Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_20/HUG970
Victor HUGO
LA PITIÉ SUPRÊME
1879
LA PITIÉ SUPRÊME
I
Les profondeurs étaientnocturnes et funèbres ; 6+6 a
Un bruit farouche, obscur,fait avec des ténèbres, 6+6 a
Roulait dans l’infiniqui sait le noir secret ; 6+6 b
Ce bruit était pareilau cri que jetterait 6+6 b
5 Quelque âme immense et sombreà travers l’étendue, 6+6 a
Luttant contre l’abîmeet volant éperdue ; 6+6 a
Puis cela devenaitun tumulte de voix ; 6+6 b
Toute la nuit grondaitet pleurait à la fois 6+6 b
Comme si l’horizonfauve et crépusculaire 6+6 a
10 N’était formé que d’ombreet plein que de colère ; 6+6 a
Clameur rauque ! il semblaitqu’ensemble on entendît 6+6 b
L’orageuse rumeurd’une mer qui bondit 6+6 b
Et les voix d’un forumqui parle et délibère. 6+6 a
― Honte, anathème, enfer,deuil ! Tibère ! Tibère ! 6+6 a
15 Tibère ! ― et d’autres noms,mêlés à celui-là, 6+6 b
Passaient : ― Procuste ! Achab !Denys ! Caligula ! 6+6 b
Sanche ! Alonze ! Clovis !Sennachérib ! Cambyse ! 6+6 a
Louis onze ! malheur !mort ! opprobre ! ― et la bise 6+6 a
Était comme une foule,et de ces noms proscrits 6+6 b
20 Chaque syllabe étaitfaite de mille cris ; 6+6 b
Et j’entendais : ― Saül !Omar ! Ivan ! Clotaire ! ― 6+6 a
Et de tout l’océanet de toute la terre, 6+6 a
Des chaumes, des palais,des masures, des vents, 6+6 b
Des croix, des millionsde lèvres des vivants, 6+6 b
25 Des mâchoires des mortsgrinçant leur affreux rire, 6+6 a
Des fumiers croupitce qui ne peut s’écrire, 6+6 a
Ces noms sortaient ainsique d’horribles oiseaux ; 6+6 b
Les squelettes n’avaientqu’à remuer leurs os 6+6 b
Pour en faire jaillirun de ces noms sinistres ; 6+6 a
30 Et des larves de rois,des ombres de ministres, 6+6 a
Richelieu, Louis treize,Arcadius, Rufin, 6+6 b
Fuyaient ; on entendaitdes voix dire : ― J’ai faim ! 6+6 b
J’ai froid ! quand donc viendrale jour ? la terre est noire ! 6+6 a
C’était le grand sanglottragique de l’histoire ; 6+6 a
35 C’était l’éternel peuple,indigné, solennel, 6+6 b
Terrible, maudissantle tyran éternel. 6+6 b
O malédiction,d’ viens-tu, misérable ? 6+6 a
La bouche d’ tu sors,c’est la plaie incurable, 6+6 a
C’est l’égout le sangfiltre en rouges caillots, 6+6 b
40 C’est l’entaille que fontles haches aux billots, 6+6 b
C’est le tombeau béant,c’est la fosse entr’ouverte 6+6 a
D’on ne sait quelle haleineagitant l’herbe verte. 6+6 a
O malédiction,d’ viens-tu ? De la nuit. 6+6 b
La dernière clartésous toi s’évanouit ; 6+6 b
45 Tu viens après le Crime,et répands sur le monde 6+6 a
Une autre obscuritéqui n’est pas moins profonde, 6+6 a
Et la façon dont toi,le Deuil, tu le combats 6+6 b
Fait tomber la penséeet l’âme encor plus bas ; 6+6 b
Et rien ne vit, et rienn’éclôt, et rien ne crée, 6+6 a
50 Et rien ne se consoleen ton horreur sacrée ; 6+6 a
Ce n’est qu’avec l’éclairque tu veux éclairer ; 6+6 b
Tu ne veux que punir,damner, désespérer, 6+6 b
Spectre, et tu fais servirà ces fatals usages 6+6 a
Les esprits, les rayons,les poètes, les sages, 6+6 a
55 Tout ce qui vient d’en haut,tout ce qui vient de Dieu ; 6+6 b
Ta caverne, ferméeau ciel clément et bleu, 6+6 b
N’admet qu’un flamboiementlugubre sous son porche ; 6+6 a
Un astre dans ta maindeviendrait une torche ; 6+6 a
Si tu pouvais, du fondde ton puits sépulcral, 6+6 b
60 Prendre à Saturne en feuson cercle sidéral, 6+6 b
Hélas, tu n’en feraisque l’anneau d’une chne ; 6+6 a
O malédiction,tu te nommes la Haine ; 6+6 a
Tu ne tends pas les bras,non, tu montres les poings. 6+6 b
Et je restai rêveur.Es-tu juste du moins ? 6+6 b
La malédictiona répondu :
65 — Je souffre. 6+6 a
Je juge. Le volcan,hagard, crache le soufre, 6+6 a
L’âpre océan l’écume,et l’homme la douleur. 6+6 b
Je suis ce qui débordeet tombe du malheur. 6+6 b
Je suis l’afflictionterrestre qui réclame, 6+6 a
70 Et s’irrite et granditjusqu’à devenir flamme ; 6+6 a
Je suis le râle amerde ce globe fatal ; 6+6 b
Je suis le hurlementdu sombre piédestal ; 6+6 b
Pourquoi m’insultes-tu,moi qui pleure ? L’ulcère 6+6 a
N’a-t-il donc plus le droitde dénoncer la serre, 6+6 a
75 La dent et la tenaille ?et, quelle est ton erreur ! 6+6 b
C’est moi le deuil ; c’est moil’effroi ; c’est moi l’horreur ; 6+6 b
L’étoile flamboyanteallongée en épée, 6+6 a
C’est moi ; je suis l’immenseet funèbre épopée 6+6 a
Qu’écrit au mur du crimeune lugubre main. 6+6 b
80 Et quant à ma justice,ô ver de terre humain, 6+6 b
Je m’appelle Isaïeet je m’appelle Dante. ― 6+6 a
Quel esprit ne plieraitsous cette voix grondante ? 6+6 a
Elle est la conscience ;elle a raison ; pourtant 6+6 b
Après qu’elle a parléle cœur n’est pas content, 6+6 b
85 Et l’on entend, au fondde l’infini qui pense, 6+6 a
Comme un profond soupird’une autre conscience ; 6+6 a
Et le songeur frissonneet reste soucieux 6+6 b
Entre ce cri terrestreet ce soupir des cieux. 6+6 b
Oh ! ces Dantes géants,ces vastes Isaïes ! 6+6 a
90 Ils frappent les fronts vilset les têtes haïes ; 6+6 a
Ils ont pour loi punir,trancher, supplicier ; 6+6 b
Ils sont la probitésinistre de l’acier ; 6+6 b
Nul homme n’est plus grandsous le ciel solitaire 6+6 a
Que ces archanges froidset tristes de la terre ; 6+6 a
95 Ils sont les punisseurs ;quand, jadis tout-puissant, 6+6 b
Songeant qu’il reste encordans ses ongles du sang, 6+6 b
Un coupable franchit,tremblant, presque en prière, 6+6 a
La porte de la tombe,il les trouve derrière ; 6+6 a
De tous les jours du crimeils ont le lendemain ; 6+6 b
100 Une balance énormeoscille dans leur main ; 6+6 b
La nuit a pour sommetleur formidable gloire ; 6+6 a
Ils sont les juges d’ombre,ils sont l’équité noire ; 6+6 a
Mais, gouffres ! laissez-moi,quel que soit le chemin, 6+6 b
M’évader d’un coup d’aileétrange et surhumain, 6+6 b
105 Et m’enfuir, et chercherla justice étoilée ! 6+6 a
II
Regardez cet enfantde cinq ans ; la feuillée 6+6 a
N’a pas d’oiseau plus pur,plus frais, plus ébloui ; 6+6 b
La bénédictionsemble sortir de lui ; 6+6 b
Tout en lui dit : ― Vivez !aimez-moi ! je vous aime. ― 6+6 a
110 Il est fait de candeuret de grâce suprême ; 6+6 a
Quoiqu’il ignore tout,il a l’air d’un flambeau ; 6+6 b
Trait d’union de l’aubeà l’ombre, il est si beau 6+6 b
Et si doux qu’on diraitque l’église et la fable 6+6 a
Ont dû, pour composercette tête ineffable, 6+6 a
115 Mêler l’enfant Jésuset l’enfant Cupidon ; 6+6 b
Son regard ingénufait l’effet d’un pardon ; 6+6 b
Et l’homme le plus durlui-même est sans défense 6+6 a
Devant cette adorableet radieuse enfance ; 6+6 a
Il est colombe, il estagneau ; ses cheveux d’or 6+6 b
120 Rayonnent ; il caresseet chante ; il est encor 6+6 b
Tout plein de la bontédivine ; il en arrive ; 6+6 a
C’est le nouveau venude la céleste rive ; 6+6 a
On dirait un petitarchange éblouissant ; 6+6 b
Il monte sur un trône ;oh non ! il y descend ; 6+6 b
125 Pourtant on sent en luila pauvre âme asservie, 6+6 a
La faiblesse profondeet sombre de la vie ; 6+6 a
Si beau qu’il soit, c’est l’hommeavec son frêle esprit ; 6+6 b
C’est de l’infirmitécharmante qui sourit ; 6+6 b
Notre fragilitéredoutable et frivole 6+6 a
130 Se mêle, ombre terrestre,à sa blanche auréole ; 6+6 a
Son pas tremble, et son frontploie ainsi qu’un roseau ; 6+6 b
Mais il n’en est pas moinsl’innocent du berceau, 6+6 b
Et dans ses beaux yeux clairs l’amour semble éclore 6+6 a
Il a du paradistoute l’immense aurore. 6+6 a
135 À présent regardezcet homme, Villeroy ; 6+6 b
Il vient, l’ange le voitapprocher sans effroi, 6+6 b
Et cet homme, du hautdu balcon de Versaille, 6+6 a
Lui montre au loin la fouleénorme qui tressaille 6+6 a
Et s’agite et se meut,bonne et calme d’ailleurs, 6+6 b
140 Le grand fourmillementdes hommes travailleurs, 6+6 b
Les pas, les fronts, les yeux,l’ouvrier aux bras rudes, 6+6 a
Les ondulationsdes vastes multitudes, 6+6 a
La ville aux mille bruitsvivants, graves et doux, 6+6 b
Et dit à cet enfant :Tout ce peuple est à vous ! 6+6 b
145 Vous avez ces enfants,ces hommes et ces femmes ; 6+6 a
Vous possédez les corps,vous possédez, les âmes ; 6+6 a
À vous leur toit, à vousleur or, à vous leur sang ; 6+6 b
Le champ et la maisonsont à vous ; ce passant 6+6 b
Vous appartient ; soufflezsi vous voulez qu’il meure ; 6+6 a
150 Toute vie est à vous,en tous lieux, à toute heure ; 6+6 a
Ce vieillard au front chauveest une chose à vous ; 6+6 b
Tous les hommes sont faitspour plier les genoux, 6+6 b
Vous seul êtes créépour vivre tête haute ; 6+6 a
Tous se trompent, vous seulne faites pas de faute ; 6+6 a
155 Dieu ne compte que vous,vous seul, au milieu d’eux ; 6+6 b
Votre droit est le droitde Dieu même ; et tous deux 6+6 b
Vous régnez, devant vousle monde doit se taire ; 6+6 a
Dieu n’a pas le ciel plusque vous n’avez la terre ; 6+6 a
Il est votre penséeet vous êtes son bras ; 6+6 b
160 Il est roi de là-hautet vous Dieu d’ici-bas. 6+6 b
Tout ce peuple est à vous.
Le pauvre enfant écoute. 6+6 a
Qui donc vient de parler ?C’est le démon sans doute ; 6+6 a
Non, c’est l’homme ; fatalparce qu’il est rampant ; 6+6 b
Le courtisan est faitdu ventre du serpent. 6+6 b
165 Affreux souffle embauméde la bouche pourrie ! 6+6 a
Crime ! ô le plus hideuxdes meurtres, flatterie ! 6+6 a
O de tous les poisonsle plus lâche, le miel ! 6+6 b
Crever les yeux d’une âmeà peine hors du ciel ! 6+6 b
Submerger dans l’orgueilune raison qui flotte ! 6+6 a
170 Dessécher un enfant,hélas ! faire un despote ! 6+6 a
Faire un prodigieuxégoïste ! un tyran 6+6 b
Arrêtant le progrèssur le divin cadran ! 6+6 b
Faire un être effrénéqui dira : — Je suis l’arche ! 6+6 a
Je suis l’autel ! ― pour quile genre humain en marche, 6+6 a
175 Le bien, le mal, les yeuxen pleurs, l’homme vivant, 6+6 b
Ne seront que de l’ombreet du bruit et du vent ! 6+6 b
Déchner un sinistreavenir dans le Louvre ! 6+6 a
Abuser du moment toute lèvre s’ouvre 6+6 a
Pour lui verser ce philtreexécrable et nouveau ! 6+6 b
180 Dénaturer un cœur !forcener un cerveau ! 6+6 b
Enivrer l’ignorance,enivrer l’innocence 6+6 a
Du formidable vinde la toute-puissance ! 6+6 a
Mettre, avec un sourireabject et triomphant, 6+6 b
Tout un peuple, hochet,dans la main d’un enfant, 6+6 b
185 Et les laisser roulerl’un et l’autre aux abîmes ! 6+6 a
Penseur ! qui que tu sois,ce sont là deux victimes. 6+6 a
Plains ce peuple, mais plainsl’enfant qu’on abrutit. 6+6 b
Mères ! ayez pitiéde ce pauvre petit ! 6+6 b
Pendant qu’un assassinsur son âme se dresse, 6+6 a
190 Tuant en lui l’amour,la vertu, la tendresse, 6+6 a
Prenant ses bons instincts,trtre, et les étouffant, 6+6 b
Il est là, doux et seul,et rien ne le défend. 6+6 b
Oh ! l’éducation !quel bienfait, ou quel crime ! 6+6 a
Frêle tête d’enfantqu’un idiot déprime ! 6+6 a
195 Sombre adulationqui mêle et qui pétrit 6+6 b
L’infini, l’absolu,dans un chétif esprit ! 6+6 b
Qui fait que désormais,la prenant à la lettre, 6+6 a
Un homme faible et néd’une femme va mettre 6+6 a
Son triste crâne étroit,fait pour durer si peu, 6+6 b
200 En équilibre avecle front même de Dieu, 6+6 b
Avec le profond cielplein d’ombre et plein de joie, 6+6 a
Avec ce grand cerveaude l’abîme flamboie 6+6 a
Le lever effrayantdes constellations ! 6+6 b
Et Louis quinze est fait.
O transformations ! 6+6 b
205 Oui, c’est fini ; l’enfanta bu la coupe sombre ; 6+6 a
Sa débile raisons’évanouit et sombre ; 6+6 a
― Tout ce peuple est à vous !― mot d’ Tibère sort ! 6+6 b
Breuvage qui rendraitinsensé le plus fort ! 6+6 b
Noir nectar ! cette mortde son âme, il y gte ; 6+6 a
210 Quelque chose de luis’éteint sous chaque goutte ; 6+6 a
Et le voilà qui vachanceler à jamais ! 6+6 b
Il sera le passantivre des hauts sommets. 6+6 b
― Tout ce peuple est à vous !― mot terrible ! à mesure 6+6 a
Qu’il y songe, il en sentplus avant la morsure ; 6+6 a
215 Une stupide joieavec un vaste ennui ; 6+6 b
Quelqu’un qui n’est pas luise développe en lui ; 6+6 b
L’ignorance en son cœurfiltre, marais immonde ; 6+6 a
Que sert de lire un livreétant mtre du monde ? 6+6 a
Apprendre, étudier,travailler, à quoi bon 6+6 b
220 Puisqu’on est roi de France,impeccable, Bourbon ? 6+6 b
Oh ! songer que ce trôneet ce sceptre et ce glaive 6+6 a
Aboutissent au vide,à la furie, au rêve, 6+6 a
Que cette clarté perdcelui qu’elle conduit, 6+6 b
Et que cette splendeurénorme est de la nuit ! 6+6 b
225 Donc la terre est à lui,les hommes et les femmes ! 6+6 a
Toutes les passionsl’allument de leurs flammes ; 6+6 a
Sa volonté devientplus fauve à tout moment ; 6+6 b
Il grandit ; et l’on sentpoindre lugubrement 6+6 b
L’ongle du tigre au boutdes ailes de l’archange ; 6+6 a
230 Il ne sait même pasqu’il déchoit et qu’il change ; 6+6 a
Il s’ignore imbécile,il s’ignore méchant, 6+6 b
Tant dans la voie obscure,hélas, il va penchant ! 6+6 b
Il vivra maintenanthors du vrai, dans un songe, 6+6 a
Ayant en lui, dans l’ombre son rêve le plonge, 6+6 a
235 La chimère de plus,l’humanité de moins ; 6+6 b
Plein d’opprobres devanttous les peuples témoins, 6+6 b
Il est cynique, il estinfâme, il est horrible ; 6+6 a
Il foule de l’azurla frontière impossible ; 6+6 a
Il se suppose au cielet l’enfer en lui crt ; 6+6 b
240 Il dit : Tout m’est permis,et seul j’existe. Il croit 6+6 b
Avoir sous ses talonsde la poussière d’astres ; 6+6 a
S’il en tire un plaisir,qu’importe cent désastres ! 6+6 a
Chaque jour il descendla honte d’un degré ; 6+6 b
Il délire ; il peut bientourmenter à son gré 6+6 b
245 Le peuple, puisque Dieutourmente la nuée ; 6+6 a
Il prend la vierge et faitune prostituée ; 6+6 a
Quoi ! n’est-il pas le roi,le mtre, le seigneur ? 6+6 b
L’homme lui doit son sang,la femme son honneur ; 6+6 b
Quoi qu’il fasse, il contientle droit et le mystère ; 6+6 a
250 S’il lui plt de mangerde la fange, la terre, 6+6 a
Qui l’adorerait loup,l’adorera pourceau ; 6+6 b
Chaque vice à son tourmet sur son front le sceau ; 6+6 b
Il fait de la puissanceun effort inutile ; 6+6 a
Il a sous lui son siècleen travail qu’il mutile ; 6+6 a
255 Il tient le sceptre ainsiqu’un aveugle un bâton ; 6+6 b
De toutes les grandeursredoutable avorton, 6+6 b
Être sans nom, qui, frêleet misérable en somme, 6+6 a
Fait de cendre et promisaux vers, n’est plus un homme, 6+6 a
Ayant un idéalimmonde pour milieu, 6+6 b
260 Échoué dans le monstreà mi-chemin du dieu. 6+6 b
III
Maintenant, que chacunsonde son propre abîme. 6+6 a
Voyons, quiconque vit,faible, fort, grand, infime, 6+6 a
Riche, pauvre, l’heureux,celui qui va pieds nus, 6+6 b
Les passants de la rueet les premiers venus, 6+6 b
265 Celui qui perd sa vieet celui qui la gagne, 6+6 a
Nous tous, supposons-nousportés sur la montagne, 6+6 a
Supposons-nous l’enfant,l’ignorant, l’innocent, 6+6 b
Avec le genre humainsous nos regards gisant, 6+6 b
Et la terre à nos pieds,vertigineuse et grande, 6+6 a
270 Qu’on nous donne ! ― À présent,qu’une voix nous demande 6+6 a
À nous qui sommes là,béants, sans point d’appui : 6+6 b
Est-il un seul de vousqui réponde de lui ? 6+6 b
Est-il un seul de vousqui dise : Je suis l’être 6+6 a
Que n’éblouira pointcette vaste fenêtre 6+6 a
275 Du pouvoir radieux,gigantesque et charmant ; 6+6 b
L’âme supérieureà l’empoisonnement ; 6+6 b
Je suis l’enfant plus sageet plus fort que l’ivresse, 6+6 a
Et je ne croirai pointla voix qui me caresse ; 6+6 a
La terre appartracomme un banquet joyeux, 6+6 b
280 Le monde s’offrira,je fermerai les yeux ; 6+6 b
On me tendra l’orgueil,la volupté, la gloire, 6+6 a
Et je refuserai,moi l’ignorant, d’y boire ; 6+6 a
Moi qui ne saurai rien,je devinerai tout ! 6+6 b
Est-il un seul de vousqui verra tout à coup, 6+6 b
285 Grâce aux hommes de ruseet de scélératesse, 6+6 a
S’ouvrir, sous sa faiblesseet sous sa petitesse, 6+6 a
Ce gouffre de splendeur,sans en devenir fou ? 6+6 b
Devant le monde entierfléchissant le genou 6+6 b
Et la toute-puissanceétoilée et terrible, 6+6 a
290 Est-il un seul de vousqui s’affirme infaillible ? ― 6+6 a
Qui donc, hors Jésus-Christ,osera dire : Moi ! 6+6 b
Reculez, reculezdevant ce gouffre : roi ! 6+6 b
Devant ce noir sommetdes vertiges : le trône ! 6+6 a
O vivants, soyez bons,priez, faites l’aumône. 6+6 a
295 À qui l’aumône ? À tous.Souvenez-vous qu’ici 6+6 b
La compassion sainteest une aumône aussi, 6+6 b
Et que la charitéqui nourrit et désarme, 6+6 a
Tombe des mains oboleet tombe du cœur larme ! 6+6 a
IV
Tyrannie ! escalierqui dans le mal descend ! 6+6 b
300 Obscur, vertigineux,fatal, croulant, glissant ! 6+6 b
Toutes les marches vontdécroissant de lumière ; 6+6 a
Et malheur à qui metle pied sur la première ! 6+6 a
C’est la spirale infâmeet trtre aboutissant 6+6 b
À l’ombre, et vous teignantles semelles de sang. 6+6 b
305 La conscience aveugley mène l’âme sourde. 6+6 a
À chaque pas qu’on fait,la chair devient plus lourde ; 6+6 a
L’animal sur l’espritpèse de plus en plus, 6+6 b
Et l’on se sent du souffleuniversel exclus ; 6+6 b
Aujourd’hui c’est la fauteet demain c’est le crime ; 6+6 a
310 On tuera demain ceuxqu’aujourd’hui l’on opprime. 6+6 a
Et l’on descend ainsique dans un rêve ; et l’air 6+6 b
Est plein de visions ;et, dans un blême éclair, 6+6 b
Tous les masques qui sontl’épouvante du monde, 6+6 a
Le lâche, le félon,le féroce, l’immonde, 6+6 a
315 Des profils effaréset des visages fous 6+6 b
Flottent…
― C’est toi, Caïn ?Noirs Césars, est-ce vous ? 6+6 b
L’odeur des encensoirsaux odeurs d’ossuaires 6+6 a
Se mêle, et, dans les plisdes longs draps mortuaires, 6+6 a
Tous les spectres sont là,sous l’affreux firmament, 6+6 b
320 Montant et descendantces degrés lentement ; 6+6 b
Chaque âme de tyran,misérable, est leur antre ; 6+6 a
Agrippine au flanc nucriant : Frappe le ventre ! 6+6 a
Ninus, Sémiramis,Achab et Jézabel, 6+6 b
Molay jetant sa cendreà Philippe le Bel, 6+6 b
325 Agnès la réprouvéeet l’excommuniée, 6+6 a
Berthe par la tenailleardente maniée, 6+6 a
Stuart sans tête, Albrechtsans langue, et Médicis, 6+6 b
Avec la Messalineet l’Alexandre Six, 6+6 b
Rôdent lugubrementle long de cette rampe ; 6+6 a
330 Lady Macbeth y cacheavec ses doigts sa lampe ; 6+6 a
Maude y tâte le corpsde son père encor chaud ; 6+6 b
Un effrayant chevaly trne Brunehaut 6+6 b
Et lui fait rebondirla tête à chaque marche ; 6+6 a
Et Cyrus, Josué,le sanglant patriarche, 6+6 a
335 Alaric, massacrantles peuples à genoux, 6+6 b
Passent en vous disant :Règne, et fais comme nous. 6+6 b
Chaque forfait vous parleet dit : Suis mon exemple. 6+6 a
On est dans un sépulcre,on se croit dans un temple. 6+6 a
Chaque marche, ô terreur !vivante sous vos pas, 6+6 b
340 Vous pousse affreusementvers la marche d’en bas : 6+6 b
― Descends, Charles ! descends,Frédéric ! descends, Pierre ! 6+6 a
Deviens de plomb, deviensd’acier, deviens de pierre ! 6+6 a
Le sang des bons aprèsle sang des innocents ! 6+6 b
Règne ! plus bas ! plus bas !descends ! descends ! descends ! ― 6+6 b
345 Se retenir ? comment ?Remonter ? impossible ! 6+6 a
Et l’on descend ; le jour,de moins en moins visible, 6+6 a
S’éteint sur les degréshideux ; et pas d’amis, 6+6 b
Pas de remords, ou biendes remords endormis, 6+6 b
Pas d’astre, aucun appui,nul guide, les cieux vides, 6+6 a
350 Le gouffre ; et l’on entendronfler les Euménides. 6+6 a
V
Hélas ! je me suis prisla tête dans les mains ; 6+6 b
J’ai contemplé la brume,éclairé les chemins, 6+6 b
J’ai songé ; j’ai suivide l’œil de la pensée 6+6 a
La grande caravanehumaine dispersée 6+6 a
355 Tantôt dans les bas-fonds,tantôt sur les sommets, 6+6 b
Avec ses chameliers,avec ses Mahomets, 6+6 b
Marchant sans but, sans ciel,sans soleil, sans patrie, 6+6 a
Blême troupeau montrantson épaule meurtrie, 6+6 a
Son dos sombre l’on peutcompter les nœuds du fouet ; 6+6 b
360 Tandis qu’au loin le ventténébreux secouait 6+6 b
Les barques sur la meret sur les monts l’yeuse ; 6+6 a
Tandis que, du cadranparque mystérieuse, 6+6 a
L’heure, coupant, dans l’air,sur la terre et les eaux, 6+6 b
Toutes sortes de filsavec ces noirs ciseaux, 6+6 b
365 Ouvrait et refermaitl’angle des deux aiguilles ; 6+6 a
Tandis qu’ainsi qu’un hommeest derrière des grilles, 6+6 a
Le jour pâle attendaitl’instant de remonter, 6+6 b
Lugubre, j’ai passédes nuits à méditer, 6+6 b
À regarder dans l’ombreinforme ce qui rampe, 6+6 a
370 Oubliant de moucherla mèche de ma lampe ; 6+6 a
Et, penché sur les filsorageux de Japhet, 6+6 b
Grave et n’ayant qu’un but,la justice, j’ai fait 6+6 b
Devant ma conscienceaustère compartre 6+6 a
L’homme qui fut le roi,l’homme qui fut le prêtre ; 6+6 a
375 J’ai passé la revueétrange des tyrans ; 6+6 b
Ces flamboyants voleursappelés conquérants 6+6 b
Ont répondu, pensifs,à l’interrogatoire. 6+6 a
Les princes, les héros,les chefs, toute l’histoire, 6+6 a
Ce Cambyse, le monstreidéal, qui mettait 6+6 b
380 Un bâillon même au lâcheimmonde qui se tait, 6+6 b
Les imans, les sultans,ces convulsionnaires 6+6 a
Qui dans leur poing crispétourmentent les tonnerres, 6+6 a
Déchnant au hasardlà guerre et le chaos, 6+6 b
Noirs, ayant dans les yeuxla stupeur des fléaux, 6+6 b
385 Este, Autriche, Valois,Plantagenet, Farnèse, 6+6 a
Et ces têtes de mortau regard de fournaise 6+6 a
Qui portent la couronneet qu’on nomme césars, 6+6 b
M’ont parlé ; j’ai sondéles pâles Balthazars, 6+6 b
Les Amurats ayantles supplices pour fêtes, 6+6 a
390 Vlad qui faisait clouerles turbans sûr les têtes, 6+6 a
Les Alexandres fouss’égalant à l’Athos, 6+6 b
Les majestés de pourpreaux immenses manteaux, 6+6 b
Roderic, Éthelred,Timôur, Isaac l’Ange, 6+6 a
Ortogrul dans le meurtreet Claude dans la fange, 6+6 a
395 Christiern, Jean le Mauvais,Jean le Bon, Richard trois ; 6+6 b
J’ai regardé de prèscette foule de rois 6+6 b
Comme on verrait un choixd’instruments de torture ; 6+6 a
Chaque monarque, avecsa tragique aventure, 6+6 a
Je l’ai considérédans le creux de ma main ; 6+6 b
400 Calme, j’ai fait de l’hommeet du temps l’examen ; 6+6 b
J’ai de chaque momieet de chaque squelette 6+6 a
Mesuré la hauteur,défait la bandelette ; 6+6 a
Mon scalpel a mêlédans sa dissection 6+6 b
Byzance avec Ducas,avec Joram Sion ; 6+6 b
405 J’ai confessé les lois,lâches entremetteuses ; 6+6 a
J’ai scruté les jours faux,les justices boiteuses, 6+6 a
L’impur flambeau des mœurssur qui le vent soufflait, 6+6 b
Sur le front des tyransj’en ai vu le reflet ; 6+6 b
Je les ai confrontéset pris l’un après l’autre, 6+6 a
410 J’ai vu, j’ai comparéleur nature à la nôtre ; 6+6 a
J’ai pesé les forfaits,j’ai dédoré les noms, 6+6 b
Et, frémissant, j’arriveà ceci ; Pardonnons ! 6+6 b
Le philosophe amer,que lé fait implacable 6+6 a
Obsède, et que l’histoireinexorable accable, 6+6 a
415 Triste d’avoir toujoursdevant son œil pensif 6+6 b
Les mêmes flots briséssur le même récif, 6+6 b
Indigné, devenudur et farouche à force 6+6 a
De voir avec le droitla loi faire divorce, 6+6 a
Et triompher l’épéeet la hache, et le mal 6+6 b
420 Retomber sur le frontsacré de l’idéal, 6+6 b
Perd patience et dit :
« ― La couronne est un crime ; 6+6 a
« Toute la royautén’est qu’un lugubre abîme ; 6+6 a
« Le seul pouvoir d’un roiqui vient après un roi 6+6 b
« C’est de faire changerd’attitude à l’effroi ; 6+6 b
425 « L’histoire est l’affreux puitsdu forfait solidaire ; 6+6 a
« Au bois de l’échafaudle bois du trône adhère ; 6+6 a
« Tout sceptre épouse un glaive,et la pourpre descend 6+6 b
« Sur les peuples en mareeffroyable de sang. 6+6 b
« Le droit divin, miasmehorrible ! et l’on respire, 6+6 a
430 « En régnant, la fureuret l’ombre avec l’empire ; 6+6 a
« C’est par un escalierde cadavres qu’on va 6+6 b
« À ces pavois sanglantsque la force éleva ; 6+6 b
« Leurs vrais degrés, ce sontles marches gémonies. 6+6 a
« Pour cinq ou six héros,pour deux ou trois génies, 6+6 a
435 « Que d’étranges bourreaux,que de fous, que de nains ! 6+6 b
« Et combien de Néronspour quelques Antonins ! 6+6 b
« Un roi de tous les rois,quoi qu’il fasse, est la somme. 6+6 a
« L’antique despotismeest le tourment de l’homme ; 6+6 a
« Depuis quatre mille ans,sous le grand ciel serein, 6+6 b
440 « L’humanité rugitdans ce taureau d’airain ; 6+6 b
« Et l’imprécationne choisit pas ; et l’ombre 6+6 a
« Ne sent pas un rayondans les douleurs sans nombre. 6+6 a
« Depuis quatre mille ansce globe, aveugle enfer, 6+6 b
« Pleure et grince des dentssous les trônes de fer ; 6+6 b
445 « Les rois sont des Plutonsdont la terre est l’Érèbe. 6+6 a
« Sur ces durs chevalets,guerre, famine, glèbe, 6+6 a
« Le genre humain râlaitdans le bagne fatal, 6+6 b
« Scié par deux bourreaux,l’ignorance et le mal ; 6+6 b
« La mort, entre ses doigtsqu’une flamme environne, 6+6 a
450 « Tournant l’horrible scie,en a fait la couronne. 6+6 a
« Est-il un roi sans deuil,sans trouble et sans remords ? 6+6 b
« Hélas ! en est-il unqui, s’il va chez les morts, 6+6 b
« Ne s’entende nommertout bas dans l’ossuaire ? 6+6 a
« Tout monarque est un plide l’immense suaire. 6+6 a
455 « Les meilleurs font pleurer,saigner, souffrir, crier ; 6+6 b
« Trajan est prescripteur,Titus est meurtrier ; 6+6 b
« Ces despotes sont horsde la loi naturelle. 6+6 a
« Et qu’est-ce que pourraitbégayer Marc-Aurèle 6+6 a
« Entre Octave, l’ancêtre,et Commode, le fils ? 6+6 b
460 « Tarquin tient Rome, Thèbeest sous Aménophis, 6+6 b
« Jean règne sur la neigeet Rustem sur les sables, 6+6 a
« Tous se mêlent dans l’ombre,et tous sont responsables ; 6+6 a
« On voit tous les mauvaissous les bons transparents. 6+6 b
« Nuit triste ! le lionet le loup sont parents ; 6+6 b
465 « On a le monde ; on mange,on rit, on se tutoie 6+6 a
« Entre vautours, d’un boutà l’autre de la proie ; 6+6 a
« Mahomet, appelantHildebrand par son nom, 6+6 b
« Lui frappe sur l’épauleet lui dit : compagnon ! 6+6 b
« Ah ! du fauve océantoute goutte est amère. 6+6 a
470 « Le Kremlin voit, pendantqu’il tette encor sa mère 6+6 a
« Poindre un rictus d’hyèneau petit Pierre enfant ; 6+6 b
« Charles-Quint, qui domptal’Europe en l’étouffant, 6+6 b
« Boa sombre, a pour filsle livide crotale ; 6+6 a
« La vieillesse est funèbreet l’enfance est fatale ; 6+6 a
475 « O mystère effrayantdes rois infortunés ! 6+6 b
« Démons quand ils sont morts,monstres dès qu’ils sont nés, 6+6 b
« Le genre humain les compteen comptant ses supplices, 6+6 a
« Et de tous leurs cercueilsleurs berceaux sont complices. 6+6 a
« Quand le peuple au gibets’agite agonisant, 6+6 b
480 « Pas un fil de la corde,hélas, n’est innocent ; 6+6 b
« Quand le monde est aux fersdans l’affreuse géhenne, 6+6 a
« Tout chnon a sa partdu crime de la chne. 6+6 a
« Est-il de bons rois ? Non,dit Épictète ; non, 6+6 b
« Dit Platon ; non, dit Jeanà Pathmos ; et Zénon 6+6 b
485 « Dit : Il est de bons roiscomme de bonnes haches. 6+6 a
« Les abeilles, les lys,les soleils, sont des taches. 6+6 a
« Henri quatre, l’histoireun jour dira de toi : 6+6 b
« Il n’était pas méchant,non, mais il était roi. 6+6 b
« Ah ! quand l’autodafélamentable s’allume, 6+6 a
490 « Quand le noir patientprend feu, se tord et fume, 6+6 a
« Une flamme peut-elle,alors que le brasier 6+6 b
« Mord la victime et chercheà s’en rassasier, 6+6 b
« Quand le mourant frémitdans l’angoisse dernière, 6+6 a
« S’isolant du bûcher,crier : Je suis lumière ! 6+6 a
495 « Non, pas un roi n’est bon,non, pas un roi n’est doux, 6+6 b
« Et tous sont dans chacunet chacun est dans tous. 6+6 b
« Peuple ! au moins jette-leurla haine expiatoire ! 6+6 a
« Tous ont au front la mainsanglante de l’histoire. 6+6 a
« Anathème sur tous !»
Et c’est précisément 6+6 b
500 Cette fatalitéqui fait mon tremblement. 6+6 b
Oh ! je me sens parfoisdes pitiés insondables. 6+6 a
Je gémis sur les grandset sur les formidables, 6+6 a
Sur les démons grondantset sur les dieux tonnants ; 6+6 b
Devant l’accablementdes sombres continents, 6+6 b
505 Devant l’horreur, devantl’antre de nos annales 6+6 a
Difforme et pénétréde lueurs infernales, 6+6 a
C’est à vous que je songeet que je compatis, 6+6 b
Tristesse des tyranssous la pourpre engloutis, 6+6 b
Souci mystérieuxdes rois, mélancolie 6+6 a
510 Du tigre méditantsur sa morne folie. 6+6 a
Pesant la conscience,observant l’horizon, 6+6 b
Je me prends à douterque le juge ait raison 6+6 b
Et que l’historientienne le vrai coupable. 6+6 a
Et du passé perdudans la brume impalpable, 6+6 a
515 Du présent moi-mêmeautrefois j’étouffais, 6+6 b
De ce gibet, le droit,de ce charnier, les faits, 6+6 b
De cette vision :Louvre, Cirque, Hippodrome, 6+6 a
Empereurs dégradésde l’empire par Rome, 6+6 a
Pierre et César rompantleur monstrueux hymen, 6+6 b
520 Papes noirs étendantdans les ombres la main, 6+6 b
Rois excommuniésà chandelles éteintes, 6+6 a
Attentats, échafauds,viol des choses saintes, 6+6 a
Peuples trahis, vendus,livrés, prostitués, 6+6 b
Les Narcisses heureux,les Thraséas tués, 6+6 b
525 Le despote faisanttoujours le personnage 6+6 a
Du crime, du poison,du poignard, du carnage, 6+6 a
De tout ce désespoirfauve et démesuré, 6+6 b
Hélas ! j’entends sortirce cri : miserere ! 6+6 b
Oui, pardonnons. Dieu saitavec quel soin sévère, 6+6 a
530 Touchant ces fronts d’airainet ces crânes de verre, 6+6 a
Triste, j’examinaisce tas de tout-puissants ; 6+6 b
J’étais là, respirantl’odeur du vieil encens, 6+6 b
Regardant sous le dieu,retournant la médaille ; 6+6 a
Je dérangeais le verqui dans les rois travaille, 6+6 a
535 Et mon esprit, perdudans l’horreur, s’enivrait 6+6 b
Du noir musée avecBossuet pour livret. 6+6 b
Eh bien, grâce !
VI
Voyons,vous tous, que quelqu’un vienne 6+6 a
Avec moi, jusqu’à l’ombreantédiluvienne, 6+6 a
Jusqu’au loup primitifNemrod ; puis remontons 6+6 b
540 À nos siècles chrétienset lettrés, à tâtons ; 6+6 b
Évoquons tous les rois,citons à notre barre 6+6 a
Guy le Baveux, Mainfroyle Noir, Jean le Barbare, 6+6 a
Mathias le Sanguinaireet Pierre le Cruel} 6+6 b
Suivons dans les tombeauxquelque âpre Ézéchiel 6+6 b
545 Qui pour nous ressusciteAureng-Zeb, et ranime 6+6 a
L’atroce Rhinomèteet l’impur Copronyme ; 6+6 a
Allons des Grecs aux Turcs,des émirs aux sophis, 6+6 b
Du schah tuant son pèreau czar tuant son fils ; 6+6 b
Faisons lever, hagards,tous ces hommes de l’ombre, 6+6 a
550 Macbeth, prince d’Angus,Oswy, roi de Northumbre, 6+6 a
Le Valentiniendormant avec ses ours, 6+6 b
Boris dans son Kremlin,Achmet dans les Sept Tours, 6+6 b
Les Pharaons couchésdans les hiéroglyphes, 6+6 a
Les satrapes, les deys,les lamas, les califes, 6+6 a
555 Les dresseurs de gibets,les trneurs de canons ; 6+6 b
Faisons l’appel des scheikset des soudans ; prenons 6+6 b
Tous les règnes en bloc,en masse tout l’empire ; 6+6 a
Interrogeons Eschyleet réveillons Shakspeare ; 6+6 a
Aux poètes sacrésfaisons des questions ; 6+6 b
560 Que nous répondraient-ilssi nous les attestions ? 6+6 b
― Ces hommes n’étaient paspires que d’autres hommes. 6+6 a
Ce qui fait les Césars,c’est l’air fatal des Romes ; 6+6 a
Tant qu’Isis voilerala raison, les Memphis 6+6 b
Et les Thèbes aurontles Pharaons pour fils ; 6+6 b
565 C’est l’atmosphère étrangeet terrible du trône 6+6 a
Qui fait Tudor à Londreet Phul à Babylone. 6+6 a
Nul n’est d’avance Achab,Domitien, Abbas ; 6+6 b
Non, non, il ne nt pointde démon ici-bas ; 6+6 b
Personne n’est créémoitié chair, moitié marbre ; 6+6 a
570 L’humanité n’a pointde fruit noir à son arbre ; 6+6 a
Non, celui qui fait toutet qui répond de tout 6+6 b
N’a pas mis un dragon,une hydre, un tigre, un loup 6+6 b
Dans cet enfant qui tientsa mère par la robe ; 6+6 a
Tout homme nt bon, pur,généreux, juste, probe, 6+6 a
575 Tendre, et toute âme éclôtétoile aux mains de Dieu. 6+6 b
Si ce cœur est glacé,c’est qu’on éteint son feu ; 6+6 b
Si cette aile est casséeet si cet esprit boite, 6+6 a
C’est qu’on l’a comprimédans une cage étroite ; 6+6 a
Si cet homme est affreux,c’est qu’on nous l’a jeté 6+6 b
580 Dans un moule de crimeet de difformité. 6+6 b
L’ignorance, d’ vientle deuil, d’ sort le vice, 6+6 a
À sept mamelles d’ombre,et chacune est nourrice 6+6 a
D’une des sept laideursdu mal, monstre sans yeux ; 6+6 b
Tout despote a sucéce lait mystérieux ; 6+6 b
585 Dès qu’il nt, on lui prendsa pensée, on l’efface ; 6+6 a
C’est un petit enfant,que voulez-vous qu’il fasse 6+6 a
Contre ce précepteureffroyable, le mal ? 6+6 b
Au delà de la vieet du destin normal 6+6 b
On lui fait un berceauterrible, les chimères 6+6 a
590 Vont le bercer pendantqu’il dort, hideuses mères ; 6+6 a
Son œil, cherchant le jour,s’ouvre pour ne pas voir ; 6+6 b
On l’emmaillotte avecce linceul, le pouvoir ; 6+6 b
Les intérêts abjects,groupés autour du mtre, 6+6 a
Lui retirent l’idéeet l’air, l’empêchent d’être, 6+6 a
595 Et, lui cachant le saint,le pur, le grand, le beau, 6+6 b
L’enferment dans lui-mêmeainsi qu’en un tombeau. 6+6 b
Le premier idiotvenu saisit et mène 6+6 a
Ce pauvre enfant roi horsde la raison humaine, 6+6 a
Et d’infimes laquais,en louant les défauts, 6+6 b
600 Dans cet œil qui fut vraimettent un regard faux. 6+6 b
S’il suffit d’un duc d’Albeou d’un Wolsey pour faire 6+6 a
À toutes les horreursqu’un lâche cœur préfère 6+6 a
Tomber les Henri huitet les Philippe deux, 6+6 b
Qu’est-ce donc quand ils ont,hélas, à côté d’eux, 6+6 b
605 Au lieu du triste eunuqueou du valet inepte, 6+6 a
Un vaste esprit, faisantde leur faute un précepte, 6+6 a
Flattant leur instinct fauveou leur impur souhait, 6+6 b
Alexandre Aristoteet Louis Bossuet ? 6+6 b
L’ignorance et la nuitsont les deux sœurs lugubres. 6+6 a
610 L’une a les cœurs malsains,les esprits insalubres, 6+6 a
Les cerveaux bas ; et l’autrea la stagnation 6+6 b
Des ténèbres pesantsur la création. 6+6 b
L’ignorance a les Tyrs,les Babels, les Sodomes, 6+6 a
La guerre et les combats,sombres tempêtes d’hommes, 6+6 a
615 D’ sortent les Césars,les Habsbourgs, les Capets ; 6+6 b
La nuit a le chaosdes nuages épais, 6+6 b
Ces tourmentes sous quil’étoile se dérobe, 6+6 a
Qui grondent, remuanttous les gouffres du globe 6+6 a
De la mer Caspienneau noir lac Michigan ; 6+6 b
620 Et l’une a le despote,et l’autre a l’ouragan. 6+6 b
Elles n’ont pas de cœur,pas de regard, pas d’ailes ; 6+6 a
Elles font de la mort ;dès qu’avec l’une d’elles, 6+6 a
En présence du sortet du doute, il est seul, 6+6 b
L’homme tremble ; elles sonttoutes deux le linceul ; 6+6 b
625 Et, soufflant les flambeaux,le guet-apens infâme 6+6 a
Que l’une fait au ciel,l’autre le fait à l’âme. 6+6 a
VII
J’ai vu l’Inde ; je plainsle morne tchandâla ; 6+6 b
Un homme fraterneljamais ne lui parla ; 6+6 b
Sa soif ternit le fleuve ;et devant son martyre 6+6 a
630 La cabane se fermeet la main se retire ; 6+6 a
Il est le réprouvéde l’eau, du pain, du seuil ; 6+6 b
On dirait que le feu,l’air et la terre en deuil 6+6 b
Le chassent, que le chample hait, que la matière 6+6 a
Le repousse et se tienthors de lui tout entière ; 6+6 a
635 Il est celui que nuln’abrite et ne reçoit. 6+6 b
Mais du moins, tel qu’il est,hélas, et, quel qu’il soit, 6+6 b
Il voit le jour de touset son âme lui reste ; 6+6 a
Et, quoiqu’on ait jetésur sa tête funeste 6+6 a
La lèpre et son dégt,la peste et son charbon, 6+6 b
640 Non, il n’est pas maudit,puisqu’il peut être bon. 6+6 b
Et maintenant voyezcelui-ci. La justice 6+6 a
Resplendit ; non pour lui.Que l’erreur l’abrutisse ! 6+6 a
Il est roi. Le progrès,lumineux et vivant, 6+6 b
Pour tout le genre humainéclôt, soleil levant ; 6+6 b
645 Lui, ne le verra pas.Chacun peut dans sa course 6+6 a
Boire à la vérité,la grande et chaste source ; 6+6 a
Lui seul, sombre altéré,n’en approchera point. 6+6 b
Le mot qu’on dit, le pasqu’on fait, le jour qui point, 6+6 b
N’existent pas pour lui ;son oreille est de pierre ; 6+6 a
650 Pas un rayon réeln’avertit sa paupière ; 6+6 a
Il semble que le sortn’ait pas d’autre intérêt 6+6 b
Que de le perdre ainsiqu’une horrible forêt ; 6+6 b
On lui crée, en dehorsde tous les autres hommes, 6+6 a
L’impossibilitéd’être ce que nous sommes ; 6+6 a
655 Sans guide en son désert,et n’ayant à choisir 6+6 b
Que du crime en cette ombre rampe son désir, 6+6 b
Ame aux vils appétitsdu ventre coutumière, 6+6 a
Hors de toute scienceet de toute lumière, 6+6 a
Banni de la raisonet de la vérité, 6+6 b
660 Dans la prodigieuseet folle obscurité 6+6 b
Qu’il rend en y passantplus lamentable encore, 6+6 a
Il erre, pariasinistre de l’aurore. 6+6 a
Et de ces deux damnés,dis, lequel plaindras-tu ? 6+6 b
L’un est hors du bonheur,l’autre, de la vertu. 6+6 b
665 Quel est le plus fatalet le plus solitaire, 6+6 a
Dis, l’homme qui n’a passa part de pain sur terre, 6+6 a
Ou l’homme qui n’a passa part de vérité ? 6+6 b
Ah ! pleurons sur le roi,ce grand déshérité ! 6+6 b
VIII
Les maudits ont besoinde têtes inclinées 6+6 a
670 Sur eux, sur leur mystèreet sur leurs destinées ; 6+6 a
Un regard sans courrouxleur semble une faveur ; 6+6 b
Et qui se pencherasi ce n’est le rêveur ? 6+6 b
Qui leur prodiguerala bonté vénérable ? 6+6 a
Qui donc ramasserale morceau misérable 6+6 a
675 Du czar doré jadis,du roi fleurdelysé ? 6+6 b
Qui donc aura soucidu vieux césar brisé ? 6+6 b
Dans ce monde l’histoireaffreuse n’illumine 6+6 a
Que des fourmillementsde tombe et de vermine, 6+6 a
Qui donc consolera ?qui donc, si ce n’est lui, 6+6 b
680 Sera l’auguste Jobdes opprobres d’autrui ? 6+6 b
Attendri sur l’effetpar l’énigme des causes, 6+6 a
Ayant devant l’espritl’obscurité des choses, 6+6 a
Il se couchera, grave,indulgent, attristé, 6+6 b
Sur ce vaste fumierqu’on nomme humanité, 6+6 b
685 Et, des abjectionscompagnon volontaire, 6+6 a
Voyant la tyrannieet le tyran à terre, 6+6 a
Pour racler cet ulcèreil prendra ce tesson. 6+6 b
Oh ! plaindre, c’est déjàcomprendre. L’horizon 6+6 b
Montre à l’œil moins sévèreune aube moins confuse ; 6+6 a
690 La grande véritésort de la grande excuse. 6+6 a
Retirez l’anathème,une lueur part. 6+6 b
Veilleur fiévreux, chercheurdu suprême secret, 6+6 b
En vigie au plus hautde la noire mâture, 6+6 a
Le penseur, attentifà toute la nature, 6+6 a
695 Comparant l’élémentet le destin, confond 6+6 b
Dans le même regardsurhumain et profond 6+6 b
Les souffles, les hasards,le colosse, la mouche, 6+6 a
Le monstre qui s’éveilleet l’astre qui se couche, 6+6 a
Le trajet d’un brouillardaux cieux, et le chemin 6+6 b
700 Qu’un nuage d’erreursfait dans l’esprit humain ; 6+6 b
Et les linéamentsde l’Inconnu surgissent ; 6+6 a
Et les princes hagardsque les meurtres rougissent, 6+6 a
Avec les Genséricla nuit coïncidant, 6+6 b
Et le glaive et le sceptre,et la griffe et la dent, 6+6 b
705 Et le tigre et le mtre,et l’horreur babélique, 6+6 a
Dans ces compassionsimmenses, tout s’explique. 6+6 a
Sitôt qu’on a cesséde maudire, le sort 6+6 b
Semble un chaos calméd’ l’ordre auguste sort ; 6+6 b
Les mystères, devantle songeur sans colère, 6+6 a
710 Sont le gouffre, mais sontle gouffre qui s’éclaire ; 6+6 a
Ils n’ont plus de démence,et blanchissent, pareils 6+6 b
À des cieux noirs vontse lever des soleils ; 6+6 b
Et voilà tout à coupque dans l’ombre sacrée, 6+6 a
Calmes, pleines de Dieu,des lois font leur entrée. 6+6 a
715 On ne lit pas le livre,on en épèle un mot ; 6+6 b
Et l’on frissonne, tanton sent le bras d’en haut, 6+6 b
Tant l’homme est faible, et tantl’énormité divine 6+6 a
Part dans ce qu’on voitet dans ce qu’on devine ! 6+6 a
On reconnt qu’ils sontbien peu de chose, hélas ! 6+6 b
720 Tous ces tristes Néronsconduits par les Pallas, 6+6 b
Pour qui Dieu n’est qu’un spectreet les hommes dès nombres. 6+6 a
Cette espèce de montformé de règnes sombres, 6+6 a
Cet édifice affreuxque chaque âge construit 6+6 b
Avec des attentats,de la gloire et du bruit, 6+6 b
725 Et qui, sanglant, rayéde suintements fétides, 6+6 a
Fait bloc avec les rois,mornes cariatides, 6+6 a
Ce chaos de faits lourds,tristes, hideux, navrants, 6+6 b
Qui charge la mémoireinforme des tyrans, 6+6 b
Toutes ces actionssauvages et terribles 6+6 a
730 Qui donnent dans l’histoireaux Tibères horribles 6+6 a
Des aspects monstrueuxde démons écrasés, 6+6 b
Ce tas des vieux forfaits,bronzes vertdegrisés, 6+6 b
Cet amas du granitle plus dur des abîmes, 6+6 a
Ce grand rocher du mal,alluvion des crimes, 6+6 a
735 Colossal piédestalde Némésis debout, 6+6 b
Large, énorme, une larme,ô Dieu bon, le dissout ! 6+6 b
Car les pleurs sont sacrés ;ils sortent, pur dictame, 6+6 a
Les pleurs humains, du cœur,les pleurs divins, de l’âme ; 6+6 a
Dès que, s’examinantsoi-même, on se résout 6+6 b
740 À chercher le côtépardonnable de tout, 6+6 b
Dès qu’on a rejetél’amertume chagrine, 6+6 a
Le réel se dévoile,on sent dans sa poitrine 6+6 a
Un cœur nouveau qui s’ouvreet qui s’épanouit. 6+6 b
Un ange vit un jourles hommes dans la nuit ; 6+6 b
745 Il leur cria du hautde la sereine sphère : 6+6 a
Attendez ; je vous vaischercher de la lumière. 6+6 a
Il revint apportantdans sa main la pitié. 6+6 b
IX
Tout se montre à demi.Voyons l’autre moitié. 6+6 b
C’est toujours une choseincertaine, incomplète, 6+6 a
750 Trouble, que nous faisonsasseoir sur la sellette. 6+6 a
Quoi ! faire le procèsà cet homme ? Essayons. 6+6 b
C’est bien. C’est le tyran.
Sous son front sans rayons 6+6 b
L’égoïsme a produitla morne insouciance ; 6+6 a
Les deux flambeaux humains,science et conscience, 6+6 a
755 N’ont jamais un momentflamboyé dans sa main. 6+6 b
Sa conscience est là,morte, sur le chemin, 6+6 b
Les rhéteurs ont soufflécette flamme éphémère ; 6+6 a
On n’est pas sûr qu’il aitouvert une grammaire. 6+6 a
Il frappe ; il ne sait rien ;comment l’avertit-on ? 6+6 b
760 En vénérant le sceptre,en baisant le bâton. 6+6 b
Jamais d’objection,quoi qu’il fasse ou qu’il veuille. 6+6 a
Il parle ; un peuple entiertremble comme la feuille ; 6+6 a
Il a crié : Je règne !et tous ont dit : Régnez ! 6+6 b
Il a marché sur tous,tous se sont prosternés ; 6+6 b
765 Conseillé par un prêtreà l’oreille, il s’écrie : 6+6 a
― Je suis dieu. Comme un dieuqu’on m’adore et me prie ! ― 6+6 a
Les magistrats ont dit :Peuple ! c’est le devoir. 6+6 b
Un jour, fou furieux,il a souhaité voir 6+6 b
Des gavials mangerdes hommes ; les édiles 6+6 a
770 Ont fait faire un palaisde marbre aux crocodiles. 6+6 a
Qu’est-ce que l’univers ?un immense valet. 6+6 b
Le bien, le juste, ô roi,c’est tout ce qui vous plt. 6+6 b
S’il veut verser du sang,le sang est une gloire, 6+6 a
Le sang est une pourpre ;et s’il désire en boire, 6+6 a
775 On rendra grâce aux Dieuxde la soif de Néron. 6+6 b
La guerre l’étourditde son vaste clairon. 6+6 b
Caïphe, ayant au cœurSatan, Dieu sur la langue, 6+6 a
Le déclare clémentet bon, et le harangue ; 6+6 a
Tous les bruits qu’il entendfont de la surdité ; 6+6 b
780 La terre entière sembleen sa stupidité 6+6 b
Comploter lâchementl’égarement d’un homme ; 6+6 a
Sous le roi bête fauveon est bête de somme ; 6+6 a
Le monde tend l’échineau bât, la tête aux coups ; 6+6 b
Les Romes, les Paris,les Londres, les Moscous, 6+6 b
785 Bacon et sa raison,Virgile avec sa lyre, 6+6 a
Vont se rapetissantsous ce nain en délire ; 6+6 a
On lui fait un instinctd’hyène ; on le bâtit 6+6 b
Étroit comme penséeet grand comme appétit ; 6+6 b
Qu’il s’élève une voixpour accuser cet homme, 6+6 a
790 Vingt tribunaux abjectsfrémiront, ce qu’on nomme 6+6 a
Justice châtieral’auguste vérité ; 6+6 b
L’ombre fera jeterau cachot la clarté ; 6+6 b
Tous les bandeaux qu’un frontpeut porter, il les porte ; 6+6 a
Les courtisans sont làqui veillent à sa porte, 6+6 a
795 Et les tâtent pour voirs’ils sont assez épais ; 6+6 b
Il est féroce, obscène,abominable, en paix ; 6+6 b
Il avait l’ignorance,on y joint la folie ; 6+6 a
Il vole, tue, écrase,extermine, spolie, 6+6 a
Dresse des échafauds,fait des parjures, ment, 6+6 b
800 Pille, égorge, détruit,brûle, naïvement ; 6+6 b
Son pouvoir est la grêleaveugle des déluges, 6+6 a
La trombe ; ― et maintenant,allez aux voix, les juges ! 6+6 a
Tacite, qu’en dis-tu ?Qu’en dis-tu, Juvénal ? 6+6 b
Dieu lui-même est pensifau fond du tribunal ; 6+6 b
805 Et le châtiment craintd’être injuste, et la foudre 6+6 a
Ne peut plus condamneret n’ose pas absoudre. 6+6 a
X
Vous insistez ? Eh bien,insistons. J’y consens. 6+6 b
Oui, don Pèdre égorgeantles infants innocents 6+6 b
Est méchant ; oui, Bardas,oui, Léon le faussaire, 6+6 a
810 Valens, Justinienaveuglant Bélisaire, 6+6 a
Alexandre exposantCallisthène aux lions, 6+6 b
Sont affreux ; les Phocaset les Pygmalions 6+6 b
Sont hideux jusqu’au rêveet jusqu’à la chimère ; 6+6 a
Xercès sanglant battantde verges l’onde amère, 6+6 a
815 Constantin Caballinbroyant sur les pavés 6+6 b
Aux pieds de son chevaldes monceaux d’yeux crevés, 6+6 b
Sapor couvrant de selune femme écorchée, 6+6 a
Épouvantent ; Achab,tourmenteur de Michée, 6+6 a
Didier, Osman, Ratbert,Vitiza, Childebrand, 6+6 b
820 Les Comnènes, MichelCalafati montrant 6+6 b
Toute la cruautéque contient l’éphémère, 6+6 a
César tuant la loi,Néron tuant sa mère, 6+6 a
Font horreur ; ils sont vils,ils sont abjects. Et nous ? 6+6 b
Pourquoi ces sénateursleur parlant à genoux ? 6+6 b
825 Pourquoi ce prêtre athéeet faux qui les encense ? 6+6 a
Pourquoi les engloutirdans notre obéissance ? 6+6 a
Pourquoi, pouvant soufflersur un joug vermoulu, 6+6 b
Le monde accepte-t-ille pouvoir absolu ? 6+6 b
Pourquoi les plus nombreuxsont-ils donc les plus lâches ? 6+6 a
830 De quel droit, du devoirméconnaissant les tâches, 6+6 a
La terre maudit-elle,après l’avoir construit, 6+6 b
L’homme de cécité,de fureur et de nuit ? 6+6 b
O peuple ! consentirau tyran, c’est le faire. 6+6 a
Pénétrons plus avantdans cette morne sphère. 6+6 a
835 Questionnons le sphinx,l’énigme, l’inconnu. 6+6 b
Sait-on pourquoi l’on vientet d’ l’on est venu ? 6+6 b
Le fœtus choisit-ilson destin ? Est-on mtre 6+6 a
D’indiquer son endroitet son heure pour ntre ? 6+6 a
Ah ! vous voulez qu’on soitresponsable ? De quoi ? 6+6 b
840 D’être homme de tel siècleou bien fils de tel roi ? 6+6 b
D’être l’atome errantla nuit dans telle zone ? 6+6 a
D’avoir été jetétout petit sur un trône ? 6+6 a
D’être sorti sultandu mystère infini ? 6+6 b
Est-on donc accusableet sera-t-on puni 6+6 b
845 De la place vous metl’obscure destinée, 6+6 a
Quand, semence de vieau vent abandonnée, 6+6 a
On éclôt sur la terre,humble esprit frémissant ? 6+6 b
Qu’est-ce qu’il avait fait,ce pauvre être innocent, 6+6 b
Pour être le tyran,pour être une âme noire, 6+6 a
850 Pour être le damnésinistre de l’histoire, 6+6 a
Pour être un spectre en fuiteau souffle des courroux, 6+6 b
Pour que tous les carcanset que tous les verrous, 6+6 b
Tous les gibets froissantleurs tragiques ferrailles, 6+6 a
Toutes les, visionsd’ombre et de funérailles, 6+6 a
855 Tous les vols de corbeaux,tous les vols de vautours, 6+6 b
Passent autour de luitoujours, toujours, toujours ! 6+6 b
Qu’est-ce qu’il avait faitpour être Périandre, 6+6 a
Busiris, Constantin,Charles neuf ? pour entendre 6+6 a
Les gouffres à jamaisaboyer après lui ? 6+6 b
860 S’il t vu ce destinfunèbre, il aurait fui. 6+6 b
Est-ce qu’il n’avait pasaussi lui, dans ces limbes 6+6 a
l’être avant d’écloreerre parmi les nimbes 6+6 a
Et d’ l’âme en tremblantsur ce globe s’abat, 6+6 b
Droit à la mère blêmeet pauvre du grabat ? 6+6 b
865 Avait-il méritél’exception terrible ? 6+6 a
O Dieu qui vannes l’hommeaux trous noirs de ton crible 6+6 a
Et qui sèmes au ventce grain prédestiné, 6+6 b
N’avait-il donc pas droit,ce triste nouveau-né, 6+6 b
Comme tous les enfantsqui naissent pêle-mêle, 6+6 a
870 Au chaume, au galetas,aux souliers sans semelle, 6+6 a
Au haillon laissant voirla maigreur du genou, 6+6 b
Au liard du ruisseauqu’on fouille avec un clou ? 6+6 b
N’avait-il donc pas droità la sainte misère ? 6+6 a
Le faire prince et monstre,était-ce nécessaire ? 6+6 a
875 Louvres payés trop cher !ô Kremlins, Alhambras, 6+6 b
Couronne, orgueil du front,sceptre, splendeur du bras, 6+6 b
Marches du trône, éclat,pouvoir, lits de parade, 6+6 a
Fronts courbés, fauteuil d’orde la royale estrade, 6+6 a
Dais de pourpre à traversun nuage apeu, 6+6 b
880 Comme il t dit : jamais !jamais ! s’il avait su 6+6 b
Tout ce que vous cachezd’ombre et de précipice. 6+6 a
L’enfant ramassé nusur le seuil de l’hospice 6+6 a
Ignore ce velours,ignore ce sapin ; 6+6 b
Il est béni ! Râlersans toit, sans feu, sans pain, 6+6 b
885 Être le nourrissonà qui, pâle et flétrie, 6+6 a
L’âpre indigence tendsa gorge de furie, 6+6 a
Oh ! plutôt qu’être infant,césaréwitch, dauphin, 6+6 b
Mendier, grelotter,avoir froid, avoir faim, 6+6 b
Être le chien humaind’un vil troupeau qui broute, 6+6 a
890 Garder les porcs, casserdes pierres sur la route ! 6+6 a
L’homme de l’arsenalqui trne des fardeaux 6+6 b
Ayant comme un chevaldes bricoles au dos, 6+6 b
Le chanteur de la rueà qui le souffle manque, 6+6 a
Le geindre gémissantla nuit, le saltimbanque 6+6 a
895 Attendant qu’on lui jetteun sou dans son chapeau, 6+6 b
Le pêcheur qui toujoursa de l’eau sur la peau, 6+6 b
Le nègre entortillantses fers d’une guenille 6+6 a
Pour ne pas trop sentirle froid de la manille, 6+6 a
Les mineurs enfouisdans leur puits ténébreux, 6+6 b
900 Ceux-là sont les choisis,ceux-là sont les heureux ! 6+6 b
Oh ! je le crie, avantqu’il fût né, qu’on réponde, 6+6 a
Qu’est-ce qu’il avait fait,terre, astres, nuit profonde, 6+6 a
Ciel fatal, pour ne pasêtre un de ces élus ! 6+6 b
Ou si décidémentdu jour il est exclus, 6+6 b
905 Si le destin lui tendquelque implacable embûche, 6+6 a
S’il faut que dans le crimeet le mal il trébuche, 6+6 a
Eh bien ! rôder aux bois,tuer dans la forêt, 6+6 b
Mais non pas dans l’histoire le sang repart, 6+6 b
N’avoir pas d’Isaïeacharné sur son ombre, 6+6 a
910 Être du moins l’objetd’un peu de pitié sombre, 6+6 a
S’appeler le banditet non pas le tyran ! 6+6 b
Quoi ! le cafre qui teintses lèvres de safran, 6+6 b
Le huron manœuvrantsa pirogue d’écorce, 6+6 a
Vole, vous l’absolvez,penseurs ! Le brigand corse, 6+6 a
915 Fauve et traitant le droitcomme un pays conquis, 6+6 b
Silhouette sinistre,erre dans les makis, 6+6 b
Vous murmurez : pardon !Nul n’exige qu’un nègre 6+6 a
Ou qu’un malgache, étantstupide, soit intègre ; 6+6 a
On les plaint ; savent-ilsce que c’est que la loi ? 6+6 b
920 Et vous ne plaignez pasce sultan ou ce roi, 6+6 b
Cet autre nègre ornéd’autres verroteries ! 6+6 a
Le zingaro qui viten dehors des patries 6+6 a
Vous émeut ; le mougickà Cronstadt, le hammal 6+6 b
Au Fanar, vous plaidezpour eux s’ils font le mal ; 6+6 b
925 Le loup suit son instincten ravageant l’étable. 6+6 a
Quoi ! vous allez cherchersur son banc lamentable 6+6 a
L’affreux galérienféroce et châtié, 6+6 b
Vous lui tâtez le crâneet vous criez : pitié ! 6+6 b
Et vous ne sentez pas,dans ce vide tout flotte, 6+6 a
930 Qu’un despote est un pauvreaussi bien qu’un ilote, 6+6 a
Que la pourpre n’est plusqu’un haillon dans la nuit, 6+6 b
Et qu’en cette ombre l’hommeest par l’instinct conduit, 6+6 b
le mensonge s’offre, le vrai se refuse, 6+6 a
À l’ignorance égaleil faut l’égale excuse ! 6+6 a
XI
935 Croyez-vous donc, songeursqui vous apitoyez 6+6 b
Sur l’affreux mendiantdes ravins non frayés, 6+6 b
Sur le larron des bois,demi-nu, maigre et blême, 6+6 a
Que ce bandit n’est pasun despote lui-même ? 6+6 a
Non, il est le tyransauvage de minuit ; 6+6 b
940 Il prend cette heure triste,avec elle il s’enfuit ; 6+6 b
Il est le conquérantdu sentier solitaire ; 6+6 a
La forêt, qu’il violeen son sacré mystère, 6+6 a
Le regarde arrivercomme Rome Attila. 6+6 b
Croyez-vous donc qu’il estsans flatteurs ? Non, il a 6+6 b
945 Sa faim qui lui dit : Prends !sa soif qui lui dit : Tue ! 6+6 a
La solitude, fauveet de branches vêtue, 6+6 a
Qui dit : Te voilà seul !voleur ! te voilà roi ! 6+6 b
Son lourd bâton ferréqui dit : Compte sur moi ! 6+6 b
Il a ses muscles dursqui lui disent : Personne 6+6 a
950 Ne te vaut ; le passanten te voyant frissonne ; 6+6 a
Tu peux tuer un hommeavec un coup de poing. 6+6 b
Il a sa haine au cœurqui dit : N’épargne point ! 6+6 b
Et, troués et béants,ses vieux haillons farouches 6+6 a
Baisent son crime avecleurs misérables bouches, 6+6 a
955 Et, caressant sa mainsanglante, et la léchant, 6+6 b
Lui parlent à voix basseet lui chantent ce chant : 6+6 b
― L’or est bon à piller,le sang est bon à boire ; 6+6 a
Cherche l’or, cherche l’or,ô conscience noire ! 6+6 a
Vois comme ton espritla nuit étinceler ; 6+6 b
960 Le meurtre ténébreuxest fait pour s’étoiler 6+6 b
De sequins rayonnants,de doublons et de piastres ; 6+6 a
C’est aux abîmes noirsqu’appartiennent les astres. 6+6 a
XII
Aux lueurs du flambeaupar ma main soutenu, 6+6 b
Tout le fourmillementténébreux est venu ; 6+6 b
965 Devant mon esprit calmeet que l’équité mène, 6+6 a
J’ai donné rendez-vousà la misère humaine, 6+6 a
À toute l’ignorance,à tout front déprimé, 6+6 b
À quiconque a pour âmeun soupirail fermé ; 6+6 b
J’ai plaint, les rassemblantsous ma prunelle sombre, 6+6 a
970 Tous ces demi-vivants,les infirmes sans nombre, 6+6 a
Tous ceux sur qui le deuiltire son lourd rideau, 6+6 b
Le mendiant sans yeuxau front ceint d’un bandeau, 6+6 b
Le pauvre homme pied-bottremblant sur la béquille, 6+6 a
Et je me suis senti,tous étant ma famille, 6+6 a
975 Tous ayant droit aux pleurs,leur unique trésor, 6+6 b
Une compassionplus douloureuse encor 6+6 b
Pour le boiteux du sceptreet l’aveugle à couronne. 6+6 a
La cécité sur touspèse et les environne ; 6+6 a
Ils sont tous du néantqui souffre ; et puis, hélas, 6+6 b
980 Ces diadèmes d’orsur tous ces crânes plats ! 6+6 b
Hélas, ne rien savoir,ne rien voir, et l’empire ! 6+6 a
Être tout, n’étant rien ;quelle indigence pire ! 6+6 a
Quel plus dur dénûment,quel plus morne abandon, 6+6 b
Et quel accouplementplus digne de pardon 6+6 b
985 Que la toute ignoranceet la toute puissance ! 6+6 a
Quoi de plus désoléque cette affreuse absence 6+6 a
De la réalité,du vrai, de la raison, 6+6 b
Et du jour, engloutiderrière l’horizon ? 6+6 b
Entre les malheureuxgravissant les calvaires, 6+6 a
990 Pour ceux-ci qui sont roisserons-nous plus sévères 6+6 a
Parce qu’ils sont plus sourdset plus noirs, et qu’ils ont 6+6 b
Plus d’horreur dans la mainet d’ombre sur le front ? 6+6 b
XIII
Oh ! je dis aujourd’huicomme toi, mon vieux Dante ; 6+6 a
Mais triste et d’une voixmoins fauve et moins stridente : 6+6 a
995 « ― Si l’on ne comprend pas,je vais recommencer ; 6+6 b
« Ce peuple est comme l’eauqu’on fend sans la creuser, 6+6 b
« Et je lui rediraicent fois la même chose ! ― » 6+6 a
Quel plaidoyer faroucheet quelle rude cause ! 6+6 a
La pitié tremble, ayantcontre elle tout le cri 6+6 b
1000 Et toute la douleurdu genre humain meurtri. 6+6 b
O vous, les inconnus,l’irresponsable foule, 6+6 a
Vous sur qui la minuteinconsciente coule, 6+6 a
Heureux d’être petits,et sentant quel secours 6+6 b
L’oubli donne aux vivantssi confus et si courts, 6+6 b
1005 Ne faisant point un pasqui ne soit effaçable, 6+6 a
N’ayant d’autre soucique d’être grains de sable, 6+6 a
Représentez-vous doncce que c’est qu’un passant 6+6 b
Qui se croit Absolu,Très-Haut et Tout-Puissant ! 6+6 b
Imaginez-vous doncce que c’est qu’un despote ! 6+6 a
1010 Il rit stupidementau peuple qui sanglote ; 6+6 a
Sa grandeur, lui venantdu néant, l’amoindrit ; 6+6 b
L’énormité du trôneécrase son esprit ; 6+6 b
Sous cet homme l’honneurpérit, le droit s’absente. 6+6 a
La paix est un maraisde honte croupissante ; 6+6 a
1015 Lois, justice, clergé,tout est corruption. 6+6 b
Pour gagner tes procès,es-tu Trimalcion ? 6+6 b
Bien, paie. Es-tu Phryné ?montre ta gorge aux juges. 6+6 a
On aspire aux tombeauxainsi qu’à des refuges ; 6+6 a
La guerre est un tumulteinforme, un cliquetis 6+6 b
1020 De passions, d’instinctssauvages, d’appétits ; 6+6 b
Il va sans savoir de bataille en bataille ; 6+6 a
Il allume une villeainsi qu’un tas de paille ; 6+6 a
Et la campagne en feuque brûle ce tueur 6+6 b
Empourpre au loin les monts rêve, à la lueur 6+6 b
1025 De tous ces tourbillonsde flamme et d’étincelles, 6+6 a
Le vautour se fouillantdu bec sous les aisselles. 6+6 a
Puis la victoire un jourfuit et le brise, après 6+6 b
Qu’il a fait grandir l’ombreaffreuse des cyprès. 6+6 b
Quoi ! parce qu’un malheursera fait de puissance, 6+6 a
1030 D’autorité, d’orgueilsans borne, de licence, 6+6 a
De luxe, de bonheur,vous rie le plaindrez pas ! 6+6 b
Quoi ! parce qu’il verrad’en haut, et nous d’en bas ; 6+6 b
Quoi ! parce qu’il aurale haut bout de la table, 6+6 a
À gauche un chancelier,à droite un connétable, 6+6 a
1035 Parce que ce malheur,ivre, se croira Dieu, 6+6 b
Parce que, formidable,il sera le milieu 6+6 b
De tout un monde étrange,encens, festins, armées, 6+6 a
Et, comme le bûcher,d’un gouffre de fumées, 6+6 a
Parce qu’il aura, triste,une tiare au front, 6+6 b
1040 Tout ce respect fût-ilplus fatal que l’affront, 6+6 b
Ce palais fût-il pluslamentable qu’un bouge, 6+6 a
Cet or rouge fût-ilplus brûlant qu’un fer rouge, 6+6 a
Comme cela s’appelleun roi, comme c’est né 6+6 b
Fleurdelysé, béni,harangué, couronné, 6+6 b
1045 Dans un berceau seméd’abeilles, à Versailles, 6+6 a
C’est bien, c’est le damné ;vous serez sans entrailles ! 6+6 a
Regardez-les, sont-ilsassez épouvantés ! 6+6 b
Les Transtamares sontl’un par l’autre guettés, 6+6 b
Et chacun d’eux, tremblantsans pouvoir s’en distraire, 6+6 a
1050 Met la main au poignardsitôt qu’il voit son frère ; 6+6 a
Alonze va changeantde chambre chaque nuit ; 6+6 b
Louis onze grelotteet maigrit ; Henri huit 6+6 b
Fait fouiller tous les soirsson lit à coups d’épée ; 6+6 a
Rustem est une bruteà tuer occupée, 6+6 a
1055 Lisant dans tous les yeuxd’implacables desseins 6+6 b
Et dans tous les passantsrêvant des assassins. 6+6 b
Ah ! ces porte-fléauxfléchissent sous leur charge. 6+6 a
Plus le front est étroit,plus la couronne est large. 6+6 a
Hélas, que deveniravec ce genre humain 6+6 b
1060 Dont on ne sait que faireet qu’on a dans la main ? 6+6 b
Ah ! le roi ! des splendeursténébreux cénobite ! 6+6 a
Vous vous éblouissezdu palais qu’il habite, 6+6 a
De la fanfare augusteet fière qui le suit 6+6 b
Et lui fait sur la têteun triomphe de bruit, 6+6 b
1065 Du cortège inouïqui devant ses pas s’ouvre ; 6+6 a
Hélas, vous l’enviezpour son spectre de Louvre ! 6+6 a
Vous le voyez d’en bas,superbe, impérial, 6+6 b
Puissant, dans un Rœmer,dans un Escurial, 6+6 b
Parmi des hommes d’oret des femmes de soie, 6+6 a
1070 Dans un grand flamboiementqui semble de la joie, 6+6 a
Peuple, et vous l’admirez,sans vous apercevoir 6+6 b
Qu’éclatant au dehors,au dedans il est noir. 6+6 b
À de certains momentssavez-vous ce qu’il souffre 6+6 a
Quant un vague réveillui laisse voir son gouffre ? 6+6 a
1075 Vous l’enviez de loin,mais la surface ment. 6+6 b
La douleur est au fondde son rayonnement ; 6+6 b
Vous sentez la chaleur,mais il sent la brûlure. 6+6 a
L’heure en frappant lui faitau crâne une fêlure. 6+6 a
Il porte le pouvoircomme un bœuf le licou. 6+6 b
1080 Ayez-vous méditésur le tzar de Moscou ? 6+6 b
Avez-vous méditésur l’empereur de Rome ? 6+6 a
Chiffre obscur ! zéro noirqui du monde est la somme ! 6+6 a
Avez-vous méditésur l’horreur du sultan ? 6+6 b
Une lueur de perleargenté son caftan ; 6+6 b
1085 Il voit un paradisde vagues avenues, 6+6 a
De bains lascifs, d’oiseaux,de fleurs, de femmes nues, 6+6 a
Par le vitrail qui s’ouvreau fond du corridor ; 6+6 b
Il a sur son turbanla lune aux cornes d’or, 6+6 b
L’astre qui fait l’éclipseet qui fait la démence ; 6+6 a
1090 Son pouvoir est un champque la mort ensemence ; 6+6 a
Il est comme au milieud’une mer sous les cieux ; 6+6 b
Dans les hideux pensersil est silencieux 6+6 b
Comme ces rocs que vontsouiller les stercoraires ; 6+6 a
En saisissant le sceptreil a tué ses frères ; 6+6 a
1095 Afin qu’il fût despote,afin qu’il fût vainqueur, 6+6 b
À cet homme lugubreon a coupé le cœur ; 6+6 b
Son trône est un charnier,sa ville est un décombre ; 6+6 a
Cent monstres blancs et noirs,gardant son palais sombre, 6+6 a
D’un mtre épouvantableesclaves effrayants, 6+6 b
1100 Le couvent jour et nuitde leurs yeux flamboyants, 6+6 b
Et se penchent, haïsde l’homme et de la femme, 6+6 a
Eunuques de la chair,sur l’eunuque de l’âme. 6+6 a
Je vous le dis, les cœurstendres sont les cœurs grands ; 6+6 b
Il est temps qu’on se metteà plaindre les tyrans. 6+6 b
1105 La justice trop justeest sœur de la vengeance. 6+6 a
Pardonnons. Jetons, mêmeaux démons, l’indulgence ; 6+6 a
Oui, l’aumône, elle aussi,doit avoir sa grandeur. 6+6 b
N’imprimons le fer chaudsur aucune laideur ; 6+6 b
De nos compassionsn’exceptons aucun homme ; 6+6 a
1110 L’homme juste n’est pasde clémence économe ; 6+6 a
Un monstre est un infirme,et l’infirme a des droits. 6+6 b
L’ignorant, quel qu’il soit,qu’il marche au coin d’un bois, 6+6 b
L’envie au cœur, pieds nus,en haillons, triste rustre, 6+6 a
Ou qu’il ait là couronneen tête, brute illustre, 6+6 a
1115 N’est rien qu’un pauvre aveugle,abject, perdu, tenté ; 6+6 b
Oui, l’homme se défait manque la clarté ; 6+6 b
O sinistre unitédu mal ! analogie 6+6 a
Du fou que fait la faimau fou que fait l’orgie ! 6+6 a
Ils ont ce noir lien,c’est qu’ils ne savent pas. 6+6 b
1120 Dans leurs deux sphères d’ombreils font les mêmes pas » 6+6 b
Ils sont le crépusculeet ne savent que nuire ; 6+6 a
Ignorer, c’est haïr ;ignorer, c’est détruire ; 6+6 a
La brutalité vient,la férocité suit ; 6+6 b
L’homme de proie, hélas,sort de l’homme de nuit ; 6+6 b
1125 Une prunelle horribleen ces ombres s’allume ; 6+6 a
Le brigand, le tyran,c’est, dans la même brume, 6+6 a
Le même oiseau de nuitqui vole, atroce et fou ; 6+6 b
Gengiskhan et Mandrinsont le même hibou ; 6+6 b
La même obscuritédépravée et farouche 6+6 a
1130 Fait en haut Louis quinzeet fait en bas Cartouche. 6+6 a
Oui, je vous le répète,allez, interrogez, 6+6 b
Philosophes, les lois,les mœurs, les préjugés, 6+6 b
Les vieux siècles saignants,ces témoins unanimes ; 6+6 a
Creusez, fouillez l’histoire,embaumement des crimes ; 6+6 a
1135 Ouvrez ce panthéondes dynastes défunts 6+6 b
Que dom Calmet conserveavec ses vils parfums ; 6+6 b
Scrutez les attentats,sondez les tragédies 6+6 a
Jetant aux grands palaisdes rougeurs d’incendies, 6+6 a
Que trouvez-vous ? ceci :tous ces grands malheureux, 6+6 b
1140 Bandits broyant la terreou s’égorgeant entr’eux, 6+6 b
De Constantin l’athéeà Joas le lévite, 6+6 a
Du Darius de Perseau Dmitri moscovite, 6+6 a
De l’anglais Édouardau mède Barazas, 6+6 b
Qui, nés princes sont rois,peuple, seraient foats. 6+6 b
1145 Qu’est-ce que Charles neuf ?c’est Ravaillac. Alonze, 6+6 a
Sanche et Ramire sontdes idiots de bronze. 6+6 a
Qu’est-ce que Henri trois ?un imbécile. Ivan ? 6+6 b
Un insensé. Mourad,le tigre du divan ? 6+6 b
Un frénétique. Hélas !l’ignorance les couvre. 6+6 a
1150 Pourquoi la plaindre au bagneet la maudire au Louvre ? 6+6 a
XIV
Et vous ne voulez pasque nous disions : assez ! 6+6 b
Que nous tendions les mainspour tous ces insensés, 6+6 b
Que nous avions pitiéde ces impitoyables ! 6+6 a
Que nous demandions grâceaux destins immuables, 6+6 a
1155 À Dieu, pour ceux qui n’ontpoint fait grâce, et qui sont 6+6 b
Tombés faibles et nusdans le pouvoir sans fond ! 6+6 b
Et vous ne voulez pasque, pesant ces deux chnes, 6+6 a
L’une qui tient le corpscaptif dans les géhennes, 6+6 a
L’autre qui fait de l’âmeelle-même un caveau, 6+6 b
1160 L’une étreignant le bras,et l’autre le cerveau, 6+6 b
Sentant nos yeux mouillés,notre cœur qui se serre, 6+6 a
Nous disions, inclinéssur l’énigme misère, 6+6 a
Et de tous les cachotscomparant la noirceur : 6+6 b
L’opprimé le plus sombre,hélas, c’est l’oppresseur ! 6+6 b
1165 Si vous ne plaignez pasces êtres sur qui pèse 6+6 a
Une fatalitémorne et que rien n’apaise, 6+6 a
Ces haïs, ces maudits,qu’est-ce que vous plaindrez ? 6+6 b
Refusez-vous le baumeaux plus désespérés ? 6+6 b
Avez-vous des pitiésdécroissant à mesure 6+6 a
1170 Qu’on voit la douleur crtreet grandir la blessure ? 6+6 a
Reculez-vous devantl’étrange extrémité 6+6 b
le malheur devientde la calamité ? 6+6 b
Oh ! soyons bons surtoutpour les cruels. C’est triste 6+6 a
Que la bonté, si bellealors qu’elle persiste, 6+6 a
1175 Vis-à-vis des méchantssoit si prompte à l’oubli ! 6+6 b
Le méchant, c’est le cœurd’amertume rempli. 6+6 b
Vous cherchez les souffrants ;il est le véritable. 6+6 a
Oh ! le cri de cette âmeest le plus, lamentable. 6+6 a
Être le guérisseur,le bon samaritain 6+6 b
1180 Des monstres, ces martyrsténébreux du destin, 6+6 b
Leur panser leur puissanceet leur laver leur crime, 6+6 a
Entre les devoirs saintsc’est le devoir sublime. 6+6 a
Est-il donc impossible,ô Dieu, de secourir, 6+6 b
D’assoupir, de calmer,d’aider, de faire ouvrir 6+6 b
1185 À la sainte pitiéses ailes toutes grandes ? 6+6 a
Homme, on t’a fait le mal ;ce qu’il faut que tu rendes, 6+6 a
C’est le bien ; vis, répondsà la haine en aimant, 6+6 b
Et c’est là tout le dogmeet tout le firmament. 6+6 b
Quoi ! l’amour est fragileet la haine est durable ! 6+6 a
1190 Quelle est donc cette loidu deuil inexorable ? 6+6 a
O ciel sombre ! on a beause révolter, vouloir 6+6 b
Briser cet anankè,rompre ce désespoir, 6+6 b
L’âpre loi reparttoujours, sourde et glacée. 6+6 a
Va, philosophe, essaie,insurge la pensée, 6+6 a
1195 La raison, la sagessehumaine, la clarté, 6+6 b
Contre la nuit, l’horreuret la fatalité, 6+6 b
Appelle en aide et mêleà ces saintes émeutes 6+6 a
Job, les Esséniens,Philon, les Thérapeutes, 6+6 a
Voltaire, Diderot,Vicô, Beccaria ; 6+6 b
1200 Toujours Satan revientavec le paria, 6+6 b
Toujours l’enfer vomit,comme une doublé lave, 6+6 a
Le démon dans le ciel,sur la terre l’esclave, 6+6 a
Le mal dans l’infini,le malheur ici-bas. 6+6 b
Plaindre Jésus, c’est bien ;mais plaindre Barabbas, 6+6 b
1205 C’est aussi la justice ;et la grandeur éclate 6+6 a
À relever Caïphe,à consoler Pilate, 6+6 a
Et c’est là le sommetle plus haut des vertus 6+6 b
Que Socrate expirantsoit bon pour Anitus. 6+6 b
Oui ! les désolateurs,ceux-là sont les plus tristes. 6+6 a
1210 Vous pleurez quand Sylladresse ses mornes listes ; 6+6 a
Vous plaignez les proscrits ;mais vous ne savez pas 6+6 b
Tout ce qu’ils ont d’air pur,d’orgueil, de larges pas, 6+6 b
De respirationfière et de paix sublime, 6+6 a
Tout ce qu’ils ont d’azurau fond de leur abîme, 6+6 a
1215 Et, jetés par les ventssur les écueils amers, 6+6 b
De ressemblance avecle libre flot des mers ! 6+6 b
Vous ne vous doutez pasde ces immenses joies, 6+6 a
Subir les durs revers,suivre les âpres voies, 6+6 a
Être chassé, traqué,meurtri, persécuté, 6+6 b
1220 Souffrir pour la justiceet pour la vérité ! 6+6 b
Vous plaignez les proscrits ;occupez mieux vos larmes, 6+6 a
Plaignez le prescripteur.Souon, angoisse, alarmes, 6+6 a
Remords, voilà sa vie ;il se redit les noms 6+6 b
Des bannis, des captifsplongés aux cabanons, 6+6 b
1225 De ceux qu’il a jetéslà-bas à l’agonie ; 6+6 a
Le vent râle la nuitpendant son insomnie ; 6+6 a
Pâle, il prête l’oreille ;il écoute le cri 6+6 b
De Pathmos, de Syèneou de Sinnamari ; 6+6 b
S’il dort, quel songe ! il voitTibère lui sourire, 6+6 a
1230 Brutus rôder, Catonsaigner, Tacite écrire ; 6+6 a
Il a beau vivre, idole,au fond d’un tourbillon, 6+6 b
Mettre dans toute boucheou l’hymne ou le bâillon ; 6+6 b
Que dira l’avenir ?Il se sent responsable 6+6 a
Des fièvres de l’exil,de la plage de sable, 6+6 a
1235 Du marais, du soleil,et du zèle d’en bas, 6+6 b
Du geôlier harcelantces fers et ces grabats, 6+6 b
Du valet tourmenteurqui crée, invente, innove, 6+6 a
Et le flatte en frappantla victime ; Hudson Lowe 6+6 a
Pèse plus sur les roisque sur Napoon. 6+6 b
1240 Un jour le sacré templehumain, le Panthéon, 6+6 b
Jettera son éclipseauguste sur vos dômes, 6+6 a
Mornes villes du mal,Kremlins, Stambouls, Sodomes, 6+6 a
Et l’oubli couvrirade son brouillard glacé 6+6 b
La fourmilière étrangeet noire du passé, 6+6 b
1245 Pendant que l’avenirluira, fronton splendide. 6+6 a
Hélas, en attendant,l’homme, sans jour, sans guide, 6+6 a
Prend des précautionscontre l’entrnement 6+6 b
De la fraternité,vertigineux aimant ; 6+6 b
Il sent dans sa poitrineune chose suspecte, 6+6 a
1250 Son cœur ; l’homme, humble ou grand,large esprit, âme abjecte, 6+6 a
Tâtant le sort ainsiqu’on suit dans l’ombre un mur, 6+6 b
A peur de la pitiécomme d’un puits obscur, 6+6 b
Et préfère la haine,et s’attache à la corde 6+6 a
Du mal pour ne pas choirdans la miséricorde. 6+6 a
1255 Le pardon crie : Amour !Quel est cet inconnu ? 6+6 b
Faire grâce épouvante,et ce mot ingénu, 6+6 b
Doux, clair, simple : ― Aimez-vous,frères, les uns les autres ! ― 6+6 a
Est si profond qu’il n’estcompris que des apôtres. 6+6 a
Jean Huss était liésur la pile de bois ; 6+6 b
1260 Le feu partout sous luipétillait à la fois ; 6+6 b
Jean Huss vit s’approcherle bourreau de la ville, 6+6 a
La face monstrueuse,épouvantable et vile, 6+6 a
L’exécuteur, l’esclaveinfâme, atroce, fort, 6+6 b
Sanglant, mtre de l’œuvreobscure de la mort, 6+6 b
1265 L’affreux passant vers quiles vers lèvent la tête, 6+6 a
Le tueur qui jamaisne compte et ne s’arrête, 6+6 a
Le cheval aveuglédu cabestan des lois ; 6+6 b
Toute la ville étaitsur les seuils, sur les toits, 6+6 b
Parlait et fourmillaitet contemplait la fête ; 6+6 a
1270 Huss vit venir à luicet homme, cette bête, 6+6 a
Cet être misérableet bas que l’effroi suit, 6+6 b
Espèce de vivantterrible de la nuit ; 6+6 b
Difforme sous le faixde l’horreur éternelle, 6+6 a
Ayant le flamboiementdes bûchers pour prunelle, 6+6 a
1275 Il était là, tordantsa bouche sous l’affront ; 6+6 b
On voyait des refletsde spectres sur son front 6+6 b
se réverbéraientles supplices sans nombre ; 6+6 a
Toute sa vie étaitsur son visage sombre, 6+6 a
L’isolement, le deuil,l’anathème, ce don 6+6 b
1280 Du meurtre qu’on lui faitau-dessous du pardon, 6+6 b
La mort qui le nourritdu sang de sa mamelle, 6+6 a
Son lit fait d’un morceaudu gibet, sa femelle, 6+6 a
Ses enfants, plus mauditsque les petits des loups, 6+6 b
Sa maison triste vientregarder par les trous 6+6 b
1285 L’essaim des écoliersqui s’enfuit dès qu’il bouge ; 6+6 a
Ses poings, cicatrisésà toucher le fer rouge, 6+6 a
Se crispaient ; les soldatsle nommaient en crachant ; 6+6 b
Il approchait, courbé,plié, souillé, méchant, 6+6 b
Honteux, de l’échafaudcariatide affreuse ; 6+6 a
1290 Il surveillait l’endroit l'âtre ardent se creuse, 6+6 a
Il venait ajouterde l’huile et de la poix, 6+6 b
Il apportait, suantet geignant sous le poids, 6+6 b
Une charge de boisà l’horrible fournaise ; 6+6 a
Sous l’œil haineux du peupleil remuait la braise, 6+6 a
1295 Abject, las, réprouvé,blasphémé, blasphémant ; 6+6 b
Et Jean Huss, par le feuléché lugubrement, 6+6 b
Leva les yeux au cielet murmura : Pauvre homme ! 6+6 a
XV
J’ai tout pesé, j’ai vule fond, j’ai fait la somme, 6+6 a
Et je n’ai pas distraitun chiffre du total ; 6+6 b
1300 J’ai mis le nécessaireen regard du fatal ; 6+6 b
Je n’ai pas reculédevant le syllogisme ; 6+6 a
La vérité dût-elleêtre mère du schisme, 6+6 a
J’ai voulu que le vraijaillît et triomphât ; 6+6 b
J’ai remué dix foisles os de Josaphat ; 6+6 b
1305 J’ai tâché, les heurtant,d’en tirer l’étincelle ; 6+6 a
J’ai compulsé l’antiquearchive universelle ; 6+6 a
Et l’énigme semblaittoujours s’approfondir ; 6+6 b
Et c’était le zénithet c’était le nadir ; 6+6 b
Et les aspects changeaientde l’étoile au cloaque ; 6+6 a
1310 Du juge Samuelj’allais au juge Éaque ; 6+6 a
J’ai comparé les deuils,confronté, discuté, 6+6 b
J’ai du dilemme humaintouché l’extrémité ; 6+6 b
La tâche était ardue,et mon âpre logique 6+6 a
Marchait, et de tout boireavait la soif tragique ; 6+6 a
1315 Quel accablement d’êtreà ceci parvenu 6+6 b
Qu’entre l’enfant vêtude pourpre et l’enfant nu, 6+6 b
Entre les fiers palaisdont tonne l’embrasure, 6+6 a
Dont le seuil triomphalrayonne, et la masure, 6+6 a
Entre l’ilote grecet le césar romain, 6+6 b
1320 Entre le mendiant,fantôme du chemin, 6+6 b
Larve obscure, et le roique la foule célèbre, 6+6 a
On ne sait qui choisirpour pleurer ! ― Nuit funèbre ! 6+6 a
Quand donc tous les enferss’évanouiront-ils ? 6+6 b
Quand, ayant un rayonsous chacun de ses cils, 6+6 b
1325 L’aube appartra-t-elle,après tant d’affreux rêves ? 6+6 a
Quand se lèvera-t-il,ce jour saint les Grèves, 6+6 a
Les Tyburns monstrueux,les hideux Montfaucons 6+6 b
S’écrieront sous les cieuxpleins d’astres : Abdiquons ! 6+6 b
Dieu ! quand luira l’auroreet le siècle, la vie, 6+6 a
1330 La paix, la joie ouvrantle ciel qui nous convie, 6+6 a
La liberté splendideaux regards enivrés ? 6+6 b
Oh ! brisez tous les fers,Dieu vivant ! délivrez 6+6 b
Le bourreau du suppliceet le tyran du trône ! 6+6 a
Partout, du Gange au Rhin,du Tibre à l’Amazone, 6+6 a
1335 L’homme souffre, et l’esclaveet le mtre sont las ; 6+6 b
Le joug lui-même crie,et tout le mal, hélas ! 6+6 b
Vient de ce qu’au vrai jouron n’ouvre pas les âmes. 6+6 a
Frères, au désert noirtrop longtemps nous errâmes, 6+6 a
Et, guidés au hasard,marchant sans voir, rampants, 6+6 b
1340 Nous en avons subiles hideux guet-apens. 6+6 b
Tout le crime ici-basest fait par l’ombre lâche. 6+6 a
Haïssons, poursuivonssans trêve, sans relâche, 6+6 a
Les ténèbres, mais non,frères, les ténébreux. 6+6 b
Frappés par eux, broyéspar eux, pleurons sur eux. 6+6 b
1345 Ah ! si l’on t tournévers la clarté leur crâne, 6+6 a
S’ils eussent eu leur partde la céleste manne, 6+6 a
S’ils eussent vu le vrai,tous ces infortunés, 6+6 b
Seraient-ils les bourreaux,les monstres, les damnés ? 6+6 b
Non, tout homme qui voitla lumière, l’adore. 6+6 a
1350 Non, non ! je plains Sélim,je plains Héliodore, 6+6 a
Je plains Caligula,Rhamsès, Achmet ; je plains 6+6 b
Tous les Domitienset tous les Ezzelins ; 6+6 b
Je plains Vitelliuset Mézence ; j’excuse 6+6 a
Le fou de Trianon,le fou de Syracuse, 6+6 a
1355 Les Gengis, les Thamas,dans l’éclair apparus, 6+6 b
Néron brisant Sénèque,Henri brisant Morus, 6+6 b
Cosme, Héliogabale,Omar, Philippe, Osée ; 6+6 a
Et je dis à la Nuit :Répondez, accusée. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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