Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_22/HUG972
Victor HUGO
L'ÂNE
1880
L'ÂNE
— Mais tu brûles ! Prends garde,esprit ! Parmi les hommes, 6+6 a
Pour nous guider, ingratsténébreux que nous sommes, 6+6 a
Ta flamme te dévore,et l'on peut mesurer 6+6 b
Combien de temps tu vassur la terre durer. 6+6 b
5 La vie en notre nuitn'est pas inépuisable. 6+6 a
Quand nos mains plusieurs foisont retourné le sable 6+6 a
Et remonté l'horloge,et que devant nos yeux 6+6 b
L'ombre et l'aurore ont prispossession des cieux 6+6 b
Tour à tour, et pendantun certain nombre d'heures, 6+6 a
10 Il faut finir. Prends garde,il faudra que tu meures. 6+6 a
Tu vas t'user trop viteet brûler nuit et jour ! 6+6 b
Tu nous verses la paix,la clémence, l'amour, 6+6 b
La justice, le droit,la vérité sacrée, 6+6 a
Mais ta substance meurtpendant que ton feu crée. 6+6 a
15 Ne te consume pas !Ami, songe au tombeau ! — 6+6 b
Calme, il répond : — Je faismon devoir de flambeau. 6+6 b
COLÈRE DE LA BÊTE
I
COLÈRE DE LA BÊTE
Un âne descendaitau galop la science. 6+6 a
— Quel est ton nom ? dit Kant.— Mon nom est Patience, 6+6 a
Dit l'âne. Oui, c'est mon nom,et je l'ai mérité, 6+6 b
20 Car je viens de ce fte l'homme est seul monté 6+6 b
Et qu'il nomme savoircalcul, raison, doctrine. 6+6 a
Kant, porter le licousanglé sur la poitrine ; 6+6 a
Avoir dès son bas âge,âpre et morne combat, 6+6 b
L'os de l'échine usépar la boucle du bât ; 6+6 b
25 Subir, de l'aube au soir,la secousse électrique 6+6 a
Du nerf de bœuf parfoisrelayé par la trique ; 6+6 a
Être, tremblant de froidou de chaud étouffant, 6+6 b
Happé par le mâtin,lapidé par l'enfant, 6+6 b
Tomber de l'un à l'autre,et traverser l'églogue 6+6 a
30 De la pierre alternantavec le bouledogue ; 6+6 a
Vivre, d'un chargementeffroyable bossu, 6+6 b
Les os trouant la peau,maigre, ayant tant reçu, 6+6 b
Le long de chaque côteet de chaque vertèbre, 6+6 a
De coups de fouet que d'âneon est devenu zèbre, 6+6 a
35 Tout cela, qui te sembleassez rude, n'est rien, 6+6 b
Et le fouet est à peineun souffle éolien, 6+6 b
Et les cailloux sont doux,et la raclée est bonne 6+6 a
À côté de ceci :suivre un cours en Sorbonne ; 6+6 a
Vivre courbé six mois,peut-être un temps plus long, 6+6 b
40 Sous une chaire en boisqu'habite un cuistre en plomb ; 6+6 b
Dresser son appareild'oreilles au passage 6+6 a
Des clartés du savantet des vertus du sage ; 6+6 a
Épeler Vossius,Scaliger, Salian ; 6+6 b
Écouter la façondont l'homme fait hi-han ! 6+6 b
45 À quoi sert Cracovie ?à quoi sert Salamanque ? 6+6 a
Et Sorèze, lanterne l'étincelle manque, 6+6 a
Et Cambridge, et Cologne,et Pavie ? À quoi sert 6+6 b
De changer l'ignoranceen bégaiement disert ? 6+6 b
Pourquoi dans des taudisperpétuer des races 6+6 a
50 De bélîtres rongeantd'informes paperasses ? 6+6 a
Que sert de dédierdes classes, des cachots, 6+6 b
Et quatre grands murs nusqu'on blanchit à la chaux, 6+6 b
Et des rangs de gradins,de bancs et de pupitres, 6+6 a
À d'affreux charlatansflanqués d'horribles pitres ? 6+6 a
55 Frivoles, quoique lourds,pesants, quoique subtils, 6+6 b
Quel sol labourent-ils ?quel blé moissonnent-ils ? 6+6 b
À quoi rêvait Sorbonquand il fonda ce cltre 6+6 a
l'on voit mourir l'aubeet les ténèbres crtre ? 6+6 a
À quoi songeait Gersonen voulant qu'on dorât 6+6 b
60 D'un galon le bonnetcarré du doctorat ? 6+6 b
À quoi bon, jeunes gensqu'à ce bagne on condamne, 6+6 a
Devenir bachelierpuisqu'on peut rester âne ? 6+6 a
Moi l'ignorant pensif,vaguement traversé 6+6 b
De lueurs en tondantles herbes du fossé, 6+6 b
65 Qui serais Dieu, si j'eusseété connu d'Ovide, 6+6 a
Moi qui sais au besoinprendre en pitié le vide 6+6 a
Du philosophe altierpleurant ce qu'il détruit, 6+6 b
À travers le fatras,le tourbillon, le bruit, 6+6 b
J'ai sondé du savoirla vacuité morne ; 6+6 a
70 J'ai vu le bout, j'ai vule fond, j'ai vu la borne ; 6+6 a
J'ai vu du genre humainl'effort vain et béant ; 6+6 b
Je n'ai pas, dans cette ombreet le cas échéant, 6+6 b
Refusé les conseilsde l'ineptie honnête 6+6 a
Au docte, moi le simple,à l'homme, moi la bête ; 6+6 a
75 Kant, j'ai vu, mendiantdes clartés à la nuit, 6+6 b
Devant l'énormitéde l'énigme tout luit, 6+6 b
Devant l'œil invisibleet la main impalpable, 6+6 a
La science marcheren zigzag, incapable 6+6 a
De porter l'infini,ce vin mystérieux, 6+6 b
80 Sle et comme abrutieen présence des cieux ; 6+6 b
L'âne survient, s'émeut,plaint cet état d'ivresse, 6+6 a
Jette un liard et dit :tiens ! à cette pauvresse. 6+6 a
Kant, ne t'étonne pointde ces échanges-là. 6+6 b
L'âne un jour rencontrantÉsope, lui parla ; 6+6 b
85 La conversationfut au profit d'Ésope. 6+6 a
Quant à moi qu'à présenttant de brume enveloppe, 6+6 a
Je déclare que j'aibeaucoup baissé depuis 6+6 b
Qu'imprudent j'ai risquéma tête en votre puits, 6+6 b
Et que je me suis faitcondisciple de l'homme. 6+6 a
90 Tout en suivant ces coursdont la lourdeur assomme, 6+6 a
J'ai fait souvent à l'hommeen son obscurité 6+6 b
L'aumône d'un éclairde ma stupidité ; 6+6 b
Tandis que l'homme, ayantpour dogme et pour pratique 6+6 a
Qu'il faut qu'un âne libre,incorrect et rustique, 6+6 a
95 Monte à la dignitéde classique baudet, 6+6 b
De son rayonnementténébreux m'inondait. 6+6 b
Je sors exténuéde cette rude école ; 6+6 a
J'ai vu de près Boileau,j'aime mieux la bricole. 6+6 a
Mon nom est Patience,oui, Kant ! ils ont voulu 6+6 b
100 Me faire à moi bétailinnocent et goulu, 6+6 b
Tantôt avec Philondans le grand songe antique, 6+6 a
Tantôt avec Bezoutdans la mathématique, 6+6 a
Tantôt chez Caliban,tantôt chez Ariel, 6+6 b
Manger de l'idéalet brouter du réel ; 6+6 b
105 Je n'ai pas résisté ;j'ai, pauvre âne à la gêne, 6+6 a
Mangé de l'Euctémon,brouté du Diogène, 6+6 a
Après Flaccus, Pibrac,Vertot après Niebuhr, 6+6 b
Et j'ai revu Gonesseen sortant de Tibur. 6+6 b
Hier dans la phtisieet demain dans l'œdème, 6+6 a
110 J'ai tout accepté, Lulle,Érasme, Œnésidème, 6+6 a
Les pesants, les légers,les simples, les abstrus, 6+6 b
Les Pelletiers pas plusbêtes que les Patrus, 6+6 b
Fleury dans le sacré,Chompré dans le profane, 6+6 a
L'affreux père Goarjuché sur Théophane, 6+6 a
115 Tout poète embellide son commentateur, 6+6 b
Sanchez dans son égout,et toi sur ta hauteur. 6+6 b
Dur labeur ! Veut-on pasque je me passionne 6+6 a
Pour les textes d'Éléeou ceux de Sicyone, 6+6 a
Que j'attache un grand prixà savoir s'il est bon 6+6 b
120 D'avoir lu Xenarchuspour comprendre Strabon, 6+6 b
Que je me mette en feule cerveau pour les notes 6+6 a
Des Suards sur les Grimms,des Grimms sur les Nonottes, 6+6 a
Et qu'un âne de sensse laisse incendier 6+6 b
Par ce qu'à Lycosthèneajoute Duverdier ? 6+6 b
125 Voilà longtemps que j'erreet que je me promène 6+6 a
Dans la chose appeléeintelligence humaine ; 6+6 a
J'allais je ne sais suivant je ne sais qui ; 6+6 b
J'ai pratiqué Glycas,Suidas, Tiraboschi, 6+6 b
Sosiclès, Torniel,Hodierna, Zonare ; 6+6 a
130 J'ai fréquenté le docteen coudoyant l'ignare ; 6+6 a
En présence du sort,du futur, du passé, 6+6 b
De l'énigme, du ciel,du gouffre, j'ai causé 6+6 b
Avec l'esprit humainflânant à sa fenêtre ; 6+6 a
J'ai fouillé pas à pasce dédale : conntre ; 6+6 a
135 J'ai dans cette cité,plus noire que les fours 6+6 b
Hanté les culs-de-saccomme les carrefours ; 6+6 b
Lu tous les écriteaux,flairé toutes les cibles ; 6+6 a
J'ai pris tous les sentierspossibles, impossibles, 6+6 a
Le plat, le raboteux,le connu, l'inconnu ; 6+6 b
140 Je suis allé cent foiset cent fois revenu 6+6 b
De la science exacte,entrepôt sombre l'homme 6+6 a
Compte le monde ainsiqu'un avare une somme, 6+6 a
À la philosophie,église dont Platon 6+6 b
Est le clocher avecMaugras pour clocheton ; 6+6 b
145 J'ai vu l'antre l'on prieet l'antre l'on dissèque ; 6+6 a
Et vos collèges froidsdont la bibliothèque, 6+6 a
Ainsi qu'une vapeurqui prend forme le soir, 6+6 b
À l'étage d'en hautse condense en dortoir. 6+6 b
J'ai tout appris : Coger,Psellus, les Théophiles, 6+6 a
150 Pouranas composantla terre de neuf îles, 6+6 a
Socion et Photin ;que Sénèque était là 6+6 b
Quand saint Paul vint trouverNéron et lui parla ; 6+6 b
Qu'Alirune enseignaMarcomir ; que Marcobe 6+6 a
Sous Théodose étaitmtre de garde-robe ; 6+6 a
155 Que les Populicainsà Sens furent vaincus ; 6+6 b
Comment Manès d'abords'appela Curbicus ; 6+6 b
Que sur la langue Apisavait un scarabée ; 6+6 a
Que Paschasin étaitévêque à Lilybée, 6+6 a
Et que Paschase, abbéde Corvey, fut traduit 6+6 b
160 Par le père Sirmonden seize cent dix-huit ; 6+6 b
Qu'Ambroise est un coursierdont le dogme est la bride ; 6+6 a
Que la clef de Cordusouvre Dioscoride ; 6+6 a
Que l'esprit saint planaitsur les fameux combats 6+6 b
De saint Jérôme avecle rabbin Akibas ; 6+6 b
165 Que l'absurde se croit ;que l'horrible s'adore ; 6+6 a
Qu'Ésoptius n'est pasmoindre que Nimphidore ; 6+6 a
Et comment Mahometdans tous ses embarras 6+6 b
Consultait Sergiusaidé de Batiras ; 6+6 b
Qu'il n'existe qu'un siècleet qu'il n'est qu'une école ; 6+6 a
170 Que Bzovius fut docte,et que le grand Nicole 6+6 a
Est si grand qu'il pourraitloger sous son manteau 6+6 b
Godeau, Chiffletius,Possevin et Petau. 6+6 b
J'ai tout ruminé, glose,analyse, critique. 6+6 a
J'ai vu Laïs au pnyx,Aspasie au portique, 6+6 a
175 Et jusqu'à la Scarrondans son trou de Saint-Cyr ; 6+6 b
J'ai fait ce stage affreux,n'ayant d'autre plaisir, 6+6 b
Au pied du mur humainpauvre bête acculée, 6+6 a
Que de manger parfoisdans la main d'Apulée 6+6 a
Ou de parler avecBalaam dans un coin. 6+6 b
180 Pas un texte, ici, là,haut ou bas, près ou loin, 6+6 b
Pas de volume jauneet mangé par les mites, 6+6 a
Pas de lourd catalogueinforme et sans limites, 6+6 a
Que mon esprit, voulanttout voir, ne feuilletât. 6+6 b
J'ai donc étudiébeaucoup ; le résultat ? 6+6 b
185 Un peu d'allongementà mes oreilles tristes. 6+6 a
Et je me suis dit : — Âne,il faut que tu persistes. 6+6 a
J'ai pris, pour faire enfinle tour des cécités, 6+6 b
D'autres inscriptionsà d'autres facultés, 6+6 b
Hébreu, sanscrit, pâkrit,grammaire générale, 6+6 a
190 Jurisprudence, droit,esthétique, morale, 6+6 a
Chimie… — Oh ! comprends-tu,Kant, ce qu'il m'a fallu 6+6 b
De longanimitépour dire : — J'ai tout lu, 6+6 b
Tout appris, et je suisplus que jamais pécore ; 6+6 a
Eh bien ! je vais apprendreet je vais lire encore ! 6+6 a
195 L'âne poursuivit : — Kant,j'ai donc recommencé, 6+6 b
Doublé ma rhétorique,élargi mon fossé ; 6+6 b
J'ai remis mon oreilleénorme en discipline ; 6+6 a
J'ai recreusé Straton,Sosibe, Éraste, Pline, 6+6 a
Et Gérard de Crémone,et Trublet, ab ovo, 6+6 b
200 Et le grammairienSostrate, et de nouveau, 6+6 b
La science m'a faitmanger de la poussière. 6+6 a
Du noir chaudron qui boutdevant cette sorcière 6+6 a
Je me suis fait le morneet lugubre écumeur. 6+6 b
Oh ! cliquetis de mots,tohubohu, rumeur, 6+6 b
205 Champ de foire, Babel,chaos ! auquel entendre ? 6+6 a
Bossuet est féroceet Fénelon est tendre ; 6+6 a
La concordantiadu cardinal d'Ailly 6+6 b
Montre un dogme dans l'astreau fond des cieux cueilli ; 6+6 b
Photius m'expliquaitson fatras somnifère, 6+6 a
210 Catanes ses trois dés,Sacrobosco sa sphère ; 6+6 a
Solon m'offrait ses lois,Bollandus ses romans ; 6+6 b
Irénée insultaitles quartodecimans ; 6+6 b
Je voyais se poursuivreà coups de syllogismes, 6+6 a
Paz, armé pour la foi,Krantz, souteneur des schismes, 6+6 a
215 Et Melchior Adamet Barleycourt Hugo, 6+6 b
Vieux coqs de l'argumentdebout sur leur ergo. 6+6 b
Fouillons les chartriers,refouillons les glossaires ; 6+6 a
Caracoran, cherchezIssedon ; dans ses serres 6+6 a
Jove a cet écriteau :Vel hodie vel cras ; 6+6 b
220 Et Tertullien sombreétrangle Carpocras. 6+6 b
Carpocras d'Irénéeenviait la boutique ; 6+6 a
Ce Carpocras étaitun si fier hérétique 6+6 a
Que toi-même, bon Kant,qui jamais n'exécras 6+6 b
Personne, tu devraisexécrer Carpocras. 6+6 b
225 Comment mettre d'accordJousse, Antoine Studite, 6+6 a
L'homme de cour Sénèqueet Jean le troglodyte, 6+6 a
Young, le pleureur des nuits,Wordsworth, l'esprit des lacs, 6+6 b
Thalès, Hevelius,Levera, Granallachs ; 6+6 b
Les gais soupeurs, d'Holbach,Parny, Dorat-Cubière, 6+6 a
230 D'argens, avec Rancéqui prend pour lit sa bière ; 6+6 a
Le dessus de velours,le dessous de sapin ; 6+6 b
Ancelin et Cluvier,Polyte et Plancarpin ; 6+6 b
Larcher contre Arouetet Cicchi contre Dante ; 6+6 a
Et l'engeance grimaudeet la race pédante ; 6+6 a
235 Juste Lipse et Luther,Naigeon et Davila ? 6+6 b
Knox me tirait par ci,Scot me tirait par là ; 6+6 b
Luc prenait une oreille,Euler empoignait l'autre ; 6+6 a
Hu ! braillait le chiffreur.Dia ! beuglait l'apôtre. 6+6 a
Oh ! ma jeunesse en fleurqui courait dans les prés 6+6 b
240 Et les bois par l'auroreet la joie empourprés ! 6+6 b
L'herbe verte ! l'étable l'on fait un doux somme ! 6+6 a
Oh ! les coups de bâtonde mon ânier bonhomme ! 6+6 a
Je ne pourrai jamaisdire, ô splendeur des cieux, 6+6 b
Avec des mots assezcrachés et furieux, 6+6 b
245 Comment ils ont changéla pensée en lanière 6+6 a
Et l'idée en férule,et de quelle manière 6+6 a
Ces malheureux m'ont fait,sous un monstrueux tas 6+6 b
D'Eusèbes, de Sophrons,de Blastus, d'Architas, 6+6 b
D'Ossa plus Pélion,d'Anthume plus Orose, 6+6 a
250 De petit ânon lesteimmense âne morose ! 6+6 a
Livres ! qui, compulsés,adorés, vermoulus, 6+6 b
Sans cesse envahissantl'homme de plus en plus, 6+6 b
De la table des tempsépuisez les rallonges, 6+6 a
D' sortent des lueurs,des visions, des songes, 6+6 a
255 Et des mains que les mortsmettent sur les vivants, 6+6 b
Codes des sanhédrins,oracles des divans, 6+6 b
Textes graves, ardus,austères, difficiles, 6+6 a
Appendices fameuxdes siècles, codicilles 6+6 a
Du testament de l'hommeà chaque âge récrit, 6+6 b
260 Dont le vélin fait peurquand le temps le flétrit, 6+6 b
Comme si l'on voyaitvieillissante et ridée 6+6 a
La face vénérableet chaste de l'idée ; 6+6 a
Vous qui faites, sous l'œildu chercheur feuilletant, 6+6 b
Un bruit si solennelqu'il semble qu'on entend 6+6 b
265 Le grand chuchotementde l'Inconnu dans l'ombre, 6+6 a
Volumes sacrosaintsque l'institut dénombre, 6+6 a
Qui jusqu'en Chine allezemplir de vos rayons 6+6 b
Ce collège appeléla Forêt-de-Crayons, 6+6 b
Résidus de l'effortterrestre, s'accumule 6+6 a
270 Le chiffre dont le sphinxcompose la formule, 6+6 a
Des hommes lumineuxprodigieux produit, 6+6 b
Oh ! comme vous m'avezobscurci, moi la nuit ! 6+6 b
Oh ! comme vous m'avezembêté, moi la bête ! 6+6 a
Quel délire m'a prisd'aller sur votre fte 6+6 a
275 Brouter l'ortie humaine,hélas, et de tenter 6+6 b
Votre viol funèbre,et de vous convoiter, 6+6 b
Livres qui pour consigneavez cette sentence : 6+6 a
— Garder Isis ; tenirles brutes à distance, — 6+6 a
Qui défendez, afinque tout reste normal, 6+6 b
280 Le passage sacréde l'homme à l'animal, 6+6 b
Ô phédons, ô talmuds,ô korans, dont les piles 6+6 a
Du sombre esprit humaingardent les Thermopyles ! 6+6 a
Ô volumes, j'ai faitle grand noviciat ; 6+6 b
Je suis plus lourd qu'Accurseet plus sain qu'Alciat ; 6+6 b
285 Triste, j'ai digéréla docte baliverne ; 6+6 a
J'ai, du matin au soir,en classe, dans l'Averne, 6+6 a
Fait des auteurs latinsle patient blocus ; 6+6 b
J'ai remué, suivantle conseil de Flaccus, 6+6 b
Les exemplaires grecsd'une patte nocturne ; 6+6 a
290 Livres, vous semblez tousdes fleuves penchant l'urne, 6+6 a
Mais ce qui sort de vous,c'est le dégorgement 6+6 b
De l'éternel brouillardsur les glaciers fumant ; 6+6 b
L'esprit se perd en vouscomme aux gouffres la sonde ; 6+6 a
Vous êtes imposants !vous divisez le monde 6+6 a
295 En deux opinionsprincipales : savoir 6+6 b
Si vos graves feuillets,votre blanc, votre noir, 6+6 b
Vos textes plus profondsque les flots sur les plages, 6+6 a
Vos luxes de science,et vos fiers étalages 6+6 a
De travail et d'étude,et vos grands apparats, 6+6 b
300 Sont créés pour les versou sont faits pour les rats. 6+6 b
II
COUP D'ŒIL GÉNÉRAL
L'orateur, fût-il âne,essoufflé se repose ; 6+6 a
Patience reprit,ayant fait une pause : 6+6 a
Rhéteurs, quel mot divinfaites-vous épeler ? 6+6 b
Dites, qu'enseignez-vous ?que venez-vous parler 6+6 b
305 D'idéal, de réel,et nous rompre la tête ? 6+6 a
Votre réel à vous,c'est la chimère bête, 6+6 a
Ou c'est la loi féroceet dure ; ici Baal, 6+6 b
Là Dracon ; et l'erreurpartout. Votre idéal 6+6 b
C'est quelque faux chef-d'œuvreou quelque vertu fausse, 6+6 a
310 C'est un roi qu'en rampantla flatterie exhausse, 6+6 a
Ou c'est un livre pâleayant pour qualité 6+6 b
De s'ouvrir sans blesserles yeux de sa clarté ; 6+6 b
Honneur au grand Louis !Gloire au tendre Racine ! 6+6 a
Ah ! l'idéal m'endort,le réel m'assassine, 6+6 a
315 Grâce ! au diable ! assez bu !Je prends congé. Bonsoir. 6+6 b
Quelle solutiondonne votre savoir 6+6 b
Sur ce qui nous étonneou ce qui nous effraie ? 6+6 a
Avez-vous seulementun peu de lueur vraie ? 6+6 a
Non. Rien. Sur l'inconnu,l'absolu, le divin, 6+6 b
320 Sur l'incompréhensibleet l'insondable, en vain 6+6 b
L'illuminé contempleet le myope scrute, 6+6 a
Qu'est-ce que vous savezde plus que moi la brute ? 6+6 a
Hélas ! je sens moi-même,étant votre écolier, 6+6 b
Hommes, ma tête au poidsdes questions plier ; 6+6 b
325 J'ai sur mon cristallinnaïf la taie humaine. 6+6 a
Le prêtre en sait-il plusque le catéchumène ? 6+6 a
Le cardinal voit-ilmieux que l'enfant de chœur ? 6+6 b
L'ombre a la face graveet le profil moqueur ; 6+6 b
Et l'ombre, tu le sais,ô Kant, c'est la science. 6+6 a
330 Sur le premier venufais-en l'expérience. 6+6 a
Vois, cet homme a blêmisur sa bible ; voici 6+6 b
Qu'il est vieux ; l'homme est chauveet le livre est moisi ; 6+6 b
Les cheveux ont passéde l'homme sur le livre ; 6+6 a
L'homme a voulu tout voir,tout savoir, tout poursuivre, 6+6 a
335 Tout avoir ; secouerle linceul pli par pli ; 6+6 b
Il s'est rassasié,repu, gavé, rempli ; 6+6 b
Il sait toute la langueet toute la pensée, 6+6 a
Et la géométrieet la théodicée, 6+6 a
La légende créduleet le chiffre sournois ; 6+6 b
340 Il sait l'assyrien,le persan, le chinois, 6+6 b
L'arabe, le gallois,le copte, le gépide, 6+6 a
Le tartare, le basque ;eh bien, il est stupide. 6+6 a
Au fond de cette tête s'accouple et se fond 6+6 b
Tout l'idéal avectout le réel, au fond 6+6 b
345 De ce polytechniqueet de ce polyglotte, 6+6 a
L'immensité du videet du tombeau sanglote. 6+6 a
Oh ! ces sophistes lourds,ces casuistes froids, 6+6 b
De la tourbe ahurieexploitant les effrois, 6+6 b
Tous ces fakirs, latins,grecs, sanscrits, hébraïques, 6+6 a
350 Tous ces gérontes noirs,tonsurés ou laïques, 6+6 a
Tous ces pharisiensde l'explication, 6+6 b
Ceux-ci venant de Romeet ceux-là de Sion ; 6+6 b
Tous ayant leur koran,leur joug, leur évangile, 6+6 a
Leur bible de papierou leur autel d'argile, 6+6 a
355 Jurant par Aristoteou par Thomas d'Aquin, 6+6 b
Pour trouver l'éternelfuretant un bouquin ; 6+6 b
Bègues, sourds ; demandantà leur dictionnaire 6+6 a
Le mot, que l'aigle entendmurmurer au tonnerre ; 6+6 a
Pas un ne comprenantce splendide credo 6+6 b
360 Qui s'étoile le soiraux plis du noir rideau, 6+6 b
Pas un ne se laissantaller, l'âme penchante, 6+6 a
À l'attendrissementdu point du jour qui chante, 6+6 a
Comme je les ai vusdisputer, s'acharner, 6+6 b
Affirmer, contester,et bruire, et vanner, 6+6 b
365 Les grecs chassant les juifs,les juifs damnant les guèbres, 6+6 a
De la semence d'ombreen un van de ténèbres ! 6+6 a
Comme je les ai vus,dressés sur leur séant, 6+6 b
Hagards, les uns, docteursde leur propreant, 6+6 b
Ayant l'aveuglementfunèbre pour disciple, 6+6 a
370 Rêvant dans l'empyréeun monstre double ou triple, 6+6 a
Regardant fuir, tandisqu'effarés nous songions, 6+6 b
L'ouragan des erreurset des religions , 6+6 b
Épier s'ils verraientpasser dans la rafale 6+6 a
Ou le Janus bi-frontou l'Hermès tricéphale ! 6+6 a
375 D'autres, logiciens,métaphysiciens, 6+6 b
Pédagogues, groupéssous les porches anciens, 6+6 b
Discuter l'évidence,et fouiller, rêveurs blêmes, 6+6 a
L'énigme à la lueurlivide des systèmes, 6+6 a
Et, combinant les faits,les doutes, les raisons, 6+6 b
380 Rapprocher, pour soufflerdessus, ces noirs tisons ! 6+6 b
D'autres, théologaux,notaires de consultes, 6+6 a
Évêques secouantleur foudre au seuil des cultes, 6+6 a
Clercs, chanoines, bedeaux,prédicateurs, abbés, 6+6 b
Dans l'ornière d'un texteou d'un rite embourbés, 6+6 b
385 De quelque oiseau mystiqueadorant l'envergure. 6+6 a
Étouffant par momentle rire de l'augure, 6+6 a
Agiter leurs longs braset leur surplis jauni 6+6 b
Dans des chaires faisantventre sur l'infini ; 6+6 b
Et, clignant leurs yeux mortssous leurs crânes fossiles, 6+6 a
390 Assembler le nuageinforme des conciles, 6+6 a
Dans Éphèse, dans Reims,dans Arles, dans Embrun, 6+6 b
Sur Dieu, l'être éclatant,l'être effrayant, l'être un ! 6+6 b
Et courber leur front chauve,et se pencher encore, 6+6 a
Et chercher à tâtonsl'éblouissante aurore, 6+6 a
395 Et crier : — Voyez-vousquelque chose ? Est-ce là ? 6+6 b
Qu'en pense Onufrius ?qu'en dit Zabarella ? 6+6 b
donc est l'être ? doncest la cause première ? 6+6 a
Cherchons bien ! — Et pendantque l'énorme lumière, 6+6 a
Formidable emplissaitle firmament vermeil, 6+6 b
400 Leur chandelle tâchaitd'éclairer le soleil ! 6+6 b
Homme, à d'autres instant,enivré de toi-même, 6+6 a
L'aveuglement croissantdans ta prunelle blême, 6+6 a
Tu dis : — C'est moi qui suis.Dieu n'est pas ; l'homme est seul. 6+6 b
Est-ce au Gange, à la Mecque,à Thèbe, à Saint-Acheul, 6+6 b
405 Dans les cornes d'Ammonou dans la Vénus d'Arle, 6+6 a
Qu'il faut aller chercherce Dieu dont on nous parle ? 6+6 a
Est-ce lui que l'enfanta dans son petit doigt ? 6+6 b
Personne ne l'a vu,personne ne le voit, 6+6 b
Cet être la ferveurdes idiots s'attache. 6+6 a
410 Il est donc bien difformeet bien noir qu'il se cache ? 6+6 a
L'homme est visible, lui !c'est lui le conquérant ; 6+6 b
C'est lui le créateur !l'homme est beau, l'homme est grand ; 6+6 b
L'argile vit sitôtque sa main l'a pétrie ; 6+6 a
L'homme est puissant ; qui donccréa l'imprimerie, 6+6 a
415 Et l'aiguille aimantée,et la poudre à canon, 6+6 b
Et la locomotive ?Est-ce Jéhovah ? non ; 6+6 b
C'est l'homme. Qui dressales splendides culées 6+6 a
Du pont du Gard, au voldes nuages mêlées ? 6+6 a
Qui fit le Colisée,et qui le Parthénon ? 6+6 b
420 Qui construisit Pariset Rome ? Est-ce Dieu ? non ; 6+6 b
C'est l'homme. Pas de cime l'homme roi ne monte. 6+6 a
Il sculpte le rocher,sucre le fruit, et dompte, 6+6 a
Malgré ses désespoirs,sa haine et ses abois, 6+6 b
La bête aux bonds hideux,larve horrible des bois ; 6+6 b
425 Tout ce que l'homme touche,il l'anime ou le pare. — 6+6 a
Bien, crache sur le mur,et maintenant compare. 6+6 a
Le grand ciel étoilé,c'est le crachat de Dieu. 6+6 b
Nier est votre roueet croire est votre essieu. 6+6 b
Hommes, et vous tournezeffroyablement vite. 6+6 a
430 Après l'enfant de chœur,le diacre et le lévite 6+6 a
Chantant alleluia,passe une légion 6+6 b
D'hérétiques criantl'hymne trisagion ; 6+6 b
L'homme blanc devient noirde nuance en nuance ; 6+6 a
Entre une conscienceet l'autre conscience 6+6 a
435 Le fil est court ; Rancécoudoie Arnauld ; Arnauld 6+6 b
Janséniste confineà Luther huguenot ; 6+6 b
Et Luther huguenottouche à Rousseau déiste ; 6+6 a
Et Rousseau n'est pas loinde Spinosa ; c'est triste, 6+6 a
Ou c'est réjouissant,à ton choix ; mais c'est vrai ; 6+6 b
440 L'Horeb, ou Sans-Souci ;le Thabor, ou Cirey, 6+6 b
Entre Orphée et Pyrrhonl'humanité trébuche ; 6+6 a
Ô Kant, nous tomberionsdans quelque obscure embûche, 6+6 a
Nous bêtes, s'il fallaitque nous vous suivissions. 6+6 b
L'homme va du blasphèmeaux superstitions ; 6+6 b
445 Il brave le réel,puis il adore l'ombre ; 6+6 a
Il passe son poing vilà travers l'azur sombre, 6+6 a
Jette sa pierre infâmeaux saintes régions, 6+6 b
Et croit réparer toutpar ses religions, 6+6 b
Par un faux idéaltaillé dans la matière, 6+6 a
450 Par on ne sait quel spectreimitant la lumière, 6+6 a
Par quelque idole vaineet folle qu'il met là, 6+6 b
Et qu'il nomme Zéusou qu'il appelle Allah. 6+6 b
Il insulte le Dieu,le créateur, l'arbitre ; 6+6 a
Puis, inepte et tremblant,raccommode la vitre 6+6 a
455 Des infinis avecune étoile en papier. 6+6 b
J'ai lu, cherché, creusé,jusqu'à m'estropier. 6+6 b
Ma pauvre intelligenceest à peu près dissoute. 6+6 a
Ô qui que vous soyezqui passez sur la route, 6+6 a
Fouaillez-moi, rossez-moi ;mais ne m'enseignez pas. 6+6 b
460 Gardez votre savoirsans but, dont je suis las, 6+6 b
Et ne m'en faites pointtourner la manivelle. 6+6 a
Montez-moi sur le dos,mais non sur la cervelle. 6+6 a
Mon frère l'homme, il fautse faire une raison, 6+6 b
Nous sommes vous et nousdans la même prison ; 6+6 b
465 La porte en est massiveet la vte en est dure ; 6+6 a
Tu regardes parfoisau trou de la serrure, 6+6 a
Et tu nommes celaScience ; mais tu n'as 6+6 b
Pas de clef pour ouvrirle fatal cadenas. 6+6 b
J'ai fort compassionde toi, te l'avouerai-je ? 6+6 a
470 Toi qu'une heure vieillit,et qu'une fièvre abrège, 6+6 a
Comment t'y prendrais-tu,dans ton abjection, 6+6 b
Pour feuilleter la vieet la création ? 6+6 b
La paginationde l'infini t'échappe. 6+6 a
À chaque instant, lacune,embûche, chausse-trape, 6+6 a
475 Ratures, sens perdu,doute, feuillet manquant ; 6+6 b
Partout la questiontriple : Comment ? ? Quand ? 6+6 b
Dieu fut-il le premierpotier en faisant l'homme ? 6+6 a
Qu'est-ce que le serpent ?Que veut dire la pomme ? 6+6 a
Deux natures parfoisse compliquent, et font 6+6 b
480 Comme un chiffre la bruteavec Adam se fond ; 6+6 b
Le singe repartsous l'homme palimpseste ; 6+6 a
Viens-tu du fratricideet sors-tu de l'inceste, 6+6 a
Comme le dit Moïse ?Ou n'es-tu que le fait 6+6 b
Résultant d'un chaosqu'un soleil échauffait, 6+6 b
485 Être double, être mixteen qui s'est condensée 6+6 a
La matière en instinct,la lumière en pensée, 6+6 a
Le seul marcheur debout,créature sommet 6+6 b
Que l'arbre accepte, auquella pierre se soumet, 6+6 b
Et que la bête obscure,ayant pour verbe un râle, 6+6 a
490 Subit en protestantdans sa nuit sépulcrale ? 6+6 a
Es-tu le patientdont nous sommes les clous ? 6+6 b
As-tu derrière toile Mal, le grand jaloux ? 6+6 b
Contiens-tu quelque flammeauguste qui doit vivre ? 6+6 a
Ou n'es-tu qu'une chairqu'un souffle épars enivre, 6+6 a
495 Qui fera quelques paset sera de la nuit ? 6+6 b
Es-tu le vain brouillard,d'un peu d'aurore enduit, 6+6 b
Qui, prêt à s'effacer,se déforme et chancelle ? 6+6 a
As-tu dans toi l'étoileà l'état d'étincelle, 6+6 a
Et seras-tu demainaux séraphins pareil ? 6+6 b
500 Réponds à tout cela,si tu peux. Ton sommeil, 6+6 b
En sais-tu le secret ?Connais-tu la frontière 6+6 a
l'esprit ailé vientrelayer la matière ? 6+6 a
Comment le ver s'envole ?et par quelle loi, dis, 6+6 b
Les enfers lentementsont promus paradis ? 6+6 b
505 Que sais-tu du parfum ?que sais-tu du tonnerre ? 6+6 a
Peux-tu guérir l'abcèsdu volcan poitrinaire ? 6+6 a
Qu'est-ce que tes savantst'apprennent ? Turrien, 6+6 b
Qui te dira le nomdu vent en syrien, 6+6 b
Sait-il son envergureet son itinéraire ? 6+6 a
510 La mamelle de l'ombreest là ; peux-tu la traire ? 6+6 a
Abundius qui futdiacre d'Anicetus 6+6 b
Sait-il quel ouvrierpeint en bleu le lotus ? 6+6 b
Balœus, Surius,Pitsœus et Cédrène 6+6 a
Savent-ils pourquoi l'aubeen larmes est sereine ? 6+6 a
515 L'abbé Poulle ose-t-ilen face regarder 6+6 b
L'énigme qu'on entendgémir, chanter, gronder ? 6+6 b
As-tu lu dans Lactanceou bien dans Éleuthère 6+6 a
Quelle est la fonctiondu diamant sous terre ? 6+6 a
Sais-tu par dom Poirierou par monsieur Lejay 6+6 b
520 De quelle flamme l'œildes condors est forgé, 6+6 b
Et mtre Calepindit-il dans son glossaire 6+6 a
se trempe l'acierdont est faite leur serre ? 6+6 a
Saint Thomas connt-iltous ces noirs Ixions 6+6 b
Qu'on nomme affinités,forces, attractions ? 6+6 b
525 Nicole, qui sait tout,sait-il par quel organe 6+6 a
L'été tire à jamaisà lui la salangane, 6+6 a
Et, vainqueur, fait passerla mer au passereau ? 6+6 b
Homme, sais-tu commentl'eau nourrit le sureau ? 6+6 b
Connais-tu l'hydre orageet le monstre tempête 6+6 a
530 Qui nt dans le jardindes cieux, dresse la tête, 6+6 a
Glisse et rampe à traversles nuages mouvants, 6+6 b
Et qui flaire la roseeffrayante des vents ? 6+6 b
Qu'as-tu trouvé ? Devantl'évolution sainte 6+6 a
De la vie, admirableet divin labyrinthe, 6+6 a
535 Ta vue est myopieet ton âme est stupeur. 6+6 b
Vois, ce monde est d'abordun noyau de vapeur 6+6 b
Qui tourne comme un globeénorme de fumée ; 6+6 a
Vaste, il bout au soleilqui luit, braise enflammée ; 6+6 a
Il bout, puis s'attiéditet se condense, et l'eau 6+6 b
540 Tombe au centre du largeet ténébreux halo ; 6+6 b
Puis la terre, encor fange,au fond de l'eau s'amasse ; 6+6 a
Sur cette vase on voitramper une limace, 6+6 a
C'est l'hydre, c'est la vie ;et la mer s'arrondit 6+6 b
Autour d'un point qui sortdes eaux et qui verdit ; 6+6 b
545 C'est l'île surgissantdes profondeurs béantes ; 6+6 a
Des vers titans parmides fougères géantes 6+6 a
Fourmillent ; et du borddes boueux archipels 6+6 b
Des colosses se fontde monstrueux appels ; 6+6 b
L'hippopotame sortde l'immense onde obscure, 6+6 a
550 Le serpent cherche un flanc plonger sa piqûre, 6+6 a
De vaste millepiedsse trnent, le kraken 6+6 b
Semble un rocher vivantsous l'algue et le lichen, 6+6 b
Et le poulpe, agitantsa touffe contractile, 6+6 a
Tâche d'étreindre au voll'affreux ptérodactyle ; 6+6 a
555 Puis des millions d'ansse passent ; du roseau 6+6 b
Sort l'arbre, et l'air devientrespirable à l'oiseau, 6+6 b
Et la chauve-sourisdécrt, et voici l'aigle, 6+6 a
Le vent frchit, le flotbaisse, la mer se règle, 6+6 a
L'île soudée à l'îleébauche un continent, 6+6 b
560 Et l'homme appart nu,pensif et rayonnant ; 6+6 b
C'est fini ; l'aube émerge,et le recul immense 6+6 a
Des monstres, du chaos,des ténèbres, commence ; 6+6 a
La tempête de l'êtrea cessé de souffler ; 6+6 b
Et l'on entend des voixsur la terre parler ; 6+6 b
565 Le typhon s'amoindritet devient l'infusoire ; 6+6 a
Et l'antique bataille,inextinguible et noire, 6+6 a
Du dragon et de l'hydre,avec son fauve bruit, 6+6 b
Fuit dans le microscopeet se perd dans la nuit ; 6+6 b
L'effrayant désormaisplonge dans l'invisible ; 6+6 a
570 L'infiniment petits'ouvre, gouffre terrible ; 6+6 a
L'épouvante s'éclipseaprès avoir régné ; 6+6 b
L'horreur, devant Adamqui doit être épargné, 6+6 b
Pas à pas rétrogradeet rentre inassouvie 6+6 a
Dans cet enfoncementsinistre de la vie ; 6+6 a
575 L'azur prodigieuxs'épanouit au ciel. 6+6 b
Et maintenant, savant,penseur officiel, 6+6 b
Rat du budget, sourisd'une bibliothèque, 6+6 a
Académicienbon voisin de l'évêque, 6+6 a
Quel compte te rends-tude tout cela, réponds ? 6+6 b
580 Comment rattaches-tules arches de ces ponts 6+6 b
Au grand centre de l'ombre ?avec quelles besicles, 6+6 a
Docteur, regardes-tules formidables cycles ? 6+6 a
Tu t'enfermes, craintif,dans le roman sacré ; 6+6 b
Mieux vaut mutiler Dieuque fâcher son curé ; 6+6 b
585 Et Cuvier, trtre au vrai,pour être pair de France, 6+6 a
Trouble des temps profondsla sombre transparence. 6+6 a
Pour augmenter la brume,hélas ! les professeurs 6+6 b
Ajoutent doctementde l'encre aux épaisseurs, 6+6 b
Et l'institut nous montreavec un air de gloire 6+6 a
590 L'énigme plus opaqueet la source plus noire. 6+6 a
Ô le bon vieux palaisgardé par deux lions ! 6+6 b
La science met làtous ses tabellions, 6+6 b
Et l'on se complimenteet l'on se félicite ; 6+6 a
Et moi l'âne, qui suisparmi vous en visite, 6+6 a
595 Je n'aurais jamais cruque l'homme triomphât 6+6 b
À ce point de son vide,et, si nul, fût si fat ! 6+6 b
Avec DiafoirusBridoison fraternise ; 6+6 a
Le dindon introduitl'oie et la divinise ; 6+6 a
Vrai ! quand la comète entreau sanhédrin des cieux 6+6 b
600 Et des astres fixantsur sa splendeur leurs yeux, 6+6 b
Le grand soleil, auqueltout l'empyrée adhère, 6+6 a
Ne fait pas plus de fêteà ce récipiendaire. 6+6 a
Pleure, homme ! — Et que sais-tude ton propre destin ? 6+6 b
Dis ? quoi de ton cerveau ?quoi de ton intestin ? 6+6 b
605 Quoi d'en haut ? quoi d'en bas ?depuis ton vieux déluge, 6+6 a
Dis, ce que c'est qu'un prêtreet ce que c'est qu'un juge, 6+6 a
Le sais-tu ? te vois-tuserpenter, dévier, 6+6 b
Crouler ? as-tu sondéla mort, trou de l'évier ? 6+6 b
Même en considérantDieu comme hors de cause, 6+6 a
610 Comme clair dans l'espritet prouvé dans la chose, 6+6 a
Même en nous laissant, nousles brutes, de côté, 6+6 b
Comprendre ces mots, Sort,Sépulcre, Humanité ; 6+6 b
Savoir la profondeurde ce puits tu tombes, 6+6 a
Quelle espèce de jourpasse aux fentes des tombes, 6+6 a
615 À quel commencementcette fin aboutit ; 6+6 b
Savoir si l'homme, en quil'éternel retentit, 6+6 b
Est ou n'est pas trompépar ses sombres envies 6+6 a
D'autres ascensions,d'autres sorts, d'autres vies ; 6+6 a
Savoir s'il est épidans le céleste blé ; 6+6 b
620 Savoir si l'alchimisteinconnu, le Voilé, 6+6 b
Soude en ce creuset morneappelé sépulture 6+6 a
Le monde antérieurà sa sphère future ; 6+6 a
Si vous fûtes jadis,si vous fûtes ailleurs 6+6 b
Plus beaux ou plus hideux,plus méchants ou meilleurs ; 6+6 b
625 Si l'épreuve refaità l'âme une innocence ; 6+6 a
Si l'homme sur la terreest en convalescence ; 6+6 a
Si vous redeviendrezdivins au jour marqué ; 6+6 b
Si cette chair, limonsur votre être appliqué, 6+6 b
Argile à qui le tempsavare se mesure, 6+6 a
630 N'est que le pansementd'une ancienne blessure ; 6+6 a
Si quelqu'un finirapar lever l'appareil ; 6+6 b
Savoir si chaque étoileet si chaque soleil 6+6 b
Est une roue en flammeaux lumières changeantes 6+6 a
Dont les créationsdiverses sont les jantes 6+6 a
635 Et dont la vie immenseet sainte est le moyeu ; 6+6 b
Voir le fond du ciel noiret le fond du ciel bleu, 6+6 b
Homme, cela n'est paspossible, et j'en défie, 6+6 a
Christ, ta religion !Kant, ta philosophie ! 6+6 a
Le gouffre répond-ilà qui vient l'appeler ? 6+6 b
640 Non. L'effort est perdu.Déchiffrer, épeler, 6+6 b
Apprendre, étudier,n'est qu'un pas en arrière. 6+6 a
L'esprit revient meurtridu choc de la barrière ; 6+6 a
L'homme est après la marcheun peu moins avancé ; 6+6 b
Hélas ! Xiks Yi grec Zeden sait moins qu'A Bé Cé ; 6+6 b
645 L'espérance a les yeuxplus ouverts que l'algèbre ; 6+6 a
J'ai toujours entendu,devant le seuil funèbre 6+6 a
Des problèmes obscursqui mettent sur les dents 6+6 b
Les chercheurs, et qui fontgriffonner aux pédants 6+6 b
Tant d'affreux in-quartos,ruine du libraire, 6+6 a
650 L'ignorance henniret la science braire. 6+6 a
Je viens de voir le blêmeédifice construit 6+6 b
Par l'homme et la chimère,avec l'ombre et le bruit, 6+6 b
La rumeur, la clameur,la surdité, la haine. 6+6 a
De quoi je sors ? Je sorsde la besogne vaine ; 6+6 a
655 Je viens de travailler,Kant, à la vision. 6+6 b
J'ai vu faire à Zéroson évolution. 6+6 b
Sur la montagne informe la brume séjourne, 6+6 a
Dans l'obscur aquilonla Tour des langues tourne 6+6 a
Sur quatre ailes : calcul,dogme, histoire, raison ; 6+6 b
660 Les savants, gerbe à gerbe,y portent leur moisson ; 6+6 b
Et, tombant, surgissant,passantes éternelles, 6+6 a
S'évitant, se cherchant,les quatre sombres ailes 6+6 a
Se poursuivent toujourssans s'atteindre jamais ; 6+6 b
Elles portent en basla lueur des sommets, 6+6 b
665 Et rapportent en hautle gouffre, et la folie 6+6 a
Des souffles les tourmenteet les hâte et les plie. 6+6 a
L'intérieur est pleind'on ne sait quel brouillard ; 6+6 b
Le râle du savoirs'y mêle au cri de l'art ; 6+6 b
Ô machine farouche !on dirait que les meules 6+6 a
670 Sont vivantes, et vontet roulent toutes seules ; 6+6 a
Et l'on entend gémirl'esprit humain broyé ; 6+6 b
Tout l'édifice a l'aird'un monstre foudroyé ; 6+6 b
On voit là s'agiter,geindre, monter, descendre, 6+6 a
Ces pâles nourrisseursqui font du pain de cendre, 6+6 a
675 Arius, Condillac,Locke, Érasme, Augustin ; 6+6 b
L'un verse là son Dieu,l'autre offre son destin ; 6+6 b
On s'appelle, on s'entr'aide,on s'insulte, on se hèle ; 6+6 a
On gravit, charge aux reins,la frémissante échelle ; 6+6 a
Sous les pas des douteurson voit trembler des ponts 6+6 b
680 le prêtre jadiscloua ses vains crampons ; 6+6 b
L'erreur rôde, la foichante, l'orgueil s'exalte, 6+6 a
Et l'on se presse, et pointde trêve, et pas de halte ; 6+6 a
Le crépuscule filtreaux poutres du plafond 6+6 b
Par les toiles qu'Ignaceet Machiavel font ; 6+6 b
685 Tous vont ; celui-ci grimpeet celui-là se vautre ; 6+6 a
Tous se parlent ; pas unn'entend ce que dit l'autre ; 6+6 a
L'aile adresse en fuyantà l'aile qu'elle suit 6+6 b
Un discours qui se perddans un chaos de bruit ; 6+6 b
Les meules, ébranlantla tour de leur tangage, 6+6 a
690 Échangent sous la roueon ne sait quel langage ; 6+6 a
Les portes pleines d'ombreen tournant sur leurs gonds 6+6 b
Ont l'air de grommelerde monstrueux jargons ; 6+6 b
L'œuvre est étrange ; on voitles engrenages moudre 6+6 a
Le bien, le mal, le faux,le vrai, l'aube, la foudre, 6+6 a
695 Le jour, la nuit, les Tyrs,les Thèbes, les Sions, 6+6 b
Et les réalités,et les illusions ; 6+6 b
On vide sur l'amasdes rouages horribles 6+6 a
D'effrayants sacs de motsqu'on appelle les bibles, 6+6 a
Les livres, les écrits,les textes, les védas ; 6+6 b
700 Le diable est au grenierqui voit par un judas ; 6+6 b
À mesure qu'aux trousdes cribles, noire ou blanche, 6+6 a
La mouture en poussièreaveuglante s'épanche, 6+6 a
La mort la jette aux vents,ironique meunier ; 6+6 b
On entend cette poudreaffirmer et nier, 6+6 b
705 Disputer, applaudir,et pousser des huées, 6+6 a
Et rire, en s'envolantdans les fauves nuées ; 6+6 a
Et des bouches au loins'ouvrant avidement 6+6 b
À ces atomes fousque la nuit va semant ; 6+6 b
Et cette nourriturea l'odeur de la tombe ; 6+6 a
710 Le fte de la tourse lézarde et surplombe ; 6+6 a
Et d'autres travailleursmontent d'autres fardeaux, 6+6 b
Chacun ayant son sacde songes sur le dos ; 6+6 b
Et les quatre ailes vontdans l'ouragan qui passe, 6+6 a
Si vaste qu'en faisantun cercle dans l'espace, 6+6 a
715 La basse est dans l'enferet la haute est au ciel. 6+6 b
Je viens de ce moulinformidable, Babel. 6+6 b
III
L'ÂNE PATIENCE ENTRE DANS LE DÉTAIL
L'âne à ce qu'il disaitrêva dans le silence, 6+6 a
Comme on suit du regardune pierre qu'on lance, 6+6 a
Puis ajouta :
— Serronsde près les questions. 6+6 b
720 Veux-tu que nous causionset que nous discutions ? 6+6 b
Soit.
Quoique le lecteur,à Sainte-Geneviève, 6+6 a
Trouve peu d'os à mœlleet peu d'auteurs à sève ; 6+6 a
Quoique, à l'Escurial, Philippe pria, 6+6 b
Le plafond sépulcralde la Libraria, 6+6 b
725 Couvrant dossiers, cahiers,brochures, fascicules, 6+6 a
Ressemble à de la nuitnoyant des crépuscules ; 6+6 a
Quoique Oxford la savanteait, sous ses hauts châssis, 6+6 b
Moins de textes vivantsque de centons moisis ; 6+6 b
Quoique le maréchalvicomte de Turenne, 6+6 a
730 Caboche de soldatbrutalement sereine, 6+6 a
Ait jugé, pataugeantdans les in-octavos, 6+6 b
La Rupertine bonneà loger ses chevaux ; 6+6 b
Quoique l'Arsenal fasse,alors qu'on le secoue, 6+6 a
Tourner tant de néantsur son pupitre à roue ; 6+6 a
735 Quoique, poussant des crisde triomphe, un essaim 6+6 b
De corbeaux, contemplantl'institut, son voisin, 6+6 b
Perche à la Mazarine,et que la Vaticane 6+6 a
Ait des angles si noirsque le diable y ricane, 6+6 a
Hommes, vous êtes fiersquand vous considérez 6+6 b
740 Vos bouquins reliés,catalogués, vitrés, 6+6 b
Avec vos rhéteurs dieuxet vos pédants principes 6+6 a
Taillés en marbre jauneet juchés sur des cippes, 6+6 a
Et, j'en conviens, on ale vertige en voyant 6+6 b
Ce sombre alignementde livres, effrayant, 6+6 b
745 Inouï, se perdantsous les bahuts qui tremblent, 6+6 a
Ces vastes rendez-vousde volumes, qui semblent 6+6 a
Les légions du fauxet du vrai s'avançant 6+6 b
En bon ordre, sous l'œiltrouble du temps présent, 6+6 b
Pour se livrer combatau fond des hypogées, 6+6 a
750 Et de l'esprit humainles batailles rangées ; 6+6 a
Certes, j'admets que vous,les hommes, soyez vains 6+6 b
De cet entassementépique d'écrivains, 6+6 b
De tous ces papyruset de toutes ces bibles ; 6+6 a
C'est beau de voir Saumaise,agitant ses vieux cribles, 6+6 a
755 Tamiser ces monceauxd'esprit sur les pavés ; 6+6 b
C'est beau d'avoir l'Exodeavec des bois gravés 6+6 b
Par Alde de Veniseou Windelin de Spire ; 6+6 a
Je conviens qu'on retientson souffle et qu'on respire 6+6 a
À peine quand on voit,dans vos doctes hangars, 6+6 b
760 Les tombes frissonnersous les piocheurs hagards ; 6+6 b
C'est beau de pouvoir dire :Admirez les estampes ; 6+6 a
Ici Virgile avecun laurier sur les tempes, 6+6 a
Là Chapelain avecplus de laurier encor ; 6+6 b
Voici des manuscritsétalant sur fond d'or 6+6 b
765 Mainte arabesque pure,inextricable et nette 6+6 a
À rendre Goujon pâleet jaloux Biscornette ; 6+6 a
Ça, c'est Newton ; voyezquel beau Félibien ! 6+6 b
Voici le grand, voicile vrai, voici le bien ; 6+6 b
Barmne est là pour ses Lois,saint Thomas pour sa Somme, 6+6 a
770 Platon pour son Timée ;et l'on comprend que l'homme 6+6 a
Fasse la roue avectous ses livres au dos ; 6+6 b
Mais, ô dignes humainspris sous tant de bandeaux, 6+6 b
Ce profond répertoire la doctrine abonde, 6+6 a
Ce sombre cabinetde lecture du monde, 6+6 a
775 Tous ces textes, qui fontle silence autour d'eux, 6+6 b
Depuis l'infortiatjusqu'à l'in-trente-deux, 6+6 b
Et d' l'odeur des anset des peuples s'exhale, 6+6 a
Cette bibliopoleauguste et colossale 6+6 a
Qu'on voit, jetant au loinsa lueur aux cerveaux, 6+6 b
780 Flamboyer au-dessusde tous vos noirs travaux, 6+6 b
Comme la cheminéeénorme de l'usine ; 6+6 a
Toute cette raisonque l'homme emmagasine, 6+6 a
Étageant grecs sur juifs,juifs sur égyptiens ; 6+6 b
Ces volumes nouveauxajoutés aux anciens 6+6 b
785 Que le temps sur le tasvient vider par hottées, 6+6 a
Ces Pascals, ces Longins,ces Jobs, ces Timothées, 6+6 a
Doux, sévères, touchants,mystérieux, railleurs, 6+6 b
Qu'est-ce si tout celane vous rend pas meilleurs ? 6+6 b
Par mon échine illustreet semblable aux coulées 6+6 a
790 De laves du Gibelâpres et dentelées, 6+6 a
Par les traductionsdu vieux père Brumoy, 6+6 b
Par l'honneur que m'a faitChrist en montant sur moi 6+6 b
Comme si l'âne étaitun degré de Calvaire, 6+6 a
Je le jure devantl'aube et la primevère, 6+6 a
795 Devant la fleur, devantla source et le ravin, 6+6 b
Digne Kant, je suis prêtà proclamer divin, 6+6 b
Vénérable, excellent,et j'admire et j'accepte 6+6 a
L'enseignement duquelon sortirait inepte, 6+6 a
Ignare, aveugle, sourd,buse, idiot ; mais bon. 6+6 b
800 Mais apprends par cœur Jove,Ughel et Casaubon, 6+6 b
Baronius, Ibasd'Édesse, Théétète ; 6+6 a
Médite Boctonerà fond ; romps-toi la tête 6+6 a
Au sens qu'Eunapiusdonne à tel ou tel mot ; 6+6 b
Va de l'abbé Tudescheau cardinal Cramaud ; 6+6 b
805 Nourris-toi de Bohier,vieille prose bourrue ; 6+6 a
Dévore Ammirato,Walinge, Pellagrue ; 6+6 a
Vide résolumentjusqu'à la lie et bois 6+6 b
André Schott, Sylviusautrement dit Dubois, 6+6 b
Massillon qui péroreet Fléchier qui harangue, 6+6 a
810 Docte Kant, je consensà fourbir de ma langue 6+6 a
Tous ces volumes, ceuxqui sont noirs d'encre, et ceux 6+6 b
Qui sont tachés de sang,et ceux qui sont crasseux, 6+6 b
Y compris les fermoirs,la basane et les cuivres, 6+6 a
Si tu te sens, aprèsavoir lu tous ces livres, 6+6 a
815 D'humeur à me donnerun coup de pied de moins. 6+6 b
Si l'on veut faire grâce,en leurs lugubres coins, 6+6 b
À tous ces vieux vélinsjargonnant tous les styles, 6+6 a
Ce qu'on peut dire, ô Kant,c'est qu'ils sont inutiles. 6+6 a
Et, philosophe ! au fait,comment tous ces monceaux 6+6 b
820 De tomes, gravementcontemplés par les sots, 6+6 b
Pourraient-ils enfanterun résultat quelconque ? 6+6 a
Un rien les dépareilleou les brouille ou les tronque. 6+6 a
Puis ils se font la guerreentre eux, je te l'ai dit. 6+6 b
Le volume savanthait le tome érudit ; 6+6 b
825 Le littéraire gourmeavec le politique ; 6+6 a
On joute à qui serale plus paralytique, 6+6 a
Le plus obscur, le plusdiffus, le plus pesant, 6+6 b
Et du juste, du vrai,du beau, le plus absent ; 6+6 b
C'est à qui se feralourd, majestueux, vaste, 6+6 a
830 À qui sera poudreuxavec le plus de faste ; 6+6 a
Car tous ces livres sontdes vivants ténébreux ; 6+6 b
L'œil qui les voit croit voirdes grands-prêtres hébreux, 6+6 b
Et quand de leurs casiersle jour perce les fentes, 6+6 a
Ils ont sur leurs rayonsdes airs d'hiérophantes ; 6+6 a
835 Ils sont l'autoritérégnant dans son caveau, 6+6 b
L'esprit de l'homme avecreliure de veau ; 6+6 b
Avoir force feuillets,notes, renvois, chapitres, 6+6 a
Faire pousser des cristerribles aux pupitres, 6+6 a
Être un livre de poidspar-dessus tout, voilà 6+6 b
840 L'ambition, le but,la gloire ; et pour cela 6+6 b
Le bénédictin creuse,édifie et laboure ; 6+6 a
Le volume veut êtreimposant, il se bourre 6+6 a
De blanc, de noir, de faits,de vent, de vieux, de neuf, 6+6 b
Et la grenouille idéeenfle le livre bœuf. 6+6 b
845 Dans l'olympe faroucheet sinistre des livres, 6+6 a
Lieu polaire l'on prendles vitres pour des givres ; 6+6 a
Dans l'immense grenierdu bouquiniste humain 6+6 b
l'étude et la nuitscellent leur triste hymen, 6+6 b
Depuis que l'homme écrit,que l'esprit se fourvoie, 6+6 a
850 Que la première plumea fui la première oie ; 6+6 a
Dans ce dock du grimoireuniversel, tunnel 6+6 b
Et puits du griffonnageantique et solennel, 6+6 b
l'erreur sur l'erreurs'amoncelle, s'entasse 6+6 a
La savantasserieavec le savantasse, 6+6 a
855 Gouffre sans voir l'ennui,ce miasme, on le sent, 6+6 b
s'est faite, de siècleen siècle grossissant, 6+6 b
Comme un ulcère crt,comme grandit un chancre, 6+6 a
L'horrible alluviondu déluge de l'encre, 6+6 a
Dans ce dépôt qu'emplitle froid morne des ifs, 6+6 b
860 Il faut les voir rangés,ces testaments massifs, 6+6 b
Ces volumes titansdont un fort de la halle 6+6 a
Aurait peine à porterla lourdeur idéale, 6+6 a
Ces tomes à statureécrasante, ulémas 6+6 b
Des lutrins monstrueuxet des puissants formats ; 6+6 b
865 Ceux-ci bardés de cuir,ceux-là vêtus de moire, 6+6 a
Ils encombrent des tempsla ténébreuse armoire ; 6+6 a
D'autres ouvrages sontéphémères, charnels, 6+6 b
Réels, mortels, humains ;eux sont les éternels ; 6+6 b
La cendre, qui du livreest l'austère rosée, 6+6 a
870 Leur arrive à traversles astres tamisée ; 6+6 a
Chacun d'eux est un fort,chacun d'eux est un mont, 6+6 b
Chacun d'eux est un culte ;eux des livres, fi donc ! 6+6 b
Ils sont des avestas,ils sont des lévitiques, 6+6 a
Chacun d'eux est le Livre ;ils sont les hauts portiques 6+6 a
875 Et les larges piliersde la maison d'Isis ; 6+6 b
Ils sont les chênes noirs,vénérables, moisis, 6+6 b
De la Dodone obscureet lugubre des âmes ; 6+6 a
On en entend sortirdes voix de vieilles femmes ; 6+6 a
Et l'ombre qui descendde leurs rameaux touffus 6+6 b
880 Va du Philothéosjusqu'au Polymorphus ; 6+6 b
Ils sont les dolmens lourdset branlants ; les registres 6+6 a
Pétrifiés du mondeaveugle et fou des cuistres ; 6+6 a
Des espèces de blocsfunèbres et bavards ; 6+6 b
Eux des livres, fi donc !ils sont des boulevards ; 6+6 b
885 Ils sont les élégantssacrés de la doctrine, 6+6 a
Les sphinx géants ayantl'oracle en leur narine, 6+6 a
Les colosses pensifsde la religion, 6+6 b
Ils sont des dieux. — Mais gareau diable Légion ! 6+6 b
Gare à ce gamin sombreappelé petit livre ! 6+6 a
890 Le format portatifest un monstre ; il délivre, 6+6 a
Il proteste, il combat ;c'est hideux, c'est criant ; 6+6 b
Comme avec son épingleil crochète en riant 6+6 b
La serrure de ferd'une bible bastille ! 6+6 a
Il a la clef des champs,ce brigand ; il pétille, 6+6 a
895 Il éclate ; il est clair,rapide, âpre, éloquent ; 6+6 b
Il court, et met le feupartout. Oui, mon vieux Kant, 6+6 b
Poussière fulminanteéparse sur les tables, 6+6 a
Les livres légers sontaux pesants redoutables ; 6+6 a
Un frêle Capulettue un gros Montaigu ; 6+6 b
900 Un Diderot de poche,imprenable, exigu, 6+6 b
Invisible, détruitla montagne de tomes 6+6 a
Que font les Augustinsmêlés aux Chrysostomes ; 6+6 a
Que Laplace ait un joursur sa calme hauteur 6+6 b
(Mais il ne l'aura point,car on est sénateur) 6+6 b
905 Le caprice de faireun almanach sauvage 6+6 a
Et sincère, à deux sous,et voyez le ravage ! 6+6 a
L'almanach grimpe droità l'azur, court, descend, 6+6 b
Monte, ôte à saint Michelson nimbe, va chassant 6+6 b
Saint Médard de son ciel,saint Pierre de sa loge, 6+6 a
910 Extermine Turnèbe,Arnobius, Euloge, 6+6 a
Moïse, Bossuetet l'abbé de Corbeil, 6+6 b
Et casse Josué,gendarme du soleil ; 6+6 b
Et c'est fini, voilàla Légende dorée 6+6 a
Croulant sous l'ironiqueet splendide empyrée ; 6+6 a
915 Un tout petit Montaigne,adroit, glissant, rongeur, 6+6 b
Malgré leur profondeuret malgré leur largeur, 6+6 b
Va démolir Gennadeet Thégan par la base ; 6+6 a
Un leste Beaumarchaisen quelques instants rase, 6+6 a
Avec leur clientèlehonorable d'abus, 6+6 b
920 Les de Maistre les pluscaducs, les plus barbus ; 6+6 b
Saint-Évremond accourt,moqueur, alerte, ingambe, 6+6 a
Et maintenant cherchezSymmachus, Alegambe, 6+6 a
Et le père Gretseret le père Poussin ! 6+6 b
Paul-Louis colletantsaint Luc, quel assassin ! 6+6 b
925 Un essaim de pamphletsqui s'échappe dégrade, 6+6 a
Sur leur lit de justiceou leur lit de parade, 6+6 a
Sigonius, Prudence,Alde et le sieur Pithou ; 6+6 b
D' viennent-ils ? j'ignore ; vont-ils ? Dieu sait ! 6+6 b
Mais ils mangent les saintsjusqu'aux dernières plumes ; 6+6 a
930 Sur les tomes deboutainsi que les enclumes 6+6 a
De la forge du deuil,de l'erreur et du vent, 6+6 b
Ils se répandent gais,cassant, rageant, bravant, 6+6 b
Des révolutionsanarchique avant-garde ; 6+6 a
Et l'on entend courirdans la brume hagarde 6+6 a
935 Le pas tumultueuxde ces trotte-menu ; 6+6 b
Et ce désordre est faitpar ce peuple inconnu 6+6 b
Au nez du marguillieret sous l'œil de l'édile ; 6+6 a
Ainsi que l'ichneumondétruit le crocodile 6+6 a
Le doute in-dix-huit batle dogme in-folio ; 6+6 b
940 Malheur à l'alcoranqu'attaque un fabliau ! 6+6 b
Un missel sur qui planeun couplet est malade ; 6+6 a
Je plains l'infortiatqu'une puce escalade, 6+6 a
L'infortiat fût-ilplein de rois et de dieux, 6+6 b
Si la puce, agitantson stylet radieux, 6+6 b
945 Saute, atome effrayant,la largeur de la terre 6+6 a
Et la hauteur d'un siècle,et se nomme Voltaire. 6+6 a
— Mais, dis-tu, ce baudetn'a pas le sens commun. 6+6 b
Il veut un résultat ;n'en est-ce dont pas un ? 6+6 b
Ce combat des penseursest sublime. — À merveille. 6+6 a
950 Qu'en sort-il ? Baal meurt,l'ours fuit devant l'abeille, 6+6 a
Soit. On lutte, on s'acharne,assaut, mêlée à mort ! 6+6 b
Et la science piqueet la sagesse mord ; 6+6 b
Que reste-t-il au cœur,la bataille finie ? 6+6 a
Hélas ! la nuditéd'une immense ironie ; 6+6 a
955 Tous les profonds instinctsglacés et grelottants ; 6+6 b
Kant, ce n'est pas celaque de l'homme j'attends. 6+6 b
L'esprit triomphe. À basle vieux dogme ! on l'écrase, 6+6 a
Il tombe ; le passés'effondre ; table rase ; 6+6 a
Bien. Plus je suis vainqueur,plus je suis assombri . 6+6 b
960 Une négationest un sinistre abri ; 6+6 b
mettrai-je mon âme ?est-ce dans un décombre ? 6+6 a
Je conviens que je doisà cette troupe sombre, 6+6 a
À ces démolisseursde l'antique fatras, 6+6 b
Tout le logis qu'on peutavoir dans un plâtras. 6+6 b
965 La pioche, et pas de toit ;la faux, et pas de gerbe. 6+6 a
Est-ce donc là le butde ton effort superbe, 6+6 a
Homme, architecte auguste,être prédestiné ? 6+6 b
Satan fait avorterAdam, son puîné ; 6+6 b
J'en gémis ; l'homme manqueà sa tâche divine. 6+6 a
970 Je cherche un édificeet je trouve une ruine. 6+6 a
IV
LA NUIT AUTOUR DE L'HOMME
J'ai des objectionsà l'homme, tu le vois. 6+6 b
Qu'il existe une loi,mêlée aux vagues lois 6+6 b
Que nous entrevoyonspar nos pâles fenêtres, 6+6 a
Qui, dans l'échelle obscureet tremblante des êtres, 6+6 a
975 Place au-dessus de nousce pleureur, ce rieur, 6+6 b
Qui fasse l'âne aux filsd'Adam inférieur, 6+6 b
Qui mette moins de verbeen plus de bouche, et rende 6+6 a
L'endettement plus courtdans l'oreille plus grande, 6+6 a
C'est possible ; après tout,ça regarde l'auteur ; 6+6 b
980 Que l'homme ait ou n'ait pasle droit sur sa hauteur 6+6 b
D'être traité par nousd'une façon civile, 6+6 a
Et d'être saluéroi par la longue file 6+6 a
D'animaux que Noédans son arche classait, 6+6 b
Par le lion ayantdans sa griffe un placet, 6+6 b
985 Par le corbeau tenantdans son bec un hommage ; 6+6 a
Qu'il dise : — Dieu n'a faitqu'Adam à son image ; — 6+6 a
Peu m'importe ; je parleà cette majesté 6+6 b
Crûment, je ne suis pasde bassesse frotté, 6+6 b
Je suis franc ; ma paroleest âpre, mais certaine, 6+6 a
990 Car je préfère, étantfrère de La Fontaine, 6+6 a
Et quelque peu cousind'Agrippa d'Aubigné, 6+6 b
Le réel, même rude,au faux, même peigné, 6+6 b
Les toisons de la bruteaux perruques de l'homme ; 6+6 a
Je ne fais pas ma cour,Kant, je suis économe 6+6 a
995 D'admirer sottementet lâchement le roi, 6+6 b
Et je trouve en Dangeauplus d'âne que dans moi. 6+6 b
Si l'homme est majesté,cette majesté boite. 6+6 a
Quand la mort a serréce pantin dans sa bte, 6+6 a
En sort-il un espritqui s'envole ? Psyché 6+6 b
1000 Jaillit-elle à traversl'arlequin démanché ? 6+6 b
Je n'en sais rien. Cherchez.Il fait nuit.
Ce qui reste 6+6 a
Évident dans la brumeadorable ou funeste, 6+6 a
C'est que c'est un vivantmédiocre et mauvais. 6+6 b
Je deviendrais méchant,si je ne me sauvais, 6+6 b
1005 Rien que pour avoir vude près ce pauvre hère. 6+6 a
Je n'estime pas plusson grelot que sa haire, 6+6 a
Et son austéritéque son relâchement ; 6+6 b
Quand sa bouche dit vraipar hasard, son œil ment ; 6+6 b
Fumée, il s'évaporeen toutes les emphases ; 6+6 a
1010 Son ventre et son cerveaun'ont point les mêmes phases. 6+6 a
La terre a son instinct,la lune a sa raison ; 6+6 b
Entre l'air et son souffleil met une cloison ; 6+6 b
Au lieu d'être le vasteesprit cosmopolite, 6+6 a
Il est toujours d'un lieuquelconque satellite, 6+6 a
1015 Juif, grec, anglais dans l'Inde,au Brésil portugais ; 6+6 b
Il rêve des édenset fait des paraguays , 6+6 b
Il se tient hors du codeou hors de la nature ; 6+6 a
Las, refroidi, blasé,s'il veut par aventure 6+6 a
Devenir vertueux,quels lugubres essais ! 6+6 b
1020 Il ne sait que passerde l'excès à l'excès, 6+6 b
De l'abus au défaut,de l'alcôve à la haine, 6+6 a
D'Ève au cltre, et que fuirdon Juan dans Origène. 6+6 a
Voletant vaguementde la Trappe à Paphos, 6+6 b
Mouche heurtant de l'aileau soupirail du faux, 6+6 b
1025 Bourdon de tous les dieuxet de toutes les vitres, 6+6 a
Donnant pour moule aux frontsles casques et les mitres, 6+6 a
Forgeron d'imposture,ouvrier de fureurs, 6+6 b
Fabriquant au mensongeune armure d'erreurs, 6+6 b
Il n'est pas d'épithèteoutrageuse, honnie, 6+6 a
1030 Vile, dont on ne puisseorner sa litanie. 6+6 a
Certe, on se tromperaitde croire que l'azur, 6+6 b
Les sphères, les leversd'étoiles, l'éther pur, 6+6 b
Et le nimbe solaireet l'auréole astrale 6+6 a
Filtrent dans l'âme humaineen lumière morale. 6+6 a
1035 Kant, c'est un malheur d'êtreune vte à cachot, 6+6 b
Une cave ferméeau ciel splendide et chaud, 6+6 b
Une maison de nuit.Hélas ! l'homme en est une. 6+6 a
Il a cette mauvaiseet fatale fortune 6+6 a
Que son obscuritérésiste obstinément 6+6 b
1040 Au lys, à la colombe,à l'aube, au firmament. 6+6 b
Rien, ni l'Etna qui sembleen braise se dissoudre, 6+6 a
Ni le passage vasteet fuyant de la foudre, 6+6 a
Ni la lune, ébauchantquelque sacré contour, 6+6 b
Pas même l'évidenceéclatante du jour, 6+6 b
1045 Pas même le feu noirqui dévore Sodome, 6+6 a
Rien ne peut éclairerl'intérieur de l'homme. 6+6 a
Ô Kant, l'homme est drapéde rêves mal tissus. 6+6 b
Vêtu d'un haillon sombre,il porte par-dessus 6+6 b
Une pourpre d'orgueilprise aux fausses sagesses. 6+6 a
1050 Il est fils des géantsmariés aux singesses ; 6+6 a
Il a plus de grimaceencor que de grandeur ; 6+6 b
Son profil de beautéd'un profil de laideur 6+6 b
Se double, et son sublimeadhère au ridicule 6+6 a
De si près qu'on le croitfait pour le crépuscule. 6+6 a
1055 Aussi quelle ombre en lui !quelle ombre autour de lui ! 6+6 b
Il sent sous tous ses pastrembler le point d'appui, 6+6 b
Ce qu'il espère étantpresque ce qu'il redoute ; 6+6 a
Un flot de trouble passeaprès un flot de doute ; 6+6 a
Tout se résout en gouffre,en chute, en tremblement 6+6 b
1060 Sur on ne sait quel vagueet blême escarpement, 6+6 b
En ouverture sombre,en cécité muette, 6+6 a
Tâtonnement au docteet vertige au poète ; 6+6 a
Et toujours, au-dessusdu lugubre horizon, 6+6 b
Et de votre savoiret de votre raison, 6+6 b
1065 L'idole, le cromlech,l'autel, dressent leur cime 6+6 a
Que blanchit un rayonmonstrueux de l'abîme. 6+6 a
Mais du moins faites-vousce qu'il faudrait pour voir 6+6 b
Un peu plus de clartédans votre cerveau noir ? 6+6 b
Point. La routine au fonddu néant vous isole. 6+6 a
1070 Vous avez tout, parole,écriture, boussole, 6+6 a
Vapeur, imprimerie,et scalpel et compas ; 6+6 b
Faites-vous donc du jouravec cela ? Non pas. 6+6 b
Avez-vous des esprits,des plongeurs, des génies, 6+6 a
De grands cerveaux ouvrantdes portes infinies, 6+6 a
1075 Des puisatiers géantscreusant au ciel des trous, 6+6 b
Des penseurs, des trouveurs ?— Pardieu ! — Qu'en faites-vous ? 6+6 b
V
CONDUITE DE L'HOMME VIS-À-VIS DES ENFANTS
Et l'âne s'écria :— Pauvres fous ! Dieu vous livre 6+6 a
L'enfant, du paradisdes anges encore ivre ; 6+6 a
Vite, vous m'empoignezce marmot radieux, 6+6 b
1080 Ayant trop de clarté,trop d'oreilles, trop d'yeux, 6+6 b
Et vous me le fourrezdans un ténébreux cltre ; 6+6 a
On lui colle un gros livreau menton comme un gtre ; 6+6 a
Et vingt noirs grimauds fontdégringoler des cieux, 6+6 b
Ô douleur ! ce charmantpetit esprit joyeux ; 6+6 b
1085 On le tire, on le tord,on l'allonge, on le tanne, 6+6 a
Tantôt en uniforme,et tantôt en soutane ; 6+6 a
Un beau jour Trissotinl'examine, un préfet 6+6 b
Le couronne ; et c'est dit :un imbécile est fait. 6+6 b
Glycère et Jeanneton,ces deux filles célestes, 6+6 a
1090 Qui courent dans Virgileet Ronsard, sont moins lestes, 6+6 a
Quand Sylvain les poursuit,le fauve jouvenceau, 6+6 b
À trousser leur juponpour passer un ruisseau, 6+6 b
Un singe est moins agileà gober une pêche, 6+6 a
Les baleiniers, armantleurs pirogues de pêche, 6+6 a
1095 Sont moins prompts à lancerleur barque au flot mouvant 6+6 b
Dès que d'un squale en marcheils entendent l'évent, 6+6 b
En frappant dans ses mainsBonaparte a moins vite 6+6 a
Chassé l'aigle tudesqueet l'aigle moscovite 6+6 a
Qu'un pédant n'est rapideà défaire un esprit. 6+6 b
1100 Oh ! que de fois, depuisqu'hélas ! on m'entreprit, 6+6 b
J'ai vu l'abrutisseuren chef, le grand pontife 6+6 a
Qui, lugubre, a le plusde crasse dans sa griffe, 6+6 a
Dans l'antre se tenaientnos régents, nos dragons 6+6 b
Les plus chauves, les plusgoutteux, les plus bougons, 6+6 b
1105 Entrer, tenant par l'aileou la patte sanglante 6+6 a
Une pauvre petiteâme toute tremblante, 6+6 a
Et dire, en la jetantaux vieux : Plumez-moi ça ! 6+6 b
Je me souviens des crisque plus d'une poussa 6+6 b
Pendant que son plumageauroral, son enfance, 6+6 a
1110 Sa blancheur, sa candeur,sa gté sans défense, 6+6 a
Sous les vils ongles noirsd'un rustre aux yeux éteints, 6+6 b
Tombaient, duvet charmant,et que les sacristains 6+6 b
Heureux de voir l'oiseautout nu dans leurs mains dures 6+6 a
Balayaient ces splendeursdes cieux au tas d'ordures ! 6+6 a
1115 L'aile pourtant n'est pointarrachée au moignon ; 6+6 b
Elle repousse griseet faite au cabanon ; 6+6 b
L'enfant vit ; nul ne peutdire : Cette âme est morte ; 6+6 a
L'âme prend la couleurdu verrou de la porte, 6+6 a
Voilà tout, et son œilclignote ; et maintenant, 6+6 b
1120 Avec un encrierau croupion, trnant 6+6 b
Bréviaires, gradus,glossaires, cent volumes, 6+6 a
Toute la cuistrerieengluée à tes plumes, 6+6 a
Vole donc, alouette,au fond du libre azur ! 6+6 b
La sacristie, hélas !fait un deleatur 6+6 b
1125 Du mystérieux Déqui sert de majuscule 6+6 a
Au mot DIEU flamboyantdans notre crépuscule ; 6+6 a
Elle éteint dans les frontsles rayons libéraux. 6+6 b
Vous mutilez des cœurs,ah, niais ! ah, bourreaux ! 6+6 b
Et vous raccourcissezdes âmes ! et vous êtes 6+6 a
1130 Dans l'auguste forêtd'horribles ciseaux bêtes ! 6+6 a
Vous tondez les instincts,vous rognez les cerveaux ; 6+6 b
Sur le patron des vieuxvous taillez les nouveaux ; 6+6 b
De la créationvous troublez l'équilibre ; 6+6 a
Ignorant que tout êtreest fait pour crtre libre, 6+6 a
1135 Pour donner telle fleuret vivre en tel milieu, 6+6 b
Que toute âme a sa formeintime devant Dieu, 6+6 b
Et que toute naturea droit à sa broussaille, 6+6 a
Vous tronquez des talents,de même qu'à Versaille, 6+6 a
Ô brutes, vous changezen pains de sucre verts 6+6 b
1140 Le cèdre et le cyprès,géants d'ombre couverts, 6+6 b
Sans même voir, parmivos bronzes et vos marbres, 6+6 a
L'humiliationde tous ces pauvres arbres, 6+6 a
L'ennui de l'orangerfait pomme, et le chagrin 6+6 b
Des ifs taillés en côneautour du boulingrin. 6+6 b
1145 Pédagogues ! toujoursc'est ainsi que vous faites. 6+6 a
Tout l'esprit humain doitse mouler sur vos têtes ; 6+6 a
Pégase doit brouterdans votre basse-cour, 6+6 b
L'aile morte, et mangerde votre foin. Le jour 6+6 b
, de votre perruquearrangeant les volutes, 6+6 a
1150 Fiers, perchés sur Zoïleet Batteux, vous voulûtes 6+6 a
Définir le génie,expliquer la beauté, 6+6 b
Les mauvais estomacsont dit : Sobriété ; 6+6 b
Les myopes ont dit :Soyons ternes ; la clique 6+6 a
Des précepteurs, geignantd'un air mélancolique, 6+6 a
1155 A décrété : Le beau,c'est un mur droit et nu. 6+6 b
Donc Rubens est trop rougeet Puget trop charnu ; 6+6 b
L'art est maigre ; Vénusserait plus belle, étique. 6+6 a
Shakspeare, ce satande votre art poétique, 6+6 a
Prodigue image, idéeet vie à chaque pas ; 6+6 b
1160 La nature, imitantShakspeare, ne voit pas 6+6 b
Sur une vieille pierreune place vacante 6+6 a
Sans la donner à l'herbeou l'offrir à l'acanthe ; 6+6 a
Le lierre énorme l'artmystérieux se plt 6+6 b
Emplit Heïdelbergcomme il emplit Hamlet ; 6+6 b
1165 Vous coupez cette ronceauguste qui soupire ; 6+6 a
Vous tombez à grands coupsde serpe sur Shakspeare, 6+6 a
Marauds, et vous frappez,jusqu'à n'en laisser rien, 6+6 b
Sur le grand chêne flotteun hymne aérien. 6+6 b
À qui donc croyez-vouspersuader, ô cuistres, 6+6 a
1170 Que le beau, que le vraivous ont pris pour ministres, 6+6 a
Et qu'Horace va dire :Hic lucidus ordo, 6+6 b
Parce que vous tirezdes crétins au cordeau ! 6+6 b
N'est-il pas odieux,ô Jean-Jacque, ô Molière, 6+6 a
Ô d'Aubigné, du droitpuissant auxiliaire, 6+6 a
1175 Qui disais en voyantun roi : Qu'est-ce que c'est ? 6+6 b
Montaigne, ô bon Michelque son père faisait 6+6 b
Éveiller le matinau son de la musique, 6+6 a
Diderot qui raillaistout le vieil art phtisique, 6+6 a
Ô libre Hoffmann, planantdans les rêves fougueux, 6+6 b
1180 N'est-il pas désolant,dites, de voir ces gueux, 6+6 b
Tatoués de latin,de grec, d'hébreu, ces cancres 6+6 a
Dont l'âme prend un baindans la noirceur des encres, 6+6 a
Exécuter l'enfanceen leurs blêmes couvents ! 6+6 b
Ne sont-ils pas hideux,ces faux docteurs, savants 6+6 b
1185 À donner au progrèsune incurable entorse, 6+6 a
Commençant par l'ennuipour finir par la force, 6+6 a
Du bâillement allantvolontiers au bâillon, 6+6 b
Logiques, de Boileauconcluant Trestaillon, 6+6 b
Vantant Bonald, couvrantde béates exergues 6+6 a
1190 Piet, Cornet d'Incourtet Clausel de Coussergues, 6+6 a
Tâchant d'éteindre l'astreau fond des bleus éthers ! 6+6 b
N'est-il pas monstrueuxde voir ces magisters, 6+6 b
Casernés dans l'horreurde leur Isis occulte, 6+6 a
Poser sur l'avenirqui s'envole en tumulte 6+6 a
1195 Avec l'emportementd'Achille et de Roland, 6+6 b
Ayant dans l'œil l'éclairde Vasco s'en allant 6+6 b
Ou de Jason partantpour la plage colchique, 6+6 a
Leur bâton de sergentinstructeur monarchique, 6+6 a
Et crier aux esprits :À droite ! alignement ! 6+6 b
1200 Écolâtres, au fondde votre enseignement 6+6 b
Est Rome, enfermant l'âmeen sa funèbre enceinte ; 6+6 a
Vous êtes les prévôtsde la science sainte 6+6 a
D' jaillissant Newtonet Watt, les caporaux 6+6 b
De l'art divin qui vitvibrer Sienne et Paros ; 6+6 b
1205 Le vil marais vous charmeet votre œil le préfère ; 6+6 a
Vous feriez un étang,si l'on vous laissait faire, 6+6 a
De l'océan tordantses flots sur les galets ; 6+6 b
En forgeant des pédants,vous créez des valets ; 6+6 b
En faisant le front basvous faites l'âme basse ; 6+6 a
1210 Qu'un de vos patientschuchote dans la classe, 6+6 a
Qu'il ose releverson museau d'écolier, 6+6 b
Et se gratter un peule cou sous son collier, 6+6 b
Ô révolution !anarchie ! il vous semble 6+6 a
Que l'alphabet lui-mêmeentre vos pattes tremble, 6+6 a
1215 Que l'èF et que le Bévont se prendre le bec, 6+6 b
Que l'O tourne sa roueaux cornes de l'Yi grec, 6+6 b
Horreur ! et qu'on va voirle point, bille fatale, 6+6 a
Tomber enfin sur l'I,ce bilboquet tantale ! 6+6 a
Votre système est vain,votre empirisme est faux. 6+6 b
1220 Ayez donc la charrueavant d'avoir la faux. 6+6 b
Çà, vous figurez-vous,parlons net, camarades, 6+6 a
Qu'on est un vrai docteurpour avoir pris ses grades, 6+6 a
Et qu'on sait quelque choseen sortant de chez vous ? 6+6 b
Que la grande nature,aux bruits vastes et doux, 6+6 b
1225 Belle, n'enseigne rienà l'esprit qu'elle élève ; 6+6 a
Et qu'Adam, éblouide l'éden, épris d'Ève, 6+6 a
Attendait, pour que Dieutout à fait le créât, 6+6 b
Qu'Iblis lui fît passerle baccalauat ? 6+6 b
Non, la nature au fondpourrait suffire seule ; 6+6 a
1230 Elle sait tout, elle estnourrice, étant aïeule ! 6+6 a
VI
CONDUITE DE L'HOMME VIS-À-VIS DES GÉNIES
C'est en dehors des loisque vous faites, pédants, 6+6 b
Que plane l'harmonieaux grands hymnes grondants, 6+6 b
Et le papier réglépar une main classique 6+6 a
Est du papier réglé,mais n'est pas la musique. 6+6 a
1235 Qu'on doit fourrer, vivants,les aigles, les griffons, 6+6 b
En cage dans les trousde vos dogmes profonds, 6+6 b
Que l'essor du penseurse mesure à vos mètres, 6+6 a
Qu'il doit vous consulter,vous les bedeaux des lettres, 6+6 a
Vous les abbés du gt,hurlant à l'unisson : 6+6 b
1240 Nous sommes le savoir,nous sommes la raison ! 6+6 b
Que vous avez, vous seuls,ces dons sacrés sur terre, 6+6 a
Et que chacun de vousen est propriétaire ; 6+6 a
Que l'académie est,que la sorbonne vit ; 6+6 b
Que l'antique sentierqu'à la file on suivit 6+6 b
1245 Est la route sacrée,et qu'il faut faire en sorte 6+6 a
Qu'on n'y coure jamais,que jamais on n'en sorte ; 6+6 a
Qu'on forge et bat le ferd'autant mieux qu'il est froid ; 6+6 b
Que votre cltre est saint ;que vous avez le droit 6+6 b
De mettre le génieet l'âme en retenue, 6+6 a
1250 Que le cygne, nageantcandide sous la nue, 6+6 a
Doit se faire montrerle blanc par un corbeau ; 6+6 b
Que j'en saurai plus long,que je serai plus beau, 6+6 b
Moi l'âne, quand un gueux,flanqué d'une ou deux vieilles, 6+6 a
M'aura coupé la queueet rogné les oreilles, 6+6 a
1255 Ah ! pardieu, vous allezme faire accroire ça ! 6+6 b
L'âne a du sens, ayantporté Sancho Pança. 6+6 b
Il reprit : — Parmi vousqu'un novateur s'obstine, 6+6 a
Qu'il baise mal le basdu dos de la routine, 6+6 a
Qu'il ne veuille pas boire de tout temps ont bu 6+6 b
1260 La coutume ridéeet l'usage barbu, 6+6 b
Que son âme ose, horreur !n'être pas prisonnière, 6+6 a
Que, se sentant une aile,il méprise l'ornière, 6+6 a
Vous le damnez.
Jadis,un songeur l'entendait, 6+6 b
Les bêtes ont crié :Haro sur le baudet ! 6+6 b
1265 J'entends l'homme crier :Haro sur le génie ! 6+6 a
Malheur à qui s'en vadans la sombre Uranie ! 6+6 a
Dans la matière, encor,passe ; on peut innover ; 6+6 b
Il est permis d'aller,de chercher, de trouver 6+6 b
Quelque crapaud géant,quelque gros perce-oreille, 6+6 a
1270 Quelque étrange fourmi,pas tout à fait pareille 6+6 a
À celles dont Linnéa contemplé les œufs, 6+6 b
Ou des squelettes fraiset des fossiles neufs, 6+6 b
Des mammouths troublant l'ordre,et dans les grès, les schistes 6+6 a
Et les gneiss, des fémursd'éléphants anarchistes ; 6+6 a
1275 La routine consentà ce qu'un cachalot, 6+6 b
Inédit, lève un peuson grouin hors du flot ; 6+6 b
On peut faire, sans tropindigner les bélîtres, 6+6 a
Des révolutionsdans les écailles d'huîtres ; 6+6 a
L'immortelle ânerie,et j'en suis à regret, 6+6 b
1280 Admet qu'on peut trouverun gui dans la forêt 6+6 b
Ou pêcher un mollusqueavec un coup de sonde ; 6+6 a
Quand on voit reveniraprès leur tour du monde 6+6 a
Le capitaine Cook,Magellan ou lord Ross 6+6 b
Rapportant des tapirsou des rhinocéros, 6+6 b
1285 Si bien que la scienceà leur aide complète 6+6 a
La confrontationde l'homme avec la bête, 6+6 a
Quelque raie éclairantl'énigme du dauphin, 6+6 b
Des os de mastodonteilluminant enfin 6+6 b
La grande questionde l'ours, ou des carcasses 6+6 a
1290 D'épiornis faisantprogresser les bécasses, 6+6 a
Longs bravos ; les savantsformant leurs bataillons 6+6 b
Contemplent les herbierset les échantillons, 6+6 b
Le mandarin admire,et le bourgeois dit : Qu'est-ce ? 6+6 a
On fait queue au muséeà voir ouvrir la caisse, 6+6 a
1295 Les deux chambres, que chauffeun rapport érudit, 6+6 b
Accordent au jardindes plantes un crédit 6+6 b
Pour élargir l'endroit l'on met la genèse ; 6+6 a
Et l'institut — pendantque, tout frémissant d'aise, 6+6 a
Paris en foule courtvoir le tapir manger, — 6+6 b
1300 Harangue au pont des Artsle fossile étranger. 6+6 b
Mais quand le penseur, vasteet noir missionnaire, 6+6 a
Arrive du paysdu rêve et du tonnerre, 6+6 a
Et revient du mystère planent les esprits, 6+6 b
Rapportant, aussi lui,ce qu'à l'ombre il a pris, 6+6 b
1305 Farouche, et dans sa main,de rayons inondée, 6+6 a
Tenant le fait chimèreou bien le monstre idée, 6+6 a
Déployant la splendeurd'un progrès factieux, 6+6 b
Quelque nouveauté sainteayant l'odeur des cieux 6+6 b
Qui va faire, profondeet pure découverte, 6+6 a
1310 L'homme heureux, et l'envie,hélas, encor plus verte ; 6+6 a
Offrant la douleur morteou l'espace annulé ; 6+6 b
Montrant des visionsla formidable clé ; 6+6 b
Malheur à ce trouveuret malheur à ce mage ! 6+6 a
Que Gall ait du cerveauvu sur le front l'image, 6+6 a
1315 Que dans quelque insondableabîme le même air 6+6 b
Qui soulevait Élieait emporté Mesmer, 6+6 b
Malheur ! Papin en Franceou Galilée à Rome, 6+6 a
Quel que soit le prodige,hélas, quel que soit l'homme, 6+6 a
Quel que soit le bienfait,quel que soit l'ouvrier, 6+6 b
1320 Qu'il se nomme Jackson,qu'il se nomme Fourier, 6+6 b
Malheur ! huée, affronts,et clameurs triomphantes ; 6+6 a
Tous se jettent sur lui ;les uns, les sycophantes, 6+6 a
Au nom des livres saints,védas ou rituels ; 6+6 b
Les autres, les douteurs,bourreaux spirituels, 6+6 b
1325 Parfois railleurs profonds,comme Swift et Voltaire, 6+6 a
Au nom du vieux bon sens,bouche pleine de terre. 6+6 a
On vous l'assomme avecmaint argument plombé, 6+6 b
Là, par Christ plus Moïse,ici, par A plus Bé. 6+6 b
Que veut ce songe creux ?et de quelles cavernes 6+6 a
1330 Sort-il pour nous conterde telles balivernes ? 6+6 a
Avoir du temps passéjeté le vieux bâton, 6+6 b
Quel crime ! S'appelerGutenberg ou Fulton, 6+6 b
Quel cynisme ! Aller seul !l'audace est fabuleuse ! 6+6 a
Si c'est Flamel, Cardan,Saint-Simon ou Deleuze, 6+6 a
1335 Pour en avoir raisonl'éclat de rire est là ; 6+6 b
Si c'est Jordan Bruno,si c'est Campanella 6+6 b
Qui le premier a dit :— Les soleils sont sans nombre, — 6+6 a
Qu'il se sauve ; sinon,demain, le bûcher sombre 6+6 a
Lui mettra la fuméeet la nuit dans les yeux, 6+6 b
1340 Et l'affreux tourbillondes braises, envieux, 6+6 b
Châtiera ce rêveurdu tourbillon des astres ; 6+6 a
Harvey mourra moquéde tous les médicastres ; 6+6 a
Kind raillera Képler,et tous les culs-de-plomb 6+6 b
Ferreront cet oiseaude l'océan, Colomb. 6+6 b
1345 Vois, Socrate, par quile genre humain se hausse, 6+6 a
Blêmit sinistrementdans une basse fosse ; 6+6 a
Deux siècles avant l'heure Vasco les verra, 6+6 b
Dante, œil mystérieuxque Dieu même éclaira, 6+6 b
Voit à travers la terre,énorme et sombre geôle, 6+6 a
1350 Les quatre étoiles d'orqui sont à l'autre pôle ; 6+6 a
Il le dit ; on le chasse ;et c'est ainsi toujours. 6+6 b
Dès qu'un flambeau part,l'homme crie : Au secours ! 6+6 b
Qui l'éclaire ou le sertl'irrite ; le génie 6+6 a
Est une infractionsévèrement punie ; 6+6 a
1355 Toujours vous proscrivezle grand homme fatal, 6+6 b
Sauf à lui dédierplus tard un piédestal ; 6+6 b
Vos bienfaiteurs, penseurset sages, ont beau dire : 6+6 a
— Cherchons et triomphons !l'infini nous attire ; 6+6 a
Dans l'océan Progrèsil n'est point de cap Non ! — 6+6 b
1360 L'homme réplique : exil,ciguë et cabanon ; 6+6 b
Et l'histoire en est pleine,et tous ces Hérodotes 6+6 a
Content sous divers nomsces douces anecdotes. 6+6 a
J'ajoute : quelquefoisle front des hauts songeurs 6+6 b
Se fend, l'idée ayantde trop grandes largeurs, 6+6 b
1365 Et comme il est certainque la nature mêle 6+6 a
Toujours un peu d'ivresseau lait de sa mamelle, 6+6 a
Comme ils sont à la foisbrumeux et radieux, 6+6 b
Ces hommes-là sont fous,dit la tourbe. Ils sont dieux ! 6+6 b
L'excès de véritén'éblouit-il pas l'âme, 6+6 a
1370 Et n'a-t-on pas de grandsaveuglements de flamme ? 6+6 a
Hélas : en peut-il êtreautrement ? Le réel, 6+6 b
L'idéal, le progrès,même venu du ciel, 6+6 b
Même apporté par Christ,même quand Dieu l'amène, 6+6 a
Passant par l'homme auratoujours la marque humaine. 6+6 a
1375 Toujours l'idée aurapour nombril le défaut ; 6+6 b
Toute innovation,même prise là-haut, 6+6 b
Par mille côtés vraie,est par un côté fausse ; 6+6 a
Quel bonheur ! la routineà ce détail s'adosse. 6+6 a
Après avoir plongédans la sublimité, 6+6 b
1380 Après avoir voléle gouffre illimité, 6+6 b
Dans l'humaine cohueobstinée à ses voiles 6+6 a
Malheur à qui revient !L'infini plein d'étoiles, 6+6 a
Sur la terre le cuistreadmire l'avorton, 6+6 b
N'a qu'un débarcadèreappelé Charenton. 6+6 b
1385 Oui, le crachat jaillitde cent bouches ouvertes 6+6 a
Sur tous les pâles Christsdes saintes découvertes ! 6+6 a
Oui, malheur au hérosqui, la lunette en main, 6+6 b
Se dresse au lointain bordde l'horizon humain, 6+6 b
Guetteur mystérieuxet vedette avancée ! 6+6 a
1390 Il est toujours tué ;par qui ? par la pensée. 6+6 a
Car dès que les docteursont vu, troupeau jaloux, 6+6 b
Poindre une idée, ils ontla tristesse des loups, 6+6 b
La foule n'aime pointqu'un astre la dérange 6+6 a
Avec un flamboiementde clarté trop étrange, 6+6 a
1395 Et la pensée humainea peur des vastes cris 6+6 b
Du génie, et du voldes immenses esprits. 6+6 b
L'âne reprit : — Hélas,hommes ! race chétive 6+6 a
Ayant plus de torpeurque d'initiative ! 6+6 a
Hélas, génie humain !hélas, esprit humain ! 6+6 b
1400 Qui, s'il fonde aujourd'hui,démolira demain, 6+6 b
Double, ayant Oui pour aileet Non pour carapace ; 6+6 a
Qui, sans savoir pourquoi,d'un pôle à l'autre passe, 6+6 a
Du plus noir du cloaqueau plus bleu de l'éther, 6+6 b
De Dante à Loriquet,de la bouche au sphincter ; 6+6 b
1405 Qui semble jeune et fort,et tout à coup se ride ; 6+6 a
Qui vole, plane, et boite,et, pour s'en faire un guide, 6+6 a
Va du condor à l'oie,et sur le fte met 6+6 b
Tantôt Herder ou Dante,et tantôt dom Calmet ; 6+6 b
Qui ferme l'œil sitôtqu'un peu d'aube y pénètre ; 6+6 a
1410 Qui, dans le même temps,trouve le moyen d'être 6+6 a
Virgile et Mœvius,ou Voltaire et Restif ; 6+6 b
Qui, pour être célesteen restant positif, 6+6 b
Se bâcle on ne sait quelaccoutrement lyrique 6+6 a
Fait de plume d'archangeet de poil de bourrique ! 6+6 a
1415 Plein d'hésitation,d'anxiété, d'effroi, 6+6 b
Bégayant juste assezpour dire : Je suis roi, 6+6 b
Kant, pour se déjugeril est toujours en verve ; 6+6 a
La contradictionest son fonds de réserve ; 6+6 a
Ne sondez pas, devantce frivole parleur, 6+6 b
1420 Ces questions : tombeau,sort, mystère, douleur ; 6+6 b
Il fuit de l'Inconnula sinistre falaise, 6+6 a
Sur ces pentes à picil se sent mal à l'aise, 6+6 a
Il hait ces mots profondsqui semblent infinis, 6+6 b
Il ferme sa croiséeau brouillard Leibniz, 6+6 b
1425 Dante, Eschyle, Reuchlin,Pythagore, Épicure, 6+6 a
Voyaient du noir destinpendre la corde obscure ; 6+6 a
Il tâche de sortirde dessous les grands cieux ; 6+6 b
Mais il n'est hors de làqu'un badaud vicieux, 6+6 b
Mais il ne sait pas mêmeêtre un Chrysale honnête. 6+6 a
1430 Il rit du fil de l'ombre,étant marionnette. 6+6 a
Le lendemain, voilàla peur qui le reprend. 6+6 b
Fou, tour à tour d'orgieou d'aube s'empourprant, 6+6 b
L'homme mériterait,soit dit en style honnête, 6+6 a
D'avoir, ainsi que moi,sur le haut de la tête 6+6 a
1435 Deux conduits auditifstaillés en falbala ! 6+6 b
L'homme consent au beau,— s'il est utile. Il a 6+6 b
Le gt du médiocreet s'arrête à mi-côte ; 6+6 a
Il laisse en route ceuxdont l'idée est trop haute ; 6+6 a
Il ferait plus de casde l'Hékla que revêt 6+6 b
1440 La neige et d' le feujaillit, s'il y pouvait 6+6 b
Poser quelque marmiteénorme d'invalides ; 6+6 a
Au ver sacré qui fileau fond des chrysalides 6+6 a
Il demande un bonnetbien tiède, bien soyeux 6+6 b
Bien épais, qu'il se puisseabattre sur les yeux ; 6+6 b
1445 Il préfère Montmartreau mont Blanc, Athalie 6+6 a
À Macbeth, et son fiacreau char tonnant d'Élie ; 6+6 a
Entre Horace et Vadé,Vadé serait son choix. 6+6 b
Il se croit roi du globe,il en est le bourgeois. 6+6 b
VII
CONDUITE DE L'HOMME VIS-À-VIS DE LA CRÉATION
L'homme, orgueil titaniqueet raison puérile ! 6+6 a
1450 Montre-moi ce que faitce travailleur stérile, 6+6 a
Et montre-moi surtoutce qui reste de lui. 6+6 b
Depuis Ève, il s'est moinsaidé qu'il ne s'est nui. 6+6 b
Dis, que vois-tu de beau,de grand, de bon, de tendre, 6+6 a
De sublime, aussi loinque ton œil peut s'étendre 6+6 a
1455 Dans la direction marche ce boiteux ? 6+6 b
N'est-il pas lamentableet n'est-il pas honteux 6+6 b
Que cet être, niantce que font ses génies, 6+6 a
Accablant les Fultonet les Watt d'ironies, 6+6 a
Ayant un globe à lui,n'en sache pas l'emploi, 6+6 b
1460 Qu'il en ignore encorle but, le fond, la loi, 6+6 b
Et qu'après six mille ans,infirme héréditaire, 6+6 a
L'homme ne sache passe servir de la terre ? 6+6 a
Explique-moi le chantque chante ce ténor. 6+6 b
Le temps qu'il perd, ainsiqu'un prodigue son or, 6+6 b
1465 Échappe heure par heureà sa main engourdie ; 6+6 a
Dans la créationil met la parodie ; 6+6 a
Il n'entend pas les cieuxdire : Éclairons ! aimons ! 6+6 b
Lorsqu'il tente, il échoue ;en présence des monts 6+6 b
Il fait la pyramide,il dresse l'obélisque ; 6+6 a
1470 Il est le blême épouxde la vie, odalisque 6+6 a
Au sein gonflé de lait,aux lèvres de corail ; 6+6 b
Sultan triste, il ne saitque faire du sérail ; 6+6 b
Il voit auprès de luipasser, aidant ses vices, 6+6 a
Offrant à son néantd'inutiles services, 6+6 a
1475 Le jour, eunuque blanc,la nuit, eunuque noir. 6+6 b
Il met Dieu dans un templeen forme d'éteignoir, 6+6 b
Ou croit lui faire honneuren brûlant une cire. 6+6 a
Il dit à Dieu : Seigneur ;mais dit au diable : Sire. 6+6 a
Je te répète, ô Kant,que j'ai honte et mépris 6+6 b
1480 Des superstitions le pauvre homme est pris ; 6+6 b
Car, même quand il croit,quand il accepte un culte, 6+6 a
Son culte calomnieet sa croyance insulte ; 6+6 a
Il rêve un éternelméchant, pareil à lui. 6+6 b
Quand au monde créé,son incurable ennui, 6+6 b
1485 Comprenant peu l'auteur,comprend encor moins l'œuvre. 6+6 a
Dieu brille, l'homme siffle,écho de la couleuvre ; 6+6 a
L'homme siffle l'hiver,l'été, le froid, le chaud ; 6+6 b
La nature n'est pasà son gré, tant s'en faut ; 6+6 b
Le spectateur n'est pointenchanté du spectacle ; 6+6 a
1490 Et tandis qu'au-dessusde son frêle habitacle, 6+6 a
L'épanouissementdu gouffre resplendit, 6+6 b
Tandis que l'humble oiseaugazouille, ou que bondit 6+6 b
L'âpre ouragan ouvrantses gueules de gorgone, 6+6 a
Tandis que le jour chanteet rit, l'homme bougonne ; 6+6 a
1495 Dédaignant le réeld'après ses visions, 6+6 b
Cracheur de l'océandes constellations, 6+6 b
Faisant des ronds dans l'ombreaccoudé sur la berge, 6+6 a
Voyageur murmurantde sa chambre d'auberge, 6+6 a
Il déclare cecimauvais, cela manqué ; 6+6 b
1500 Bâille ; à la loterie,il emploie anankè ; 6+6 b
Se taille dans l'azurson ciel bête ; chicane, 6+6 a
En présence des nuitssans fond, le grand arcane ; 6+6 a
Proteste, et par momentss'irrite, et lestement 6+6 b
Blâme l'abîme et ditson fait au firmament. 6+6 b
1505 Que vous soyez croyant,soumis à l'amulette, 6+6 a
Mouton que mène un prêtreavec une houlette, 6+6 a
Ou douteur, et de ceuxsur qui d'Holbach prévaut, 6+6 b
Qu'importe ! toi l'impieet ton voisin dévot, 6+6 b
Vous êtes faits au fondde la même faiblesse ; 6+6 a
1510 Le fait vous déconcerteet le réel vous blesse ; 6+6 a
Ce qui vous excédaitdans l'art vous choque aussi 6+6 b
Dans la nature, gouffreétrange, âpre, obscurci ; 6+6 b
L'art était profond, noir,touffu ; le monde est pire ; 6+6 a
Vous ne traitez pas mieuxSabaoth que Shakspeare ; 6+6 a
1515 Et votre pauvre esprit,essayant Jéhovah, 6+6 b
Gronde et ne trouve pointque cet être lui va. 6+6 b
Pan vous déborde ; il esttrop tendre, il est trop rude. 6+6 a
Votre philosophieest une vieille prude, 6+6 a
Votre bigoteriea ses pâles couleurs. 6+6 b
1520 Vos encensoirs poussifssont envieux des fleurs ; 6+6 b
À votre sens, ce monde,auguste apothéose, 6+6 a
Ce faste du prodigeépars sur toute chose, 6+6 a
Ces dépenses d'un Dieucréant, semant, aimant, 6+6 b
Qui fait un moucheronavec un diamant, 6+6 b
1525 Et qui n'attache une aileau ver qu'avec des boucles 6+6 a
De perles, de saphirs,d'onyx et d'escarboucles, 6+6 a
Ces fulgores ayantde la splendeur en eux, 6+6 b
Ces prodigalitésde regards lumineux 6+6 b
Qui font du ciel lui-mêmeune effrayante queue 6+6 a
1530 De paon ouvrant ses yeuxdans l'énormité bleue, 6+6 a
Au fond c'est de l'emphase,et rien n'est importun 6+6 b
Comme l'immensitéde l'aube et du parfum 6+6 b
Et le couchant de pourpreet l'étoile et la rose 6+6 a
Pour vos religionsatteintes de chlorose ; 6+6 a
1535 Le grand hymen paniqueest fort dévergondé ; 6+6 b
Des sueurs du plaisirmai ruisselle inondé ; 6+6 b
Toute fleur en avrildevient une cellule 6+6 a
la vie épouséeet féconde pullule, 6+6 a
Et que protège à tortle ciel mystérieux ; 6+6 b
1540 À vous en croire, vousles jugeurs sérieux, 6+6 b
Quand ils vont secouantde leurs crinières folles 6+6 a
Tant de rosée à tantd'amoureuses corolles, 6+6 a
Les chevaux du matinont pris le mors aux dents ; 6+6 b
Et quand midi, le pluseffréné des Jordæns, 6+6 b
1545 Sur les mers, sur les monts,jusque dans votre œil triste, 6+6 a
Jette son flamboiementd'astre et de coloriste, 6+6 a
Rit, ouvre la lumièreénorme à deux battants, 6+6 b
Et met l'olympe en feu,vous n'êtes pas contents ; 6+6 b
Cela n'est pas correctet cela n'est pas sobre ; 6+6 a
1550 Vous regardez juilletavec des yeux d'octobre ; 6+6 a
Toute cette dorure,auréoles partout, 6+6 b
Clartés, braises, rayons,rubis, blesse le gt, 6+6 b
Et cette foudroyanteet splendide largesse 6+6 a
Est la divinité,mais n'est pas la sagesse. 6+6 a
1555 Bonshommes, vous jetezde l'encre à l'ial ; 6+6 b
Vous blâmez germinal,prairial, floal ; 6+6 b
Ces mois joyeux vous fontl'effet de jeunes drôles ; 6+6 a
Quand sur l'herbe, à traversle tremblement des saules, 6+6 a
Sur les eaux, les pistils,les fleurs et les sillons, 6+6 b
1560 Volent tous ces baisersqu'on nomme papillons, 6+6 b
L'éternel vous partun peu vif pour son âge ; 6+6 a
Le printemps n'est pas loind'être un libertinage ; 6+6 a
Le serpent sort lascifde l'étui de vieux cuir, 6+6 b
La violette s'offreen ayant l'air de fuir, 6+6 b
1565 L'aube éclaire le mondeavec trop d'énergie ; 6+6 a
Chastes, vous détournezla tête de l'orgie ; 6+6 a
Vous damnez la matière,indignés, affirmant 6+6 b
Que toute cette sèveet que tout cet aimant, 6+6 b
Finiront par s'userà force de débauche ; 6+6 a
1570 Et Calvin crie : Ordure !et Pyrrhon crie : Ébauche ! 6+6 a
Et Loyola tendantaux roses son mouchoir 6+6 b
Leur dit : Cachez ce seinque je ne saurais voir. 6+6 b
Ô Memphis ! Delphe ! Ombos !Mecque ! Genève ! Rome ! 6+6 a
Hypothèses, erreurs,religions de l'homme, 6+6 a
1575 Ignorance, folieet superstition 6+6 b
Dressant procès-verbalà la création ! 6+6 b
Ô théologienstoisant Dieu ! théosophes 6+6 a
De l'hymne sidéralchâtrant les sombres strophes, 6+6 a
Reprochant ses excèsau gouffre, gourmandant 6+6 b
1580 Le trop obscur, le tropprofond, le trop ardent, 6+6 b
Sondant, Orphée, Amos,la nue vous plongeâtes ! 6+6 a
Tribunal de boiteux,sénat de culs-de-jattes 6+6 a
Critiquant l'aigle altierdans l'étendue épars ! 6+6 b
Tas d'aveugles criantà l'éclair : Rentre ou pars ! 6+6 b
1585 Conseil de jardiniersjugeant la forêt vierge ! 6+6 a
Ô stupeur ! Siriuscontrôlé par le cierge ! 6+6 a
Naigeon qui dit : Raca !Calmet qui crie : Amen ! 6+6 b
Faisant à l'infinipasser son examen ! 6+6 b
Oui, te voilà, toi l'homme,et c'est là ta manière ; 6+6 a
1590 Le char d'Adonaïdoit suivre ton ornière ; 6+6 a
Et tu ne consens pasà l'univers, s'il est 6+6 b
Comme l'a fait la Causeet non comme il te plt ; 6+6 b
Il te froisse, il te gêne ;et, prêtre ou philosophe, 6+6 a
Tu réprouves la formeet tu blâmes l'étoffe ; 6+6 a
1595 Tu ne l'acceptes pass'il n'est contresigné 6+6 b
Par quelque apôtre d'ombreet de brume baigné ; 6+6 b
Le firmament seratel que tu le préfères, 6+6 a
Ou tu raturerasles globes et les sphères ; 6+6 a
Tu les coupes selonton patron deant. 6+6 b
1600 Citant à ton parquetl'inconnu, maugréant 6+6 b
Ici de ses laideurs,là de ses élégances, 6+6 a
Malmenant l'absolupour ses extravagances, 6+6 a
Tu lui lis son arrêtd'un ton bref et succinct. 6+6 b
Si le pôle n'est pointd'accord avec un saint, 6+6 b
1605 Si quelque astre tient têteà la bible et se mêle 6+6 a
De démentir un texte la lettre est formelle, 6+6 a
Le pôle est démagogueet l'astre est jacobin. 6+6 b
Quand un pape — je croisque ce fut un Urbain 6+6 b
Quelconque — condamnait,au nom de son messie, 6+6 a
1610 Le soleil à tournersous forme d'hérésie, 6+6 a
Qui dont t contreditle prêtre épouvantail ? 6+6 b
La cathédrale d'ombreouvrait son grand portail, 6+6 b
Les deux battants grinçaientdes gonds avec colère, 6+6 a
Rome mettait la mainsur le spectre solaire, 6+6 a
1615 L'église requéraitle secours de l'état, 6+6 b
Afin que le soleilconfus se retractât ; 6+6 b
Devant la nuit stupide,infirme et misérable, 6+6 a
Le jour, pâle, venaitfaire amende honorable ; 6+6 a
La vérité criait :Je mens ! et Patouillet 6+6 b
1620 Semonçait Galilée,et Dieu s'agenouillait. 6+6 b
L'immensité, sur toisinistrement penchée, 6+6 a
Luit ; la suprématieen fait une bouchée. 6+6 a
Ah ! tu n'es vraiment pasembarrassé de Dieu. 6+6 b
Que tu jures par Lockeou bien par saint Matthieu, 6+6 b
1625 Homme, athée en ta foicomme en ton ironie, 6+6 a
Tu crois qu'un ciel s'éteintdès qu'un prêtre le nie, 6+6 a
Imbécile ! ou qu'aprèston choc voltairien 6+6 b
Le monde est en poussièreet qu'il n'en reste rien. 6+6 b
Quoi ! tu veux dépecerle monde, toi l'atome ! 6+6 a
1630 Cette créationvaste, étrange, ignivome, 6+6 a
Monstre du beau, torpilleau contact foudroyant, 6+6 b
Dressant dans l'inconnuses cent têtes, ayant 6+6 b
Pour écailles des mers,des soleils pour prunelles, 6+6 a
Ce polype inouïdes vagues éternelles, 6+6 a
1635 Cet immense dragonconstellé, l'univers, 6+6 b
Tu le critiques, toi,le petit, le pervers, 6+6 b
Qui vis rongé de lèpreet meurs couvert de cendre, 6+6 a
Toi que le vice mord,toi dont la race engendre 6+6 a
Ce César qui broyaitvingt peuples douloureux 6+6 b
1640 Pour être appelé grand,et ce Poulmann affreux 6+6 b
Qui tuait un vieillardpour un verre de cidre ! 6+6 a
Mangé par l'acarus,tu veux dévorer l'hydre ! 6+6 a
VIII
CONDUITE DE L'HOMME VIS-À-VIS DE LA SOCIÉTÉ
L'âne un moment se tut,puis, sévère, dressa 6+6 b
Ses deux oreilles l'uneaprès l'autre :
— Homme ! — or çà 6+6 b
1645 Reprit-il, si, penchésur l'obscure ouverture, 6+6 a
Tu n'as pas compris Dieuni compris la nature, 6+6 a
Si tu n'as pas comprisce poème des jours, 6+6 b
Des nuits, des cieux, des voixprofondes, des bruits sourds, 6+6 b
Drame dont tu te croispourtant le personnage, 6+6 a
1650 Te tires-tu du moinsde ton propre ménage 6+6 a
Avec les faits posésdirectement sur toi, 6+6 b
Qui sont les uns ton jouget les autres ta loi ; 6+6 b
Joug qu'il faut rejeter,loi qu'il faut reconntre ? 6+6 a
Ces problèmes : avoirou n'avoir pas un mtre, 6+6 a
1655 Être de brume abjecteou de clarté vêtu, 6+6 b
Vivre libre ou foat,comment les résous-tu ? 6+6 b
Quel est le droit du fils ?quel est le droit du père ? 6+6 a
De quelle quantitéde passé doit-on faire 6+6 a
Le lest du temps présent ?dans le vote des lois 6+6 b
1660 Convient-il de donnerà la tombe une voix ? 6+6 b
L'homme doit-il avoirdeux existences, l'une 6+6 a
Offerte à la familleet l'autre à la commune ? 6+6 a
Qu'est-ce qu'une cité ?qu'est-ce qu'un citoyen ? 6+6 b
L'État est-il un but,ou n'est-il qu'un moyen ? 6+6 b
1665 Grâce à ton effort gaucheet bête pour extraire 6+6 a
Et tirer la clartéde l'erreur, son contraire, 6+6 a
Toutes ces questionsfument sans éclairer ; 6+6 b
Une épaisse vapeuren sort qui fait pleurer ; 6+6 b
D'un brouillard qui grandittoujours environnées, 6+6 a
1670 Obscures, elles sontcomme des cheminées 6+6 a
De ténèbres d' monteet se répand la nuit. 6+6 b
Pas un système vraine s'est encor produit ; 6+6 b
C'est en vain qu'on s'ébat,c'est en vain qu'on arguë ; 6+6 a
Et vingt siècles aprèsle verre de ciguë, 6+6 a
1675 Dix-huit cents ans aprèsle cri du Golgotha, 6+6 b
L'homme est encore au point Platon s'arrêta. 6+6 b
Ce que nous appelons :dérober son échine 6+6 a
Aux bons coups que l'ânierprémédite et machine, 6+6 a
Éviter le fossé,prendre le droit chemin, 6+6 b
1680 Lisser son poil, garderdu chardon pour demain, 6+6 b
Vous hommes, vous nommezcela la politique. 6+6 a
Mais là quelle ombre ! erreurmoderne, erreur antique ! 6+6 a
Quel épaississementet quel redoublement 6+6 b
De tout ce qui se trompeet de tout ce qui ment ! 6+6 b
1685 Querelle sur l'idéeet sur le fait ; querelle 6+6 a
Sur la loi convenueet la loi naturelle ; 6+6 a
Querelle sur le blanc,querelle sur le noir, 6+6 b
Et sur l'envers du droitqu'on nomme le devoir ; 6+6 b
Systèmes sociauxqui se gourment, s'escriment, 6+6 a
Et ferraillent, les yeuxbandés.
1690 Les uns suppriment 6+6 a
Les siècles, jetés basde leur trône lointain ; 6+6 b
Ils construisent, mettanten ordre le destin 6+6 b
Comme un vaisseau régléde la hune à la cale, 6+6 a
Une fraternitéblafarde et monacale 6+6 a
1695 Entre les froids vivantsque rien ne lie entre eux ; 6+6 b
Ce rêve fut déjàrêvé par les chartreux ; 6+6 b
L'homme est ronce et végète ;il est ver et fourmille ; 6+6 a
Plus de nom paternel,plus de nom de famille ; 6+6 a
Pas de tradition,pas de transmission ; 6+6 b
1700 L'être est isolementet disparition ; 6+6 b
Ils réduisent, voyantl'idéal dans la chute, 6+6 a
L'homme à l'individu,le temps à la minute ; 6+6 a
L'homme est un numérodans l'infini, flottant 6+6 b
Hors de ce qui l'engendreet de ce qui l'attend, 6+6 b
1705 Vain, fuyant, coudoyépar d'autres chiffres vagues ; 6+6 a
L'humanité n'est plusqu'un tremblement de vagues ; 6+6 a
Ayant vu les abus,ils disent : — Supprimons ; 6+6 b
Puisque l'air est malsain,retranchons les poumons ; 6+6 b
L'opprobre du passédoit emporter sa gloire ; — 6+6 a
1710 Ils rêvent une perteinfâme de mémoire, 6+6 a
Un monde socialsans pères, établi 6+6 b
Sur l'immensité morneet blême de l'oubli ; 6+6 b
Ils combinent Lycurgueet le pacha du Caire ; 6+6 a
L'homme enregistré ntet meurt sous une équerre ; 6+6 a
1715 Le pied doit s'embterdans le niveau, le pas 6+6 b
Doit avant de s'ouvrirconsulter le compas ; 6+6 b
De cette égalitédure et qui vit à peine, 6+6 a
La liberté s'en va,vieille républicaine, 6+6 a
Car elle est la rebelleet ne sait pas plier ; 6+6 b
1720 Chacun doit à son heureentrer à l'atelier, 6+6 b
Chacun a son cadran,chacun a sa banquette ; 6+6 a
L'homme dans un casieravec son étiquette, 6+6 a
Délié de son père,ignorant son aïeul, 6+6 b
C'est là le dernier motdu progrès, — l'homme seul. 6+6 b
1725 Ces fous mettraient un chiffreau blanc poitrail du cygne ; 6+6 a
Géomètres, ils fontun songe rectiligne ; 6+6 a
Esprits qui n'ont jamaiscontre terre écouté 6+6 b
Le silence du gouffreet de l'éternité, 6+6 b
Jamais collé l'oreilleau mur des catacombes, 6+6 a
1730 Cœurs sourds au battementmystérieux des tombes, 6+6 a
Chassant les disparus,parquant les arrivants, 6+6 b
Ils abolissent, plaieeffroyable aux vivants, 6+6 b
La solidaritésépulcrale des hommes. 6+6 a
— Mais l'homme est un total,les êtres sont des sommes ; 6+6 a
1735 Tout homme est composéde tout le genre humain ; 6+6 b
Aujourd'hui meurt, tronquéd'hier et de demain ; — 6+6 b
Ces vérités sont là ;qu'importe ! ils font le vide ; 6+6 a
Ils coupent, dans l'espaceinsondable et livide ; 6+6 a
Le fil sacré qui lieaux cercueils les berceaux ; 6+6 b
1740 Ils écrasent l'obscurtressaillement des os ; 6+6 b
Ils ne comprennent pointque dans la sépulture 6+6 a
La terre garde encoreune pâle ouverture, 6+6 a
Que le trépassé voit,et que l'enseveli 6+6 b
Parfois à son linceulfait faire un vague pli 6+6 b
1745 Afin d'apercevoirles hommes, et s'adosse 6+6 a
Pour écouter au murténébreux de la fosse ; 6+6 a
Du fond d'on ne sait quelleexistence on entend ; 6+6 b
À ce que fait la vieon reste palpitant ; 6+6 b
Ils ne comprennent pasque la sainte série 6+6 a
1750 Des aïeux, à traversle sépulcre attendrie, 6+6 a
Suit tout des yeux, s'émeutà voir hors du tombeau 6+6 b
Courir de main en mainle frissonnant flambeau, 6+6 b
Et que dans les enfantsle père continue. 6+6 a
Chose sombre ! fermerla paupière inconnue, 6+6 a
1755 Éteindre ce regardd'en haut, et, sans remords, 6+6 b
Étouffer ce grand souffleobscur ; tuer les morts ! 6+6 b
Tournant le dos au coindu ciel que l'aube dore, 6+6 a
Ayant pour lampe un crâne tremble le phosphore, 6+6 a
Objectant à tout faitnouveau leur surdité, 6+6 b
1760 Engloutis dans la casteet dans l'hérédité, 6+6 b
Ceux-ci, pires encor,sont l'extrême contraire. 6+6 a
À force d'être filson cesse d'être frère ; 6+6 a
Le père par l'aïeulest lui-même éclipsé ; 6+6 b
L'ancêtre seul existe ;il se nomme Passé ; 6+6 b
1765 Il est l'immense chefvénérable et stupide ; 6+6 a
Sa barbe est la sagesseet le beau c'est sa ride ; 6+6 a
Il est mort ; c'est pourquoilui seul est proclamé 6+6 b
Vivant, et d'autant pluspatent qu'il est fermé ; 6+6 b
Il s'est pétrifiédans sa morne attitude, 6+6 a
1770 Et son autoritéc'est sa décrépitude ; 6+6 a
Partout l'on se haitil a son point d'appui ; 6+6 b
Tout rentre en lui ; tout esthiérarchie, ennui, 6+6 b
Fauteuil patriarcal,ordre antique, loi, gêne ; 6+6 a
La famille alourdiea le poids d'une chne ; 6+6 a
1775 Le vieillard Autrefoisgouverne, et Maintenant 6+6 b
Pourrit dans le maraisdu genre humain stagnant ; 6+6 b
Les prêtres ténébreuxde ce fatal système 6+6 a
Murmurent sur l'oiseauqui s'éveille : Anathème ! 6+6 a
Malheur sur le matin !scandale sur l'amour ! 6+6 b
1780 Babel a vu nicherces hiboux dans sa tour ; 6+6 b
Ils sortent du talmudapportant dans leur griffe 6+6 a
Le dogme, le bandeau,le joug, l'hiéroglyphe ; 6+6 a
Ils sont le fanatisme,ils sont le préjugé ; 6+6 b
Durs, ils tiennent l'enfantdans les aïeux plongé ; 6+6 b
1785 Hélas, ils font leverla nuit sur tous les ftes ; 6+6 a
Jamais de novateurs,d'inventeurs, de prophètes ; 6+6 a
Jamais de conquérants,toujours des héritiers ; 6+6 b
Toujours les mêmes pasdans les mêmes sentiers ; 6+6 b
Le squelette lui-mêmeentre leurs mains s'encrte ; 6+6 a
1790 Ils n'ont qu'un cri de marche :En arrière ! une route, 6+6 a
La routine ; un regardl'aveuglement ; un Dieu, 6+6 b
Le grand fantôme d'ombreau fond du cachot bleu ; 6+6 b
C'est peu de la statue,il leur faut la momie ; 6+6 a
Ils reboivent l'horribleantiquité vomie ; 6+6 a
1795 Ces froids songeurs, penchéssur les âges défunts, 6+6 b
Ont les miasmes lourdsdes fosses pour parfums ; 6+6 b
Ce qui fut les enivreet ce qui vit les navre ; 6+6 a
Leur idéal a l'œilsinistre du cadavre ; 6+6 a
La nuit les aime ; ils sontses blêmes envoyés. 6+6 b
1800 Tous les rayonnementsde l'avenir noyés 6+6 b
Dans le grandissementde l'ombre des ancêtres ; 6+6 a
Les fils des serfs rivésaux pieds des fils des mtres ; 6+6 a
L'éternel échafaudsur l'enfer éternel ; 6+6 b
Autour d'Adam, chargédu crime originel, 6+6 b
1805 Les vieux siècles hagardspoussant des cris sauvages ; 6+6 a
La perpétuitéde tous les esclavages ; 6+6 a
Pierre et César joignantleurs glaives effrayants ; 6+6 b
L'autodafé chauffantla tiédeur des croyants ; 6+6 b
Le moins d'enfants possibleau seuil de la chaumière ; 6+6 a
1810 Torquemada pour flammeet Malthus pour lumière ; 6+6 a
Il n'existe qu'un droitpour être, avoir été ; 6+6 b
Le cimetière luit,c'est la seule clarté, 6+6 b
Et la traditionest l'unique atmosphère ; 6+6 a
Ce que l'aïeul a fait,l'enfant doit le refaire ; 6+6 a
1815 Voilà leur songe : hiver,glace, plomb, marbre, orgueil, 6+6 b
Exagérationlugubre du cercueil. 6+6 b
Derrière ces docteursfunèbres rien ne reste 6+6 a
Que le passé jetantsa figure funeste 6+6 a
Sur le réel, le jour,le travail, la moisson ; 6+6 b
1820 Tombe démesuréeemplissant l'horizon. 6+6 b
Rien de sain, rien de fort ;des larves dans la brume ; 6+6 a
Rien de vivant ; pour loide progrès la coutume ; 6+6 a
L'enfant pâle en naissant ;pour verbe un testament ; 6+6 b
Les cœurs morts ; le nocturneet morne étouffement 6+6 b
1825 Des jeunes nationspar les anciens empires ; 6+6 a
Les fils spectres râlantsous les pères vampires. 6+6 a
Ces deux systèmes vainssont hors de la raison 6+6 b
Et de la vérité,chacun à sa façon ; 6+6 b
L'un a le froc, et l'autrea la manche mahtre ; 6+6 a
1830 L'un refait le donjon,l'autre refait le cltre ; 6+6 a
Étranges en cecique d'un point opposé 6+6 b
Ils viennent l'un et l'autreaboutir au Passé ; 6+6 b
Et leur choc apparentest au fond la rencontre 6+6 a
Du rêve avec le dogmeet du Pour avec Contre. 6+6 a
1835 L'homme flotte de l'unà l'autre, de cela 6+6 b
À ceci, de Babeufil tombe en Loyola, 6+6 b
De Penn en Hildebrandet de Knox en de Maistre ; 6+6 a
Sous ses deux poings fermésle Passé le séquestre, 6+6 a
Et la Théocratie,au regard de bûcher, 6+6 b
1840 L'ayant pris une fois,ne veut plus le lâcher ; 6+6 b
L'ombre empêche le jouret l'œil de se rejoindre 6+6 a
Et jette la nuéeau rayon qui veut poindre ; 6+6 a
Quand viendra l'aube ? Hélas !la mauvaise saison 6+6 b
Est longue pour le vrai,le droit et la raison ; 6+6 b
1845 Le soleil est si lentqu'on peut douter qu'il vienne ; 6+6 a
L'horrible idolâtrieantédiluvienne, 6+6 a
Sombre, est le seul abrique l'homme ait sur le front ; 6+6 b
L'esprit humain, captifsous ce hideux plafond, 6+6 b
Agonise depuistout le temps qu'il hiverne 6+6 a
1850 Dans cette épouvantableet béate caverne. 6+6 a
Pauvres hommes, par l'homme,hélas, suppliciés, 6+6 b
Vous vous y prenez mal,mais, quoi que vous fassiez, 6+6 b
Vous êtes à l'attache,et la courroie est forte ; 6+6 a
Votre maigre scienceéconomique avorte ; 6+6 a
1855 Elle se nomme Faim,Désespoir, Buzançais ; 6+6 b
L'effort est vain ; aprèstoutes sortes d'essais, 6+6 b
Le joug tient, la douleurpersiste, le mal dure, 6+6 a
Vous ne détruisez pasla fatalité dure, 6+6 a
La loi de nuit, la loide mort, la loi de sang. 6+6 b
1860 Ah ! le malheur appelleet l'homme dit : Présent. 6+6 b
IX
CONDUITE DE L'HOMME VIS-À-VIS LUI-MÊME
Dieu, nature, cité ;la loi, l'esprit, la lettre ; 6+6 a
Mais à quel point de vueenfin faut-il se mettre 6+6 a
Pour trouver le bon sensde votre enseignement ? 6+6 b
Je feuillette et relistout l'homme vainement, 6+6 b
1865 Je ne vois point par son cœur s'améliore, 6+6 a
Je vois la nuit grandirsi je vois l'astre éclore. 6+6 a
Voyons, regarde un peu,bonhomme impartial. 6+6 b
Nous avons contre nousnotre angle facial, 6+6 b
Nous autres animaux ;on est, de par son crâne, 6+6 a
1870 Contraint d'être un chacalou forcé d'être un âne ; 6+6 a
L'instinct bas nous conduitpar le bout du museau ; 6+6 b
À quatre pattes, monstre !et nous portons le sceau 6+6 b
Du malheur, et l'infâmeartère carotide 6+6 a
Est mère de l'ours fauveet du pourceau fétide ; 6+6 a
1875 La matière est fatale,au moins l'homme le dit ; 6+6 b
La roche est antre afinque le loup soit bandit, 6+6 b
Le renard, c'est le vol ;l'autour, c'est la rapine ; 6+6 a
L'hyène a l'ongle ainsique la ronce à l'épine ; 6+6 a
Mais l'homme conscientet libre en son penchant, 6+6 b
1880 L'homme, qui peut choisir,d' vient qu'il est méchant ? 6+6 b
De quel droit êtes-vousdes tigres, vous les hommes ? 6+6 a
Que nous nous comportionsen brutes que nous sommes, 6+6 a
Soit ; mais vous, les espritscréés pour la clarté ? 6+6 b
Comment l'homme peut-ilpar une extrémité 6+6 b
1885 Être Homère, et par l'autreêtre Héliogabale ? 6+6 a
Et je ne parle pasici du cannibale, 6+6 a
Du cafre, du huronsinistre et paresseux, 6+6 b
Je parle des penseurs,des artistes, de ceux 6+6 b
Qui savent ce que c'estqu'une bibliothèque, 6+6 a
1890 De l'ami de Ronsard,de l'ami de Sénèque, 6+6 a
De Rome, de Paris,fte auguste, sommet, 6+6 b
Trône, Néron chantait, Charles neuf rimait ! 6+6 b
Vous êtes donc mauvaispour le plaisir de l'être ! 6+6 a
C'est votre vanitéqui partout vous pénètre, 6+6 a
1895 Et qui vous fait, tirantl'homme vers l'animal, 6+6 b
Entrer facilementdans les pores du mal. 6+6 b
Vanité ! tout chez vousest faux. L'or est du cuivre. 6+6 a
Chacun marche à côtédu chemin qu'il croit suivre ; 6+6 a
Le soldat se croit mtre,il est esclave, hélas, 6+6 b
1900 Et ce qu'il nomme épéeest souvent coutelas, 6+6 b
Et ce qu'il nomme gloireest toujours servitude ; 6+6 a
Le savant, qui d'Atlasimite l'attitude, 6+6 a
Ne sait pas ; l'ignorantn'ignore pas ; mettez 6+6 b
Deux autels côte à côteen vos noires cités, 6+6 b
1905 Puis demandez à l'undes deux prêtres qui passe 6+6 a
Son avis sur le prêtreet le temple d'en face ! 6+6 a
Le philosophe est grave,austère, froid, prudent, 6+6 b
Sublime, et de raisonsévère débordant ; 6+6 b
Il ne veut pas qu'on ailleet qu'on vive à sa guise, 6+6 a
1910 Mais dans la saintetédu devoir il aiguise 6+6 a
Et fourbit les mortelsà toutes les vertus ; 6+6 b
Ferme, il va redressanttous les instincts tortus ; 6+6 b
Ce qu'il dit est superbe,il excelle au dressage 6+6 a
De l'homme sans défaut ;mais lui-même est-il sage ? 6+6 a
1915 Non ; et, législateur,il vit hors de la loi. 6+6 b
Ô caillou, dit le fer,je coupe, grâce à toi, 6+6 b
Mais coupe donc toi-mêmeun peu, je t'en défie. — 6+6 a
Qui vous met à nu trouveune maigreur bouffie, 6+6 a
Une difformitéqui se masque et qui ment ; 6+6 b
1920 La vertu, si jamaisvous l'épousiez vraiment, 6+6 b
Vous quitterait bientôtpour cause de sévices ; 6+6 a
La fausse gloire germeet s'enfle sur vos vices, 6+6 a
Et cette fluxionn'est rien qu'un mal de plus. 6+6 b
L'homme dans son miroirse fait de grands saluts ; 6+6 b
1925 Le miroir les lui rend,mais dans son âme obscure 6+6 a
Il rit, et sait le fondde l'homme, étant mercure ; 6+6 a
Pas d'orgueilleux qui n'aithonte secrètement ; 6+6 b
Pas de prude qui n'aiten rêve quelque amant ; 6+6 b
Ah ! si l'on s'en allait,pour voir plus que son buste, 6+6 a
1930 Par quelque soupirailregarder dans un juste, 6+6 a
Comme il vous fermeraitson volet brusquement ! 6+6 b
Votre âme aime la nuitcomme son élément ; 6+6 b
En public vous cherchezla louange et l'estime, 6+6 a
Mais vous n'hésitez pasdans votre for intime 6+6 a
1935 À bâillonner et mêmeà tuer le témoin, 6+6 b
Le scrupule cachéqui tremble dans un coin ; 6+6 b
Votre probité plieet promptement expire ; 6+6 a
Le meilleur parmi vousest si proche du pire 6+6 a
Qu'entre eux, l'un étant saintet l'autre étant damné, 6+6 b
1940 Ils n'ont pas l'épaisseurd'un cheveu de Phryné ; 6+6 b
Évêque, on veut sa dîme,et, bailli, ses épices ; 6+6 a
L'argent, le lit, la table,autant de précipices ; 6+6 a
Le vin est un écueil,la femme est un récif ; 6+6 b
La conscience, bas,à Salomon pensif 6+6 b
1945 Disait plus de dix foispar jour : Vieille canaille ! 6+6 a
L'expérience austère,ô Kant, est la trouvaille 6+6 a
Qu'on ramasse en sortantdu vice ; on se flétrit, 6+6 b
On se forme ; chacundes sept péchés écrit 6+6 b
Une lettre du motcomposite : Sagesse. 6+6 a
1950 Votre philosophieadmirable, au fond, qu'est-ce ? 6+6 a
Rébellion, alorsqu'il faudrait méditer ; 6+6 b
Ou résignation,quand il faudrait lutter. 6+6 b
Et sur tous les sommets,trône, pavois, quadrige, 6+6 a
Oh ! comme vous avezaisément le vertige ! 6+6 a
1955 Quoique dauphin ou roi,ce jeune homme est charmant. 6+6 b
Il est né généreux,secourable, clément ; 6+6 b
Qu'un valet l'endoctrine,et c'est un mauvais prince. 6+6 a
Contre les courtisansvotre rempart est mince ! 6+6 a
Hélas, les hommes sontà ce point insensés 6+6 b
1960 Que pour changer un d'euxen tyran, c'est assez 6+6 b
D'une bouche bavantune bave imbécile ! 6+6 a
Ce chef-d'œuvre hideux,un despote, est facile ; 6+6 a
Quand Narcisse voulutun Néron, il le fit ; 6+6 b
Pour faire un Louis treizeun Luynes suffit ; 6+6 b
1965 Il ne faut pour celaqu'un peu de flatterie 6+6 a
Même par un crétingrossièrement pétrie ; 6+6 a
Pour tenter l'âme humaineet la précipiter, 6+6 b
Dom Escobar n'a pasbesoin d'argumenter, 6+6 b
Ni Satan d'allongersa caressante serre ; 6+6 a
1970 Un corrupteur d'espritn'est jamais nécessaire, 6+6 a
Et Jocrisse flatteurperdrait Socrate roi. 6+6 b
Et l'on me dit : Tu vasvénérer l'homme ! — En quoi ? 6+6 b
Mon vieux hi-han vaut bienses quatre ou cinq diphtongues, 6+6 a
Et plus que ses vertusmes oreilles sont longues. 6+6 a
1975 L'homme fait reculerl'heure sur le cadran, 6+6 b
Quitte la libertépour reprendre un tyran, 6+6 b
Flatte un dieu, tue un loup,rampe et se met à rire. 6+6 a
Ô triste genre humain !Veut-on pas que j'admire 6+6 a
Tout ce que dans toi-même,homme, tu dénigrais, 6+6 b
1980 Ton faux gt, ton faux jour,tes faux pas, ton progrès 6+6 b
Pourvu d'un appareilà reculer, tes songes, 6+6 a
Tes sens ayant leur borneainsi que des éponges, 6+6 a
Et tes opinions,tombant, se relevant, 6+6 b
Murmurant, parodieimbécile du vent ! 6+6 b
1985 Je vois l'homme à peu prèstel qu'il est, presque bête, 6+6 a
Presque génie, ayantson gouffre dans sa tête. 6+6 a
Tu te peuples d'erreurset tu reste désert. 6+6 b
Ta science te faittes jougs. À quoi te sert 6+6 b
Ce don libérateuret divin, la pensée ? 6+6 a
1990 Spartacus t'appartdans un thème au lycée, 6+6 a
Mais tu n'en conclus rien ;je l'ai dit, et c'est vrai, 6+6 b
Fouillez Mariana,Tacite, Mézeray, 6+6 b
L'homme est servile au pointque l'histoire en est lasse ; 6+6 a
Depuis quatre mille anset plus qu'il est en classe, 6+6 a
1995 Et qu'on lui montre à lireavec un air profond, 6+6 b
Et que ses magisters,rentrés, repus, se font 6+6 b
Servir des bouillons chaudsle soir par leurs phlipotes, 6+6 a
Il ne s'est pas encordélivré des despotes. 6+6 a
Ses docteurs vont disantpendant qu'il se débat ; 6+6 b
2000 Peuple ! aime ton césar.Âne ! adore ton bât. 6+6 b
Ces docteurs ! quels marchands !leur morale sévère, 6+6 a
Cela va se fêler,prends garde, c'est du verre. 6+6 a
La rencontre d'un roicoudoyant leur destin 6+6 b
Fait à leur probitérendre un son argentin. 6+6 b
2005 Ah ! ces savants sans fond,ces hommes de logique, 6+6 a
Roidissant en plis secsleur simarre énergique, 6+6 a
Ces forts calculateurs,ces raisonneurs abstraits 6+6 b
De quelque idéal troubleadorant les attraits, 6+6 b
Chastes, prudes, glacés,rigides, implacables, 6+6 a
2010 Ayant la majestédes cuistres impeccables, 6+6 a
Bonzes de la basocheou du pays latin, 6+6 b
Qui marchent rengorgésdans leur menton hautain, 6+6 b
Et chez qui l'attitudeescarpée est de mode, 6+6 a
Sois un tyran quelconque,un Phocas, un Commode, 6+6 a
2015 Un Christiern, le premierDomitien venu, 6+6 b
Sois le diable d'enfer,fourchu, barbu, cornu, 6+6 b
C'est à vendre ; et tu peuxacheter, si tu verses 6+6 a
Rondement un totalsuffisant de sesterces, 6+6 a
Piastres, louis, dollars,rixdallers, species, 6+6 b
2020 La raison de Cuvieret l'âme de Sieyès ! 6+6 b
Et quelle flatterieeffroyable que celle 6+6 a
Qui sort de ce monceaude honte universelle ! 6+6 a
Traverse-moi d'un boutà l'autre ce récit 6+6 b
Du passé que le deuildu présent obscurcit, 6+6 b
2025 Va de l'A jusqu'au Zed,va dans l'affreuse crypte 6+6 a
Du czar de Moscovieau pharaon d'Égypte ; 6+6 a
Pierre tue Alexiset Philippe Carlos ; 6+6 b
Sésostris fait du mondeun funèbre champ clos ; 6+6 b
Timour court sur l'Asieainsi qu'une avalanche ; 6+6 a
2030 Soliman, vieux et chauve,aïeul à barbe blanche, 6+6 a
Appelle ses enfantset joue au milieu d'eux, 6+6 b
Et le soir il les faitétrangler ; Sélim deux 6+6 b
Fait tirer le canonchaque fois qu'il est ivre ; 6+6 a
Osman, s'il voit un tigreen cage, le délivre ; 6+6 a
2035 Irène, l'Isabeaudu chaos byzantin, 6+6 b
Fait arracher les yeuxà son fils Constantin 6+6 b
Dans la chambre ce filssortit de ses entrailles ; 6+6 a
Charles sept dort pendantque La Hire et Saintrailles 6+6 a
Tiennent Talbot, Chandoset Bedfort en arrêt, 6+6 b
2040 Et que Jeanne à traversla fournaise appart, 6+6 b
Toute nue, au poteautordant ses bras sublimes ; 6+6 a
Justinien, faiseurde codes et de crimes, 6+6 a
Amoncelle encor plusde forfaits que de lois ; 6+6 b
Tudor fait un pendantmonstrueux à Valois ; 6+6 b
2045 Louis quatorze, au nomdu Christ qu'il dénature, 6+6 a
Couche la France aux ferssur le lit de torture ; 6+6 a
Léon dix se parjure,Albrecht fait un serment 6+6 b
Faux, et François premiertriche, et Charles Quint ment ; 6+6 b
Eh bien ! tous sont cléments,grands, glorieux, illustres ! 6+6 a
2050 Le moindre a son autelentouré de balustres ; 6+6 a
Il n'est pas un d'entre euxqui ne soit le meilleur ; 6+6 b
Quand ils meurent la terreest folle de douleur ; 6+6 b
Celui-ci fut un dieusur la machine ronde, 6+6 a
Cet autre fit pâlirla lumière du monde 6+6 a
2055 Le jour du milieudes vivants il sortit ; 6+6 b
Ô honte ! on trouveratoujours, grand ou petit, 6+6 b
Un homme pour verserces pleurs de crocodile ; 6+6 a
Ce sera Cantemir,si ce n'est Chalcondyle, 6+6 a
Si ce n'est Karamsin,ce sera Bossuet. 6+6 b
2060 Je voudrais l'âne sourdou bien l'homme muet. 6+6 b
Ô mon vieux Kant, la phraseest une grande fourbe, 6+6 a
On croit qu'elle se dressealors qu'elle se courbe 6+6 a
Tant la coquine metde pompe à s'aplatir. 6+6 b
Certes, le menu peupleest un saignant martyr ; 6+6 b
2065 Certe, un champ de carnageest affreux ; Tyr en cendre 6+6 a
Pour le plaisir d'un fouqui s'appelle Alexandre, 6+6 a
C'est dur ; Rosbach, Fornoueet Pultawa fumants, 6+6 b
Et ces égorgementset ces éventrements, 6+6 b
C'est hideux ; ces canonsdont les fauves gueulées 6+6 a
2070 Font accourir le soirles vautours par volées, 6+6 a
C'est noir ; triste est la lutteet triste est le butin ; 6+6 b
La bataille, ce jeude bagues du destin, 6+6 b
Dont la roue oscillantea des hasards sans nombre, 6+6 a
le vainqueur, tournantsur son destrier sombre, 6+6 a
2075 Rit et remporte au boutde sa lance un zéro, 6+6 b
C'est atroce et niais ;Mars est un vieux bourreau ; 6+6 b
Si devant tous les mortsqui, sur toute la terre, 6+6 a
Dans la plaine difformeet pâle de la guerre 6+6 a
Sont tombés, glaive au poing,depuis quatre mille ans, 6+6 b
2080 Si devant ces monceauxde squelettes sanglants 6+6 b
Le sépulcre faisaitdéfiler un cortège, 6+6 a
le brigand seraità côté du stratège, 6+6 a
Ô Kant, les os blanchisdans ces champs de malheur 6+6 b
Trouveraient le hérosressemblant au voleur, 6+6 b
2085 Et les fémurs brisés,les tibias, les crânes, 6+6 a
Ne distingueraient pointCésar de Schinderhannes ; 6+6 a
Certes, les bons humains,quoique chargés de fers, 6+6 b
S'ils consultaient leurs cœursou simplement leurs nerfs, 6+6 b
Jetteraient les sabreursbien vite à bas du trône, 6+6 a
2090 Bellone recevraitune cartouche jaune, 6+6 a
Et l'on vivrait en paixdans les pauvres hameaux ; 6+6 b
Mais les laquais lettrés,les rhéteurs, les grands mots, 6+6 b
Se mettent à genouxdevant ces saturnales ; 6+6 a
Suprême opprobre ! avecces maximes banales : 6+6 a
2095 — Que la guerre est un faitdivin ; — qu'elle a ses lois ; 6+6 b
— Qu'il faut juger à partles actions des rois ; — 6+6 b
La phrase, cette altièreet vile courtisane, 6+6 a
Dore le meurtre en grand,fourbit la pertuisane, 6+6 a
Protège les soudardscontre le sens commun, 6+6 b
2100 Persuade aux niaisque tous sont faits pour un, 6+6 b
Prouve que la tuerieest glorieuse et bonne, 6+6 a
Déroute la logiqueet l'évidence, et donne 6+6 a
Un sauf-conduit au crimeà travers la raison. 6+6 b
Toi l'homme, tu te metsvite au diapason ; 6+6 b
2105 C'est toi qu'on trahit, toiqu'on fraude, toi qu'on livre ; 6+6 a
C'est ta chair qu'à CésarShylock vend à la livre, 6+6 a
C'est ton sang dont Judastrafique, et c'est ta peau 6+6 b
Que Ganelon brocante,ô genre humain, troupeau ! 6+6 b
Homme, la corde au coule matin tu t'éveilles ; 6+6 a
2110 Mais quoi ! par tes deux yeuxet par mes deux oreilles, 6+6 a
C'est bien fait ! et, j'en prendsà témoin le ciel bleu, 6+6 b
Les trtres ont raison,car tu leur fais beau jeu. 6+6 b
Tes vices, tout d'abord,voilà les premiers trtres ; 6+6 a
Ils te remettent piedset poings liés aux mtres ; 6+6 a
2115 Au devant du joug vil,brutal, dur, inhumain, 6+6 b
Ta corruption faitles trois quarts du chemin ; 6+6 b
Doux au sergent de ville,aimable au garnisaire, 6+6 a
Lâche, entendant maliceà ta propre misère, 6+6 a
Plat, tu clignes de l'œilmême avec tes bourreaux. 6+6 b
2120 Tu vas léchant la patteénorme des héros ; 6+6 b
Charles douze et Cortezt'enivrent ; tu te pâmes 6+6 a
Devant Cambyse errantdans les villes en flammes ; 6+6 a
Tu compares Cyruset Clovis, mesurant 6+6 b
Ton admirationau sabre le plus grand ; 6+6 b
2125 C'était aux bords du Var,ils étaient cinq cent mille, 6+6 a
Marius les tua ;que c'est beau ! Paul-Émile, 6+6 a
Pompée, Othon, Sylla,quels fiers centurions ! 6+6 b
Quels soldats ! quels géants !et sur tes horions 6+6 b
Ta main inepte écrit :Victoires et Conquêtes. 6+6 a
2130 Nous n'en sommes pas là,nous autres ; pas si bêtes ! 6+6 a
Et quant à moi, morbleu !j'aurais bien du chagrin, 6+6 b
Étant Aliboron,d'admirer Isengrin. 6+6 b
Les hommes, — c'est ainsi,Dieu, que vous les créâtes, — 6+6 a
Sont les seules sourisdevant le chat béates, 6+6 a
2135 Heureuses de servirau matou de hochet ; 6+6 b
L'homme est le seul mulotcontent de l'émouchet, 6+6 b
Le seul mouton bêlantdes hymnes aux colères 6+6 a
Du tigre, et du lioncontemplant les molaires, 6+6 a
Le seul poisson qui danseet sonne du grelot 6+6 b
2140 Devant les triples rangsde dents du cachalot, 6+6 b
Le seul moineau, la seulealouette espiègle 6+6 a
Qui chante Te Deumdans la griffe de l'aigle. 6+6 a
Oui, c'est toujours, hélas,du côté des tueurs 6+6 b
Que ton enthousiasmea le plus de lueurs, 6+6 b
2145 Et, stupide, tu dis :La bataille est gagnée ! 6+6 a
Quand un boucher t'a faitune large saignée. 6+6 a
Mais voulusses-tu même,homme, te révolter, 6+6 b
Quelle convictionas-tu pour résister ? 6+6 b
Une religion,voilà le grand remède ; 6+6 a
2150 L'âme est le point d'appuisolide d'Archimède ; 6+6 a
La barricade est hauteet fière, et le beffroi 6+6 b
Est fort, quand les pavéset les cloches ont foi ; 6+6 b
Pour vaincre, il fait avoiraux reins une croyance ; 6+6 a
Le glaive flamboyantsort de la conscience ; 6+6 a
2155 Toi, jamais ton regardconvaincu ne brilla ; 6+6 b
C'est vrai, quand ta servanteet tes enfants sont là, 6+6 b
Ou ta femme en un coinraccommodant tes nippes, 6+6 a
Tu parles d'or, on voittes vertus, tes principes, 6+6 a
Et tes perfectionsque rien ne fait broncher, 6+6 b
2160 Dans tes graves discoursà la file marcher 6+6 b
Comme aux processionson voit passer des châsses ; 6+6 a
Mais, dès que tu le peux,tu jettes tes échasses, 6+6 a
Tu descends plus gmentque tu n'étais monté, 6+6 b
Et tu dis en soupantentre gaons : — Bonté, 6+6 b
2165 C'est duperie ; amour,combien dure l'ivresse ? 6+6 a
Chasteté, j'aime mieuxMargoton que Lucrèce ; 6+6 a
Dévouement, c'est niais,synonyme de grand ; 6+6 b
Vérité, c'est le piedtrop court de Talleyrand ; 6+6 b
Justice, instinct sacrévers qui l'âme s'élance, 6+6 a
2170 C'est une grande femmeavec une balance 6+6 a
Sculptée en marbre blancpar monsieur Cartellier ; 6+6 b
Guerre, c'est la charrueavec un timbalier ; 6+6 b
Rien n'est bon pour le blécomme un grand capitaine ; 6+6 a
Un Wagram, un Rocroy,tombant sur une plaine, 6+6 a
2175 Vaut le meilleur fumier ;la gloire est un engrais. — 6+6 b
Tu railles ce vaincuqu'on nomme le Progrès 6+6 b
Quand tu le vois liépar les hommes de proie ; 6+6 a
Et ce serait ta fête,et ce serait ta joie 6+6 a
Si tu pouvais, du fondde tes bouges obscurs, 6+6 b
2180 Noircissant le ciel mêmeet tous les rayons purs, 6+6 b
Toutes les vérités,toutes les certitudes, 6+6 a
Barbouiller la lumièreavec tes turpitudes, 6+6 a
Et charbonner la faceauguste du soleil. 6+6 b
Le flot tumultueuxet souple est ton pareil ; 6+6 b
2185 Il te prend par moments,comme un vent court sur l'herbe, 6+6 a
Des frissons, des élansde colère superbe, 6+6 a
De liberté, d'essorvers le jour, vers le bleu, 6+6 b
Vers le vrai, vers le beau,vers l'avenir, vers Dieu ; 6+6 b
Et tu passes ta vieensuite à t'en dédire. 6+6 a
2190 Rien est ton point d'appui,nihil ton point de mire ; 6+6 a
Ta science est un blocinforme de gravats ; 6+6 b
Conclusion : tu n'esqu'un drôle ; et je m'en vas. 6+6 b
Hommes, vous rendriezsceptique même un âne ! 6+6 a
Vous descendez sur nousen neige, et non en manne ; 6+6 a
2195 Vous refroidissez l'âmeen ses tristes exils. 6+6 b
Dieu nous fit humbles, soit ;vous, vous nous faites vils ; 6+6 b
Poussière qu'on était,hélas : on devient boue. 6+6 a
L'homme par calcul chanteou pleure, blâme, loue, 6+6 a
Divinise, diffame,exagère, amoindrit. 6+6 b
2200 Oui, la chauve-sourisdu doute en mon esprit 6+6 b
Ouvre hideusementsa livide membrane ; 6+6 a
Je sens en flots de nuitbouillonner sous mon crâne 6+6 a
L'encre qui dans les yeuxgoutte à goutte tomba. 6+6 b
Ce monde est un brelan.Le droit, le devoir, bah ! 6+6 b
2205 Laissez-moi donc tranquilleavec tous ces mots vides ! 6+6 a
Les hommes ont leur carteà jouer. Fous, avides, 6+6 a
Plutôt mauvais que bons,orageux, ténébreux, 6+6 b
Ils ont la haine au cœuret se mangent entre eux, 6+6 b
Tout en braillant : Honneur,fraternité, patrie ! 6+6 a
2210 Les principes sont làpour faire galerie ; 6+6 a
Et l'équité, le droit,la vertu, le devoir, 6+6 b
— S'ils existent pourtant,ce qu'il faudrait savoir, — 6+6 b
La probité, l'honneur,ou ce qu'ainsi l'on nomme, — 6+6 a
Disent là-haut, raillantle pauvre effort de l'homme : 6+6 a
2215 — Bien joué. Mal joué.Bravo, Machiavel ! 6+6 b
Ah ! crétin de Bayard !Malpole, very well ! — 6+6 b
Ô genre humain, un rient'enfle, et te rapetisse. 6+6 a
Ah ! oui, pardieu ! vertu,morale, honneur, justice ! 6+6 a
Qu'un grand forfait triomphe,on lui baise l'orteil. 6+6 b
2220 Ta conscience bâilleet tombe de sommeil, 6+6 b
La lueur du vrai trembleen sa terne prunelle, 6+6 a
Je te plains si tu n'asque cette sentinelle. 6+6 a
L'homme est guidé du fauxau vrai, du blanc au noir, 6+6 b
Par le mot intérêtqu'il prononce devoir. 6+6 b
2225 Toute action humaineest signée : Égoïste. 6+6 a
Je me résume, ô Kant,l'homme est triste. Il n'existe 6+6 a
Qu'un mérite ici-bas,c'est d'être riche ; il n'est 6+6 b
Qu'un esprit, et qui rendcharmant le plus benêt, 6+6 b
C'est d'être riche ; il n'est,et ce siècle l'affiche, 6+6 a
2230 Qu'une beauté, toujours,partout, c'est d'être riche ; 6+6 a
L'or ne connt que l'or,et devant les lingots 6+6 b
Le vice et la vertusont deux sombres égaux. 6+6 b
Voilà tout ce que saitla science.
La vie 6+6 a
Fait quelques pas tremblantsvers le bien, puis dévie. 6+6 a
2235 L'homme est un psaume, soit ;il est blasphème aussi ; 6+6 b
Son âme est une lyreau son peu réussi 6+6 b
l'honnête a sa corde, l'injuste a sa fibre ; 6+6 a
Dans son pauvre esprit loucheil tient en équilibre 6+6 a
Cauchon et Jeanne d'Arc,Socrate et Mélitus ; 6+6 b
2240 Il complète le biend' sortent ses vertus, 6+6 b
Hélas, avec le mald' sortent ses fétiches ; 6+6 a
Ce vers faux a Satanet Dieu pour hémistiches. 6+6 a
Homme, entre nous et toibien mince est la cloison, 6+6 b
Et l'aigle par devantpar derrière est oison. 6+6 b
2245 Ta cervelle est de boueet ton cœur est de pierre. 6+6 a
Tes docteurs chats-huantsdétournent leur paupière 6+6 a
Au resplendissementdu divin Hélios ; 6+6 b
Ils éclipsent avecun mur d'in-folios 6+6 b
Le ciel mystérieuxd' viennent les grands souffles ; 6+6 a
2250 Qu'est-ce qu'ils font de toi,ces bonzes, ces maroufles, 6+6 a
Ces talapoins lettrésaux discours pluvieux ? 6+6 b
Un vieux toujours enfant,un enfant toujours vieux. 6+6 b
Ton groupe sépulcrald'écolâtres ineptes 6+6 a
Prêche, érige les mortsen dogmes, en préceptes, 6+6 a
2255 T'assourdit d'un élogeinfâme de la nuit, 6+6 b
Allume un suif et dit :C'est un astre qui luit ! 6+6 b
Applaudit l'écrevisseet le crabe, et célèbre 6+6 a
Les reflux du présentdans le passé funèbre, 6+6 a
Si bien que tu ne sais,dans ton hébétement, 6+6 b
2260 Si tu vois Demain poindreau bas du firmament 6+6 b
Ou d'Hier qui revientla noire silhouette, 6+6 a
Si c'est l'affreux hibouqui chante, ou l'alouette, 6+6 a
Et si le mouvementque tu fais en rêvant 6+6 b
Te ramène en arrièreou te pousse en avant. 6+6 b
2265 Ta science te rendstupide, non sans peine. 6+6 a
Ô leurre ! la clef fausseouvre la porte vaine ; 6+6 a
Ta pensée est une ombre tu restes béant. 6+6 b
Oui, chez toi tout, hélas,arrive à duant, 6+6 b
La chimère au calcul,le fait à l'hypothèse, 6+6 a
2270 Ce qu'il faut qu'on proclameà ce qu'il faut qu'on taise, 6+6 a
Le silence à l'ennui,la parole au bâillon, 6+6 b
La pourpre d'Aspasieou d'Auguste au haillon, 6+6 b
La vie au noir cercueil,la plume à l'écritoire, 6+6 a
Les chiffres au zéro,les lettres à la gloire, 6+6 a
2275 Et le savant au prêtreet le prêtre au savant. 6+6 b
Qu'est-ce donc que tu mouds,réponds, moulin à vent ? 6+6 b
Ta sagesse te faitcastrat et te mutile. 6+6 a
L'homme, c'est l'impuissantfécondant l'inutile. 6+6 a
X
RÉACTION DE LA CRÉATION SUR L'HOMME
L'âne fit un silence,et, murmurant : — Voilà ! 6+6 b
2280 C'est ainsi. Je n'y puisque faire ! — il grommela : 6+6 b
Se contredire un peu,Kant, c'est le droit des gloses ; 6+6 a
Quand on veut tout peser,on rencontre des choses 6+6 a
Qui semblent l'opposéde ce qu'on avait dit ; 6+6 b
Non aux basques de Ouitoujours se suspendit, 6+6 b
2285 Riant de la logiqueet narguant les méthodes ; 6+6 a
Qui tourne autour d'un mondearrive aux antipodes ; 6+6 a
Kant, je n'userai pointde ce droit ; seulement 6+6 b
Après t'avoir montréles hommes blasphémant, 6+6 b
Niant, méconnaissantet méprisant la Chose, 6+6 a
2290 Cet océan l'Êtreinsondable repose, 6+6 a
Il faut bien te montrerla Chose enveloppant 6+6 b
Les hommes submergésdans Dieu qui se répand 6+6 b
Et qui sur eux se verseet qui se verse encore, 6+6 a
Tantôt en flots de nuit,tantôt en flots d'aurore ; 6+6 a
2295 Après t'avoir montrél'atome outrageant Tout, 6+6 b
Il faut bien te montrerla grande ombre debout. 6+6 b
Homme, ce monde est vaste,obscur, crépusculaire ; 6+6 a
L'immuable l'habiteet l'imprévu l'éclaire ; 6+6 a
Ce monde est éclatant,clair, ténébreux, mêlé 6+6 b
2300 De miracle orageux,de miracle étoilé ; 6+6 b
Il est souffle, âme, esprit,lit, chaos, cimetière ; 6+6 a
Dès qu'on veut essayerd'en trouver la frontière 6+6 a
Et de voir par-dessusla terrestre cloison, 6+6 b
À chaque pas que faitle marcheur, l'horizon 6+6 b
2305 Se prolonge, toujoursplus noir, toujours plus large ; 6+6 a
Or, et je dis ceci,passant, à ta décharge, 6+6 a
Qu'es-tu dans cet ensembleavec ton code, avec 6+6 b
Ton koran turc, ton tsinchinois, ton phédron grec, 6+6 b
Avec tes lumignonsque tu nommes lumières, 6+6 a
2310 Avec tes passionsbasses et coutumières 6+6 a
De tous les faits malsains,équivoques, pervers ? 6+6 b
Les blés sont d'or, les flotssont bleus, les bois sont verts, 6+6 b
L'être fourmille et luitdans les métempsycoses, 6+6 a
Juin sourit, couronnédu prodige des roses, 6+6 a
2315 L'univers resplendit,ivre et comme écumant 6+6 b
D'un vertige de vieet de rayonnement, 6+6 b
L'aurore chaque jourbâtit la galerie 6+6 a
Des heures dont le luxeà chaque pas varie, 6+6 a
Et le couchant construitau bout du corridor 6+6 b
2320 Des montagnes de pourpreet des portiques d'or ; 6+6 b
Tout déborde ; une sèveardente et décuplante 6+6 a
Du rocher au rocher,de la plante à la plante, 6+6 a
Court, traverse la brute,et, sous le firmament, 6+6 b
Le grand amour s'accoupleavec le grand aimant ; 6+6 b
2325 Toi l'homme, en tout celatu sens ton indigence ; 6+6 a
Tes besoins sont poséssur ton intelligence, 6+6 a
Et comme tu ne voisDieu, soleil de l'esprit, 6+6 b
Qu'à travers cette chairqui sur toi se flétrit, 6+6 b
L'ombre de tes haillonsse découpe en ton âme ; 6+6 a
2330 Ta difformité raille,attaque, hait, diffame ; 6+6 a
L'homme au besoin, funèbreet lamentable jeu, 6+6 b
Fait de son ineptieune ironie à Dieu ; 6+6 b
Il rit : — Hein, créateur,dit-il, sommes-nous bêtes ! — 6+6 a
Tu te tiens à l'écartdes cieux et de leurs fêtes ; 6+6 a
2335 Ton exiguïtéte rend hargneux, boudeur, 6+6 b
Mauvais ; car, la bontén'étant rien que grandeur, 6+6 b
Toute méchancetés'explique en petitesse. 6+6 a
Donc je te plains, sentantta profonde tristesse. 6+6 a
Les faits autour de toi,graves et recueillis, 6+6 b
2340 Vivent, et le mystèreépaissit son taillis, 6+6 b
Et laisse à ton regardjuste assez d'ouverture 6+6 a
Pour entrevoir leur vagueet sévère stature. 6+6 a
Averti dans ton flegmeet dans ta passion, 6+6 b
Sans cesse tu subisl'austère obsession 6+6 b
2345 Des êtres te montrantDieu sous leur transparence 6+6 a
Et l'espèce d'augusteet calme remontrance 6+6 a
Que te fait, selon l'heureet selon la saison, 6+6 b
Rien qu'en se déployantsur le vaste horizon, 6+6 b
La majesté profondeéparse en la nature ; 6+6 a
2350 Tu dis : La loi passéeet présente et future, 6+6 a
C'est moi ; je viens punir,damner, supplicier ! 6+6 b
Tu te déclares justeet juge et justicier ; 6+6 b
Tu mets ta toge et prendsla plus fière attitude, 6+6 a
Tu fais de l'évidenceet de la certitude, 6+6 a
2355 Résolvant tout, tranchanttel point mal éclairci 6+6 b
Réprouvant, flétrissant ;au bagne celui-ci, 6+6 b
Au gibet celui-là ;c'est bien, voici les astres ! 6+6 a
Autour de tes bonheurs,autour de tes désastres, 6+6 a
Autour de tes sermentsà bras tendus prêtés, 6+6 b
2360 Et de tes jugementset de tes vérités, 6+6 b
Les constellationscolossales se lèvent ; 6+6 a
Les dragons sidérauxs'accroupissent et rêvent 6+6 a
Sur toi, muets, fatals,sourds, et tu te sens nu 6+6 b
Sous la prunelle d'ombreet sous l'œil inconnu ; 6+6 b
2365 Toutes ces hydres ontdes soleils sur leurs croupes, 6+6 a
Et chacune est un monde,et chacun de ces groupes 6+6 a
S'offre à toi, triste Oedipe,et ces sphinx du cosmos 6+6 b
Ont leurs énigmes tousdont ils savent les mots ; 6+6 b
La création vit,stable, auguste, sacrée, 6+6 a
2370 Et fait en même tempsdans le vague empyrée 6+6 a
Un bruit d'inquiétudeet de fragilité ; 6+6 b
Un long tressaillementglisse dans la clarté, 6+6 b
Un frisson dans la nuitcourt sous la vte ignée ; 6+6 a
Homme, au-dessus de toi,quoique la destinée 6+6 a
2375 Semble avoir l'épaisseurdu bronze par instant, 6+6 b
Ton oreille, écoutantles ténèbres, entend 6+6 b
Tous les frémissementsd'une maison de verre. 6+6 a
Homme, pour t'empêcherd'oublier Dieu, pour faire 6+6 a
Par moments se dresseren sursaut ton sommeil, 6+6 b
2380 L'univers met sur toi,dans l'espace vermeil, 6+6 b
La nuit, ce va-et-vientmystérieux et sombre 6+6 a
De flambeaux descendant,montant, marchant dans l'ombre ; 6+6 a
Ce voyage des feuxdans l'océan d'en haut 6+6 b
S'accomplit sur ton front,et, toi, dans ton cachot, 6+6 b
2385 L'araignée homme, ayantton égoïsme au centre 6+6 a
De ton œuvre, et cachédans l'intérêt ton antre, 6+6 a
Inquiet malgré toide la splendeur des cieux, 6+6 b
Tu regardes, pendantton guet silencieux, 6+6 b
À travers les fils noirsde tes hideuses toiles, 6+6 a
2390 Ces navigationssublimes des étoiles. 6+6 a
Tout en te disant chefde la création, 6+6 b
Tu la vois, elle est là,la grande vision, 6+6 b
Elle monte, elle passe,elle emplit l'étendue ; 6+6 a
La chose incontestable,inexplicable, ardue, 6+6 a
2395 T'environne, entr'ouvrantses flamboyants secrets, 6+6 b
Pendant que des arrêts,des dogmes, des décrets 6+6 b
Sortent d'entre tes dentsqui claquent d'épouvante ; 6+6 a
Tu coupes, souverain,dans de la chair vivante, 6+6 a
Tu vas criant : Je suistrès haut, je suis le roi ! 6+6 b
2400 Tu proclames qu'au gréde ton caprice à toi 6+6 b
Telle action seramérite ou forfaiture, 6+6 a
Tu prends la plume et faisau droit une rature ; 6+6 a
Voilà qu'une blancheurpénètre la forêt 6+6 b
Et que la lune pâleet sinistre appart ; 6+6 b
2405 Le spectre du réeltraverse ta pensée ; 6+6 a
La loi vraie, immuableet jamais effacée, 6+6 a
Passe appuyant sur toison œil fixe et pensif. 6+6 b
Sur tes deuils, sur ton rireobscur et convulsif, 6+6 b
Sur ta raison souventfolle, toujours hautaine, 6+6 a
2410 Sur ton temple, qu'il soitde Solime ou d'Athène, 6+6 a
Sur tes religions,dieux, enfers, paradis, 6+6 b
Sur ce que tu bénis,sur ce que tu maudis, 6+6 b
Tu sens la pressiondu monde formidable ; 6+6 a
Ton âme, atome d'ombre,et ta chair, grain de sable, 6+6 a
2415 Ont sur elles les blocs,les abîmes, les nœuds, 6+6 b
Les énigmes du Toutlugubre et lumineux, 6+6 b
Et sentent, feuilletantvainement quelque bible, 6+6 a
Rouler sur leur néantl'immensité terrible. 6+6 a
Le zodiaque énorme,effrayant de clarté, 6+6 b
2420 Éternel, tourne autourde ta brièveté. 6+6 b
Tu le vois, et tu dis,l'épiant de la terre : 6+6 a
— Qu'est-ce donc qu'il me veut,ce fauve sagittaire ? 6+6 a
Qu'ai-je fait au lionqu'il me regarde ainsi ? — 6+6 b
Et tu frémis. —
Hélas !rien n'est par toi saisi ; 6+6 b
2425 Tu ne tiens pas le temps,tu ne tiens pas l'espace ; 6+6 a
Tous les faux biens, rêvéspar ton instinct rapace, 6+6 a
S'en vont ; derrière tousla tombe, âpre fossé, 6+6 b
Se creuse ; et chacun d'eux,après t'avoir blessé, 6+6 b
Passe à travers les doigtsde ton poignet tenace ; 6+6 a
2430 La minute elle-mêmeen fuyant te menace 6+6 a
Et, mouche au dard vibrant,se débat dans ta main. 6+6 b
L'aile d'un scarabéeet l'odeur d'un jasmin, 6+6 b
Si tu veux en sonderle fond, sont des abîmes. 6+6 a
Derrière toute cimeon trouve d'autres cimes. 6+6 a
2435 La présence invisibleet sensible de Dieu, 6+6 b
L'influence de l'ombre,à toute heure, en tout lieu, 6+6 b
Certaine, incorruptible,inexprimable, occulte, 6+6 a
Dérange ton calcul,ton optique, ton culte, 6+6 a
Ta morale, tes lois,ton doute, et par instant 6+6 b
2440 Te pousse dans le rêveautour de toi flottant, 6+6 b
Et te fait oscilleret perdre l'équilibre ; 6+6 a
Tu te sens garrottétout aussi bien que libre ; 6+6 a
Comment dire : La vieest cela ; la vertu 6+6 b
Est cela ; le malheurest ceci ; — qu'en sais-tu ? 6+6 b
2445 sont tes poids ? Commentpeser des phénomènes 6+6 a
Dont les deux bouts s'en vontbien loin des mains humaines, 6+6 a
Perdus, l'un dans la nuitet l'autre dans le jour ? 6+6 b
Avec quel diagrapheen prendre le contour 6+6 b
Et la dimension,n'ayant, dans ta masure, 6+6 a
2450 Ni le mètre réel,ni l'exacte mesure ? 6+6 a
Qu'est le bien ? qu'est le mal ?Tel fait est constaté ; 6+6 b
Soit ; il faut maintenantvoir l'autre extrémité ; 6+6 b
donc est-elle ? Allezla chercher dans les sphères. 6+6 a
Toutes les questionssont d'obscures affaires 6+6 a
2455 Que tu te fais avecles cieux illuminés ; 6+6 b
Le grand Tout intervient,toujours, partout ; prenez 6+6 b
L'existence la plusmisérable, n'importe ! 6+6 a
L'énigme de moi l'âneou de toi le cloporte ; 6+6 a
Qu'on la presse, on la voitsubitement grandir 6+6 b
2460 Et pendre du zénithou monter du nadir. 6+6 b
Rien n'est indifférentau gouffre ; le blasphème 6+6 a
Qu'on jette au firmamenttombe dans le problème ; 6+6 a
Qui sait si l'on n'a pasblessé quelque rayon ? 6+6 b
Mettre un pied sur un verest une question ; 6+6 b
2465 Ce ver ne tient-il pasà Dieu ? La sauterelle 6+6 a
Qu'il écrase en marchantfait songer Marc-Aurèle ; 6+6 a
Sur un moucheron mortPascal est accoudé. 6+6 b
Quel est le point connu,clair, épuisé, vidé ? 6+6 b
Que sais-tu ? Que veux-tudécidément conclure ? 6+6 a
2470 L'ombre fouette ta faceavec sa chevelure, 6+6 a
Et, t'effarant avecle ciel prodigieux, 6+6 b
T'aveugle en te jetantles soleils dans les yeux ; 6+6 b
Il te suffit un soir,fusses-tu Prométhée, 6+6 a
Ou Timon l'androphobeou Constantin l'athée, 6+6 a
2475 De voir les globes d'orau fond des noirs azurs 6+6 b
Flamboyer, affirmantle fait dont ils sont sûrs, 6+6 b
Pour que, devant l'horreurconstellée et sereine, 6+6 a
Un éblouissementpontifical te prenne ; 6+6 a
Alors tu sens en toil'homme en prêtre finir ; 6+6 b
2480 Tu ne peux plus leverles mains que pour bénir ; 6+6 b
Sous tes pieds chancelantstu sens vibrer la base, 6+6 a
Et tu t'évanouisdans la sinistre extase ; 6+6 a
Tu t'engloutis dans l'êtreineffable, insondé ; 6+6 b
Tu regardes roulerle monde comme un dé, 6+6 b
2485 Et ta propre figure,ombre et nuit, t'importune, 6+6 a
Mêlée à cette vasteet fatale fortune ; 6+6 a
Tu perds le sentimentet la proportion 6+6 b
De ton idée ainsique de ton action, 6+6 b
Voyant de toutes parts,dans l'azur, dans les nues, 6+6 a
2490 Monter autour de toides lueurs inconnues ; 6+6 a
Tu te penches, émud'un frisson sépulcral, 6+6 b
Sur l'étrange et tragiquehorizon sidéral ; 6+6 b
Tu tombes éperdudans les mélancolies 6+6 a
Des éclipses, des nuitssans fond, des parhélies, 6+6 a
2495 Des astres, des étherset des espaces bleus ; 6+6 b
Qu'es-tu, toi le terrestre,en ce tout merveilleux 6+6 b
gravitent les Mars,les Vénus, les Mercures ? 6+6 a
Tu tressailles d'un flotd'impulsions obscures ; 6+6 a
Tout se creuse sitôtque tu tâches de voir ; 6+6 b
2500 Le ciel est le puits clair,la tombe est le puits noir, 6+6 b
Mais la clarté de l'un,même aux yeux de l'apôtre, 6+6 a
N'a pas moins de terreurque la noirceur de l'autre ; 6+6 a
Tu dis à ton évêque :Homme, donc est Sion ? 6+6 b
Tu fais sa crosse en pointd'interrogation ; 6+6 b
2505 Tu charges la scienceinfirme qui laboure, 6+6 a
D'instruire ton procèsavec ce qui t'entoure ; 6+6 a
Mais qui donc oserabalbutier l'arrêt ? 6+6 b
Informer, à quoi bon ?juger, qui l'essaierait ? 6+6 b
Tu ne connais de rienle dernier mot ; tu poses 6+6 a
2510 Des arguments aux faits,des dilemmes aux choses ; 6+6 a
Mais comment décider ?Tout est mêlé de tout ; 6+6 b
La neige froide toucheà la lave qui bout ; 6+6 b
La compositiondu destin, quelle est-elle ? 6+6 a
L'être est-il un hasard ?l'homme est-il en tutelle ? 6+6 a
2515 Quel est le bon ? quel estle mauvais ? que doit-on 6+6 b
Ajouter à Draconpour en faire Caton ? 6+6 b
D' vient qu'on se dévoreet d' vient qu'on se tue ? 6+6 a
Est-ce qu'au papillonla fleur se prostitue ? 6+6 a
Le fumier est-il saintet frère du parfum ? 6+6 b
2520 Tout vit-il ? quelque chose,ô nuit, est-ce quelqu'un ? 6+6 b
D' vient qu'on nt ? d' vientqu'on meurt ? d' vient qu'on souffre ? 6+6 a
Par l'haleine qui sortde la bouche du gouffre 6+6 a
Ton miroir de l'injusteet du juste est terni, 6+6 b
Et ta balance trembleau vent de l'infini. 6+6 b
2525 Pour te tirer d'affaireétant si misérable, 6+6 a
Devant l'inaccessibleet dans l'impénétrable, 6+6 a
Devant l'éblouissantet splendide secret, 6+6 b
Pour être quelque choseet compter, il faudrait 6+6 b
Être saint, être pur,intègre avec l'abîme, 6+6 a
2530 Offrir à l'absolul'attention sublime, 6+6 a
Et savoir distinguerla véritable voix ; 6+6 b
Il faudrait s'écrier :J'aime, je veux, je crois ! 6+6 b
Sur l'énigme en traversde ton destin posée 6+6 a
Ce ne serait pas tropde faire une pesée 6+6 a
2535 Avec toute ta forceet toute ta vertu ; 6+6 b
Il ne faudrait pas êtreinepte, ingrat, têtu ; 6+6 b
Recevoir du bedeauqui sur vos berceaux veille 6+6 a
Une éducationannulante et pareille 6+6 a
À celle qu'aux matousfont les tondeurs du quai, 6+6 b
2540 Être un esprit métis,être un lion manqué 6+6 b
Qu'un cuistre abâtardit,qu'un marguillier mâtine ; 6+6 a
Hélas ! il ne faudraitpas être la routine, 6+6 a
Sourde, engrenant, toujoursavec le même ennui, 6+6 b
Aujourd'hui dans hier,demain dans aujourd'hui ; 6+6 b
2545 Il ne faudrait pas croireaux empiriques, vivre 6+6 a
Comme le chien, ayantpour grand talent de suivre ; 6+6 a
Te reptre d'exploits,de combats, d'échafauds, 6+6 b
D'esclavages, de verbeobscur, de savoir faux ; 6+6 b
T'en aller digérerbêtement dans ton gîte 6+6 a
2550 Tout ce qu'un sacristainde force t'ingurgite ; 6+6 a
Te plaire dans l'absurdeet t'y dénaturer ; 6+6 b
Opprimer l'homme utile,éclatant, l'abhorrer ; 6+6 b
Et le servir méchant,et l'admirer vulgaire ; 6+6 a
Il ne faudrait pas faireà tes flambeaux la guerre, 6+6 a
2555 Adorer tes bandeaux,tes jougs ; haïr tes yeux ; 6+6 b
Être l'adulateuren étant l'envieux ; 6+6 b
Et, lâche, apparteniraux deux puissances viles, 6+6 a
Par un point aux Néronset par l'autre aux Zoïles. 6+6 a
Ce monde est un brouillard,presque un rêve ; et comment 6+6 b
2560 Trouver la certitudeen ce gouffre tout ment ? 6+6 b
Oui, Kant, après un longacharnement d'étude, 6+6 a
Quand vous avez enfinun peu de plénitude, 6+6 a
Un résultat quelconqueà grands frais obtenu, 6+6 b
Vous vous sentez viderpar quelqu'un d'inconnu. 6+6 b
2565 Le mystère, l'énigme,aucune chose sûre, 6+6 a
Voilà ce qui vous boitla pensée, à mesure 6+6 a
Que la science y verseun élément nouveau ; 6+6 b
Et vous vous retrouvezavec votre cerveau 6+6 b
Toujours à sec au fonddes problèmes funèbres, 6+6 a
2570 Comme si quelque ivrogneeffrayant des ténèbres 6+6 a
Vidait ce verre sombreaussitôt qu'il s'emplit. 6+6 b
Ô vain travail ! science,ignorance, conflit ! 6+6 b
Noir spectacle ! un chaosauquel l'aurore assiste ! 6+6 a
L'effort toujours sans but,et l'homme toujours triste 6+6 a
2575 De ce qu'est le sommetauquel il est monté, 6+6 b
Comparant sa chimèreà la réalité, 6+6 b
Fou de ce qu'il rêvait,pâle de ce qu'il trouve ! 6+6 a
XI
TRISTESSE FINALE
L'âne continua,car la nature approuve 6+6 a
Ce couple, âne parlant,philosophe écoutant : 6+6 b
2580 Tu vois un être grave,imposant, important, 6+6 b
Un âne sérieux,complet, bon pour tout lire, 6+6 a
Un docteur, Kant, c'est vrai,je sais tout, c'est-à-dire 6+6 a
Que dans mon triste esprittout est doublé de rien ; 6+6 b
Je suis à la fois juif,parsi, turc, arien. 6+6 b
2585 J'entends dans mon cerveaubourdonner en tumulte 6+6 a
Le blanc, le noir, amen,raca, la foi, l'insulte, 6+6 a
Genève, Rome, Alcuind' sort Calvin, oui, non, 6+6 b
Cujas en droit civil,Flandrin en droit canon, 6+6 b
L'histoire aux pieds des rois,cette prostituée, 6+6 a
2590 L'abac et l'alphabet,et toute la nuée 6+6 a
Des érudits poussifset des rhéteurs fourbus 6+6 b
Depuis Sabbathiusjusqu'à Molaribus ! 6+6 b
Le fait d'hier s'y heurteà la chronique ancienne, 6+6 a
Henri de Gand s'y croiseavec Sixte de Sienne ; 6+6 a
2595 Et je ne comprends rienà tout ce morne bruit 6+6 b
Sinon qu'ayant cherchéle jour, je vois la nuit. 6+6 b
Du reste il est certainque, dans cette ombre noire 6+6 a
Qui sort de l'encre horribleet qu'on nomme grimoire, 6+6 a
À travers ces bouquins l'homme est si petit, 6+6 b
2600 C'est à moi qu'au totalla science aboutit, 6+6 b
Car, à ce blême jourdont la lueur avare 6+6 a
Joint le docteur d'Oxfordau docteur de Navarre, 6+6 a
J'ai vu de toutes parts,sur les vieux parchemins, 6+6 b
L'ombre de mon profiltomber des fronts humains. 6+6 b
2605 Adieu, sorbonnes, bancs,temples, autels, boutiques ! 6+6 a
Adieu le grand dortoirdes préjugés antiques 6+6 a
Côte à côte assoupissur leurs brumeux chevets ! 6+6 b
Scholastiques du vide,adieu ! — Kant, si j'avais 6+6 b
Le loisir d'aspirerà quelque académie, 6+6 a
2610 Je ferais, de toute ombreet de toute momie, 6+6 a
De tous les vils setierssuivis par les moutons, 6+6 b
De tous les œufs cassés,de tous les vieux bâtons 6+6 b
D'aveugles, grands, petits,inconnus et célèbres, 6+6 a
De tous les brouillards prisà toutes les ténèbres, 6+6 a
2615 Et de tous les fumierspris à tous les marais, 6+6 b
Une collectionque j'intitulerais : 6+6 b
Exposé généralde la science humaine. 6+6 a
L'âne, ayant un peu brait,termina :
— Je m'emmène ! 6+6 a
Ô Kant ! je redescends,avide d'ignorer ! 6+6 b
2620 J'étouffe ! oh ! respirer !respirer ! respirer ! 6+6 b
Mon œil est devenutrouble, nocturne et triste 6+6 a
Dans ces caves qu'emplitle jour séminariste. 6+6 a
J'ai des tiraillementsd'estomac. Mais ce n'est 6+6 b
Ni des textes que prendTrigaud sous son bonnet, 6+6 b
2625 Ni de tout ce chaosqu'un cuistre en sa mémoire 6+6 a
Fourre comme on emplitde loques une armoire, 6+6 a
Ce n'est point du fouillis,ce n'est point du fatras 6+6 b
Qui fit Siffret jadissi grand pour Carpentras, 6+6 b
Ce n'est point d'antiquailleet de pédagogie, 6+6 a
2630 Ce n'est pas du savoirque dans sa docte orgie 6+6 a
Mange le jésuiteou le génovéfain, 6+6 b
C'est de vie et d'azuret d'aube que j'ai faim ! 6+6 b
Je me sens sur la peau,de là ma pauvre mine, 6+6 a
Une démangeaisonde savante vermine, 6+6 a
2635 Grassi, de Galiléeodieux puceron, 6+6 b
Garasse, ce moustiqueimmonde de Charron, 6+6 b
Et Dasipodius,cet acarus d'Euclide. 6+6 a
Es-tu pour le fluide ?es-tu pour le solide ? 6+6 a
Tiens-tu pour l'idéal ?tiens-tu pour le réel ? 6+6 b
2640 Acceptes-tu Moïse,Hermès ou Gabriel ? 6+6 b
À quel Dieu remets-tuton âme ou ta machine ? 6+6 a
Est-ce au Brahma de l'Inde ?est-ce au Tien de la Chine ? 6+6 a
Es-tu pour Jupiter,pour Odin, pour Vichnou, 6+6 b
Pour Allah ? Laissez-moitranquille. Je suis fou. 6+6 b
2645 Je m'évade à jamaisde la science ingrate. 6+6 a
Il est temps que, rentrantdans le vrai, je me gratte 6+6 a
L'échine aux bons caillouxdu vieux globe éternel. 6+6 b
Je vois le bout vivantdu funèbre tunnel, 6+6 b
Et j'y cours. J'apeois,à travers les fumées, 6+6 a
2650 Là-bas, ô Kant, un préplein d'herbes embaumées, 6+6 a
Tout brillant de l'écrinde l'aube répandu, 6+6 b
De la sauge, du thympar l'abeille mordu, 6+6 b
Des pois, tous les parfumsque le printemps préfère, 6+6 a
ce que la sagesseaurait de mieux à faire 6+6 a
2655 Serait de se vautrerles quatre fers en l'air. 6+6 b
Or, étant libre enfin,et ne voyant, mon cher, 6+6 b
Ici, pas d'autre ânierque toi le philosophe, 6+6 a
Pouvant finir mon chantde bête brute en strophe, 6+6 a
Je m'en vais, comme Jeanau désert s'en alla, 6+6 b
2660 Et je retourne heureux,rapide, et plantant là 6+6 b
L'hypothèse béateet le calcul morose, 6+6 a
Et les bibles en verset les traités en prose, 6+6 a
Locke et Job, les misselsainsi que les phédons, 6+6 b
De l'idéal aux fleurs,du réel aux chardons. 6+6 b
TRISTESSE DU PHILOSOPHE
2665 Et l'âne disparut,et Kant resta lugubre. 6+6 a
— Oui ! dit-il, la scienceest encore insalubre ; 6+6 a
L'esprit marche, baissantla tête et parlant bas ; 6+6 b
Et cette surditéde la bête n'est pas 6+6 b
Si stupide en effetque d'abord elle semble. 6+6 a
2670 Puisqu'aux mains du savoirle flambeau sacré tremble, 6+6 a
La protestationest juste.
Jusqu'au jour 6+6 b
la science aurapour but l'immense amour, 6+6 b
partout l'homme, aidantla nature asservie, 6+6 a
Fera de la lumièreet fera de la vie, 6+6 a
2675 les peuples verrontles puissants écrivains, 6+6 b
Les songeurs, les penseurs,les poètes divins, 6+6 b
Tous les saints instructeurs,toutes les fières âmes, 6+6 a
Passer devant leurs yeuxcomme des vols de flammes ; 6+6 a
l'on verra, devantle grand, le pur, le beau, 6+6 b
2680 Fuir le dernier despoteet le dernier fléau ; 6+6 b
Jusqu'au jour de vertu,de candeur, d'espérance, 6+6 a
l'étude pourras'appeler délivrance, 6+6 a
les livres plus clairsrefléteront les cieux, 6+6 b
tout convergeravers ce point radieux : 6+6 b
2685 — L'esprit humain meilleur,l'âme humaine plus haute, 6+6 a
La terre, éden sacré,digne d'Adam son hôte, 6+6 a
L'homme marchant vers Dieusans trouble et sans effroi, 6+6 b
La douce libertécherchant la douce loi, 6+6 b
La fin des attentats,la fin des catastrophes. — 6+6 a
2690 Oui, jusqu'à ce jour-là,tant que les philosophes, 6+6 a
Prêtres du beau, d'autantplus vils qu'ils sont plus grands, 6+6 b
Seront les courtisanspossibles des tyrans ; 6+6 b
Tant qu'ils conseillerontCésar qui délibère ; 6+6 a
Tant qu'Uranie iras'attabler chez Tibère ; 6+6 a
2695 Tant que l'astronomieau vol sublime et prompt, 6+6 b
Et la métaphysique,et l'algèbre seront 6+6 b
Des servantes du crimeet des filles publiques ; 6+6 a
Tant que Dieu loucheradans leurs regards obliques ; 6+6 a
Tant que la vérité,mère des droits humains, 6+6 b
2700 Ô douleur ! sortiradifforme de leurs mains ; 6+6 b
Tant qu'insultant le juste,abjects, creusant sa fosse, 6+6 a
Les scribes saluerontla religion fausse, 6+6 a
Le faux pouvoir, Caïpheà qui Néron se joint ; 6+6 b
Tant que l'intelligence,hélas, ne sera point 6+6 b
2705 La grande propagandeet la grande bravoure ; 6+6 a
Tant qu'épris des faux biensque le méchant savoure, 6+6 a
Les froids penseurs prendrontl'erreur pour minerai ; 6+6 b
Tant qu'ils ne seront pasles Hercules du vrai, 6+6 b
Acceptant du progrèsles gigantesques tâches ; 6+6 a
2710 Tant que les lumineuxpourront être les lâches ; 6+6 a
Tant que la science, angeà qui l'Être a parlé, 6+6 b
Infâme, baisserasur son front constellé 6+6 b
Ce capuchon sinistreet noir, l'hypocrisie ; 6+6 a
Tant que de l'air des courselle sera noircie ; 6+6 a
2715 Tant qu'on admirerace Bacon effrayant, 6+6 b
Ce monstre fait d'azuret d'infamie, ayant 6+6 b
Le cloaque dans l'âmeet dans les yeux l'étoile ; 6+6 a
Tant qu'arrêtant l'espritqui veut mettre à la voile, 6+6 a
D'abjects vendeurs pourront,sans être foudroyés, 6+6 b
2720 Dire au seuil rayonnantdes écoles : Payez ! 6+6 b
Tant que le fisc tendradevant l'aube sa toile ; 6+6 a
Tant qu'Isis lèverapour de l'argent son voile, 6+6 a
Et pour qui n'a pas d'or,pour le pauvre fatal, 6+6 b
Le fermera, Phrynésombre de l'idéal, 6+6 b
2725 Oui, quand même, ô ciel noir,seraient là réunies 6+6 a
Les pléiades des frontsradieux, des génies, 6+6 a
Des Homères aïeuxet des Dantes leurs fils, 6+6 b
Oui, contre Athènes, Rome,et Genève, et Memphis, 6+6 b
Et Londre, et toi, Paris,et l'Inde et la Chaldée, 6+6 a
2730 Contre tout le rayon,contre toute l'idée, 6+6 a
Contre les livres pleinsde vérités dormant, 6+6 b
Contre l'enseignement,contre le firmament, 6+6 b
Et les esprit sans fin,et les astres sans nombre, 6+6 a
Les oreilles de l'âneauront raison dans l'ombre ! 6+6 a
SÉCURITÉ DU PENSEUR
2735 Ô Kant, l'âne est un âneet Kant n'est qu'un esprit. 6+6 b
Nul n'a jusqu'à présent,hors Socrate et le Christ, 6+6 b
Dans l'abîme le faitinfini se consomme, 6+6 a
Compris l'ascensionténébreuse de l'homme. 6+6 a
À force de songerson œil s'est éclairci ; 6+6 b
2740 Plane plus haut encore,et tu sauras ceci : 6+6 b
Tout marche au but ; tout sert ;il ne faut pas maudire. 6+6 a
Le bleu sort de la brumeet le mieux sort du pire ; 6+6 a
Pas un nuage n'estau hasard répandu ; 6+6 b
Pas un pli du rideaudu temple n'est perdu ; 6+6 b
2745 L'éternelle splendeurlentement se dévoile. 6+6 a
Laisse passer l'éclipseet tu verras l'étoile ! 6+6 a
Le tas des cécités,morne, informe, fatal, 6+6 b
A l'éblouissementpour fte et pour total ; 6+6 b
Le Verbe a pour racineobscure les algèbres ; 6+6 a
2750 Les pas mystérieuxqu'on fait dans les ténèbres 6+6 a
Sont les frères des pasqu'on fera dans le jour ; 6+6 b
L'essor peut commencerpar l'aile du vautour 6+6 b
Et se continueravec l'aile du cygne ; 6+6 a
Du fond de l'idéalDieu serein nous fait signe ; 6+6 a
2755 Et, même par le mal,par les fausses leçons, 6+6 b
Par l'horreur, par le deuil,ô Kant, nous avançons. 6+6 b
Querelle, petitesse,ignorance savante, 6+6 a
Tous ces degrés abjectsdont ton œil s'épouvante, 6+6 a
Sont les passages vilspar l'on va plus haut ; 6+6 b
2760 La lettre sombre, ô Kant,forme un splendide mot ; 6+6 b
Sans l'étage d'en basque serait l'édifice ? 6+6 a
L'homme fait son progrèsde ce qui fut son vice ; 6+6 a
Le mal transfigurépar degrés fait le bien. 6+6 b
Ne désespère paset ne condamne rien. 6+6 b
2765 Pour gravir le sublimeet l'incommensurable, 6+6 a
Il faut mettre ton pieddans ce trou misérable ; 6+6 a
Un chaos est l'œuf noird'un ciel ; toute beauté 6+6 b
Pour première enveloppea la difformité ; 6+6 b
L'ange a pour chrysalideune hydre ; sache attendre ; 6+6 a
2770 Penche sur ces laideurston côté le plus tendre ; 6+6 a
C'est par ces noirceurs-làque toi-même es monté. 6+6 b
Dieu ne veut pas que rien,même l'obscurité, 6+6 b
Même l'erreur qui sembleou funeste ou futile, 6+6 a
Que rien puisse, en criant :Quoi, j'étais inutile ! 6+6 a
2775 Dans le gouffre à jamaisretomber éperdu ; 6+6 b
Et le lien sacrédu service rendu, 6+6 b
À travers l'ombre affreuseet la céleste sphère, 6+6 a
Joint l'échelon de nuitaux marches de lumière. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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