Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_2/HUG559
Victor HUGO
LES CONTEMPLATIONS
tome II
AUJOURD'HUI
1845-1855
LIVRE SIXIÈME
AU BORD DE L'INFINI
XXVI
Ce que dit la bouche d'ombre
L'homme en songeant descendau gouffre universel. 6+6 a
J'errais près du dolmenqui domine Rozel, 6+6 a
À l'endroit le capse prolonge en presqu'île. 6+6 a
Le spectre m'attendait ;l'être sombre et tranquille 6+6 a
5 Me prit par les cheveuxdans sa main qui grandit, 6+6 a
M'emporta sur le hautdu rocher, et me dit : 6+6 a
*
Sache que tout conntsa loi, son but, sa route ; 6+6 a
Que, de l'astre au ciron,l'immensité s'écoute ; 6+6 a
Que tout a conscienceen la création ; 6+6 a
10 Et l'oreille pourraitavoir sa vision, 6+6 a
Car les choses et l'êtreont un grand dialogue. 6+6 a
Tout parle ; l'air qui passeet l'alcyon qui vogue, 6+6 a
Le brin d'herbe, la fleur,le germe, l'élément. 6+6 a
T'imaginais-tu doncl'univers autrement ? 6+6 a
15 Crois-tu que Dieu, par quila forme sort du nombre, 6+6 a
Aurait fait à jamaissonner la forêt sombre, 6+6 a
L'orage, le torrentroulant de noirs limons, 6+6 a
Le rocher dans les flots,la bête dans les monts, 6+6 a
La mouche, le buisson,la ronce crt la mûre, 6+6 a
20 Et qu'il n'aurait rien misdans l'éternel murmure ? 6+6 a
Crois-tu que l'eau du fleuveet les arbres des bois, 6+6 a
S'ils n'avaient rien à dire,élèveraient la voix ? 6+6 a
Prends-tu le vent des merspour un joueur de flûte ? 6+6 a
Crois-tu que l'océan,qui se gonfle et qui lutte, 6+6 a
25 Serait content d'ouvrirsa gueule jour et nuit 6+6 a
Pour souffler dans le videune vapeur de bruit, 6+6 a
Et qu'il voudrait rugir,sous l'ouragan qui vole, 6+6 a
Si son rugissementn'était une parole ? 6+6 a
Crois-tu que le tombeau,d'herbe et de nuit vêtu, 6+6 a
30 Ne soit rien qu'un silence ?et te figures-tu 6+6 a
Que la créationprofonde, qui compose 6+6 a
Sa rumeur des frissonsdu lys et de la rose, 6+6 a
De la foudre, des flots,des souffles du ciel bleu, 6+6 a
Ne sait ce qu'elle ditquand elle parle à Dieu ? 6+6 a
35 Crois-tu qu'elle ne soitqu'une langue épaissie ? 6+6 a
Crois-tu que la natureénorme balbutie, 6+6 a
Et que Dieu se serait,dans son immensité, 6+6 a
Donné pour tout plaisir,pendant l'éternité, 6+6 a
D'entendre bégayerune sourde-muette ? 6+6 a
40 Non, l'abîme est un prêtreet l'ombre est un poëte ; 6+6 a
Non, tout est une voixet tout est un parfum ; 6+6 a
Tout dit dans l'infiniquelque chose à quelqu'un ; 6+6 a
Une pensée emplitle tumulte superbe. 6+6 a
Dieu n'a pas fait un bruitsans y mêler le Verbe. 6+6 a
45 Tout, comme toi, gémit,ou chante comme moi ; 6+6 a
Tout parle. Et maintenant,homme, sais-tu pourquoi 6+6 a
Tout parle ? Écoute bien.C'est que vents, ondes, flammes, 6+6 a
Arbres, roseaux, rochers,tout vit !
Tout est plein d'âmes. 6+6 a
Mais comment ? Oh ! voilàle mystère inouï. 6+6 a
50 Puisque tu ne t'es pasen route évanoui, 6+6 a
Causons.
*
Dieu n'a crééque l'être impondérable. 6+6 a
Il le fit radieux,beau, candide, adorable, 6+6 a
Mais imparfait ; sans quoi,sur la même hauteur, 6+6 a
La créature étantégale au créateur, 6+6 a
55 Cette perfection,dans l'infini perdue, 6+6 a
Se serait avec Dieumêlée et confondue, 6+6 a
Et la création,à force de clarté, 6+6 a
En lui serait rentréeet n'aurait pas été. 6+6 a
La création sainte rêve le prophète, 6+6 a
60 Pour être, ô profondeur !devait être imparfaite. 6+6 a
Donc, Dieu fit l'univers,l'univers fit le mal. 6+6 a
L'être créé, parédu rayon baptismal, 6+6 a
En des temps dont nous seulsconservons la mémoire, 6+6 a
Planait dans la splendeursur des ailes de gloire ; 6+6 a
65 Tout était chant, encens,flamme, éblouissement ; 6+6 a
L'être errait, aile d'or,dans un rayon charmant, 6+6 a
Et de tous les parfumstour à tour était l'hôte ; 6+6 a
Tout nageait, tout volait.
Or, la première faute 6+6 a
Fut le premier poids.
Dieusenti une douleur. 6+6 a
70 Le poids prit une forme,et, comme l'oiseleur 6+6 a
Fuit emportant l'oiseauqui frisonne et qui lutte, 6+6 a
Il tomba, trnant l'angeéperdu dans sa chute. 6+6 a
Le mal était fait. Puistout alla s'aggravant ; 6+6 a
Et l'éther devint l'air,et l'air devint le vent ; 6+6 a
75 L'ange devint l'esprit,et l'esprit devint l'homme. 6+6 a
L'âme tomba, des mauxmultipliant la somme, 6+6 a
Dans la brute, dans l'arbre,et même, au-dessous d'eux, 6+6 a
Dans le caillou pensif,cet aveugle hideux. 6+6 a
Êtres vils qu'à regretles anges énumèrent ! 6+6 a
80 Et de tous ces amasdes globes se formèrent, 6+6 a
Et derrière ces blocsnaquit la sombre nuit. 6+6 a
Le mal, c'est la matière.Arbre noir, fatal fruit. 6+6 a
*
Ne réfléchis-tu paslorsque tu vois ton ombre ? 6+6 a
Cette forme de toi,rampante, horrible, sombre, 6+6 a
85 Qui, liée à tes pascomme un spectre vivant, 6+6 a
Va tantôt en arrièreet tantôt en avant, 6+6 a
Qui se mêle à la nuit,sa grande sœur funeste, 6+6 a
Et qui contre le jour,noire et dure, proteste, 6+6 a
D' vient-elle ? De toi,de ta chair, du limon 6+6 a
90 Dont l'esprit se revêten devenant démon ; 6+6 a
De ce corps qui, créépar ta faute première, 6+6 a
Ayant rejeté Dieu,résiste à la lumière ; 6+6 a
De ta matière, hélas !de ton iniquité. 6+6 a
Cette ombre dit : — Je suisl'être d'infirmité ; 6+6 a
95 Je suis tombé déjà ;je puis tomber encore. — 6+6 a
L'ange laisse passerà travers lui l'aurore ; 6+6 a
Nul simulacre obscurne suit l'être aromal ; 6+6 a
Homme, tout ce qui faitde l'ombre a fait le mal. 6+6 a
*
Maintenant, c'est icile rocher fatidique, 6+6 a
100 Et je vais t'expliquertout ce que je t'indique ; 6+6 a
Je vais t'emplir les yeuxde nuit et de lueurs. 6+6 a
Prépare-toi, front triste,aux funèbres sueurs. 6+6 a
Le vent d'en haut sur moipasse, et, ce qu'il m'arrache, 6+6 a
Je te le jette ; prends,et vois.
Et, d'abord, sache 6+6 a
105 Que le monde tu visest un monde effrayant 6+6 a
Devant qui le songeur,sous l'infini ployant, 6+6 a
Lève les bras au cielet recule terrible. 6+6 a
Ton soleil est lugubreet ta terre est horrible. 6+6 a
Vous habitez le seuildu monde châtiment. 6+6 a
110 Mais vous n'êtes pas horsde Dieu complètement ; 6+6 a
Dieu, soleil dans l'azur,dans la cendre étincelle, 6+6 a
N'est hors de rien, étantla fin universelle ; 6+6 a
L'éclair est son regard,autant que le rayon ; 6+6 a
Et tout, même le mal,est la création, 6+6 a
115 Car le dedans du masqueest encor la figure. 6+6 a
O sombre aile invisibleà l'immense envergure ! 6+6 a
Esprit ! esprit ! esprit !m'écriai-je éperdu. 6+6 a
Le spectre poursuivitsans m'avoir entendu : 6+6 a
*
Faisons un pas de plusdans ces choses profondes. 6+6 a
120 Homme, tu veux, tu fais,tu construis et tu fondes, 6+6 a
Et tu dis : — Je suis seul,car je suis le penseur. 6+6 a
L'univers n'a que moidans sa morne épaisseur. 6+6 a
En deçà, c'est la nuit ;au delà, c'est le rêve. 6+6 a
L'idéal est un œilque la science crève. 6+6 a
125 C'est moi qui suis la finet qui suis le sommet. — 6+6 a
Voyons ; observes-tule bœuf qui se soumet ? 6+6 a
Écoutes-tu le bruitde ton pas sur les marbres ? 6+6 a
Interroges-tu l'onde ?et, quand tu vois des arbres, 6+6 a
Parles-tu quelquefoisà ces religieux ? 6+6 a
130 Comme sur le versantd'un mont prodigieux, 6+6 a
Vaste mêlée aux bruitsconfus, du fond de l'ombre, 6+6 a
Tu vois monter à toila création sombre. 6+6 a
Le rocher est plus loin,l'animal est plus près. 6+6 a
Comme le faite altieret vivant, tu parais ! 6+6 a
135 Mais, dis, crois-tu que l'êtreillogique nous trompe ? 6+6 a
L'échelle que tu vois,crois-tu qu'elle se rompe ? 6+6 a
Crois-tu, toi dont les sensd'en haut sont éclairés, 6+6 a
Que la créationqui, lente et par degrés, 6+6 a
S'élève à la lumière,et, dans sa marche entière, 6+6 a
140 Fait de plus de clartéluire moins de matière 6+6 a
Et mêle plus d'instinctsau monstre décroissant, 6+6 a
Crois-tu que cette vieénorme, remplissant 6+6 a
De souffles le feuillageet de lueurs la tête, 6+6 a
Qui va du roc à l'arbreet de l'arbre à la bête, 6+6 a
145 Et de la pierre à toimonte insensiblement, 6+6 a
S'arrête sur l'abîmeà l'homme, escarpement ? 6+6 a
Non, elle continue,invincible, admirable, 6+6 a
Entre dans l'invisibleet dans l'impondérable, 6+6 a
Y dispart pour toi,chair vile, emplit l'azur 6+6 a
150 D'un monde éblouissant,miroir du monde obscur, 6+6 a
D'êtres voisins de l'hommeet d'autres qui s'éloignent, 6+6 a
D'esprits purs, de voyantsdont les splendeurs témoignent, 6+6 a
D'anges faits de rayonscomme l'homme d'instincts ; 6+6 a
Elle plonge à traversles cieux jamais atteints, 6+6 a
155 Sublime ascensiond'échelles étoilées, 6+6 a
Des démons enchnésmonte aux âmes ailées, 6+6 a
Fait toucher le front sombreau radieux orteil, 6+6 a
Rattache l'astre esprità l'archange soleil, 6+6 a
Relie, en traversantdes millions de lieues, 6+6 a
160 Les groupes constelléset les légions bleues, 6+6 a
Peuple le haut, le bas,les bords et le milieu, 6+6 a
Et dans les profondeurss'évanouit en Dieu ! 6+6 a
Cette échelle appartvaguement dans la vie 6+6 a
Et dans la mort. Toujoursles justes l'ont gravie : 6+6 a
165 Jacob en la voyant,et Caton sans la voir. 6+6 a
Ses échelons sont deuil,sagesse, exil, devoir. 6+6 a
Et cette échelle vientde plus loin que la terre. 6+6 a
Sache qu'elle commenceaux mondes du mystère, 6+6 a
Aux mondes des terreurset des perditions ; 6+6 a
170 Et qu'elle vient, parmiles pâles visions, 6+6 a
Du précipice sontles larves et les crimes, 6+6 a
la création,effrayant les abîmes, 6+6 a
Se prolonge dans l'ombreen spectre indéfini. 6+6 a
Car, au-dessous du globe vit l'homme banni, 6+6 a
175 Hommes, plus bas que vous,dans le nadir livide, 6+6 a
Dans cette plénitudehorrible qu'on croit vide, 6+6 a
Le mal, qui par la chair,hélas ! vous asservit, 6+6 a
Dégorge une vapeurmonstrueuse qui vit ! 6+6 a
Là, sombre et s'engloutit,dans des flots de désastres, 6+6 a
180 L'hydre Univers tordantson corps écaillé d'astres ; 6+6 a
Là, tout flotte et s'en vadans un naufrage obscur ; 6+6 a
Dans ce gouffre sans bord,sans soupirail, sans mur, 6+6 a
De tout ce qui vécutpleut sans cesse la cendre ; 6+6 a
Et l'on voit tout au fond,quand l'œil ose y descendre, 6+6 a
185 Au delà de la vie,et du souffle et du bruit, 6+6 a
Un affreux soleil noird' rayonne la nuit ! 6+6 a
*
Donc, la matière pendà l'idéal, et tire 6+6 a
L'esprit vers l'animal,l'ange vers le satyre, 6+6 a
Le sommet vers le bas,l'amour vers l'appétit. 6+6 a
190 Avec le grand qui crouleelle fait le petit. 6+6 a
Comment de tant d'azurtant de terreur s'engendre, 6+6 a
Comment le jour fait l'ombreet le feu pur la cendre, 6+6 a
Comment la cécitépeut ntre du voyant, 6+6 a
Comment le ténébreuxdescend du flamboyant, 6+6 a
195 Comment du monstre espritnt le monstre matière, 6+6 a
Un jour, dans le tombeau,sinistre vestiaire, 6+6 a
Tu le sauras ; la tombeest faite pour savoir ; 6+6 a
Tu verras ; aujourd'hui,tu ne peux qu'entrevoir ; 6+6 a
Mais, puisque Dieu permetque ma voix t'avertisse, 6+6 a
Je te parle.
200 Et, d'abord,qu'est-ce que la justice ? 6+6 a
Qui la rend ? qui la fait ? ? quand ? à quel moment ? 6+6 a
Qui donc pèse la faute ?et qui le châtiment ? 6+6 a
*
L'être créé se meutdans la lumière immense. 6+6 a
Libre, il sait le biencesse, le mal commence ; 6+6 a
Il a ses actionspour juges.
205 Il suffit 6+6 a
Qu'il soit méchant ou bon ;tout est dit. Ce qu'on fit, 6+6 a
Crime, est notre geôlier,ou, vertu, nous délivre. 6+6 a
L'être ouvre à son insude lui-même le livre ; 6+6 a
Sa conscience calmey marque avec le doigt 6+6 a
210 Ce que l'ombre lui gardeou ce que Dieu lui doit. 6+6 a
On agit, et l'on gagneou l'on perd à mesure ; 6+6 a
On peut être étincelleou bien éclaboussure ; 6+6 a
Lumière ou fange, archangeau vol d'aigle ou bandit ; 6+6 a
L'échelle vaste est là.Comme je te l'ai dit, 6+6 a
215 Par des zones sans finla vie universelle 6+6 a
Monte, et par des degrésinnombrables ruisselle, 6+6 a
Depuis l'infâme nuitjusqu'au charmant azur. 6+6 a
L'être en la traversantdevient mauvais ou pur. 6+6 a
En haut plane la joie ;en bas l'horreur se trne. 6+6 a
220 Selon que l'âme, aimante,humble, bonne, sereine, 6+6 a
Aspire à la lumièreet tend vers l'idéal, 6+6 a
Ou s'alourdit, immonde,au poids croissant du mal, 6+6 a
Dans la vie infinieon monte et l'on s'élance, 6+6 a
Ou l'on tombe ; et tout êtreest sa propre balance. 6+6 a
225 Dieu ne nous juge point.Vivant tous à la fois, 6+6 a
Nous pesons, et chacundescend selon son poids. 6+6 a
*
Homme ! nous n'approchonsque les paupières closes, 6+6 a
De ces immensitésd'en bas.
Viens, si tu l'oses ! 6+6 a
Regarde dans ce puitsmorne et vertigineux, 6+6 a
230 De la créationcompte les sombres nœuds, 6+6 a
Viens, vois, sonde :
Au-dessousde l'homme qui contemple, 6+6 a
Qui peut être un cloaqueou qui peut être un temple, 6+6 a
Être en qui l'instinct vitdans la raison dissous, 6+6 a
Est l'animal courbévers la terre ; au-dessous 6+6 a
235 De la brute est la planteinerte, sans paupière 6+6 a
Et sans cris ; au-dessousde la plante est la pierre ; 6+6 a
Au-dessous de la pierreest le chaos sans nom. 6+6 a
Avançons dans cette ombreet sois mon compagnon. 6+6 a
*
Toute faute qu'on faitest un cachot qu'on s'ouvre. 6+6 a
240 Les mauvais, ignorantquel mystère les couvre, 6+6 a
Les êtres de fureur,de sang, de trahison, 6+6 a
Avec leurs actionsbâtissent leur prison ; 6+6 a
Tout bandit, quand la mortvient lui toucher l'épaule 6+6 a
Et l'éveille, hagard,se retrouve en la geôle 6+6 a
245 Que lui fit son forfaitderrière lui rampant ; 6+6 a
Tibère en un rocher,Séjan dans un serpent. 6+6 a
L'homme marche sans voirce qu'il fait dans l'abîme. 6+6 a
L'assassin pâliraits'il voyait sa victime ; 6+6 a
C'est lui. L'oppresseur vil,le tyran sombre et fou, 6+6 a
250 En frappant sans pitiésur tous, forge le clou 6+6 a
Qui le clouera dans l'ombreau fond de la matière. 6+6 a
Les tombeaux sont les trousdu crible cimetière, 6+6 a
D' tombe, graine obscureen un ténébreux champ, 6+6 a
L'effrayant tourbillondes âmes.
*
Tout méchant 6+6 a
255 Fait ntre en expirantle monstre de sa vie, 6+6 a
Qui le saisit. L'horreurpar l'horreur est suivie. 6+6 a
Nemrod gronde enfermédans la montagne à pic ; 6+6 a
Quand Dalila descenddans la tombe, un aspic 6+6 a
Sort des plis du linceul,emportant l'âme fausse ; 6+6 a
260 Phryné meurt, un crapaudsaute hors de la fosse ; 6+6 a
Ce scorpion au fondd'une pierre dormant, 6+6 a
C'est Clytemnestre aux brasd'Égisthe son amant ; 6+6 a
Du tombeau d'Anitusil sort une ciguë ; 6+6 a
Le houx sombre et l'ortieà la piqûre aiguë 6+6 a
265 Pleurent quand l'aquilonles fouette, et l'aquilon 6+6 a
Leur dit : Tais-toi, Zoïle !et souffre, Ganelon ! 6+6 a
Dieu livre, choc affreuxdont la plaine au loin gronde, 6+6 a
Au cheval Brunehautle pavé Frédégonde ; 6+6 a
La pince qui rougitdans le brasier hideux 6+6 a
270 Est faite du duc d'Albeet de Philippe Deux ; 6+6 a
Farinace est le crocdes noires boucheries ; 6+6 a
L'orfraie au fond de l'ombrea les yeux de Jeffryes ; 6+6 a
Tristan est au secretdans le bois d'un gibet. 6+6 a
Quand tombent dans la morttous ces brigands, Macbeth, 6+6 a
275 Ezzelin, Richard Trois,Carrier, Ludovic Sforce, 6+6 a
La matière leur metla chemise de force. 6+6 a
Oh ! comme en son bonheur,qui masque un sombre arrêt, 6+6 a
Messaline ou l'horribleIsabeau frémirait 6+6 a
Si, dans ses actionsdu sépulcre voisines, 6+6 a
280 Cette femme sentaitqu'il lui vient des racines, 6+6 a
Et qu'ayant été monstre,elle deviendra fleur ! 6+6 a
À chacun son forfait !à chacun sa douleur ! 6+6 a
Claude est l'algue que l'eautrne de havre en havre ; 6+6 a
Xercès est excrément,Charles Neuf est cadavre ; 6+6 a
285 Hérode, c'est l'osierdes berceaux vagissants ; 6+6 a
L'âme du noir Judas,depuis dix-huit cents ans, 6+6 a
Se disperse et rentdans les crachats des hommes ; 6+6 a
Et le vent qui jadissoufflait sur les Sodomes 6+6 a
Mêle, dans l'âtre abjectet sous le vil chaudron, 6+6 a
290 La fumée Érostrateà la flamme Néron. 6+6 a
*
Et tout, bête, arbre et roche,étant vivant sur terre, 6+6 a
Tout est monstre, exceptél'homme, esprit solitaire. 6+6 a
L'âme que sa noirceurchasse du firmament 6+6 a
Descend dans les degrésdivers du châtiment 6+6 a
295 Selon que plus ou moinsd'obscurité la gagne. 6+6 a
L'homme en est la prison,la bête en est le bagne, 6+6 a
L'arbre en est le cachot,la pierre en est l'enfer. 6+6 a
Le ciel d'en haut, le seulqui soit splendide et clair, 6+6 a
La suit des yeux dans l'ombre,et, lui jetant l'aurore, 6+6 a
300 Tâche, en la regardant,de l'attirer encore. 6+6 a
O chute ! dans la bête,à travers les barreaux 6+6 a
De l'instinct, obstruantde pâles soupiraux, 6+6 a
Ayant encor la voix,l'essor et la prunelle, 6+6 a
L'âme entrevoit de loinla lueur éternelle ; 6+6 a
305 Dans l'arbre elle frissonne,et, sans jour et sans yeux, 6+6 a
Sent encor dans le ventquelque chose des cieux ; 6+6 a
Dans la pierre elle rampe,immobile, muette, 6+6 a
Ne voyant même plusl'obscure silhouette 6+6 a
Du monde qui s'éclipseet qui s'évanouit, 6+6 a
310 Et face à face avecson crime dans la nuit. 6+6 a
L'âme en ces trois cachotstrne sa faute noire. 6+6 a
Comme elle en a la forme,elle en a la mémoire ; 6+6 a
Elle sait ce qu'elle est ;et, tombant sans appuis, 6+6 a
Voit la clarté décrtreà la paroi du puits ; 6+6 a
315 Elle assiste à sa chute ;et, dur caillou qui roule, 6+6 a
Pense : Je suis Octave ;et, vil chardon qu'on foule, 6+6 a
Crie au talon : Je suisAttila le géant ; 6+6 a
Et, ver de terre au fonddu charnier, et rongeant 6+6 a
Un crâne infect et noir,dit : Je suis Cléopâtre. 6+6 a
320 Et, hibou, malgré l'aube,ours, en bravant le pâtre, 6+6 a
Elle accomplit la loiqui l'enchne d'en haut ; 6+6 a
Pierre, elle écrase ; épine,elle pique ; il le faut. 6+6 a
Le monstre est enfermédans son horreur vivante. 6+6 a
Il aurait beau vouloirdépouiller l'épouvante ; 6+6 a
325 Il faut qu'il reste horribleet reste châtié ; 6+6 a
O mystère ! le tigrea peut-être pitié ! 6+6 a
Le tigre sur son dos,qui peut-être eut une aile, 6+6 a
À l'ombre des barreauxde la cage éternelle ; 6+6 a
Un invisible fillie aux noirs échafauds 6+6 a
330 Le noir corbeau dont l'aileest en forme de faulx ; 6+6 a
L'âme louve ne peuts'empêcher d'être louve, 6+6 a
Car le monstre est tenu,sous le ciel qui l'éprouve, 6+6 a
Dans l'expiationpar la fatalité. 6+6 a
Jadis, sans la comprendreet d'un œil hébété, 6+6 a
335 L'Inde a presque entrevucette métempsycose. 6+6 a
La ronce devient griffe,et la feuille de rose 6+6 a
Devient langue de chat,et, dans l'ombre et les cris, 6+6 a
Horrible, lèche et boitle sang de la souris ; 6+6 a
Qui donc connt le monstreappelé mandragore ? 6+6 a
340 Qui sait ce que, le soir,éclaire le fulgore, 6+6 a
Être en qui la laideurdevient une clarté ? 6+6 a
Ce qui se passe en l'ombre crt la fleur d'été 6+6 a
Efface la terreurdes antiques avernes 6+6 a
Étages effrayants !cavernes sur cavernes. 6+6 a
345 Ruche obscure du mal,du crime et du remord ! 6+6 a
Donc, une bête va,vient, rugit, hurle, mord ; 6+6 a
Un arbre est là, dressantses branches hérissées, 6+6 a
Une dalle s'effondreau milieu des chaussées 6+6 a
Que la charrette écraseet que l'hiver détruit, 6+6 a
350 Et, sous ces épaisseursde matière et de nuit, 6+6 a
Arbre, bête, pavé,poids que rien ne soulève, 6+6 a
Dans cette profondeurterrible, une âme rêve ! 6+6 a
Que fait-elle ? Elle songeà Dieu !
*
Fatalité ! 6+6 a
Échéance ! retour !revers ! autre côté ! 6+6 a
355 O loi ! pendant qu'assisà table, joyeux groupes, 6+6 a
Les pervers, les puissants,vidant toutes les coupes, 6+6 a
Oubliant qu'aujourd'huipar demain est guetté, 6+6 a
Étalent leur mâchoireen leur folle gté, 6+6 a
Voilà ce qu'en sa nuitmuette et colossale, 6+6 a
360 Montrant comme eux ses dentstout au fond de la salle, 6+6 a
Leur réserve la mort,ce sinistre rieur ! 6+6 a
Nous avons, nous, voyantsdu ciel supérieur, 6+6 a
Le spectacle inouïde vos régions basses. 6+6 a
O songeur, fallait-ilqu'en ces nuits tu tombasses ! 6+6 a
365 Nous écoutons le cride l'immense malheur. 6+6 a
Au-dessus d'un rocher,d'un loup ou d'une fleur, 6+6 a
Parfois nous appartl'âme à mi-corps sortie, 6+6 a
Pauvre ombre en pleurs qui lutte,hélas ! presque engloutie ; 6+6 a
Le loup la tient, le rocétreint ses pieds qu'il tord, 6+6 a
370 Et la fleur implacableet féroce la mord. 6+6 a
Nous entendons le bruitdu rayon que Dieu lance, 6+6 a
La voix de ce que l'hommeappelle le silence, 6+6 a
Et vos soupirs profonds,cailloux désespérés ! 6+6 a
Nous voyons la pâleurde tous les fronts murés. 6+6 a
375 À travers la matière,affreux caveau sans portes, 6+6 a
L'ange est pour nous visibleavec ses ailes mortes. 6+6 a
Nous assistons aux deuils,au blasphème, aux regrets, 6+6 a
Aux fureurs ; et, la nuit,nous voyons les forêts, 6+6 a
D' cherchent à s'enfuirles larves enfermées, 6+6 a
380 S'écheveler dans l'ombreen lugubres fumées. 6+6 a
Partout, partout, partout !dans les flots, dans les bois, 6+6 a
Dans l'herbe en fleurs, dans l'orqui sert de sceptre aux rois, 6+6 a
Dans le jonc dont Hermèsse fait une baguette, 6+6 a
Partout le châtimentcontemple, observe ou guette, 6+6 a
385 Sourd aux questions, triste,affreux, pensif, hagard ; 6+6 a
Et tout est l'œil d' sortce terrible regard. 6+6 a
O châtiment ! dédaleaux spirales funèbres ! 6+6 a
Construction d'en basqui cherche les ténèbres, 6+6 a
Plonge au-dessous du mondeet descend dans la nuit, 6+6 a
390 Et, Babel renversée,au fond de l'ombre fuit ! 6+6 a
L'homme qui plane et rampe,être crépusculaire, 6+6 a
En est le milieu.
*
L'hommeest clémence et colère ; 6+6 a
Fond vil du puits, plateauradieux de la tour ; 6+6 a
Degré d'en haut pour l'ombre,et d'en bas pour le jour. 6+6 a
395 L'ange y descend, la bêteaprès la mort y monte ; 6+6 a
Pour la bête, il est gloire,et, pour l'ange, il est honte ; 6+6 a
Dieu mêle en votre race,hommes infortunés, 6+6 a
Les demi-dieux punisaux monstres pardonnés. 6+6 a
De là vient que, parfois,— mystère que Dieu mène ! — 6+6 a
400 On entend d'une boucheen apparence humaine 6+6 a
Sortir des mots pareilsà des rugissements, 6+6 a
Et que, dans d'autres lieuxet dans d'autres moments, 6+6 a
On croit voir sur un fronts'ouvrir des ailes d'ange. 6+6 a
Roi foat, l'homme, esprit,pense, et, matière, mange. 6+6 a
405 L'âme en lui ne se peutdresser sur sonant. 6+6 a
L'homme, comme la bruteabreuvé deant, 6+6 a
Vide toutes les nuitsle verre noir du somme. 6+6 a
La chne de l'enfer,liée au pied de l'homme, 6+6 a
Ramène chaque jourvers le cloaque impur 6+6 a
410 La beauté, le génie,envolés dans l'azur, 6+6 a
Mêle la peste au souffleidéal des poitrines, 6+6 a
Et trne, avec Socrate,Aspasie aux latrines. 6+6 a
*
Par un côté pourtantl'homme est illimité. 6+6 a
Le monstre a le carcan,l'homme a la liberté. 6+6 a
415 Songeur, retiens ceci :l'homme est un équilibre. 6+6 a
L'homme est une prison l'âme reste libre. 6+6 a
L'âme, dans l'homme, agit,fait le bien, fait le mal, 6+6 a
Remonte vers l'esprit,retombe à l'animal ; 6+6 a
Et, pour que, dans son volvers les cieux, rien ne lie 6+6 a
420 Sa conscience ailéeet de Dieu seul remplie, 6+6 a
Dieu, quand une âme éclôtdans l'homme au bien poussé, 6+6 a
Casse en son souvenirle fil de son passé ; 6+6 a
De là vient que la nuiten sait plus que l'aurore. 6+6 a
Le monstre se conntlorsque l'homme s'ignore. 6+6 a
425 Le monstre est la souffrance,et l'homme est l'action. 6+6 a
L'homme est l'unique pointde la création 6+6 a
, pour demeurer libreen se faisant meilleure, 6+6 a
L'âme doive oubliersa vie antérieure. 6+6 a
Mystère ! au seuil de toutl'esprit rêve ébloui. 6+6 a
430 L'homme ne voit pas Dieu,mais peut aller à lui, 6+6 a
En suivant la clartédu bien, toujours présente ; 6+6 a
Le monstre, arbre, rocherou bête rugissante, 6+6 a
Voit Dieu, c'est là sa peine,et reste enchné loin. 6+6 a
L'homme a l'amour pour aile,et pour joug le besoin. 6+6 a
435 L'ombre est sur ce qu'il voitpar lui-même semée ; 6+6 a
La nuit sort de son œilainsi qu'une fumée ; 6+6 a
Homme, tu ne sais rien ;tu marches, pâlissant ! 6+6 a
Parfois le voile obscurqui te couvre, ô passant ! 6+6 a
S'envole et flotte au ventsoufflant d'une autre sphère, 6+6 a
440 Gonfle un moment ses plisjusque dans la lumière, 6+6 a
Puis retombe sur toi,spectre, et redevient noir. 6+6 a
Tes sages, tes penseursont essayé de voir ; 6+6 a
Qu'ont-ils vu ? qu'ont-ils fait ?qu'ont-ils dit, ces fils d'Ève ? 6+6 a
Rien
Homme ! autour de toila création rêve. 6+6 a
445 Mille êtres inconnust'entourent dans ton mur. 6+6 a
Tu vas, tu viens, tu dorssous leur regard obscur, 6+6 a
Et tu ne les sens pasvivre autour de ta vie : 6+6 a
Toute une légiond'âmes t'est asservie ; 6+6 a
Pendant qu'elle te plaint,tu la foules aux pieds. 6+6 a
450 Tous tes pas vers le joursont par l'ombre épiés. 6+6 a
Ce que tu nommes chose,objet, nature morte, 6+6 a
Sait, pense, écoute, entend.Le verrou de ta porte 6+6 a
Voit arriver ta fauteet voudrait se fermer. 6+6 a
Ta vitre connt l'aube,et dit : Voir ! croire ! aimer ! 6+6 a
455 Les rideaux de ton litfrissonnent de tes songes. 6+6 a
Dans les mauvais desseinsquand, rêveur, tu te plonges, 6+6 a
La cendre dit au fondde l'âtre sépulcral : 6+6 a
Regarde-moi ; je suisce qui reste du mal. 6+6 a
Hélas ! l'homme imprudenttrahit, torture, opprime. 6+6 a
460 La bête en son enfervoit les deux bouts du crime ; 6+6 a
Un loup pourrait donnerdes conseils à Néron. 6+6 a
Homme ! homme ! aigle aveuglé,moindre qu'un moucheron ! 6+6 a
Pendant que dans ton Louvreou bien dans ta chaumière, 6+6 a
Tu vis, sans même avoirépelé la première 6+6 a
465 Des constellations,sombre alphabet qui luit 6+6 a
Et tremble sur la pageimmense de la nuit, 6+6 a
Pendant que tu maudiset pendant que tu nies, 6+6 a
Pendant que tu dis : Non !aux astres ; aux génies : 6+6 a
Non ! à l'idéal : Non !à la vertu : Pourquoi ? 6+6 a
470 Pendant que tu te tiensen dehors de la loi, 6+6 a
Copiant les dédainsinquiets ou robustes 6+6 a
De ces sages qu'on voitrêver dans les vieux bustes, 6+6 a
Et que tu dis : Que sais-je ?amer, froid, mécréant, 6+6 a
Prostituant ta boucheau rire duant, 6+6 a
475 À travers le taillisde la nature énorme, 6+6 a
Flairant l'éternitéde son museau difforme, 6+6 a
Là, dans l'ombre, à tes pieds,homme, ton chien voit Dieu. 6+6 a
Ah ! je t'entends. Tu dis :— Quel deuil ! la bête est peu, 6+6 a
L'homme n'est rien. O loimisérable ! ombre ! abîme ! — 6+6 a
*
480 O songeur ! cette loimisérable est sublime. 6+6 a
Il faut donc tout redireà ton esprit chétif ! 6+6 a
À la fatalité,loi du monstre captif, 6+6 a
Succède le devoir,fatalité de l'homme. 6+6 a
Ainsi de toutes partsl'épreuve se consomme, 6+6 a
485 Dans le monstre passif,dans l'homme intelligent, 6+6 a
La nécessité morneen devoir se changeant, 6+6 a
Et l'âme, remontantà sa beauté première, 6+6 a
Va de l'ombre fataleà la libre lumière. 6+6 a
Or, je te le redis,pour se transfigurer, 6+6 a
490 Et pour se racheter,l'homme doit ignorer. 6+6 a
Il doit être aveuglépar toutes les poussières. 6+6 a
Sans quoi, comme l'enfantguidé par des lisières, 6+6 a
L'homme vivrait, marchantdroit à la vision. 6+6 a
Douter est sa puissanceet sa punition. 6+6 a
495 Il voit la rose, et nie ;il voit l'aurore, et doute ; 6+6 a
serait le mériteà retrouver sa route, 6+6 a
Si l'homme, voyant clair,roi de sa volonté, 6+6 a
Avait la certitude,ayant la liberté ? 6+6 a
Non. Il faut qu'il hésiteen la vaste nature, 6+6 a
500 Qu'il traverse du choixl'effrayante aventure, 6+6 a
Et qu'il compare au viceagitant son miroir, 6+6 a
Au crime, aux voluptés,l'œil en pleurs du devoir ; 6+6 a
Il faut qu'il doute ! Hiercroyant demain impie ; 6+6 a
Il court du mal au bien ;il scrute, sonde, épie, 6+6 a
505 Va, revient, et, tremblant,agenouillé, debout, 6+6 a
Les bras étendus, triste,il cherche Dieu partout ; 6+6 a
Il tâte l'infinijusqu'à ce qu'il l'y sente ; 6+6 a
Alors, son âme ailéeéclate frémissante ; 6+6 a
L'ange éblouissant luitdans l'homme transparent. 6+6 a
510 Le doute le fait libre,et la liberté, grand. 6+6 a
La captivité sait ;la liberté suppose, 6+6 a
Creuse, saisit l'effet,le compare à la cause, 6+6 a
Croit vouloir le bien-êtreet veut le firmament ; 6+6 a
Et, cherchant le caillou,trouve le diamant. 6+6 a
515 C'est ainsi que du ciell'âme à pas lents s'empare. 6+6 a
Dans le monstre, elle expie ;en l'homme, elle répare. 6+6 a
*
Oui, ton fauve universest le foat de Dieu. 6+6 a
Les constellations,sombres lettres de feu, 6+6 a
Sont les marques du bagneà l'épaule du monde. 6+6 a
520 Dans votre régiontant d'épouvante abonde, 6+6 a
Que, pour l'homme, marquélui-même du fer chaud, 6+6 a
Quand il lève les yeuxvers les astres, là-haut, 6+6 a
Le cancer resplendit,le scorpion flamboie, 6+6 a
Et dans l'immensitéle chien sinistre aboie ! 6+6 a
525 Ces soleils inconnusse groupent sur son front 6+6 a
Comme l'effroi, le deuil,la menace et l'affront ; 6+6 a
De toutes parts s'étendl'ombre incommensurable ; 6+6 a
En bas l'obscur, l'impur,le mauvais, l'exécrable, 6+6 a
Le pire, tas hideux,fourmillent ; tout au fond, 6+6 a
530 Ils échangent entre euxdans l'ombre ce qu'ils font ; 6+6 a
Typhon donne l'horreur,Satan donne le crime ; 6+6 a
Lugubre intimitédu mal et de l'abîme ! 6+6 a
Amours de l'âme monstreet du monstre univers ! 6+6 a
Baiser triste ! et l'informeengendré du pervers, 6+6 a
535 La matière, le bloc,la fange, la géhenne, 6+6 a
L'écume, le chaos,l'hiver, nés de la haine, 6+6 a
Les faces de beautéqu'habitent des démons, 6+6 a
Tous les êtres maudits,mêlés aux vils limons, 6+6 a
Pris par la plante fauveet la bête féroce, 6+6 a
540 Le grincement de dents,la peur, le rire atroce, 6+6 a
L'orgueil, que l'infinicourbe sous son niveau, 6+6 a
Rampent, noirs prisonniers,dans la nuit, noir caveau. 6+6 a
La porte, affreuse et faiteavec de l'ombre, est lourde ; 6+6 a
Par moments, on entend,dans la profondeur sourde, 6+6 a
545 Les efforts que les monts,les flots, les ouragans, 6+6 a
Les volcans, les forêts,les animaux brigands, 6+6 a
Et tous les monstres fontpour soulever le pêne ; 6+6 a
Et sur cet amas d'ombre,et de crime, et de peine, 6+6 a
Ce grand ciel formidableest le scellé de Dieu. 6+6 a
550 Voilà pourquoi, songeurdont la mort est le vœu, 6+6 a
Tant d'angoisse est empreinteau front des cénobites ! 6+6 a
Je viens de te montrerle gouffre. Tu l'habites. 6+6 a
*
Les mondes, dans la nuitque vous nommez l'azur, 6+6 a
Par les brèches que faitla mort blême à leur mur, 6+6 a
555 Se jettent en fuyantl'un à l'autre des âmes. 6+6 a
Dans votre globe sonttant de geôles infâmes, 6+6 a
Vous avez des méchantsde tous les univers, 6+6 a
Condamnés qui, venusdes cieux les plus divers, 6+6 a
Rêvent dans vos rochers,ou dans vos arbres ploient ; 6+6 a
560 Tellement stupéfaitsde ce monde qu'ils voient, 6+6 a
Qu'eussent-ils la parole,ils ne pourraient parler. 6+6 a
On en sent quelques-unsfrissonner et trembler. 6+6 a
De là les songes vainsdu bonze et de l'augure. 6+6 a
Donc, représente-toicette sombre figure : 6+6 a
565 Ce gouffre, c'est l'égoutdu mal universel. 6+6 a
Ici vient aboutirde tous les points du ciel 6+6 a
La chute des punis,ténébreuse trnée. 6+6 a
Dans cette profondeur,morne, âpre, infortunée, 6+6 a
De chaque globe il tombeun flot vertigineux 6+6 a
570 D'âmes, d'esprits malsainset d'êtres vénéneux, 6+6 a
Flot que l'éternitévoit sans fin se répandre. 6+6 a
Chaque étoile au front d'orqui brille, laisse pendre 6+6 a
Sa chevelure d'ombreen ce puits effrayant. 6+6 a
Âme immortelle, vois,et frémis en voyant : 6+6 a
575 Voilà le précipiceexécrable tu sombres. 6+6 a
*
Oh ! qui que vous soyez,qui passez dans ces ombres, 6+6 a
Versez votre pitiésur ces douleurs sans fond ! 6+6 a
Dans ce gouffre, l'abîmeen l'abîme se fond, 6+6 a
Se tordent les forfaits,transformés en supplices, 6+6 a
580 L'effroi, le deuil, le mal,les ténèbres complices, 6+6 a
Les pleurs sous la toison,le soupir expiré 6+6 a
Dans la fleur, et le cridans la pierre muré ! 6+6 a
Oh ! qui que vous soyez,pleurez sur ces misères ! 6+6 a
Pour Dieu seul, qui sait tout,elles sont nécessaires ; 6+6 a
585 Mais vous pouvez pleurersur l'énorme cachot 6+6 a
Sans déranger le sombreéquilibre d'en haut ! 6+6 a
Hélas ! hélas ! hélas !tout est vivant ! tout pense ! 6+6 a
La mémoire est la peine,étant la récompense. 6+6 a
Oh ! comme ici l'on souffreet comme on se souvient ! 6+6 a
590 Torture de l'espritque la matière tient ! 6+6 a
La brute et le granit,quel chevalet pour l'âme ! 6+6 a
Ce mulet fut sultan,ce cloporte était femme. 6+6 a
L'arbre est un exilé,la roche est un proscrit. 6+6 a
Est-ce que, quelque part,par hasard, quelqu'un rit 6+6 a
595 Quand ces réalitéssont là, remplissant l'ombre ? 6+6 a
La ruine, la mort,l'ossement, le décombre, 6+6 a
Sont vivants. Un remordssonge dans un débris. 6+6 a
Pour l'œil profond qui voit,les antres sont des cris : 6+6 a
Hélas ! le cygne est noir,le lys songe à ses crimes ; 6+6 a
600 La perle est nuit ; la neigeest la fange des cimes ; 6+6 a
Le même gouffre, horribleet fauve, et sans abri, 6+6 a
S'ouvre dans la chouetteet dans le colibri ; 6+6 a
La mouche, âme, s'envoleet se brûle à la flamme ; 6+6 a
Et la flamme, esprit, brûleavec angoisse une âme ; 6+6 a
605 L'horreur fait frissonnerles plumes de l'oiseau ; 6+6 a
Tout est douleur.
Les fleurssouffrent sous le ciseau, 6+6 a
Et se ferment ainsique des paupières closes : 6+6 a
Toutes les femmes sontteintes du sang des roses ; 6+6 a
La vierge au bal, qui danse,ange aux frches couleurs, 6+6 a
610 Et qui porte en sa mainune touffe de fleurs, 6+6 a
Respire en souriantun bouquet d'agonies. 6+6 a
Pleurez sur les laideurset les ignominies, 6+6 a
Pleurez sur l'araignéeimmonde, sur le ver, 6+6 a
Sur la limace au dosmouillé comme l'hiver, 6+6 a
615 Sur le vil puceronqu'on voit aux feuilles pendre, 6+6 a
Sur le crabe hideux,sur l'affreux scolopendre, 6+6 a
Sur l'effrayant crapaud,pauvre monstre aux doux yeux, 6+6 a
Qui regarde toujoursle ciel mystérieux ! 6+6 a
Plaignez l'oiseau de crimeet la bête de proie. 6+6 a
620 Ce que Domitien,César, fit avec joie, 6+6 a
Tigre, il le continueavec horreur. Verrès, 6+6 a
Qui fut loup sous la pourpre,est loup dans les forêts ; 6+6 a
Il descend, réveillé,l'autre côté du rêve : 6+6 a
Son rire, au fond des bois,en hurlement s'achève ; 6+6 a
625 Pleurez sur ce qui hurleet pleurez sur Verrès. 6+6 a
Sur ces tombeaux vivants,marqués d'obscurs arrêts, 6+6 a
Penchez-vous attendri !versez votre prière ! 6+6 a
La pitié fait sortirdes rayons de la pierre. 6+6 a
Plaignez le louveteau,plaignez le lionceau. 6+6 a
630 La matière, affreux bloc,n'est que le lourd monceau 6+6 a
Des effets monstrueux,sortis des sombres causes. 6+6 a
Ayez pitié ! voyezdes âmes dans les choses. 6+6 a
Hélas ! le cabanonsubit aussi l'écrou ; 6+6 a
Plaignez le prisonnier,mais plaignez le verrou ; 6+6 a
635 Plaignez la chne au fonddes bagnes insalubres ; 6+6 a
La hache et le billotsont deux êtres lugubres ; 6+6 a
La hache souffre autantque le corps, le billot 6+6 a
Souffre autant que la tête ;ô mystères d'en haut ! 6+6 a
Ils se livrent une âpreet hideuse bataille ; 6+6 a
640 Il ébrèche la hacheet la hache l'entaille ; 6+6 a
Ils se disent tout basl'un à l'autre : Assassin ! 6+6 a
Et la hache mauditles hommes, sombre essaim, 6+6 a
Quand, le soir, sur le dosdu bourreau, son ministre, 6+6 a
Elle revient dans l'ombre,et luit, miroir sinistre, 6+6 a
645 Ruisselante de sanget reflétant les cieux ; 6+6 a
Et, la nuit, dans l'étalmorne et silencieux, 6+6 a
Le cadavre au cou rouge,effrayant, glacé, blême, 6+6 a
Seul, sait ce que lui ditle billot, tronc lui-même. 6+6 a
Oh ! que la terre est froideet que les rocs sont durs ! 6+6 a
650 Quelle muette horreurdans les halliers obscurs ! 6+6 a
Les pleurs noirs de la nuitsur la colombe blanche 6+6 a
Tombent ; le vent met nueet torture la branche ; 6+6 a
Quel monologue affreuxdans l'arbre aux rameaux verts ! 6+6 a
Quel frisson dans l'herbe ! Oh !quels yeux fixes ouverts 6+6 a
655 Dans les cailloux profonds,oubliettes des âmes ! 6+6 a
C'est une âme que l'eauscie en ses froides lames ; 6+6 a
C'est une âme que faitruisseler le pressoir. 6+6 a
Ténèbres ! l'universest hagard. Chaque soir, 6+6 a
Le noir horizon monteet la nuit noire tombe ; 6+6 a
660 Tous deux, à l'occident,d'un mouvement de tombe, 6+6 a
Ils vont se rapprochant,et, dans le firmament, 6+6 a
O terreur ! sur le jour,écrasé lentement, 6+6 a
La tenaille de l'ombreeffroyable se ferme. 6+6 a
Oh ! les berceaux font peur.Un bagne est dans un germe. 6+6 a
665 Ayez pitié, vous touset qui que vous soyez ! 6+6 a
Les hideux châtiments,l'un sur l'autre broyés, 6+6 a
Roulent, submergeant tout,excepté les mémoires. 6+6 a
Parfois on voit passerdans ces profondeurs noires 6+6 a
Comme un rayon lointainde l'éternel amour ; 6+6 a
670 Alors, l'hyène Atréeet le chacal Timour, 6+6 a
Et l'épine Caïpheet le roseau Pilate, 6+6 a
Le volcan Alaricà la gueule écarlate, 6+6 a
L'ours Henri Huit, pour quiMorus en vain pria, 6+6 a
Le sanglier Selimet le porc Borgia, 6+6 a
675 Poussent des cris vers l'Êtreadorable ; et les bêtes 6+6 a
Qui portèrent jadisdes mitres sur leurs têtes, 6+6 a
Les grains de sable rois,les brins d'herbe empereurs, 6+6 a
Tous les hideux orgueilset toutes les fureurs, 6+6 a
Se brisent ; la douceursaisit le plus farouche ; 6+6 a
680 Le chat lèche l'oiseau,l'oiseau baise la mouche ; 6+6 a
Le vautour dit dans l'ombreau passereau : Pardon ! 6+6 a
Une caresse sortdu houx et du chardon ; 6+6 a
Tous les rugissementsse fondent en prières ; 6+6 a
On entend s'accuserde leurs forfaits les pierres ; 6+6 a
685 Tous ces sombres cachotsqu'on appelle les fleurs 6+6 a
Tressaillent ; le rocherse met à fondre en pleurs ; 6+6 a
Des bras se lèvent horsde la tombe dormante ; 6+6 a
Le vent gémit, la nuitse plaint, l'eau se lamente, 6+6 a
Et, sous l'œil attendriqui regarde d'en haut, 6+6 a
690 Tout l'abîme n'est plusqu'un immense sanglot. 6+6 a
*
Espérez ! espérez !espérez, misérables ! 6+6 a
Pas de deuil infini,pas de maux incurables, 6+6 a
 Pas d'enfer éternel ! 6 a
Les douleurs vont à Dieu,comme la flèche aux cibles ; 6+6 b
695 Les bonnes actionssont les gonds invisibles 6+6 b
 De la porte du ciel. 6 a
Le deuil est la vertu,le remords est le pôle 6+6 a
Des monstres garrottésdont le gouffre est la geôle ; 6+6 a
 Quand, devant Jéhovah, 6 a
700 Un vivant reste purdans les ombres charnelles, 6+6 b
La mort, ange attendri,rapporte ses deux ailes 6+6 b
 À l'homme qui s'en va. 6 a
Les enfers se refontédens ; c'est là leur tâche. 6+6 a
Tout globe est un oiseauque le mal tient et lâche. 6+6 a
705  Vivants, je vous le dis, 6 a
Les vertus, parmi vous,font ce labeur auguste 6+6 b
D'augmenter sur vos frontsle ciel ; quiconque est juste 6+6 b
 Travaille au paradis. 6 a
L'heure approche. Espérez.Rallumez l'âme éteinte ! 6+6 a
710 Aimez-vous ! aimez-vous !car c'est la chaleur sainte, 6+6 a
 C'est le feu du vrai jour. 6 a
Le sombre univers, froid,glacé, pesant, réclame 6+6 b
La sublimationde l'être par la flamme, 6+6 b
 De l'homme par l'amour ! 6 a
715 Déjà, dans l'océand'ombre que Dieu domine, 6+6 a
L'archipel ténébreuxdes bagnes s'illumine ; 6+6 a
 Dieu, c'est le grand aimant ; 6 a
Et les globes, ouvrantleur sinistre prunelle, 6+6 b
Vers les immensitésde l'aurore éternelle 6+6 b
720  Se tournent lentement ! 6 a
Oh ! comme vont chantertoutes les harmonies, 6+6 a
Comme rayonnerontdans les sphères bénies 6+6 a
 Les faces de clarté, 6 a
Comme les firmamentsse fondront en délires, 6+6 b
725 Comme tressailleronttoutes les grandes lyres 6+6 b
 De la sérénité, 6 a
Quand, du monstre matièreouvrant toutes les serres, 6+6 a
Faisant évanouiren splendeurs les misères, 6+6 a
 Changeant l'absinthe en miel, 6 a
730 Inondant de beautéla nuit diminuée, 6+6 b
Ainsi que le soleiltire à lui la nuée 6+6 b
 Et l'emplit d'arcs-en-ciel, 6 a
Dieu, de son regard fixeattirant les ténèbres, 6+6 a
Voyant vers lui, du fonddes cloaques funèbres 6+6 a
735   le mal le pria, 6 a
Monter l'énormité,bégayant des louanges, 6+6 b
Fera rentrer, parmiles univers archanges, 6+6 b
 L'univers paria ! 6 a
On verra palpiterles fanges éclairées, 6+6 a
740 Et briller les laideursles plus désespérées 6+6 a
 Au fte le plus haut, 6 a
L'araignée éclatanteau seuil des bleus pilastres, 6+6 b
Luire, et se redresser,portant des épis d'astres, 6+6 b
 La paille du cachot ! 6 a
745 La clarté monteradans tout comme une sève ; 6+6 a
On verra rayonnerau front du bœuf qui rêve 6+6 a
 Le céleste croissant ; 6 a
Le charnier chanteradans l'horreur qui l'encombre, 6+6 b
Et sur tous les fumiersappartra dans l'ombre 6+6 b
750  Un Job resplendissant ! 6 a
O disparitionde l'antique anathème ! 6+6 a
La profondeur disantà la hauteur : Je t'aime ! 6+6 a
 O retour du banni ! 6 a
Quel éblouissementau fond des cieux sublimes ! 6+6 b
755 Quel surcrt de clartéque l'ombre des abîmes 6+6 b
 S'écriant : Sois béni ! 6 a
On verra le troupeaudes hydres formidables 6+6 a
Sortir, monter du fonddes brumes insondables 6+6 a
 Et se transfigurer ; 6 a
760 Des étoiles écloreaux trous noirs de leurs crânes, 6+6 b
Dieu juste ! et, par degrésdevenant diaphanes, 6+6 b
 Les monstres s'azurer ! 6 a
Ils viendront, sans pouvoirni parler ni répondre, 6+6 a
Éperdus ! on verrades auréoles fondre 6+6 a
765  Les cornes de leur front ; 6 a
Ils tiendront dans leur griffe,au milieu des cieux calmes, 6+6 b
Des rayons frissonnantssemblables à des palmes ; 6+6 b
 Les gueules baiseront ! 6 a
Ils viendront ! ils viendront,tremblants, brisés d'extase, 6+6 a
770 Chacun d'eux débordantde sanglots comme un vase, 6+6 a
 Mais pourtant sans effroi ; 6 a
On leur tendra les brasde la haute demeure, 6+6 b
Et Jésus, se penchantsur Bélial qui pleure, 6+6 b
 Lui dira : C'est donc toi ! 6 a
775 Et vers Dieu par la mainil conduira ce frère ! 6+6 a
Et, quand ils seront prèsdes degrés de lumière 6+6 a
 Par nous seuls apeus, 6 a
Tous deux seront si beaux,que Dieu dont l'œil flamboie 6+6 b
Ne pourra distinguer,père ébloui de joie, 6+6 b
780  Bélial de Jésus ! 6 a
Tout sera dit. Le malexpirera, les larmes 6+6 a
Tariront ; plus de fers,plus de deuils, plus d'alarmes ; 6+6 a
 L'affreux gouffre inclément 6 a
Cessera d'être sourd,et bégaiera : Qu'entends-je ? 6+6 b
785 Les douleurs finirontdans toute l'ombre : un ange 6+6 b
 Criera : Commencement ! 6 a
mètre profils métriques : 6, 6+6
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