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HUG_23/HUG1003
Victor HUGO
LES QUATRE VENTS DE L'ESPRIT
1881
I
LE LIVRE SATIRIQUE
— LE SIÈCLE —
XXX
IDOLÂTRIES ET PHILOSOPHIE
La philosophie ose escalader le ciel. 6+6 a
Triste, elle est là. Qui donc t’a bâtie, ô Babel ? 6+6 a
Oh ! Quel monceau d’efforts sans but ! Quelles spirales 6+6 b
De songes, de leçons, de dogmes, de morales ! 6+6 b
5 Ruche qu’emplit de bruit et de trouble un amas 6+6 a
De mages, de docteurs, de papes, de lamas ! 6+6 a
Masure où l’hypothèse aux fictions s’adosse, 6+6 b
Ayant pour toit la nuit et pour cave la fosse ; 6+6 b
Bleus portiques béants sur les immensités, 6+6 a
10 De tous les tourbillons des rêves visités ; 6+6 a
Vain fronton que le poids de l’infini déprime, 6+6 b
Espèce de clocher sinistre de l’abîme 6+6 b
Où bourdonnent l’effroi, la révolte, et l’essaim 6+6 a
De toutes les erreurs sonnant leur noir tocsin ! 6+6 a
15 Et, comme, de lueurs confusément semées, 6+6 b
Par les brèches d’un toit s’exhalent des fumées, 6+6 b
Les doctrines, les lois et les religions, 6+6 a
Ce qu’aujourd’hui l’on croit, ce qu’hier nous songions, 6+6 a
Tout ce qu’inventa l’homme, autel, culte ou système, 6+6 b
20 Par tous les soupiraux de l’édifice blême, 6+6 b
À travers la noirceur du ciel morne et profond, 6+6 a
Toutes les visions du genre humain s’en vont, 6+6 a
Éparses, en lambeaux, par les vents dénouées, 6+6 b
Dans un dégorgement livide de nuées. 6+6 b
25 Temple, atelier, tombeau, l’édifice fait peur. 6+6 a
On veut prendre une pierre, on touche une vapeur. 6+6 a
Nul n’a pu l’achever. Pas de cycle ni d’âge 6+6 b
Qui n’ait mis son échelle au sombre échafaudage. 6+6 b
Qui donc habite là ? C’est tombé, c’est debout ; 6+6 a
30 C’est de l’énormité qui tremble et se dissout ; 6+6 a
Une maison de nuit que le vide dilate. 6+6 b
Pyrrhon y verse l’eau sur les mains de Pilate ; 6+6 b
Le doute y rôde et fait le tour du cabanon 6+6 a
Où Descartes dit oui pendant qu’Hobbes dit non ; 6+6 a
35 Les générations sous le gouffre des portes 6+6 b
Roulent, comme, l’hiver, des tas de feuilles mortes ; 6+6 b
Les escaliers, sans fin montés et descendus, 6+6 a
Sont pleins de cris, d’appels, de pas sourds et perdus 6+6 a
Et d’un fourmillement de chimères rampantes ; 6+6 b
40 Des oiseaux effrayants volent dans les charpentes ; 6+6 b
C’est Bouddha, Mahomet, Luther disant : allez ! 6+6 a
Lucrèce, Spinosa, tous les noirs sphinx ailés ! 6+6 a
Tout l’homme est sculpté là. Socrate, Pythagore, 6+6 b
Malebranche, Thalès, Platon aux yeux d’aurore, 6+6 b
45 Combinent l’idéal pendant que Swift, Timon, 6+6 a
Ésope et Rabelais pétrissent le limon. 6+6 a
Est-il jour ? Est-il nuit ? Dans l’affreux crépuscule 6+6 b
Le rhéteur grimaçant ricane et gesticule ; 6+6 b
On ne sait quel reflet d’un funèbre orient 6+6 a
50 Blanchit les torses nus des cyniques riant, 6+6 a
Et des sages, jetant des ombres de satyres ; 6+6 b
Le devin rêve et tord dans les cordes des lyres 6+6 b
Le laurier vert mêlé de smilax éternel. 6+6 a
Chaque porche entr’ouvert découvre un noir tunnel 6+6 a
55 Dont l’extrémité montre une idéale étoile ; 6+6 b
Comme si, ― Tu le sais, Isis au triple voile, ― 6+6 b
Ces antres de science et ces puits de raison, 6+6 a
Souterrains de l’esprit humain, sans horizon, 6+6 a
Sans air, sans flamme, ayant le doute pour pilastre, 6+6 b
60 Employaient de la nuit à faire éclore un astre, 6+6 b
Et le mensonge impur, difforme, illimité, 6+6 a
Vaste, aveugle, à bâtir la blanche vérité ! 6+6 a
Partout au vrai le faux, lierre hideux, s’enlace ; 6+6 b
Pas de dogme qui n’ait son point faible, et ne lasse 6+6 b
65 Une cariatide, un support, un étai ; 6+6 a
Thèbe a pour appui l’Inde, et l’Inde le Cathay ; 6+6 a
Memphis pèse sur Delphe, et Genève sur Rome ; 6+6 b
Et, végétation du sombre esprit de l’homme, 6+6 b
On voit, courbés d’un souffle à de certains moments, 6+6 a
70 Croître entre les créneaux des hauts entablements 6+6 a
Des arbres monstrueux et vagues dont les tiges 6+6 b
Frissonnent dans l’azur lugubre des vertiges. 6+6 b
Et de ces arbres noirs par instants tombe un fruit 6+6 a
À la foule des mains ouvertes dans la nuit ; 6+6 a
75 Quel fruit ? Demande au vent qui hurle et se déchaîne ! 6+6 b
Quel fruit ? Le fruit d’erreur. Quel fruit ? Le fruit de haine ; 6+6 b
La pomme d’Ève avec la pomme de Vénus. 6+6 a
Ô tour ! Construction des maçons inconnus ! 6+6 a
Elle monte, elle monte, et monte, et monte encore, 6+6 b
80 Encore, et l’on dirait que le ciel la dévore ; 6+6 b
Et tandis que tout sage ou fou qui passe met 6+6 a
Une pierre de plus à son brumeux sommet, 6+6 a
Sans cesse par la base elle croule et s’effondre 6+6 b
Dans l’ombre où Satan vient avec Dieu se confondre ; 6+6 b
85 Gouffre où l’on n’entend rien que le vent qui poursuit 6+6 a
Ces deux larves au fond d’un tremblement de nuit ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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