Métrique en Ligne
HUG_24/HUG1184
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
III
I
EFFETS DE RÉVEIL
On ouvre les yeux ; rien ne remue ; on entend 6+6 a
Au chevet de son lit la montre palpitant ; 6+6 a
La fenêtre livide aux spectres est pareille ; 6+6 b
On est gisant ainsi qu'un mort. On se réveille, 6+6 b
5 Pourquoi ? parce qu'on s'est la veille réveillé 6+6 a
Au même instant. Ainsi qu'un rouage rouillé 6+6 a
Et vieilli, mais exact, l'âme a ses habitudes. 6+6 b
Oh ! la nuit, c'est la plus sombre des solitudes. 6+6 b
L'heure apparaît, entrant, sortant, comme un passeur 6+6 a
10 D'ombres, et notre esprit voit tout dans la noirceur ; 6+6 a
Des pas sans but, des deuils sans fin, des maux sans nombre. 6+6 b
Le rêve qu'on avait et qui tremblait dans l'ombre ; 6+6 b
S'ajuste à la pensée indistincte qu'on a. 6+6 a
Tous les gouffres au bord desquels nous amena 6+6 a
15 Ce fantôme appelé le Hasard, reparaissent ; 6+6 b
Les mêmes visions redoutables s'y dressent ; 6+6 b
Ici le précipice, ici l'écroulement, 6+6 a
Ici la chute, ici ce qui fuit, ce qui ment, 6+6 a
Ce qui tue, et là-bas, dans l'âpre transparence, 6+6 b
20 Les vagues bras levés de la pâle espérance. 6+6 b
Comme on est triste ! on sent l'inexprimable effroi ; 6+6 a
On croit avoir le mur du tombeau devant soi ; 6+6 a
On médite, effaré par les choses possibles ; 6+6 b
Toute rive s'efface. On voit les invisibles, 6+6 b
25 Les absents, les manquants, cette morte, ce mort, 6+6 a
On leur tend les mains. Ombre et songe ! On se rendort… — 6+6 a
Homme, debout ! voici le jour, l'aube ravie, 6+6 b
L'azur ; et qu'est-ce donc qui rentre ? C'est la vie, 6+6 b
C'est le cri du travail, c'est le chant des oiseaux, 6+6 a
30 C'est le rayonnement des champs, des airs, des eaux ; 6+6 a
La nuit traîne un linceul, l'aurore agite un lange ; 6+6 b
Tout ce qu'on vient de voir spectre, on le revoit ange ; 6+6 b
Du père qu'on vit mort on voit l'enfant vivant ; 6+6 a
Le monde reparaît, clair comme auparavant ; 6+6 a
35 On ne reconnaît plus son âme ; elle était noire, 6+6 b
Elle est blanche ; elle espère et se remet à croire, 6+6 b
À sourire, à vouloir ; on a devant les yeux 6+6 a
Un éblouissement doré, chantant, joyeux, 6+6 a
On ne sait quel fouillis charmant de lueurs roses ; 6+6 b
40 Et tout l'homme est changé parce qu'on voit les choses, 6+6 b
Les hommes, Dieu, les cœurs, les amours, le destin, 6+6 a
À travers le vitrail splendide du matin. 6+6 a
V. H.
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
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