu, 6+6 a
J'ai vu l'effrayant Dieude l'éternité sombre ! 6+6 a
Dieu ! dernier jour du temps !dernier chiffre du nombre ! 6+6 a
3490 Voici ce que l'espritapprend sur la hauteur : 6+6 a
Avant la créatureétait le créateur ; 6+6 a
Le temps sans fin étaitavant le temps qui passe ; 6+6 a
Avant le monde immenseétait l'immense, espace ; 6+6 a
Avant tout ce qui parleétait ce qui se tait ; 6+6 a
3495 Avant tout ce qui vitle possible existait ; 6+6 a
L'infini sans figureau fond de tout séjourne. 6+6 a
Au-dessus du ciel bleuqui remue et qui tourne, 6+6 a
les chars des soleilsvont, viennent et s'en vont, 6+6 a
Est le ciel immobile,éternel et profond. 6+6 a
3500 Là, vit Dieu. La durée,ainsi qu'une couleuvre, 6+6 a
Se roule et se dérouleautour de lui. Son œuvre, 6+6 a
C'est le monde ; il la fait ;l'œuvre faite, il s'endort. 6+6 a
Alors partout s'épandcomme une nuit de mort 6+6 a
les créationsflottent abandonnées ; 6+6 a
3505 Après avoir dormides millions d'années, 6+6 a
L'être incommensurableà qui rien n'est pareil, 6+6 a
Dont l'œil en s'entr'ouvrantluit comme le soleil, 6+6 a
Se réveille au milieud'une extase profonde 6+6 a
Et de son premier souffleil crée un nouveau monde, 6+6 a
3510 Création splendide,univers lumineux, 6+6 a
l'atome étincelle, se croisent des feux, 6+6 a
Clair, vivant, traversépar des astres sans nombre, 6+6 a
Qui tourbillonne autourde sa bouche — dans l'ombre. 6+6 a
Et puis il se rendort,et ce monde s'en va. 6+6 a
3515 Un monde évanoui,qu'importe à Jéhovah ? 6+6 a
Il est, lui seul existe,et l'homme est un fantôme. 6+6 a
Pas plus que le soleilne s'occupe du chaume 6+6 a
Après la moisson faiteet les épis coupés, 6+6 a
L'être ne prend soucides mondes dissipés. 6+6 a
3520 Il est. Cela suffit.Sa plénitude ignore. 6+6 a
La forme fuit, le sonneurt dans l'onde sonore, 6+6 a
Ce qui s'éteint s'éteint,ce qui change,est changé. 6+6 a
Il dit : je suis c'est tout.C'est en bas qu'on dit : j'ai ! 6+6 a
L'ombre croit posséder,d'un vain songe animée, 6+6 a
3525 Et tient des biens de endreen des doigts de fumée. 6+6 a
Dieu-n'a rien, étant tout.Ah ! malheur à-celui 6+6 a
Qui doute : Je vous disque sa face m'a lui 6+6 a
Et que j'ai vu son œilsombre dans les tonnerres. 6+6 a
Les patriarches blancset huit fois centenaires 6+6 a
3530 Lui parlaient autrefois.C'est lui ! C'est le vivant. 6+6 a
C'est dans la grande nuitle grand soleil levant. 6+6 a
Rien n'existe que Dieu.
Tout le craint, tout le nomme. 6+6 a
La pierre du tombeausouffle sur l'homme, et l'homme 6+6 a
S'évanouit ; ses joursn'ont pas de lendemain 6+6 a
3535 Il marche quelques pasdans un obscur chemin, 6+6 a
Puis son pied se dissipeet sa route s'efface ; 6+6 a
Il meurt, et tout est mortQuoi qu'il tente ou qu'il fasse, 6+6 a
Il possède l'éclair,le vent, l'instant, le lieu ; 6+6 a
Il est le rêve, et vitle temps de dire adieu. 6+6 a
3540 Fantômes ! vous flottezsur les heures obscures 6+6 a
Dans ce monde ou l'on voitpasser quelques figures ! 6+6 a
Hommes, qu'êtes-vous donc ?Des visages pensifs. 6+6 a
Le mal descend de vouscomme le froid des ifs. 6+6 a
Vos desseins sont des puitsd'iniquité ; vous êtes 6+6 a
3545 Des antres le vieet le crime ont leurs fêtes ; 6+6 a
Vos maisons et vos seuilset vos toits et vos murs 6+6 a
Portent plus de forfaitsqu'un cep de raisins mûrs 6+6 a
Vous incrustez d'or finvos lits de bois d'érable ; 6+6 a
Vous tordez les haillonsdu pauvre misérable 6+6 a
3550 Et votre pourpre est faiteavec le sang qui sort ; 6+6 a
Vous changez-en hochetle redoutable sort ; 6+6 a
Et vous jouez aux dés,riant, perdant des sommes, 6+6 a
Pendant que «dans sa nuitle destin joue aux hommes ; 6+6 a
Vos villes sont des bois ;on vole, on fraude, on vend ; 6+6 a
3555 L'ignorant est le painque mange le savant ; 6+6 a
Et l'homme vautour tientl'homme taupe en sa serre, 6+6 a
Et l'ânier Intérêtfouette l'âne Misère ; 6+6 a
Vous souffrez à toute heureet de tous les côtés. 6+6 a
A quoi bon— ? étant tousau néant emportés. 6+6 a
3560 Vous pensez. Croyez-vous ?Vos crânes sont des vtes 6+6 a
Sans lampes, d' les pleurssuintent à larges gouttes. 6+6 a
Vous priez. Qui ? comment' ? pourquoi ? Vous ne savez. 6+6 a
Vous aimez. O nuit sombre !ô cieux en vain rêvés ! 6+6 a
Vos sens sont un fumierdont votre amour s'arrange, 6+6 a
3565 Et dans votre baiserle porc se mêle à l'ange. 6+6 a
Et Satan a tant faitque votre abaissement 6+6 a
Est noirceur sur la terreet tache au firmament. 6+6 a
Donc il fit tout, ce Dieu !les cieux, les monts, les bêtes, 6+6 a
Tout, même votre bruitet l'ombre que vous faites ; 6+6 a
3570 Donc il ouvrit la main,le semeur éternel, 6+6 a
Et sema dans l'espaceà tous les vents du ciel 6+6 a
Les étoiles, poussièreardente, cendre ignée, 6+6 a
Tout ce que vous voyezla nuit ; cette poignée 6+6 a
De graines d'or, jetéeau sillon de clarté, 6+6 a
3575 Tombe dans l'infinipendant l'éternité. 6+6 a
Parfois, quand Dieu regarde,il a honte de l'homme ; 6+6 a
Et les tigres des boiset les césars de Rome, 6+6 a
Les rois portant au frontMané Thécel Pharès, 6+6 a
Réverbèrent, parmiles vivants effarés, 6+6 a
3580 Le vague flamboiementde sa colère immense. 6+6 a
Hommes, sachez ceci,spectres pleins de démence 6+6 a
Il est, quand il lui plt,le Dieu farouche. Il met 6+6 a
La marque de sa foudreà tout hautain sommet ; 6+6 a
Lorsqu'il s'éveille, il estterrible ; il frappe, il venge. 6+6 a
3585 Il souffle sur la cendre,il crache sur la fange ; 6+6 a
Il livre Tyr et Suzeaux onagres rayés ; 6+6 a
Il poursuit, à traversles siècles effrayés, 6+6 a
Ainsi qu'on traque un loupde repaire en repaire, 6+6 a
Vingt générationspour le crime du père. 6+6 a
3590 O passants de la nuit,marcheurs des noirs sentiers, 6+6 a
Hommes, larves sans nom,qui mourez tout entiers, 6+6 a
Dieu montre brusquementsa face à qui l'outrage ; 6+6 a
Et quand vous l'insultezdans votre folle rage, 6+6 a
Comme le grand lionsurgit dans la forêt, 6+6 a
3595 Adonaï s'effaceet Sabaoth part ! 6+6 a
Saint, saint, saint, le seigneurmon Dieu ! Silence, abîmes ! 6+6 a
Et l'aigle s'enfonçadans les brumes sublimes 6+6 a
Pareil au grain de feutombé de l'encensoir. 6+6 a
VI
Et je vis au-dessusde ma tête un point noir ; 6+6 a
3600 Et ce point noir semblaitune mouche dans l'ombre. 6+6 a
J'y volai.
L'âpre nuitmourait, mais sa pénombre 6+6 a
Mourait dans un jour grisqu'on voyait poindre aux cieux. 6+6 a
Et cette mouche étaitun griffon monstrueux 6+6 a
Qui faisait trembler l'ombreavec son-aile énorme. 6+6 a
Et le griffon cria :
3605 — Que l'aigle d'en bas dorme ! 6+6 a
Je veille : Dieu plus hautque l'aigle m'emporta. 6+6 a
Tu viens du Sinaï,je viens du Golgotha ; 6+6 a
Aigle, la foudre emplitton œ il visionnaire 6+6 a
Moi, j'ai vu le gibetplus grand que le tonnerre ! 6+6 a
3610 Quand les bourreaux dressaientla croix, j'étais dessus ; 6+6 a
J'ai frissonné sur l'arbre l'on cloua Jésus ; 6+6 a
J'ai vu cette agonieimmense et solennelle ; 6+6 a
Marc a pris pour l'écrireune plume à mon aile ; 6+6 a
J'ai regardé Jésussaigner et s'assoupir ; 6+6 a
3615 Je sais tout ; je suis pleinde son dernier soupir. 6+6 a
Je sème sa paroleau souffle de la bise. 6+6 a
Aigle, Christ en sait plusque Moïse, Moïse 6+6 a
N'ayant que les rayons,et Christ ayant les clous. 6+6 a
Non, Dieu n'est pas vengeur !non, Dieu n'est pas jaloux ! 6+6 a
3620 Non, Dieu ne s'endort pas,portant toute la vte ! 6+6 a
Non, l'homme ne meurt pastout entier.
Aigle, écoute : 6+6 a
Dieu, le monde étant fait,reconnut que cela 6+6 a
N'était-rien, puisque rienn'y disait : me voilà ; 6+6 a
Puisque rien n'y pensaitet n'y parlait ; de sorte 6+6 a
3625 Que là créationen naissant était morte ; 6+6 a
Or l'incréé voulutengendrer l'immortel. 6+6 a
Il fit l'âme, et la mitdans l'homme, son autel. 6+6 a
L'homme seul reçut l'âmeen l'univers visible. 6+6 a
Dieu créa pour Adamce fte inacessible. 6+6 a
3630 Au-dessous dé l'homme, âme,intelligence, esprit, 6+6 a
La matière-rouladans la pierre, fleurit 6+6 a
Dans la plante, et hurladans la bête, sans vivre. 6+6 a
Voyant qu'il avait seulune âme, Adam fut ivre ; 6+6 a
Il voulut la scienceet déroba le fruit. 6+6 a
3635 C'est pourquoi Dieu jetales hommes dans la nuit. 6+6 a
Et depuis ce jour-là,l'urne amère est remplie. 6+6 a
Sous la faute d'Adamtout le genre humain plie. 6+6 a
Le labeur est ingratet le sillon est dur ; 6+6 a
L'homme nt mauvais, triste,inexorable, impur ; 6+6 a
3640 L'enfantement du maldéchire le flanc d'Ève. 6+6 a
La guerre et l'échafaud,ces deux tranchants du glaive, 6+6 a
Vont fauchant l'ignorant,le faible et l'innocent ; 6+6 a
Le fratricide affreux,qui croit le père absent, 6+6 a
Fait peur aux cieux avecle sang qu'on lui voit boire ; 6+6 a
3645 Hélas ! dans la forêtde l'humanité noire, 6+6 a
Un éternel Caïntue à jamais Abel. 6+6 a
L'homme adore Moloch,Dagon, Teutatès, Bel ; 6+6 a
Et sur les crimes roisles monstres dieux flamboient. 6+6 a
Les vices, meute infâme,autour de l'âme aboient. 6+6 a
3650 Toute l'humanitétinte comme un beffroi. 6+6 a
Partout l'horreur, le râleet le rire, et l'effroi. 6+6 a
Toute bouche est ulcèreet tout fte est cratère. 6+6 a
Un bruit si monstrueuxsort de toute la terre 6+6 a
Que la nuit, veuve en deuil,dit au jour qui rougit : 6+6 a
3655 C'est le tigre qui parleou l'homme qui rugit ! 6+6 a
Satan à l'entour voleet plane, oiseau de proie 6+6 a
Des âmes. La douleurformidable est sa joie. 6+6 a
Et plein de feux, de pleurs,de tourments éperdus, 6+6 a
Et de bustes vivantsdans les flammes tordus, 6+6 a
3660 Pleins de cris qui s'en vontau bronze de la vte 6+6 a
Et que la surditéde l'impossible écoute, 6+6 a
Coupole de l'abîmeayant pour pendentifs 6+6 a
D'affreux écroulementsd'êtres noirs et plaintifs, 6+6 a
Geôle sans fond, sans jour,sans espoir, sous la foule 6+6 a
3665 Des vivants, sous ce tasde vanité qui roule, 6+6 a
Sous le flot des passantsde la vie et du bruit, 6+6 a
Sous le penseur, captifdu rêve qu'il construit, 6+6 a
Sous les guerriers casquéset sous les femmes nues, 6+6 a
Sous les larges festinsqui chantent jusqu'aux nues, 6+6 a
3670 Sous tout ce qui s'allumeet tout e qui s'éteint, 6+6 a
Sous tous les pas de l'homme,orgueil, science, instinct, 6+6 a
Sous tout être qui marche,ou chancelle, ou trébuche, 6+6 a
L'enfer éternel guetteet s'ouvre, vaste embûche. 6+6 a
Noir sillon composéde tous les vils limons, 6+6 a
3675 Qui reçoit des espritset qui rend des démons, 6+6 a
Qui produit des moissonsde spectres, et des gerbes 6+6 a
De monstres flamboyants,lugubres et superbes, 6+6 a
D' sort tout ce qui tue, crt tout ce qui ment, 6+6 a
Et qui tressaille, émud'un long frémissement, 6+6 a
3680 Chaque fois qu'il entendl'affreux cri de la chute, 6+6 a
Chaque fois qu'en sa nuitdescend, essaim qui lutte, 6+6 a
Quelque tourbillon sombreet triste l'âme luit, 6+6 a
Et qu'il voit au-dessusde lui, noire et-sans bruit, 6+6 a
S'ouvrir l'immense mainde son semeur sinistre ! 6+6 a
3685 Mais le livre de vieest là, divin registre, 6+6 a
L'homme, c'est l'âme ; l'hommeest l'hôte d'un rayon, 6+6 a
Et la matière seuleest la damnation. 6+6 a
Dieu pense, et la douleurlentement le désarme. 6+6 a
Dieu s'appelle pardon,l'homme se nomme larme ; 6+6 a
3690 Dieu créa la pitiéle : jour l'homme est né. 6+6 a
Devant lés actionsde l'homme infortuné 6+6 a
Souvent, la, puretédes firmaments s'indigne ; 6+6 a
Souvent l'astre aux yeux d'aigleet l'ange au vol de cygne 6+6 a
S'étonnent de ette ombreet de cette noirceur ; 6+6 a
3695 Dieu, voyant l'homme fourbe,implacable, oppresseur, 6+6 a
Est triste ; et quand, sortantde la nuit, la Colère 6+6 a
Appart, face sombreet que la foudre éclaire, 6+6 a
Rappelant au Seigneurce que l'homme lui doit, 6+6 a
Prête à maudire, il metsur cette bouche un doigt. 6+6 a
3700 Ce doigt mystérieuxet doux, c'est la clémence. 6+6 a
Le pardon dit tout basà l'homme : recommence ! 6+6 a
Redeviens pur. Remonteà ta source. Essayons 6+6 a
Rentre au creuset : Ton Dieut'offre dans les rayons : 6+6 a
Pour refaire ton âmeobscurcie et difforme, 6+6 a
3705 Le cercueil, ce berceaude la naissance énorme. 6+6 a
Clémence, c'est le fondde Dieu. Dieu boit le fiel. 6+6 a
Dieu ne vengé pas Dieudevant l'azur-du ciel. 6+6 a
Il ne revomit riensur l'homme. Secourable, 6+6 a
Tendre, il chasse du piedle mal, ce misérable : 6+6 a
3710 Dieu, que l'homme coupableappelait, s'est penché, 6+6 a
Et, voyant l'universsanglant ; mort, desséché ; 6+6 a
Et, songeant, pour lui-mêmeet pour lui seul sévère, 6+6 a
Que pour sauver un mondeil suffit d'un calvaire, 6+6 a
Il a dit : Va, mon fils !Et son fils est allé. 6+6 a
3715 Rédemption ! mystère !Ô grand Christ étoilé ! 6+6 a
Soif du crucifié,d'amertume assouvie ! 6+6 a
Linceul dont tous les-plisfont tomber de la vie ! 6+6 a
Ô gibet qui bénitJudas et Barabbas ! 6+6 a
Qui verse à flots la sèveet l'espérance en bas, 6+6 a
3720 Croix, à tous les esprits,arbre, à toutes les plantes ! 6+6 a
Sublime embrassementdes grandes mains sanglantes ! 6+6 a
œil mourant de Jésusdont l'éternité luit ! 6+6 a
Ô pardon ! ô pitiéde l'azur pour la nuit ! 6+6 a
Paix céleste qui sortde toutes les clémences ! 6+6 a
3725 Ô mont mystérieuxdes oliviers immenses ! 6+6 a
Après le créateur,le sauveur s'est montré. 6+6 a
Le sauveur a veillépour tous les yeux, pleuré 6+6 a
Pour tous les pleurs, saignépour toutes les blessures. 6+6 a
Les routes des vivants,hélas ! ne sont pas sûres, 6+6 a
3730 Mais Christ, sur le poteaudu fatal carrefour, 6+6 a
Montre d'un bras la nuitet de l'autre le jour ! 6+6 a
Après lui sont venusles apôtres, ces têtes 6+6 a
Flamboyantes ; les saints ;martyrs jetés aux bêtes, 6+6 a
Vierges louant Jésusdans le noir tombereau, 6+6 a
3735 Femmes grosses chantantpendant que le bourreau, 6+6 a
Effroyable, arrachaitleurs enfants de leurs ventres, 6+6 a
Et les pères des boiset les docteurs des antres, 6+6 a
Et les voix des désertset des cltres, criant 6+6 a
A l'homme en sa nuit froide :Orient ! Orient ! 6+6 a
3740 Oh ! vous l'avez cherchésans l'entrevoir, sibylles, 6+6 a
Ce Dieu mystérieuxdes azurs immobiles ! 6+6 a
Filles des visions,toi, sous l'arche d'un pont, 6+6 a
Daphné ; toi, guettant l'œufque la chouette pond, 6+6 a
Albunée, et brûlantune torche de cire ; 6+6 a
3745 Toi, celle de Phrygie,épouvante d'Ancyre, 6+6 a
Parlant à l'astre et, pâle,écoutant s'il répond ; 6+6 a
Celle d'Imbrasia ;celle de l'Hellespont 6+6 a
Qui se dresse déesseet qui retombe hyène ; 6+6 a
Toi, Tiburtine ; et toi,la rauque Libyenne, 6+6 a
3750 Criant : Treize ! essayantla loi du nombre impair ; 6+6 a
Toi dont le regard fixeinquiétait Vesper, 6+6 a
Larve d'Endor ; et toi,les dents blanches d'écume, 6+6 a
Les deux seins nus, ô folleeffrayante de Cume ; 6+6 a
Chaldéenne, filantun invisible fil ; 6+6 a
3755 Sardique a l'œil de chèvre,au tragique profil ; 6+6 a
Toi, maigre et toute nueau soleil, Érythrée, 6+6 a
D'azur et de lumièreet d'horreur pénétrée ; 6+6 a
Toi, Persique, habitantun sépulcre détruit, 6+6 a
Ô face à qui parlaientles passants de la nuit 6+6 a
3760 Et les échevelésqui se penchent dans l'ombre 6+6 a
Toi, mangeant du cressondans ta fontaine sombre, 6+6 a
Delphique ; âpres esprits,toutes, vous tes beau 6+6 a
Hurler, frapper le vent,remuer le tombeau, 6+6 a
Rouler vos fauves yeuxdans la profondeur noire, 6+6 a
3765 Nulle de vous n'a vuclairement dans sa gloire 6+6 a
Ce grand Dieu du pardonsur la terre levé. 6+6 a
Sainte-Thérèse, avecun soupir, l'a trouvé. 6+6 a
Le pardon est phis grandque Caïn, et le couvre. 6+6 a
La clémence de Dieude tous les côtés s'ouvre, 6+6 a
3770 Et c'est là le seul piège l'on tombe toujours. 6+6 a
La langue des muetset l'oreille des sourds, 6+6 a
C'est le pardon : La grâceaide clin s'abandonne. 6+6 a
C'est ce qui manque à touset ce qu'à, tous Dieu donne. 6+6 a
Père, il sourit aux filsclin lui, Montrent le poing. 6+6 a
3775 Dieu serait le punis'il ne pardonnait point : 6+6 a
Son ciél est un regardclément. Toutes les grâces 6+6 a
Qu'il fait à chaque instant,s'envolent, jamais lasses, 6+6 a
Se dispersent au loindans tous les univers, 6+6 a
Et, du faible au méchant,du farouche au pervers, 6+6 a
3780 Errent, abeilles d'or,et butinent les âmes, 6+6 a
Puis reviennent, mêlantbaumes, encens, dictames, 6+6 a
Rapportant les parfumsextraits des cœurs maudits, 6+6 a
Emplir du miel pardonla ruche paradis. 6+6 a
Clémence ! mot forméde toutes les étoiles ! 6+6 a
3785 Dieu ! ciel de tous les yeux !port de toutes les voiles ! 6+6 a
Jamais, brume ou tempête,et quel que soit le vent, 6+6 a
L'asile n'est fermétant que l'homme est vivant ; 6+6 a
Toute lèvre est reçueau céleste ciboire ; 6+6 a
Le sang du sauveur couleet toute âme y peut boire ; 6+6 a
3790 Si ténébreux que soitl'homme qui va partir, 6+6 a
A l'heure de la mortun cri de repentir, 6+6 a
Un appel de la foique le tombeau recrée, 6+6 a
Un regard attendrivers la lueur sacrée, 6+6 a
Vers ce qu'on insultaitet ce qu'on dénigrait, 6+6 a
3795 Un sanglot, moins encore,un soupir, un regret 6+6 a
De l'âme détestantsa tache originelle, 6+6 a
Suffit pour qu'elle échappeà la peine éternelle, 6+6 a
A l'enfer qui, voyantce que les hommes font, 6+6 a
Tord les chnes sans findans les gouffres sans fond. 6+6 a
3800 Qui que fil sois, esquif,tourne vers Dieu ta proue. 6+6 a
Le châtiment sans termeet sans espoir écroue, 6+6 a
Sous les éternitésplus lourdes que les monts, 6+6 a
Les démons seuls et ceuxqui deviennent démons. 6+6 a
Pour que la peine tombeimmuable et tardive, 6+6 a
3805 Il faut du dernier cril'horrible récidive ; 6+6 a
Dans l'éternité sombre,Achab, Caligula, 6+6 a
Borgia qu'entre tousla tiare étoila, 6+6 a
Philippe deux, Timour,Phalaris, Louis onze, 6+6 a
Néron, sont au carcansur des trônes de bronze. 6+6 a
3810 Pourquoi ? parce qu'ils ontdit non ! au grand moment, 6+6 a
Que leur âme est sortieen un vomissement ! 6+6 a
L'homme n'a qu'à pleurerpour retrouver son père. 6+6 a
Le malheur lui dit : crois.La mort lui crie : espère ! 6+6 a
Qu'il se repente, il tientla clef d'un sort meilleur. 6+6 a
3815 Dieu lui remplace, aprèsl'épreuve et la douleur, 6+6 a
Le paradis des fleurspar l'éden des étoiles. 6+6 a
Ève, à ta nuditéMarie offre ses voiles ; 6+6 a
L'ange au glaive de feurappelle Adam proscrit ; 6+6 a
L'âme arrive portantla croix de Jésus-Christ ; 6+6 a
3820 L'éternel pres de luifait asseoir l'immortelle. 6+6 a
Aigle, la saintetéde l'âme humaine est telle 6+6 a
Qu'au fond du ciel suprême la clarté sourit, 6+6 a
le Père et le Filsse mêlent dans l'Esprit, 6+6 a
Il semble que l'azurégalise et confonde 6+6 a
3825 Jésus, l'âme de l'homme,et Dieu, l'âme du monde ! — 6+6 a
Et, l'œil au firmament,ne regardant plus rien, 6+6 a
Comme ivre de rayons,le monstre aérien, 6+6 a
Lion par la crinièreet l'ongle, aigle par l'aile ; 6+6 a
Chanta :
Paix, vie et gloireà la vte éternelle ! 6+6 a
3830 Il est le véritable !Il vit. Il est présent. 6+6 a
Comme il est l'invisible,il est l'éblouissant ; 6+6 a
Il a créé d'un motla chose et le mystère, 6+6 a
Tout ce qu'on peut nommeret tout ce qu'il faut taire. 6+6 a
Quand l'homme juste meurt,il lui ferme les yeux ; 6+6 a
3835 Le beau jardin Azurest plein d'esprits joyeux ; 6+6 a
Ils entrent à toute heureet par toutes les portes ; 6+6 a
Dieu fait évanouirles gonds des villes fortes ; 6+6 a
Entre ses doigts distraitsil tord le pâle éclair ; 6+6 a
Le grand serpent lui sembleun cheveu dans la mer. 6+6 a
3840 Il est le grand poëte,il est le grand prophète. 6+6 a
Il est la base, il estle centre, il est le fte ; 6+6 a
Il est celui qui songe,il est celui qui voit ; 6+6 a
Il connt l'avenirauquel tout homme a droit, 6+6 a
L'Éden soleil, l'abîmeet ses chambres funèbres. 6+6 a
3845 Ceux qui marchent sans luis'en vont dans les ténèbres. 6+6 a
Il ordonne à la nuitd'envelopper le jour. 6+6 a
Il met la mort, archer,au créneau de la tour. 6+6 a
Les cèdres du Liban,pareils à de vieux prêtres, 6+6 a
Parlent de lui tout bas ;l'ombre de tous les êtres 6+6 a
3850 S'incline devant luiles matins et les soirs. 6+6 a
Les vierges à ses pieds,dans de purs encensoirs, 6+6 a
Font brûler un parfumcomposé des prières 6+6 a
De tous ceux que le mondeappelle ses lumières, 6+6 a
De tous les saints qui sontsur terre et dans le ciel ; 6+6 a
3855 Cette blanche fuméeenveloppe l'autel, 6+6 a
Et l'Incréé, cachésous des voiles de flammes, 6+6 a
Se penche, respirantla douce odeur des âmes. 6+6 a
Les colonnes des cieuxs'étonnent devant lui ; 6+6 a
Ces hauts piliers, chargésde ce dôme inouï, 6+6 a
3860 Frissonnent éperdusà son souffle, et ressemblent 6+6 a
À leur propre refletdans des ondes qui tremblent. 6+6 a
Ô Dieu ! roi ! père ! asile !espoir du criminel ! 6+6 a
Éternel laboureur !moissonneur éternel ! 6+6 a
Mtre à la première heureet juge à la — dernière ! 6+6 a
3865 C'est lui qui fit le mondeavec de la lumière ! 6+6 a
Le firmament — est clairde sa sérénité. 6+6 a
Par moments, dans l'azursplendide et redouté, 6+6 a
Ô mystère ! il se faitdes silences d'une heure ; 6+6 a
Personne en haut ne chanteet nul en bas ne pleure ; 6+6 a
3870 L'ange abaisse, pensif,son clairon éclatant ; 6+6 a
Dieu médite ; le cielrêve ; l'enfer attend. 6+6 a
Et c'est ce mot qui sortde l'ombre : Je pardonne. 6+6 a
Le griffon s'effaça,comme l'éclair qui tonne, 6+6 a
Dans une brume rienne semblait se mouvoir. 6+6 a
VII
3875 Et je vis au-dessusde ma tête un point noir ; 6+6 a
Et ce point noir semblaitune mouche dans l'ombre. 6+6 a
La nuit derrière moi,comme un hideux décombre, 6+6 a
Fuyait, et vers le pointlointain, vague et vivant, 6+6 a
Je volai, m'enfonçantde plus en plus avant 6+6 a
3880 Dans le bleu firmamentdoré d'une aube étrange ; 6+6 a
Et cette mouche étaitun ange.
Et cet archange, 6+6 a
Immense, déployantsur mon front qui rêvait, 6+6 a
Deux ailes, l'une blancheet l'autre noire, avait 6+6 a
L'œil fixe, et sur son frontle jour semblait éclore ; 6+6 a
3885 Et l'aile blanche allaitse fondre dans l'aurore, 6+6 a
Et l'aile noire allaitse perdre dans la nuit. 6+6 a
Dans ce ciel mon volprofond m'avait conduit, 6+6 a
Mer notre ciel noirsemblait une presqu'île, 6+6 a
L'ange apparaissait fier,heureux, puissant, tranquille ; 6+6 a
3890 Si la nuit descendaitet si le jour montait, 6+6 a
Il ne le savait pas ;on t dit qu'il était 6+6 a
A jamais immobile ;ayant trouvé la sphère 6+6 a
l'extase n'a plusde mouvement à faire, 6+6 a
Et qu'il était créé,lui l'être grand et pur, 6+6 a
3895 Pour ne rien regarderqui ne fût pas l'azur ; 6+6 a
Il se tenait deboutsans baisser la prunelle, 6+6 a
Comme s'il ne voyaitqu'une chose éternelle. 6+6 a
Et, sentant que vers luid'en bas quelqu'un venait, 6+6 a
— Qu'es-tu ? dit l'ange, beaucomme l'astre qui nt, 6+6 a
3900 Et sans tourner vers moises yeux ni sa figure ; 6+6 a
Et je lui dis : — O frontvoisin de l'aube pure, 6+6 a
Je suis l'être à qui pltla tombe dans l'exil. 6+6 a
L'ange me regarda.— Demeure, me dit-il. 6+6 a
Puis, et je vis alorsqu'il tenait une palme, 6+6 a
Il se mit à parlerau gouffre :
3905 — L'Être est calme. 6+6 a
Dieu vit. Le Oui du jouret le Non de la nuit 6+6 a
Sont deux larves qu'un souffleobscur forme et détruit ; 6+6 a
Le mot noir est un grainde cendre dans la brume, 6+6 a
O gouffre, et le mot blancest un flocon d'écume ; 6+6 a
3910 L'infini ne sait pointce qu'on murmure en bas ; 6+6 a
Moi, j'écoute et j'entends.Shiva dit : — Dieu n'est pas, 6+6 a
Et du crime de toutpersonne n'est coupable. 6+6 a
Hermès dit : — L'invisibleerre dans l'impalpable. 6+6 a
— Deux dieux, dit Zoroastre.Un désordre normal. 6+6 a
3915 L'être, n'est le combatdu bien contre le mal. — 6+6 a
Orphée au chant profonddit : — Les dieux semblent être ; 6+6 a
Mais quand on les contemple,on les voit dispartre ; 6+6 a
Tant la Fatalité,larve sans front, sans yeux, 6+6 a
Sans cœur, étreint la terreet l'enfer et les cieux. 6+6 a
3920 Moïse dit : — Il n'estqu'un Dieu. Dieu crée et venge. 6+6 a
L'homme est une ombre, et meurt.Et Jésus au front d'ange 6+6 a
Dit : — Dieu pardonne. Il rendles bons au paradis. 6+6 a
L'âme humaine survità l'homme. — Et moi, je dis, 6+6 a
— Car, sur chaque échelonde l'échelle meurt l'ombre, 6+6 a
3925 Le verbe lumineuxsuccède au verbe sombre' ; 6+6 a
On monte à la paroleaprès le bégaiement 6+6 a
Je dis :
Dieu, c'est le vrai.Ni vengeur, ni clément ; 6+6 a
Il est juste. Vengerl'affront, c'est le conntre, 6+6 a
Et c'est le mériter.Être clément, c'est être 6+6 a
3930 Injuste pour tous euxqu'on ne pardonne pas. 6+6 a
Quand tu vis Sabaoth,aigle, tu te trompas. 6+6 a
Griffon, qui sur ton aileas porté l'évangile, 6+6 a
Écoute. Écoutez tous !Zoroastre est d'argile ; 6+6 a
Shiva, qui n'est qu'un sageet que l'Inde croit dieu, 6+6 a
3935 Est un morceau de terre ;Orphée au regard bleu 6+6 a
A senti son squeletteau sépulcre descendre ; 6+6 a
Et le voleur du feu,Prométhée, est de cendre ; 6+6 a
Moïse n'est pas prèsdu Seigneur Jésus-Christ 6+6 a
N'est pas près du Seigneur ;nul prophète n'écrit 6+6 a
3940 Près de Dieu ; nul archangeailé, nul personnage, 6+6 a
Nul saint : l'Éternitén'a pas de voisinage. 6+6 a
Écoutez ! Gravissezle réel pas à pas. 6+6 a
Dieu n'est point le pêcheurqui jette des appâts 6+6 a
Au pauvre être fuyantque l'appétit assiège ; 6+6 a
3945 Et son bonheur n'est pasde prendre l'homme au piège. 6+6 a
Pas d'enfer éternel.
Quoi, l'être aux instants courts, 6+6 a
Quoi, le vivant rapideenchné pour toujours ! 6+6 a
Quoi, des illusions,des erreurs, des risées, 6+6 a
Quoi, des fautes d'un jouret d'une ombre, écrasées 6+6 a
3950 Par ce roc immobileet monstrueux, jamais ! 6+6 a
Dieu se faisant bourreaudu haut des clairs sommets ! 6+6 a
Dieu, pire que Shylock,le vil rogneur de piastres ! 6+6 a
L'Incréé, couronnéde comètes et d'astres, 6+6 a
Tenaillant dans sa caveun moucheron puni ! 6+6 a
3955 La grandeur s'acharnantaux petits ! L'infini 6+6 a
Donnant la questionà l'insecte qui pleure ! 6+6 a
L'Éternité tordantles minutes de l'heure ! 6+6 a
Quoi ! ce juge aurait soif,quoi ! ce père aurait faim 6+6 a
De l'angoisse sans borneet du-tourment sans fin ! 6+6 a
3960 Il aurait pour travailla souffrance, et pour joie 6+6 a
De faire écarteler,dans l'enfer qui flamboie, 6+6 a
L'homme, atome éperdu,sanglant, épouvanté, 6+6 a
Aux quatre vents de l'ombreet de l'immensité ! 6+6 a
Chassez ce songe, vous,fantômes, qui le faites ! 6+6 a
3965 Quoi ! ces mondes créésdans des robes de fêtes, 6+6 a
Quoi ! la vie et le jour,l'éther, le firmament, 6+6 a
L'azur, l'océan perleet l'astre diamant, 6+6 a
Cette resplendissanteet profonde nature, 6+6 a
Ne seraient qu'une chambreénorme de torture ! 6+6 a
3970 Et dans les vastes cieuxla constellation, 6+6 a
Du gouffre émerveillésublime vision, 6+6 a
Mêlant l'étoile bleueet blanche au soleil rouge, 6+6 a
Éclatante, seraitla chandelle du bouge ! 6+6 a
Que quelqu'un ait rêvécela, c'est mon ennui. 6+6 a
3975 Et, comme les damnés,hier, demain, aujourd'hui, 6+6 a
Toujours, brûlent au feuqui ne doit pas s'éteindre ; 6+6 a
Et, comme ce seraitblâmer Dieu que les plaindre ; 6+6 a
Ce serait supposerqu'il peut être meilleur ; 6+6 a
En outre, comme, étantlarme, angoisse et douleur, 6+6 a
3980 La pitié ferait tacheau paradis ; et, comme 6+6 a
Dieu ne doit rien cacherde sa justice a l'homme, 6+6 a
A l'âme, à l'ange, aux saints,et que l'éternel feu, 6+6 a
L'enfer, est un côtéde la vertu de Dieu ; 6+6 a
Comme, alors, les élusdevant voir la géhenne, 6+6 a
3985 Il faut qu'elle les charme,et que pour eux la peine 6+6 a
Se résolve en bonheur,et qu'avec son tourment 6+6 a
L'enfer soit pour le »cielun assaisonnement, 6+6 a
Et que l'ange se plaiseau sanglot qui s'élève ; 6+6 a
Le paradis n'est plusqu'un balcon de la Grève, 6+6 a
3990 l'on vient voir, avecun sourire serein, 6+6 a
Brûler la Brinvillierset rouer vif Mandrin, 6+6 a
l'on vient savourerl'agonie âpre et lente, 6+6 a
Et voir l'effet que fontl'huile et la poix bouillante 6+6 a
Sur Caïn, et Judashurler, et Lucifer 6+6 a
3995 Rugir à chaque coupde la barre de fer ! 6+6 a
Il se tut ; puis rouvritses deux lèvres vermeilles 6+6 a
D' les mots s'envolaientainsi qûe des abeilles, 6+6 a
Comme s'ouvre la rucheaprès que l'aube a lui : 6+6 a
— Personne n'est punipour la faute d'autrui. 6+6 a
4000 D'ailleurs, hommes, le fruitest fait, pour qu'on le cueille. 6+6 a
Le livre monde est faitpour qu'on tourne la feuille. 6+6 a
Savoir, c'est vivre ; et vivreest le droit. Adorer, 6+6 a
C'est conntre ; et la porteaime à voir l'âme entrer. 6+6 a
Quelle que soit la lutteou la peine ou l'épreuve, 6+6 a
4005 Chaque fois que l'homme, humbleet que le doute abreuve, 6+6 a
Saisit un fait nouveaudans l'ombre, il a gté 6+6 a
De Dieu, de la lumièreet de l'éternité. 6+6 a
C'est bien. C'est vers le jourune marche gagnée. 6+6 a
A grands coups de science,à grands coups de cognée, 6+6 a
4010 Les vivants ont raison,dans leur obscurité, 6+6 a
D'ébaucher la statueimmense Vérité. 6+6 a
L'homme est le noir sculpteur,le mystère est le marbre. 6+6 a
Faites. Ève a raisonde se dresser vers l'arbre ; 6+6 a
Prométhée a raison,Galilée a raison ; 6+6 a
4015 Colomb, qui cueille un mondeau fond de l'horizon, 6+6 a
Fait bien ; Dante envahitla nuit cercle par cercle ; 6+6 a
Spinosa du néantlève l'affreux couvercle ; 6+6 a
Fulton dompte la merque Xercès révolta ; 6+6 a
Galvani forge et mêle,à côté de Volta, 6+6 a
4020 Les fluides, force, âme,aimants, métaux, mercures ; — 6+6 a
Mesmer tressaillant toucheaux frontières obscures ; 6+6 a
C'est ton droit, homme. Eschyleet Shaskpeare ont raison, 6+6 a
Ô terre, d'étoilerton plafond de prison. 6+6 a
Rœmer arrête au volla lumière ravie ; 6+6 a
4025 Guttenberg fait du jour,de l'amour, de la vie 6+6 a
Avec le plomb fondudu vieux supplice humain ; 6+6 a
Pythagore soumetl'ombre a son examen ; 6+6 a
Papin attelle à l'homme,à la terre charmée, 6+6 a
A l'âme ; au char de feu,le noir cheval fumée ; 6+6 a
4030 Halley de la comèteest l'éclatant héraut ; 6+6 a
Leibniz offre à l'espritl'évasion d'en haut, 6+6 a
Et, tressant le calcul,la pensée et l'étude, 6+6 a
Jette dans l'infinil'échelle de Latude ; 6+6 a
Harvey dit : le sang coule,et l'homme vit ! Képler 6+6 a
4035 Prend dans les cieux l'étoile,et Franklin prend l'éclair ; 6+6 a
Jackson ôte l'angoisseà la chair qu'il mutile ; 6+6 a
Ils sont tous dans le vrai,dans le beau, dans l'utile. 6+6 a
Allez ! prenez la bêcheet bêchez le jardin ! 6+6 a
Mongolfier veut l'azuren attendant l'Éden ; 6+6 a
4040 Bien. Et Luther fait biend'ouvrir l'âme, et Vésale 6+6 a
Éclairant le dedansde la mort colossale, 6+6 a
Fait bien. L'audace est sainteet Dieu bénit l'effort. 6+6 a
Tous les glaives de feuderrière Adam ont tort. 6+6 a
Monte, esprit. Dieu t'attend.Dans ses deux mains de flamme, 6+6 a
4045 Équilibre, il tient l'astre,et, justice, il tient l'âme ; 6+6 a
Et, l'univers ayantce but : voir et savoir, 6+6 a
Pour l'astre et pour l'espritrayonner est devoir. 6+6 a
Monte, et ne tremble pas.C'est une âpre montée. 6+6 a
Quelquefois l'âme hésite,à mi-côte arrêtée. 6+6 a
4050 L'esprit humain qui va,voit devant lui l'écueil, 6+6 a
L'escarpement, l'horreur,le chaos, le cercueil, 6+6 a
Et le sentier toujoursplus sinistre et plus roide. 6+6 a
Ce marcheur a le frontbaigné de sueur froide. 6+6 a
Va, marcheur ! Mal et Bienportent à leurs deux bouts 6+6 a
4055 L'effroi. Souvent, féroceau bonheur des hiboux, 6+6 a
Le, progrès, rudoyanttous les petits bien-êtres, 6+6 a
Vomit tous les rayonsdans toutes les fenêtres. 6+6 a
Le bien est sans pitié.Traverse sans trembler 6+6 a
Tout ce que tu verrasautour de toi hurler ; 6+6 a
4060 Le progrès a parfoisl'allure vaste et fauve ; 6+6 a
Et le bien bondissanteffare : ceux qu'il sauve. 6+6 a
Va donc ! Double le pas !L'horizon s'élargit. 6+6 a
Va ! monte ! à chaque étapeune larve surgit ; 6+6 a
C'est l'avenir deboutdans sa figure étrange 6+6 a
4065 L'avenir semble spectreavant d'appartre ange. 6+6 a
Marche ! Qui veut allerà lui doit être prêt, 6+6 a
A tous les grands combats ;l'homme se tromperait 6+6 a
S'il croyait qu'on-obtientDieu sans peine, et qu'on pousse 6+6 a
L'enfer dans le tombeausans lutte et ; sans secousse. 6+6 a
4070 L'enfantement du mieuxa ses convulsions. 6+6 a
Tout dans les cieux se faitpar révolutions. 6+6 a
Qu'est-ce que le progrès ?un lumineux désastre, 6+6 a
Tombant comme la bombeet restant comme l'astre. 6+6 a
L'avenir vient avec,le souffle d un grand vent. 6+6 a
4075 Il chasse rudementles peuples en avant ; 6+6 a
Il fait sous les gibetsdes tremblements de terre ; 6+6 a
Il creuse brusquementsous l'erreur qu'il fait taire, 6+6 a
Sous tout ce qui fut lâche,atroce, vil, petit, 6+6 a
Des ouvertures d'ombre le mal s'engloutit. 6+6 a
4080 Va, lutte, Esprit de l'homme !il ne faut pas qu'on aille 6+6 a
S'imaginer le biende facile trouvaille. 6+6 a
Le bien étonne ; et l'âmea peur en le créant ; 6+6 a
Il a la majestésuspecte duant 6+6 a
Quand, écumant, avecune rumeur confuse, 6+6 a
4085 Il sort, lion de l'antre,ou vague de l'écluse. 6+6 a
Oui, le, bien est une eauqui monte dans la nuit ; 6+6 a
Il monte, il est torrentdu passé qu'il détruit, 6+6 a
Il est le châtiment ;il vient ; pas de refuge ; 6+6 a
Il monte, il est marée ;il monte, il est déluge ! 6+6 a
4090 Sombre inondationde bonheur ! ô terreur, 6+6 a
Dit l'homme ! Et le génie,indomptable éclaireur, 6+6 a
Crie : O joie ! — Allons, marche,esprit de l'homme ! avance. 6+6 a
Accepte des fléauxl'énorme connivence ! 6+6 a
Marche ! Oui, souvent, douteuxpour qui l'a souhaité, 6+6 a
4095 Le progrès, effrayantà force de clarté, 6+6 a
A, quand il vient broyerle faux, l'abject, l'horrible, 6+6 a
Des apparitionsde crinière terrible : 6+6 a
Sa promesse menace ;et pour tout ce qui doit 6+6 a
Tomber, mourir, finirdans le jour qui s'accrt, 6+6 a
4100 Faux dieux, faux prêtres, mageimpur, juge vendable, 6+6 a
Son rire est le rictusde l'aube formidable. 6+6 a
Depuis Adam, depuisNoé, de temps en temps, 6+6 a
Le progrès, qui poursuitses vaincus haletants, 6+6 a
Qui veut qu'on soit, qu'on marcheet qu'on creuse et qu'on taille, 6+6 a
4105 Pousse ses légionsd'azur dans la bataille, 6+6 a
Ses penseurs constellés,éthérés, spacieux, 6+6 a
Tous ses olympiensvêtus d'un pan des cieux ; 6+6 a
Euler le sidéral ;le splendide Épicure, 6+6 a
Et, comme les chouansdans la Vendée obscure, 6+6 a
4110 Les hommes du passé,lourds, troublés, nébuleux, 6+6 a
Disent en les voyant :fuyons ! voici les bleus ! 6+6 a
Et ces hommes divins,et ces hommes solaires 6+6 a
Font marcher leurs bienfaitsaux pas de leurs colères. 6+6 a
Le bien saisit le malet l'écrase à son tour. 6+6 a
4115 Accepte l'incendieinvincible du jour, 6+6 a
Homme ! va ! jette-toidans ces gueules ouvertes 6+6 a
Qu'on nomme inventions,nouveautés, découvertes ! 6+6 a
L'esprit humain, chercheurde Dieu, voit par moments 6+6 a
Les rayons s'irritercomme des flamboiements 6+6 a
4120 Quand, poussant devant luila foule coutumière, 6+6 a
Il va de l'hydre d'ombreà l'hydre de lumière ! 6+6 a
N'importe ! ne crains pasle progrès rugissant 6+6 a
Pour le sage, le bon,le juste et l'innocent ! 6+6 a
Ne crains pas le progrèsdévorant les ténèbres ! 6+6 a
4125 Trouvant les idéalspar l'effort des algèbres ! 6+6 a
Montant, géométrieet poésie, à Dieu ! 6+6 a
Ne crains pas le progrès,conquérant de ciel bleu, 6+6 a
Sphynx qui fait vivre, archerde l'éternelle cible, 6+6 a
Montagnard du sublimeet de l'inaccessible ! 6+6 a
4130 Suis ce monstre splendide,homme ! car il est beau 6+6 a
De toutes es laideursqu'on nomme Mirabeau, 6+6 a
Socrate, Camoëns,Cromwell, Tyrtée, Ésope ; 6+6 a
Et, faisant le niveaudu cèdre et de l'hysope ; 6+6 a
Il appart, mêléd'Homère, de Newton, 6+6 a
4135 Et de Moïse, avecla face de Danton, 6+6 a
Et monte aux cieux portantla tête échevelée 6+6 a
De la nuit sombre au boutde sa pique étoilée ! 6+6 a
C'est bien.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L'ange songeait,pareil au lys qui penche. 6+6 a
Il semblait ne vouloirvoir que son aile blanche ; 6+6 a
4140 On t dit qu'il chantaitet priait tour à tour, 6+6 a
Et qu'il assoupissaitet noyait dans le jour, 6+6 a
Ne se sentant plus vivreet palpiter qu'à peine ; 6+6 a
Ses yeux demi ferméspleins de fierté sereine : 6+6 a
Mais l'autre aile tremblaitsur son dos frémissant 6+6 a
4145 Comme pour réveillerle grand esprit absent ; 6+6 a
Il rouvrit par degrésses yeux brillants de gloire, 6+6 a
Et reprit, regardantmalgré lui l'aile noire : 6+6 a
— Oui, c'est vrai, l'ombre. — Hélas !quand donc l'Éden, l'hymen, 6+6 a
L'aube ? ô noirs cauchemarsdu lourd sommeil humain ! 6+6 a
4150 Le crime originel !l'enfer ! Ève et la pomme ! 6+6 a
Lugubres visions !Hélas ! hélas ! pour l'homme, 6+6 a
Dieu ne se fait sentirque par sa pesanteur. 6+6 a
L'homme s'obstine à voirdans Dieu le tourmenteur, 6+6 a
Le boucher sombre, armantde tenailles tonnerres 6+6 a
4155 Et de pinces éclairsses poings tortionnaires, 6+6 a
Le tortureur sans frein,sans loi, sans cœur, sans but ! 6+6 a
Il rêve dans les cieuxl'effrayant Belzébuth ! 6+6 a
Il se fait un azur,un mystère, une bible 6+6 a
Qu'emplit une façond'Être Suprême horrible ; 6+6 a
Les hommes font Dieu sombre !
4160 Oui, quand l'immensité 6+6 a
Germe en religiondans leur cœur agité, 6+6 a
Voilà ce qu'en voyantl'absolu, leurs yeux voient ! 6+6 a
Oui, Dieu monstre attisantles mondes qui flamboient ! 6+6 a
L'homme voudrait au cielarracher cet aveu ! 6+6 a
4165 Nous ne pouvons parleravec l'homme de Dieu 6+6 a
Sans mâcher quelque idéeaffreuse de supplice ; 6+6 a
Démons dans le brasier,damnés sous le cilice, 6+6 a
Dieu borné par l'enfersans bornes, — les pavés 6+6 a
De l'ombre à jamais pleinsde pâles réprouvés ! 6+6 a
4170 Ceux-là, dans l'infini,comme tombe une pierre, 6+6 a
S'enfoncent, et, tremblants,ayant dans leur paupière 6+6 a
Le gouffre, visionet disparition, 6+6 a
Dévidant l'écheveau,de la damnation, 6+6 a
Pendent au fil sans find'une chute éternelle ; 6+6 a
4175 Ceux-là râlent, saignantsous leur forme charnelle 6+6 a
Dans on ne : sait quel antreidéal et hideux ! 6+6 a
Satan fait un coupable,et le ciel en veut deux ; 6+6 a
Adam et l'homme. Ainsi,comme il est impossible 6+6 a
Que, lorsque l'innocentdans le monde visible, 6+6 a
4180 Pour la faute d'Adamest puni sans pitié, 6+6 a
Lui, le vrai criminel,ne soit pas châtié, 6+6 a
Adam aurait étéconduit devant le juge, 6+6 a
Et là, sombre, à genoux,sans espoir, sans refuge, 6+6 a
Sur le ciel formidableet tendu d'un drap noir, 6+6 a
4185 Lié sur une claie,affreux, terrible à voir, 6+6 a
Sous l'éternité morneabaissant son front blême, 6+6 a
Adam l'ingrat, Adam,le coupable suprême, 6+6 a
Ajoutant tous les mauxde sa raceà ses maux, 6+6 a
Souffrant, tronc monstrueux,dans ses mille rameaux, 6+6 a
4190 Ayant pour cri le criqui sort de tous les langes, 6+6 a
Serait exécutépar des bourreaux archanges ! 6+6 a
Il serait à jamaissupplicié là-haut ! 6+6 a
Les hommes, ses enfants,auraient dans leur cachot 6+6 a
Pour plafond le dessousde l'échafaud du père ! 6+6 a
4195 Ces étoiles qu'on voitparfois, dans leur repaire, 6+6 a
Par des fentes du ciels'échappant et glissant, 6+6 a
Tomber sur eux, seraientles gouttes dé son sang ! 6+6 a
Ah ! fais cela, toi, l'hommeà qui l'horreur agrée, 6+6 a
Esprit de jour tachéde nuit, âme tigrée ! 6+6 a
4200 Homme de Louis onzeet de Domitien, 6+6 a
Qui, dans les temps nouveauxcomme dans l'âge ancien, 6+6 a
Mets l'âme et le cadavreà jamais en présence ! 6+6 a
Qui t'appelles Jeffryeet t'es nommé Mézence ! 6+6 a
O du bien et du malamphibie effrayant, 6+6 a
4205 Homme qui ne vois pasles anges s'enfuyant ! 6+6 a
Fais ces actions-làdans ta brume de crimes ; 6+6 a
Mais ne les prête pasau songeur des abîmes ! 6+6 a
Ne les impute pasau Dieu vivant ! —
L'esprit 6+6 a
S'arrêta, regardale gouffre, puis reprit : 6+6 a
4210 Cependant, dans tes joursde piété, toi, l'homme, 6+6 a
Tu rends hommage à Dieu ;tu dis : « — Je souffre. En somme, 6+6 a
« J'ai l'âme. Ame, ici-basje ne suis pas fini. 6+6 a
« Tout est bien. Je vivraipar la mort rajeuni. 6+6 a
« Qu'importe que mon corpsse blesse et se meurtrisse ! 6+6 a
4215 « Mon âme ira montrerà Dieu la cicatrice. 6+6 a
« Dieu, le débiteur sûr,s'est : toujours acquitté. 6+6 a
« Je suis le créancierde la grande équité. 6+6 a
« Souffrir, trner la vieest l'affaire d'une heure ; 6+6 a
« L'astre me tire horsde l'ombre inférieure. 6+6 a
4220 « Mes maux obligent Dieu ;le baume après le fiel ; 6+6 a
« Tout homme en pleurs a droitau regard éternel. 6+6 a
« Tous, l'esclave, le nègreaux reins ceints d'une pagne, 6+6 a
« Le casseur de caillouxsongeant dans la campagne, 6+6 a
« Le vil foat, roulantquelque horrible rocher, 6+6 a
4225 « N'ont qu'à gémir pour voirJéhovah se pencher. 6+6 a
« L'oubli que ferait Dieudu dernier et du moindre 6+6 a
« Suffirait pour ôterau jour le droit de poindre, 6+6 a
« Pour que l'univers ploieet tremble comme un jonc, 6+6 a
« Pour que l'étoile ait peuret dise : qu'est-ce donc ? 6+6 a
4230 « Et pour qu'au seuil de l'ombreaux profondes marées, 6+6 a
« Les constellationsse dressent effarées ! 6+6 a
« Oui ; je souffre, mais j'ai,dans mon accablement, 6+6 a
« Hypothèque sur l'aubeet sur le firmament, 6+6 a
« Sur tous les élémentsque, vivants, nous subîmes, 6+6 a
4235 « Sur l'équilibre immenseet sombre des abîmes ! 6+6 a
« Je suis aux fers, j'ai soif ;j'ai faim, j'ai froid, j'ai chaud ; 6+6 a
« Mais le paradis brilleaux fentes du cachot. 6+6 a
« De ce monde si noirl'ombre est à claire-voie. 6+6 a
« Dieu juste ne veut pasque ma larme me noie ; 6+6 a
4240 « Jamais le port ne manqueau pauvre matelot ; 6+6 a
« Ma tempête aboutità l'azur ; mon sanglot 6+6 a
« Sourit subitementet s'achève cantique. 6+6 a
« Mourir, c'est ntre à Dieu.Je suis Caton d'Utique, 6+6 a
« Je ne veux point du bâtque portent les romains, 6+6 a
4245 « Et je tombe indigné,poignardé de mes mains, 6+6 a
« Sanglant ; je suis Socrate,et je bois la ciguë ; 6+6 a
« Je suis Jean Huss, ma chairmeurt dans la flamme aiguë ; 6+6 a
« Mais j'ai l'éternité.Je suis l'atome humain, 6+6 a
« Mais l'enfer aujourd'huipromet le ciel demain ; 6+6 a
4250 « Nous luttons, nous râlons,nous gémissons, qu'importe ! 6+6 a
« Pas un cri n'est perdu,pas un tourment n'avorte ; 6+6 a
« Le paradis se faitde toutes les douleurs 6+6 a
« Qui deviennent baiserssur le front des meilleurs. 6+6 a
« Le deuil conquiert les cieuxcomme l'aigle sa proie. 6+6 a
4255 « La racine malheurs'épanouit en joie 6+6 a
« Dans cet Éden sublime la terre fleurit ; 6+6 a
« Mes maux seront un jourmes biens ; je suis l'esprit. 6+6 a
« Misère, angoisse, pleurs,tout ce que nous saignâmes 6+6 a
« Se retrouve en rayonsdans la main de nos âmes ; 6+6 a
4260 « Le tombeau, que la nuitflamboyante bénit, 6+6 a
« Murmure : Ciel ! avecses lèvres de granit ; 6+6 a
« Là-haut toute souffranceen bonheur est comptée ; 6+6 a
« Dieu, ce soleil qui faitmême une ombre à l'athée, 6+6 a
« Serait injuste et fauxsi c'était autrement. 6+6 a
4265 « Le sépulcre n'est pasune bouche qui ment. 6+6 a
« J'ai la peine d'un jour,mais j'ai l'âme immortelle ! » 6+6 a
Alors, homme, pourquoila brute souffre-t-elle ? 6+6 a
Pourquoi bats-tu ton âneà grands coups de bâton ? 6+6 a
Quel est son lendemain ?Ton âne est-il Caton ? 6+6 a
4270 Pourquoi le héron gris,qui s'enfuit dans les brumes, 6+6 a
Sent-il le noir fauconfouiller du bec ses plumes ? 6+6 a
Pourquoi, troussant ta mancheet tachant tes habits, 6+6 a
Plonges-tu les couteauxaux gorges des brebis ? 6+6 a
Pourquoi bois-tu le sangayant tondu la laine ? 6+6 a
4275 Pourquoi vas-tu trnanttes buffles dans la plaine 6+6 a
Par cet anneau de ferqui perce leurs naseaux ? 6+6 a
Qu'est-ce que l'hydre doitpenser au fond des eaux ? 6+6 a
Vois ce saumon d'argent :vers ses pauvres ouïes 6+6 a
Les flammes du brasiermontent épanouies ; 6+6 a
4280 Il était fait pour fuirsous l'eau des bleus ruisseaux. 6+6 a
Vois. Juge. Quoi ! la carpeest coupée en morceaux, 6+6 a
Elle est jetée à l'huileardente, toute vive ! 6+6 a
Quoi ! l'huître vit et souffreaux dents de ton convive ! 6+6 a
Et c'est, tout ! Te voilàsatisfait dans ta chair 6+6 a
4285 Quand, devant un grand tasde fagots, vif et clair, 6+6 a
Ta broche plie, offrantles lièvres et les cailles. 6+6 a
A la bûche qui rit,monstre aux rouges écailles, 6+6 a
Et livrant l'humble essaimqui jouait, qui volait, 6+6 a
Le hallier, et la saugeavec le serpolet, 6+6 a
4290 L'alouette et les prés,l'étang et la macreuse, 6+6 a
Aux mâchoires de feude l'âtre qui se creuse ! 6+6 a
Les charbons dans la cendreouvrent leurs sombres yeux. 6+6 a
En voyant ce brasierriche, éclatant, joyeux, 6+6 a
Le passant, à traversla vitre illuminée, 6+6 a
4295 S'empourpre ; et, contemplantta haute cheminée, 6+6 a
Tu ne te doutes pasque, toi-même, tu ris 6+6 a
A la géhenne horrible,et que, rempli de cris, 6+6 a
D'engrenages hideuxet de pinces rougies, 6+6 a
Ce beau foyer de pierre,espoir de tes orgies, 6+6 a
4300 Ce réchaud la mortfrémit à pleine voix, 6+6 a
les battements d'aileet les soupirs des bois 6+6 a
S'en vont, chants des vanneauxet baisers des sarcelles, 6+6 a
Dans la fumée affreuseen fauves étincelles, 6+6 a
Cet antre, l'on entend,quand on vient s'y pencher, 6+6 a
4305 Tous les pétillementsdu rire et du bûcher, 6+6 a
l'oiseau fume, meurtle nid, flambe l'orme, 6+6 a
Est un des trous béantsde la fournaise énorme ! 6+6 a
C'est l'autel vil du ventreet du plaisir charnel ; 6+6 a
Et le fond communiqueau mystère éternel ! 6+6 a
4310 Cours au désert ; la vieest-elle plus joyeuse ? 6+6 a
Que d'effrayants combatsdans le creux d'une yeuse 6+6 a
Entre la guêpe tigreet l'abeille du miel ! 6+6 a
Va-t'en aux lieux profonds,aux rocs voisins du ciel, 6+6 a
Aux caves des souris,aux ravins à panthères ; 6+6 a
4315 Regarde ce bloc d'ombreet ce tas de mystères ; 6+6 a
Fouille l'air, l'onde, l'herbe ;écoute l'affreux bruit 6+6 a
Des broussailles, le crides Alpes dans la nuit, 6+6 a
Le hurlement sans nomdes jongles tropicales ; 6+6 a
Quelle vaste douleur !Les hyènes bancales 6+6 a
4320 Rôdent ; sur la perdrixle milan tombe à pic ; 6+6 a
La martre infâme mordle flanc du porc-épic ; 6+6 a
La chèvre, les deux piedsde devant dans la haie, 6+6 a
Voit la couleuvre et bêleavec terreur ; l'orfraie 6+6 a
S'agite dans l'effroidu problème inconnu ; 6+6 a
4325 Sur le crâne pelédu mont sinistre et nu 6+6 a
Le trou de l'aigle est pleinde carnage et de — fiente ; 6+6 a
La chouette, en qui vitla nuit terrifiante, 6+6 a
Tout en broyant du becle rat qu'elle surprit, 6+6 a
Songe ; le vautour blanclui prend sa proie, et rit ; 6+6 a
4330 L'éléphant marche avecun fracas d'épouvante ; 6+6 a
L'affreux jararrara,comme une onde vivante, 6+6 a
Autour des hauts bambouset des joncs tortueux 6+6 a
Se roule, et les roseauxdeviennent monstrueux ; 6+6 a
Le museau de la fouineau poulailler se plonge ; 6+6 a
4335 Sur la biche aux yeux bleusle léopard s'allonge ; 6+6 a
Le bison sur son dosemporte le couquard 6+6 a
Qui lui suce le sangpendant qu'il fuit hagard ; 6+6 a
La baudroie erre et sembleun monstre chimérique ; 6+6 a
Quand le grand-duc cornudans les bois d'Amérique 6+6 a
4340 Plane, l'essaim fuyantdes ramiers prend son vol. 6+6 a
Vois. L'oblique hibouguette le rossignol. 6+6 a
Le loup montre sa gueuleet l'homme son visage, 6+6 a
Le désert frémit. Vois,les pigeons de passage 6+6 a
Qui vont ; pillant le houxet le genévrier, 6+6 a
4345 L'ours qui sort de son antreau mois de février, 6+6 a
Le phoque au poil luisantqui semble frotté d'huile, 6+6 a
Tout le fourmillementdes brutes, le reptile, 6+6 a
L'autour, le scorpiontapi dans les lieux frais, 6+6 a
Le renard, le puma,ce grand chat des forêts 6+6 a
4350 Qui fait en miaulantle bruit d'un bœuf qui gronde, 6+6 a
Le lynx, l'impur condorà la prunelle ronde, 6+6 a
Brigands que la nuit cacheen son vaste recel, 6+6 a
Le jaguar à l'affûtprès, des sources de sel, 6+6 a
Les files de chameauxdes horizons arabes, 6+6 a
4355 L'ibis mangeur de vers ;le rat mangeur de crabes ; 6+6 a
Les musquas rongeurs prisau fond des lacs vitreux 6+6 a
Par la glace et l'hiver,se dévorant entr'eux, 6+6 a
Et les boas nageurset les boas énygres, 6+6 a
Et les vipères, sœursdu crâne plat des tigres, 6+6 a
4360 Le mulot, la bigaille,et, sortant du ruisseau, 6+6 a
L'horrible caïmanà tête de pourceau, 6+6 a
Méduse, cachalot,orphe, requin, marbrée, 6+6 a
Baleine à la mâchoireinfecte et délabrée, 6+6 a
Mouches s'engloutissantau gouffre engoulevent, 6+6 a
4365 L'unau, le fourmiliertrtre, lent et bavant, 6+6 a
L'once au jurement fauve,aux moustaches roidies, 6+6 a
Bêtes de l'ombre errantcomme des Canidies, 6+6 a
Tout souffre ; grand, petit,le hardi, le prudent, 6+6 a
Tout rencontre un chasseur,une griffe, une dent ! 6+6 a
4370 Une sorte d'horreurimplacable enveloppe 6+6 a
L'aigle et le colibri,le tigre et l'antilope. 6+6 a
L'eau noire fait songerle grave pélican. 6+6 a
Partout la gueule s'ouvreà côté du volcan ; 6+6 a
Partout les bois ont peurpartout la bête tremble 6+6 a
4375 D'un frisson de colèreou d'épouvante ; il semble 6+6 a
A celui qui ne voitl'être que d'un côté 6+6 a
Qu'une haine inouïeemplit l'immensité. 6+6 a
Hommes, les animaux,confuses multitudes ; 6+6 a
Saignent dans vos citéset dans leurs solitudes ; 6+6 a
4380 La bête pleure, rampe,agonise. Pourquoi ? 6+6 a
Et si le lion dit :qu'est-ce que j'ai fait, moi ? 6+6 a
Que pourras-tu répondreà ce montagnard triste ? 6+6 a
Quoi ! Timour est, Nemrodsûrvit, Caïphe existe ; 6+6 a
Ils souffrent ; mais leur âmeest là, blanche et-rêvant, 6+6 a
4385 Qui, prête pour les cieux,frémit dans l'ombre au vent, 6+6 a
Et l'ours et le chacalrâlent sans espérance ! 6+6 a
Et Dieu voit tout le resteavec indifférence, 6+6 a
Tandis que, regardantfuir Tibère envolé, 6+6 a
Le grand lion rugitsous le ciel étoilé ! » 6+6 a
4390 Est-ce que cette rosseefflanquée, et qu'on tire 6+6 a
Par la bride au charnier,passe sans te rien dire ? 6+6 a
Pauvre être qui s'en va,ses os trouant sa peau, 6+6 a
Boitant, suivi d'un tasd'enfants, riant troupeau, 6+6 a
Qui viennent lui jeterdes pierres et qui chantent ! 6+6 a
4395 Est-ce que Montfaucon,ce lieu spectre que hantent 6+6 a
Les noirs Laubardemont,les Maillards, les Vouglans, 6+6 a
Ce sphynx mystérieuxdes abattoirs sanglants, 6+6 a
Devient soudain pour toiclair comme l'eau de roche, 6+6 a
Parce qu'il démolitsa potence, décroche 6+6 a
4400 L'affreux squelette humainde son fétide étal, 6+6 a
Et se fait, d'étrangleurlégal, royal, fatal, 6+6 a
Équarrisseur tuantla brute à tant par tête, 6+6 a
Et, de bourreau de l'homme,assassin de la bête ! 6+6 a
Parce qu'il a changéle sang du tablier, 6+6 a
4405 Tout est dit ! Retournezl'effrayant sablier, 6+6 a
Ou chargez-en le sable,et faites qu'il y tienne 6+6 a
De la cendre animaleau lieu de cendre humaine, 6+6 a
Plus d'énigme ! la bêteappartient à la mort ; 6+6 a
C'est l'ordre, et tout est bien.Ni doute, ni remord : 6+6 a
4410 Quoi ! partout, crocs, bouchers,égorgements, tueries ! 6+6 a
Quoi ! dans les noirs combatsdu bœuf des Asturies, 6+6 a
Ivresse populaireet passe-temps royaux, 6+6 a
Le cheval éperdu,marche sur ses boyaux, 6+6 a
Le taureau lui crevantle ventre à coups de cornes ! 6+6 a
4415 Quoi ! vous jetez des cœurssanglants aux coins des bornes, 6+6 a
Les pattes des oiseauxet leur pauvre duvet, 6+6 a
Des entrailles, des yeux,et tout cela vivait ! 6+6 a
Les chênes qu'adoraientles fauves troglodytes 6+6 a
Sous la hache à grand bruittombent c'est ; vous le dites, 6+6 a
4420 De la nature morteet l'on peut la tuer. 6+6 a
Le chien aux coups de foueta dû s'habituer ; 6+6 a
La bête doit souffrirsous le dieu qui foudroie ; 6+6 a
Tout l'arbre qu'on abatet le pavé qu'on broie, 6+6 a
Tout souffre pour souffrir !C'est bien ? Iniquité ! 6+6 a
4425 De quel droit, moi l'esprit,suis-je dans la clarté ? 6+6 a
Pourquoi faut-il que toi,matière, tu pâtisses ! 6+6 a
Quoi ! l'astre et le caillouseraient des injustices ! 6+6 a
Une injustice en haut !une injustice en bas ! 6+6 a
Quoi ! le porc dans l'ordureet l'âne sous les bâts, 6+6 a
4430 A jamais ! La souffranceà l'angoisse s'enlace ; 6+6 a
Puis, rien ! quoi, l'homme, roi !quoi, l'être, populace ! 6+6 a
Adam seul serait graineet sa seule âme fleur ! 6+6 a
Sabaoth vanneraitdans un van de douleur 6+6 a
Le monde, et l'homme seulpasserait par le crible ! 6+6 a
4435 S'il en était ainsi,tout deviendrait terrible, 6+6 a
L'univers fourmillantde bêtes s'emplirait 6+6 a
D'un long rugissementainsi qu'une forêt, 6+6 a
Les pierres hurleraient :injuste ! injuste ! injuste ! 6+6 a
L'arbre en convulsion,la broussaille, l'arbuste, 6+6 a
4440 Se tordraient comme ceuxqui sont sur un grabat ; 6+6 a
Et la créationne serait qu'un combat 6+6 a
Des monstres révoltéscontre Dieu, belluaire. 6+6 a
S'il en était ainsi,ce monde mortuaire, 6+6 a
Chaos infâme en proieau furieux autan, 6+6 a
4445 Ne vaudrait même pasle crachat de Satan ! 6+6 a
S'il en était ainsi,créer serait un crime ; 6+6 a
Une exécration,sortirait de l'abîme, 6+6 a
Te dis-je, on entendraitles brutes gémissant, 6+6 a
Et le loup sans reproche,et le tigre innocent, 6+6 a
4450 Devant les élémentscités en témoignage, 6+6 a
Devant l'infini triste l'équité surnage, 6+6 a
Dénonçant Dieu, bourreaumasqué du monstre obscur. 6+6 a
Alors, sur la selletteimmense de l'azur, 6+6 a
L'horreur souffletteraitcet accusé sinistre. 6+6 a
4455 Quoi, le malheur pour œuvreet le mal pour ministre ! 6+6 a
Quoi ! ployés à jamaissous un arrêt hideux, 6+6 a
Tant d'êtres si nombreuxqu'Adam n'est rien près d'eux ! 6+6 a
Quoi, pas de lendemain !quoi, pas de récompense ! 6+6 a
Quoi, l'homme seul dirait :je vivrai, car je pense ! 6+6 a
4460 Qu'a-t-il fait pour cela ?— l'être, galérien ! 6+6 a
Fouettés, brisés, broyés,pétrifiés, puis rien ! 6+6 a
Se tordre ! et n'être plus,pour dernière aventure ! 6+6 a
L'évanouissementau bout de la torture ! 6+6 a
Le supplice, et c'est tout !quoi, cet être vaincu, 6+6 a
4465 Quoi ! cette créatureinnocente a vécu, 6+6 a
Souffert, saigné, trnéla terreur, bu la haine, 6+6 a
Et traversé d'un boutà l'autre la géhenne, 6+6 a
Tandis que je rayonneet luis, moi séraphin, 6+6 a
Et quand, lasse, elle tombe,agonisante enfin, 6+6 a
4470 Et pose sur la nuitsa tête exténuée, 6+6 a
Dieu ne lui doit rien' ! vide,effacement, nuée, 6+6 a
Silence ; et le néant,oreiller de l'enfer ! 6+6 a
Ô loi dont frémiraitmême un livre de fer, 6+6 a
Qui, par Néron dictéeen un éclat de rire, 6+6 a
4475 Ferait pleurer le bronze l'on voudrait l'écrire ! 6+6 a
Quoi ! je suis une bêteet fais ce que je puis ! 6+6 a
L'abîme ! et puis l'abîme,et puis l'abîme, et puis 6+6 a
L'abîme ! O désespoir !ce serait la sentence ! 6+6 a
Mais toi, l'élu risible,homme à quelle distance 6+6 a
4480 Es-tu de l'animal ?Le sais-tu ? Ta maison 6+6 a
Est celle du castor ;l'Égypte avait raison 6+6 a
D'être inquiète au seuilde la grande syringe ; 6+6 a
Es-tu sûr de ne pasjeter l'ombre d'un singe ? 6+6 a
Quoi ! l'animal n'est rien !vaux-tu mieux par hasard ? 6+6 a
4485 Le flatteur sait-il mieuxramper que le-lézard ? 6+6 a
L'envieux a-t-il plusd'esprit que la vipère ? 6+6 a
Qui, de l'homme ou du porc,est le fils ou le père ? 6+6 a
Vaux-tu le geai voleurque tu prends à l'appeau ? 6+6 a
Je voudrais bien savoirce que c'est que ta peau, 6+6 a
4490 Et si les astres, pleinsde sombres rêveries, 6+6 a
En la voyant pendueà vos écorcheries, 6+6 a
S'en étonneraient plus,dans le gouffre des cieux, 6+6 a
Que de la peau d'un bœufaux yeux mystérieux, 6+6 a
Ou du cerf au poil rouxjaspé de taches blanches 6+6 a
4495 Dont l'œil effaré faitdes lueurs dans les branches ! 6+6 a
Plus d'un secret étrangeentre le monstre et toi 6+6 a
Palpite ; et parfois-l'hommeen sent le vague effroi 6+6 a
Il est des êtres noirsau-dessous de la bête, 6+6 a
Qui, miasme, poison,peste, aquilon, tempête, 6+6 a
4500 Ouvrant en bas la gueule,aveugle des fléaux, 6+6 a
Font à tous les vivantsla guerre du chaos. 6+6 a
Quoique sa dent te mordeet que ton bras l'assomme, 6+6 a
L'animal est ton frère,et la bête avec l'homme 6+6 a
Contre la nature hydrea souvent combattu ; 6+6 a
4505 Elle te communiqueune obscure vertu, 6+6 a
Et la peau du lionaidait le grand Hercule. 6+6 a
Ah ! tu te crois plein jouret ris du crépuscule ! 6+6 a
La pensée est ton lot !Dieu n'a rien réussi 6+6 a
Hors toi ! Tu te crois rareet parmi tous choisi, 6+6 a
4510 Parce qu'un vent d'en hautparfois souffle en ta brise, 6+6 a
Et que, de temps en temps,criant : Brahma ! Moïse ! 6+6 a
Isis ! ou murmurant :Lamma Sabacthani, 6+6 a
Relayant d'autres sœursdont le temps est fini, 6+6 a
Une. Religion,dans l'ombre ou la lumière, 6+6 a
4515 Part à ton chevet,et, nouvelle infirmière, 6+6 a
Vient charger l'oreillerde ton lit d'hôpital ! 6+6 a
Toi providentiel,et le reste fatal ! 6+6 a
Mais, voyons, raisonnonsun peu ; sois économe 6+6 a
D'extase pour toi-même,et regarde-toi.
L'homme, 6+6 a
4520 Titan du relatifet nain de l'absolu, 6+6 a
Se croit astre, et se voitde clarté chevelu ; 6+6 a
Homme, l'orgueil t'enivre !et c'est un vin de l'ombre. 6+6 a
Redescends ! redescends !tout à l'heure, âpre et sombre, 6+6 a
L'aigle en rudoyant l'hommeavait raison souvent. 6+6 a
4525 Parce que je t'ai dit,moi : c'est bien ! en avant ! 6+6 a
Ne t'en va pas cognerles soleils, larve noire ! 6+6 a
Épargne à l'infinil'assaut de l'infusoire. 6+6 a
Voyons, qu'es-tu ? peux-tutoi-même t'affirmer ? 6+6 a
A quoi te résous-tu ?douter ? haïr ? aimer ? 6+6 a
4530 Que crois-tu ? Que sais-tu ?Tu n'as dans ta science 6+6 a
Pas même un parti prisd'ombre ou de confiance. 6+6 a
Tu sais au hasard. Loisque ton œil calcula, 6+6 a
Faits, chiffres, procédés,classements, tout cela 6+6 a
Contient-il Dieu ? réponds.Ta science est l'ânesse 6+6 a
4535 Qui va, portant sa chargeau moulin de Gonesse, 6+6 a
Sans savoir, en marchantfront bas et l'œil troublé, 6+6 a
Si c'est un sac de cendreou bien un sac de blé. 6+6 a
Que dit l'artiste ému,le prêtre en sa chapelle, 6+6 a
Le vacher retournantle fumier sous sa pelle, 6+6 a
4540 Le pâtre à l'œil vitreux,l'ermite, l'érudit ? 6+6 a
Que dit l'anatomisteau trappiste ? Que dit 6+6 a
Le plongeur du cadavreau mineur du squelette ? 6+6 a
Que dit le médecinau géologue, athlète 6+6 a
Qui lutte avec la terreet tombe exténué ? 6+6 a
4545 Et l'algébriste exact,par l'espace hué, 6+6 a
Que dit-il, ce bergerdes chiffres indociles ? 6+6 a
Que dit le devin, roides stryges et des psylles, 6+6 a
Poussant vers l'inconnuqu'à ton vol tu soumets, 6+6 a
Quelque système aveugleou bteux qui jamais 6+6 a
4550 N'arrive au bout d'un faitsans trouble et sans encombre ? 6+6 a
Que dit le philosophe,aventurier de l'ombre ? 6+6 a
Et le poète amides cieux l'aube point ? 6+6 a
Que disent, frémissants,pâles, la pioche au poing, 6+6 a
Tous ces noirs fossoyeursde la fosse Science ? 6+6 a
4555 Homme ! ils disent tous : nuit,misère, imprévoyance, 6+6 a
Erreur, néant, fumée,imbécillité, deuil. 6+6 a
Et c'est avec celaque tu fais ton orgueil ! 6+6 a
Jour coudoie ignoranceen ton savoir hybride. 6+6 a
Tu ne sais pas tenirta fantaisie en bride. 6+6 a
Tu vas, tu vas, tu vas ! vas-tu ?
4560 Vanité ! 6+6 a
Tu crois qu'en te créantDieu t'a mis de côté, 6+6 a
Que ton berceau contienttoutes les origines, 6+6 a
Et que tout se condenseen toi ; tu t'imagines 6+6 a
Qu'à mesure que toutnaissait et surgissait, 6+6 a
4565 L'Éternel t'en donnaitquelque chose ; et que c'est 6+6 a
Sous ton crâne que Dieupensif traça l'épure 6+6 a
De ce monde qu'emplitson auréole pure. 6+6 a
Tu dis : j'ai la raison,la vertu, la beauté. 6+6 a
Tu dis : Dieu fut très laspour m'avoir inventé, 6+6 a
4570 Et tu crois l'égalerchaque fois que tu bouges. 6+6 a
Allons ! mire-toi doncun peu dans les peaux-rouges ! 6+6 a
Que dis-tu-des Yolofs,barbouillés de roucou, 6+6 a
Attachant des colliersd'oreilles à leur cou, 6+6 a
Et des hurons ornésde stupides balafres ? 6+6 a
4575 Mire-toi dans les noirs,mire-toi dans les cafres, 6+6 a
Dans les Yoways ; trouantleurs nez, peignant leurs peaux, 6+6 a
Empoisonnant leur flècheaux glandes dés crapauds ! 6+6 a
Apprends ceci, rayonapprends ceci, pensée 6+6 a
L'ange commence à l'hommeet l'homme au chimpanzée ; 6+6 a
4580 L'orang-outang ton frère,est, un homme à tâtons. 6+6 a
Tu peux bien l'accepter,puisque nous t'acceptons ! 6+6 a
Mire-toi dans tes gts,dans tes mœurs, dans tes races ! 6+6 a
Dans tes amours brutauxdans tes instincts voraces ; 6+6 a
Dans l'auge nous voyonsboire tes appétits ! 6+6 a
4585 Ton histoire ! tes lois !ton bruit ! ton cliquetis ! 6+6 a
Te figures-tu pasque tes gestes, tes guerres, 6+6 a
Tes cris, troublent l'azurde leurs fracas vulgaires, 6+6 a
Et que le jour mesureà ton pas son déclin ? 6+6 a
Crois-tu pas que le cielest guelfe ou gibelin, 6+6 a
4590 Que l'Être est Armagnacou Bourguignon, que l'astre 6+6 a
Connt oui, non, Genèveet, Rome, York et Lancastre, 6+6 a
Et que le monde pendà ton sacré cheveu ? 6+6 a
Tes princes ? tes sultans ?tes rois ? demande un peu 6+6 a
Ce que de ta grandeurpensent les astronomes. 6+6 a
4595 Parles-en à Newton.Parce que tu te nommes 6+6 a
César ou Henri quatre,et qu'un beau jour Casca 6+6 a
Ou Ravaillac, te priten trtre, s'embusqua 6+6 a
Dans l'ombre, et te coupala veine cardiaque, 6+6 a
Crois-tu pas dérangerl'énorme zodiaque ? 6+6 a
4600 Et quant à tes cités,Babels de monuments 6+6 a
parlent à la foistous les événements, 6+6 a
Qu'est-ce :que cela pèse ?arches, tours, pyramides, 6+6 a
Je serais peu : surprisqu'en ses rayons humides, 6+6 a
L'aube les emportâtpêle-mêle un matin 6+6 a
4605 Avec les gouttes d'eaude la sauge et du thym. 6+6 a
Et ton architectureétagée et superbe 6+6 a
Finit par n'être plusqu'un tas de pierre et d'herbe 6+6 a
, la tête au soleil,siffle l'aspic subtil : 6+6 a
Ton marbre, dont tu faisdes dieux, que devient-il ? 6+6 a
4610 Le temps court, et monnoyeen courant tes statues ; 6+6 a
Ton bronze qu'à tes roisguerriers tu prostitues, 6+6 a
On en fait des liardsqui valent les héros. 6+6 a
Ton marbre, chaux et plâtre,emplit les tombereaux. 6+6 a
Homme, le papillonqui vit une semaine, 6+6 a
4615 Le puceron qu'un jourcrée et qu'un jour remmène, 6+6 a
L'éphémère, enviantcette longévité, 6+6 a
Égalent ton granitdevant l'immensité. 6+6 a
Ah ! tes œuvres, vraiment,parlons-en. Meurtre, envie, 6+6 a
Sang ! Tu construis la mortquand Dieu sème la vie ! 6+6 a
4620 Et, pendant que Dieu faitles chênes sur les monts, 6+6 a
Les baobabs pareilsà des pieds de mammons, 6+6 a
L'arbre a pain, le palmiersplendide, les mélèzes, 6+6 a
D' sort un chant pareilà la voix des falaises, 6+6 a
L'olivier, le figuier,le cèdre, le nopal, 6+6 a
4625 Tu fais l'arbre gibet,l'arbre croix, l'arbre pal, 6+6 a
L'affreux arbre supplice,énorme, vaste, infame, 6+6 a
Cyprès dont les rameaux,faisant la nuit sur l'âme, 6+6 a
Sonnent lugubrementcomme des enchnés, 6+6 a
Dont chaque branche, hélas !porte deux condamnés, 6+6 a
4630 Et penche en frissonnantdeux spectres sur l'abîme ; 6+6 a
Au soleil, du côtéde l'homme, la victime, 6+6 a
Et du côté de Dieu,dans l'ombre, le bourreau ! 6+6 a
Ah ! tu te crois divin !tu places ton zéro 6+6 a
En regard de cet orbeinouï qu'emplit l'onde 6+6 a
4635 De l'océan sagesseet qu'on nomme le monde ! 6+6 a
Ah ! géant ! tout savoir,ce n'est pour toi qu'un jeu. 6+6 a
Pourquoi te contenterd'un à peu près de Dieu ? 6+6 a
Pourquoi ne pas tirerl'abîme à clair ? Colosse ! 6+6 a
Plus haut qu'Atlas, et plusque les oiseaux véloce ! 6+6 a
4640 Pourquoi te contenterde tes religions ? 6+6 a
Lorsque dans l'infininous nous réfugions, 6+6 a
Pourquoi ne pas nous suivre,âme au cercueil penchante, 6+6 a
Et tout prendre ? Pourquoi,ce que l'abîme chante, 6+6 a
Ne pas le déchiffrer ?tu n'as qu'à le vouloir ! 6+6 a
4645 Si tu ne l'entends pas,tu peux du moins le voir, 6+6 a
L'hymne éternel vibrantsous les éternels voiles. 6+6 a
Les constellationssont des gammes d'étoiles ; 6+6 a
Et les vents par momentste chantent des lambeaux 6+6 a
Du chant prodigieuxqui remplit les tombeaux. 6+6 a
4650 Allons, fais un effort,esprit plus grand que l'aigle ; 6+6 a
Prends ton échelle, prendsta plume, prends ta règle ; 6+6 a
Toute cette musiqueà l'ineffable bruit 6+6 a
Est là sur le registreeffrayant de la nuit ; 6+6 a
Va, monte ; tu n'as plusqu'à tracer des portées 6+6 a
4655 Sous les septentrionset sous les voies-lactées 6+6 a
Pour lire à l'instant même,au fond des cieux vermeils, 6+6 a
La symphonie écriteen notes de soleils ! 6+6 a
Qu'attends-tu, dis ? Va doncau fond de Dieu ! va vite ! 6+6 a
Ah ! souffle du fumierque le parfum évite, 6+6 a
4660 Homme, ombre ! coureur vainde tous les pas perdus ! 6+6 a
Marchand des Christs trahiset des Josephs vendus ! 6+6 a
Va ! tu sors de la fange,et ta mère malsaine, 6+6 a
C'est la matière infecteet la matière obscène ! 6+6 a
Tes sombres légionsvermineuses, amas, 6+6 a
4665 Troupeau, tas imbécileadorant des lamas, 6+6 a
Avec ce qu'elles fontet ce qu'elles projettent, 6+6 a
Entre la nourritureet l'excrément végètent ! 6+6 a
Mais tu te fais petit ;tu changes d'argument, 6+6 a
Et c'est là, reprends-tu,ta plainte justement 6+6 a
4670 L'homme est un désir vasteen une étreinte étroite, 6+6 a
Un eunuque amoureux,un voyageur qui bte ; 6+6 a
L'homme n'est rien la terreà chaque heure lui ment ; 6+6 a
La vie est un à-compteau lieu d'être un paiement ; 6+6 a
Tes sages te l'ont dit,et, dans ton humeur noire, 6+6 a
4675 Toi, l'homme, tu n'es paséloigné de le croire ; 6+6 a
C'est trop peu d'être un homme ;en naissant Dieu devait 6+6 a
Te donner tout l'azurdont la mort te revêt. 6+6 a
Ah ! tu n'es pas déjàcontent de Dieu toi-même ! 6+6 a
Tu voudrais sur la terreêtre un être suprême ; 6+6 a
4680 Créancier exigeant,tu te plains d'être né 6+6 a
A demi, que le cielne t'ait pas tout donné, 6+6 a
Que Dieu soit en retard,que lui, lui qui médite, 6+6 a
Lui qui vit, ne t'ait pas,à l'échéance dite, 6+6 a
Fait livraison de l'ombreet de l'éternité ; 6+6 a
4685 Et tu voudrais encorque tout l'autre côté 6+6 a
De la création,misère inapeue, 6+6 a
Fût à jamais plongédans la nuit sans issue ! 6+6 a
Mais tu dis : — Le cailloubrisé, l'arbre abattu, 6+6 a
Ne souffrent point ; la bêteignore. — Qu'en sais-tu ? 6+6 a
4690 Sais-tu la profondeurdu soupir, et l'abîme 6+6 a
Du cri ? pour voir le fonddu gouffre, es-tu la cime ? 6+6 a
Et s'il était des pleurs —qui coulent en dedans ? 6+6 a
Et s'il était un doigt,léché des flots grondants, 6+6 a
Qui sentît tressaillirla montagne plaintive, 6+6 a
4695 Et pour qui le rocherfût une sensitive ? 6+6 a
Que sais-tu ? Ta morale ;ô juif, payen, chrétien, 6+6 a
Est une carte obscureet bizarre du bien 6+6 a
Et du mal, dont tu peinsa ton gré les frontières. 6+6 a
Ce livre, dont tu faisla table des matières, 6+6 a
4700 L'as-tu lu ? Que vois-tupar ton trou de prison ? 6+6 a
Portes-tu dans ton-œill'insondable horizon ? 6+6 a
Fermes-tu l'universen fermant ta fenêtre ? 6+6 a
De quel droit marques-tudes limites a l'être, 6+6 a
Et dis-tu, te penchantsur le monde obscurci 6+6 a
4705 Et sur le flot vivant :On souffre jusqu'ici ! 6+6 a
Eh ! vois donc les douleursde ces bêtes hagardes ! 6+6 a
Ah ! la souffrance étantl'avenir, tu la gardes ! 6+6 a
Tu n'en veux que pour toi !tout le reste est trop vil. 6+6 a
Tu vois l'arbre se tordreet : tu dis Souffre-t-il ? 6+6 a
4710 Tu dis : — La brute meurt' ; son souvenir s'envole 6+6 a
Elle ne s'apeoitpas même qu'on la vole. 6+6 a
Quoi ! l'homme fils unique,et l'univers bâtard ! 6+6 a
Quoi ! tes maux seuls auraientle paradis plus tard 6+6 a
Qui, vrai pour toi, seraitpour tout autre une fable ! 6+6 a
4715 La bête trouveraitl'Éternel insolvable ! 6+6 a
Quoi ! les monstres auraient,songeurs silencieux, 6+6 a
Droit de hocher la têteen présence des cieux ! 6+6 a
Dieu baisserait les yeuxdevant leur sombre lutte ! 6+6 a
Ils pourraient lui jeterle mépris de la brute ! 6+6 a
4720 Quoi ! devant les soleils,les astres triomphaux, 6+6 a
Et l'étoile, et l'aurore,ils pourraient dire : or faux ! 6+6 a
Douleur, néant, horreur,seraient la destinée ! 6+6 a
Quoi ! la créationtout entière damnée, 6+6 a
Rêve affreux ! pas de but ;l'homme seul arrivé ; 6+6 a
4725 Souffrir, et ne rien voir ;la douleur, œil crevé ; 6+6 a
Tout injuste, une vasteet stupide spirale 6+6 a
D'êtres perdus, sans jour,sans nœud, sans loi morale, 6+6 a
Allant on ne sait ,venant on ne sait d', 6+6 a
Et, tout au fond de l'ombreeffroyable, Dieu fou ! 6+6 a
4730 Ce Jéhovah Moloch !que veut-on que j'en fasse ? 6+6 a
Songe exécré ! crachatde l'homme sur ta face, 6+6 a
Ô mon Dieu ! calomnieau père universel ! 6+6 a
Bave d'inventionsqui tacherait le ciel, 6+6 a
Si la fange pouvaitatteindre, écume vile, 6+6 a
4735 Dieu, l'outragé sublime,éternel et tranquille ! 6+6 a
Non ! tous les êtres sont,et furent, et seront. 6+6 a
Qu'il ait sa cendre au cœur,qu'il ait sa flamme au front, 6+6 a
Tout être est immortelcomme essence ; et retrouve 6+6 a
Ce qui lui reste dûpar la loi qui l'éprouve ; 6+6 a
4740 Ce n'est point un motifparce qu'on est petit 6+6 a
Pour ne pas être vu ;nul en vain ne pâtit ; 6+6 a
Dieu n'est pas le myopeimmense de l'espace. 6+6 a
L'aboiement de l'écueilqui-jamais ne se lasse, 6+6 a
Le tonnerre, le volde l'astre échevelé, 6+6 a
4745 Tous les rugissementsdu vent démuselé, 6+6 a
La trombe, le volcan,font, dans l'éternel gouffre, 6+6 a
Moins de bruit que ce crid'un moucheron : je souffre ! 6+6 a
Tous les êtres sont Dieu ;tous les flots sont la mer. 6+6 a
Non ! non ! l'écrasementn'est point la loi du ver. 6+6 a
4750 Non ! non ! toute souffranceest un sillon. Prière 6+6 a
Et pleurs défont toujoursquelque chose en arrière 6+6 a
Et font, ô cieux sereins !quelque chose en avant. 6+6 a
Tout être se rachèteou tout être se vend. 6+6 a
Bien et mal. La loi vientde derrière la vie 6+6 a
4755 Et derrière la mortcontinue. Homme, envie 6+6 a
Ton chien ; tu ne sais pas ;triste mtre hagard, 6+6 a
S'il n'a pas plus d'azurque toi dans le regard. 6+6 a
Tout vit. Créationcouvre métempsychose. 6+6 a
Ô dédain de la bêteet mépris de la chose ! 6+6 a
4760 Double faute de l'hommeet son double malheur ! 6+6 a
Si pour la vie infimeil t été meilleur, 6+6 a
Au lieu d'écraser tout,s'il t fait le contraire, 6+6 a
Au lieu d'être bourreau,s'il se fût montré frère, 6+6 a
S'il t compris l'amasvivant qui remuait, 6+6 a
4765 Et l'être monstrueux,ce grand souffrant muet, 6+6 a
L'homme, en butte à cette heureaux aboiements de l'ombre, 6+6 a
t été l'né roide la famille sombre. 6+6 a
Cet aveugle seraitdevenu le voyant. 6+6 a
Il t vu revenirà lui l'être fuyant. 6+6 a
4770 La vie a son espritqu'a troublé l'ignorance 6+6 a
Fût apparue avectoute sa transparence, 6+6 a
Et l'homme, sous le marbreou le bois ou la chair, 6+6 a
De l'âme universellet vu le pâle éclair. 6+6 a
En s'inclinant, avecla majesté des prêtres, 6+6 a
4775 Sur ces masques hagardsqu'on appelle les êtres, 6+6 a
Calme, il t relevéle morne abattement 6+6 a
Du monde terrasséqui vit sinistrement. 6+6 a
Sa pitié, s'émiettantaux souffrances farouches, 6+6 a
t fait tourner vers luitoutes ces âpres bouches. 6+6 a
4780 La bête t acceptél'homme ; le chêne l't 6+6 a
Accueilli dans les boisde son grave salut ; 6+6 a
La pierre en son horreurl't adoré. La roche, 6+6 a
Morne, se fût sentieémue à son approche ; 6+6 a
Et dans tous les caillouxil t eu des autels. 6+6 a
4785 Il t senti sous luide sombres immortels. 6+6 a
Il t été le mage.Il t connu lès causes. 6+6 a
Il aurait sur son frontla lumière des choses ; 6+6 a
Il serait l'Homme Esprit.L'aigle t fraternisé ; 6+6 a
Et, lui montrant le, ciel,le lion t posé 6+6 a
4790 Sa griffe sur l'épauleauguste du Génie. 6+6 a
Au lieu de le haïrdans leur morne agonie, 6+6 a
Les vivants effrayantsd'en bas eussent béni 6+6 a
Ce grand communiantde l'amour infini. 6+6 a
En le voyant, la fosset resplendi, pareille 6+6 a
4795 Aux soirs d'été qu'embraseune clarté vermeille ; 6+6 a
La tombe aurait chanté,le spectre aurait souri. 6+6 a
Il t des inconnusété le favori, 6+6 a
Le bien-aimé de ceuxqui sont sous, les écorces, 6+6 a
Sous les granits, avecles sèves et les forces, 6+6 a
4800 Et, dans tous ses travaux,sans cesse, à tout moment, 6+6 a
Toute l'obscuritél't baisé doucement. 6+6 a
L'ombre immense seraitson fauve auxiliaire. 6+6 a
La nature, de l'hommeaurait été le lierre, 6+6 a
Et l'aurait, dans les pleurs,dans les chocs, dans les maux, 6+6 a
4805 Dans les deuils, protégéde ses mille rameaux. 6+6 a
Il t senti, du fonddes insondables cuves, 6+6 a
Monter vers lui les vents,les parfums, les effluves, 6+6 a
Les magnétismes purs,les souffles, les aimants, 6+6 a
Et le secours profonddes sombres éléments ; 6+6 a
4810 Les fléaux, qui lui fontla guerre du désordre, 6+6 a
Fussent venus lécherses pieds qu'ils viennent mordre ; 6+6 a
Quand sa barque, le soir,se risque hors du port, 6+6 a
Le flot t dit au vent :c'est lui. Souffle moins fort. 6+6 a
L'azur t murmuré :paix à la voile blonde ! 6+6 a
4815 L'écueil t fait effortpour se courber sous l'onde. 6+6 a
L'être multiple éparsdans l'expiation 6+6 a
L't partout conseilléde son vague rayon ; 6+6 a
Sentant cette belle âmehumaine, bonne et tendre, 6+6 a
Se baisser, et toucherleur chne, et la détendre, 6+6 a
4820 La création bruteau difforme poitrail, 6+6 a
L'instinct, cette lueurde l'âme au soupirail, 6+6 a
Le grand Tout, ce flot sourdqui s'enfle et qui se creuse, 6+6 a
L'énormité, la choseinforme et ténébreuse, 6+6 a
L'horreur des bois, l'horreurdes mers, l'horreur des cieux, 6+6 a
4825 Tout le mystérieux,tout le prodigieux, 6+6 a
Fût accouru, soumis,à son appel sublime, 6+6 a
A travers l'ombre ; et l'hommet eu pour chien l'abîme. 6+6 a
Il sentirait, rêveur,satisfait, ébloui, 6+6 a
La pénétrationdes étoiles en lui ; 6+6 a
4830 L'ange le montreraità l'ange qui se penche ; 6+6 a
Il serait aujourd'huila grande tête blanche 6+6 a
Apeue au-dessusdu gouffre et de la nuit. 6+6 a
Mais il n'a rien compris,rien sondé, rien traduit, 6+6 a
Rien aimé, que lui-mêmeet lui seul. L'égoïste 6+6 a
4835 Vit dans sa vanitédémesurée et triste, 6+6 a
Presque en dehors du groupeimmense des vivants. 6+6 a
Dans ce sombre univers,monceau d'esprits rêvants, 6+6 a
Il voit deux êtres : luiqu'il sent, Dieu qu'il suppose. 6+6 a
L'étincelle de Dieu,l'âme, est dans toute chose. 6+6 a
4840 Le monde est un ensemble personne n'est seul ; 6+6 a
Tout corps masque un esprit ;toute chair est linceul ; 6+6 a
Et pour voir l'âme on n'aqu'à lever le suaire. 6+6 a
La faute est le squeletteet l'être est l'ossuaire. 6+6 a
C'est à dire, ô vivant,— car pour la terre il faut 6+6 a
4845 Sans cesse commenterles formules d'en haut, 6+6 a
Que ce monde, Dieu metce que des cieux il ôte, 6+6 a
N'est que le cimetièrehorrible de la faute. 6+6 a
Tout fait, germe : Et la vieest un flanc qui conçoit, 6+6 a
Quoi ? la vie à venir.Tout être, quel qu'il soit, 6+6 a
4850 De l'astre à l'excrément,de la taupe au prophète, 6+6 a
Est un esprit trnantla forme qu'il s'est faite. 6+6 a
Autant que dans la grâceet que dans la beauté, 6+6 a
L'être persiste et vitdans la difformité 6+6 a
Sous l'engloutissementde la matière infâme ; 6+6 a
4855 Autant qu'Ève au doux front,Léviathan, c'est l'âme. 6+6 a
La noirceur d'aujourd'huifait la nuit de demain. 6+6 a
Oui, bête, arbre, rocher,broussaille du chemin, 6+6 a
Tout être est un vivantde l'immensité sombre ; 6+6 a
L'homme n'est pas le seulqui soit suivi d'une ombre ; 6+6 a
4860 Tous, même le cailloumisérable et honteux, 6+6 a
Ont derrière eux une ombre,une ombre devant eux ; 6+6 a
Tous sont l'âme, qui vit,qui vécut, qui doit vivre, 6+6 a
Qui tombe et s'emprisonne,ou monte et se délivre ! 6+6 a
Tout ce qui rampe expieune chute du ciel. 6+6 a
4865 La pierre est une cave rêve un criminel, 6+6 a
Prends garde, esprit ! reculeau seuil du mal, arrête ! 6+6 a
L'arbre t'attend, le rocte guette, esprit ! La bête 6+6 a
Est une chausse-trape l'homme peut tomber. 6+6 a
Tremble. Pas d'actionqu'on puisse dérober 6+6 a
4870 A Dieu, pour qui dans toiveille ta conscience. 6+6 a
Tout être est responsable ;il crt, décrt, vit, pense, 6+6 a
Condamné par lui-mêmeou par lui-même absous ; 6+6 a
Tout ce qu'il fait s'en vadans l'espace ; et dessous 6+6 a
Est l'infini, compteurexact, plateau sans bornes ; 6+6 a
4875 Et la chute possible,et les ténèbres mornes 6+6 a
serpentent, chassésdu vent qui les poursuit, 6+6 a
Les essaims tortueuxdes mondes de la nuit. 6+6 a
Oui, l'âme dans le mal,hélas, naufrage et sombre. 6+6 a
Hommes, votre lumièreest faite avec de l'ombre ; 6+6 a
4880 Sous votre bagne il estd'autres cachots profonds ; 6+6 a
Vous ne vous en doutezpas même ; ô noirs bouffons, 6+6 a
Qui riez, qui chantez,qui raillez, c'est le pire, 6+6 a
Le monde des sanglotscommence a votre rire. 6+6 a
En même temps la joieest au-dessus de vous ; 6+6 a
4885 Car, devant le regardde l'Être sans courroux, 6+6 a
Tout se tient ; et l'extasea la douleur s'enlace. 6+6 a
L'ange me regardait,et, sans que je parlasse, 6+6 a
Il voyait ma pensée,et, dans mon âme entrant, 6+6 a
Son œil fixe rendaitmon crâne transparent. 6+6 a
4890 Il dit, levant un doigtde sa main souveraine : 6+6 a
— Que l'oreille d'en basqui m'écoute, comprenne 6+6 a
Que l'ange — ne s'est pascontredit en montrant 6+6 a
L'homme si vain aprèsl'avoir montré si grand ; 6+6 a
Tout est haut, tout est bastout est lent, tout va vite ; 6+6 a
4895 Toute chose crééeest splendide et petite ; 6+6 a
Tout être a deux aspects,ténèbres et rayons ; 6+6 a
Et la justice sortdes confrontations 6+6 a
Du côté misérableavec la face auguste. 6+6 a
L'être est un hideux troncqui porte un divin buste. 6+6 a
4900 Mais — à la conscienceheureux qui s'est fié ! — 6+6 a
Tout, même ce tronc vil,sera glorifié. 6+6 a
Dieu, l'avertisseur juste,incessamment regarde 6+6 a
La vie, et dans les ventsmurmure : prenez garde ! 6+6 a
Et suit des yeux le chocdes bons et des mauvais. 6+6 a
4905 Tout à l'heure, ô vivantterrestre, tu pouvais 6+6 a
Me répondre : Oui, le cielest gibelin ou guelfe ; 6+6 a
L'astre connt — Isiset Phœbus, Thèbe et Delphe, 6+6 a
Genève et Rome, œdipeet Sphynx, énigme et mot ; 6+6 a
Le météore prendfait et cause là-haut 6+6 a
4910 Pour ou contre Pompéeou César, pour ou contre 6+6 a
Le pâle Capuletqu'un Montaigu rencontre ; 6+6 a
Car dans toute querelleest un peu d'équité, 6+6 a
Et dans toute lueurun peu de vérité ; 6+6 a
Et si la rose rougea tort, la rose blanche 6+6 a
4915 A raison. Et celasuffit pour que Dieu penche. 6+6 a
Le nuage, le jour ;la rosée en sueur, 6+6 a
La comète trnantsa sinistre lueur, 6+6 a
Tous les êtres profondsqui passent dans l'abîme, 6+6 a
Sont du parti de ceuxqu'on foule et qu'on opprime ; 6+6 a
4920 Et, luttant pour le droitet pour la vérité, 6+6 a
Le faible a dans les reinstoute l'immensité 6+6 a
De là l'auguste foidu cœur simple et robuste. 6+6 a
Vivants, tous les cheveuxde la tête du juste, 6+6 a
Par des fils que nul brasn'a pu briser encor, 6+6 a
4925 Sont liés aux rayonsde tous les astres d'or. 6+6 a
Vis, âme : — Oh ! que Dieu soitdans ce que tu préfères ! 6+6 a
La loi, sous ses deux nomsune dans les deux sphères, 6+6 a
Vivants, c'est le progrès ;morts, c'est l'ascension. 6+6 a
Toute cité, d'en basou d'en haut, est Sion ; 6+6 a
4930 Tout être, par l'effortdu labeur volontaire, 6+6 a
Sort de l'épreuve, et rentreau bonheur ; toute terre 6+6 a
Doit devenir Édenet tout ciel paradis. 6+6 a
Les gisants s'écrieront :debout ! les engourdis 6+6 a
Remueront ; l'avenir,parlant d'une voix tendre, 6+6 a
4935 Dira : terre, voicile chemin qu'il faut prendre, 6+6 a
O terre ! et l'harmonieen chantant conquerra 6+6 a
L'horreur du Groënland,l'horreur du Sahara, 6+6 a
Et le sable et la neige,et ces larves barbares, 6+6 a
Caraïbes, hurons,bédouins, malabares, 6+6 a
4940 Peuples sourds de l'Ohio,du Thibet, du Darfour, 6+6 a
Que l'ombre garde assisdans son noir carrefour. 6+6 a
L'aube, cette blancheurjuste, sacrée, intègre, 6+6 a
Qui se fait dans la nuit,se fera dans le nègre. 6+6 a
La Rome du désertntra de Tombouctou. 6+6 a
4945 Oh ! pourvu que ce soiten avant, Dieu sait , 6+6 a
Va, vole ! Je l'ai dit,et je te le répète, 6+6 a
La-bas, l'on entendsonner de la trompette, 6+6 a
La-bas dans l'inconnu,là-bas dans le réel, 6+6 a
Dans ;le vrai ; dans le beau,dans le grand, dans le ciel, 6+6 a
4950 Genre humain, genre humain,ouvre tes larges ailes ! 6+6 a
En même temps la mortaux splendides prunelles 6+6 a
Pousse vers l'éternelleet suprême clarté 6+6 a
Le monstre, et l'homme au ventdu sépulcre emporté, 6+6 a
Troupeau fuyant qu'au borddu gouffre elle dénombre. 6+6 a
4955 L'aurore est un baiserqui veut les fronts de l'ombre. 6+6 a
Tout se meut, se soulève,et s'efforce, et gravit, 6+6 a
Et se hausse, et s'envole,et ressuscite, et vit ! 6+6 a
Rien n'est fait pour resterdans l'obscurité sourde. 6+6 a
L'âme en exil devientà chaque instant moins lourde, 6+6 a
4960 Et s'approche du cielqui vous réclame tous. 6+6 a
D'heure en heure, pour ceuxqui se sont faits plis doux, 6+6 a
La peine s'attendritl'ombre en bonheur se change ; 6+6 a
La bête est commuéeen homme, l'homme en ange ; 6+6 a
Par l'expiation,échelle d'équité, 6+6 a
4965 Dont un bout est nuit froideet l'autre bout clarté, 6+6 a
Sans cesse, sous l'azurque la lumière noie, 6+6 a
L'univers Châtimentmonte à l'univers Joie. 6+6 a
Et l'on y vient d'un bond,et du plus triste lieu. 6+6 a
Oui, l'horreur et le malpeuvent aux pieds de Dieu 6+6 a
4970 Se verser tout à coupen urnes de lumière. 6+6 a
Oui, les plus noirs ont droità la plus blanche sphère ; 6+6 a
Les plus vils ont pour loid'atteindre les plus hauts. 6+6 a
Tous les rayonnementspuisent tous les chaos, 6+6 a
Vident la nuit, et font,ravissement des anges, 6+6 a
4975 Des gerbes d'arcs-en-cielavec toutes les fanges ! 6+6 a
Point de déshérité !Non ! point de paria ! 6+6 a
Je levai les deux mainsau ciel ; l'ange cria : 6+6 a
Ô profondeurs, voilàque ce passant s'étonne ! 6+6 a
Puis il reprit :
— Rêveurqu'emporte un vent d'automne, 6+6 a
4980 Sors de l'infirmitéde ta stupeur sans yeux. 6+6 a
Apprends l'immensité.Guetteur obscur des cieux, 6+6 a
Sache, ô vivant qui viensregarder l'aube ntre, 6+6 a
Que l'expiationva plus avant peut-être 6+6 a
Que tu ne descendiset que tu ne sondas, 6+6 a
4985 Homme, et qu'elle peut faireun élu de Judas 6+6 a
Sache que Dieu, domptantmême l'œil qui fascine, 6+6 a
Change, quand il lui, plt,le serpent en racine, 6+6 a
Si bien qu'avec le tempsses desseins sont remplis, 6+6 a
Et que de la vipèreil fait sortir un lys. 6+6 a
4990 Qu'ont donc appris à l'hommeInde, Égypte et Chaldée, 6+6 a
S'il est pétrifiépar cette simple idée 6+6 a
Que l'âme se perdra,se perd et se perdit, 6+6 a
Mais que Dieu peut toujoursla trouver ? Qui te dit 6+6 a
Que, le jour , la mortenfin te fera ntre, 6+6 a
4995 Tu ne verras, pas, homme,au seuil des cieux partre, 6+6 a
Un archange plus grandet plus éblouissant 6+6 a
Et plus beau que celuiqui te parle à présent, 6+6 a
Ayant des fleurs soleils,des astres étincelles, 6+6 a
Et tous les diamantsdu gouffre dans ses ailes, 6+6 a
5000 Qui viendra vers toi, pur,auguste, doux ; serein, 6+6 a
Calme, et qui te dira :c'est moi qui fus :Caïn ? 6+6 a
Homme, sache que Dieupourrait prendre un cloporte, 6+6 a
Un crapaud, l'acarusque ton ulcère porte, 6+6 a
Et lui donner l'auroreet le septentrion. 6+6 a
5005 Sache que Dieu pourraitchoisir un vibrion, 6+6 a
Un ver de terre au fonddu sépulcre nocturne, 6+6 a
Et lui dire : — VoilàSirius et Saturne, 6+6 a
Arcturus, Orionet les pléiades d'or ; 6+6 a
Je te les donne. Prends.Et je te donne encor 6+6 a
5010 Le vaste Jupiteravec ses quatre lunes. 6+6 a
Prends l'ouragan, le bruit,le jour bleu, les nuits brunes, 6+6 a
Le tropique et l'été,le pôle avec l'hiver. 6+6 a
Vénus, perle du soir,je te donne à ce ver. 6+6 a
Ver, prends Aldebaranque vit Jean, mon apôtre, 6+6 a
5015 Et prends ses trois soleilsqui roulent l'un sur l'autre ; 6+6 a
Prends tous les firmamentset tous les oans, 6+6 a
Et le haut zodiaqueaux douze astres géants, 6+6 a
Tournant comme une roueau fond des ombres noires. 6+6 a
Sache que Dieu pourraitdonner toutes ces gloires 6+6 a
5020 A ce vil ver de terreimmonde et chassieux 6+6 a
Sans étonner un seul —archange dans les cieux ! 6+6 a
Et sache aussi que Dieudonnerait à cet être : 6+6 a
Ce que dans tous les lieuxl'éternité voit ntre, 6+6 a
Tous les astres qu'on voit,tous ceux qu'on ne voit pas, 6+6 a
5025 Tout ce qui tourbillonneau souffle du trépas, 6+6 a
Et les mille flambeauxtremblant sur le grand voile, 6+6 a
Sans que l'infini fûtamoindri d'une étoile, 6+6 a
Et qu'ayant tout donné,Dieu n'aurait rien de moins. 6+6 a
Et l'archange reprit :Soleils, soyez témoins, 6+6 a
5030 Soyez témoins, ô cieux,que l'ilote et l'esclave, 6+6 a
Le gtreux dont l'œil rêveet dont la lèvre bave 6+6 a
 Dans ses mornes sommeils, 6 a
Et sur son lit maudit,le lépreux solitaire, 6+6 b
Ô cieux, sont vos égaux,et que les vers de terre 6+6 b
5035  Sont vos frères, soleils ! 6 a
Soyez témoins, éthers vit l'âme ravie, 6+6 a
Épanouissementsde splendeur et de vie, 6+6 a
 Édens par Dieu dorés ; 6 a
Paradis qui passezavec le son des lyres, 6+6 b
5040 Rayons, soyez témoins,soyez témoins, sourires, 6+6 b
 Que les pleurs sont sacrés ! 6 a
Il ne tient qu à la nuit,et cela dépend d'elle, 6+6 a
D'être heureuse, innocente,et sincère, et fidèle, 6+6 a
 De nous éblouir tous, 6 a
5045 Et de voir tout à coup,clartés dans l'ombre écloses, 6+6 b
Des flots de colibris ;sortis d'un tas de roses, 6+6 b
 Aveugler ses hiboux ! 6 a
Le méchant est un mortdont l'harmonie est veuve. 6+6 a
Il peut, quand il lui plt,rentre après l'épreuve, 6+6 a
5050  Et revenir, ailé, 6 a
Superbe, triomphant,sans pleurs, sans deuil, sans crainte, 6+6 b
Serein car tout espritde la justice sainte 6+6 b
 Est l'époux étoilé ! 6 a
Hommes ! l'orgueil en vousparfois crie et résiste, 6+6 a
5055 Et vous dites, entantque votre terre est triste : 6+6 a
 — « Dieu pour nous est sans nom : 6 a
« Qu'a trouvé Ptoléméeet que sait Épicure ? 6+6 b
« Double négation «: le ciel noir, l'âme obscure. 6+6 b
 « L'être est Nuit, l'homme est Non. 6 a
5060 « Le mal est notre mtreet, le doute est notre hôte ; 6+6 a
« Dieu nous montre la peineet nous cache la faute ; 6+6 a
 « Que veut ce dieu lointain ? 6 a
« Notre vie est si morneet notre âme est si noire, 6+6 b
« Hélas ! que, par moments,nous hésitons à croire 6+6 b
5065  « L'étoile du matin ! 6 a
« Il semble que Dieu tristeessaie à chaque aurore 6+6 a
« De créer un jour pur,divin, charmant, sonore, 6+6 a
 « Par la joie expliqué, 6 a
« D'un éternel midiréchauffant la nature, 6+6 b
5070 « Sans tache… — et chaque soir,la nuit revient, rature 6+6 b
 « Du jour toujours manqué ! 6 a
« Qui nous dit que ce mondeinique et léthifère 6+6 a
« Est l'œuvre de quelqu'unqui sait ce qu'il veut faire ? 6+6 a
 « Tout rampe de terreur ; 6 a
5075 « Ces monts, ces mers, ces champs nos troupeaux vont ptre, 6+6 b
« Ces globes, ces soleil ;ces cieux ne sont peut être 6+6 b
 « Que quelque immense erreur ! — » 6 a
Et vous criez, vivantssinistres de la tombe : 6+6 a
« L'anathème nous tient ;l'horreur sur nous surplombe ; 6+6 a
5080  « Ce guichetier nous suit ; 6 a
« L'obscurité nous couve,et la geôle âpre et lourde 6+6 b
« Nous guette, et chaque étoileest la lanterne sourde 6+6 b
 « D'un spectre de la nuit ! 6 a
« Nous sommes prisonniers ;les ténèbres nous gardent ; 6+6 a
5085 « Tous les yeux de l'abîmeà la fois nous regardent ; 6+6 a
 « Comment fuir ? on nous voit ! 6 a
« Comment nous évader ?— » Il suffit, pour — qu'on sorte, 6+6 b
Qu'une bonne actionpousse l'énorme porte.. 6+6 b
 Du bout du petit doigt ! 6 a
5090 Le Dieu juste, qui metà toute peine un terme 6+6 a
Ne veut pas que le grandsur le petit se ferme ; 6+6 a
 Il veut la liberté, 6 a
Et c'est avec l'atome,ô pauvre âme inquiète, 6+6 b
Que ce Dieu fait la clefde la serrure faite 6+6 b
5095  Avec l'immensité. 6 a
Dieu ne permet à rienl'oppression ; la brute 6+6 a
Et l'ange sont amis ;au fond de toute chute 6+6 a
 Dieu met de sa clarté ; 6 a
De toute ascensionDieu marque le solstice ; 6+6 b
5100 Il crie aux quatre vents :Égalité ! Justice ! 6+6 b
 Équilibre ! Équité ! 6 a
Et l'un des quatre ventsva le dire à l'aurore ; 6+6 a
L'autre au couchant pourpréqu'un divin nimbe dore 6+6 a
 Et qui s'épanouit 6 a
5105 Le troisième le ditau midi qui s'enivre 6+6 b
De l'éblouissementde tout ce qu'il fait vivre ; 6+6 b
 Le dernier à la nuit. 6 a
Qu'est-ce que le rayona de plus que la bête ? 6+6 a
Le tigre a sa fureur,le ciel a sa tempête ; 6+6 a
5110  Tout est égal à tout 6 a
L'insecte vaut le globe ;et, soleils, sphères, gloires, 6+6 b
Tous les géants, égauxà tous les infusoires, 6+6 b
 Gisent sous Dieu debout. 6 a
Tout n'est qu'un tourbillonde poussière qui vole. 6+6 a
5115 La mouche et sa lueur,l'astre et son auréole, 6+6 a
 Cendre ! apparitions ! 6 a
Vie ! Être ! ô précipiceobscur ! horreurs sacrées, 6+6 b
Dieu laisse en rêvanttomber des empyrées 6+6 b
 Et des créations ! 6 a
5120 L'infiniment petit,l'infiniment grand ; songes ! 6+6 a
Ces soleils que tu vois,ces azurs tu plonges ; 6+6 a
 Âme errant sans appuis, 6 a
Les orbites de feudes sphères vagabondes, 6+6 b
Les éthers constellés,les firmaments ; les mondes, 6+6 b
5125  Cercles du fond du puits ! 6 a
Ô citerne de l'ombre !Ô profondeurs livides ! 6+6 a
Les plénitudes sontpareilles à des vides. 6+6 a
 L'œil cherche le soutien. 6 a
L'être est prodigieuxà ce point, j'en frissonne, 6+6 b
5130 Qu'il ressemble au néant ;et Tout par moments donne 6+6 b
 Le vertige de Rien ! 6 a
On revient au néantpar l'énormité même, 6+6 a
Oui ! — S'il n'était pas là,lui, le témoin suprême, 6+6 a
 Oh ! comme on frémirait ! 6 a
5135 Mais ce grand front sereindans l'immensité rentre, 6+6 b
Et, comme un feu suffitpour éclairer un antre, 6+6 b
 L'univers repart. 6 a
Ô Création, chocde souffles, bruit d'atomes, 6+6 a
Terre, trône de l'homme,univers, cieux, royaumes, 6+6 a
5140  Rayons, sceptres, pavois, 6 a
Monde noir qui te taiset qui dors ! Dieu se lève. 6+6 b
Ombre ! il est le regard ;sommeil ! il est le rêve ; 6+6 b
 Silence, il est la voix ! 6 a
Dieu vit. Quiconque mangeest assis à sa table. 6+6 a
5145 Il est l'inaccessible,il est l'inévitable ; 6+6 a
 L'athée au sombre vœu, 6 a
En se précipitant,sans foi, sans loi, sans prisme, 6+6 b
La tête la première ;au fond de l'athéisme, 6+6 b
 Brise son âme à Dieu ! 6 a
5150 Il est le fond de l'être.Oui, terrible ou propice, 6+6 a
Tout vertige le trouveau bas du précipice. 6+6 a
 Satan, l'ange échappé, 6 a
Se cramponne lui-mêmeau père, et l'on devine 6+6 b
Dans le pli d'un des pansde la robe divine 6+6 b
5155  Ce noir poignet crispé. 6 a
Dieu ! Dieu ! Dieu ! l'âme uniqueest dans tout, et traverse 6+6 a
L'âme individuelle,en chaque être diverse ; 6+6 a
 Tout char l'a pour essieu ; 6 a
La tête de mort, blêmeau fond de l'ombre immonde, 6+6 b
5160 Par un de ses deux trous,sinistre, voit le monde, 6+6 b
 Et par l'autre voit Dieu. 6 a
Cet ensemble, l'on voittoujours plus d'aube ntre, 6+6 a
Et qu'on nomme le cielet l'enfer, se pénètre ; 6+6 a
 Rayon et flamboiement ; 6 a
5165 L'un descend, l'autre monte ;et Dieu dans l'ombre passe ; 6+6 b
Et chacun d'eux éclaireun côté de sa face 6+6 b
 Au fond du firmament. 6 a
Par moments, dans l'azur l'archange a son aire, 6+6 a
Il se fait des hymensque chante le tonnerre ; 6+6 a
5170  L'âme épouse le ver ; 6 a
Et le ciel et l'enfer,et la lumière et l'ombre, 6+6 b
Et le rayon splendideet le flamboiement sombre 6+6 b
 Se mêlent dans l'éclair. 6 a
Rien n'est désespéré,car rien n'est hors de l'être. 6+6 a
5175 Vivez ! Le disparupeut toujours repartre. 6+6 a
 Le mal par vous construit, 6 a
Se place, dans la vasteet morne apocalypse, 6+6 b
Entre votre âme et Dieu ;l'enfer est une éclipse ; 6+6 b
 Le mal passe, Dieu luit ! 6 a
5180 Transfigurationssplendides et subites ! 6+6 a
Les châtiments sont pleinsde sombres : cénobites, 6+6 a
 De bras au ciel tendus. 6 a
Parfois les lieux profondsont des sanglots sublimes 6+6 b
Qui jettent tout à coupprès de Dieu sur les cimes 6+6 b
5185  Des monstres éperdus ! 6 a
Chaque globe est un œufhideux, sur qui se pose 6+6 a
La nuit triste, l'on sentremuer quelque chose, 6+6 a
 Couvert d'êtres maudits, 6 a
Lugubre, affreux, rongéde moisissure verte, 6+6 b
5190 Qu'un jour un bec de feubrise, et d', l'aile ouverte, 6+6 b
 Sort l'aigle Paradis. 6 a
Ce n'est pas le pardonc'est la justice auguste ; 6+6 a
C'est, après le rachat,la délivrance juste ; 6+6 a
 L'équitable retour 6 a
5195 Des hydres vers l'azur l'on voit l'astre éclore, 6+6 b
Des muets vers la voix,des larmes vers-l'aurore, 6+6 b
 Des spectres vers le jour ! 6 a
Dieu n'est pas moins en basqu'en haut ; oui, la nature 6+6 a
Sacre l'égalitéde toute créature 6+6 a
5200  Devant le créateur ; 6 a
Et c'est le cœur de Dieuque sent l'être unanime 6+6 b
Dans ces deux battementsénormes de l'abîme, 6+6 b
 Profondeur et Hauteur. 6 a
Ces deux pulsationsde la vie éternelle 6+6 a
5205 Jettent l'âme innocenteet l'âme criminelle, 6+6 a
 L'une aux cieux ; l'autre aux nuits ; 6 a
Chacun va dans la sphère sa pesanteur tombe. 6+6 b
Dieu, pour noircir l'orfraieet blanchir la colombe, 6+6 b
 N'a qu'à dire je suis. 6 a
5210 La conscience est là,lueur crépusculaire. 6+6 a
Vous êtes avertis,vivants ; le crime éclaire. 6+6 a
 Tu tombes, tu sais ! 6 a
La drachme de Judas,par la nuit ramassée, 6+6 b
Rayonne et luit au fondde l'ombre hérissée ; 6+6 b
5215  C'est l'œil rond du hibou. 6 a
Dieu laisse à tous le poidsqu'ils ont. Coupable ou sainte, 6+6 a
L'action est un piedqui marque son empreinte. 6+6 a
 Dieu laisse au mal le mal. 6 a
Dieu, choisir ! l'absolun'a pas de préférence ; 6+6 b
5220 Le cercle ne peut riensur la circonférence ; 6+6 b
 Le parfait est fatal. 6 a
Oui, Dieu, c'est l'équilibre.Êtres, Dieu pèse et crée : 6+6 a
À droite l'étendue,a gauche la durée ; 6+6 a
 L'évident, l'incompris ; 6 a
5225 Les éblouissements,contre-poids des désastres ; 6+6 b
L'abîme balançantl'âme ; ici tous les astres, 6+6 b
 Et là tous les esprits. 6 a
En lui sont la raisonet le centre imperdable ; 6+6 a
Tous les balancementsde l'ordre formidable 6+6 a
5230  S'y règlent à la fois ; 6 a
Toutes les équitésforment cette âme immense ; 6+6 b
Elle est le grand niveaude l'être ; et la clémence 6+6 b
 Y serait un faux poids. 6 a
L'absolu ! l'absolu !Ni fureurs, ni faiblesses. 6+6 a
5235 Impassible, étoilée,âpre, tu ne te laisses, 6+6 a
 Au fond du ciel béni, 6 a
Violer, dans ta paixqu'aucun flot ne déborde, 6+6 b
Jamais, à rien, pas mêmeà la miséricorde, 6+6 b
 Sombre vierge Infini ! 6 a
5240 Rien ne fait vacillerl'axe, que la justice. 6+6 a
Chacun pèse sa vie ;orgueil, sagesse ou vice. 6+6 a
 Vivez ! cherchez le mieux ! 6 a
L'action pend à l'âme.Avec tout ce qu'il sème, 6+6 b
Chaque être a son insuse compose à lui-même 6+6 b
5245  Son poids mystérieux. 6 a
La balance n'a pasle droit de faire grâce. 6+6 a
Elle oscille en dehorsdu temps et de l'espace ; 6+6 a
 Elle est la vérité ; 6 a
Sous la seule équitéson tremblement s'apaise. 6+6 b
5250 Demande aux deux plateauxsi l'immensité pèse. 6+6 b
 Plus que l'éternité ! 6 a
L'archange disparutcomme, au front du Vésuve, 6+6 a
S'efface une fumée,ou comme, dans la cuve, 6+6 a
S'évanouit l'écumeen tombant du pressoir. 6+6 a
VIII
5255 Et je vis au-dessusde ma tête un point noir. 6+6 a
Et ce point noir semblaitune mouche dans l'ombre. 6+6 a
Comme un vert rejetonsort d'une souche sombre, 6+6 a
Des profondeurs sortaitle jour éblouissant. 6+6 a
Je me précipitaivers le point grandissant, 6+6 a
5260 Plus prompt que les oiseauxenvolés hors des branches ; 6+6 a
C'était une lumièreavec deux ailes blanches ; 6+6 a
Et qui m'avait semblé,lorsque je l'apeus, 6+6 a
Obscure, tant le cielrayonnait au-dessus. 6+6 a
Cette clarté disait :
— Pas de droite et de gauche ; 6+6 a
5265 Pas de haut ni de bas ;pas de glaive qui fauche ; 6+6 a
Pas de trône jetantdans l'ombre un vague éclair ; 6+6 a
Pas de lendemain, pasd'aujourd'hui, pas d'hier ; 6+6 a
Pas d'heure frissonnantau — vol du temps rapace ; 6+6 a
Point de temps ; point d'ici,point de là ; point d'espace ; 6+6 a
5270 Pas d'aube et pas de soir ;pas de tiare ayant 6+6 a
L'astre pour escarboucleà son fte effrayant ; 6+6 a
Pas de balance ; pasde sceptre, pas de globe ; 6+6 a
Pas de Satan cachédans les plis de la robe ; 6+6 a
Pas de robe ; pas d'âmeà la main ; pas de mains ; 6+6 a
5275 Et vengeance, pardon,justice, mots humains. 6+6 a
Qui que tu sois, écoute :il est.
Qu'est-il ? Renonce ! 6+6 a
L'ombre est la question,le monde est la réponse. 6+6 a
Il est. C'est le vivant,le vaste épanoui ! 6+6 a
Ce que contemple au, loinle soleil ébloui, 6+6 a
5280 C'est lui : Les cieux, vous, nous ;les étoiles, poussière ! 6+6 a
Il est l'œil gouffre, ouvertau fond de la lumière, 6+6 a
Vu par tous les flambeaux,senti par tous les nids, 6+6 a
D' l'univers jailliten rayons infinis. 6+6 a
Il regarde, et c'est tout.Voir suffit au sublime, 6+6 a
5285 Il crée un monde rienqu'en voyant un abîme 6+6 a
Et cet être qui voit,ayant toujours été, 6+6 a
A toujours tout créé,de toute éternité. 6+6 a
Quand la bouche d'en bastouche à ce nom suprême, 6+6 a
L'essai de la louangeest presque le blasphème : 6+6 a
5290 Pas d'explicationdonc ! Fais mettre à genoux 6+6 a
Ta pensée, et deviensun regard ; comme nous. 6+6 a
Pourquoi chercher les mots ne sont plus les choses ? 6+6 a
Le vil langage humainn'a pas d'apothéoses. 6+6 a
Ce qu'Il est, est à peineentrevu du tombeau. 6+6 a
5295 Il échappe aux mots noirsde l'ombre. On aurait beau 6+6 a
Faire une strophe avecles brises éternelles, 6+6 a
Et, pour en parfumeret dorer les deux ailes, 6+6 a
Mettre l'astre dans l'uneet dans l'autre la fleur, 6+6 a
Et mêler tout l'azurà leur splendide ampleur, 6+6 a
5300 On ne peindrait pas Dieu.Songeur, qu'on le revête 6+6 a
De bruit et d'aquilon,de foudre et de tempête ; 6+6 a
Qu'on le montre éveillé,qu'on le montre dormant, 6+6 a
Sa respirationsoulevant doucement 6+6 a
Toutes les profondeursde toute l'étendue, 6+6 a
5305 Remuant la comèteau fond des cieux perdue, 6+6 a
Le vent sur son cheval,la mort sur son éclair, 6+6 a
Et le balancementmonstrueux de la mer, 6+6 a
On ne le peindra pas.Lui ! Lui ! l'inamissible, 6+6 a
L'éternel, l'incréé,l'imprévu, l'impossible, 6+6 a
5310 Il est. La taupe fouilleet creuse, et l'apeoit ; 6+6 a
L'ombre dit à la taupees-tu sûre qu'il soit ? 6+6 a
La taupe répond : Dieu !Dieu de l'aigle est la proie. 6+6 a
Suppose que sur terreun seul être en Dieu croie, 6+6 a
Cet être, si jamaisle soleil, s'éclipsait, 6+6 a
5315 Remplacerait l'aurore.Et sais-tu ce que c'est 6+6 a
Que le fauve ouragan,tonnant et formidable ? 6+6 a
C'est, dans les profondeursdu gouffre inabordable, 6+6 a
L'infini murmurant :je l'aime ! à demi-voix ; 6+6 a
Quand l'étoile rayonne,elle dit : je le vois ! 6+6 a
5320 Tout le cri, tout le bruitet tout l'hymne de l'homme 6+6 a
Avorte à dire Dieu !Le baiser seul le nomme. 6+6 a
J'aime !
Ici la clartéme dit :
— Si tu m'en crois, 6+6 a
Va-t'en. Car les rayonsbrûlants dont tu t'accrs 6+6 a
Pourraient te consumer,frémissant, avant l'heure. 6+6 a
5325 L'homme meurt d'un excèsde flamme intérieure ; 6+6 a
L'ange qui va trop loindit : Ne restons pas là. 6+6 a
En voulant trop voir Dieu,Moïse chancela ; 6+6 a
Un peu plus, il tombaitdu haut de cette cime, 6+6 a
L'œil plein des tournoiementsterribles de l'abîme. 6+6 a
5330 — Parle ! oh ! parle ! criai-jeà la forme de feu. 6+6 a
Ô curieux du gouffre,Empédocle de Dieu, 6+6 a
Je parlerai, dit l'être,et même ton langage ; 6+6 a
Car, quand dans l'infinisous vos yeux on s'engage, 6+6 a
Hommes, on ne peut plustoucher a ses rameaux 6+6 a
5335 Sans en faire tombervos misérables mots. 6+6 a
Le tout éternel sortde l'éternel atome. 6+6 a
De l'équation Dieule monde est le binôme 6+6 a
Dieu, c'est le grand réelet le grand inconnu ; 6+6 a
Il est ; et c'est errerque dire : Il est venu. 6+6 a
5340 Quoique l'impénétrableénigme le vêtisse, 6+6 a
Quoiqu'il n'ait ni lever,ni coucher, ni solstice, 6+6 a
Êtres bornés, il marque,au fond du ciel sans bord, 6+6 a
Vos quatre angles, levant,occident, midi, nord ; 6+6 a
Il est Xiks, élémentdu rayonnement, nombre 6+6 a
5345 De l'infini, clartéformidable de l'ombre, 6+6 a
Lueur sur le corancomme sur le missel, 6+6 a
Éternelle présenceà l'œil universel ! 6+6 a
C'est lui l'autoritéd' jaillit l'âme libre ; 6+6 a
C'est lui l'axe invisibleautour duquel tout vibre, 6+6 a
5350 Et l'oscillationdans l'immobilité ; 6+6 a
Oscillation sombre,au cercle illimité, 6+6 a
Qui va, prodigieuse,une, inouïe, étrange, 6+6 a
Des oreilles de l'âneaux ailes de l'archange. 6+6 a
L'être sans cesse en luise forme et se dissout ; 6+6 a
5355 Il est la parallèleéternelle de tout ; 6+6 a
Il est précision,loi, règle, certitude, 6+6 a
Justesse, abstraction,rigueur, exactitude, 6+6 a
Et toute cette algèbreen tendresse se fond. 6+6 a
Et dans l'indéfini,l'obscur et le profond, 6+6 a
5360 A travers ce qu'on nommeair et terre, flamme, onde, 6+6 a
Cet Xiks a quatre bras,pour embrasser le monde, 6+6 a
Et, se dressant visibleaux yeux morts ou déçus, 6+6 a
Il est croix sur la terreet s'appelle Jésus. 6+6 a
Hors de la terre il estl'innommé.
Chaque sphère 6+6 a
5365 Le nomme en frissonnantdu nom qu'elle préfère, 6+6 a
Mais tous les noms sur Dieusont des flots insensés. 6+6 a
Quant au globe-chétifet morne vous passez, 6+6 a
Hommes, l'ange a parléd'une façon sévère ; 6+6 a
L'homme est l'être sacréque la terre révère ; 6+6 a
5370 Mais l'arbre est quelque choseet la bête est quelqu'un ; 6+6 a
La pierre et son silence,et l'herbe et son parfum ; 6+6 a
Vivent ; l'homme, rayon,doit plaindre la poussière ; 6+6 a
L'être est une famille l'homme est le grand frère 6+6 a
Et lui, l'âme, d'en haut,il doit, dans leurs combats, 6+6 a
5375 Verser tout son azursur les âmes d'en bas ; 6+6 a
L'homme, malgré sa haineet malgré sa démence, 6+6 a
Est le commencementde la lumière immense. 6+6 a
L'égalité dans l'ombreébauche l'unité ; 6+6 a
L'unité, c'est le butde la route clarté. 6+6 a
Âme ! être, c'est aimer.
Il est.
5380 C'est l'être extrême. 6+6 a
Dieu, c'est le jour sans borneet sans fin qui dit : j'aime. 6+6 a
Lui, l'incommensurable,il n'a point de compas ; 6+6 a
Il ne se venge pas,il ne pardonne pas ; 6+6 a
Son baiser éternelignore la morsure ; 6+6 a
5385 Et quand on dit : justice,on suppose mesure. 6+6 a
Il n'est point juste ; il est.Qui n'est que juste est peu. 6+6 a
La justice, c'est vous,humanité ; mais Dieu 6+6 a
Est la bonté. Dieu, branche tout oiseau se pose ! 6+6 a
Dieu, c'est la flamme aimanteau fond de toute chose. 6+6 a
5390 Oh ! tous sont appeléset tous seront élus. 6+6 a
Père, il songe au méchantpour l'aimer un peu plus. 6+6 a
Vivants, Dieu pénétranten vous ; chasse le vice. 6+6 a
L'infini qui dans l'hommeentre, y devient justice ; 6+6 a
La justice n'étantque le rapport secret 6+6 a
5395 De ce que l'homme faità ce que Dieu ferait. 6+6 a
Bonté, c'est la lueurqui dore tous les ftes ; 6+6 a
Et, pour parler toujours,hommes, comme vous faites, 6+6 a
Vous qui ne pouvez voirque-la forme et le lieu, 6+6 a
Justice est le profilde la face de Dieu. 6+6 a
5400 Vous voyez un côté,vous ne voyez pas l'autre. 6+6 a
Le bon, c'est le martyr ;le juste n'est qu'apôtre ; 6+6 a
Et votre infirmité,c'est que votre raison 6+6 a
De l'horizon humainconclut l'autre horizon. 6+6 a
Limités, vous prenezDieu pour l'autre hémisphère. 6+6 a
5405 Mais lui, l'être absolu,qu'est-ce qu'il pourrait faire 6+6 a
D'un rapport ? L'innombrableest-il fait pour chiffrer ? 6+6 a
Non, tout dans sa bontésombre vient s'engouffrer. 6+6 a
On ne sait l'on vole,on ne sait l'on tombe, 6+6 a
On nomme cela mort,néant, ténèbres, tombe, 6+6 a
5410 Et, sage, fou, riant,pleurant, tremblant, moqueur, 6+6 a
On s'abîme éperdudans cet immense cœur ! 6+6 a
Dans cet azur sans fondla clémence étoilée 6+6 a
Elle-même s'efface,étant d'ombre mêlée ! 6+6 a
L'être pardonné gardeun souvenir secret, 6+6 a
5415 Et n'ose aller trop haut ;le pardon semblerait 6+6 a
Reproche à la prière,et Dieu veut qu'elle approche ; 6+6 a
N'étant jamais tristesse,il n'est jamais reproche, 6+6 a
Enfants ; et maintenant,croyez si vous voulez ! 6+6 a
Devant le sacrificeet les cieux constellés, 6+6 a
5420 Devant l'aigle effaré ;devant les forêts vertes, 6+6 a
Devant les profondeursdans tout être entr'ouvertes, 6+6 a
Hommes, on peut nier,mais l'inconvénient 6+6 a
C'est que l'esprit décrtet noircit en niant. 6+6 a
L'être fait pour l'extaseet la soif infinie 6+6 a
5425 Devient sarcasme, rire,ignorance, ironie ; 6+6 a
Il n'a plus rien de saint,il n'a plus rien de cher ; 6+6 a
Et sa tête de mortappart sous sa chair. 6+6 a
Votre t'erre niantne serait qu'une infâme, 6+6 a
Et sa nuit grandirait ;car retirer cette âme. 6+6 a
5430 A l'univers, c'est faireun abîme au milieu. 6+6 a
Qui, du centre de l'êtreinsondable, ôte Dieu, 6+6 a
Ôte l'Idée avectous ses aspects, puissance, 6+6 a
Vérité, liberté,paix, justice, innocence ; 6+6 a
Ôte aux êtres le droit,ôte aux forces l'aimant, 6+6 a
5435 Ote la clef de vte,et vois l'écroulement ! 6+6 a
Je t'ai parlé ta langue,homme que je rencontre. 6+6 a
Et que veux-tu de plus ?faut-il qu'on te le montre ? 6+6 a
O regardeur aveugleet qui te crois voyant, 6+6 a
Comment te montrer Dieu,cet informe effrayant ? 6+6 a
5440 Comment te dire : icifinit, ici commence ? 6+6 a
Fin et commencementsont des mots de démence. 6+6 a
Fin et commencementsont vos deux grands haillons. 6+6 a
Homme, chante ou blasphèmeà travers tes bâillons, 6+6 a
Tu mêleras, sans direun mot de la grande âme, 6+6 a
5445 Ton blasphème à la nuitet ton hymne à la flamme : 6+6 a
L'idée à peine éclôtque les mots la défont. 6+6 a
Comment se figurerla face du profond, 6+6 a
Le contour du vivantsans borne, et l'attitude 6+6 a
De la toute-puissanceet de la plénitude ? 6+6 a
5450 Est-ce Allah, Brahma, Pan,Jésus, que nous-voyons ? 6+6 a
Ou Jéhovah ? Rayons !rayons ! rayons ! rayons ! 6+6 a
La clarté s'arrêta,comme tout éblouie. 6+6 a
Je m'évanouissais,et la vue et l'ouïe, 6+6 a
Et jusqu'aux battementsdu cœur s'interrompant, 6+6 a
5455 S'en allaient hors de moicomme une eau se répand. 6+6 a
Et la clarté criadans la profondeur noire 6+6 a
flottaient vaguementsous la brume illusoire 6+6 a
Ces faces de néantqu'on voit dans le trépas : 6+6 a
Ô Ténèbres, sachezceci : la nuit n'est pas. 6+6 a
5460 Tout est azur, aurore,aube sans crépuscule, 6+6 a
Et fournaise d'extase l'âme parfum brûle. 6+6 a
Le noir, c'est non ; et non,c'est Rien. Tout est certain. 6+6 a
Tout est blancheur, vertu,soleil levant, matin, 6+6 a
Placide éclair, rayonserein, frisson de flamme. 6+6 a
5465 Un ange qui dirait :la nuit, dirait : je blâme. 6+6 a
Les astres ne sont pas.Ces lueurs des tombeaux 6+6 a
Sont fausses, et le jourignore les flambeaux. 6+6 a
La constellationdans l'illusion rampe ; 6+6 a
Le plein midi n'auraitque faire d'une lampe ; 6+6 a
5470 Tout rayonnement vientdu centre et du milieu ; 6+6 a
Comme il n'est qu'une aurore,il n'est qu'un soleil, Dieu, 6+6 a
Qui pour les yeux de chair,couverts de sombres voiles, 6+6 a
Pleut le jour en rayonset la nuit en étoiles. 6+6 a
L'âme est l'œil, il est l'astre.Elle ne voit que lui. 6+6 a
5475 Tout est clarté. Le verrampant, l'ange ébloui, 6+6 a
Tout, les immensités se perdent les sondes, 6+6 a
Tout, ces vagues de Dieuque vous nommez les mondes, 6+6 a
L'apparent, le réel,vierge en robe de lin, 6+6 a
Homme, enfant, cieux et mers,espaces, tout est plein 6+6 a
5480 D'un resplendissementd'éternité tranquille. 6+6 a
Comptez les milliardsde siècles par cent mille, 6+6 a
Vous n'aurez pas dit undevant l'éternité. 6+6 a
Jetez toute votre ombre,ô nuits, à la clarté, 6+6 a
Au gouffre de splendeurque Dieu profond anime, 6+6 a
5485 Et vous ne ferez pasune tache a l'abîme. 6+6 a
Vous n'êtes point. Au basdes cieux nous montons, 6+6 a
On voit vos grandes mainsqui cherchent a tâtons, 6+6 a
O nuits, spectres ! on voitvos formes de nuées 6+6 a
S'approcher et grandirou fuir diminuées, 6+6 a
5490 Et le grand gouffre bleu,plein d'éblouissements, 6+6 a
O brumes, ne sait riende vos écroulements, 6+6 a
Et le rayonnementformidable flamboie. 6+6 a
Ombres, vous n'êtes point.Pour être il faut qu'on voie. 6+6 a
Ténèbres, il n'est pas,devant les firmaments, 6+6 a
5495 De ténèbres ; il n'estque des aveuglements. 6+6 a
Des aveugles ! Pourquoi ?
Pourquoi la loi, la règle, 6+6 a
Le gland avant le chêne,et l'œuf sombre avant l'aigle ? 6+6 a
L'aveugle est l'embryondu voyant ; le voyant 6+6 a
Se change en lumineux ;qui devient, flamboyant ; 6+6 a
5500 C'est la loi. Vous verrez,vous rayonnerez ; ombres ! 6+6 a
Vous serez les frontonséternels, ô décombres ! 6+6 a
Limbes, vous serez ciel !Vous l'êtes déjà, nuit ! 6+6 a
De même que déjàle germe, c'est le fruit ; 6+6 a
Que déjà dans le gland,monde que l'herbe ignore, 6+6 a
5505 Avec toute sa feuilleéclatante d'aurore, 6+6 a
Avec son noir branchage la lune blêmit, 6+6 a
Solide et frissonnant,le grand chêne frémit, 6+6 a
Plein de cris, de chansons,d'hymens et de querelles ; 6+6 a
Et que dans l'œuf profonddéjà tremblent les ailes ! 6+6 a
5510 Devoir être, c'est être.Oui, la fange est cristal : 6+6 a
Chrysalide du bienqu'on appelle le mal, 6+6 a
Ne te plains pas ; un filà Dieu même te noue. 6+6 a
Le réel, c'est la roue,et non le tour de roue. 6+6 a
Ô larves, vous serez.Attendez votre tour. 6+6 a
5515 Puisque le papillonqu'elle doit être un jour ; 6+6 a
Est là-haut, ouvrant l'aile ;et, joyeux, tourbillonne, 6+6 a
Puisque le paradisqu'il doit être-rayonne, 6+6 a
La chenille n'est pas,l'enfer n'existe point. 6+6 a
À la vie à venirle sort présent se joint. 6+6 a
5520 L'être, qui n'est vivantque complet, se déploie 6+6 a
Composé d'aucune ombreet de toute la joie, 6+6 a
Ne gardant du passéque l'extase, et rempli 6+6 a
D'un souvenir célesteet d'un divin oubli. 6+6 a
L'univers, c'est un livre,et des yeux qui le lisent. 6+6 a
5525 Ceux qui sont dans la nuitont raison quand ils disent : 6+6 a
Rien n'existe ! Car c'estdans un rêve qu'ils sont. 6+6 a
Rien n'existe que lui,le flamboiement profond, 6+6 a
Et les âmes, les grainsde lumière, les mythes, 6+6 a
Les moi mystérieux,atomes sans limites, 6+6 a
5530 Qui vont vers le grand moi,leur centre et leur aimant ; 6+6 a
Points touchant au zénithpar le rayonnement, 6+6 a
Ainsi qu'un vêtementsubissant la matière, 6+6 a
Traversant tour à tourdans l'étendue entière 6+6 a
La formule de chairpropre à chaque milieu, 6+6 a
5535 Ici la sève, icile sang, ici le feu ; 6+6 a
Blocs, arbres, griffes, dents,fronts pensants, auoles ; 6+6 a
Retournant aux cercueilscomme à des alvéoles ; 6+6 a
Mourant pour s'épurer,tombant pour s'élever, 6+6 a
Sans fin, ne se perdantque pour se retrouver, 6+6 a
5540 Chne d'êtres qu'en hautl'échelle d'or réclame, 6+6 a
Vers l'éternel foyervolant de flamme en flamme, 6+6 a
Juste éclos du pervers,bon sorti du méchant ; 6+6 a
Montant, montant, montantsans cesse, et le cherchant, 6+6 a
Et l'approchant toujours,mais sans jamais l'atteindre, 6+6 a
5545 Lui, l'être qu'on ne peuttoucher, ternir, éteindre, 6+6 a
Le voyant, le vivant,sans mort, sans nuit, sans mal, 6+6 a
L'idée énorme au fondde l'immense idéal ! 6+6 a
La matière n'est paset l'âme seule existe. 6+6 a
Rien n'est mort, rien n'est faux,rien n'est noir, rien n'est triste ; 6+6 a
5550 Personne n'est puni,personne n'est banni. 6+6 a
Tous les cercles qui sontdans le cercle infini 6+6 a
N'ont que de l'idéaldans leurs circonférences. 6+6 a
Astres, mondes, soleils,étoiles, apparences, 6+6 a
Masques d'ombre ou de feu,faces des visions, 6+6 a
5555 Globes, humanités,terres, créations, 6+6 a
Univers jamaison ne voit rien qui dorme, 6+6 a
Points d'intersectiondu nombre et de la forme, 6+6 a
Chocs de l'éclair puissanceet du rayon beauté, 6+6 a
Rencontres de la vieavec l'éternité, 6+6 a
5560 Ô fumée, écoutez !Et vous, écoutez, âmes, 6+6 a
Qui seules resterezétant souffles et flammes, 6+6 a
Esprits purs qui mourezet naissez tour à tour : 6+6 a
Dieu n'a qu'un front : Lumière !et n'a qu'un nom : Amour ! 6+6 a
Je tremblais ; comme si,prêt à changer de forme, 6+6 a
5565 J'eusse été foudroyépar un baiser énorme. 6+6 a
La clarté flamboyait,transparente et debout. 6+6 a
Et je criai : lumière,ô lumière, est-ce tout ? 6+6 a
Et la clarté me dit :silence. Le prodige 6+6 a
Sort éternellementdu mystère, te dis-je. 6+6 a
5570 Aveugle qui croit lireet fou qui croit savoir ! 6+6 a
[IX]
Et je vis au-dessusde ma tête un point noir. 6+6 a
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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