Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_2/HUG549
Victor HUGO
LES CONTEMPLATIONS
tome II
AUJOURD'HUI
1845-1855
LIVRE SIXIÈME
AU BORD DE L'INFINI
XVI
Horror
I
Esprit mystérieux qui, le doigt sur ta bouche, 6+6 a
Passes… ne t'en va pas ! parle à l'homme farouche 6+6 a
Ivre d'ombre et d'immensité, 8 b
Parle-moi, toi, front blanc qui dans ma nuit te penches ; 6+6 c
5 Réponds-moi, toi qui luis et marches sous les branches, 6+6 c
Comme un souffle de la clarté ! 8 b
Est-ce toi que chez moi minuit parfois apporte ? 6+6 a
Est-ce toi qui heurtais l'autre nuit à ma porte, 6+6 a
Pendant que je ne dormais pas ? 8 b
10 C'est donc vers moi que vient lentement ta lumière ? 6+6 c
La pierre de mon seuil peut-être est la première 6+6 c
Des sombres marches du trépas. 8 b
Peut-être qu'à ma porte ouvrant sur l'ombre immense, 6+6 a
L'invisible escalier des ténèbres commence ; 6+6 a
15 Peut-être, ô pâles échappés, 8 b
Quand vous montez du fond de l'horreur sépulcrale, 6+6 c
O morts, quand vous sortez de la froide spirale, 6+6 c
Est-ce chez moi que vous frappez ! 8 b
Car la maison d'exil, mêlée aux catacombes, 6+6 a
20 Est adossée au mur de la ville des tombes. 6+6 a
Le proscrit est celui qui sort ; 8 b
Il flotte submergé comme la nef qui sombre ; 6+6 c
Le jour le voit à peine et dit : Quelle est cette ombre ? 6+6 c
Et la nuit dit : Quel est ce mort ? 8 b
25 Sois la bienvenue, ombre ! ô ma sœur ! ô figure 6+6 a
Qui me fais signe alors que sur l'énigme obscure 6+6 a
Je me penche, sinistre et seul ; 8 b
Et qui viens, m'effrayant de ta lueur sublime, 6+6 c
Essuyer sur mon front la sueur de l'abîme 6+6 c
30 Avec un pan de ton linceul ! 8 b
II
Oh ! que le gouffre est noir, et que l'œil est débile ! 6+6 a
Nous avons devant nous le silence immobile. 6+6 a
Qui sommes-nous ? où sommes-nous ? 8 b
Faut-il jouir ? faut-il pleurer ? Ceux qu'on rencontre 6+6 c
35 Passent. Quelle est la loi ? La prière nous montre 6+6 c
L'écorchure de ses genoux. 8 b
D'où viens-tu ? — Je ne sais. — Où vas-tu ? — Je l'ignore. 6+6 a
L'homme ainsi parle à l'homme et l'onde au flot sonore. 6+6 a
Tout va, tout vient, tout ment, tout fuit. 8 b
40 Parfois nous devenons pâles, hommes et femmes, 6+6 c
Comme si nous sentions se fermer sur nos âmes 6+6 c
La main de la géante nuit. 8 b
Nous voyons fuir la flèche et l'ombre est sur la cible. 6+6 a
L'homme est lancé. Par qui ? vers qui ? Dans l'invisible. 6+6 a
45 L'arc ténébreux siffle dans l'air. 8 b
En voyant ceux qu'on aime en nos bras se dissoudre, 6+6 c
Nous demandons si c'est pour la mort, coup de foudre, 6+6 c
Qu'est faite, hélas ! la vie éclair ! 8 b
Nous demandons, vivants douteux qu'un linceul couvre, 6+6 a
50 Si le profond tombeau qui devant nous s'entr'ouvre, 6+6 a
Abîme, espoir, asile, écueil, 8 b
N'est pas le firmament plein d'étoiles sans nombre, 6+6 c
Et si tous les clous d'or qu'on voit au ciel dans l'ombre 6+6 c
Ne sont pas les clous du cercueil ? 8 b
55 Nous sommes là ; nos dents tressaillent, nos vertèbres 6+6 a
Frémissent ; on dirait parfois que les ténèbres, 6+6 a
O terreur ! sont pleines de pas. 8 b
Qu'est-ce que l'ouragan, nuit ? — C'est quelqu'un qui passe. 6+6 c
Nous entendons souffler les chevaux de l'espace 6+6 c
60 Traînant le char qu'on ne voit pas. 8 b
L'ombre semble absorbée en une idée unique. 6+6 a
L'eau sanglote ; à l'esprit la forêt communique 6+6 a
Un tremblement contagieux ; 8 b
Et tout semble éclairé, dans la brume où tout penche, 6+6 c
65 Du reflet que ferait la grande pierre blanche 6+6 c
D'un sépulcre prodigieux. 8 b
III
La chose est pour la chose ici-bas un problème. 6+6 a
L'être pour l'être est sphinx. L'aube au jour paraît blême ; 6+6 a
L'éclair est noir pour le rayon. 8 b
70 Dans la création vague et crépusculaire, 6+6 c
Les objets effarés qu'un jour sinistre éclaire 6+6 c
Sont l'un pour l'autre vision. 8 b
La cendre ne sait pas ce que pense le marbre ; 6+6 a
L'écueil écoute en vain le flot ; la branche d'arbre 6+6 a
75 Ne sait pas ce que dit le vent. 8 b
Qui punit-on ici ? Passez sans vous connaître ! 6+6 c
Est-ce toi le coupable, enfant qui viens de naître ? 6+6 c
O mort, est-ce toi le vivant ? 8 b
Nous avons dans l'esprit des sommets, nos ies, 6+6 a
80 Nos rêves, nos vertus, d'escarpements bordées, 6+6 a
Et nos espoirs construits si tôt ; 8 b
Nous tâchons d'appliquer à ces cimes étranges 6+6 c
L'âpre échelle de feu par où montent les anges ; 6+6 c
Job est en bas, Christ est en haut. 8 b
85 Nous aimons. A quoi bon ? Nous souffrons. Pourquoi faire ? 6+6 a
Je préfère mourir et m'en aller. Préfère. 6+6 a
Allez, choisissez vos chemins. 8 b
L'être effrayant se tait au fond du ciel nocturne, 6+6 c
Et regarde tomber de la bouche de l'urne 6+6 c
90 Le flot livide des humains. 8 b
Nous pensons. Après ? Rampe, esprit ! garde tes chaînes. 6+6 a
Quand vous vous promenez le soir parmi les chênes 6+6 a
Et les rochers aux vagues yeux, 8 b
Ne sentez-vous pas l'ombre où vos regards se plongent 6+6 c
95 Reculer ? Savez-vous seulement à quoi songent 6+6 c
Tous ces muets mystérieux ? 8 b
Nous jugeons. Nous dressons l'échafaud. L'homme tue 6+6 a
Et meurt. Le genre humain, foule d'erreur vêtue, 6+6 a
Condamne, extermine, détruit, 8 b
100 Puis s'en va. Le poteau du gibet, ô démence ! 6+6 c
O deuil ! est le bâton de cet aveugle immense 6+6 c
Marchant dans cette immense nuit. 8 b
Crime ! enfer ! quel zénith effrayant que le nôtre, 6+6 a
Où les douze Césars toujours l'un après l'autre 6+6 a
105 Reviennent, noirs soleils errants ! 8 b
L'homme, au-dessus de lui, du fond des maux sans borne, 6+6 c
Voit éternellement tourner dans son ciel morne 6+6 c
Ce zodiaque de tyrans. 8 b
IV
Depuis quatre mille ans que, courbé sous la haine, 6+6 a
110 Perçant sa tombe avec les débris de sa chaîne, 6+6 a
Fouillant le bas, creusant le haut, 8 b
Il cherche à s'évader à travers la nature, 6+6 c
L'esprit forçat n'a pas encor fait d'ouverture 6+6 c
À la voûte du ciel cachot. 8 b
115 Oui, le penseur en vain, dans ses essors funèbres, 6+6 a
Heurte son âme d'ombre au plafond de ténèbres ; 6+6 a
Il tombe, il meurt ; son temps est court ; 8 b
Et nous n'entendons rien, dans la nuit qu'il nous lègue, 6+6 c
Que ce que dit tout bas la création bègue 6+6 c
120 À l'oreille du tombeau sourd. 8 b
Nous sommes les passants, les foules et les races. 6+6 a
Nous sentons, frissonnants, des souffles sur nos faces. 6+6 a
Nous sommes le gouffre agité ; 8 b
Nous sommes ce que l'air chasse au vent de son aile ; 6+6 c
125 Nous sommes les flocons de la neige éternelle 6+6 c
Dans l'éternelle obscurité. 8 b
Pour qui luis-tu, Vénus ? Où roules-tu, Saturne ? 6+6 a
Ils vont : rien ne répond dans l'éther taciturne. 6+6 a
L'homme grelotte, seul et nu. 8 b
130 L'étendue aux flots noirs déborde, d'horreur pleine : 6+6 c
L'énigme a peur du mot ; l'infini semble à peine 6+6 c
Pouvoir contenir l'inconnu. 8 b
Toujours la nuit ! jamais l'azur ! jamais l'aurore ! 6+6 a
Nous marchons. Nous n'avons point fait un pas encore ! 6+6 a
135 Nous rêvons ce qu'Adam rêva ; 8 b
La création flotte et fuit, des vents battue ; 6+6 c
Nous distinguons dans l'ombre une immense statue 6+6 c
Et nous lui disons : Jéhovah ! 8 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
logo du CRISCO logo de l'université