Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_23/HUG990
Victor HUGO
LES QUATRE VENTS DE L'ESPRIT
1881
I
LE LIVRE SATIRIQUE
— LE SIÈCLE —
XVII
L'ÉCHAFAUD
— Œil pour œil ! Dent pour dent ! | Tête pour tête ! A mort ! 6+6 a
Justice ! L’échafaud | vaut mieux que le remord. 6+6 a
Talion ! talion ! |
— Silence aux cris sauvages ! 6+6 b
Non ! assez de malheur, | de meurtre et de ravages ! 6+6 b
5 Assez d’égorgements ! | assez de deuil ! assez 6+6 a
De fantômes sans tête | et d’affreux trépassés ! 6+6 a
Assez de visions | funèbres dans la brume ! 6+6 b
Assez de doigts hideux, | montrant le sang qui fume, 6+6 b
Noirs, et comptant les trous | des linceuls dans la nuit ! 6+6 a
10 Pas de suppliciés | dont le cri nous poursuit ! 6+6 a
Pas de spectres jetant | leur ombre sur nos têtes ! 6+6 b
Nous sommes ruisselants | de toutes les tempêtes ; 6+6 b
Il n’est plus qu’un devoir | et qu’une vérité, 6+6 a
C’est, après tant d’angoisse | et de calamité. 6+6 a
15 Homme, d’ouvrir son cœur, | oiseau, d’ouvrir son aile 6+6 b
Vers ce ciel que remplit | la grande âme éternelle ! 6+6 b
Le peuple, que les rois | broyaient sous leurs talons. 6+6 a
Est la pierre promise | au temple, et nous voulons 6+6 a
Que la pierre bâtisse | et non qu’elle lapide ! 6+6 b
20 Pas de sang ! pas de mort ! | C’est un reflux stupide 6+6 b
Que la férocité | sur la férocité. 6+6 a
Un pilier d’échafaud | soutient mal la cité. 6+6 a
Tu veux faire mourir ! | Moi je veux faire naître ! 6+6 b
Je mure le sépulcre | et j’ouvre la fenêtre. 6+6 b
25 Dieu n’a pas fait le sang, | à l’amour réservé. 6+6 a
Pour qu’on le donne à boire | aux fentes du pavé. 6+6 a
S’agit-il d’égorger ? | Peuples, il s’agit d’être. 6+6 b
Quoi ! tu veux te venger, | passant ? de qui ? du maître ? 6+6 b
Si tu ne vaux pas mieux, | que viens-tu faire ici ? 6+6 a
30 Tout mystère où l’on jette | un meurtre est obscurci ; 6+6 a
L’énigme ensanglantée | est plus âpre à résoudre ; 6+6 b
L’ombre s’ouvre terrible | après le coup de foudre ; 6+6 b
Tuer n’est pas créer, | et l’on se tromperait 6+6 a
Si l’on croyait que tout | finit au couperet ; 6+6 a
35 C’est là qu’inattendue, | impénétrable, immense. 6+6 b
Pleine d’éclairs subits, | la question commence ; 6+6 b
C’est du bien et du mal ; | mais le mal est plus grand. 6+6 a
Satan rit à travers | l’échafaud transparent. 6+6 a
Le bourreau, quel qu’il soit, | a le pied dans l’abîme ; 6+6 b
40 Quoi qu’elle fasse, hélas ! | la hache fait un crime ; 6+6 b
Une lugubre nuit | fume sur ce tranchant ; 6+6 a
Quand il vient de tuer, | comme, en s’en approchant. 6+6 a
On frémit de le voir | tout ruisselant, et comme 6+6 b
On sent qu’il a frappé | dans l’ombre plus qu’un homme 6+6 b
45 Sitôt qu’a disparu | le coupable immolé. 6+6 a
Hors du panier tragique | où la tête a roulé. 6+6 a
Le principe innocent, | divin, inviolable. 6+6 b
Avec son regard d’astre | à l’aurore semblable. 6+6 b
Se dresse, spectre auguste, | un cercle rouge au cou. 6+6 a
50 L’homme est impitoyable, | hélas, sans savoir où. 6+6 a
Comment ne voit-il pas | qu’il vit dans un problème. 6+6 b
Que l’homme est solidaire | avec ses monstres même. 6+6 b
Et qu’il ne peut tuer | autre chose qu’Abel ! 6+6 a
Lorsqu’une tête tombe, | on sent trembler le ciel. 6+6 a
55 Décapitez Néron, | cette hyène insensée, 6+6 b
La vie universelle | est dans Néron blessée ; 6+6 b
Faites monter Tibère | à l’échafaud demain, 6+6 a
Tibère saignera | le sang du genre humain. 6+6 a
Nous sommes tous mêlés | à ce que fait la Grève ; 6+6 b
60 Quand un homme, en public, | nous voyant comme un rêve. 6+6 b
Meurt, implorant en vain | nos lâches abandons. 6+6 a
Ce meurtre est notre meurtre | et nous en répondons ; 6+6 a
C’est avec un morceau | de notre insouciance. 6+6 b
C’est avec un haillon | de notre conscience. 6+6 b
65 Avec notre âme à tous, | que l’exécuteur las 6+6 a
Essuie en s’en allant | son hideux coutelas. 6+6 a
L’homme peut oublier ; | les choses importunes 6+6 b
S’effacent dans l’éclat | ondoyant des fortunes ; 6+6 b
Le passé, l’avenir, | se voilent par moments ; 6+6 a
70 Les festins, les flambeaux, | les feux, les diamants. 6+6 a
L’illumination | triomphale des fêtes. 6+6 b
Peuvent éclipser l’ombre | énorme des prophètes ; 6+6 b
Autour des grands bassins, | au bord des claires eaux. 6+6 a
Les enfants radieux | peuvent aux cris d’oiseaux 6+6 a
75 Mêler le bruit confus | de leurs lèvres fleuries. 6+6 b
Et, dans le Luxembourg | ou dans les Tuileries, 6+6 b
Devant les vieux héros | de marbre aux poings crispés. 6+6 a
Danser, rire et chanter : | les lauriers sont coupés ! 6+6 a
La Courtille au front bas | peut noyer dans les verres 6+6 b
80 Le souvenir des jours | illustres et sévères ; 6+6 b
La valse peut ravir, | éblouir, enivrer 6+6 a
Des femmes de satin, | heureuses de livrer 6+6 a
Le plus de nudité | possible aux yeux de flamme ; 6+6 b
L’hymen peut murmurer | son chaste épithalame ; 6+6 b
85 Le bal masqué, lascif, | paré, bruyant, charmant, 6+6 a
Peut allumer sa torche | et bondir follement. 6+6 a
Goule au linceul joyeux, | larve en fleurs, spectre rose ; 6+6 b
Mais, quel que soit le temps, | quelle que soit la cause. 6+6 b
C’est toujours une nuit | funeste au peuple entier 6+6 a
90 Que celle où, conduisant | un prêtre, un guichetier 6+6 a
Fouille au trousseau de clefs | qui pend à sa ceinture 6+6 b
Pour aller, sur le lit | de fièvre et de torture, 6+6 b
Réveiller avant l’heure | un pauvre homme endormi, 6+6 a
Tandis que, sur la Grève, | entrevus à demi. 6+6 a
95 Sous les coups de marteau | qui font fuir la chouette. 6+6 b
D’effrayants madriers | dressent leur silhouette. 6+6 b
Rougis par la lanterne | horrible du bourreau ! 6+6 a
Le vieux glaive du juge | a la nuit pour fourreau. 6+6 a
Le tribunal ne peut | de ce fourreau livide 6+6 b
100 Tirer que la douleur, | l’anxiété, le vide, 6+6 b
Le néant, le remords, | l’ignorance et l’effroi, 6+6 a
Qu’il frappe au nom du peuple | ou venge au nom du roi. 6+6 a
Justice ! dites-vous. | — Qu’appelez-vous justice ? 6+6 b
Qu’on s’entr’aide, qu’on soit | des frères, qu’on vêtisse 6+6 b
105 Ceux qui sont nus, qu’on donne | à tous le pain sacré. 6+6 a
Qu’on brise l’affreux bagne | où le pauvre est muré, 6+6 a
Mais qu’on ne touche point | à la balance sombre ! 6+6 b
Le sépulcre où, pensif, | l’homme naufrage et sombre. 6+6 b
Au delà d’aujourd’hui, | de demain, des saisons. 6+6 a
110 Des jours, du flamboiement | de nos vains horizons, 6+6 a
Et des chimères, proie | et fruit de notre étude, 6+6 b
A son ciel plein d’aurore | et fait de certitude ; 6+6 b
La justice en est l’astre | immuable et lointain. 6+6 a
Notre justice à nous, | comme notre destin. 6+6 a
115 Est tâtonnement, trouble, | erreur, nuage, doute ; 6+6 b
Martyr, je m’applaudis | 5 juge, je me redoute ; 6+6 b
L’infaillible, est-ce moi, | dis ? est-ce toi ? réponds. 6+6 a
Vous criez : — Nos douleurs | sont notre droit. Frappons. 6+6 a
Nous sommes trop en butte | au sort qui nous accable. 6+6 b
120 Nous sommes trop frappés | d’un mal inexplicable. 6+6 b
Nous avons trop de deuils, | trop de jougs, trop d’hivers. 6+6 a
Nous sommes trop souffrants, | dans nos destins divers. 6+6 a
Tous, les grands, les petits, | les obscurs, les célèbres. 6+6 b
Pour ne pas condamner | quelqu’un dans nos ténèbres. — 6+6 b
125 Puisque vous ne voyez | rien de clair dans le sort. 6+6 a
Ne vous hâtez pas trop | d’en conclure la mort. 6+6 a
Fût-ce la mort d’un roi, | d’un maître et d’un despote ; 6+6 b
Dans la brume insondable | où tout saigne et sanglote, 6+6 b
Ne vous hâtez pas trop | de prendre vos malheurs. 6+6 a
130 Vos jours sans feu, vos jours | sans pain, vos cris, vos pleurs. 6+6 a
Et ce deuil qui sur vous | et votre race tombe. 6+6 b
Pour les faire servir | à construire une tombe. 6+6 b
Quel pas aurez-vous fait | pour avoir ajouté 6+6 a
A votre obscur destin, | ombre et fatalité. 6+6 a
135 Cette autre obscurité | que vous nommez justice ? 6+6 b
Faire de l’échafaud, | menaçante bâtisse. 6+6 b
Un autel à bénir | le progrès nouveau-né, 6+6 a
O vivants, c’est démence ; | et qu’aurez-vous gagné 6+6 a
Quand, d’un culte de mort | lamentables ministres. 6+6 b
140 Vous aurez marié | ces infirmes sinistres, 6+6 b
La justice boiteuse | et l’aveugle anankè ? 6+6 a
Le glaive toujours cherche | un but toujours manqué ; 6+6 a
La palme, cette flamme | aux fleurs étincelantes, 6+6 b
Faite d’azur, frémit | devant des mains sanglantes. 6+6 b
145 Et recule et s’enfuit, | sensitive des cieux ! 6+6 a
La colère assouvie | a le front soucieux. 6+6 a
Quant à moi, tu le sais, | nuit calme où je respire, 6+6 b
J’aurais là, sous mes pieds, | mon ennemi, le pire, 6+6 b
Caïn juge, Judas | pontife, Satan roi. 6+6 a
150 Que j’ouvrirais ma porte | et dirais : Sauve-toi ! 6+6 a
Non, l’élargissement | des mornes cimetières 6+6 b
N’est pas le but. Marchons, | reculons les frontières 6+6 b
De la vie ! O mon siècle, | allons toujours plus haut ! 6+6 a
Grandissons !
Qu’est-ce donc | qu’il nous veut, l’échafaud. 6+6 a
155 Cette charpente spectre | accoutumée aux foules. 6+6 b
Cet îlot noir qu’assiège | et que bat de ses houles 6+6 b
La multitude aux flots | inquiets et mouvants. 6+6 a
Ce sépulcre qui vient | attaquer les vivants, 6+6 a
Et qui, sur les palais | ainsi que sur les bouges. 6+6 b
160 Surgit, levant un glaive | au bout de ses bras rouges ? 6+6 b
Mystère qui se livre | aux carrefours, morceau 6+6 a
De la tombe qui vient | tremper dans le ruisseau, 6+6 a
Bravant le jour, le bruit, | les cris ; bière effrontée 6+6 b
Qui, féroce, cynique | et lâche, semble athée ! 6+6 b
165 O spectacle exécré | dans les plus repoussants. 6+6 a
Une mort qui se fait | coudoyer aux passants, 6+6 a
Qui permet qu’un crieur | hors de l’ombre la tire ! 6+6 b
Une mort qui n’a pas | l’épouvante du rire. 6+6 b
Dévoilant l’escalier | qui dans la nuit descend, 6+6 a
170 Disant : voyez ! marchant | dans la rue, et laissant 6+6 a
La boue éclabousser | son linceul semé d’astres ; 6+6 b
Qui, sur un tréteau, montre | entre deux vils pilastres 6+6 b
Son horreur, son front noir, | son œil de basilic ; 6+6 a
Qui consent à venir | travailler en public, 6+6 a
175 Et qui, prostituée, | accepte, sur les places, 6+6 b
La familiarité | des fauves populaces ! 6+6 b
O vivant du tombeau, | vivant de l’infini, 6+6 a
Jéhovah ! Dieu, clarté, | rayon jamais terni. 6+6 a
Pour faire de la mort, | de la nuit, des ténèbres, 6+6 b
180 Ils ont mis ton triangle | entre deux pieux funèbres ; 6+6 b
Et leur foule, qui voit | resplendir ta lueur. 6+6 a
Ne sent pas à son front | poindre une âpre sueur. 6+6 a
Et l’horreur n’étreint pas | ce noir peuple unanime. 6+6 b
Quand ils font, pour punir | ce qu’ils ont nommé crime. 6+6 b
185 Au nom de ce qu’ils ont | appelé vérité. 6+6 a
Sur la vie, o terreur, | tomber l’éternité ! 6+6 a
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