Métrique en Ligne
HUG_2/HUG513
Victor HUGO
LES CONTEMPLATIONS
tome II
AUJOURD'HUI
1845-1855
LIVRE CINQUIÈME
EN MARCHE
VI
À vous qui êtes là
Vous, qui l'avez suivi dans sa blême vallée, 6+6 a
Au bord de cette mer d'écueils noirs constellée, 6+6 a
Sous la pâle nuée éternelle qui sort 6+6 b
Des flots, de l'horizon, de l'orage et du sort ; 6+6 b
5 Vous qui l'avez suivi dans cette Thébaïde, 6+6 a
Sur cette grève nue, aigre, isolée et vide, 6+6 a
Où l'on ne voit qu'espace âpre et silencieux, 6+6 b
Solitude sur terre et solitude aux cieux ; 6+6 b
Vous qui l'avez suivi dans ce brouillard qu'épanche 6+6 a
10 Sur le roc, sur la vague et sur l'écume blanche, 6+6 a
La profonde tempête aux souffles inconnus, 6+6 b
Recevez, dans la nuit où vous êtes venus, 6+6 b
O chers êtres ! cœurs vrais, lierres de ses décombres, 6+6 a
La bénédiction de tous ces déserts sombres ! 6+6 a
15 Ces désolations vous aiment ; ces horreurs, 6+6 b
Ces brisants, cette mer où les vents laboureurs 6+6 b
Tirent sans fin le soc monstrueux des nuages, 6+6 a
Ces houles revenant comme de grands rouages, 6+6 a
Vous aiment ; ces exils sont joyeux de vous voir ; 6+6 b
20 Recevez la caresse immense du lieu noir ! 6+6 b
O forçats de l'amour ! ô compagnons, compagnes, 6+6 a
Qui l'aidez à traîner son boulet dans ces bagnes, 6+6 a
O groupe indestructible et fidèle entre tous 6+6 b
D'âmes et de bons cœurs et d'esprits fiers et doux, 6+6 b
25 Mère, fille, et vous, fils, vous ami, vous encore, 6+6 a
Recevez le soupir du soir vague et sonore, 6+6 a
Recevez le sourire et les pleurs du matin, 6+6 b
Recevez la chanson des mers, l'adieu lointain 6+6 b
Du pauvre mât penché parmi les lames brunes ! 6+6 a
30 Soyez les bienvenus pour l'âpre fleur des dunes, 6+6 a
Et pour l'aigle qui fuit les hommes importuns, 6+6 b
Âmes, et que les champs vous rendent vos parfums, 6+6 b
Et que, votre clarté, les astres vous la rendent ! 6+6 a
Et qu'en vous admirant, les vastes flots demandent : 6+6 a
35 Qu'est-ce donc que ces cœurs qui n'ont pas de reflux ! 6+6 b
O tendres survivants de tout ce qui n'est plus ! 6+6 b
Rayonnements masquant la grande éclipse à l'âme ! 6+6 a
Sourires éclairant, comme une douce flamme, 6+6 a
L'abîme qui se fait, hélas ! dans le songeur ! 6+6 b
40 Gaîtés saintes chassant le souvenir rongeur ! 6+6 b
Quand le proscrit saignant se tourne, âme meurtrie 6+6 a
Vers l'horizon, et crie en pleurant : « La patrie ! » 6+6 a
La famille, mensonge auguste, dit : « C'est moi ! » 6+6 b
Oh ! suivre hors du jour, suivre hors de la loi, 6+6 b
45 Hors du monde, au delà de la dernière porte, 6+6 a
L'être mystérieux qu'un vent fatal emporte, 6+6 a
C'est beau. C'est beau de suivre un exilé ! le jour 6+6 b
Où ce banni sortit de France, plein d'amour 6+6 b
Et d'angoisse, au moment de quitter cette mère, 6+6 a
50 Il s'arrêta longtemps sur la limite amère ; 6+6 a
Il voyait, de sa course à venir déjà las, 6+6 b
Que dans l'œil des passants il n'était plus, hélas ! 6+6 b
Qu'une ombre, et qu'il allait entrer au sourd royaume 6+6 a
Où l'homme qui s'en va flotte et devient fantôme ; 6+6 a
55 Il disait aux ruisseaux : « Retiendrez-vous mon nom, 6+6 b
Ruisseaux ?« Et les ruisseaux coulaient en disant : « Non. » 6+6 b
Il disait aux oiseaux de France : « Je vous quitte, 6+6 a
Doux oiseaux ; je m'en vais aux lieux où l'on meurt vite, 6+6 a
Au noir pays d'exil où le ciel est étroit ; 6+6 b
60 Vous viendrez, n'est-ce pas, vous nicher dans mon toit ? » 6+6 b
Et les oiseaux fuyaient au fond des brumes grises. 6+6 a
Il disait aux forêts : « M'enverrez-vous vos brises ? » 6+6 a
Les arbres lui faisaient des signes de refus. 6+6 b
Car le proscrit est seul ; la foule aux pas confus 6+6 b
65 Ne comprend que plus tard, d'un rayon éclairée, 6+6 a
Cet habitant du gouffre et de l'ombre sacrée. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 33((aa))
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