Métrique en Ligne
HUG_24/HUG1239
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
III
LVI
Synthèse, dit le ciel… L'homme dit : Analyse ! 6+6 a
Vous dites : — « Tout végète ou se minéralise. 6+6 a
« Nos pères s'égaraient à force de rêver. » — 6+6 b
C'est en déchiquetant que vous croyez trouver. 6+6 b
5 La foudre, dont tremblaient le mage et le druide, 6+6 a
Ô savants, à cette heure est pour vous un fluide 6+6 a
Forcé d'être vitreux s'il n'est pas résineux ; 6+6 b
L'âme est un gaz ; certains animaux l'ont, en eux. 6+6 b
Hommes, vous disséquez le miracle ; vous faites 6+6 a
10 De la chimie avec le songe des prophètes ; 6+6 a
Vous sacrez le creuset Principium et fons ; 6+6 b
Acharnés, vous coupez les prodiges profonds, 6+6 b
Insaisissables, sourds, entiers, incorruptibles, 6+6 a
En un tas de petits morceaux imperceptibles ; 6+6 a
15 Pour vous rien n'est réel que le moment présent ; 6+6 b
Science, ton scalpel n'apprend''qu'en détruisant ! 6+6 b
Si tu n'étais science ; on te croirait envie. 6+6 a
De la nature, pourpre auguste de la vie, 6+6 a
Vous faites un haillon, ô vivants, un lambeau, 6+6 b
20 Une loque, un néant ; et le ver du tombeau 6+6 b
Nomme cela manger ; vous l'appelez connaître. 6+6 a
Toi, savoir ! tu ne peux que décomposer l'être ! 6+6 a
Apprenez donc ceci puisque vous apprenez : 6+6 b
Les fluides, d'un souffle invisible entraînés, 6+6 b
25 Ne savent pas où sont les pôles de la pile. 6+6 a
Qui ne sait pas un mot d'optique ? la pupille. 6+6 a
Le chiffre ne sait pas l'algèbre ; l'élément 6+6 b
Ne sait pas la science ; et l'être est un aimant 6+6 b
Attirant tout à lui sans connaître les formes ; 6+6 a
30 Toutes les forces sont des aveugles énormes ; 6+6 a
L'absolu, c'est le fait immobile et total ; 6+6 b
L'absolu ne sait pas, nains, votre piédestal, 6+6 b
Larves, vos visions, vos bruits, marionnettes, 6+6 a
Votre fourmillement d'yeux, d'esprits, de lunettes, 6+6 a
35 Votre oscillation, votre onde, votre flot ; 6+6 b
Il ne sait pas si c'est cinq minutes qu'il faut 6+6 b
À la lumière, au fond des obscurités bleues, 6+6 a
Pour franchir trente-cinq millions de vos lieues, 6+6 a
Et venir du soleil, braise de l'infini, 6+6 b
40 À la terre, affreux globe, impur, lépreux, banni, 6+6 b
Roulant dans votre amas d'ombres inférieures, 6+6 a
Ô vivants, et si c'est quinze jours et seize heures 6+6 a
Qu'il faut à l'escargot pour faire un mille anglais. 6+6 b
Le gnomon dont l'ombre erre au front de vos palais, 6+6 b
45 L'horloge, de vos jours ténébreuse sourdine, 6+6 a
Qui, dans votre néant, stupide, se dandine, 6+6 a
L'aiguille du cadran, lourd cheval hébété, 6+6 b
Qui tourne, puisant l'heure au puits éternité, 6+6 b
Et qui la vide en bruit sur vos têtes fragiles, 6+6 a
50 Vos éclairs, vos longueurs, vos bronzes, vos argiles, 6+6 a
Le rythme de vos voix et l'écart de vos pas, 6+6 b
Vos espaces, vos temps, il ne les connaît pas ! 6+6 b
Si le plaisir qui dure agonise en souffrance ; 6+6 a
Si le nom de Shakspeare, allant de Londre en France, 6+6 a
55 A mis cent cinquante ans à-passer le détroit ; 6+6 b
Si l'équateur a chaud et si le pôle a froid ; 6+6 b
Si quelque Alizuber, lieutenant du prophète, 6+6 a
Traversant les combats comme une sombre fête, 6+6 a
N'en est jamais sorti, sanglant, poudreux, fumant, 6+6 b
60 Sans recueillir, le soir, sur son noir vêtement, 6+6 b
Cette poussière afin de la mettre en sa tombe ; 6+6 a
Si le Crédit foncier vaut — mieux que le Grand'Combe ; 6+6 a
Si Louis, dit le grand, en Flandre a réussi 6+6 b
Par le conseil d'Harcourt ou l'avis de Torcy ; 6+6 b
65 Si Tibère César en sa galère vogue 6+6 a
Et songe ; et ce qu'en dit le vent, ce démagogue ; 6+6 a
Si Paul est orthodoxe et Philippe est arien ; 6+6 b
L'absolu n'en voit rien, l'absolu n'en sait rien, 6+6 b
L'absolu ne sait point qui je suis, qui vous êtes. 6+6 a
70 Seul, ni bon, ni méchant, au-dessus de nos têtes, 6+6 a
Il a, nous laissant dire assez, peu, trop, beaucoup, 6+6 b
L'impartialité terrible d'être tout. 6+6 b
L'âme, il l'a ; l'invisible, il le voit ; l'impossible, 6+6 a
Il l'est ; ce qu'il comprend, c'est l'incompréhensible. 6+6 a
75 Si l'absolu pouvait, dans le gouffre où je suis, 6+6 b
Se pencher sous le porche insondable des nuits 6+6 b
Où se meuvent, selon la loi de ces grands antres, 6+6 a
Les globes lumineux que vous croyez des centres, 6+6 a
S'il voyait cela, lui, l'œil providentiel, 6+6 b
80 Sa stupeur, ce serait ce pauvre petit ciel, 6+6 b
Ce firmament chétif qu'à peine un rayon dore, 6+6 a
Cette bave de feu que vous nommez l'aurore, 6+6 a
Ce soleil clignotant que l'œil perd dans l'azur 6+6 b
Tant il flotte enfoui sous un brouillard obscur, 6+6 b
85 Cette ombre, et la lenteur de l'escargot lumière. 6+6
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
logo du CRISCO logo de l'université