Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_2/HUG527
Victor HUGO
LES CONTEMPLATIONS
tome II
AUJOURD'HUI
1845-1855
LIVRE CINQUIÈME
EN MARCHE
XX
Cérigo
I
Tout homme qui vieillit | est ce roc solitaire 6+6 a
Et triste, Cérigo, | qui fut jadis Cythère, 6+6 a
Cythère aux nids charmants, | Cythère aux myrtes verts, 6+6 b
La conque de Cypris | sacrée au sein des mers. 6+6 b
5 La vie auguste, goutte | à goutte, heure par heure, 6+6 a
S'épand sur ce qui passe | et sur ce qui demeure ; 6+6 a
Là-bas, la Grèce brille | agonisante, et l'œil 6+6 b
S'emplit en la voyant | de lumière et de deuil ; 6+6 b
La terre luit ; la nue | est de l'encens qui fume ; 6+6 a
10 Des vols d'oiseaux de mer | se mêlent à l'écume ; 6+6 a
L'azur frissonne ; l'eau | palpite ; et les rumeurs 6+6 b
Sortent des vents, des flots, | des barques, des rameurs ; 6+6 b
Au loin court quelque voile | hellène ou candiote. 6+6 a
Cythère est là, lugubre, | épuisée, idiote, 6+6 a
15 Tête de mort du rêve | amour, et crâne nu 6+6 b
Du plaisir, ce chanteur | masqué, spectre inconnu. 6+6 b
C'est toi ? qu'as-tu donc fait | de ta blanche tunique ? 6+6 a
Cache ta gorge impure | et ta laideur cynique, 6+6 a
O sirène ridée | et dont l'hymne s'est tu ! 6+6 b
20 Où donc êtes-vous, âme ? | étoile, où donc es-tu ? 6+6 b
L'île qu'on adorait | de Lemnos à Lépante, 6+6 a
Où se tordait d'amour | la chimère rampante, 6+6 a
Où la brise baisait | les arbres frémissants, 6+6 b
Où l'ombre disait : J'aime ! | où l'herbe avait des sens, 6+6 b
25 Qu'en a-t-on fait ? où donc | sont-ils, où donc sont-elles, 6+6 a
Eux, les olympiens, | elles, les immortelles ? 6+6 a
Où donc est Mars ? où donc | Éros ? où donc Psyché ? 6+6 b
Où donc le doux oiseau | bonheur, effarouché ? 6+6 b
Qu'en as-tu fait, rocher, | et qu'as-tu fait des roses ? 6+6 a
30 Qu'as-tu fait des chansons | dans les soupirs écloses, 6+6 a
Des danses, des gazons, | des bois mélodieux, 6+6 b
De l'ombre que faisait | le passage des dieux ? 6+6 b
Plus d'autels ; ô passé ! | splendeurs évanouies ! 6+6 a
Plus de vierges au seuil | des antres éblouies ; 6+6 a
35 Plus d'abeilles buvant | la rosée et le thym. 6+6 b
Mais toujours le ciel bleu. | C'est-à-dire, ô destin ! 6+6 b
Sur l'homme, jeune ou vieux, | harmonie ou souffrance, 6+6 a
Toujours la même mort | et la même espérance. 6+6 a
Cérigo, qu'as-tu fait | de Cythère ? Nuit ! deuil ! 6+6 b
40 L'éden s'est éclipsé, | laissant à nu l'écueil. 6+6 b
O naufragée, hélas ! | c'est donc là que tu tombes ! 6+6 a
Les hiboux même ont peur | de l'île des colombes. 6+6 a
Ile, ô toi qu'on cherchait ! | ô toi que nous fuyons, 6+6 b
O spectre des baisers, | masure des rayons, 6+6 b
45 Tu t'appelles oubli ! | tu meurs, sombre captive ! 6+6 a
Et, tandis qu'abritant | quelque yole furtive, 6+6 a
Ton cap, où rayonnaient | les temples fabuleux, 6+6 b
Voit passer à son ombre | et sur les grands flots bleus 6+6 b
Le pirate qui guette | ou le pêcheur d'éponges 6+6 a
50 Qui rôde, à l'horizon | Vénus fuit dans les songes. 6+6 a
II
Vénus ! Que parles-tu | de Vénus ? elle est là. 6+6 b
Lève les yeux. Le jour | où Dieu la dévoila 6+6 b
Pour la première fois | dans l'aube universelle, 6+6 a
Elle ne brillait pas | plus qu'elle n'étincelle. 6+6 a
55 Si tu veux voir l'étoile, | homme, lève les yeux. 6+6 b
L'île des mers s'éteint, | mais non l'île des cieux ; 6+6 b
Les astres sont vivants | et ne sont pas des choses 6+6 a
Qui s'effeuillent, un soir | d'été, comme les roses. 6+6 a
Oui, meurs, plaisir, mais vis, | amour ! ô vision, 6+6 b
60 Flambeau, nid de l'azur | dont l'ange est l'alcyon, 6+6 b
Beauté de l'âme humaine | et de l'âme divine, 6+6 a
Amour, l'adolescent | dans l'ombre te devine, 6+6 a
O splendeur ! et tu fais | le vieillard lumineux. 6+6 b
Chacun de tes rayons | tient un homme en ses nœuds. 6+6 b
65 Oh ! vivez et brillez | dans la brume qui tremble, 6+6 a
Hymens mystérieux, | cœurs vieillissant ensemble, 6+6 a
Malheurs de l'un par l'autre | avec joie adoptés, 6+6 b
Dévouement, sacrifice, | austères voluptés, 6+6 b
Car vous êtes l'amour, | la lueur éternelle ! 6+6 a
70 L'astre sacré que voit | l'âme, sainte prunelle, 6+6 a
Le phare de toute heure, | et, sur l'horizon noir, 6+6 b
L'étoile du matin | et l'étoile du soir ! 6+6 b
Ce monde inférieur, | où tout rampe et s'altère, 6+6 a
À ce qui disparaît | et s'efface, Cythère, 6+6 a
75 Le jardin qui se change | en rocher aux flancs nus ; 6+6 b
La terre a Cérigo ; | mais le ciel a Vénus. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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