Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_24/HUG1361
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
VI
XVIII
TOUTE LA VIE D'UN CŒUR
1817
ADOLESCENCE
J'allais au Luxembourg | rêver, ô temps lointain, 6+6 a
Dès l'aurore, et j'étais | moi-même le matin : 6+6 a
Les nids dialoguaient | tout bas, et les allées, 6+6 b
Désertes, étaient d'ombre | et de soleil mêlées ; 6+6 b
5 J'étais pensif, j'étais | profond, j'étais niais, 6+6 a
Comme je regardais | et comme j'épiais ! 6+6 a
Qui ? La Vénus, l'Hébé, | la nymphe chasseresse. 6+6 b
Je sentais du printemps | l'invisible caresse. 6+6 b
Je guettais l'inconnu. | J'errais. Quel curieux 6+6 a
10 Que Chérubin en qui | s'éveille Des Grieux ! 6+6 a
O femme ! mystère ! être | ignoré qu'on encense ! 6+6 b
Parfois j'étais obscène | à force d'innocence. 6+6 b
Mon regard violait | la vague nudité 6+6 a
Des déesses, debout | sous les feuilles l'été ; 6+6 a
15 Je contemplais de loin | ces rondeurs peu vêtues, 6+6 b
Et j'étais amoureux | de toutes les statues ; 6+6 b
Et j'en ai mis plus d'une | en colère, je crois. 6+6 a
Les audaces dans l'ombre | égalent les effrois, 6+6 a
Et, hardi comme un page | et tremblant comme un lièvre, 6+6 b
20 Oubliant latin, grec, | algèbre, ayant la fièvre 6+6 b
Qui résiste aux Bezouts | et brave les Restauts, 6+6 a
Je restais là stupide | au bas des piédestaux, 6+6 a
Comme si j'attendais | que le vent sous quelque arbre 6+6 b
Soulevât les jupons | d'une Diane en marbre. 6+6 b
1820
25 Printemps. Mai le décrète, | et c'est officiel. 6+6 a
L'amour, cet enfer bleu | très ressemblant au ciel, 6+6 a
Emplit l'azur, les champs, | les prés, les fleurs, les herbes ; 6+6 b
Dans les hautes forêts | lascives et superbes 6+6 b
L'innocente nature | épanouit son cœur 6+6 a
30 Simple, immense, insulté | par le merle moqueur. 6+6 a
La volonté d'aimer | régné, surnaturelle, 6+6 b
Partout. — Comme on s'adore | et comme on se querelle ! 6+6 b
Les papillons, lâchés | dans le bois ingénu, 6+6 a
Font avec le premier | bouton de fleur venu 6+6 a
35 Des infidélités | aux roses, leurs amantes ; 6+6 b
On entend murmurer | les colères charmantes, 6+6 b
Et tous les grands courroux | des belles s'apaiser 6+6 a
Dans le chuchotement | auguste du baiser. 6+6 a
O but profond des cieux, | la vie universelle ! 6+6 b
40 Comme, afin que tout soit | solide, tout chancelle ! 6+6 b
Comme tout cède afin | que tout dure ! ô rayons ! 6+6 a
L'idylle en souriant | dit au gouffre : Essayons ! 6+6 a
Et le gouffre obéit ; | et la mer sombre adore. 6+6 b
Le germe éclot, le nid | chante, l'azur se dore ; 6+6 b
45 L'éternelle indulgence | au fond du firmament 6+6 a
Rêve ; et les doux fichus | s'envolent vaguement. 6+6 a
1833
À J…
Puisque le gai printemps | revient danser et rire, 6+6 b
Puisque le doux Horace | et que le, doux Zéphyre 6+6 b
M'attendent au milieu | des prés et des buissons, 6+6 a
50 L'un avec des parfums, | l'autre avec des chansons, 6+6 a
Puisque la terre en fleurs | semble un tapis de Perse, 6+6 b
Puisque le vent murmure | et dans l'azur disperse 6+6 b
La brume — et la nuée | en flottants archipels, 6+6 a
Il me plaît de répondre | à ces profonds appels, 6+6 a
55 Il me plaît de rôder | dans les molles prairies, 6+6 b
Entraînant avec moi | l'essaim des rêveries 6+6 b
Et la strophe qui vole | au-dessus de mon front ; 6+6 a
Tant que sous le ciel bleu | les âmes aimeront, 6+6 a
Tant qu'avril, ce brodeur, | avec l'herbe et les roses 6+6 b
60 Et les feuilles, créera | toutes sortes de choses 6+6 b
Charmantes, et que Dieu, | des monts, des airs, des eaux, 6+6 a
Fera de grands palais | pour les petits oiseaux, 6+6 a
Tant que l'aube éclora | dans cette ombre où nous sommes, 6+6 b
Les songes tourneront | sur la tête des hommes, 6+6 b
65 Et les penseurs seront | attendris dans les bois. 6+6 a
Les frais halliers sont pleins | de pudeurs aux abois, 6+6 a
Femmes, oiseaux, tout cède | et les baisers se mêlent, 6+6 b
Les adorations | vaguement se querellent, 6+6 b
L'eau soupire, le lys | s'ouvre, le firmament 6+6 a
70 Rayonne, et, si tu veux, | je serai ton amant. 6+6 a
1835
PROMENADE
Je t'adore. Soyons | deux heureux. Viens t'asseoir 6+6 b
Dans une ombre qui soit | un peu semblable au soir. 6+6 b
Marchons bien doucement. | Sois pensive. Sois lasse. 6+6 a
Profitons du moment | où personne ne passe ; 6+6 a
75 Entrons dans le hallier, | cachés par les blés mûrs. 6+6 b
Que ne puis-je élever | brusquement quatre murs 6+6 b
Ici, dans ce coin chaste, | et d'un coup de baguette ! 6+6 a
La nature est un œil | invisible qui guette ; 6+6 a
Glissons-nous ; le silence | entend ; défions-nous 6+6 b
80 Du bruit que fait une âme | embrassant deux genoux, 6+6 b
Car, moi, je ne suis pas | autre chose qu'une âme ; 6+6 a
Mais une âme peut prendre | en sa serre une femme, 6+6 a
Et l'emporter, et faire | un bruit mystérieux 6+6 b
De lionne sur terre | ou d'aigle dans les cieux. 6+6 b
85 Tu grondes. — Un baiser ! | — Jamais ! — Je le dérobe. 6+6 a
Tu dis c'est mal ! — Et j'ôte | une épingle à ta robe ; 6+6 a
L'amour aime les yeux | fâchés de la pudeur, 6+6 b
Et rien n'est plus charmant | qu'un paradis boudeur. 6+6 b
C'est vrai, belle, depuis | que, les blanches épaules 6+6 a
90 Dé Galatée ont pris | la fuite sous les saules, 6+6 a
Et que Marot a vu, | sans être trop puni, 6+6 b
Un doux sourire faire | éclore un doux nenni, 6+6 b
Une gloire ineffable | est à l'amour mêlée. 6+6 a
La femme est de son trop | de puissance accablée ; 6+6 a
95 Vaincue, elle se sait | maîtresse ; elle nous plaît ; 6+6 b
Comme c'est ravissant | d'avoir ce qu'on voulait, 6+6 b
Et de sentir beaucoup | de reproches se taire ! 6+6 a
Comme une rougeur vague | après l'heureux mystère 6+6 a
Enivre, et comme on sent | le prix d'une faveur 6+6 b
100 Que veut presque, reprendre | un silence rêveur ! 6+6 b
Reprendre ? Non ; pourquoi ? | Donner encor ?'Peut-être. 6+6 a
Cachons-nous. Une branche | a remué. C'est traître. 6+6 a
On devinait qu'Eschyle | avait, un rendez-vous 6+6 b
Avec Mégaryllis, | la farouche aux yeux doux, 6+6 b
105 Et qu'elle se laissait | dire de tendres choses, 6+6 a
Quand les feuilles tremblaient | au bois des lauriers-roses. 6+6 a
1840
MAI
Je ne laisserai pas | se faner les pervenches 6+6 b
Sans aller écouter | ce qu'on dit sous les branches, 6+6 b
Et sans guetter, parmi | les rameaux infinis, 6+6 a
110 La conversation | des feuilles et des nids ; 6+6 a
Il n'est qu'un dieu, l'amour ; | avril est son prophète ; 6+6 b
Je me supposerai | convive de la fête 6+6 b
Que le pinson chanteur | donne au pluvier doré ; 6+6 a
Je fuirai de la ville | et je m'envolerai, 6+6 a
115 Car l'âme du poëte | est une vagabonde, 6+6 b
Dans les ravins où mai | plein de roses abonde ; 6+6 b
Là les papillons blancs | et les papillons bleus, 6+6 a
Ainsi que le divin | se mêle au fabuleux, 6+6 a
Vont et viennent, croisant | leurs essors, joyeux, lestes, 6+6 b
120 Si bien qu'on les prendrait | pour des lueurs célestes ; 6+6 b
Là jasent les oiseaux, | se cherchant, s'évitant ; 6+6 a
Là Margot vient quand c'est | Glycère qu'on attend ; 6+6 a
L'idéal démasqué | montre ses pieds d'argile ; 6+6 b
On trouve Rabelais , |où l'on cherchait Virgile. 6+6 b
125 O jeunesse ! ô seins nus | des femmes dans les bois ! 6+6 a
Oh ! quelle vaste idylle | et que de sombres voix ! 6+6 a
Comme tout le hallier, | plein d'invisibles mondes, 6+6 b
Rit dans le clair-obscur | des églogues profondes ! 6+6 b
J'aime la vision | de ces réalités ; 6+6 a
130 La vie aux yeux sereins | luit de tous les côtés ; 6+6 a
La chanson des forêts | est d'-une douceur telle 6+6 b
Que, si Phébus l'entend, | quand, rêveur, il dételle 6+6 b
Ses chevaux las souvent | au point de haleter, 6+6 a
Il s'arrête, et fait signe | aux Muses d'écouter. 6+6 a
1847
135 Tu vols un homme ayant | un projet sous les cieux, 6+6 b
Mes vœux n'ont plus de frein, | je suis ambitieux, 6+6 b
J'ai résolu d'avoir | un dimanche superbe, 6+6 a
Et mon plan, c'est d'aller | nous étendre sur l'herbe. 6+6 a
Je couve ce dessein, | je fais cet opéra. 6+6 b
140 Et nous serons autant | de couples qu'on voudra. 6+6 b
Nous chercherons un lieu | désert, une chapelle, 6+6 a
Un burg ne sachant plus | le nom dont il s'appelle, 6+6 a
N'ayant plus pour baron | que le merle siffleur, 6+6 b
Qui soit tout en ruine | et qui soit tout en fleur, 6+6 b
145 D'affreux murs, noirs dans l'ombre, | absolument farouches ; 6+6 a
Là les bouches auront | des bontés pour les bouches ; 6+6 a
C'est mon programme. Il est | un arbuste gourmand 6+6 b
Dont la feuille est d'un tour | si frais et si charmant 6+6 b
Qu'on en faisait jadis | une couronne aux verres ; 6+6 a
150 Il orne les vieux murs | d'alcôves peu sévères ; 6+6 a
C'est par lui qu'un logis | qui s'écroule est complet ; 6+6 b
Belle, ce tapissier | des masures me plaît. 6+6 b
Viens, nous serons heureux, | et pour auxiliaires, 6+6 a
Ô belle, nous aurons | les dieux, les chants, les lierres. 6+6 a
155 Le mois de mai fera | son devoir ; Dieu clément 6+6 b
Le veut ; on entendra | chuchoter vaguement 6+6 b
Des profondeurs d'oiseaux | sous des épaisseurs d'arbres ; 6+6 a
On se parlera bas ; | les seins seront des marbres, 6+6 a
Non les cœurs ; on aura | quelque ami pour témoin, 6+6 b
160 Sans empêcher pourtant | qu'il aille un peu plus loin. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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