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| = césure
HUG_2/HUG541
Victor HUGO
LES CONTEMPLATIONS
tome II
AUJOURD'HUI
1845-1855
LIVRE SIXIÈME
AU BORD DE L'INFINI
VIII
Claire
Quoi donc ! la vôtre aussi ! la vôtre suit la mienne ! 6+6 a
O mère au cœur profond, mère, vous avez beau 6+6 b
Laisser la porte ouverte afin qu'elle revienne, 6+6 a
Cette pierre là-bas dans l'herbe est un tombeau ! 6+6 b
5 La mienne disparut dans les flots qui se mêlent ; 6+6 a
Alors, ce fut ton tour, Claire, et tu t'envolas. 6+6 b
Est-ce donc que là-haut dans l'ombre elles s'appellent, 6+6 a
Qu'elles s'en vont ainsi l'une après l'autre, hélas ? 6+6 b
Enfant qui rayonnais, qui chassais la tristesse, 6+6 a
10 Que ta mère jadis berçait de sa chanson, 6+6 b
Qui d'abord la charmas avec ta petitesse 6+6 a
Et plus tard lui remplis de clarté l'horizon, 6+6 b
Voilà donc que tu dors sous cette pierre grise ! 6+6 a
Voilà que tu n'es plus, ayant à peine été ! 6+6 b
15 L'astre attire le lys, et te voilà reprise, 6+6 a
O vierge, par l'azur, cette virginité ! 6+6 b
Te voilà remontée au firmament sublime, 6+6 a
Échappée aux grands cieux comme la grive aux bois, 6+6 b
Et, flamme, aile, hymne, odeur, replongée à l'abîme 6+6 a
20 Des rayons, des amours, des parfums et des voix ! 6+6 b
Nous ne t'entendrons plus rire en notre nuit noire. 6+6 a
Nous voyons seulement, comme pour nous bénir, 6+6 b
Errer dans notre ciel et dans notre mémoire 6+6 a
Ta figure, nuage, et ton nom, souvenir ! 6+6 b
25 Pressentais-tu dé ton sombre épithalame ? 6+6 a
Marchant sur notre monde à pas silencieux, 6+6 b
De tous les idéals tu composais ton âme, 6+6 a
Comme si tu faisais un bouquet pour les cieux ! 6+6 b
En te voyant si calme et toute lumineuse, 6+6 a
30 Les cœurs les plus saignants ne haïssaient plus rien. 6+6 b
Tu passais parmi nous comme Ruth la glaneuse, 6+6 a
Et, comme Ruth l'épi, tu ramassais le bien. 6+6 b
La nature, ô front pur, versait sur toi sa grâce, 6+6 a
L'aurore sa candeur, et les champs leur bonté ; 6+6 b
35 Et nous retrouvions, nous sur qui la douleur passe, 6+6 a
Toute cette douceur dans toute ta beauté ! 6+6 b
Chaste, elle paraissait ne pas être autre chose 6+6 a
Que la forme qui sort des cieux éblouissants ; 6+6 b
Et de tous les rosiers elle semblait la rose, 6+6 a
40 Et de tous les amours elle semblait l'encens. 6+6 b
Ceux qui n'ont pas connu cette charmante fille 6+6 a
Ne peuvent pas savoir ce qu'était ce regard 6+6 b
Transparent comme l'eau qui s'égaye et qui brille 6+6 a
Quand l'étoile surgit sur l'océan hagard. 6+6 b
45 Elle était simple, franche, humble, naïve et bonne ; 6+6 a
Chantant à demi-voix son chant d'illusion, 6+6 b
Ayant je ne sais quoi dans toute sa personne 6+6 a
De vague et de lointain comme la vision. 6+6 b
On sentait qu'elle avait peu de temps sur la terre, 6+6 a
50 Qu'elle n'apparaissait que pour s'évanouir, 6+6 b
Et qu'elle acceptait peu sa vie involontaire ; 6+6 a
Et la tombe semblait par moments l'éblouir. 6+6 b
Elle a passé dans l'ombre où l'homme se résigne ; 6+6 a
Le vent sombre soufflait ; elle a passé sans bruit, 6+6 b
55 Belle, candide, ainsi qu'une plume de cygne 6+6 a
Qui reste blanche, même en traversant la nuit ! 6+6 b
Elle s'en est allée à l'aube qui se lève, 6+6 a
Lueur dans le matin, vertu dans le ciel bleu, 6+6 b
Bouche qui n'a connu que le baiser du rêve, 6+6 a
60 Âme qui n'a dormi que dans le lit de Dieu ! 6+6 b
Nous voici maintenant en proie aux deuils sans bornes, 6+6 a
Mère, à genoux tous deux sur des cercueils sacrés, 6+6 b
Regardant à jamais dans les ténèbres mornes 6+6 a
La disparition des êtres adorés ! 6+6 b
65 Croire qu'ils resteraient ! quel songe ! Dieu les presse. 6+6 a
Même quand leurs bras blancs sont autour de nos cous, 6+6 b
Un vent du ciel profond fait frissonner sans cesse 6+6 a
Ces fantômes charmants que nous croyons à nous. 6+6 b
Ils sont là, près de nous, jouant sur notre route ; 6+6 a
70 Ils ne dédaignent pas notre soleil obscur, 6+6 b
Et derrière eux, et sans que leur candeur s'en doute, 6−6 a
Leurs ailes font parfois de l'ombre sur le mur. 6+6 b
Ils viennent sous nos toits ; avec nous ils demeurent ; 6+6 a
Nous leur disons : Ma fille ! ou : Mon fils ! ils sont doux, 6+6 b
75 Riants, joyeux, nous font une caresse, et meurent. — 6+6 a
O mère, ce sont là les anges, voyez-vous ! 6+6 b
C'est une volon du sort, pour nous sévère, 6+6 a
Qu'ils rentrent vite au ciel resté pour eux ouvert ; 6+6 b
Et qu'avant d'avoir mis leur lèvre à notre verre, 6+6 a
80 Avant d'avoir rien fait et d'avoir rien souffert, 6+6 b
Ils partent radieux ; et qu'ignorant l'envie, 6+6 a
L'erreur, l'orgueil, le mal, la haine, la douleur, 6+6 b
Tous ces êtres bénis s'envolent de la vie 6+6 a
À l'âge où la prunelle innocente est en fleur ! 6+6 b
85 Nous qui sommes démons ou qui sommes apôtres, 6+6 a
Nous devons travailler, attendre, préparer ; 6+6 b
Pensifs, nous expions pour nous-même ou pour d'autres ; 6+6 a
Notre chair doit saigner, nos yeux doivent pleurer. 6+6 b
Eux, ils sont l'air qui fuit, l'oiseau qui ne se pose 6+6 a
90 Qu'un instant, le soupir qui vole, avril vermeil 6+6 b
Qui brille et passe ; ils sont le parfum de la rose 6+6 a
Qui va rejoindre aux cieux le rayon du soleil ! 6+6 b
Ils ont ce grand dégoût mystérieux de l'âme 6+6 a
Pour notre chair coupable et pour notre destin ; 6+6 b
95 Ils ont, êtres rêveurs qu'un autre azur réclame, 6+6 a
Je ne sais quelle soif de mourir le matin ! 6+6 b
Ils sont l'étoile d'or se couchant dans l'aurore, 6+6 a
Mourant pour nous, naissant pour l'autre firmament ; 6+6 b
Car la mort, quand un astre en son sein vient éclore, 6+6 a
100 Continue, au delà, l'épanouissement ! 6+6 b
Oui, mère, ce sont là les élus du mystère, 6+6 a
Les envoyés divins, les ailés, les vainqueurs, 6+6 b
À qui Dieu n'a permis que d'effleurer la terre 6+6 a
Pour faire un peu de joie à quelques pauvres cœurs. 6+6 b
105 Comme l'ange à Jacob, comme Jésus à Pierre, 6+6 a
Ils viennent jusqu'à nous qui loin d'eux étouffons, 6+6 b
Beaux, purs, et chacun d'eux portant sous sa paupière 6+6 a
La sereine clarté des paradis profonds. 6+6 b
Puis, quand ils ont, pieux, baisé toutes les plaies, 6+6 a
110 Pansé notre douleur, azuré nos raisons, 6+6 b
Et fait luire un moment l'aube à travers nos claies, 6+6 a
Et chanté la chanson du ciel dans nos maisons, 6+6 b
Ils retournent là-haut parler à Dieu des hommes, 6+6 a
Et, pour lui faire voir quel est notre chemin, 6+6 b
115 Tout ce que nous souffrons et tout ce que nous sommes, 6+6 a
S'en vont avec un peu de terre dans la main. 6+6 b
Ils s'en vont ; c'est tantôt l'éclair qui les emporte, 6+6 a
Tantôt un mal plus fort que nos soins superflus. 6+6 b
Alors, nous, pâles, froids, l'œil fixé sur la porte, 6+6 a
120 Nous ne savons plus rien, sinon qu'ils ne sont plus. 6+6 b
Nous disons : — A quoi bon l'âtre sans étincelles ? 6+6 a
À quoi bon la maison où ne sont plus leurs pas ? 6+6 b
À quoi bon la ramée où ne sont plus les ailes ? 6+6 a
Qui donc attendons-nous s'ils ne reviendront pas ? — 6+6 b
125 Ils sont partis, pareils au bruit qui sort des lyres. 6+6 a
Et nous restons là, seuls, près du gouffre où tout fuit, 6+6 b
Tristes ; et la lueur de leurs charmants sourires 6+6 a
Parfois nous apparaît vaguement dans la nuit. 6+6 b
Car ils sont revenus, et c'est là le mystère ; 6+6 a
130 Nous entendons quelqu'un flotter, un souffle errer, 6+6 b
Des robes effleurer notre seuil solitaire, 6+6 a
Et cela fait alors que nous pouvons pleurer. 6+6 b
Nous sentons frissonner leurs cheveux dans notre ombre ; 6+6 a
Nous sentons, lorsqu'ayant la lassitude en nous, 6+6 b
135 Nous nous levons après quelque prière sombre, 6+6 a
Leurs blanches mains toucher doucement nos genoux. 6+6 b
Ils nous disent tout bas de leur voix la plus tendre : 6+6 a
« Mon père ! encore un peu ! ma mère ! encore un jour ! 6+6 b
« M'entends-tu ? je suis là, je reste pour t'attendre 6+6 a
140 « Sur l'échelon d'en bas de l'échelle d'amour. 6+6 b
« Je t'attends pour pouvoir nous en aller ensemble. 6+6 a
« Cette vie est amère, et tu vas en sortir. 6+6 b
« Pauvre cœur, ne crains rien, Dieu vit ! la mort rassemble. 6+6 a
« Tu redeviendras ange ayant été martyr. » 6+6 b
145 Oh ! quand donc viendrez-vous ? vous retrouver, c'est naître. 6+6 a
Quand verrons-nous, ainsi qu'un idéal flambeau, 6+6 b
La douce étoile mort, rayonnante, apparaître 6+6 a
À ce noir horizon qu'on nomme le tombeau ? 6+6 b
Quand nous en irons-nous où vous êtes, colombes ! 6+6 a
150 Où sont les enfants morts et les printemps enfuis, 6+6 b
Et tous les chers amours dont nous sommes les tombes, 6+6 a
Et toutes les clartés dont nous sommes les nuits ? 6+6 b
Vers ce grand ciel clément où sont tous les dictames, 6+6 a
Les aimés, les absents, les êtres purs et doux, 6+6 b
155 Les baisers des esprits et les regards des âmes, 6+6 a
Quand nous en irons-nous ? quand nous en irons-nous ? 6+6 b
Quand nous en irons-nous où sont l'aube et la foudre ? 6+6 a
Quand verrons-nous, dé libres, hommes encor, 6+6 b
Notre chair ténébreuse en rayons se dissoudre, 6+6 a
160 Et nos pieds faits de nuit éclore en ailes d'or ? 6+6 b
Quand nous enfuirons-nous dans la joie infinie 6+6 a
Où les hymnes vivants sont des anges voilés, 6+6 b
Où l'on voit, à travers l'azur de l'harmonie, 6+6 a
La strophe bleue errer sur les luths étoilés ? 6+6 b
165 Quand viendrez-vous chercher notre humble cœur qui sombre ? 6+6 a
Quand nous reprendrez-vous à ce monde charnel, 6+6 b
Pour nous bercer ensemble aux profondeurs de l'ombre, 6+6 a
Sous l'éblouissement du regard éternel ? 6+6 b
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