Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_2/HUG539
Victor HUGO
LES CONTEMPLATIONS
tome II
AUJOURD'HUI
1845-1855
LIVRE SIXIÈME
AU BORD DE L'INFINI
VI
Pleurs dans la nuit
I
Je suis l'être inclinéqui jette ce qu'il pense ; 6+6 a
Qui demande à la nuitle secret du silence ; 6+6 a
 Dont la brume emplit l'œil ; 6 b
Dans une ombre sans fondmes paroles descendent, 6+6 c
5 Et les choses sur quitombent mes strophes rendent 6+6 c
 Le son creux du cercueil. 6 b
Mon esprit, qui du doutea senti la piqûre, 6+6 a
Habite, âpre songeur,la rêverie obscure 6+6 a
 Aux flots plombés et bleus, 6 b
10 Lac hideux l'horreurtord ses bras, pâle nymphe, 6+6 c
Et qui fait boire une eaumorte comme la lymphe 6+6 c
 Aux rochers scrofuleux. 6 b
Le Doute, fils bâtardde l'aïeule Sagesse, 6+6 a
Crie : — A quoi bon ? — devantl'éternelle largesse, 6+6 a
15  Nous fait tout oublier, 6 b
S'offre à nous, morne abri,dans nos marches sans nombre, 6+6 c
Nous dit : — Es-tu las ? Viens !et l'homme dort à l'ombre 6+6 c
 De ce mancenillier. 6 b
L'effet pleure et sans cesseinterroge, la cause. 6+6 a
20 La création sembleattendre quelque chose. 6+6 a
 L'homme à l'homme est obscur. 6 b
donc commence l'âme ? donc finit la vie ? 6+6 c
Nous voudrions, c'est lànotre incurable envie, 6+6 c
 Voir par-dessus le mur. 6 b
25 Nous rampons, oiseaux prissous le filet de l'être ; 6+6 a
Libres et prisonniers,l'immuable pénètre 6+6 a
 Toutes nos volontés ; 6 b
Captifs sous le réseaudes choses nécessaires, 6+6 c
Nous sentons se lierdes fils à nos misères 6+6 c
30  Dans les immensités. 6 b
II
Nous sommes au cachot ;la porte est inflexible ; 6+6 a
Mais, dans une main sombre,inconnue, invisible, 6+6 a
 Qui passe par moment, 6 b
À travers l'ombre ; espoirdes âmes sérieuses, 6+6 c
35 On entend le trousseaudes clefs mystérieuses 6+6 c
 Sonner confusément. 6 b
La vision de l'êtreemplit les yeux de l'homme. 6+6 a
 Un mariage obscursans cesse se consomme 6+6 a
De l'ombre avec le jour ; 6 b
40 Ce monde, est-ce un édentombé dans la géhenne ? 6+6 c
Nous avons dans le cœurdes ténèbres de haine 6+6 c
 Et des clartés d'amour. 6 b
La création n'aqu'une prunelle trouble. 6+6 a
L'être éternellementmontre sa face double, 6+6 a
45  Mal et bien, glace et feu ; 6 b
L'homme sent à la fois,âme pure et chair sombre, 6+6 c
La morsure du verde terre au fond de l'ombre 6+6 c
 Et le baiser de Dieu. 6 b
Mais à de certains jours,l'âme est comme une veuve. 6+6 a
50 Nous entendons gémirles vivants dans l'épreuve. 6+6 a
 Nous doutons, nous tremblons, 6 b
Pendant que l'aube épandses lumières sacrées 6+6 c
Et que mai sur nos seuilsmêle les fleurs dorées 6+6 c
 Avec les enfants blonds. 6 b
55 Qu'importe la lumière,et l'aurore, et les astres, 6+6 a
Fleurs des chapiteaux bleus,diamants des pilastres 6+6 a
 Du profond firmament, 6 b
Et mai qui nous caresse,et l'enfant qui nous charme, 6+6 c
Si tout n'est qu'un soupir,si tout n'est qu'une larme, 6+6 c
60  Si tout n'est qu'un moment ! 6 b
III
Le sort nous use au jour,triste meule qui tourne. 6+6 a
L'homme inquiet et vaincroit marcher, il séjourne ; 6+6 a
 Il expire en créant. 6 b
Nous avons la secondeet nous rêvons l'année ; 6+6 c
65 Et la dimensionde notre destinée, 6+6 c
 C'est poussière et néant. 6 b
L'abîme, les soleilssont les égaux des mouches, 6+6 a
Nous tient ; nous n'entendonsque des sanglots farouches 6+6 a
 Ou des rires moqueurs ; 6 b
70 Vers la cible d'en hautqui dans l'azur s'élève, 6+6 c
Nous lançons nos projets,nos vœux, l'espoir, le rêve, 6+6 c
 Ces flèches de nos cœurs. 6 b
Nous voulons durer, vivre,être éternels. O cendre ! 6+6 a
donc est la fourmiqu'on appelle Alexandre ? 6+6 a
75   donc le ver César ? 6 b
En tombant sur nos fronts,la minute nous tue. 6+6 c
Nous passons, noir essaim,foule de deuil vêtue, 6+6 c
 Comme le bruit d'un char. 6 b
Nous montons à l'assautdu temps comme une armée. 6+6 a
80 Sur nos groupes confusque voile la fumée 6+6 a
 Des jours évanouis, 6 b
L'énorme éternitéluit, splendide et stagnante ; 6+6 c
Le cadran, bouclierde l'heure rayonnante, 6+6 c
 Nous terrasse éblouis ! 6 b
IV
85 À l'instant l'on dit :Vivons ! tout se déchire. 6+6 a
Les pleurs subitementdescendent sur le rire. 6+6 a
 Tête nue ! à genoux ! 6 b
Tes fils sont morts, mon pèreest mort, leur mère est morte. 6+6 c
O deuil ! qui passe là ?C'est un cercueil qu'on porte. 6+6 c
90  À qui le portez-vous ? 6 b
Ils le portent à l'ombre,au silence, à la terre ; 6+6 a
Ils le portent au calmeobscur, à l'aube austère, 6+6 a
 À la brume sans bords, 6 b
Au mystère qui tordses anneaux sous des voiles, 6+6 c
95 Au serpent inconnuqui lèche les étoiles 6+6 c
 Et qui baise les morts ! 6 b
V
Ils le portent aux vers,au néant, à Peut-Être ! 6+6 a
Car la plupart d'entre euxn'ont point vu le jour ntre ; 6+6 a
 Sceptiques et bornés, 6 b
100 La négation morneet la matière hostile, 6+6 c
Flambeaux d'aveuglement,troublent l'âme inutile 6+6 c
 De ces infortunés. 6 b
Pour eux le ciel ment, l'hommeest un songe et croit vivre ; 6+6 a
Ils ont beau feuilleterpage à page le livre, 6+6 a
105  Ils ne comprennent pas ; 6 b
Ils vivent en hochantla tête, et, dans le vide. 6+6 c
L'écheveau ténébreuxque le doute dévide 6+6 c
 Se mêle sous leurs pas. 6 b
Pour eux l'âme naufrageavec le corps qui sombre. 6+6 a
110 Leur rêve a les yeux creuxet regarde de l'ombre ; 6+6 a
 Rien est le mot du sort ; 6 b
Et chacun d'eux, riantde la vte étoilée, 6+6 c
Porte en son cœur, au lieude l'espérance ailée, 6+6 c
 Une tête de mort. 6 b
115 Sourds à l'hymne des bois,au sombre cri de l'orgue, 6+6 a
Chacun d'eux est un champplein de cendre, une morgue 6+6 a
  pendent des lambeaux, 6 b
Un cimetière l'œildes frémissants poëtes 6+6 c
Voit planer l'ironieet toutes ses chouettes, 6+6 c
120  L'ombre et tous ses corbeaux. 6 b
Quand l'astre et le roseauleur disent : Il faut croire ; 6+6 a
Ils disent au jonc vert,à l'astre en sa nuit noire : 6+6 a
 Vous êtes insensés ! 6 b
Quand l'arbre leur murmureà l'oreille : Il existe ; 6+6 c
125 Ces fous répondent : Non !et, si le chêne insiste, 6+6 c
 Ils lui disent : Assez ! 6 b
Quelle nuit ! le semeurnié par la semence ! 6+6 a
L'univers n'est pour euxqu'une vaste démence, 6+6 a
 Sans but et sans milieu ; 6 b
130 Leur âme, en agitantl'immensité profonde, 6+6 c
N'y sent même pas l'être,et dans le grelot monde 6+6 c
 N'entend pas sonner Dieu ! 6 b
VI
Le corbillard franchitle seuil du cimetière. 6+6 a
Le gai matin, qui rità la nature entière, 6+6 a
135  Resplendit sur ce deuil ; 6 b
Tout être a son mystère l'on sent l'âme éclore, 6+6 c
Et l'offre à l'infini ;l'astre apporte l'aurore, 6+6 c
 Et l'homme le cercueil. 6 b
Le dedans de la fosseappart, triste crèche. 6+6 a
140 Des pierres par endroitspercent la terre frche ; 6+6 a
 Et l'on entend le glas ; 6 b
Elles semblent s'ouvrirainsi que des paupières, 6+6 c
Et le papillon blancdit : « Qu'ont donc fait ces pierres ? » 6+6 c
 Et la fleur dit : « Hélas ! » 6 b
VII
145 Est-ce que par hasardces pierres sont punies, 6+6 a
Dieu vivant, pour subirde telles agonies ? 6+6 a
 Ah ! ce que nous souffrons 6 b
N'est rien. — Plus bas que l'arbreen proie aux froides bises, 6+6 c
Sous cette forme horrible,est-ce que les Cambyses, 6+6 c
150  Est-ce que les Nérons, 6 b
Après avoir tenules peuples dans leur serre, 6+6 a
Et crucifié l'hommeau noir gibet misère, 6+6 a
 Mis le monde en lambeaux, 6 b
Souillé l'âme, et changé,sous le vent des désastres, 6+6 c
155 L'univers en charnier,et fait monter aux astres 6+6 c
 La vapeur des tombeaux, 6 b
Après avoir passéjoyeux dans la victoire, 6+6 a
Dans l'orgueil, et partoutimprimé sur l'histoire 6+6 a
 Leurs ongles furieux, 6 b
160 Et, monstres qu'entrevoitl'homme en ses léthargies, 6+6 c
Après avoir sur terreété les effigies 6+6 c
 Du mal mystérieux, 6 b
Après avoir peupléles prisons élargies, 6+6 a
Et versé tant de meurtreaux vastes mers rougies, 6+6 a
165  Tant de morts, glaive au flanc, 6 b
Tant d'ombre, et de carnage,et d'horreurs inconnues, 6+6 c
Que le soleil, le soir,hésitait dans les nues 6+6 c
 Devant ce bain sanglant ! 6 b
Après avoir mordule troupeau que Dieu mène, 6+6 a
170 Et tourné tour à tourde la torture humaine 6+6 a
 L'atroce cabestan, 6 b
Et régné sous la pourpreet sous le laticlave, 6+6 c
Et plié six mille ansAdam, le vieil esclave, 6+6 c
 Sous le vieux roi Satan, 6 b
175 Est-ce que le chasseurNemrod, Sforce le pâtre, 6+6 a
Est-ce que Messaline,est-ce que Cléopâtre, 6+6 a
 Caligula, Macrin, 6 b
Et les Achabs, par quirenaissaient les Sodomes, 6+6 c
Et Phalaris, qui fitdu hurlement des hommes 6+6 c
180  La clameur de l'airain, 6 b
Est-ce que Charles Neuf,Constantin, Louis Onze, 6+6 a
Vitellius, la fange,et Busiris, le bronze, 6+6 a
 Les Cyrus dévorants, 6 b
Les Égystes montrésdu doigt par les Électres, 6+6 c
185 Seraient dans cette nuit,d'hommes devenus spectres, 6+6 c
 Et pierres de tyrans ? 6 b
Est-ce que ces cailloux,tout pénétrés de crimes, 6+6 a
Dans l'horreur étouffés,scellés dans les abîmes, 6+6 a
 Enviant l'ossement, 6 b
190 Sans air, sans mouvement,sans jour, sans yeux, sans bouche, 6+6 c
Entre l'herbe sinistreet le cercueil farouche, 6+6 c
 Vivraient affreusement ? 6 b
Est-ce que ce seraientdes âmes condamnées, 6+6 a
Des maudits qui, pendantdes millions d'années, 6+6 a
195  Seuls avec le remords, 6 b
Au lieu de voir, des yeuxde l'astre solitaire, 6+6 c
Sortir les rayons d'or,verraient les vers de terre 6+6 c
 Sortir des yeux des morts ? 6 b
Homme et roche, exister,noir dans l'ombre vivante ! 6+6 a
200 Songer, pétrifiédans sa propre épouvante ! 6+6 a
 Rêver l'éternité ! 6 b
Dévorer ses fureurs,confusément rugies ! 6+6 c
Être pris, ouragande crimes et d'orgies, 6+6 c
 Dans l'immobilité ! 6 b
205 Punition ! problèmeobscur ! questions sombres ! 6+6 a
Quoi ! ce caillou dirait :— J'ai mis Thèbe en décombres ! 6+6 a
 J'ai vu Suse à genoux ! 6 b
J'étais Bélus à Tyr !j'étais Sylla dans Rome ! — 6+6 c
Noire captivitédes vieux démons de l'homme ! 6+6 c
210  O pierres, qu'êtes-vous ? 6 b
Qu'a fait ce bloc, béantdans la fosse insalubre ? 6+6 a
Glacé du froid profondde la terre lugubre, 6+6 a
 Informe et châtié, 6 b
Aveugle, même aux feuxque la nuit réverbère, 6+6 c
215 Il pense et se souvient…— Quoi ! ce n'est que Tibère ! 6+6 c
 Seigneur, ayez pitié ! 6 b
Ce dur silex noyédans la terre, âpre, fruste, 6+6 a
Couvert d'ombre, pendantque le ciel s'ouvre au juste 6+6 a
 Qui s'y réfugia, 6 b
220 Jaloux du chien qui jappeet de l'âne qui passe, 6+6 c
Songe et dit : Je suis là !— Dieu vivant, faites grâce ! 6+6 c
 Ce n'est que Borgia ! 6 b
O Dieu bon, penchez-voussur tous ces misérables ! 6+6 a
Sauvez ces submergés,aimez ces exécrables ! 6+6 a
225  Ouvrez les soupiraux. 6 b
Au nom des innocents,Dieu, pardonnez aux crimes. 6+6 c
Père, fermez l'enfer.Juge, au nom des victimes, 6+6 c
 Grâce pour les bourreaux ! 6 b
De toutes parts s'élèveun cri : Miséricorde ! 6+6 a
230 Les peuples nus, liés,fouettés à coups de corde, 6+6 a
 Lugubres travailleurs, 6 b
Voyant leur mtre en proieaux châtiments sublimes, 6+6 c
Ont pitié du despote,et, saignant de ses crimes, 6+6 c
 Pleurent de ses douleurs ; 6 b
235 Les pâles nationsregardent dans le gouffre, 6+6 a
Et ces grands suppliants,pour le tyran qui souffre, 6+6 a
 T'implorent, Dieu jaloux ; 6 b
L'esclave mis en croix,l'opprimé sur la claie, 6+6 c
Plaint le satrape au fondde l'abîme, et la plaie 6+6 c
240  Dit : Grâce pour les clous ! 6 b
Dieu serein, regardezd'un regard salutaire 6+6 a
Ces reclus ténébreuxqu'emprisonne la terre 6+6 a
 Pleine d'obscurs verrous, 6 b
Ces foats dont le bagneest le dedans des pierres, 6+6 c
245 Et levez, à la voixdes justes en prières, 6+6 c
 Ces effrayants écrous. 6 b
Père, prenez pitiédu monstre et de la roche. 6+6 a
De tous les condamnésque le pardon s'approche ! 6+6 a
 Jadis, rois des combats, 6 b
250 Ces bandits sur la terreont fait une tempête ; 6+6 c
Étant montés plus hautdans l'horreur que la bête, 6+6 c
 Ils sont tombés plus bas. 6 b
Grâce pour eux ! clémence,espoir, pardon, refuge, 6+6 a
Au jonc qui fut un prince,au ver qui fut un juge ! 6+6 a
255  Le méchant, c'est le fou. 6 b
Dieu, rouvrez au maudit !Dieu, relevez l'infâme ! 6+6 c
Rendez à tous l'azur.Donnez au tigre une âme, 6+6 c
 Des ailes au caillou ! 6 b
Mystère ! obsessionde tout esprit qui pense ! 6+6 a
260 Échelle de la peineet de la récompense ! 6+6 a
 Nuit qui monte en clarté ! 6 b
Sourire épanouisur la torture amère ! 6+6 c
Vision du sépulcre !êtes-vous la chimère, 6+6 c
 Ou la réalité ? 6 b
VIII
265 La fosse, plaie au flancde la terre, est ouverte, 6+6 a
Et, béante, elle faitfrissonner l'herbe verte 6+6 a
 Et le buisson jauni ; 6 b
Elle est là, froide, calme,étroite, inanimée, 6+6 c
Et l'âme en voit sortir,ainsi qu'une fumée, 6+6 c
270  L'ombre de l'infini. 6 b
Et les oiseaux de l'air,qui, planant sur les cimes, 6+6 a
Volant sous tous les cieux,comparent les abîmes 6+6 a
 Dans les courses qu'ils font, 6 b
Songent au noir Vésuve,à l'Océan superbe, 6+6 c
275 Et disent, en voyantcette fosse dans l'herbe : 6+6 c
 Voici le plus profond ! 6 b
IX
L'âme est partie, on rendle corps à la nature. 6+6 a
La vie a disparusous cette créature ; 6+6 a
 Mort, sont tes appuis ? 6 b
280 Le voilà hors du temps,de l'espace et du nombre. 6+6 c
On le descend avecune corde dans l'ombre 6+6 c
 Comme un seau dans un puits. 6 b
Que voulez-vous puiserdans ce puits formidable ? 6+6 a
Et pourquoi jetez-vousla sonde à l'insondable ? 6+6 a
285  Qu'y voulez-vous puiser ? 6 b
Est-ce l'adieu lointainet doux de ceux qu'on aime ? 6+6 c
Est-ce un regard ? hélas !est-ce un soupir suprême ? 6+6 c
 Est-ce un dernier baiser ? 6 b
Qu'y voulez-vous puiser,vivants, essaim frivole ? 6+6 a
290 Est-ce un frémissementdu vide tout s'envole, 6+6 a
 Un bruit, une clarté, 6 b
Une lettre du motque Dieu seul peut écrire ? 6+6 c
Est-ce, pour le mêlerà vos éclats de rire, 6+6 c
 Un peu d'éternité ? 6 b
295 Dans ce gouffre la larveentr'ouvre son œil terne, 6+6 a
Dans cette épouvantableet livide citerne, 6+6 a
 Abîme de douleurs, 6 b
Dans ce cratère obscurdes muettes demeures, 6+6 c
Que voulez-vous puiser,ô passants de peu d'heures, 6+6 c
300  Hommes de peu de pleurs ? 6 b
Est-ce le secret sombre ?est-ce la froide goutte 6+6 a
Qui, larme du néant,suinte de l'âpre vte 6+6 a
 Sans aube et sans flambeau ? 6 b
Est-ce quelque lueureffarée et hagarde ? 6+6 c
305 Est-ce le cri jetépar tout ce qui regarde 6+6 c
 Derrière le tombeau ? 6 b
Vous ne puiserez rien.Les morts tombent. La fosse 6+6 a
Les voit descendre, avecleur âme juste ou fausse, 6+6 a
 Leur nom, leurs pas, leur bruit. 6 b
310 Un jour, quand soufflerontles célestes haleines, 6+6 c
Dieu seul remonteratoutes ces urnes pleines 6+6 c
 De l'éternelle nuit. 6 b
X
Et la terre, agitantla ronce à sa surface, 6+6 a
Dit : — L'homme est mort ; c'est bien ;que veut-on que j'en fasse ? 6+6 a
315  Pourquoi me le rend-on ? — 6 b
Terre ! fais-en des fleurs !des lys que l'aube arrose ! 6+6 c
De cette bouche aux dentsbéantes, fais la rose 6+6 c
 Entr'ouvrant son bouton ! 6 b
Fais ruisseler ce sangdans tes sources d'eaux vives, 6+6 a
320 Et fais-le boire aux bœufsmugissants, tes convives ; 6+6 a
 Prends ces chairs en haillons ; 6 b
Fais de ces seins bleuissortir des violettes, 6+6 c
Et couvre de ces yeuxque t'offrent les squelettes 6+6 c
 L'aile des papillons. 6 b
325 Fais avec tous ces mortsune joyeuse vie. 6+6 a
Fais-en le fier torrentqui gronde et qui dévie. 6+6 a
 La mousse aux frais tapis ! 6 b
Fais-en des rocs, des joncs,des fruits, des vignes mûres, 6+6 c
Des brises, des parfums,des bois pleins de murmures, 6+6 c
330  Des sillons pleins d'épis ! 6 b
Fais-en des buissons verts,fais-en de grandes herbes ! 6+6 a
Et qu'en ton sein profondd' se lèvent les gerbes, 6+6 a
 À travers leur sommeil, 6 b
Les effroyables mortssans souffle et sans paroles 6+6 c
335 Se sentent frissonnerdans toutes ces corolles 6+6 c
 Qui tremblent au soleil ! 6 b
XI
La terre, sur la bière le mort pâle écoute, 6+6 a
Tombe, et le nid gazouille,et, là-bas, sur la route 6+6 a
 Siffle le paysan ; 6 b
340 Et ces fils, ces amisque le regret amène, 6+6 c
N'attendent même pasque la fosse soit pleine 6+6 c
 Pour dire : Allons-nous-en ! 6 b
Le fossoyeur, payépar ces douleurs hâtées, 6+6 a
Jette sur le cercueilla terre à pelletées. 6+6 a
345  Toi qui, dans ton linceul, 6 b
Rêvais le deuil sans fin,cette blanche colombe, 6+6 c
Avec cet homme allantet venant sur ta tombe, 6+6 c
 O mort, te voilà seul ! 6 b
Commencement de l'âpreet morne solitude ! 6+6 a
350 Tu ne changeras plusde lit ni d'attitude ; 6+6 a
 L'heure aux pas solennels 6 b
Ne sonne plus pour toi ;l'ombre te fait terrible ; 6+6 c
L'immobile suairea sur ta forme horrible 6+6 c
 Mis ses plis éternels. 6 b
355 Et puis le fossoyeurs'en va boire la fosse. 6+6 a
Il vient de voir des dentsque la terre déchausse, 6+6 a
 Il rit, il mange, il mord ; 6 b
Et prend, en murmurantdes chansons hébétées, 6+6 c
Un verre dans ses mainsà chaque instant heurtées 6+6 c
360  Aux choses de la mort. 6 b
Le soir vient ; l'horizons'emplit d'inquiétude ; 6+6 a
L'herbe tremble et bruitcomme une multitude ; 6+6 a
 Le fleuve blanc reluit ; 6 b
Le paysage obscurprend les veines des marbres ; 6+6 c
365 Ces hydres que, le jour,on appelle des arbres, 6+6 c
 Se tordent dans la nuit. 6 b
Le mort est seul. Il sentla nuit qui le dévore. 6+6 a
Quand nt le doux matin,tout l'azur de l'aurore, 6+6 a
 Tous ses rayons si beaux, 6 b
370 Tout l'amour des oiseauxet leurs chansons sans nombre, 6+6 c
Vont aux berceaux dorés ;et, la nuit, toute l'ombre 6+6 c
 Aboutit aux tombeaux. 6 b
Il entend des soupirsdans les fosses voisines ; 6+6 a
 Il sent la chevelureaffreuse des racines 6+6 a
375 Entrer dans son cercueil ; 6 b
Il est l'être vaincudont s'empare la chose ; 6+6 c
Il sent un doigt obscur,sous sa paupière close, 6+6 c
 Lui retirer son œil. 6 b
Il a froid ; car le soir,qui mêle à son haleine 6+6 a
380 Les ténèbres, l'horreur,le spectre et le phalène, 6+6 a
 Glace ces durs grabats ; 6 b
Le cadavre, liéde bandelettes blanches, 6+6 c
Grelotte, et dans sa bièreentend les quatre planches 6+6 c
 Qui lui parlent tout bas. 6 b
385 L'une dit : — Je fermaiston coffre-fort. — Et l'autre 6+6 a
Dit : — J'ai servi de porteau toit qui fut le nôtre. — 6+6 a
 L'autre dit : — Aux beaux jours, 6 b
La table rit l'ivresseet que le vin encombre, 6+6 c
C'était moi. — L'autre dit :— J'étais le chevet sombre 6+6 c
390  Du lit de tes amours. 6 b
Allez, vivants ! riez,chantez ; le jour flamboie. 6+6 a
Laissez derrière vous,derrière votre joie 6+6 a
 Sans nuage et sans pli, 6 b
Derrière la fanfareet le bal qui s'élance, 6+6 c
395 Tous ces morts qu'enfouitdans la fosse silence 6+6 c
 Le fossoyeur oubli ! 6 b
XII
Tous y viendront.
XIII
Assez !et levez-vous de table. 6+6 a
Chacun prend à son tourla route redoutable ; 6+6 a
 Chacun sort en tremblant ; 6 b
400 Chantez, riez ; soyezheureux, soyez célèbres ; 6+6 c
Chacun de vous serabientôt dans les ténèbres 6+6 c
 Le spectre au regard blanc. 6 b
La foule vous admireet l'azur vous éclaire ; 6+6 a
Vous êtes riche, grand,glorieux, populaire, 6+6 a
405  Puissant, fier, encensé ; 6 b
Vos licteurs, devant vous,graves, portent la hache ; 6+6 c
Et vous vous en irezsans que personne sache 6+6 c
  vous avez passé. 6 b
Jeunes filles, hélas !qui donc croit à l'aurore ? 6+6 a
410 Votre lèvre pâlitpendant qu'on danse encore 6+6 a
 Dans le bal enchanté ; 6 b
Dans les lustres blêmison voit grandir le cierge ; 6+6 c
La mort met sur vos frontsce grand vole de vierge 6+6 c
 Qu'on nomme éternité. 6 b
415 Le conquérant, deboutdans une aube enflammée, 6+6 a
Penche, et voit s'en allerson épée en fumée ; 6+6 a
 L'amante avec l'amant 6 b
Passe ; le berceau prendune voix sépulcrale ; 6+6 c
L'enfant rose devientlarve horrible, et le râle 6+6 c
420  Sort du vagissement. 6 b
Ce qu'ils disaient hier,le savent-ils eux-mêmes ? 6+6 a
Des chimères, des vœux,des cris, de vains problèmes ! 6+6 a
 O néant inouï ! 6 b
Rien ne reste ; ils ont toutoublié dans la fuite 6+6 c
425 Des choses que Dieu pousseet qui courent si vite 6+6 c
 Que l'homme est ébloui ! 6 b
O promesses ! espoirs !cherchez-les dans l'espace. 6+6 a
La bouche qui prometest un oiseau qui passe. 6+6 a
 Fou qui s'y confierait ! 6 b
430 Les promesses s'en vont va le vent des plaines, 6+6 c
vont les flots, vontles obscures haleines 6+6 c
 Du soir dans la forêt ! 6 b
Songe à la profondeurdu néant nous sommes. 6+6 a
Quand tu seras couchésous la terre les hommes 6+6 a
435  S'enfoncent pas à pas, 6 b
Tes enfants, épuisantles jours que Dieu leur compte, 6+6 c
Seront dans la lumièreou seront dans la honte ; 6+6 c
 Tu ne le sauras pas ! 6 b
Ce que vous rêvez tombeavec ce que vous faites. 6+6 a
440 Voyez ces grands palais ;voyez ces chars de fêtes 6+6 a
 Aux tournoyants essieux ; 6 b
Voyez ces longs fusilsqui suivent le rivage ; 6+6 c
Voyez ces chevaux, noirscomme un héron sauvage 6+6 c
 Qui vole sous les cieux, 6 b
445 Tout cela passeracomme une voix chantante. 6+6 a
Pyramide, à tes piedstu regardes la tente, 6+6 a
 Sous l'éclatant zénith ; 6 b
Tu l'entends frissonnerau vent comme une voile, 6+6 c
Chéops, et tu te sens,en la voyant de toile, 6+6 c
450  Fière d'être en granit ; 6 b
Et toi, tente, tu dis :Gloire à la pyramide ! 6+6 a
Mais, un jour, hennissantcomme un cheval numide, 6+6 a
 L'ouragan libyen 6 b
Soufflera sur ce sable sont les tentes frêles, 6+6 c
455 Et Chéops roulerapêle-mêle avec elles 6+6 c
 En s'écriant : Eh bien ! 6 b
Tu périras, malgréton enceinte murée, 6+6 a
Et tu ne seras plus,ville, ô ville sacrée, 6+6 a
 Qu'un triste amas fumant, 6 b
460 Et ceux qui t'ont servieet ceux qui t'ont aimée 6+6 a
Frapperont leur poitrineen voyant la fumée 6+6 a
 De ton embrasement. 6 b
Ils diront : — O douleur !ô deuil ! guerre civile ! 6+6 a
Quelle ville a jamaiségalé cette ville ? 6+6 a
465  Ses tours montaient dans l'air ; 6 b
Elle riait aux chantsde ses prostituées ; 6+6 c
Elle faisait courirainsi que des nuées 6+6 c
 Ses vaisseaux sur la mer. 6 b
Ville ! sont tes docteursqui t'enseignaient à lire ? 6+6 a
470 Tes dompteurs de lionsqui jouaient de la lyre, 6+6 a
 Tes lutteurs jamais las ? 6 b
Ville ! est-ce qu'un voleur,la nuit, t'a dérobée ? 6+6 c
donc est Babylone ?Hélas ! elle est tombée ! 6+6 c
 Elle est tombée, hélas ! 6 b
475 On n'entend plus chez toile bruit que fait la meule. 6+6 a
Pas un marteau n'y frappeun clou. Te voilà seule. 6+6 a
 Ville, sont tes bouffons ? 6 b
Nul passant désormaisne montera tes rampes ; 6+6 c
Et l'on ne verra plusla lumière des lampes 6+6 c
480  Luire sous tes plafonds. 6 b
Brillez pour dispartreet montez pour descendre. 6+6 a
Le grain de sable ditdans l'ombre au grain de cendre : 6+6 a
 Il faut tout engloutir. 6 b
donc est Thèbes ? ditBabylone pensive. 6+6 c
485 Thèbes demande : doncest Ninive ? et Ninive 6+6 c
 S'écrie : donc est Tyr ? 6 b
En laissant fuir les motsde sa langue prolixe, 6+6 a
L'homme s'agite et va,suivi par un œil fixe ; 6+6 a
 Dieu n'ignore aucun toit ; 6 b
490 Tous les jours d'ici-basont des aubes funèbres ; 6+6 c
Malheur à ceux qui fontle mal dans les ténèbres 6+6 c
 En disant : Qui nous voit ? 6 b
Tous tombent ; l'un au boutd'une course insensée, 6+6 a
L'autre à son premier pas ;l'homme sur sa pensée, 6+6 a
495  La mère sur son nid ; 6 b
Et le porteur de sceptreet le joueur de flûte 6+6 c
S'en vont ; et rien ne dure ;et le père qui lutte 6+6 c
 Suit l'aïeul qui bénit. 6 b
Les races vont au butqu'ici-bas tout révèle. 6+6 a
500 Quand l'ancienne commenceà pâlir, la nouvelle 6+6 a
 A déjà le même air ; 6 b
Dans l'éternité, gouffre se vide la tombe, 6+6 c
L'homme coule sans fin,sombre fleuve qui tombe 6+6 c
 Dans une sombre mer. 6 b
505 Tout escalier, que l'ombreou la splendeur le couvre, 6+6 a
Descend au tombeau calme,et toute porte s'ouvre 6+6 a
 Sur le dernier moment ; 6 b
Votre sépulcre emplitla maison vous êtes ; 6+6 c
Et tout plafond, croisantses poutres sur nos têtes, 6+6 c
510  Est fait d'écroulement. 6 b
Veillez, veillez ! Songezà ceux que vous perdites ; 6+6 a
Parlez moins haut, prenezgarde à ce que vous dites, 6+6 a
 Contemplez à genoux ; 6 b
L'aigle trépas du boutde l'aile nous effleure ; 6+6 c
515 Et toute notre vie,en fuite heure par heure, 6+6 c
 S'en va derrière nous. 6 b
O coups soudains ! départsvertigineux ! mystère ! 6+6 a
Combien qui ne croyaientparler que pour la terre, 6+6 a
 Front haut, cœur fier, bras fort, 6 b
520 Tout à coup, comme un mursubitement s'écroule, 6+6 c
Au milieu d'une phraseadressée à la foule, 6+6 c
 Sont entrés dans la mort, 6 b
Et, sous l'immensitéqui n'est qu'un œil sublime, 6+6 a
Ont pâli, stupéfaitsde voir, dans cet abîme 6+6 a
525  D'astres et de ciel bleu, 6 b
le masqué se montre, l'inconnu se nomme, 6+6 c
Que le mot qu'ils avaientcommencé devant l'homme 6+6 c
 S'achevait devant Dieu ! 6 b
Un spectre au seuil de touttient le doigt sur sa bouche. 6+6 a
530 Les morts partent. La nuitde sa verge les touche. 6+6 a
 Ils vont, l'antre est profond, 6 b
Nus, et se dissipant,et l'on ne voit rien luire. 6+6 c
donc sont-ils allés ?On n'a rien à vous dire. 6+6 c
 Ceux qui s'en vont, s'en vont. 6 b
535 Sur quoi donc marchent-ils ?sur l'énigme, sur l'ombre, 6+6 a
Sur l'être. Ils font un pas :comme la nef qui sombre, 6+6 a
 Leur blancheur dispart ; 6 b
Et l'on n'entend plus riendans l'ombre inaccessible, 6+6 c
Que le bruit sourd que faitdans le gouffre invisible 6+6 c
540  L'invisible forêt. 6 b
L'infini, route noireet de brume remplie, 6+6 a
Et qui joint l'âme à Dieu,monte, fuit, multiplie 6+6 a
 Ses cintres tortueux, 6 b
Et s'efface… — et l'horreureffare nos pupilles 6+6 c
545 Quand nous entrevoyonsles arches et les piles 6+6 c
 De ce pont monstrueux. 6 b
O sort ! obscurité !nuée ! on rêve, on souffre. 6+6 a
Les êtres, dispersésà tous les vents du gouffre, 6+6 a
 Ne savent ce qu'ils font. 6 b
550 Les vivants sont hagards.Les morts sont dans leurs couches. 6+6 c
Pendant que nous songeons,des pleurs, gouttes farouches, 6+6 c
 Tombent du noir plafond. 6 b
XIV
On brave l'immuable ;et l'un se réfugie 6+6 a
Dans l'assoupissement,et l'autre dans l'orgie. 6+6 a
555  Cet autre va criant : 6 b
A bas vertu, devoiret foi ! l'homme est un ventre ! — 6+6 c
Dans ce lugubre esprit,comme un tigre en son antre, 6+6 c
 Habite le néant. 6 b
Écoutez-le : — Jouirest tout. L'heure est rapide. 6+6 a
560 Le sacrifice est fou,le martyre est stupide ; 6+6 a
 Vivre est l'essentiel. 6 b
L'immensité ricaneet la tombe grimace. 6+6 c
La vie est un caillouque le sage ramasse 6+6 c
 Pour lapider le ciel. — 6 b
565 Il souffle, foat noir,sa vermine sur l'ange. 6+6 a
Il est content, il esthideux ; il boit, il mange ; 6+6 a
 Il rit, la lèvre en feu, 6 b
Tous les rires que peutinventer la démence ; 6+6 c
Il dit tout ce que peutdire en sa haine immense 6+6 c
570  Le ver de terre à Dieu. 6 b
Il dit : Non ! à celuisous qui tremble le pôle. 6+6 a
Soudain l'ange muetmet la main sur l'épaule 6+6 a
 Du railleur effronté ; 6 b
La mort derrière luisurgit pendant qu'il chante ; 6+6 c
575 Dieu remplit tout à coupcette bouche crachante 6+6 c
 Avec l'éternité. 6 b
XV
Qu'est-ce que tu ferasde tant d'herbes fauchées, 6+6 a
O vent ? que feras-tudes pailles desséchées 6+6 a
 Et de l'arbre abattu ? 6 b
580 Que feras-tu de ceuxqui s'en vont avant l'heure, 6+6 c
Et de celui qui ritet de celui qui pleure, 6+6 c
 O vent, qu'en feras-tu ? 6 b
Que feras-tu des cœurs !que feras-tu des âmes ? 6+6 a
Nous aimâmes, hélas !nous crûmes, nous pensâmes : 6+6 a
585  Un moment nous brillons ; 6 b
Puis, sur les panthéonsou sur les ossuaires, 6+6 c
Nous frissonnons, ceux-cidrapeaux, ceux-là suaires, 6+6 c
 Tous, lambeaux et haillons ! 6 b
Et ton souffle nous tient,nous arrache et nous ronge ! 6+6 a
590 Et nous étions la vie,et nous sommes le songe ! 6+6 a
 Et voilà que tout fuit ! 6 b
Et nous ne savons plusqui nous pousse et nous mène, 6+6 c
Et nous questionnonsen vain notre âme pleine 6+6 c
 De tonnerre et de nuit ! 6 b
595 O vent, que feras-tude ces tourbillons d'êtres, 6+6 a
Hommes, femmes, vieillards,enfants, esclaves, mtres, 6+6 a
 Souffrant, priant, aimant, 6 b
Doutant, peut-être cendreet peut-être semence, 6+6 c
Qui roulent, frémissantset pâles, vers l'immense 6+6 c
600  Évanouissement ! 6 b
XVI
L'arbre Éternité vitsans fte et sans racines. 6+6 a
Ses branches sont partout,proches du ver, voisines 6+6 a
 Du grand astre doré ; 6 b
L'espace voit sans fincrtre la branche Nombre, 6+6 c
605 Et la branche Destin,végétation sombre, 6+6 c
 Emplit l'homme effaré. 6 b
Nous la sentons ramperet grandir sous nos crânes, 6+6 a
Lier Deutz à Judas,Nemrod à Schinderhannes, 6+6 a
 Tordre ses mille nœuds, 6 b
610 Et, passants pénétrésde fibres éternelles, 6+6 c
Tremblants, nous la voyonscroiser dans nos prunelles 6+6 c
 Ses fils vertigineux. 6 b
Et nous apercevons,dans le plus noir de l'arbre, 6+6 a
Les Hobbes contemplantavec des yeux de marbre, 6+6 a
615  Les Kant aux larges fronts ; 6 b
Leur cognée à la main,le pied sur les problèmes, 6+6 c
Immobiles ; la morta fait des spectres blêmes 6+6 c
 De tous ces bûcherons. 6 b
Ils sont là, stupéfaitset chacun sur sa branche. 6+6 a
620 L'un se redresse, et l'autre,épouvanté, se penche. 6+6 a
 L'un voulut, l'autre osa, 6 b
Tous se sont arrêtésen voyant le mystère. 6+6 c
Zénon rêve tournévers Pyrrhon, et Voltaire 6+6 c
 Regarde Spinosa. 6 b
625 Qu'avez-vous donc trouvé,dites, chercheurs sublimes ? 6+6 a
Quels nids avez-vous vus,noirs comme des abîmes, 6+6 a
 Sur ces rameaux noueux ? 6 b
Cachaient-ils des essaimsd'ailes sombres ou blanches ? 6+6 c
Dites, avez-vous faitenvoler de ces branches 6+6 c
630  Quelque aigle monstrueux ? 6 b
De quelqu'un qui se taitnous sommes les ministres ; 6+6 a
Le noir réseau du sorttrouble nos yeux sinistres ; 6+6 a
 Le vent nous courbe tous ; 6 b
L'ombre des mêmes nuitsmêle toutes les têtes. 6+6 c
635 Qui donc sait le secret ?le savez-vous, tempêtes ? 6+6 c
 Gouffres, en parlez-vous ? 6 b
Le problème muetgonfle la mer sonore, 6+6 a
Et, sans cesse oscillant,va du soir à l'aurore 6+6 a
 Et de la taupe au lynx ; 6 b
640 L'énigme aux yeux profondsnous regarde obstinée ; 6+6 c
Dans l'ombre nous voyonssur notre destinée 6+6 c
 Les deux griffes du sphinx. 6 b
Le mot, c'est Dieu. Ce motluit dans les âmes veuves ; 6+6 a
Il tremble dans la flamme ;onde, il coule en tes fleuves, 6+6 a
645  Homme, il coule en ton sang ; 6 b
Les constellationsle disent au silence ; 6+6 c
Et le volcan, mortierde l'infini, le lance 6+6 c
 Aux astres en passant. 6 b
Ne doutons pas. Croyons.Emplissons l'étendue 6+6 a
650 De notre confiance,humble, ailée, éperdue. 6+6 a
 Soyons l'immense Oui. 6 b
Que notre céciténe soit pas un obstacle ; 6+6 c
À la créationdonnons ce grand spectacle 6+6 c
 D'un aveugle ébloui. 6 b
655 Car, je vous le redis,votre oreille étant dure, 6+6 a
Non est un précipice.O vivants ! rien ne dure ; 6+6 a
 La chair est aux corbeaux ; 6 b
La vie autour de vouscroule comme un vieux cltre ; 6+6 c
Et l'herbe est formidable,et l'on y voit moins crtre 6+6 c
660  De fleurs que de tombeaux. 6 b
Tout, dès que nous doutons,devient triste et farouche. 6+6 a
Quand il veut, spectre gai,le sarcasme à la bouche 6+6 a
 Et l'ombre dans les yeux, 6 b
Rire avec l'infini,pauvre âme aventurière, 6+6 c
665 L'homme frissonnant voitles arbres en prière 6+6 c
 Et les monts sérieux ; 6 b
Le chêne ému fait signeau cèdre qui contemple ; 6+6 a
Le rocher rêveur sembleun prêtre dans le temple 6+6 a
 Pleurant un déshonneur ; 6 b
670 L'araignée, immobileau centre de ses toiles, 6+6 c
Médite ; et le lion,songeant sous les étoiles, 6+6 c
 Rugit : Pardon, Seigneur ! 6 b
mètre profils métriques : 6, 6+6
logo du CRISCO logo de l'université