Métrique en Ligne
HUG_24/HUG1185
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
III
II
Quand l'enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder. 6+6 a
Quand il pleure, j'entends le tonnerre gronder ; 6+6 a
Car penser c'est entendre ; et le visionnaire 6+6 b
Est souvent averti par un vague tonnerre. 6+6 b
5 Quand ce petit être, humble et pliant les genoux, 6+6 a
Attache doucement sa prunelle sur nous, 6+6 a
Je ne sais pas pourquoi je tremble ; quand cette âme, 6+6 b
Qui n'est pas homme encore et n'est, pas encor femme, 6+6 b
En qui rien ne s'admire et rien ne se repent, 6+6 a
10 Sans sexe, sans passé derrière elle rampant, 6+6 a
Verse, à travers les cils de sa rose paupière, 6+6 b
Sa clarté dans laquelle on sent de la prière, 6+6 b
Sur nous les combattants, les vaincus, les vainqueurs, 6+6 a
Quand ce pur esprit semble, interroger nos cœurs, 6+6 a
15 Quand cet ignorant, plein d'un jour que rien n'efface, 6+6 b
A l'air de regarder notre science en face, 6+6 b
Et jette, dans cette ombre où passe Adam banni, 6+6 a
On ne sait quel rayon de rêve et d'infini, 6+6 a
On dirait, tant l'enfance est ressemblante au temple ; 6+6 b
20 Que la lumière, chose étrange, nous contemple ; 6+6 b
Toute la profondeur du ciel est dans cet œil. 6+6 a
Fût-on Christ ou Socrate, eût-on droit à l'orgueil, 6+6 a
On dit : laissez venir à moi cette auréole ! 6+6 b
Comme on sent qu'il était hier l'esprit qui vole ! 6+6 b
25 Comme on sent manquer l'aile à ce petit pied blanc ! 6+6 a
Oh ! comme c'est débile et frêle et chancelant ! 6+6 a
Comme on devine aux cris de cette bouche, un songe 6+6 b
De paradis qui jusqu'en enfer se prolonge, 6−6 b
Et que le doux enfant ne veut pas voir finir ! 6+6 a
30 L'homme, ayant un passé, craint pour cet avenir ; 6+6 a
Que la vie apparaît fatale ! Comme on pense 6+6 b
À tant de peine avec si peu de récompense ! 6+6 b
Oh ! comme on s'attendrit sur ce nouveau venu ! 6+6 a
Lui cependant, qu'est-il, ô vivants ? l'inconnu. 6+6 a
35 Qu'a-t-il en lui ? l'énigme. Et que porte-t-il ? l'âme. 6+6 b
Il vit à peine ; il est si chétif qu'il, réclame 6+6 b
Du brin d'herbe ondoyant aux vents, un point d'appui ; 6+6 a
Parfois, lorsqu'il se tait, on le croit presque enfui, 6+6 a
Car on a peur que tout ici-bas ne le blesse. 6+6 b
40 Lui, que fait-il ? Il rit. Fait d'ombre et de faiblesse 6+6 b
Et de tout ce qui tremble, il ne craint rien. Il est 6+6 a
Parmi nous le seul être encor vierge et complet ; 6+6 a
L'ange devient l'enfant lorsqu'il se rapetisse ; 6+6 b
Si toute pureté contient toute justice, 6+6 b
45 On ne rencontre — pas l'enfant sans quelque effroi ; 6+6 a
On sent qu'on est devant un plus juste que soi ; 6+6 a
C'est l'atome, le nain souriant, le pygmée ; 6+6 b
Et quand il passe, honneur, gloire, éclat, renommée, 6+6 b
Méditent ; on se dit tout bas : Si je priais ? 6+6 a
50 On rêve ; et les plus grands sont les plus inquiets ; 6+6 a
Sa haute exception dans notre obscure sphère, 6+6 b
C'est que n'ayant rien fait, lui seul n'a pu mal faire ; 6+6 b
Le monde est un mystère inondé de clarté ; 6+6 a
L'enfant est sous l'énigme adorable abrité ; 6+6 a
55 Toutes les vérités couronnent, condensées 6+6 b
Ce doux front qui n'a pas encore de pensées ; 6+6 b
On comprend que l'enfant, ange de nos douleurs, 6+6 a
Si petit ici-bas, doit être grand ailleurs ; 6+6 a
Il se traîne, il trébuche ; il n'a dans l'attitude, 6+6 b
60 Dans la voix, dans le geste, aucune certitude ; 6+6 b
Un souffle à qui la fleur résiste fait ployer 6+6 a
Cet être à qui fait peur le grillon du foyer ; 6+6 a
L'œil hésite pendant que la lèvre bégaie ; 6+6 b
Dans ce naïf regard que l'ignorance égaie 6+6 b
65 L'étonnement avec la grâce se confond, 6+6 a
Et l'immense lueur étoilée est au fond : 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 33((aa))
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