Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_23/HUG989
Victor HUGO
LES QUATRE VENTS DE L'ESPRIT
1881
I
LE LIVRE SATIRIQUE
— LE SIÈCLE —
XVI
LE BOUT DE L'OREILLE
J’ai ri d’abord.
J’étais | dans mon champ plein de roses. 6+6 a
J’errais. Âme attentive | au clair-obscur des choses, 6+6 a
Je vois au fond de tout | luire un vague flambeau. 6+6 b
C’était le matin, l’heure | où le bois se fait beau, 6+6 b
5 Où la nature semble | une immense prunelle 6+6 a
Éblouie, ayant Dieu | presque visible en elle. 6+6 a
Pour faire fête à l’aube, | au bord des flots dormants, 6+6 b
Les ronces se couvraient | d’un tas de diamants ; 6+6 b
Les brins d’herbe coquets | mettaient toutes leurs perles ; 6+6 a
10 La mer chantait ; les geais | causaient avec les merles ; 6+6 a
Les papillons volaient | du cytise au myrtil. 6+6 b
Entre un ami. « Bonjour. | Savez-vous ? Me dit-il, 6+6 b
On vient de vous brûler | sur la place publique. 6+6 a
— Où ça ? ― Dans un pays | honnête et catholique. 6+6 a
15 — Je le suppose. ― Peste ! | Ils vous ont pris vivant 6+6 b
Dans un livre où l’on voit | le bagne et le couvent, 6+6 b
Vous ont brûlé, vous diable | et juif, avec esclandre, 6+6 a
Ensuite ils ont au vent | fait jeter votre cendre. 6+6 a
Il serait peu décent | qu’il en fût autrement. 6+6 b
20 Mais quand ça ? ― L’autre jour. | En Espagne. — Vraiment. 6+6 b
Ils ont fait cuire au bout | de leur grande pincette 6+6 a
Myriel, Jean ValJean, | Marius et Cosette, 6+6 a
Vos Misérables, vous, | toute votre âme enfin. 6+6 b
Vos êtes un de ceux | dont Escobar a faim. 6+6 b
25 Vous voilà quelque peu | grillé comme Voltaire. 6+6 a
— Donc j’ai chaud en Espagne | et froid en Angleterre. 6+6 a
Tel est mon sort. ― La chose | est dans tous les journaux. 6+6 b
Ah ! Si vous n’étiez pas | chez ces bons huguenots ! 6+6 b
L’ennui, c’est qu’on ne peut | jusqu’ici vous poursuivre. 6+6 a
30 Ne pouvant rôtir l’homme, | on a flambé le livre. 6+6 a
— C’est le moins. ― Vous voyez | d’ici tous les détails. 6+6 b
De gros bonshommes noirs | devant de grands portails, 6+6 b
Un feu, de quoi brûler | une bibliothèque. 6+6 a
Un évêque m’a fait | cet honneur ! ― Un évêque ? 6+6 a
35 Morbleu ! Pour vous damner | ils se sont assemblés, 6+6 b
Et ce n’est pas un seul, | c’est tous. ― Vous me comblez. » 6+6 b
Et nous rions.
Et puis | je rentre, et je médite. 6+6 a
Ils en sont là.
Du temps | de Vénus Aphrodite, 6+6 a
Parfois, seule, écoutant | on ne sait quelles voix, 6+6 b
40 La déesse errait nue | et blanche au fond des bois ; 6+6 b
Elle marchait tranquille, | et sa beauté sans voiles, 6+6 a
Ses cheveux faits d’écume | et ses yeux faits d’étoiles, 6+6 a
Étaient dans la forêt | comme une vision ; 6+6 b
Cependant, retenant | leur respiration, 6+6 b
45 Voyant au loin passer | cette clarté, les faunes 6+6 a
S’approchaient ; l’ægipan, | le satyre aux yeux jaunes, 6+6 a
Se glissaient en arrière | ivres d’un vil désir, 6+6 b
Et brusquement tendaient | le bras pour la saisir, 6+6 b
Et le bois frissonnait, | et la surnaturelle, 6+6 a
50 Pâle, se retournait | sentant leur main sur elle. 6+6 a
Ainsi, dans notre siècle | aux mirages trompeurs, 6+6 b
La conscience humaine | a d’étranges stupeurs ; 6+6 b
Lumineuse, elle marche | en notre crépuscule, 6+6 a
Et tout à coup, devant | le faune, elle recule. 6+6 a
55 Tartuffe est là, nouveau | Satan d’un autre éden. 6+6 b
Nous constatons dans l’ombre, | à chaque instant, soudain, 6+6 b
Le vague allongement | de quelque griffe infâme 6+6 a
Et l’essai ténébreux | de nous prendre notre âme. 6+6 a
L’esprit humain se sent | tâté par un bourreau. 6+6 b
60 Mais doucement. On jette | au noir quemadero 6+6 b
Ce qu’on peut, mais plus tard | on fera mieux peut-être, 6+6 a
Et votre meurtrier | est timide ; il est prêtre. 6+6 a
Il vous demanderait | presque permission. 6+6 b
Il allume un brasier, | fait sa procession, 6+6 b
65 Met des bûches au feu, | du bitume au cilice, 6+6 a
Soit ; mais si gentiment | qu’après votre supplice 6+6 a
Vous riez.
Grillandus | n’est plus que Loyola. 6+6 b
Vous lui dites : ma foi, | c’est drôle. Touchez là. 6+6 b
Eh bien, riez. C’est bon. | Attendez, imbéciles ! 6+6 a
70 Lui qui porte en ses yeux | l’âme des noirs Basiles, 6+6 a
Il rit de vous voir rire. | Il est Vichnou, Mithra, 6+6 b
Teutatès, et ce feu | pour rire grandira. 6+6 b
Ah ! Vous criez : bravo ! | Ta rage est ma servante. 6+6 a
Brûle mes livres. Bien, | très bien ! Pousse à la vente ! 6+6 a
75 Et lui songe. Il se dit : | — La chose a réussi. 6+6 b
Quand le livre est brûlé, | l’écrivain est roussi. 6+6 b
La suite à demain. — Vous, | vous raillez. Il partage 6+6 a
Votre joie, avec l’air | d’un prêtre de Carthage. 6+6 a
Il dit : leur cécité | toujours me protégea. 6+6 b
80 Sa mâchoire, qui rit | encor, vous mord déjà. 6+6 b
N’est-ce pas ? Ce brûleur | avec bonté nous traite, 6+6 a
Et son autodafé | n’est qu’une chaufferette ! 6+6 a
Ah ! Les vrais tourbillons | de flamme auront leur tour. 6+6 b
En elle, comme un œuf | contient le grand vautour, 6+6 b
85 La petite étincelle | a l’incendie énorme. 6+6 a
Attendez seulement | que la France s’endorme, 6+6 a
Et vous verrez.
Peut-on | calculer le chemin 6+6 b
Que ferait pas à pas, | hier, aujourd’hui, demain, 6+6 b
L’effroyable tortue | avec ses pieds fossiles ? 6+6 a
90 Qui sait ? Bientôt peut-être | on aura des conciles ! 6+6 a
On entendra, qui sait ? | Un homme dire à Dieu : 6+6 b
— L’infaillible, c’est moi. | Place ! Recule un peu. ― 6+6 b
Quoi ! Recommence-t-on ? | Ciel ! Serait-il possible 6+6 a
Que l’homme redevînt | pâture, proie et cible ! 6+6 a
95 Et qu’on revît les temps | difformes ! Qu’on revît 6+6 b
Le double joug qui tue | autant qu’il asservit ! 6+6 b
Qu’on revît se dresser | sur le globe, vil bouge, 6+6 a
Près du sceptre d’airain | la houlette en fer rouge ! 6+6 a
Nos pères l’ont subi, | ce double pouvoir-là ! 6+6 b
100 Nuit ! Mort ! Melchisédech | compliqué d’Attila ! 6+6 b
Ils ont vu sur leurs fronts, | eux parias sans nombre, 6+6 a
Le côte à côte affreux | des deux sceptres dans l’ombre ; 6+6 a
Ils entendaient leur foudre | au fond du firmament, 6+6 b
Moins effrayante encor | que leur chuchotement. 6+6 b
105 — Prends les peuples, César. | ― Toi, Pierre, prends les âmes. 6+6 a
— Prends la pourpre, César. | ― Mais toi, qu’as-tu ? ― Les flammes. 6+6 a
— Et puis ? ― Cela suffit. | ― Régnons.
Âges hideux ! 6+6 b
L’homme blanc, l’homme sombre. | Ils sont un. Ils sont deux. 6+6 b
Là le guerrier, ici | le pontife ; et leurs suites, 6+6 a
110 Confesseurs, massacreurs, | tueurs, bourreaux, jésuites ! 6+6 a
Ô deuil ! Sur les bûchers | et les sanbenitos 6+6 b
Rome a, quatre cents ans, | braillé son vil pathos, 6+6 b
Jetant sur l’univers | terrifié qui souffre 6+6 a
D’une main l’eau bénite | et de l’autre le soufre. 6+6 a
115 Tous ces prêtres portaient | l’affreux masque aux trous noirs ; 6+6 b
Leurs mitres ressemblaient | dans l’ombre aux éteignoirs ; 6+6 b
Ils ont été la Nuit | dans l’obscur moyen-âge ; 6+6 a
Ils sont tout prêts à faire | encor ce personnage, 6+6 a
Et jusqu’en notre siècle, | à cette heure engourdi, 6+6 b
120 On les verrait, avec | leur torche en plein midi, 6+6 b
Avec leur crosse, avec | leurs bedeaux, populace, 6+6 a
Reparaître et rentrer, | s’ils trouvaient de la place 6+6 a
Pour passer, ô Voltaire, | entre Jean-Jacque et toi ! 6+6 b
Non, non, non ! Reculez, | faux pouvoir, fausse foi ! 6+6 b
125 Oh ! La Rome des frocs ! | Oh ! L’Espagne des moines ! 6+6 a
Disparaissez ! Prêcheurs | captant les patrimoines ! 6+6 a
Bonnets carrés ! Camails ! | Capuchons ! Clercs ! Abbés ! 6+6 b
Tas d’horribles fronts bas, | tonsurés ou nimbés ! 6+6 b
Ô mornes visions | du tison et du glaive ! 6+6 a
130 Exécrable passé | qui toujours se relève 6+6 a
Et sur l’humanité | se dresse menaçant ! 6+6 b
Saulx-Tavanne, écumant | une écume de sang, 6+6 b
Criant : égorgez tout ! | Dieu fera le triage ! 6+6 a
La juive de seize ans | brûlée au mariage 6+6 a
135 De Charles deux avec | Louise d’Orléans, 6+6 b
Et dans l’autodafé | plein de brasiers béants 6+6 b
Offerte aux fiancés | comme un cierge de noce ; 6+6 a
Campanella brisé | par l’église féroce ; 6+6 a
Jordan Bruno lié | sous un ruisseau de poix 6+6 b
140 Qui ronge par sa flamme | et creuse par son poids ; 6+6 b
D’Albe qui dans l’horreur | des bûchers se promène 6+6 a
Séchant sa main sanglante | à cette braise humaine ; 6+6 a
Galilée abaissant | ses genoux repentants ; 6+6 b
La place d’Abbeville | où Labarre à vingt ans, 6+6 b
145 Pour avoir chansonné | toute cette canaille, 6+6 a
Eut la langue arrachée | avec une tenaille, 6+6 a
Et hurla dans le feu, | tordant ses noirs moignons ; 6+6 b
Le marché de Rouen | dont les sombres pignons 6+6 b
Ont le rouge reflet | de ton supplice, ô Jeanne ! 6+6 a
150 Huss brûlé par Martin, | l’aigle tué par l’âne ; 6+6 a
Farnèse et Charles-Quint, | Grégoire et Sigismond, 6+6 b
Toujours ensemble assis | comme au sommet d’un mont, 6+6 b
À leurs pieds toute l’âme | humaine épouvantée 6+6 a
Sous cet effrayant Dieu | qui fait le monde athée ; 6+6 a
155 Ce passé m’apparaît ! | Vous me faites horreur, 6+6 b
Croulez, toi monstre pape, | et toi monstre empereur ! 6+6 b
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