Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_24/HUG1467
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
LA CORDE D'AIRAIN
X
ALSACE ET LORRAINE
Ô le rêve insen que font ces misérables ! 6+6 a
De qui parlez-vous là ? Des rois. Jours exécrables ! 6+6 a
Jours que de noirs essaims d'Euménides suivront ! 6+6 b
Terre et cieux ! que mon nom, synonyme d'affront, 6+6 b
5 Soit maudit, que ma main se sèche et se flétrisse 6+6 a
Si jamais se taisait ma voix accusatrice ! » 6+6 a
Temps hideux ! voilà donc comment ces meurtriers, 6+6 b
Éclaboussés de sang du casque aux étriers, 6+6 b
Ivres d'orgueil, de bruit, de clairons, de bannières, 6+6 a
10 Traitent les nations, leurs pâles prisonnières ! 6+6 a
César brille, une flamme affreuse l'empourprant. 6+6 b
On coupe par morceaux les peuples. On en prend 6+6 b
Ce qu'on veut, ce qui plaît, le bras, le cœur, la tête. 6+6 a
On est un tas d'oiseaux de proie et de tempête 6+6 a
15 Se ruant sur l'auguste et sombre genre humain. 6+6 b
On est les chefs de l'ombre et l'on a dans la main 6+6 b
Les rênes des chevaux du sépulcre, on excite 6+6 a
De la voix tous les chiens monstrueux du Cocyte, 6+6 a
Grant, Bismarck et Gladstone et Bancroft l'aboyeur ; 6+6 b
20 Cette prostituée inepte, la frayeur, 6+6 b
Mère des lâchetés, vous aide épouvane ; 6+6 a
Et pour tuer Paris, ô tentative athée ! 6+6 a
Comme jadis Xercès contre Léonidas, 6+6 b
On pousse la marée horrible des soldats, 6+6 b
25 On gonfle le flot noir des légions sinistres 6+6 a
On est les dieux ayant les démons pour ministres ; 6+6 a
Et quand on a commis tous ces crimes, on va 6+6 b
Remercier ce spectre idiot, Jéhovah ! 6+6 b
Puis on chante et l'on rit, sans voir que Cette fête 6+6 a
30 Où manque le vrai Dieu, déplaît au vrai prophète, 6+6 a
Et que le justicier, Juvénal, d'Aubigné, 6+6 b
Tacite, est là qui rêve et regarde indigné. 6+6 b
On enterre l'argent pillé, les deux provinces, 6+6 a
Les morts ; on a la joie effroyable des princes ; 6+6 a
35 On se visite, on s'offre un régiment, on est 6+6 b
Plus souriant que n'est épineux le genêt ; 6+6 b
On traîne aux bals charmants ses royales paresses, 6+6 a
Et l'on se fait de tigre à tigre des caresses. 6+6 a
Quant au sang, laissez-le couler, c'est un torrent. 6+6 b
40 Et cependant, on a des sophistes, dorant 6+6 b
Ces gloires, ces traités haineux, cette infamie. 6+6 a
Une belle captive est une belle amie 6+6 a
Pourvu qu'elle comprenne et se calme ; fermons 6+6 b
L'antre des vents soufflant sur les mers et les monts ; 6+6 b
45 Que du drame sanglant sorte l'idylle agreste ; 6+6 a
Paix ! quand on a tout pris, on peut laisser le reste. 6+6 a
Bonheur ! concorde ! Plus de courroux ! Plus d'effroi ! 6+6 b
Et l'on dit à la France : Allons, apaise-toi, 6+6 b
C'est fini, France. — Eh quoi, de ma mémoire amère, 6+6 a
50 J'effacerais Strasbourg et Metz ! dit cette mère 6+6 a
Ah ! j'oublierais plutôt mes deux seins arrachés ! 6+6 b
Non, nous n'oublierons pas ! Rois, ce que vous cherchez, 6+6 b
Le butin, puis la paix dans la forêt déserte, 6+6 a
Ce que, vous attendez, vous ne l'aurez pas, certe ; 6+6 a
55 Mais ce que vous aurez, vous ne l'attendez pas : 6+6 b
C'est le gouffre. Avancez ,dans l'ombre pas à pas. 6+6 b
Allez, marchez. Toujours derrière la victoire 6+6 a
L'avenir, livre obscur, réserve pour l'histoire 6+6 a
.Un feuillet, noir ou blanc, qu'on nomme le revers. 6+6 b
60 Les naufrages profonds devant vous sont ouverts. 6+6 b
Allez, hommes de nuit. Ah ! vous êtes superbes, 6+6 a
Vous régnez ! ô faucheurs, vous pliez sous vos gerbes 6+6 a
De cadavres, de fleurs, de cyprès, de lauriers, 6+6 b
Conquérants dont seraient jaloux les usuriers ! 6+6 b
65 Mais vous comptez en vain, voleurs de ma Lorraine, 6+6 a
Sur mon peu de mémoire et sur mon peu de haine, 6+6 a
Je suis un, je suis Tous, et ce que je vous dis 6+6 b
Tous les cœurs furieux vous le disent, bandits ! 6+6 b
Non, nous n'oublierons pas ! Lorraine, Alsace, ô villes, 6+6 a
70 O chers français, pays sacrés, soyez tranquilles. 6+6 a
Nous ne tarderons point. Le glaive est prêt dé 6+6 b
Que Judith pâle au flanc d'Holopherne plongea. 6+6 b
Éternel souvenir ! Guerre ! guerre ! Revanche ! 6+6 a
Ah ! ton peuple vivra, mais ton empire penche, 6+6 a
75 Allemagne O, révolte au fond du tombeau sourd ! 6+6 b
O tocsin formidable au clocher de Strasbourg ! 6+6 b
Ossements remués ! dressement de fantômes ! 6+6 a
Czars, princes, empereurs, maîtres du monde, atomes, 6+6 a
Comme ces grands néants s'envolent dans la nuit ! 6+6 b
80 Comme l'éterni des rois s'évanouit ! 6+6 b
Des hommes, jeunes, vieux, hurlant, des paysannes, 6+6 a
Des paysans, ayant des faulx pour pertuisanes, 6+6 a
Ah ! le jour de la lutte, il en viendra plus d'un ! 6+6 b
Metz imitera Lille et Strasbourg Châteaudun ; 6+6 b
85 Vos canons contre vous retourneront leurs gueules, 6+6 a
Les pierres se mettront en marche toutes seules 6+6 a
Et feront des remparts contre vous, et les tours 6+6 b
Vous chasseront, hiboux, milans, corbeaux, vautours ! 6+6 b
On verra fourmiller le gouffre des ées ; 6+6 a
90 Alors revivra, fière, au vent des époes, 6+6 a
La Révolution debout, le sabre au poing ; 6+6 b
Et, pâles, vous de qui l'avenir ne veut point, 6+6 b
Vous verrez reparaître, ô rois, cette gorgone 6+6 a
A travers le branchage effrayant de l'Argonne ; 6+6 a
95 La France embrassera l'Alsace, embrassera 6+6 b
La Lorraine, ô triomphe ! et l'Europe sera ! 6+6 b
Et les vengeurs, avec des chants et des huées,- 6+6 a
Plus abondants que l'ombre au puits noir des nuées, 6+6 a
Plus pressés que l'averse en un ciel pluvieux, 6+6 b
100 Viendront, et je verrai cela, moi qui suis vieux ! 6+6 b
Vous riez. N'est-ce pas que l'heure est mal choisie, 6+6 a
Rois, pour tant d'espérance et tant de frénésie, 6+6 a
Quand on vide nos sacs d'écus, quand nous avons 6+6 b
Le même sort qu'ont eu jadis les esclavons, 6+6 b
105 Quand tout notre sang fuit par notre veine ouverte, 6+6 a
Quand vos fusils joyeux ont tous leur branche verte, 6+6 a
Quand tout est gloire, orgueil, force ! — Eh bien, vous verrez. 6+6 b
Soit. Les songes ne sont pas encor dédorés 6+6 b
Mais, princes, cette chose étrange, la justice ; 6+6 a
110 Existe ; et, quel que soit le château qu'on bâtisse, 6+6 a
Fût-il de marbre, il est d'argile, et son ciment 6+6 b
Périra, s'il n'a pas le droit pour fondement ; 6+6 b
Son mur est vain s'il n'est gardé que par le nombre, 6+6 a
Et sa porte de bronze est faite avec de l'ombre. 6+6 a
115 Vos peuples sont dé repentants de vous voir 6+6 b
Tant d'ivresse, un tel sceptre aux mains, tant de pouvoir ; 6+6 b
Ils vous ont couronnés, ne sachant pas qu'un Louvre 6+6 a
Abrite la rapine et le vol, dès qu'on l'ouvre ; 6+6 a
Ils frémissent de voir que vous avez tout pris. 6+6 b
120 C'est de leur flanc que l'arbre immense du mépris 6+6 b
Sortira comme un chêne horrible sort de terre. 6+6 a
Vous croyez, tout-puissants stupides, qu'on fait taire 6+6 a
L'éternelle clameur des hommes opprimés ! 6+6 b
Vous pesez sur les gonds de la nuit, vous fermez 6+6 b
125 La porte par où doit venir la grande aurore ! 6+6 a
Vous tentez d'étouffer l'aube-auguste et sonore ! 6+6 a
Ah ! vous vous attaquez au sinistre avenir ! 6+6 b
Il vient ressusciter, sauver, aimer, punir ! 6+6 b
Tremblez ! vous violez la rive inabordable. 6+6 a
130 Savez-vous les secrets de la nuit formidable ? 6+6 a
C'est nous que le matin mystérieux connaît ; 6+6 b
Ce qui germe, ce qui s'avance, ce qui naît, 6+6 b
Ce qui pense, est à nous. Donc tremblez, ô despotes. 6+6 a
Tout ce que tu fais, Krupp, tout ce que tu tripotes, 6+6 a
135 Bismarck, tous les fourneaux, flamboyants entonnoirs, 6+6 b
Où l'âpre forge, souffle avec ses poumons noirs, 6+6 b
Fabriquant des canons, des mortiers, des bombardes, 6+6 a
Tout ce qu'un faux triomphe inspire à de faux bardes, 6+6 a
Rois, je vous le redis, ce décor d'opéra 6+6 b
140 Pâlira, passera, fuira, s'écroulera ! 6+6 b
Oui, nous sommes tombés et vaincus, et le Xanthe 6+6 a
Frémissant ne vit pas Ilion plus gisante ; 6+6 a
Oui, nous sommés à terre, à bas, brisés, battus 6+6 b
Oui, mais Quatre-vingt-douze et ses sombres vertus 6+6 b
145 Croissent dans nos enfants, et notre ciel se dore 6+6 a
De ce vieil astre, éclos dans cette jeune aurore ; 6+6 a
Leurs fraîches voix sont là chantant les grands défis, 6+6 b
Nous voyons nos aïeux renaître dans nos fils ; 6+6 b
Oui, vous l'emportez ; mais nul ne trompe et n'évite 6+6 a
150 L'œil invisible ; et bien qu'un larron marche vite, 6+6 a
Le châtiment boiteux le suit et le rejoint ; 6+6 b
Mais mon pays n'est pas assez mort pour ne point 6+6 b
Entendre votre éclat de rire dans sa tombe, 6+6 a
Et cela te réveille, ô France, ô ma colombe, 6+6 a
155 O ma douce patrie, ô grand aigle effrayant ! 6+6 b
Oui, vous croyez que tout finit en balayant, 6+6 b
Et que lorsqu'on a mis dans un coin les décombres, 6+6 a
On peut sur les tombeaux laisser rôder les ombres. 6+6 a
Eh bien non. Car une ombre est une âme. Oui, tyrans, 6+6 b
160 Nous sommes accablés, dépouillés, expirants, 6+6 b
Nous n'avons plus d'amis, plus d'argent, plus d'armée, 6+6 a
Plus de frontières, mais nous avons la fue 6+6 a
De nos hameaux brûlés qui vous dénonce tous, 6+6 b
Et qui noircit le ciel contre vous, et pour nous ! 6+6 b
165 Mais l'étoile survit quand le navire sombre ; 6+6 a
Mais quand l'assassi saigne dans le bois sombre, 6+6 a
Une blême lueur sort du cadavre nu. 6+6 b
Mais le destin pensif s'est toujours souvenu 6+6 b
De la nécessi de punir les coupables ; 6+6 a
170 Mais l'invincible essaim des forces impalpables 6+6 a
Qu'on nomme vérité, devoir, progrès, raison, 6+6 b
Vient vers nous et remplit de rumeur l'horizon ; 6+6 b
Mais nous sommes aidés par toute l'âme humaine ; 6+6 a
Mais le monde a besoin d'un flambeau qui le mène, 6+6 a
175 Et vous vous appelez Ténèbres ; mais le jour, 6+6 b
Le saint travail, la paix, la liberté, l'amour, 6+6 b
Tout cela conduit l'homme et tient dans le mot France ! 6+6 a
Oui, nous sommes le deuil, la chute, la souffrance, 6+6 a
Nul peuple de si bas encor n'est revenu ; 6+6 b
180 Mais nous avons pour nous ce quelqu'un d'inconnu 6+6 b
Dont on voit par moments passer l'ombre sublime 6+6 a
Par-dessus là muraille énorme de l'abîme ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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