Métrique en Ligne
HUG_24/HUG1398
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
VI
LV
LES PÉRIPÉTIES DE L'IDYLLE
Vous voulez bien venir avec moi dans les bois 6+6 a
Cueillir des fleurs, chercher l'ombre, écouter des voix, 6+6 a
Méditer, des lueurs épier le passage, 6+6 b
À la condition que je serai très sage. 6+6 b
5 Et je vous obéis. Pourtant dans ce hallier 6+6 a
Le vent me semble avec les branches familier, 6+6 a
Le papillon souhaite un calice et le trouve, 6+6 b
La rose est nue, et l'herbe est tendre, et le lys prouve 6+6 b
Qu'on montre sa blancheur sans perdre sa vertu, 6+6 a
10 Et les petits oiseaux tout bas se disent tu. 6+6 a
Faisons comme eux. Veux-tu ? Non. Voulez-vous, Madame ? 6+6 b
Tu souris.
Le printemps est un épithalame ; 6+6 b
La feuille est un rideau, la source est un soupir ; 6+6 a
Cupidon vient dans l'herbe agreste se tapir 6+6 a
15 Et rit de voir les fous le chercher dans les villes. 6+6 b
Les alcôves de pourpre et d'or sont laides, viles 6+6 b
Et pauvres à côté du lit profond des fleurs. 6+6 a
Comme ils riraient de moi, les gais merles siffleurs, 6+6 a
Si je n'abusais pas un peu des solitudes ! 6+6 b
20 Essayons. Ah ! tu prends de graves attitudes. 6+6 b
J'ai tort ; pardonne-moi. Ces bois sont pleins d'ébats 6+6 a
Mystérieux. Veux-tu nous adorer tout bas ? 6+6 a
Veux-tu que ma caresse inquiète ne fasse 6+6 b
Pas plus de bruit qu'un pli d'une onde qui s'efface, 6+6 b
25 Et que je sois heureux prudemment, de façon 6+6 a
Que ces bois, en sentant passer ce doux frisson, 6+6 a
Pensent, sans devenir pour cela plus farouches, 6+6 b
Que ce sont deux baisers envolés de deux bouches, 6+6 b
Perdus par des amants au hasard-dans les prés, 6+6 a
30 Qui se sont en flottant dans l'azur rencontrés, 6+6 a
Et, que ces deux baisers, sans maître, espèces d'âmes, 6+6 b
Courent, libres, joyeux, dansants, comme deux flammes, 6+6 b
L'un après l'autre, et font l'amour au fond des bois ? 6+6 a
Veux-tu l'idylle ainsi ? Non. Eh bien, fais ton choix. 6+6 a
Que veux-tu ? Tu réponds : Manger, j'ai faim.
35 Tu règnes. 6+6 b
Je te sers. Le repas est frugal. Des châtaignes, 6+6 b
Du miel, et quelques fruits sur des feuilles posés, 6+6 a
Suffisent à l'amour, vorace de baisers. 6+6 a
Cette voracité te déplaît, On regarde, 6+6 b
40 Me dis-tu, des passants écoutent ! Prenez garde, 6+6 b
Monsieur, aux paysans rusés et curieux. 6+6 a
Soyez un amoureux du genre sérieux. 6+6 a
Est-ce que vous croyez que les dieux de l'Olympe 6+6 b
Chiffonnaient un jupon, taquinaient une guimpe ? 6+6 b
45 — Oui, d'abord. — Qu'ils manquaient aux déesses ? — Un peu. 6+6 a
Ensuite, je suis homme et je ne suis pas dieu. 6+6 a
— Taisez-vous. — Je me tais. Mais voilà que tu chantes ! 6+6 b
Ah ! — que les femmes sont charmantes et méchantes ! 6+6 b
Pour me faire tenir tranquille, tu te mets 6+6 a
50 À rire comme rit l'aube sur les sommets, 6+6 a
Et tu jettes au vent ta belle voix sonore. 6+6 b
Tu dis : soyons muets, il faut qu'on nous ignore, 6+6 b
Qu'on ne soupçonne pas quelqu'un dans ce ravin 6+6 a
Et te voilà faisant un vacarme divin ! 6+6 a
55 Tu fais sortir là-bas des gens de leur chaumière ; 6+6 b
Je veux de l'ombre, toi, tu veux de la lumière ; 6+6 b
Je voulais des soupirs, toi, tu veux des chansons. 6+6 a
Belle, un baiser ! — Jamais. Paix, Monsieur. Finissons. 6+6 a
J'obéis.
Mais pourquoi m'entraînes-tu toi-même 6+6 b
60 Dans plus d'ombre, et pourquoi murmures-tu : Je t'aime ! 6+6 b
O femmes !
Résister et céder, c'est la loi. 6+6 a
Peut-on du mois de mai faire un meilleur emploi 6+6 a
Que de s'aimer, et l'ombre a-t-elle une autre affaire 6+6 b
Que l'hymen de celui que la beauté préfère 6+6 b
65 Avec celle que l'âme a choisie ? O forêts ! 6+6 a
Tu chuchotes encor : Sois sage ! Tu voudrais, 6+6 a
Mais tu n'oses. Vivons ! Sois Bacchante ! Sois Grâce ! 6+6 b
Tu t'appelles Barine et je m'appelle Horace. 6+6 b
Quand Catulle avait bu son petit vin sabin 6+6 a
70 Il ne se gênait pas pour voir Glycère au bain. 6+6 a
Je suis classique. Il faut suivre les doux exemples. 6+6 b
Faire de tous les lieux où tu passes des temples, 6+6 b
C'est ta puissance, amour ! je suis-transfiguré. 6+6 a
Ajouter un baiser, c'est monter un degré ; 6+6 a
75 Le ciel, en même temps que la bouche, s'approche. 6+6 b
L'attendrissement gagne et pénètre la roche, 6+6 b
Le granit, l'azur noir des chastes lacs dormants, 6+6 a
Les nuages, les champs, les monts, quand deux amants 6+6 a
Sont là, mêlés, perdus, comme en avril les roses, 6+6 b
80 Dans le céleste oubli des hommes et des choses. 6+6 b
Moment de calme. Arrêt.
Nous voici retombés 6+6 a
En pleine rêverie, et là-bas, deux abbés 6+6 a
Qui passent, livre en main, marmottant des prières, 6+6 b
Ont cru que nous lisions aussi nos bréviaires, 6+6 b
85 Tant tu sembles un ange et tant j'ai l'air d'un sot. 6+6 a
On prend de deux façons le paradis d'assaut ; 6+6 a
Un des côtés, c'est Dieu l'autre côté, c'est Ève ; 6+6 b
C'est pourquoi le serpent se glisse dans mon rêve ; 6+6 b
Or jamais les baisers ne sont bien assoupis ; 6+6 a
90 S'éveiller est leur droit. Tu te fâches. Tant pis ! 6+6 a
Tant mieux !'ne crains donc pas ces branches qui tressaillent. 6+6 b
Quoi ! pour que Lycoris et Virgile s'en aillent, 6+6 b
Quoi ! pour chasser d'auprès d'Horace Lalagé, 6+6 a
Il suffit qu'un vieil arbre imbécile ait bougé ! 6+6 a
95 Non, non. Je brave tout. Je me livre au pillage, 6+6 b
Sans me troubler d'un souffle errant dans le feuillage, 6+6 b
Et sans m'inquiéter si l'écart du fichu 6+6 a
Fait dans l'ombre loucher le faune au pied fourchu. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
logo du CRISCO logo de l'université