Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_24/HUG1308
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
V
XIX
À UN ENFANT
Quoique je sois de ceuxqui se sont autrefois 6+6 a
Penchés sur ton berceauplein de ta jeune voix, 6+6 a
Tu commences, enfant,à ne plus me conntre. 6+6 b
Je ne suis rien pour toiqu'un étranger, un être 6+6 b
5 Évanoui, perdudans de noirs lendemains, 6+6 a
Un voyageur dont l'ombreest sur d'autres chemins, 6+6 a
Quelqu'un qu'on vit jadis,avant les jours funèbres, 6+6 b
Lorsqu'on était petit,passer dans les ténèbres ; 6+6 b
Tu ne songes pas plusà moi qu'au moucheron 6+6 a
10 Qui volait tout à l'heureen sonnant du clairon, 6+6 a
À ta balle perdue,à ta lampe soufflée ; 6+6 b
Pas plus qu'à-ce parfumd'herbe et de giroflée 6+6 b
Qu'avril mêle à l'auroreet qui dure un moment ; 6+6 a
Tu m'as laissé tomberde ton esprit gment 6+6 a
15 Comme un cahier finitout noirci de grimoire. 6+6 b
Tu fais bien. Nous avons,hélas, plus de mémoire, 6+6 b
Enfants, nous qui, vivantpendant que vous naissez, 6+6 a
Lisons vos avenirsécrits dans nos passés ; 6+6 a
Votre sort nous émeut,et bien souvent nous sommes 6+6 b
20 Rêveurs, nous grands enfants,devant vous, petits hommes. 6+6 b
Aussi, vois-tu, du fonddes mornes horizons, 6+6 a
Je viens à toi, jeune âme,et je te dis : causons. 6+6 a
Pose un moment ta plumeet ferme ta grammaire. 6+6 b
Écoute. Te voilàgrandissant, et ta mère 6+6 b
25 Est debout près de toicomme un gardien des cieux. 6+6 a
Seule et veuve, et livréeaux vents capricieux, 6+6 a
En proie aux souffles noirsqui n'épargnent personne, 6+6 b
Elle étend sur ton frontson aile qui frissonne, 6+6 b
Et veille ; la colombea peur pour le roseau. 6+6 a
30 Car le sort menaçantnous tient dès le berceau ; 6+6 a
Qu'on soit un petit princeou bien un petit pâtre, 6+6 b
Nul n'échappe au destin ;son ongle opiniâtre 6+6 b
Se mêle à nos cheveuxet nous trne effarés. 6+6 a
Oh ! fixe ton regardsur ses yeux adorés ! 6+6 a
35 Ici-bas c'est ta mère,et là-haut c'est ton ange. 6+6 b
Cette femme a subiplus d'une épreuve étrange, 6+6 b
Enfant, c'est toi qui doisl'en consoler. Retiens 6+6 a
Que, touchante à nos yeux,elle est sacrée aux tiens. 6+6 a
La nature là fitreine ; et le sort martyre. 6+6 b
40 Qui la voit pleurer sentun charme qui l'attire. 6+6 b
Hélas ! l'ombre d'hierassombrit aujourd'hui. 6+6 a
Elle accepte, stoïqueet simple, l'âpre ennui, 6+6 a
L'isolement, l'affrontdont un sot nous lapide, 6+6 b
La haine des méchants,cette meule stupide 6+6 b
45 Qui broie un diamantainsi qu'un grain de mil, 6+6 a
Et toutes les douleurs,contre-coups de l'exil. 6+6 a
Oh ! l'exil ! il est triste,il s'en va, grave et morne, 6+6 b
Trnant un deuil sans findans l'espace sans borne, 6+6 b
Et, sur le dur cheminqui vers l'ombre descend, 6+6 a
50 Hélas ! on voit tombergoutte à goutte le sang 6+6 a
Des racines du cœurqui pendent arrachées ! 6+6 b
Le malheur, c'est le feudans les branches séchées. 6+6 b
Il dévore, joyeux,nos jours évanouis. 6+6 a
Naguère elle brillaitaux regards éblouis, 6+6 a
55 Pareille au mois de maiqu'un zéphyr tiède effleure ; 6+6 b
Naguère elle brillait ;maintenant elle pleure. 6+6 b
Ce rayon n'a duréque le temps d'un éclair. 6+6 a
Mais la pensée augustehabite son œil fier ; 6+6 a
Mais le malheur, qui, mêmeen nous frappant, nous venge, 6+6 b
60 A mis des ailes d'aigleà ses épaules d'ange. 6+6 b
Dieu, caché dans la nuitde cet être souffrant, 6+6 a
Brille et fait resplendirson-sourcil transparent, 6+6 a
L'albâtre laisse voirla lumière immortelle, 6+6 b
Son front luit !
Toi, son fils,tressaille devant elle 6+6 b
65 Comme Gracchus enfantquand-sa mère venait ; 6+6 a
Car elle est la clartéde ton aube qui nt. 6+6 a
Qu'importe que la fouleignore ou méconnaisse 6+6 b
J'ai vu ; moi, quand l'angoisseétreignait sa jeunesse, 6+6 b
Comment elle a souffert,comment elle a lutté, 6+6 a
70 Et j'ai dit dans mon cœur :Cette femme t été 6+6 a
Archidamie à Sparteou Cornélie à Rome. 6+6 b
Enfant, ressemble-luisi tu veux être un homme ; 6+6 b
Car elle est brave ; carà l'abîme, au péril, 6+6 a
Son doux œil fémininjette un regard viril ; 6+6 a
75 Car c'est un ferme esprit !car c'est un vrai courage ! 6+6 b
Jamais, sous le ciel bleu,jamais, devant l'orage, 6+6 b
Jamais, retiens cela,quoique tu sois petit, 6+6 a
Dans un plus noble seinplus grand cœur ne battit ! 6+6 a
Elle est femme pourtant,et ses maux sont sans nombre. 6+6 b
80 Mais un profond azuremplit son âme sombre. 6+6 b
Elle marche à traversla vie, âpre forêt, 6+6 a
Et regarde au-delàdes rameaux ; on dirait 6+6 a
Qu'elle cherche le motd'une énigme dans l'ombre ; 6+6 b
Et puis elle s'inclineainsi qu'un mât qui sombre ; 6+6 b
85 Elle dit à l'espoir :va-t'en ! au souvenir : 6+6 a
Silence ! au jour qui meurt :hâte-toi de finir ! 6+6 a
Car, conscience pure,elle est un esprit triste. 6+6 b
Même en rêvant longtempssa tristesse persiste. 6+6 b
Hélas ! le doute injusteest au fond de son cœur 6+6 a
90 Comme au fond d'un beau vaseune amère liqueur. 6+6 a
C'est qu'elle a tant gémidans ces lugubres voies 6+6 b
Dieu nous pousse avecnos douleurs et nos joies ! 6+6 b
Une larme éternelleerre au bord de ses yeux… 6+6 a
Oh ! courbons-nous devantces fronts mystérieux 6+6 a
95 Qui, faibles et ployés,dans l'ombre Dieu nous jette, 6+6 b
Semblent faits pour porterla souffrance muette, 6+6 b
Que le destin poursuit,ce bourreau jamais las, 6+6 a
Que tous les maux sur terreet tous les deuils, hélas ! 6+6 a
Couvrent de leur cilice,accablent de leurs voiles, 6+6 b
100 Et qu'attendent aux cieuxdes couronnes d'étoiles ! 6+6 b
Aime-la ! porte-luiton cœur chaque matin, 6+6 a
Ris ! Réjouis cette âmeà ton rire enfantin. 6+6 a
Sois le flot pur qui porteet caresse le cygne. 6+6 b
Quand elle parle, adore ;obéis sur un, signe. 6+6 b
105 Sois son consolateuret sois son défenseur. 6+6 a
Que le mensonge vil,trompé dans sa noirceur, 6+6 a
Vienne apportant l'affront,te voie, et le remporte. 6+6 b
Qu'on te sente déjàveillant devant sa porte. 6+6 b
Si le sort m't donné,sainte et charmante loi, 6+6 a
110 Ce grand devoir de filsqu'il te confie à toi, 6+6 a
Oh ! comme elle t dormisous ma garde fidèle, 6+6 b
Et, lion pour autrui,j'eusse été chien pour elle ! 6+6 b
Sois bon, spis doux, sois tendre.Écarte de ta main, 6+6 a
Sous ses pieds délicats,les pierres du chemin. 6+6 a
115 Pour elle, ô pauvre enfant,tu donnerais, écoute, 6+6 b
Ton âme souffle à souffleet ton sang goutte à goutte, 6+6 b
De sa robe à genouxtu baiserais les plis, 6+6 a
Tu la contempleraiscomme on contemple un lys, 6+6 a
Comme on contemple un ciel se lève l'aurore, 6+6 b
120 Mains jointes,l'œil en pleurs,ce ne serait encore, 6+6 b
Pour cet être au front purà qui tu dois le jour, 6+6 a
Pas assez de respectet pas, assez d'amour ! 6+6 a
Grave en ton jeune esprit,fils d'une noble femme, 6+6 b
Ces paroles qui sontcomme l'adieu d'une âme ; 6+6 b
125 Enfant, écoute-moi,pendant que je suis là. 6+6 a
Car l'œil qui luit s'éteint,la bouche qui parla 6+6 a
Se ferme ; nous vivonsle temps de dispartre. 6+6 b
Enfant, je te le dis,je suis de ceux peut-être 6+6 b
Qu'on ne reverra plus,tant ils sont dans la nuit. 6+6 a
130 Ils vont enveloppésd'un tourbillon de bruit, 6+6 a
Meurtris, blessés, les yeuxpleins de clartés sereines. 6+6 b
L'ouragan monstrueuxdes fureurs et des haines, 6+6 b
Souffle qui vient d'en bas,courbe leur front pensif. 6+6 a
Leur âme vole, oiseau,de récif en récif. 6+6 a
135 Ils traversent le chocdes diverses fortunes, 6+6 b
Et leur main se cramponneau marbre des tribunes, 6+6 b
Aux lois, à la patrie,aux colonnes du droit. 6+6 a
Plus le péril grandit,plus leur devoir s'accrt ; 6+6 a
Du flot toujours plus noirleur foi sort plus robuste. 6+6 b
140 Ils luttent pour le bien,pour l'honneur, pour le juste, 6+6 b
Pour le beau, pour le vrai,laissant saigner leurs cœurs. 6+6 a
On dit : s'en vont-ils ?reviendront-ils vainqueurs ? 6+6 a
Est-ce l'adversitéqui sera la plus forte ? 6+6 b
Et cependant le ventsinistre les emporte ; 6+6 b
145 Puis on les perd de vue ;et, bien longtemps après, 6+6 a
On lit au bord des mersleur nom sous un cyprès. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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