Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_24/HUG1120
Victor HUGO
TOUTE LA LYRE
1888-1893
I
XXVI
Les révolutions, | ces grandes affranchies, 6+6 a
Sont farouches, étant | filles des monarchies. 6+6 a
Donc, quand le genre humain | voulut, enfin lassé, 6+6 b
Entrer dans l'avenir | et sortir du passé, 6+6 b
5 Il n'aperçut pas d'autre | ouverture que celle 6+6 a
Qui s'offrait, sous ce fer | où l'éclair étincelle, 6+6 a
Entre ces deux poteaux, | chambranles effrayants. 6+6 b
Oui, c'est la seule issue, | hommes, troupeaux fuyants ; 6+6 b
Sortez par ce sépulcre. | O mystère insondable ! 6+6 a
10 Hélas ! c'est du passé | la porte formidable ! 6+6 a
Entrez dans l'avenir | par ce pas sépulcral. 6+6 b
C'est à travers le mal | qu'il faut sortir du mal. 6+6 b
Le genre humain, pour fuir | de la sanglante ornière, 6+6 a
Marche sur une tête | humaine, la dernière ; 6+6 a
15 C'est avec de l'enfer | qu'il commence ses cieux ; 6+6 b
Et l'homme en écrasant | le monstre est monstrueux. 6+6 b
Éruption des droits | de l'homme ! Sombres laves ! 6+6 a
Sortie exaspérée | et fauve des esclaves ! 6+6 a
Triste loi du reflux | qui ne peut dévier ! 6+6 b
20 Lugubre enfantement | du Vingt-et-un-Janvier ! 6+6 b
Tout un monde surgit, | tout un monde s'écroule ; 6+6 a
Fiacre horrible qui passe | au milieu de la foule ! 6+6 a
Sacerdoce et Pouvoir | sont là ; que disent-ils ? 6+6 b
Morne chuchotement | de ces deux noirs profils ! 6+6 b
25 Pendant qu'autour d'eux gronde, | éclate et se proclame 6+6 a
La révolte du peuple | et l'émeute de l'âme, 6+6 a
Pendant que, sur la terre | et dans le firmament, 6+6 b
On entend le funèbre | et double craquement 6+6 b
De l'ancien paradis | et de l'ancien royaume, 6+6 a
30 Le roi spectre tout bas | parle au prêtre fantôme. 6+6 a
Qu'est-ce qu'il avait fait, | ce roi, ce condamné, 6+6 b
Ce patient pensif | et pâle ? Il était né. 6+6 b
Est-ce une injuste mort ? | Qui donc l'oserait dire ? 6+6 a
C'est la punition ; | c'est aussi le martyre. 6+6 a
35 Responsabilité | sombre de l'innocent ! 6+6 b
O révolutions ! | l'idéal est en sang ; 6+6 b
Le sublime est horrible | et l'horrible est sublime ; 6+6 a
Et comment expliquer | ces aspects de l'abîme ? 6+6 a
Oh ! quels chocs de faisceaux, | de tribuns, de pavois ! 6+6 b
40 Je vois luire les fronts, | j'entends parler les voix ; 6+6 b
La lumière est accrue | et l'ombre est agrandie ; 6+6 a
Toute cette héroïque | et vaste tragédie 6+6 a
Passe devant mes yeux | comme par tourbillons. 6+6 b
La Marseillaise dit : | Formez vos bataillons ! 6+6 b
45 Là-bas, dans un rayon | de gouffre et de colère, 6+6 a
Le vieux bonnet damné | du forçat séculaire 6+6 a
Luit au bout d'une pique, | étrange labarum. 6+6 b
Ce n'est pas un sénat, | ce n'est pas un forum, 6+6 b
C'est un tas de Titans | qui vient tout reconstruire ; 6+6 a
50 Ces colosses hagards | se mettent à bruire ; 6+6 a
Nuit, tourmente ; océan | épouvantable et beau ! 6+6 b
Chaque vague qui fuit | s'appelle Mirabeau, 6+6 b
Robespierre, Brissot, | Guadet, Buzot, Barnave, 6+6 a
Pétion… — Hébert salit | l'écume de sa bave. 6+6 a
55 Et, submergé, saignant, | arraché, mort, épars, 6+6 b
Le vieux dogme, partout, | noyé de toutes parts, 6+6 b
Tombe, et tout le passé | s'en va dans la même onde. 6+6 a
Danton parle ; il est plein | de la rumeur d'un monde ; 6+6 a
C'est une idée et c'est | un homme ; il resplendit ; 6+6 b
60 Il ébranle les cœurs | et les murs ; ce qu'il dit 6+6 b
Est semblable au passage | orageux d'un quadrige ; 6+6 a
Un torrent de parole | énorme qu'il dirige, 6+6 a
Un verbe surhumain, | superbe, engloutissant, 6+6 b
S'écroule de sa bouche | en tempête, et descend 6+6 b
65 Et coule et se répand | sur la foule profonde ; 6+6 a
Il bâtit ? non, il brise ; | il détruit ? non, il fonde. 6+6 a
Pendant qu'il jette au vent | de l'avenir ses cris, 6+6 b
Mêlés à la clameur | de vieux trônes proscrits, 6+6 b
Le peuple voit passer | une roue inouïe 6+6 a
70 De tonnerre et d'éclairs | dont l'ombre est éblouie ; 6+6 a
Il parle ; il est l'élu, | l'archange, l'envoyé ! 6+6 b
Et l'interrompra-t-on ? | qui l'ose est foudroyé. 6+6 b
Qui pourrait lui barrer | la route ? qui ? personne. 6+6 a
Tout ploie en l'écoutant, | tout s'émeut, tout frissonne, 6+6 a
75 Tant ces discours, tombés | d'en haut, sont accablants, 6+6 b
Tant l'âme est forte, et tant, | pour les hommes tremblants, 6+6 b
Ces roulements du char | de l'esprit sont terribles ! 6+6 a
Auprès des flamboyants | se dressent les horribles : 6+6 a
Justiciers, punisseurs, | vengeurs, démons du bien. 6+6 b
80 — Grâce ! encore un moment ! | grâce ! — Ils répondent : Rien. 6+6 b
Entendez-vous Marat | qui hurle dans sa cave ? 6+6 a
Sa morsure aux tyrans | s'en va baiser l'esclave. 6+6 a
Il souffle la fureur, | les griefs acharnés, 6+6 b
La vengeance, la mort, | la vie, aux déchaînés 6+6 b
85 À plat ventre, grinçant | des dents, livide, oblique, 6+6 a
Il travaille à l'immense | évasion publique ; 6+6 a
Il perce l'épais mur | du bagne, et, dans son trou, 6+6 b
Du grand cachot de l'ombre | il tire le verrou ; 6+6 b
Il saisit l'ancien monde ; | il met à nu sa plaie ; 6+6 a
90 Il le traîne de rue | en rue, il est la claie ; 6+6 a
Il est en même temps | la huée ; il écrit ; 6+6 b
Le vent d'orage emporte | et — sème son esprit, 6+6 b
Une feuille, de fange | et d'aurore inondée, 6+6 a
Espèce de guenille | horrible de l'idée ; 6+6 a
95 Il dénonce, il délivre ; | il console, il maudit ; 6+6 b
De la liberté sainte | il est l'âpre bandit ; 6+6 b
Il agite l'antique | et monstrueuse chaîne, 6+6 a
Hideux, faisant sonner | ce fer contre sa haine ; 6+6 a
On voit autour de lui | des ossements humains. 6+6 b
100 Charlotte, ayant le cœur | des ancêtres romains, 6+6 b
Seule osera tenter | cet antre inabordable ; 6+6 a
Il est le misérable, | il est le formidable ; 6+6 a
Il est l'auguste infâme ; | il est le nain géant ; 6+6 b
Il égorge, massacre, | extermine, en créant ; 6+6 b
105 Un pauvre en deuil l'émeut, | un roi saignant le charme ; 6+6 a
Sa fureur aime ; il verse | une effroyable larme ; 6+6 a
Comme il pleure avec rage | au secours des souffrants ! 6+6 b
Il crie au mourant : Tue ! | Il crie au volé : Prends ! 6+6 b
Il crie à l'opprimé : | Foule aux pieds ! broie ! accable ! 6+6 a
110 Doux pour une détresse | et pour l'autre implacable, 6+6 a
Il fait à cette foule, | à cette nation, 6+6 b
À ce peuple, un salut | d'extermination. 6+6 b
Dur, mais grand ; front livide | entre les fronts célèbres ! 6+6 a
Ténébreux, il attaque | et poursuit les ténèbres. 6+6 a
115 Cette chauve-souris | fait la guerre au corbeau. 6+6 b
Prêtre imposteur du vrai, | difforme amant du beau, 6+6 b
Il combat l'ombre avec | toutes les armes noires. 6+6 a
Pierres, boue et crachats, | affronts, cris dérisoires, 6+6 a
Hymnes à l'échafaud, | poignard, rire infernal, 6+6 b
120 Il puise à pleines mains | dans l'affreux arsenal ; 6+6 b
Cet homme peut toucher | à tout, hors à la foudre. 6+6 a
La meule doit broyer | si le moulin veut moudre ; 6+6 a
Sur les versants divers | des abîmes penchants, 6+6 b
Ceux qui paraissent bons, | ceux qui semblent méchants, 6+6 b
125 Ébauchent en commun | la même délivrance ; 6+6 a
Ils font le droit, ils font | le peuple, ils font la France. 6+6 a
Qu'appelez-vous Bourbon, | majesté, roi, dauphin ? 6+6 b
Toute chose dont sort | l'indigence, la faim, 6+6 b
L'ignorance, le mal, | la guerre, l'homme brute, 6+6 a
130 C'est fini, cela doit | s'en aller dans la chute ; 6+6 a
C'est une tête. Eh bien, | le panier la reçoit. 6+6 b
Ils marchent, détruisant | l'obstacle, quel qu'il soit ; 6+6 b
Et c'est leur dogme à tous : | — Tuer quiconque tue. 6+6 a
Ruine où l'ordre éclôt, | vit et se constitue ! 6+6 a
135 C'est par excès d'amour | qu'ils abhorrent ; bonté 6+6 b
Devient haine ; ils n'ont plus | de cœur que d'un côté 6+6 b
À force de songer | au sort des misérables, 6+6 a
Et par miséricorde | ils sont inexorables. 6+6 a
Pour eux ce blond dauphin, | c'est déjà tout un roi ; 6+6 b
140 Qu'importe sa pâleur, | sa fièvre, son effroi ? 6+6 b
Ils écoutent le triste | avenir qui sanglote ; 6+6 a
L'enfant a dans leur main | la lourdeur d'un despote ; 6+6 a
Ils l'écrasent meurs donc ! | — sous le trône natal. 6+6 b
Ainsi tous les débris | du vieux monde fatal, 6+6 b
145 Évêques mis aux fers, | rois traînés à la barre, 6+6 a
Disparaissent, broyés | sous leur pitié barbare. 6+6 a
Tigres compatissants ! | formidables agneaux ! 6+6 b
Le sang que Danton verse | éclabousse Vergniaux 6+6 b
Sous la Montagne ainsi | qu'aux pieds de la Gironde 6+6 a
150 Le même avenir chante | et la même horreur gronde. 6+6 a
Oui, le droit se dressa | sur les codes bâtards ; 6+6 b
Oui, l'on sentit, ainsi | qu'à tous les avatars, 6+6 b
Le tressaillement sourd | du flanc des destinées, 6+6 a
Quand, montant lentement | son escalier d'années, 6+6 a
155 Le dix-huitième siècle | atteignit quatrevingt ; 6+6 b
Encor treize, le nombre | étrange, et le jour vint. 6+6 b
Alors, comme il arrive | à chaque phénomène, 6+6 a
À chaque changement | d'âge de l'âme humaine, 6+6 a
Comme lorsque Jésus | mourut au Golgotha, 6+6 b
160 L'éternel sablier | des siècles s'arrêta, 6+6 b
Laissant l'heure incomplète | et discontinuée ; 6+6 a
L'œil profond des penseurs | plongea dans la nuée, 6+6 a
Et l'on vit une main | qui retournait le temps. 6+6 b
On comprit qu'on touchait | aux solennels instants, 6+6 b
165 Que tout recommençait, | qu'on entrait dans la phase, 6+6 a
Que le sommet allait | descendre sous la base, 6+6 a
Que le nadir allait | devenir le zénith, 6+6 b
Que le peuple montait | sur le roi qui finit ! 6+6 b
Un blême crépuscule | apparut sur Sodome, 6+6 a
170 Promesse menaçante ; | et le peuple, pauvre homme, 6+6 a
Mendiant dont le vent | tordait le vil manteau, 6+6 b
Forçat dans sa galère | ou juif dans son ghetto, 6+6 b
Se leva, suspendit | sa plainte monotone, 6+6 a
Et rit, et s'écria : | — Voici la grande automne ! 6+6 a
175 La saison vient. C'est mûr. | Un signe est dans les cieux. 6+6 b
La Révolution, | pressoir prodigieux, 6+6 b
Commença le travail | de la vaste récolte, 6+6 a
Et, des cœurs comprimés | exprimant la révolte, 6+6 a
Broyant les rois caducs | debout depuis Clovis, 6+6 b
180 Fit son œuvre suprême | et triste, et sous sa vis 6+6 b
Toute l'Europe fut | comme une vigne sombre. 6+6 a
Alors, dans le champ vague | et livide de l'ombre, 6+6 a
Se répandit, fumant, | on ne sait quel flot noir, 6+6 b
O terreur ! et l'on vit, | sous l'effrayant pressoir, 6+6 b
185 Naître de la lumière | à travers d'affreux voiles, 6+6 a
Et jaillir et couler | du sang et des étoiles ; 6+6 a
On vit le vieux sapin | des trônes ruisseler, 6+6 b
Tandis qu'on entendait | tout le passé râler, 6+6 b
Et, le front radieux, | la main rouge et fangeuse, 6+6 a
190 Chanter la Liberté, | la grande vendangeuse. 6+6 a
Jours du peuple cyclope | et de l'esprit titan ! 6+6 b
Vie et trépas tournant | le même cabestan ! 6+6 b
Temps splendide et fatal, | qui mêle en sa fournaise 6+6 a
Au cri d'un Josaphat | l'hymne d'une Genèse ! 6+6 a
195 Quiconque t'osera | regarder fixement, 6+6 b
Convention, cratère, | Etna, gouffre fumant, 6+6 b
Quiconque plongera | la fourche dans ta braise, 6+6 a
Quiconque sondera | ce puits : Quatrevingt-treize, 6+6 a
Sentira se cabrer | et s'enfuir son esprit. 6+6 b
200 Quand Moïse vit Dieu, | le vertige le prit ; 6+6 b
Et moi, devant l'histoire | aux horizons sans nombre, 6+6 a
Je tremble, et j'ai le même | éblouissement sombre, 6+6 a
Car c'est voir Dieu que voir | les grandes lois du sort. 6+6 b
Non, le glaive, la mort | répondant à la mort, 6+6 b
205 Non, ce n'est pas la fin. | Jette plus bas la sonde, 6+6 a
Mon esprit. Ce serait | l'étonnement du monde 6+6 a
Et la déception | des hommes qu'un progrès 6+6 b
N'apparût qu'en laissant | aux justes des regrets, 6+6 b
Que l'ombre attristât l'aube | à se lever si lente, 6+6 a
210 Et que, pour le toucher | avec sa main sanglante 6+6 a
Le temps de lui céder | la place et le chemin, 6+6 b
Toujours l'affreux hier | ensanglantât demain ! 6+6 b
Non, ce n'est pas la fin. | Non, il n'est pas possible, 6+6 a
Dieu, que toute ta loi | soit de changer de cible, 6+6 a
215 Et de faire passer | le meurtre et le forfait 6+6 b
Des mains des rois aux mains | du peuple stupéfait. 6+6 b
Le peuple ne veut pas | de ce morne héritage. 6+6 a
Que serait donc l'effort | de l'homme si le sage 6+6 a
N'avait à constater | qu'un résultat si vain, 6+6 b
220 Le choc du droit humain | contre le droit divin ! 6+6 b
Et s'il n'apercevait | que cette lueur trouble 6+6 a
Quand il écoute au fond | de l'ombre la voix double, 6+6 a
Le passé, l'avenir, | la matière, l'esprit, 6+6 b
La voix du peuple Enfer, | la voix du peuple Christ ! 6+6 b
225 C'est vrai, l'histoire est sombre. | Ô rois ! hommes tragiques ! 6+6 a
Démences du pouvoir | sans limites ! logiques 6+6 a
De l'épée et du sceptre, | exterminant, broyant, 6+6 b
Allant à travers tout | à leur but effrayant ! 6+6 b
Oh ! la toute-puissance | a Caïn pour ancêtre. 6+6 a
230 Rien qu'à voir par éclairs | les siècles apparaître, 6+6 a
Quels règnes inouïs ! | que d'étranges lueurs ! 6+6 b
Voici les idiots | à côté des tueurs. 6+6 b
Zam, s'éveillant trop tard, | met l'aurore à l'amende ; 6+6 a
Claude égorge sa femme | et puis la redemande ; 6+6 a
235 Bajazet veut lier | les vents à des poteaux ; 6+6 b
Xercès fouette la mer, | Phur crache sur l'Athos ; 6+6 b
Pillage, trahison, | vol, parjure, homicide ; 6+6 a
Ici le parricide | et là l'infanticide ; 6+6 a
Pères dénaturés, | fils en rébellion ; 6+6 b
240 Octave usurpe, opprime, | égorge, et dans Lyon 6+6 b
Soixante nations | lui bâtissent un temple ; 6+6 a
La Flandre est un bûcher | que Philippe contemple ; 6+6 a
Léon dix en riant | étrangle un cardinal ; 6+6 b
Maxence après Galère | apparaît infernal ; 6+6 b
245 Voilà Sanche, abruti | d'ivresses funéraires ; 6+6 a
Celui-ci, Mahomet, | tua ses dix-neuf frères ; 6+6 a
Après avoir frappé | son père, Manfredi 6+6 b
S'assied dessus jusqu'à | ce qu'il soit refroidi ; 6−6 b
Les Transtamares font | revivre les Orestes ; 6+6 a
250 Achab fait ramasser | sous sa table ses restes 6+6 a
Par des hommes sans mains, | sans pieds, sans dents, sans yeux ; 6+6 b
Caïus triomphe avec | du sang jusqu'aux essieux ; 6+6 b
Richard d'York étouffe | Édouard cinq ; Ramire 6+6 a
Le Mauvais est mauvais, | mais Jean le Bon est pire ; 6+6 a
255 Sélim, tout effaré | de débauche et d'encens, 6+6 b
Court dans Stamboul, perçant | de flèches les passants ; 6+6 b
Zeb plante une forêt | de gibets à Nicée ; 6+6 a
Christiern fait tous les jours | arroser d'eau glacée 6+6 a
Des captifs enchaînés | nus dans des souterrains ; 6+6 b
260 Galéas Visconti, | les bras liés aux reins, 6+6 b
Râle, étreint par les nœuds | de la corde que Sforce 6+6 a
Passe dans les œillets | de sa veste de force ; 6+6 a
Cosme, à l'heure où midi | change en brasier le ciel, 6+6 b
Fait lécher par-un bouc | son père enduit de miel ; 6+6 b
265 Soliman met Tauris | en feu pour se distraire ; 6+6 a
Alonze, furieux | qu'on allaite son frère, 6+6 a
Coupe le bout des seins | d'Urraque avec-ses dents ; 6+6 b
Vlad regarde mourir | ses neveux prétendants 6+6 b
Et rit de voir le pal | leur sortir par la bouche ; 6+6 a
270 Borgia communie ; | Abbas, maçon farouche, 6+6 a
Fait avec de la brique | et des hommes vivants 6+6 b
D'épouvantables tours | qui hurlent dans les vents ; 6+6 b
Là, le sceptre vandale, | ici la loi burgonde ; 6+6 a
Cléopâtre renaît | pire dans Frédégonde ; 6+6 a
275 Ivan est sur Moscou, | Carlos est sur Madrid ; 6+6 b
Sous cet autre, Louis | dit le Grand, on ouvrit 6+6 b
Les mères pour tuer | leurs enfants dans leurs ventres. 6+6 a
Mais où sont donc les loups ! | Oh ! les antres ! les antres ! 6+6 a
La jungle où les boas | glissent, fangeux et froids ! 6+6 b
280 Est-ce du sang qui coule | aux veines de ces rois ? 6+6 b
Ont-ils des cœurs aussi ? | Sont-ils ce que nous sommes ? 6+6 a
Cieux profonds ! Oh ! plutôt | que l'aspect de ces hommes, 6+6 a
La rencontre du tigre, | et, plutôt que leur voix, 6+6 b
Le sourd rugissement | des lions dans les bois ! 6+6 b
285 Eh bien, vengeance donc ! | mort ! malheur ! représailles ! 6+6 a
La torche aux Rhamséions, | aux Kremlins, aux Versailles ! 6+6 a
Qu'Ossa soit à son tour | broyé par Pélion ! 6+6 b
Au bourreau les bourreaux ! | Justice ! talion ! 6+6 b
Non ! Jamais d'échafauds ! | C'est par d'autres répliques 6+6 a
290 Que doivent s'affirmer | les saintes républiques. 6+6 a
Ce siècle, le plus grand | des siècles, l'a compris. 6+6 b
Le jour où Février | se leva sur Paris, 6+6 b
Il fit deux parts de l'œuvre | immense de nos pères, 6+6 a
Et, grave, agenouillé | devant les grands mystères, 6+6 a
295 Ne gardant que le droit, | rendit à Dieu la mort. 6+6 b
Notre doigt n'est pas fait | pour presser le ressort 6+6 b
De ce fer monstrueux | qui tombe et se relève ; 6+6 a
La liberté n'est pas | un outil de la Grève ; 6+6 a
Elle s'emmanche mal | au couperet hideux ; 6+6 b
300 Carrier, Le Bas, Hébert, | sont des Philippes deux ; 6+6 b
Fouquier-Tinville touche | au duc d'Albe ; Barrère 6+6 a
Vaut de Maistre, et Chaumette | a Bâville pour frère ; 6+6 a
Marat, Couthon, Saint-Just, | d'où la vengeance sort, 6+6 b
Servent la vie avec | les choses de la mort ; 6+6 b
305 Ce qu'ils font est fatal ; | c'est toujours la vieille œuvre, 6+6 a
Et l'on y sent le froid | de l'antique couleuvre. 6+6 a
Non, le vrai ne doit point | avoir de repentirs ; 6+6 b
Au nom de tous les morts | et de tous les martyrs, 6+6 b
Non, jamais de vengeance ! | et la vie est sacrée. 6+6 a
310 L'aigle des temps nouveaux, | planant dans l'empyrée, 6+6 a
Laisse le sang rouiller | le bec du vieux vautour ; 6+6 b
Le peuple doit grandir ; | étant maître à son tour, 6+6 b
Et c'est par la douceur | que la grandeur se prouve. 6+6 a
Concorde ! Nos enfants | ne tettent plus la louve ; 6+6 a
315 Notre avenir n'est plus | dans un antre, allaité 6+6 b
Par l'affreux ventre noir | de la fatalité. 6+6 b
Ce patient, traîné | dans un tombeau qui roule, 6+6 a
Ces prunelles de tigre | éclatant dans la foule, 6+6 a
Ce prêtre, ce bourreau, | tout ce groupe fatal, 6+6 b
320 Ce tréteau, pilori | s'il n'est pas piédestal, 6+6 b
Ce panier, cette fosse | infâme qui se creuse, 6+6 a
Cette hache, c'était | de l'ombre malheureuse ; 6+6 a
Cela cachait le ciel, | le vrai, l'astre éclipsé ; 6+6 b
C'était du crépuscule | et c'était du passé ; 6+6 b
325 Le peuple sent en lui | sa nouvelle âme éclore, 6+6 a
Et ne veut rien du soir | et veut tout de l'aurore. 6+6 a
Avançons. Le progrès, | c'est un besoin d'azur. 6+6 b
Certes, Danton fut grand ; | Robespierre était pur ; 6+6 b
Jadis, broyant, malgré | les cris et les menaces, 6+6 a
330 Les mâchoires de l'hydre | entre ses poings tenaces, 6+6 a
Gladiateur géant | du cirque des fléaux, 6+6 b
Ayant à déblayer | tout l'antique chaos, 6+6 b
Ce grand Quatrevingt-treize | a fait ce qu'il dut faire ; 6+6 a
Mais nous qui respirons | l'idéale atmosphère, 6+6 a
335 Nous sommes d'autres cœurs ; | les temps fatals sont clos ; 6+6 b
Notre siècle, au-dessus | du vieux niveau des flots, 6+6 b
Au-dessus de la haine, | au-dessus de la crainte, 6+6 a
Fait sa tâche ; il construit | la grande Babel sainte ; 6+6 a
Dieu laisse cette fois | l'homme bâtir sa tour. 6+6 b
340 La république doit | s'affirmer par l'amour, 6+6 b
Par l'entrelacement | des mains et des pensées, 6+6 a
Par tous les lys s'ouvrant | à toutes les rosées, 6+6 a
Par le beau, par le bon, | par le vrai, par le grand, 6+6 b
Par le progrès debout, | vivant, marchant, flagrant, 6+6 b
345 Par la matière à l'homme | enfin libre asservie, 6+6 a
Par le sourire auguste | et calme de la vie, 6+6 a
Par la fraternité | sur tous les seuils riant, 6+6 b
Et par une blancheur | immense à l'orient. 6+6 b
Après le dix août | superbe, où dans la brume 6+6 a
350 Sous le dernier éclair | le dernier trône fume, 6+6 a
Après Louis, martyr | de son hérédité, 6+6 b
Roi que brise la France | en mal de liberté, 6+6 b
Après cette naissance, | après cette agonie, 6+6 a
Toute l'œuvre tragique | et farouche est finie. 6+6 a
355 L'ère d'apaisement | suit l'ère de terreur. 6+6 b
Le droit n'a pas besoin | de se mettre en fureur, 6+6 b
Et d'arriver les mains | pleines de violences, 6+6 a
Et de jeter un glaive | au plateau des balances ; 6+6 a
Il paraît, on tressaille ; | il marche, on dit : C'est Dieu. 6+6 b
360 Mort à la mort ! Au feu | la loi sanglante ! au feu 6+6 b
Le vieux koran de fer, | l'affreux code implacable 6+6 a
Qui tord l'irrémissible | avec l'irrévocable, 6+6 a
Qui frappe, qui se venge, | et qui se trompe ! À bas, 6+6 b
Croix qui saisis Jésus | et lâches Barabbas ! 6+6 b
365 À bas, potence, avec | toutes tes branches noires ! 6+6 a
Fourche que Vouglans mêle | à ses réquisitoires, 6+6 a
Solive épouvantable | où Tristan s'accouda, 6+6 b
Machine de Tyburn | et de la Cebada, 6+6 b
Démolis-toi toi-même, | et croule, mutilée, 6+6 a
370 Avec le saint-office | et la chambre étoilée, 6+6 a
Et tourne contre toi | la mort que tu contiens ! 6+6 b
Charpente que l'enfer | fait lécher à ses chiens, 6+6 b
Va pourrir dans la terre | éternelle et divine 6+6 a
Qui ne te connaît point, | toi l'arbre sans racine, 6+6 a
375 Qui t'exclut de la sève | et qui ne donne pas 6+6 b
La vie au bois féroce | où germe le trépas ! 6+6 b
Fuis, dissous-toi, perds-toi | dans la grande nature ! 6+6 a
Engins qu'ont maniés | le meurtre et la torture ; 6+6 a
Ô monstrueux outils | de la tombe, assassins, 6+6 b
380 Rappelez-vous les bons, | les innocents, les saints, 6+6 b
Et demandez-vous-en | compte les uns aux autres ! 6+6 a
Tous les crimes du faible | ont pour source les vôtres. 6+6 a
Poutre, ébrèche la hache | et brise le couteau ; 6+6 b
Hache, deviens cognée | et frappe le poteau, 6+6 b
385 Frappe ; exterminez-vous, | ô ténébreux complices ! 6+6 a
Et tombe pêle-mêle, | ô forêt des supplices, 6+6 a
Roue, échelle, garrot, | gibet, et glaive, et faulx, 6+6 b
Sous le bras du progrès, | bûcheron d'échafauds ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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