Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_24/HUG1429
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
VII
XXII
COMÉDIES NON JOUABLES QUI SE JOUENT SANS CESSE
I
LA MARQUISE ANTOINETTE
Un salon.
ANTOINETTE, marquise ayant épousé un vieux. Autrefois grisette. Trente ans.
ADOLPHE, bon état. Dix-huit ans.
ADOLPHE
à part.
Elle est seule.
LA MARQUISE ANTOINETTE
à part.
C'est lui. |
ADOLPHE
à part.
Profitons du moment. 6+6 a
Il s'arrête et l'admire.
Qu'elle est belle !
ANTOINETTE
sans se déranger de son attitude.
Bonjour, | Adolphe.
À part.
Il est charmant. 6+6 a
ADOLPHE
à part.
C'est l'étoile Vénus ! |
Il salue.
Madame la marquise… 6+6 a
À part.
Comme elle est adorable | et comme elle est exquise 6+6 a
5 Avec son bras ainsi | ployé sous le menton ! 6+6 a
ANTOINETTE
Que dit-on de nouveau ? |
ADOLPHE
L'amiral Codrington 6+6 a
Vient de battre les turcs | à Navarin.
ANTOINETTE
Adolphe, 6+6 a
Qu'est-ce que c'est que ça, | Navarin ?
ADOLPHE
C'est un golfe. 6+6 a
ANTOINETTE
En France ?
ADOLPHE
Non. En Grèce. |
ANTOINETTE
Ah ! bien.
ADOLPHE
Au fond, Pylos, 6+6 a
10 Au premier plan, la baie | avec quelques îlots, 6+6 a
Voilà Navarin. Or… |
À part.
Quel regard, quelle taille ! 6+6 a
Balbutiant.
Madame…
ANTOINETTE
Nous parlions, | je crois, de la bataille… 6+6 a
ADOLPHE
De Codrington. Non pas, | Navarin !
À part.
Je suis fou. 6+6 a
Je patauge.
Haut.
On était | dans les eaux de Corfou ; 6+6 a
15 On savait que les turcs, | non sans quelque mystère, 6+6 a
Avaient quitté Cythère… |
ANTOINETTE
Ah ! qu'est-ce que Cythère ? 6+6 a
ADOLPHE
C'est une île. Cythère, | autrement Cérigo. 6+6 a
On y peut cultiver | le poivre et l'indigo. 6+6 a
Cette île sert aux turcs | de poste et de caverne. 6+6 a
20 Sinan Cigale dit : | Cythère est la lanterne 6+6 a
De l'Archipel.
ANTOINETTE
distraite.
Ainsi — | l'amiral…
ADOLPHE
Codrington. 6+6 a
ANTOINETTE
Après ?
ADOLPHE
Le vingt octobre, | au point du jour, dit-on, 6+6 a
Les flottes ont quitté | le mouillage de Zante. 6+6 a
La marine ottomane | était molle et pesante, 6+6 a
25 Le système des turcs | était de refuser… 6+6 a
ANTOINETTE
Un baiser ! je crois bien. |
ADOLPHE
Ce n'est pas un baiser, 6+6 a
C'est le combat.
ANTOINETTE
C'est vrai. | Vous disiez ? le système 6+6 a
Des turcs…
ADOLPHE
Je ne sais plus | où j'en étais…
LE DIABLE
dans le trou du souffleur.
Je t'aime ! 6+6 a
ADOLPHE
Je t'aime !
ANTOINETTE
à part.
Allons donc !
Haut.
Ciel ! | monsieur, que faites-vous ? 6+6 a
30 Si vous ne lâchez pas | sur-le-champ mes genoux, 6+6 a
Ce que vous faites là, | monsieur, n'est pas honnête ! 6+6 a
Je vais sonner, monsieur ! |
LE DIABLE
à part.
J'ai cassé la sonnette. 6+6 a
ADOLPHE
Je t'aime !
ANTOINETTE
Taisez-vous ! |
ADOLPHE
Je meurs d'amour !
ANTOINETTE
Tais-toi ! 6+6 a
ADOLPHE
Madame, ayez pitié ! | J'ai le cœur plein d'effroi ! 6+6 a
35 Laissez-vous adorer | ainsi qu'une madone ! 6+6 a
Si tu savais ! je sens | ma tête en feu. Pardonne ! 6+6 a
Oh ! laisse-moi mourir | à tes pieds !
ANTOINETTE
Dans mes bras ! 6+6 a
LE DIABLE
J'ai cru que le crétin | ne s'en tirerait pas. 6+6 a
Il ne savait d'abord | pas un mot de son rôle. 6+6 a
On entend un bruit de baiser.
Rêvant et riant.
40 Sans nous le monde est bête, | avec nous il est drôle. 6+6 a
II
IDYLLE
Un bois.
LISE
Puisque votre regard | m'apparaît dans l'aurore, 6+6 a
ALBERT
Puisqu'en vos yeux je crois | voir une étoile éclore, 6+6 a
LISE
Puisque je veux rester | et fuir quand je vous vois, 6+6 a
ALBERT
Puisqu'une lyre est moins | douce que votre voix, 6+6 a
LISE
45 Puisqu'à vos pieds les cœurs | font des battements d'ailes, 6+6 a
ALBERT
Puisque vous êtes belle | entre toutes les belles, 6+6 a
LISE
Puisque l'oiseau ne peut | chanter sans vous nommer, 6+6 a
ALBERT
Puisque je ne puis faire | autrement que t'aimer, 6+6 a
LISE
Je dis que l'air est frais, |
ALBERT
Je dis que l'onde est pure, 6+6 a
LISE
50 Je vois un grand sourire | au fond de la nature, 6+6 a
ALBERT
Je te prends et t'épouse, |
LISE
Et de toi je fais choix, 6+6 a
ALBERT
Et je dis que je veux | m'en aller dans les bois. 6+6 a
Moment de rêverie.
— Viens.
LISE
Est-ce pour jamais ? |
ALBERT
Oui. Donne ta main blanche. 6+6 a
Ils s'enfoncent dans la forêt.
ÉROS
Cœur, aie un seul amour ! |
PAN
Arbre, une seule branche ? 6+6 a
C'est malaisé.
LE DIABLE
dans l'ombre.
55 Léandre | aime à cette heure Héro. 6+6 a
Lise aime Albert. La suite | au prochain numéro. 6+6 a
III
COCARDE ET LOUCHON
Un bois.
LOUCHON
Paul est roux.
COCARDE
Jean est laid. |
LOUCHON
Paul me bat.
COCARDE
Jean me rosse. 6+6 a
LOUCHON
Paul, s'il n'était bandit, | serait bête féroce. 6+6 a
COCARDE
Tout l'hiver Jean se grise. |
LOUCHON
Et Paul boit tout l'été. 6+6 a
COCARDE
60 Jean a mis mes effets | au mont-de-piété. 6+6 a
LOUCHON
Lorsqu'il tonne et qu'il pleut | chez moi, c'est Paul qui souffle. 6+6 a
COCARDE
Jean est un chenapan. |
LOUCHON
Et Paul est un maroufle. 6+6 a
COCARDE
Je le déclare ici, | ce drôle est mon vainqueur. 6+6 a
LOUCHON
J'aime cette canaille | au fin fond de mon cœur. 6+6 a
IV
AU LUXEMBOURG
Un banc. Deux astronomes.
PREMIER ASTRONOME
65 L'équinoxe ravage | affreusement nos côtes. 6+6 a
DEUXIÈME ASTRONOME
Le vent est vicieux. | Il fait beaucoup de fautes. 6+6 a
PREMIER ASTRONOME
L'homme se met en route | et se trompe souvent. 6+6 a
DEUXIÈME ASTRONOME
Notre vie est de l'eau | conduite par du vent. 6+6 a
Sur un autre banc. Des invalides causent.
UN INVALIDE
Tout est en feu.
UN AUTRE
Depuis | Berlin jusqu'en Sicile ! 6+6 a
UN AUTRE
70 Faire rentrer Bellone | en cage est difficile. 6+6 a
UN AUTRE
Il faut faire la paix | avec cet animal 6+6 a
De roi de Prusse.
UN AUTRE
À bas | la guerre !
UN AUTRE
Tout va mal. 6+6 a
UN AUTRE
L'empereur ne sait plus | où donner de la tête. 6+6 a
UN RÊVEUR
passant.
Les rois lâchent la guerre | et c'est Dieu qui l'arrête. 6+6 a
Sur un autre banc. Deux étudiants.
LE PREMIER ÉTUDIANT
Que lis-tu ? Cujas ?
LE DEUXIÈME
75 Non. | Je lis Dante et Lucain : 6+6 a
Mon père est royaliste | et moi républicain. 6+6 a
C'est sa faute. Il m'envoie | à Paris. Je m'y forme. 6+6 a
J'y grandis. Je m'emplis | de la lumière énorme, 6+6 a
Et j'étais paysan | et je suis citoyen. 6+6 a
Sur un autre banc. Deux prêtres.
L'ABBÉ CARON
80 Fils, le but, c'est l'église, | et Dieu c'est le moyen ; 6+6 a
Cela n'empêche pas | Dieu d'être Dieu ; mais ; prêtres, 6+6 a
Nous sommes serviteurs | avant d'être les maîtres ; 6+6 a
Le prêtre est roi, depuis | Moïse et Salomon ; 6+6 a
Ce qu'on nomme l'esprit | humain, c'est le démon ; 6+6 a
85 La raison est un mot | que le dogme rature ; 6+6 a
Et c'est pourquoi souvent, | corrigeant la nature, 6+6 a
Ce que le ciel permet, | le prêtre le défend ; 6+6 a
Quand on entend parler | le diable dans l'enfant, 6+6 a
Il faut sévir, il faut | lui dire de se taire. 6+6 a
L'ABBÉ DE LAMENNAIS
90 Et c'est ainsi qu'étant | Porée, on fait Voltaire. 6+6 a
Sur un autre banc.
UN VIEILLARD
Vous donnez une charte | au peuple ; qui se perd, 6+6 a
Pour qu'il soit sage. Eh bien, | c'est terrible, il s'en sert… 6+6 a
UN AUTRE VIEILLARD
Pour être libre.
Sous les arbres.
UNE JEUNE FILLE
Non ! |
UN JEUNE HOMME
Que le sein soit de marbre, 6+6 a
C'est bien, mais pas le cœur. |
LA JEUNE FILLE
Laissez-moi !
LE JEUNE HOMME
Sous un arbre 6+6 a
On s'embrasse.
LA JEUNE FILLE
95 Embrassez. | — Mais pas comme cela. 6+6 a
LE JEUNE HOMME
Si !
LA JEUNE FILLE
Non !
Dans une allée.
UN ENFANT
à une boule qu'il fait rouler.
Je ne veux pas | que vous alliez par là ! 6+6 a
V
LE MENDIANT
Devant la vitre éclairée de la chambre où un jeune homme s'habille pour le bal masqué.
Fort bien. Habillez-vous. | — Tiens, c'est le mardi gras ! 6+6 a
Rions. Ne soyons point | à la jeunesse ingrats. 6+6 a
Il faut se divertir | et que le temps se passe. 6+6 a
100 Vous avez su tirer | d'un vieil oncle rapace 6+6 a
Vingt écus ; vous allez | les boire en une nuit. 6+6 a
Habillez-vous, jeune homme ! | à grands cris, à grand bruit ! 6+6 a
Sonnez tous vos laquais | et vos valets de chambre ! 6+6 a
— Bourguignon, mon pourpoint ! | Picard, ma boîte d'ambre ! 6+6 a
105 Chaussez-moi ! rasez-moi ! | peignez-moi ! — C'est cela. 6+6 a
Que vous êtes galant | sous l'habit que voilà ! 6+6 a
Cambrez la taille un peu. | Mettez-vous une mouche, 6+6 a
Comme fait Jeanneton, | sur le coin de la bouche. 6+6 a
Le flot de rubans. — Bien. | — Et l'air impertinent. 6+6 a
110 Cela sied. — Le manteau, | les gants, et maintenant 6+6 a
L'épée avec sa pomme | à mettre des pistaches. — 6+6 a
Que de cœurs suspendus | au croc de vos moustaches ! 6+6 a
Que de femmes vont dire : | Adorable seigneur ! 6+6 a
Vous avez tout, jeunesse, | et richesse, et bonheur ; 6+6 a
115 Tout est pour vous, bosquets | fleuris, tendres trophées, 6+6 a
C'est bien. On vous dirait | habillé par les fées, 6+6 a
Et vous êtes toujours | au bal un des premiers 6+6 a
Riez. — Un jour les ans | viendront, lourds costumiers ; 6+6 a
Maladie et vieillesse, | habilleuses sinistres, 6+6 a
120 Éteindront vos regards | sous d'affreux cercles bistres, 6+6 a
Vous ôteront la grâce, | et vous mettront, ô deuil ! 6+6 a
Un dôme sur le dos, | une loupe sur l'œil, 6+6 a
Une bouche sans dents | qui dira : soyons sage ! 6+6 a
Un gros nez, un gros ventre, | et sur ce frais visage, 6+6 a
125 Doux, superbe, adoré | de toutes nos houris, 6+6 a
Un vieux masque obstrué | d'un buisson de poils gris. 6+6 a
Alors, désespéré, | tordant vos mains fiévreuses, 6+6 a
Fuyant les miroirs pleins | de visions affreuses, 6+6 a
Aussi lugubre à voir | que vous étiez charmant, 6+6 a
130 Sans pouvoir arracher | votre déguisement, 6+6 a
Domino ridicule | et chassé des quadrilles, 6+6 a
Voyant les beaux garçons | sourire aux belles filles, 6+6 a
Vous irez, trouble fête, | errer au milieu d'eux, 6+6 a
Jusqu'à ce que ce spectre, | autre masque hideux, 6+6 a
135 Sans nez, sans yeux, montrant | toutes ses dents sans rire, 6+6 a
Qui vient nous chercher tous | et par le bras nous tire, 6+6 a
Vous jette un soir, d'un coup | de sa fourche de fer, 6+6 a
Dans ce noir carnaval | qu'on appelle l'enfer ! 6+6 a
VI
Elle, c'est le printemps ; | pluie et soleil ; je l'aime ; 6+6 a
Je m'y suis fait.
Un jour, | elle me dit :
140 — Quand même 6+6 a
On est tout seul, les bois | sont doux. Les belles eaux ! 6+6 a
La campagne me plaît | à cause des oiseaux. 6+6 a
Écoutons-les chanter. |
Moi, l'âme épanouie, 6+6 a
J'écoutais.
— Les oiseaux, | dit-elle, ça m'ennuie. 6+6 a
Jouons.
Aux cartes ?
— Non. |
— À quoi ?
145 — Je hais le jeu. 6+6 a
Causons. Le jaune est laid, | je préfère le bleu. 6+6 a
— Je suis de ton avis. |
— Toujours dans les extrêmes ! 6+6 a
— Le bleu, dis-je, c'est beau. |
— Pourquoi ?
— D'abord, tu l'aimes. 6+6 a
Ensuite, c'est le ciel. |
— Mais le jaune ; c'est l'or : 6+6 a
— Va pour le jaune.
150 Il est | de mon avis encor ! 6+6 a
C'est assommant !
— Faisons | la paix.
— Je te pardonne. 6+6 a
Un autre jour :
— Ami, | viens, je me sens très bonne, 6+6 a
Le temps est beau, sortons | à pied. —
Comme j'offrais 6+6 a
Mon landau :
— Non, dit-elle, | il faut, par ce vent frais, 6+6 a
155 Marcher, rôder, courir | au bois à l'aventure. — 6+6 a
On s'habille, on descend. |
— Où donc est la voiture ? 6+6 a
— Mais tu voulais sortir | à pied.
— À pied, jamais ! 6+6 a
Marcher par ce vent froid ! | fi donc ! —
Je me soumets. 6+6 a
On attelle.
— Voici | le landau.
— Pourquoi faire ? 6+6 a
— Mais, pour sortir.
160 — Tords-moi | le cou, je le préfère. 6+6 a
Ah çà ! tu veux sortir | par cet horrible temps ! — 6+6 a
Un autre jour :
— Nos cœurs, | dit-elle, sont contents. 6+6 a
Ami, j'ignore tout, | mais je suis ta servante. 6+6 a
Puisque je sais aimer, | je suis assez savante. 6+6 a
Je t'adore. Mon dieu, | c'est toi. —
165 Le lendemain, 6+6 a
Un grand soufflet sortit | de sa petite main, 6+6 a
Et tomba sur ma joue. |
— Hé ! dis-je.
— Bagatelle ! 6+6 a
Viens m'embrasser. Comment | me trouves-tu ? dit-elle. 6+6 a
— Charmante ! —
Et c'est ainsi | que je m'accoutumai 6+6 a
170 Aux inégalités | d'humeur du mois de mai. 6+6 a
VII
IDYLLE DE LA RUE N.D. DE LORETTE
— Six amants ! — Cela fait crier ? 8 a
— A la fois ? — Pourquoi pas ? Coquette, 8 b
Pourquoi Psaphon ? — C'est un poète. 8 b
— Pourquoi Dimas ? — C'est un banquier. 8 a
175 — Et Grib, l'affreux casse-noisette 8 a
Plus noirci que son encrier ? 8 b
— Diable ! il écrit dans la gazette. 8 a
— Pourquoi Senex, le maltôtier ? 8 b
— Avoir un vieux, c'est mon système. 8 c
180 — Et Mars ? — C'est un beau grenadier. 8 b
— Et moi, madame ? — Ah ! toi ! je t'aime. 8 c
VIII
(Une rue, la nuit.)
MILLION
Vois-je point là dans l'ombre | un homme titubant ? 6+6 a
CROQUEFER
Quel est ce gredin triste | accroupi sur un banc ? 6+6 a
MILLION
Qui vive ?
CROQUEFER
Qui va là, | sans lanterne, à la brune ? 6+6 a
MILLION
Empereur de la Chine. |
CROQUEFER
185 Empereur de la lune ! 6+6 a
Ils se reconnaissent :
MILLION
C'est toi, drôle ?
CROQUEFER
C'est toi, | canaille ! — touche là. 6+6 a
Ils se serrent la main.
MILLION
Que viens-tu faire ici ? |
CROQUEFER
J'allais comme cela 6+6 a
Devant moi, trébuchant | dans l'obscurité grande. 6+6 a
Dieu ! quelle sombre nuit ! | Cartouche avec sa bande 6+6 a
190 A passé par ici. | N'ayant pas, le coquin ; 6+6 a
Trouvé de pauvre diable | à qui prendre un sequin, 6+6 a
Ayant aux carrefours | en vain tendu ses toiles, 6+6 a
Il a pillé le ciel | et volé les étoiles. 6+6 a
— Toi, que faisais-tu là ? |
MILLION
— Je rêvais.
CROQUEFER
O vertus ! 6+6 a
195 Sais-tu, mortel rêveur, | que nous sommes vêtus 6+6 a
Comme d'affreux laquais | payés à coups de gaules, 6+6 a
Et qu'on voit des haillons | flotter sur nos épaules ? 6+6 a
MILLION
Vicomte, je le sais. |
CROQUEFER
Tu le sais, et c'est tout ! 6+6 a
Et rien dans ton cerveau | ne s'indigne et ne bout ! 6+6 a
200 Ô vrai sage ! ô poëte ! | ô le plus grand des hommes ! 6+6 a
Gueux, et — tout bonnement | rêveur !
MILLION
Mon cher, nous sommes 6+6 a
Riches. Oui, nous avons | le ciel bleu, le grand air, 6+6 a
La forêt où l'oiseau | chante, et, par Jupiter ! 6+6 a
La fierté qu'on éprouve | à marcher dans les plaines 6+6 a
205 Librement ! — Nous avons | l'été, les nuits sereines, 6+6 a
La lune se mirant | dans le fleuve argenté… 6+6 a
CROQUEFER
J'aimerais mieux dix sous. |
MILLION
Tu n'es pas dégoûté ! 6+6 a
IX
SUSURRANT VOCES
LA CHEMINÉE
Du bois ! j'ai froid.
LA VITRE
Je gèle, | et la bise est bourrue. 6+6 a
UN COMMANDEMENT D'HUISSIER
Songe à la providence ! |
LA MONTRE
Elle demeure rue 6+6 a
Paradis, au Marais, | et se nomme…
UN VIEUX CLOU ROUILLÉ DANS LA CLOISON
210 Le clou. 6+6 a
UN VOLUME D'ANDRÉ CHÉNIER OUVERT SUR LA TABLE
Voix du ciel, bruits divins, | chantez !
LISETTE
frappant à la porte.
Pan ! pan !
UNE BOUTEILLE
Glou glou. 6+6 a
LE BONHEUR
Chut !
LA PORTE
Je bâille.
LE COFFRE
Je ris. |
LE TROU DE LA SERRURE
Je regarde.
LE MUR
J'écoute. 6+6 a
LE LIT
Je m'appelle l'amour. |
L'OREILLER
Je m'appelle le doute. 6+6 a
LA CHANDELLE
Le soleil a beaucoup | de taches.
LA TRANCHE DE JAMBON
Le laurier 6+6 a
Fut créé pour le porc. |
LA TABLE
215 Je porte l'encrier, 6+6 a
Ce nid tout noir d'où sort | l'idée aux ailes blanches. 6+6 a
LE PUPITRE
Le trône et le cercueil | sont faits de quatre planches. 6+6 a
UN TOME DÉPAREILLÉ DE BOSSUET
Disparaissez, Vishnou, | Bel, Jupiter, Mithra ! 6+6 a
Saint-Pierre seul gouverne | et règne…
LA PANTOUFLE
Et cætera. 6+6 a
Gloire au pied nu d'Anna ! |
LA SAVATE
220 Le pied se change en patte. 6+6 a
UN BUSTE SUR LA CHEMINÉE
Tout commence à pantoufle | et finit à savate. 6+6 a
X
SYLVIA
On prétend, Sylvio, | que toujours je vous aime. 6+6 a
SYLVIO
On conte, Sylvia, | que partout je vous suis. 6+6 b
SYLVIA
Je vous donne mes jours ! |
SYLVIO
Ô ma beauté suprême ! 6+6 a
225 Gardez les jours, donnez les nuits ! 8 b
XI
ANDRÉ
Je te jure un amour | éternel !
LISE
souriant.
Calme-toi ! 6+6 a
Parlons net. Et soyons | fripons de bonne foi. 6+6 a
ANDRÉ
Lise !
LISE
caressante.
Dispense-toi, | cher amant, de poursuivre. 6+6 a
André, pour de l'or faux | je donne du vrai cuivre ; 6+6 a
230 Des serments d'un menteur | mon cœur est peu friand ; 6+6 a
Je suis franchement fourbe, | et je paye en riant 6+6 a
Tes écoute-s'il-pleut, | d'un va-t'en-voir-s'ils-viennent. 6+6 a
Fous qui font des serments | et niais qui les tiennent ! 6+6 a
Tu me feras des traits | et je te les rendrai. 6+6 a
235 André brûle pour Lise | et Lise adore André, 6+6 a
Mais Lise berne André | comme André trompe Lise. 6+6 a
Amour est notre autel, | Caprice est notre église ; 6+6 a
On se suit aujourd'hui | pour se quitter demain ; 6+6 a
D'ailleurs, être autrement, | c'est n'avoir rien d'humain ; 6+6 a
240 La passion finit | par une pirouette ; 6+6 a
Homme veut dire vent | et femme girouette. 6+6 a
Aimons-nous, puisque c'est | la meilleure façon 6+6 a
D'unir ta perfidie | avec ma trahison, 6+6 a
Mais ne nous gênons point | et ne soyons point dupes. 6+6 a
245 Pas de glu sur ta plume | et de plomb à mes jupes. 6+6 a
André, soyons heureux ; | de plus soyons joyeux. 6+6 a
Quel bête de bandeau | l'Amour a sur les yeux ! 6+6 a
Ôtons-le-lui, veux-tu ? | Voyons clair dans nos âmes. 6+6 a
Il faut pour faire un feu | toutes sortes de flammes, 6+6 a
250 Et pour faire un destin | toutes sortes d'amours. 6+6 a
Les cœurs toujours constants | sont aveugles et sourds. 6+6 a
L'œil qui n'a plus d'éclair, | l'esprit qui n'a plus d'aile, 6+6 a
Meurt, et c'est être infirme | enfin qu'être fidèle. 6+6 a
Gaîment on se retrouve | après qu'on se perdit. 6+6 a
255 Hein ? Soyons bonne femme | et bon homme. Est-ce dit ? 6+6 a
La douce main d'amour | n'est point une tenaille. 6+6 a
Aimons-nous. Trompons-nous. |
ANDRÉ
J'y consens.
LISE
furieuse.
Ah ! canaille ! 6+6 a
XII
ENTRE LE ZIST ET LE ZEST
LE MARQUIS GRUCCIA. — BARACCA, jolie femme (Zist).
STRUBBLE (Zest).
BARACCA
Qu'est Strubble ?
GRUCCIA
Mon ami. |
BARACCA
Moi, je suis ton amante. 6+6 a
GRUCCIA
Parbleu.
BARACCA
Strubble est laid.
GRUCCIA
Certe ! |
BARACCA
Et moi je suis…
GRUCCIA
avec un baiser.
Charmante ! 6+6 a
BARACCA
Strubble est chauve, et moi j'ai | des cheveux.
Elle laisse tomber sa chevelure blonde sur ses épaules nues.
GRUCCIA
260 Apollo 6+6 a
N'est pas plus coiffé d'or | alors qu'il sort de l'eau. 6+6 a
Tes cheveux sur ton front | sont comme un flot d'aurore. 6+6 a
BARACCA
Il ressemble à Midas. |
GRUCCIA
Tu ressembles à Flore. 6+6 a
BARACCA
Il est bête.
GRUCCIA
À peu près. |
BARACCA
J'ai de l'esprit.
GRUCCIA
Tout plein. 6+6 a
BARACCA
Il a le ton sec.
GRUCCIA
Dur. |
BARACCA
J'ai le parler…
GRUCCIA
265 Câlin. 6+6 a
BARACCA
Son odeur !
GRUCCIA
On le flaire, | et, toi, l'on te devine. 6+6 a
Galamment.
Ainsi, quand Vénus marche, | elle apparaît divine. 6+6 a
BARACCA
Il est mal fait.
GRUCCIA
Bossu. |
BARACCA
Triste !…
Elle rit.
Et vois ma gaîté ! 6+6 a
GRUCCIA
Il se nomme laideur, | tu t'appelles beauté ! 6+6 a
BARACCA
270 C'est un homme épineux, | piquant, pointu, morose, 6+6 a
Désagréable. Il est | le chardon !
GRUCCIA
Toi la rose. 6+6 a
BARACCA
M'aimes-tu ?
GRUCCIA
Je t'adore. |
BARACCA
Eh bien, rien à demi. 6+6 a
Choisis de ta maîtresse | ou bien de ton ami. 6+6 a
Strubble ou moi. L'un des deux | est de trop. Et c'est l'heure 6+6 a
275 Qu'il faut que l'un s'en aille | et que l'autre demeure. 6+6 a
Entre la belle fille | et l'affreux vieux garçon, 6+6 a
Décide. Strubble ou moi | quitterons la maison. 6+6 a
Choisis. Moi d'un côté, | de l'autre cette brute. 6+6 a
GRUCCIA
Mais je n'hésite pas, | mon ange, une minute. 6+6 a
280 Je te flanque à la porte. 6
Baracca se lève indignée et sort sans le regarder. Il reste seul.
mètre profils métriques : 8, 6+6, (6)
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