Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_23/HUG1070
Victor HUGO
LES QUATRE VENTS DE L'ESPRIT
1881
III
LE LIVRE LYRIQUE
— LA DESTINÉE —
XLVII
LETTRE
Est-ce que, ce mois-ci, des miens et des meilleurs, 6+6 a
Quelqu’un est mort, pendant que je regarde ailleurs ? 6+6 a
Est-ce que par hasard, sur la colline verte, 6+6 b
Quelque tombe de mère ou d’enfant s’est ouverte ? 6+6 b
5 Ami, pourquoi me plaindre aujourd’hui plus qu’hier ? 6+6 a
Ai-je, sans le savoir, perdu quelqu’un de cher ? 6+6 a
Jadis j’eus des douleurs et je les ai pleues ; 6+6 b
Les larmes du tombeau sont des larmes sacrées ; 6+6 b
Sur de profonds cercueils pleins de ciel étoilé, 6+6 a
10 Tous les pleurs que j’avais dans les yeux ont coulé. 6+6 a
Ce fut sombre.
Aujourd’hui, qu’est-ce donc qui m’arrive 6+6 b
Que ta pitié s’accroît ? Je suis sur cette rive ; 6+6 b
Après ? Et d’où te vient ce langage abattu ? 6+6 a
Tu m’écris : « Ô banni, comment les portes-tu, 6+6 a
15 Ces heures de l’exil qui doivent être lourdes ? » 6+6 b
Tout est bien. Je n’ai rien à dire aux âmes sourdes. 6+6 b
D’ailleurs porté-je donc un si pesant fardeau ? 6+6 a
Le vent souffle sur l’homme et sur la goutte d’eau. 6+6 a
Laissons souffler le vent. Qu’importe ce que souffre 6+6 b
20 Mon atome, au hasard emporté dans le gouffre ? 6+6 b
D’autres ont plus souffert qui valaient mieux que moi. 6+6 a
Tout est bien.
Vivre errant, rejeté, hors la loi, 6+6 a
L’ombre, l’isolement, l’ennui qu’on exagère, 6+6 b
Cette glace qu’on sent à la terre étrangère, 6+6 b
25 Tout cela ne vaut pas qu’on fronce le sourcil. 6+6 a
Crois-tu pas que je vais pleurnicher mon exil ? 6+6 a
Tu me dis : « Vous voi dans la froide Angleterre. » 6+6 b
Et moi je dis : ― Salut au vieux rivage austère ! 6+6 b
À Londre où, quand Milton parle, Cromwell répond ! ― 6+6 a
Tu reprends : ― « Comment sont ces étrangers ? »
30 Ils sont 6+6 a
Les étrangers. Ils ont leurs soucis, leurs colères, 6+6 b
Leurs intérêts, leurs mœurs ; ce sont des exemplaires 6+6 b
Du vieil homme Adam, l’un sur l’autre copiés. 6+6 a
Dieu mit sur tous les fronts l’azur, mais sous ses pieds 6+6 a
35 L’homme a fait de la terre une chose diverse. 6+6 b
La fraternité meurt au fleuve qu’on traverse ; 6+6 b
On passe un bras de mer, on enjambe un chemin, 6+6 a
On saute un mur, on est sorti du genre humain ; 6+6 a
On devient l’étranger. Nous le sommes. La foule 6+6 b
40 Autour de nous va, vient, fait ses affaires, coule. 6+6 b
L’idée est peu comprise à son avènement ; 6+6 a
Elle monte un calvaire et marche lentement ; 6+6 a
Je ne vois pas pourquoi ces hommes seraient autres 6+6 b
Que ceux qu’a vus Socrate et qu’ont vus les apôtres. 6+6 b
45 Ô mes amis, proscrits qui m’entourez, restons 6+6 a
Comme les Thraséas et comme les Catons, 6+6 a
Sereins, et sachons prendre en patience l’homme. 6+6 b
Ceux-ci d’ailleurs n’ont rien que de tout simple, en somme. 6+6 b
Nous sommes les passants, ils sont les habitants. 6+6 a
50 Aristide jusqu’à nos jours, dans tous les temps, 6−6 a
Le proscrit pour la foule est une énigme obscure. 6+6 b
On ne nous crache pas encore à la figure ; 6+6 b
Donc ne nous plaignons point.
Tu me dis : ― « Dans ces lieux 6+6 a
Où nous te cherchons, toi, le songeur oublieux, 6+6 a
Que fais-tu ? » —
Je vois Dieu.
55 Je suis l’homme des grèves ; 6+6 b
La nuit je fais des vers, le jour je fais des rêves. 6+6 b
Je lis les vieux lutteurs, Dante, Agrippa, Montluc. 6+6 a
Souvent, quand minuit sonne au clocher de Saint-Luc, 6+6 a
Je médite, menant dans les zones bénies 6+6 b
60 De soleils en soleils cent lignes infinies, 6+6 b
Reliant dans l’azur les constellations, 6+6 a
Architectures d’ombre et d’yeux et de rayons, 6+6 a
Frontons prodigieux des célestes Solimes. 6+6 b
Mon esprit, combinant ces triangles sublimes, 6+6 b
65 Fait, comme Orphée à Delphe et Jacob dans Endor, 6+6 a
Une géométrie avec les astres d’or. 6+6 a
Ainsi s’en vont mes jours. Assis au bord des ondes, 6+6 b
Je contemple la mer dont les houles profondes 6+6 b
Ne s’arrêtent jamais, tumultueux troupeaux 6+6 a
70 Bondissant jour et nuit sans halte et sans repos ; 6+6 a
Et nous nous regardons, moi rêveur, elle énorme ; 6+6 b
Elle attend que je pleure et j’attends qu’elle dorme. 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
logo du CRISCO logo de l'université