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HUG_23/HUG986
Victor HUGO
LES QUATRE VENTS DE L'ESPRIT
1881
I
LE LIVRE SATIRIQUE
— LE SIÈCLE —
XIII
LITTÉRATURE
Donc, vieux passé plaintif, toujours tu reviendras 6+6 a
Nous criant : — Pourquoi donc est-on si loin ? Ingrats ! 6+6 a
Qu’êtes-vous devenus ? Dites, avec l’abîme 6+6 b
Quel pacte avez-vous fait ? Quel attentat ? Quel crime ? — 6+6 b
5 Nous questionnant, sombre et de rage écumant, 6+6 a
Furieux.
Nous avons marché, tout bonnement. 6+6 a
Qui marche t’assassine, ô bon vieux passé blême. 6+6 b
Mais que veux-tu ? Je suis de mon siècle, et je l’aime ! 6+6 b
Je te l’ai déjà dit. Non, ce n’est plus du tout 6+6 a
10 L’époque où la nature était de mauvais goût, 6+6 a
Où Bouhours, vieux jésuite, et le Batteux, vieux cancre, 6+6 b
Lunette au nez et plume au poing, barbouillaient d’encre 6+6 b
Le cygne au bec doré, le bois vert, le ciel bleu ; 6+6 a
Où l’homme corrigeait le manuscrit de Dieu. 6+6 a
15 Non, ce n’est plus le temps où Lenôtre à Versaille 6+6 b
Raturait le buisson, la ronce, la broussaille ; 6+6 b
Siècle où l’on ne voyait dans les champs éperdus 6+6 a
Que des hommes poudrés sous des arbres tondus. 6+6 a
Tout est en liberté maintenant. Sur sa nuque 6+6 b
20 L’arbre a plus de cheveux, l’homme a moins de perruque. 6+6 b
La vieille idée est morte avec le vieux cerveau. 6+6 a
La révolution est un monde nouveau. 6+6 a
Notre oreille en changeant a changé la musique. 6+6 b
Lorsque Fernand Cortez arriva du Mexique, 6+6 b
25 Il revint la main pleine, et, du jeune univers, 6+6 a
Il rapporta de l’or ; nous rapportons des vers. 6+6 a
Nous rapportons des chants mystérieux. Nous sommes 6+6 b
D’autres yeux, d’autres fronts, d’autres cœurs, d’autres hommes. 6+6 b
Braves pédants, calmez votre bon vieux courroux. 6+6 a
30 Nous arrachons de l’âme humaine les verrous. 6+6 a
Tous frères, et mêlés dans les monts, dans les plaines, 6+6 b
Nous laissons librement s’en aller nos haleines 6+6 b
À travers les grands bois et les bleus firmaments. 6+6 a
Nous avons démoli les vieux compartiments. 6+6 a
35 Non, nous ne sommes plus ni paysan, ni noble, 6+6 b
Ni lourdaud dans son pré, ni rustre en son vignoble, 6+6 b
Ni baron dans sa tour, ni reître à ses canons ; 6+6 a
Nous brisons cette écorce, et nous redevenons 6+6 a
L’homme ; l’homme enfin hors des temps crépusculaires ; 6+6 b
40 L’homme égal à lui-même en tous ses exemplaires ; 6+6 b
Ni tyran, ni forçat, ni maître, ni valet ; 6+6 a
L’humanité se montre enfin telle qu’elle est, 6+6 a
Chaque matin plus libre et chaque soir plus sage ; 6+6 b
Et le vieux masque usé laisse voir le visage. 6+6 b
45 Avec Ézéchiel nous mêlons Spinosa. 6+6 a
La nature nous prend, la nature nous a ; 6+6 a
Dans son antre profond, douce, elle nous attire ; 6+6 b
Elle en chasse pour nous son antique satyre, 6+6 b
Et nous y montre un sphinx nouveau qui dit : pensez. 6+6 a
50 Pour nous les petits cris au fond des nids poussés, 6+6 a
Sont augustes ; pour nous toutes les monarchies 6+6 b
Que vous saluez, vous, de vos têtes blanchies, 6+6 b
Tous les fauteuils royaux aux dossiers empourprés, 6+6 a
Sont peu de chose auprès d’un liseron des prés. 6+6 a
55 Régner ! Cela vaut-il rêver sous un vieux aulne ? 6+6 b
Nous regardons passer Charles-Quint sur son trône, 6+6 b
Jules deux sous son dais, César dans les clairons, 6+6 a
Et nous avons pitié lorsque nous comparons 6+6 a
À l’aurore des cieux cette fausse dorure. 6+6 b
60 Lorsque nous contemplons, par une déchirure 6+6 b
Des nuages, l’oiseau volant dans sa fierté, 6+6 a
Nous sentons frissonner notre aile, ô liberté ! 6+6 a
En fait d’or, à la cour nous préférons la gerbe. 6+6 b
La nature est pour nous l’unique et sacré verbe, 6+6 b
65 Et notre art poétique ignore Despréaux. 6+6 a
Nos rois très excellents, très puissants et très hauts, 6+6 a
C’est le roc dans les flots, c’est dans les bois le chêne. 6+6 b
Mai, qui brise l’hiver, c’est-à-dire la chaîne, 6+6 b
Nous plaît. Le vrai nous tient. Je suis parfois tenté 6+6 a
70 De dire au mont Blanc : — Sire ! Et : — Votre majesté 6+6 a
À la vierge qui passe et porte, agreste et belle, 6+6 b
Sa cruche sur son front et Dieu dans sa prunelle. 6+6 b
Pour nous, songeurs, bandits, romantiques, démons, 6+6 a
Bonnets rouges, les flots grondants, l’aigle, les monts, 6+6 a
75 La bise, quand le soir ouvre son noir portique, 6+6 b
La tempête effarant l’onde apocalyptique, 6+6 b
Dépassent en musique, en mystère, en effroi, 6+6 a
Les quatre violons de la chambre du roi. 6+6 a
Chaque siècle, il s’y faut résigner, suit sa route. 6+6 b
80 Les hommes d’autrefois ont été grands sans doute ; 6+6 b
Nous ne nous tournons plus vers les mêmes clartés. 6+6 a
Jadis, frisure au front, ayant à ses côtés 6+6 a
Un tas d’abbés sans bure et de femmes sans guimpes, 6+6 b
Parmi des princes dieux, sous des plafonds olympes, 6+6 b
85 Prêt dans son justaucorps à poser pour Audran, 6+6 a
La dentelle au cou, grave, et l’œil sur un cadran, 6+6 a
Dans le salon de Mars ou dans la galerie 6+6 b
D’apollon, submergé dans la grand’seigneurie, 6+6 b
Dans le flot des Rohan, des Sourdis, des Elbeuf, 6+6 a
90 Et des fiers habits d’or roulant vers l’Œil-de-Bœuf, 6+6 a
Le poète, fût-il Corneille, ou toi, Molière, 6+6 b
— Tandis qu’en la chapelle ou bien dans la volière, 6+6 b
Les chanteurs accordaient le théorbe et le luth, 6+6 a
Et que Lulli tremblant s’écriait : gare à l’ut ! — 6+6 a
95 Attendait qu’au milieu de la claire fanfare 6+6 b
Et des fronts inclinés apparût, comme un phare, 6+6 b
Le page, aux tonnelets de brocart d’argent fin, 6+6 a
Qui portait le bougeoir de monsieur le dauphin. 6+6 a
Aujourd’hui, pour Versaille et pour salon d’Hercule, 6+6 b
100 Ayant l’ombre et l’airain du rouge crépuscule, 6+6 b
Fauve, et peu coudoyé de Guiche ou de Brissac, 6+6 a
La face au vent, les poings dans un paletot sac, 6+6 a
Seul, dans l’immensité que l’ouragan secoue, 6+6 b
Il écoute le bruit que fait la sombre proue 6+6 b
105 De la terre, et pensif, sur le blême horizon, 6+6 a
À l’heure où, dans l’orchestre inquiet du buisson, 6+6 a
De l’arbre et de la source, un frémissement passe, 6+6 b
Où le chêne chuchote et prend sa contrebasse, 6+6 b
L’eau sa flûte et le vent son stradivarius, 6+6 a
110 Il regarde monter l’effrayant Sirius. 6+6 a
Pour la muse en paniers, par Dorat réchauffée, 6+6 b
C’est un orang-outang ; pour les bois, c’est Orphée. 6+6 b
La nature lui dit : mon fils. Ce malotru, 6+6 a
Ô grand siècle ! Écrit mieux qu’Ablancourt et Patru. 6+6 a
115 Est-il féroce ? Non. Ce troglodyte affable 6+6 b
À l’ormeau du chemin fait réciter sa fable ; 6+6 b
Il dit au doux chevreau : bien bêlé, mon enfant ! 6+6 a
Quand la fleur, le matin, de perles se coiffant, 6+6 a
Se mire aux flots, coquette et mijaurée exquise, 6+6 b
120 Il passe et dit : Bonjour, madame la marquise. 6+6 b
Et puis il souffre, il pleure, il est homme ; le sort 6+6 a
En rayons douloureux de son front triste sort. 6+6 a
Car, ici-bas, si fort qu’on soit, si peu qu’on vaille, 6+6 b
Tous, qui que nous soyons, le destin nous travaille 6+6 b
125 Pour orner dans l’azur la tiare de Dieu. 6+6 a
Le même bras nous fait passer au même feu ; 6+6 a
Et, sur l’humanité, qu’il use de sa lime, 6+6 b
Essayant tous les cœurs à sa meule sublime, 6+6 b
Scrutant tous les défauts de l’homme transparent, 6+6 a
130 Sombre ouvrier du ciel, noir orfèvre, tirant 6+6 a
Du sage une étincelle et du juste une flamme, 6+6 b
Se penche le malheur, lapidaire de l’âme. 6+6 b
Oui, tel est le poète aujourd’hui. Grands, petits, 6+6 a
Tous dans Pan effaré nous sommes engloutis. 6+6 a
135 Et ces secrets surpris, ces splendeurs contemplées, 6+6 b
Ces pages de la nuit et du jour épelées, 6+6 b
Ce qu’affirme Newton, ce qu’aperçoit Mesmer, 6+6 a
La grande liberté des souffles sur la mer, 6+6 a
La forêt qui craint Dieu dans l’ombre et qui le nomme, 6+6 b
140 Les eaux, les fleurs, les champs, font naître en nous un homme 6+6 b
Mystérieux, semblable aux profondeurs qu’il voit. 6+6 a
La nature aux songeurs montre les cieux du doigt. 6+6 a
Le cèdre au torse énorme, athlète des tempêtes, 6+6 b
Sur le fauve Liban conseillait les prophètes, 6+6 b
145 Et ce fut son exemple austère qui poussa 6+6 a
Nahum contre Ninive, Amos contre Gaza. 6+6 a
Les sphères en roulant nous jettent la justice. 6+6 b
Oui, l’âme monte au bien comme l’astre au solstice ; 6+6 b
Et le monde équilibre a fait l’homme devoir. 6+6 a
150 Quand l’âme voit mal Dieu, l’aube le fait mieux voir. 6+6 a
La nuit, quand Aquilon sonne de la trompette, 6+6 b
Ce qu’il dit, notre cœur frémissant le répète. 6+6 b
Nous vivons libres, fiers, tressaillants, prosternés, 6+6 a
Éblouis du grand Dieu formidable ; et, tournés 6+6 a
155 Vers tous les idéals et vers tous les possibles, 6+6 b
Nous cueillons dans l’azur les roses invisibles. 6+6 b
L’ombre est notre palais. Nous sommes commensaux 6+6 a
De l’abeille, du jonc nourri par les ruisseaux, 6+6 a
Du papillon qui boit dans la fleur arrosée. 6+6 b
160 Nos âmes aux oiseaux disputent la rosée. 6+6 b
Laissant le passé mort dans les siècles défunts, 6+6 a
Nous vivons de rayons, de soupirs, de parfums, 6+6 a
Et nous nous abreuvons de l’immense ambroisie 6+6 b
Qu’Homère appelle amour et Platon poésie. 6+6 b
165 Sous les branchages noirs du destin, nous errons, 6+6 a
Purs et graves, avec les souffles sur nos fronts. 6+6 a
Notre adoration, notre autel, notre Louvre, 6+6 b
C’est la vertu qui saigne ou le matin qui s’ouvre ; 6+6 b
Les grands levers auxquels nous ne manquons jamais, 6+6 a
170 C’est Vénus des monts noirs blanchissant les sommets ; 6+6 a
C’est le lys fleurissant, chaste, charmant, sévère ; 6+6 b
C’est Jésus se dressant, pâle, sur le calvaire. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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