Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_23/HUG1015
Victor HUGO
LES QUATRE VENTS DE L'ESPRIT
1881
I
LE LIVRE SATIRIQUE
— LE SIÈCLE —
XLII
DIEU ÉCLABOUSSÉ PAR ZOÏLE
Ah çà, si nous disions un peu son fait à Dieu ? 6+6 a
Son œuvre n’a ni fin, ni tête, ni milieu. 6+6 a
L’imagination de ce faiseur s’épuise. 6+6 b
Sa meule tourne usant ce qu’on dit qu’elle aiguise. 6+6 b
5 Il se répète ; il est au bout de son rouleau. 6+6 a
Quoi de plus vain que l’air ! Quoi de plus plat que l’eau ! 6+6 a
L’hiver est blanc et vieux ; l’aurore est vieille et rose ; 6+6 b
On croit qu’il renouvelle, il fait la même chose ; 6+6 b
Toujours la même forme en ses œuvres s’épand ; 6+6 a
10 L’arbre est un hérisson, le fleuve est un serpent ; 6+6 a
La lune jaune accuse, en copiant l’orange, 6+6 b
Une stérilité d’invention étrange ; 6+6 b
C’est morne. Essayez donc de le tirer un peu 6+6 a
De son flot toujours vert, de son ciel toujours bleu ! 6+6 a
15 La face du liard au revers est pareille ; 6+6 b
Le narcisse est un œil, l’épilobe, une oreille. 6+6 b
Ce monde est un immense opéra rococo, 6+6 a
Doré par le reflet et rhythmé par l’écho ; 6+6 a
Un ange endiablerait dans sa philosophie 6+6 b
20 D’écouter le plain-chant que la forêt solfie ; 6+6 b
Le Léman n’en dit pas plus long que l’Érié ; 6+6 a
Depuis des milliers d’ans, Dieu n’a point varié 6+6 a
La gamme du bouvreuil, du geai, de la linotte ; 6+6 b
Son vieux fou d’ouragan n’a qu’une seule note ; 6+6 b
25 Sa musique est toujours comme au temps d’Agénor ; 6+6 a
En vain le rossignol, infortuné ténor, 6+6 a
Dans l’espoir de changer sa vieille cavatine, 6+6 b
Interroge et poursuit d’un regard qui s’obstine 6+6 b
Ce triste Dieu caché dans le trou du souffleur. 6+6 a
30 Mai porte à son chapeau toujours la même fleur. 6+6 a
Le destin, chausse-trape usée à la charnière, 6+6 b
S’ouvre et se clôt toujours de la même manière. 6+6 b
Et la vie, où l’espoir avorte et se morfond, 6+6 a
N’est qu’une boîte avec la mort pour double fond. 6+6 a
35 L’histoire est un vieux thème usé dès Hérodote ; 6+6 b
Dieu ne la refait pas, mon cher, il la radote ; 6+6 b
Il recrépit Tibère, il replâtre Néron ; 6+6 a
Il ressouffle la guerre avec son vieux clairon ; 6+6 a
Il livre, avec un tas de détails parasites, 6+6 b
40 Aux russes Bonaparte ou Darius aux scythes ; 6+6 b
Pas un crime qui n’ait été cent fois commis ; 6+6 a
Il pétrit Catherine avec Sémiramis ; 6+6 a
Il fait resservir Claude et Pilate ; il retape 6+6 b
Caïn dans Borgia quand il lui faut un pape ; 6+6 b
45 Ce Louis quinze était à Londres Charles deux ; 6+6 a
Sous le nom de Cambyse Attila fut hideux ; 6+6 a
Hicétas reparaît dans Galilée. En somme, 6+6 b
Dieu n’a qu’un seul patron sur lequel il fait l’homme ; 6+6 b
Il laisse de ses mains le monde informe choir ; 6+6 a
50 Il n’a pas le moyen de changer d’ébauchoir, 6+6 a
Et c’est toujours avec la même terre glaise 6+6 b
Qu’il fabrique une juive ou qu’il crée une anglaise. 6+6 b
J’ai vu le premier homme et j’attends le second. 6+6 a
Dieu se trompe s’il croit prouver qu’il est fécond 6+6 a
55 Parce qu’il tire Adam à beaucoup d’exemplaires. 6+6 b
Sur un profil, les pleurs, sur l’autre, les colères. 6+6 b
C’est toujours la victime et toujours le tyran. 6+6 a
Son Arcturus ressemble à son Aldebaran ; 6+6 a
Un juif du moins vous rogne ou vous dore une piastre ; 6+6 b
60 Lui n’a pas encor pu remettre à neuf un astre ! 6+6 b
Il faut pour admirer que l’homme soit têtu. 6+6 a
Voilà ce que fait Dieu. Quand donc finiras-tu, 6+6 a
Entre l’endroit terrible et l’envers ridicule, 6+6 b
De regarder toujours le même crépuscule, 6+6 b
65 Ô création pauvre, ayant à tes deux bouts 6+6 a
Les soleils ronds des cieux, les yeux ronds des hiboux ! 6+6 a
Je déclare ton Dieu fini.
Vois ! Monotone 6+6 b
Quand, zéphyr, il roucoule, et quand, bourrasque, il tonne, 6+6 b
Rajustant l’ancien cadre aux anciens horizons, 6+6 a
70 Il n’a que quatre vents et que quatre saisons. 6+6 a
Vieux grand-père en enfance, il ne sait qu’une fable. 6+6 b
Et dans tous les recoins de son œuvre ineffable, 6+6 b
Dans son éclair qui n’est que du rayon cassé, 6+6 a
Dans la mare stagnante au fond de tout fossé, 6+6 a
75 Dans le perroquet vide et bavard comme l’homme, 6+6 b
Dans Ève et dans Vénus cueillant la même pomme, 6+6 b
Dans la fumée aussi vague que le brouillard, 6+6 a
Dans le dindon pleureur et dans l’âne braillard, 6+6 a
Dans les orangs-outangs autrefois troglodytes, 6+6 b
80 Dans le cygne pareil au lys, que de redites ! 6+6 b
L’Auvergne et ses volcans s’éteignent ; au verso 6+6 a
Expirent Ténériffe et le Chimborazo ; 6+6 a
À force de cracher toujours le même soufre, 6+6 b
L’Hékla meurt ; le Gibel est au fond de son gouffre ; 6+6 b
85 Vésuve époumoné n’est qu’un essoufflement. 6+6 a
Dans la bête hurlant toujours son hurlement, 6+6 a
Dans le flux et reflux rongeant toujours sa digue, 6+6 b
Dans le temps, dans l’espace, on sent de la fatigue. 6+6 b
La mer poussive jette un sanglot décrépit ; 6+6 a
90 Son antique courroux n’est plus qu’un vieux dépit, 6+6 a
Et sa tempête a pris la forme d’un catarrhe. 6+6 b
Comme on voit pendre au mur un spectre de guitare, 6+6 b
La vieille poésie, où l’amour a vingt ans, 6+6 a
Frissonne dans le vide avec le vieux printemps. 6+6 a
95 Dieu regarde tourner la nature, machine 6+6 b
Qu’il domine, accroupi comme un magot de Chine ; 6+6 b
Et cela va si mal et c’est si mal bâclé 6+6 a
Qu’on dirait par moments qu’il a perdu la clé. 6+6 a
Quelque jour l’araignée emplira de ses toiles 6+6 b
100 L’horloge du matin, du soir et des étoiles, 6+6 b
Et le bien, et le mal, et le sort, noirs bahuts 6+6 a
Mal emboîtés, mal peints, mal cloués, mal fichus. 6+6 a
Vois ! L’azur est ridé, l’aube tousse et grelotte ; 6+6 b
La jeunesse éternelle est à la fin vieillotte ; 6+6 b
105 Le chant du point du jour chevrote quelque peu. 6+6 a
Juillet caduc voudrait s’asseoir au coin du feu ; 6+6 a
Le bonhomme janvier geint, et sans verve épanche 6+6 b
La neige qui jaunit de l’ennui d’être blanche ; 6+6 b
Floréal est fané, passé, mangé des vers. 6+6 a
110 Ce sont des lieux communs que ces bocages verts 6+6 a
Où vient nicher la grive, où vient glapir la caille ; 6+6 b
La rose au frais bouton n’est plus qu’une antiquaille. 6+6 b
Les grands nuages sont d’informes arrosoirs ; 6+6 a
Et le haut firmament, sombre pourpre des soirs, 6+6 a
115 Rideau des arcs-en-ciel, déployant sur l’abîme 6+6 b
Ses constellations, épouvante du crime, 6+6 b
Et ses nuits dont les yeux semblent tout épier, 6+6 a
Est une loque à pendre au clou chez le fripier. 6+6 a
Ce monde, chaque jour plus gothique et plus trouble, 6+6 b
120 S’embourbe plus avant dans l’ombre qui redouble ; 6+6 b
L’homme en entend crier les joints, craquer les ais ; 6+6 a
Et les religions attellent sans succès 6+6 a
L’éléphant de Brahma, le bœuf Apis, la bête 6+6 b
Que saint Jean vit ayant sept cornes sur la tête, 6+6 b
125 Et le cheval Pégase et la jument Borak 6+6 a
À ce noir chariot chargé de bric-à-brac ! 6+6 a
Dieu ne fait de l’effet qu’en forçant les contrastes. 6+6 b
Son univers, malgré des détails assez vastes, 6+6 b
N’est qu’un long cliquetis au fond très puéril ; 6+6 a
130 Le blanc, le noir ; le jour, la nuit ; décembre, avril ; 6+6 a
Salomon et Piron déclamant la même ode ; 6+6 b
Le cygne et le corbeau ; Marc-Aurèle et Commode ; 6+6 b
Vice, vertu ; la course effarée et le mors ; 6+6 a
La rumeur des vivants, le silence des morts ; 6+6 a
135 Que tout crie et pérore ! Assez, que tout se taise ! 6+6 b
Je voudrais bien le voir sortir de l’antithèse. 6+6 b
On sourit dès qu’on met à nu le procédé. 6+6 a
Heureusement pour Dieu que Planche est décédé ; 6+6 a
Comme il vous donnerait, car c’était là sa tâche, 6+6 b
140 Sur les doigts de ce bon Jéhovah qui rabâche ! 6+6 b
Quoi ! Toujours ce poème insipide des champs, 6+6 a
Des halliers, des ruisseaux, et des vallons penchants, 6+6 a
Plus usé qu’un trumeau du bonhomme Natoire ! 6+6 b
Quoi ! L’été, puis l’hiver ! Toujours ce répertoire ! 6+6 b
145 Toujours le même loup montrant les mêmes dents ! 6+6 a
Toujours ce vieux joujou des vents, des flots grondants ! 6+6 a
Ce casse-tête horrible et niais tout ensemble 6+6 b
De la chose qui n’est jamais ce qu’elle semble, 6+6 b
Où Dieu bande les yeux à l’homme, où ce vieillard 6+6 a
150 Avec Adam perdu joue à colin-maillard ! 6+6 a
Toujours l’illusion d’optique qui vous frappe ! 6+6 b
Le ciel qui sans bouger remue, et cette attrape 6+6 b
Du soleil qui se lève et ne se lève pas ! 6+6 a
Quoi ! Toujours le cloaque au sortir du repas, 6+6 a
155 L’humanité tirée en bas par la nature, 6+6 b
Et le vomissement après la nourriture ! 6+6 b
Mais le moindre grimaud qui porte la primeur 6+6 a
De ce que sa caboche enfante, à l’imprimeur, 6+6 a
Après s’être gratté sa stupide perruque, 6+6 b
160 Après s’être empoigné de ses deux mains la nuque, 6+6 b
Un rimeur de deux sous, un bélître, un poussah, 6+6 a
Un goîtreux, trouverait autre chose que ça ! 6+6 a
Il est temps que ce Dieu repeigne et revernisse 6+6 b
Le pré que six mille ans a brouté la génisse ; 6+6 b
165 Qu’il blanchisse le lys, et qu’il mette des freins 6+6 a
Aux anciens vents hurlant leurs antiques refrains ; 6+6 a
Qu’il change de l’oiseau la chanson coutumière, 6+6 b
Et qu’il redore au fond du ciel noir la lumière. 6+6 b
Sa machine est connue et c’est un grand défaut. 6+6 a
170 Oui, s’il veut qu’on le prenne au sérieux, il faut 6+6 a
Qu’il renouvelle, arrange, et radoube, et refasse 6+6 b
Son univers, moyens et but, fond et surface, 6+6 b
Son froid printemps qui fait sans cesse un faux serment, 6+6 a
Ses édens, ses enfers, mieux inventés vraiment 6+6 a
175 Ceux-ci par les Miltons et ceux-là par les Dantes, 6+6 b
Son jeu dépareillé de forces discordantes, 6+6 b
Son mystère, cassette à secret où déjà 6+6 a
Le bras des fureteurs jusqu’au coude plongea, 6+6 a
Sa terre, son soleil, assez maigre étincelle, 6+6 b
180 Et son attraction dont on voit la ficelle. 6+6 b
Il a pour vous distraire inventé les fléaux. 6+6 a
Voulant, selon la loi de maître Despréaux, 6+6 a
Passer du grave au doux, du plaisant au sévère, 6+6 b
Il brise un peuple ainsi qu’un ivrogne son verre, 6+6 b
185 Livre une pauvre ville à d’affreux assiégeants, 6+6 a
Grossit l’eau de la Loire et noie un tas de gens. 6+6 a
Quelquefois, comme Horace aiguise un anapeste, 6+6 b
Il termine une guerre au moyen d’une peste, 6+6 b
Ou fait un roi d’un tigre, et se trouve charmant ; 6+6 a
190 Et le monde agonise… ― Ah ! L’on est par moment 6+6 a
Tenté de lui fourrer le nez dans son ordure, 6+6 b
Ou de lui crier, car il a l’oreille dure : 6+6 b
— Tu deviens fatigant, tu deviens pluvieux, 6+6 a
Mon pauvre éternel ! Prends ta retraite, mon vieux ! 6+6 a
195 Oui, rentre dans ton trou biblique ou druidique. 6+6 b
Cède la place au diable, au singe, à l’homme. Abdique. 6+6 b
Tout autre fera mieux que toi ta fonction. 6+6 a
N’attends pas qu’un titan quelconque, un Ixion, 6+6 a
Un Satan, un Typhée aux cent bras, un Voltaire, 6+6 b
200 Fasse rafle un beau jour de tout ton vieux mystère ; 6+6 b
Mette au rancart l’azur, les ténèbres, le mal, 6+6 a
Le bien, l’exception avec le fait normal, 6+6 a
Le destin, le hasard, l’impossible équilibre 6+6 b
Du Très-Haut prescient posé sur l’homme libre, 6+6 b
205 La crèche et le sépulcre, et la prairie en fleurs 6+6 a
Que, sans savoir pourquoi, l’aube inonde de pleurs ; 6+6 a
Plume l’oison et l’ange, envoie au linge sale 6+6 b
L’affreux linceul troué de la nuit colossale ; 6+6 b
Et prenne brusquement, pour y jeter le ciel, 6+6 a
210 La terre, le chaos total et partiel, 6+6 a
Et le septentrion, nocturne sentinelle, 6+6 b
Et l’océan roulant sa tempête éternelle, 6+6 b
Et le cèdre et l’hysope, et l’herbe et le ruisseau, 6+6 a
Leur hotte aux chiffonniers du faubourg Saint-Marceau ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université