Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_23/HUG1073
Victor HUGO
LES QUATRE VENTS DE L'ESPRIT
1881
III
LE LIVRE LYRIQUE
— LA DESTINÉE —
L
À J. DE S… LABOUREUR À YVETOT
(MI-CARÊME DE 18..)
I
Roi d’Yvetot, mon camarade, 8 a
Je te dis : — Salut ! Il fait beau ! — 8 b
Comme Racan à Benserade, 8 a
Et comme Arioste à Bembo. 8 b
5 En famille chez toi l’on soupe ; 8 a
Ta médiocrité te plaît ; 8 b
La gaîté sainte est la soucoupe 8 a
De la tasse où tu bois ton lait. 8 b
On nous prêche ici la tristesse. 8 a
10 Sanchez dresse procès-verbal 8 b
De ce que la folle Lutèce 8 a
Va, fort décolletée, au bal. 8 b
Il nous pleut des sermons sans nombre, 8 a
Très funèbres, point variés ; 8 b
15 Mais vous êtes là-bas dans l’ombre 8 a
Quelques sages qui souriez. 8 b
L’intolérance aux rois s’appuie, 8 a
Nous frappant de leur droit divin, 8 b
Pendant qu’avril déjà ressuie 8 a
20 Les églantiers dans ton ravin. 8 b
Un quadrille est presque une émeute. 8 a
L’essaim des cloîtres nous poursuit ; 8 b
Nos bals sont mordus par la meute 8 a
De tous ces dogues de la nuit. 8 b
II
25 Est-ce que les brumes augmentent ? 8 a
L’homme est de raison indigent 8 b
S’il se livre à ces clercs qui chantent 8 a
Au Dieu juste un hymne outrageant. 8 b
Il faut être de bonne pâte 8 a
30 Pour se figurer que les rois 8 b
Sont sacrés, et que Dieu se hâte 8 a
Au moindre appel de leurs beffrois ; 8 b
Et qu’il dit, laissant ses affaires, 8 a
Les cieux, l’abîme à diriger, 8 b
35 L’ombre et la conduite des sphères : 8 a
— Diantre ! Tibère est en danger ! 8 b
Être l’homme, et suivre la buse ! 8 a
Croire, après un sermon peu neuf, 8 b
Que Dieu n’est qu’un porte-arquebuse 8 a
40 Debout derrière Charles neuf ! 8 b
Il faut être inepte, ô Voltaire, 8 a
Pour dire : c’est vrai, l’élément 8 b
Et l’astre aperçoivent sur terre 8 a
Louis quinze distinctement. 8 b
45 Il faut être naïf pour croire 8 a
Que Dieu se plaît à châtier, 8 b
Et qu’Iblis, la grande âme noire, 8 a
Aidé par un arbre fruitier, 8 b
Invente la place de Grève, 8 a
50 Les pédants, le code civil, 8 b
Parce qu’Adam mord après Ève 8 a
Dans une pomme de calvil. 8 b
Quand on peut croire aux lys, aux roses, 8 a
À l’aurore, il est enfantin 8 b
55 De croire à cent romans moroses 8 a
Mal traduits du grec en latin. 8 b
Il faut être un âne à la lettre 8 a
Pour rêver Diderot puni, 8 b
Pour damner Kant, et pour admettre 8 a
60 Que Dieu, l’aïeul de l’infini, 8 b
Ne s’occupe, en sa gloire énorme, 8 a
Sans cesse, hier comme demain, 8 b
Qu’à faire le procès en forme 8 a
À tout ce pauvre genre humain ; 8 b
65 Et que sa clémence est à l’aise 8 a
Dans le hurlement des maudits, 8 b
Et dans le cri d’une fournaise 8 a
Couvrant le chant du paradis. 8 b
III
Depuis six mille ans on invente, 8 a
70 On suppose, on effraie, on ment, 8 b
Malgré la lumière vivante 8 a
Du vénérable firmament. 8 b
Le faux ciel que sur nous on penche 8 a
Est de chimères pluvieux ; 8 b
75 Le mensonge a la barbe blanche ; 8 a
L’homme est enfant, le conte est vieux. 8 b
La loi devient l’hiéroglyphe ; 8 a
Toujours l’ombre au jour succéda ; 8 b
Moïse, hélas, produit Caïphe, 8 a
80 Christ engendre Torquemada. 8 b
Quel néant l’homme a sur sa table ! 8 a
Rien fait mettre un monde à genoux. 8 b
Le temple est un lieu redoutable 8 a
Où le sage enfante des fous. 8 b
85 Les religions sont des gouffres ; 8 a
À leur surface on voit un mont, 8 b
L’erreur, puis de grands lacs de soufres, 8 a
Puis de l’ombre, et Dieu triste au fond. 8 b
Non, non, ce n’est pas pour le jeûne, 8 a
90 Le cilice et les bras en croix, 8 b
Que Jacque est beau, qu’Agnès est jeune, 8 a
Que l’alouette chante aux bois ! 8 b
Le diable et son soufflet de forge 8 a
S’évanouissent aussitôt 8 b
95 Que j’écoute le rouge-gorge 8 a
Dans ton petit champ d’Yvetot. 8 b
Le baïram et le carême 8 a
Ont le même idéal tous deux : 8 b
La femme maigre, l’homme blême, 8 a
100 Le ciel terrible, Dieu hideux. 8 b
Je désire autrement conclure. 8 a
Tous ces korans, en vérité, 8 b
Ne laissent rien, qu’une fêlure 8 a
Au cerveau de l’humanité. 8 b
105 Devant ces dogmes qu’on redoute, 8 a
Ciel difficile, enfer promis, 8 b
Je prends le grand parti du doute, 8 a
Et de remplir mon verre, amis. 8 b
IV
Le carnaval n’est point un crime. 8 a
110 Jamais mon esprit ne croira 8 b
Qu’on tombe à l’éternel abîme 8 a
Par les trappes de l’Opéra. 8 b
Que Dieu se fâche de la joie, 8 a
C’est peu probable ; et je suis sûr, 8 b
115 Quand sur nos fronts l’amour flamboie, 8 a
Que quelqu’un sourit dans l’azur. 8 b
Quand Lise, au plaisir décidée, 8 a
Drape son burnous nubien, 8 b
Et court au bal, j’ai dans l’idée, 8 a
120 Que l’infini le prend très bien. 8 b
Je crois peu, dans ma petite ombre, 8 a
Qu’être gais, ce soit être ingrats, 8 b
Et que le Dies irae sombre 8 a
Ait pour masque le mardi gras. 8 b
125 Je doute que, cachant son glaive, 8 a
Michel, l’effrayant chérubin, 8 b
Pour voir où Musard entraîne Ève, 8 a
Loue un costume chez Babin. 8 b
V
Ces erreurs, nuage durable, 8 a
130 Obscurcissent la terre, et font 8 b
Que l’âme humaine est misérable 8 a
En présence du ciel profond. 8 b
Ces védas, ces métempsychoses, 8 a
Abrutissent l’homme transi ; 8 b
135 Donc les champs sont de belles choses, 8 a
Et la danse aux flambeaux aussi ! 8 b
Quand mon archevêque me damne 8 a
Pour une tranche de jambon, 8 b
Et me maudit, j’aime mieux Jeanne, 8 a
140 Meilleure preuve d’un Dieu bon. 8 b
J’aime mieux rêver sous les saules 8 a
Que de lire les mandements 8 b
De monsieur le primat des Gaules 8 a
Contre les poulardes du Mans. 8 b
145 Je trouve charmantes les belles ; 8 a
Et je préfère la gaîté 8 b
Des Margots et des Isabelles, 8 a
À Santeuil hurlant : Stupete ! 8 b
Je répugne aux vieux dogmes tristes ; 8 a
150 Je veux, en deux efforts égaux, 8 b
Tirer l’art des mains des puristes 8 a
Et Dieu des griffes des cagots. 8 b
Je hais les Césars et les Romes ; 8 a
Ma sagesse, en ces temps railleurs, 8 b
155 C’est beaucoup d’amour pour les hommes, 8 a
Beaucoup de pitié pour les fleurs. 8 b
Je donnerais dix rois de France 8 a
Et vingt sultans de Dahomey 8 b
Pour ôter au pauvre une transe, 8 a
160 Une nuée au mois de mai. 8 b
VI
Tout homme est pris, dans son bas âge, 8 a
Par le mensonge triomphant ; 8 b
Les ténèbres, cet esclavage, 8 a
M’ont mis au bagne, tout enfant. 8 b
165 Ceux pour qui l’ignorance est l’ordre 8 a
Ont, sur ma pensée où Dieu luit, 8 b
Pris soin de nouer et de tordre 8 a
L’énorme chaîne de la nuit. 8 b
Chaque chaînon de cette chaîne 8 a
170 Est fait d’autorité, de deuil, 8 b
D’énigme, et de la vieille haine 8 a
Forgée avec l’antique orgueil. 8 b
La peur, tous les textes terribles, 8 a
Tout l’anathème, tout l’enfer, 8 b
175 Tous les korans, toutes les bibles, 8 a
Mêlés, en composent le fer. 8 b
Cette chaîne, où rampe une flamme, 8 a
Sur l’enfant comme sur l’agneau 8 b
Pèse, et nous étreint ; mais mon âme 8 a
180 Rit, et passe à travers l’anneau. 8 b
mètre profil métrique : 8
logo du CRISCO logo de l'université