Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_2/HUG509
Victor HUGO
LES CONTEMPLATIONS
tome II
AUJOURD'HUI
1845-1855
LIVRE CINQUIÈME
EN MARCHE
III
Écrit en 1846
« … Je vous ai vu enfant, monsieur, chez votre respectable
mère, et nous sommes même un peu parents, je crois.
J'ai applaudi à vos premières odes, la Vendée, Louis XVII…
Dès 1827, dans votre ode dite A la colonne, vous désertiez
les saines doctrines, vous abjuriez la légitimité ;
la faction libérale battait des mains à votre apostasie.
J'en gémissais… Vous êtes aujourd'hui, monsieur,
en démagogie pure, en plein jacobinisme. Votre discours
d'anarchiste sur les affaires de Galicie est plus digne du
tréteau d'une Convention que de la tribune d'une chambre
des pairs. Vous en êtes à la carmagnole… Vous vous perdez,
je vous le dis. Quelle est donc votre ambition ? Depuis ces
beaux jours de votre adolescence monarchique, qu'avez-vous
fait ? où allez-vous ?… »
(Le marquis du C. d'E… — Lettre à Victor Hugo, Paris, 1846.).
I
Marquis, je m'en souviens,vous veniez chez ma mère. 6+6 a
Vous me faisiez parfoisréciter ma grammaire ; 6+6 a
Vous m'apportiez toujoursquelque bonbon exquis ; 6+6 b
Et nous étions cousinsquand on était marquis. 6+6 b
5 Vous étiez vieux, j'étaisenfant ; contre vos jambes 6+6 a
Vous me preniez, et puis,entre deux dithyrambes 6+6 a
En l'honneur de Coblentzet des rois, vous contiez 6+6 b
Quelque histoire de loups,de peuples châtiés, 6+6 b
D'ogres, de jacobins,authentique et formelle, 6+6 a
10 Que j'avalais avecvos bonbons, pêle-mêle, 6+6 a
Et que je dévoraisde fort bon appétit 6+6 b
Quand j'étais royalisteet quand j'étais petit. 6+6 b
J'étais un doux enfant,le grain d'un honnête homme. 6+6 a
Quand, plein d'illusions,crédule, simple, en somme, 6+6 a
15 Droit et pur, mes deux yeuxsur l'idéal ouverts, 6+6 b
Je bégayais, songeurnaïf, mes premiers vers, 6+6 b
Marquis, vous leur trouviezun arrière-gt fauve, 6+6 a
Les Grâces vous ayantnourri dans leur alcôve ; 6+6 a
Mais vous disiez : « Pas mal !bien ! c'est quelqu'un qui nt ! » 6+6 b
20 Et, souvenir sacré !ma mère rayonnait. 6+6 b
Je me rappelle encorde quel accent ma mère 6+6 a
Vous disait : « Bonjour. » Aube !avril ! joie éphémère ! 6+6 a
donc est ce sourire ? donc est cette voix ? 6+6 b
Vous fuyez donc ainsique les feuilles des bois, 6+6 b
25 O baisers d'une mère !aujourd'hui, mon front sombre, 6+6 a
Le même front, est là,pensif, avec de l'ombre, 6+6 a
Et les baisers de moinset les rides de plus ! 6+6 b
Vous aviez de l'esprit,marquis. Flux et reflux, 6+6 b
Heur, malheur, vous avaientlaissé l'âme assez nette ; 6+6 a
30 Riche, pauvre, écuyerde Marie-Antoinette, 6+6 a
Émigré, vous aviez,dans ce temps incertain, 6+6 b
Bien supporté le chaudet le froid du destin. 6+6 b
Vous haïssiez Rousseau,mais vous aimiez Voltaire. 6+6 a
Pigault-Lebrun allaità votre gt austère, 6+6 a
35 Mais Diderot étaitdigne du pilori. 6+6 b
Vous détestiez, c'est vrai,madame Dubarry, 6+6 b
Tout en divinisantGabrielle d'Estrée. 6+6 a
Pas plus que Sévigné,la marquise lettrée, 6+6 a
Ne s'étonnait de voir,douce femme rêvant, 6+6 b
40 Blêmir au clair de luneet trembler dans le vent, 6+6 b
Aux arbres du chemin,parmi les feuilles jaunes, 6+6 a
Les paysans penduspar ce bon duc de Chaulnes, 6+6 a
Vous ne preniez soucides manants qu'on abat 6+6 b
Par la force, et du pauvreécrasé sous le bât. 6+6 b
45 Avant quatre-vingt-neuf,galant incendiaire, 6+6 a
Vous portiez votre épéeen quart de civadière ; 6+6 a
La poudre blanchissaitvotre dos de velours ; 6+6 b
Vous marchiez sur le peupleà pas légers — et lourds. 6+6 b
Quoique les vieux abusn'eussent rien qui vous blesse, 6+6 a
50 Jeune, vous aviez eu,vous, toute la noblesse, 6+6 a
Montmorency, Choiseul,Noaille, esprits charmants, 6+6 b
Avec la royautédes querelles d'amants ; 6+6 b
Brouilles, roucoulements ;Bérénice avec Tite. 6+6 a
La Révolutionvous plut toute petite ; 6+6 a
55 Vous embtiez le pasderrière Talleyrand ; 6+6 b
Le monstre vous semblad'abord fort transparent, 6+6 b
Et vous l'aviez tenusur les fonts de baptême. 6+6 a
Joyeux, vous aviez ditau nouveau-né : Je t'aime ! 6+6 a
Ligue ou Fronde, remèdeau déficit, protêt, 6+6 b
60 Vous ne saviez pas tropau fond ce que c'était ; 6+6 b
Mais vous battiez des mainsgment, quand Lafayette 6+6 a
Fit à Léviathansa première layette. 6+6 a
Plus tard, la peur vous pritquand surgit le flambeau. 6+6 b
Vous vîtes la beautédu tigre Mirabeau. 6+6 b
65 Vous nous disiez, le soir,près du feu qui pétille, 6+6 a
Paris de sa poitrinearrachant la Bastille, 6+6 a
Le faubourg Saint-Antoineaccourant en sabots, 6+6 b
Et ce grand peuple, ainsiqu'un spectre des tombeaux, 6+6 b
Sortant, tout effaré,de son antique opprobre, 6+6 a
70 Et le vingt juin, le dixat, le six octobre, 6+6 a
Et vous nous récitiezles quatrains que Boufflers 6+6 b
Mêlait en souriantà ces blêmes éclairs. 6+6 b
Car vous étiez de ceuxqui, d'abord, ne comprirent 6+6 a
Ni le flot, ni la nuit,ni la France, et qui rirent ; 6+6 a
75 Qui prenaient tout celapour des jeux innocents ; 6+6 b
Qui, dans l'amas plaintifdes siècles rugissants 6+6 b
Et des hommes hagards,ne voyaient qu'une meute ; 6+6 a
Qui, légers, à la foule,à la faim, à l'émeute, 6+6 a
Donnaient à devinerl'énigme du salon ; 6+6 b
80 Et qui, quand le ciel noirs'emplissait d'aquilon, 6+6 b
Quand, accroupie au seuildu mystère insondable, 6+6 a
La Révolutionse dressait formidable, 6+6 a
Sceptiques, sans voir l'ongleet l'œil fauve qui luit, 6+6 b
Distinguant mal sa faceétrange dans la nuit, 6+6 b
85 Presque prêts à raillerl'obscurité difforme, 6+6 a
Jouaient à la charadeavec le sphinx énorme. 6+6 a
Vous nous disiez : « Quel deuil !les gueux, les mécontents, 6+6 b
« Ont fait rage ; on n'a passu s'arrêter à temps. 6+6 b
« Une transactiont tout sauvé peut-être. 6+6 a
90 « Ne peut-on être libreet le roi rester mtre ? 6+6 a
« Le peuple conservantle trône t été grand. » 6+6 b
Puis vous deveniez tristeet morne ; et, murmurant : 6+6 b
« Les plus sages n'ont pusauver ce bon vieux trône. 6+6 a
« Tout est mort ; ces grands rois,ce Paris Babylone, 6+6 a
95 « Montespan et Marly,Maintenon et Saint-Cyr ! » 6+6 b
Vous pleuriez. — Et, grand Dieu !pouvaient-ils réussir, 6+6 b
Ces hommes qui voulaient,combinant vingt régimes, 6+6 a
La loi qui nous froissa,l'abus dont nous rougîmes, 6+6 a
Vieux codes, vieilles mœurs,droit divin, nation, 6+6 b
100 Chausser de royautéla Révolution ? 6+6 b
La patte du lioncreva cette pantoufle ! 6+6 a
II
Puis vous m'avez perdude vue ; un vent qui souffle 6+6 a
Disperse nos destins,nos jours, notre raison, 6+6 b
Nos cœurs, aux quatre coinsdu livide horizon ; 6+6 b
105 Chaque homme dans sa nuits'en va vers sa lumière. 6+6 a
La seconde âme en nousse greffe à la première ; 6+6 a
Toujours la même tigeavec une autre fleur. 6+6 b
J'ai connu le combat,le labeur, la douleur, 6+6 b
Les faux amis, ces nœudsqui deviennent couleuvres ; 6+6 a
110 J'ai porté deuils sur deuils ;j'ai mis œuvres sur œuvres ; 6+6 a
Vous ayant oublié,je ne le cache pas, 6+6 b
Marquis ; soudain j'entendsdans ma maison un pas, 6+6 b
C'est le vôtre, et j'entendsune voix, c'est la vôtre, 6+6 a
Qui m'appelle apostat,moi qui me crus apôtre ! 6+6 a
115 Oui, c'est bien vous ; ayantpeur jusqu'à la fureur, 6+6 b
Fronsac vieux, le marquishappé par la Terreur, 6+6 b
Haranguant à mi-corpsdans l'hydre qui l'avale. 6+6 a
L'âge ayant entre nousconservé l'intervalle 6+6 a
Qui fait que l'homme resteenfant pour le vieillard, 6+6 b
120 Ne me voyant d'ailleursqu'à travers un brouillard, 6+6 b
Vous criez, l'œil hagardet vous fâchant tout rouge : 6+6 a
« Ah ! çà ! qu'est-ce que c'estque ce brigand ? Il bouge ! » 6+6 a
Et du poing, non du doigt,vous montrez vos aïeux ; 6+6 b
Et vous me rappelezma mère, furieux. 6+6 b
125 — Je vous baise, ô pieds froidsde ma mère endormie ! 6+6 a
Et, vous exclamant : « Honte !anarchie ! infamie ! 6+6 a
« Siècle effroyable nulne veut se tenir coi ! » 6+6 b
Me demandant comment,me demandant pourquoi, 6+6 b
Remuant tous les mortsqui gisent sous la pierre, 6+6 a
130 Citant Lambesc, Marat,Charette et Robespierre, 6+6 a
Vous me dites d'un tonqui n'a plus rien d'urbain : 6+6 b
« Ce gueux est libéral !ce montre est jacobin ! 6+6 b
« Sa voix à des chansonsde carrefour s'éraille. 6+6 a
« Pourquoi regardes-tupar-dessus la muraille ? 6+6 a
135 « vas-tu ? d' viens-tu ?qui te rend si hardi ? 6+6 b
« Depuis qu'on ne t'a vu,qu'as-tu fait ? »
J'ai grandi. 6+6 b
Quoi ! parce que je suisné dans un groupe d'hommes 6+6 a
Qui ne voyaient qu'enfers,Gomorrhes et Sodomes, 6+6 a
Hors des anciennes mœurset des antiques fois ; 6+6 b
140 Quoi ! parce que ma mère,en Vendée autrefois, 6+6 b
Sauva dans un seul jourla vie à douze prêtres ; 6+6 a
Parce qu'enfant sortide l'ombre des ancêtres, 6+6 a
Je n'ai su tout d'abordque ce qu'ils m'ont appris, 6+6 b
Qu'oiseau dans le passécomme en un filet pris, 6+6 b
145 Avant de m'échapperà travers le bocage, 6+6 a
J'ai dû laisser poussermes plumes dans ma cage ; 6+6 a
Parce que j'ai pleuré,— j'en pleure encor, qui sait ? — 6+6 b
Sur ce pauvre petitnommé Louis Dix-Sept ; 6+6 b
Parce qu'adolescent,âme à faux jour guidée, 6+6 a
150 J'ai trop peu vu la Franceet trop vu la Vendée ; 6+6 a
Parce que j'ai louél'héroïsme breton, 6+6 b
Chouan et non Marceau,Stofflet et non Danton, 6+6 b
Que les grands paysansm'ont caché les grands hommes, 6+6 a
Et que j'ai fort mal lu,d'abord, l'ère nous sommes, 6+6 a
155 Parce que j'ai vagides chants de royauté, 6+6 b
Suis-je à toujours rivédans l'imbécillité ? 6+6 b
Dois-je crier : Arrière !à mon siècle ; — à l'idée : 6+6 a
Non ! — à la vérité :Va-t'en, dévergondée ! — 6+6 a
L'arbre doit-il pour moin'être qu'un goupillon ? 6+6 b
160 Au sein de la nature,immense tourbillon, 6+6 b
Dois-je vivre, portantl'ignorance en écharpe, 6+6 a
Cltré dans Loriquetet muré dans Laharpe ? 6+6 a
Dois-je exister sans êtreet regarder sans voir ? 6+6 b
Et faut-il qu'à jamaispour moi, quand vient le soir, 6+6 b
165 Au lieu de s'étoiler,le ciel se fleurdelise ? 6+6 a
III
Car le roi masque Dieumême dans son église, 6+6 a
L'azur.
IV
Écoutez-moi.J'ai vécu ; j'ai songé. 6+6 b
La vie en larmes m'adoucement corrigé. 6+6 b
Vous teniez mon berceaudans vos mains, et vous fîtes 6+6 a
170 Ma pensée et ma têteen vos rêves confites. 6+6 a
Hélas ! j'étais la roueet vous étiez l'essieu. 6+6 b
Sur la vérité sainte,et la justice, et Dieu, 6+6 b
Sur toutes les clartésque la raison nous donne, 6+6 a
Par vous, par vos pareils,et je vous le pardonne, 6+6 a
175 Marquis, — j'avais ététout de travers placé. 6+6 b
J'étais en porte-à-faux,je me suis redressé. 6+6 b
La pensée est le droitsévère de la vie. 6+6 a
Dieu prend par la main l'hommeenfant, et le convie 6+6 a
À la classe qu'au fonddes champs, au sein des bois, 6+6 b
180 Il fait dans l'ombre à tousles êtres à la fois. 6+6 b
J'ai pensé. J'ai rêvéprès des flots, dans les herbes, 6+6 a
Et les premiers courrouxde mes odes imberbes 6+6 a
Sont d'eux-même en marchanttombés derrière moi. 6+6 b
La nature devintma joie et mon effroi ; 6+6 b
185 Oui, dans le même temps vous faussiez ma lyre, 6+6 a
Marquis, je m'échappaiset j'apprenais à lire 6+6 a
Dans cet hiéroglypheénorme : l'univers. 6+6 b
Oui, j'allais feuilleterles champs tout grands ouverts ; 6+6 b
Tout enfant, j'essayaisd'épeler cette bible 6+6 a
190 se mêle, éperdu,le charmant au terrible ; 6+6 a
Livre écrit dans l'azur,sur l'onde et le chemin, 6+6 b
Avec la fleur, le vent,l'étoile ; et qu'en sa main 6+6 b
Tient la créationau regard de statue ; 6+6 a
Prodigieux poëme la foudre accentue 6+6 a
195 La nuit, l'océansouligne l'infini. 6+6 b
Aux champs, entre les brasdu grand chêne béni, 6+6 b
J'étais plus fort, j'étaisplus doux, j'étais plus libre ; 6+6 a
Je me mettais avecle monde en équilibre ; 6+6 a
Je tâchais de savoir,tremblant, pâle, ébloui, 6+6 b
200 Si c'est Non que dit l'ombreà l'astre qui dit Oui ; 6+6 b
Je cherchais à saisirle sens des phrases sombres 6+6 a
Qu'écrivaient sous mes yeuxles formes et les nombres ; 6+6 a
J'ai vu partout grandeur,vie, amour, liberté ; 6+6 b
Et j'ai dit : — Texte : Dieu ;contre-sens : royauté. — 6+6 b
205 La nature est un drameavec des personnages : 6+6 a
J'y vivais ; j'écoutais,comme des témoignages, 6+6 a
L'oiseau, le lis, l'eau viveet la nuit qui tombait. 6+6 b
Puis je me suis penchésur l'homme, autre alphabet. 6+6 b
Le mal m'est apparu,puissant, joyeux, robuste, 6+6 a
210 Triomphant ; je n'avaisqu'une soif : être juste ; 6+6 a
Comme on arrête un gueuxvolant sur le chemin, 6+6 b
Justicier indigné,j'ai pris le cœur humain 6+6 b
Au collet, et j'ai dit :Pourquoi le fiel, l'envie, 6+6 a
La haine ? Et j'ai vidéles poches de la vie. 6+6 a
215 Je n'ai trouvé dedansque deuil, misère, ennui. 6+6 b
J'ai vu le loup mangeantl'agneau, dire : Il m'a nui ! 6+6 b
Le vrai boitant ; l'erreurhaute de cent coudées ; 6+6 a
Tous les cailloux jetésà toutes les idées. 6+6 a
Hélas ! j'ai vu la nuitreine, et, de fers chargés, 6+6 b
220 Christ, Socrate, Jean Huss,Colomb ; les préjugés 6+6 b
Sont pareils aux buissonsque dans la solitude 6+6 a
On brise pour passer :toute la multitude 6+6 a
Se redresse et vous mordpendant qu'on en courbe un. 6+6 b
Ah ! malheur à l'apôtreet malheur au tribun ! 6+6 b
225 On avait eu bien soinde me cacher l'histoire ; 6+6 a
J'ai lu ; j'ai comparél'aube avec la nuit noire 6+6 a
Et les quatre-vingt-treizeaux Saint-Barthélemy ; 6+6 b
Car ce quatre-vingt-treize vous avez frémi, 6+6 b
Qui dut être, et que rienne peut plus faire éclore, 6+6 a
230 C'est la lueur de sangqui se mêle à l'aurore. 6+6 a
Les Révolutions,qui viennent tout venger, 6+6 b
Font un bien éterneldans leur mal passager. 6+6 b
Les Révolutionsne sont que la formule 6+6 a
De l'horreur qui, pendantvingt règnes s'accumule. 6+6 a
235 Quand la souffrance a prisde lugubres ampleurs ; 6+6 b
Quand les mtres longtempsont fait, sur l'homme en pleurs, 6+6 b
Tourner le Bas-Empireavec le Moyen Age, 6+6 a
Du midi dans le nordformidable engrenage ; 6+6 a
Quand l'histoire n'est plusqu'un tas noir de tombeaux, 6+6 b
240 De Crécys, de Rosbachs,becquetés des corbeaux ; 6+6 b
Quand le pied des méchantsrègne et courbe la tête 6+6 a
Du pauvre partageantdans l'auge avec la bête ; 6+6 a
Lorsqu'on voit aux deux boutsde l'affreuse Babel 6+6 b
Louis Onze et Tristan,Louis Quinze et Lebel ; 6+6 b
245 Quand le harem est princeet l'échafaud ministre ; 6+6 a
Quand toute chair gémit ;quand la lune sinistre 6+6 a
Trouve qu'assez longtempsl'herbe humaine a fléchi, 6+6 b
Et qu'assez d'ossementsaux gibets ont blanchi ; 6+6 b
Quand le sang de Jésustombe en vain, goutte à goutte, 6+6 a
250 Depuis dix-huit cents ans,dans l'ombre qui l'écoute ; 6+6 a
Quand l'ignorance a mêmeaveuglé l'avenir ; 6+6 b
Quand, ne pouvant plus riensaisir et rien tenir, 6+6 b
L'espérance n'est plusque le tronçon de l'homme ; 6+6 a
Quand partout le suppliceà la fois se consomme, 6+6 a
255 Quand la guerre est partout,quand la haine est partout, 6+6 b
Alors, subitement,un jour, debout, debout ! 6+6 b
Les réclamationsde l'ombre misérable, 6+6 a
La géante douleur,spectre incommensurable, 6+6 a
Sortent du gouffre ; un cris'entend sur les hauteurs ; 6+6 b
260 Les mondes sociauxheurtent leurs équateurs ; 6+6 b
Tout le bagne effrayantdes parias se lève ; 6+6 a
Et l'on entend sonnerles fouets, les fers, le glaive, 6+6 a
Le meurtre, le sanglot,la faim, le hurlement, 6+6 b
Tout le bruit du passé,dans ce déchnement ! 6+6 b
265 Dieu dit au peuple : Va !l'ardent tocsin qui râle, 6+6 a
Secoue avec sa cordeobscure et sépulcrale 6+6 a
L'église et son clocher,le Louvre et son beffroi ; 6+6 b
Luther brise le papeet Mirabeau le roi ! 6+6 b
Tout est dit. C'est ainsique les vieux mondes croulent. 6+6 a
270 Oh ! l'heure vient toujours !des flots sourds au loin roulent. 6+6 a
À travers les rumeurs,les cadavres, les deuils, 6+6 b
L'écume, et les sommetsqui deviennent écueils, 6+6 b
Les siècles devant euxpoussent, désespérées, 6+6 a
Les Révolutions,monstrueuses marées, 6+6 a
275 Océans faits des pleursde tout le genre humain. 6+6 b
V
Ce sont les rois qui fontles gouffres ; mais la main 6+6 b
Qui sema, ne veut pasaccepter la récolte ; 6+6 a
Le fer dit que le sangqui jaillit, se révolte. 6+6 a
Voilà ce que m'appritl'histoire. Oui, c'est cruel, 6+6 b
280 Ma raison a tuémon royalisme en duel. 6+6 b
Me voici jacobin.Que veut-on que j'y fasse ? 6+6 a
Le revers du louisdont vous aimez la face, 6+6 a
M'a fait peur. En allantlibrement devant moi, 6+6 b
En marchant, je le sais,j'afflige votre foi, 6+6 b
285 Votre religion,votre cause éternelle, 6+6 a
Vos dogmes, vos aïeux,vos dieux, votre flanelle, 6+6 a
Et dans vos bons vieux os,faits d'immobilité, 6+6 b
Le rhumatisme antiqueappelé royauté. 6+6 b
Je n'y puis rien. Malgrémenins et majordomes, 6+6 a
290 Je ne crois plus aux roispropriétaires d'hommes ; 6+6 a
N'y croyant plus, je faismon devoir, je le dis. 6+6 b
Marc-Aurèle écrivait :« Je me trompai jadis ; 6+6 b
« Mais je ne laisse pas,allant au juste, au sage, 6+6 a
« Mes erreurs d'autrefoisme barrer le passage. » 6+6 a
295 Je ne suis qu'un atome,et je fais comme lui ; 6+6 b
Marquis, depuis vingt ans,je n'ai, comme aujourd'hui, 6+6 b
Qu'une idée en l'esprit :servir la cause humaine. 6+6 a
La vie est une courd'assises ; on amène 6+6 a
Les faibles à la barreaccouplés aux pervers. 6+6 b
300 J'ai, dans le livre, avecle drame, en prose, en vers, 6+6 b
Plaidé pour les petitset pour les misérables ; 6+6 a
Suppliant les heureuxet les inexorables ; 6+6 a
J'ai réhabilitéle bouffon, l'histrion, 6+6 b
Tous les damnés humains,Triboulet, Marion, 6+6 b
305 Le laquais, le foatet la prostituée ; 6+6 a
Et j'ai collé ma boucheà toute âme tuée, 6+6 a
Comme font les enfants,anges aux cheveux d'or, 6+6 b
Sur la mouche qui meurt,pour qu'elle vole encor. 6+6 b
Je me suis inclinésur tout ce qui chancelle, 6+6 a
310 Tendre, et j'ai demandéla grâce universelle ; 6+6 a
Et, comme j'irritaisbeaucoup de gens ainsi, 6+6 b
Tandis qu'en bas peut-êtreon me disait : Merci, 6+6 b
J'ai recueilli souvent,passant dans les nuées, 6+6 a
L'applaudissement fauveet sombre des huées ; 6+6 a
315 J'ai réclamé des droitspour la femme et l'enfant ; 6+6 b
J'ai tâché d'éclairerl'homme en le réchauffant ; 6+6 b
J'allais criant : Science !écriture ! parole ! 6+6 a
Je voulais résorberle bagne par l'école ; 6+6 a
Les coupables pour moin'étaient que des témoins. 6+6 b
320 Rêvant tous les progrès,je voyais luire moins 6+6 b
Que le front de Parisla tiare de Rome. 6+6 a
J'ai vu l'esprit humainlibre, et le cœur de l'homme 6+6 a
Esclave ; et j'ai voulul'affranchir à son tour, 6+6 b
Et j'ai tâché de mettreen liberté l'amour. 6+6 b
325 Enfin, j'ai fait la guerreà la Grève homicide, 6+6 a
J'ai combattu la mort,comme l'antique Alcide ; 6+6 a
Et me voilà ; marchanttoujours, ayant conquis, 6+6 b
Perdu, lutté, souffert.Encore un mot, marquis, 6+6 b
Puisque nous sommes làcausant entre deux portes. 6+6 a
330 On peut être appelérenégat de deux sortes : 6+6 a
En se faisant païen,en se faisant chrétien. 6+6 b
L'erreur est d'un aimableet galant entretien. 6+6 b
Qu'on la quitte, elle metles deux poings sur sa hanche. 6+6 a
La vérité, si douceaux bons ; mais rude et franche, 6+6 a
335 Quand pour l'or, le pouvoir,la pourpre qu'on revêt, 6+6 b
On la trahit, devientle spectre du chevet. 6+6 b
L'une est la harengère,et l'autre est l'euménide. 6+6 a
Et ne nous fâchons point.Bonjour, Épiménide. 6+6 a
Le passé ne veut pass'en aller. Il revient 6+6 b
340 Sans cesse sur ses pas,reveut, reprend, retient, 6+6 b
Use à tout ressaisirses ongles noirs ; fait rage ; 6+6 a
Il gonfle son vieux flot,souffle son vieil orage, 6+6 a
Vomit sa vieille nuit,crie : A bas ! crie : A mort ! 6+6 b
Pleure, tonne, tempête,éclate, hurle, mord. 6+6 b
345 L'avenir souriantlui dit : Passe, bonhomme. 6+6 a
L'immense renégatd'Hier, marquis, se nomme 6+6 a
Demain ; mai tourne brideet plante là l'hiver ; 6+6 b
Qu'est-ce qu'un papillon ?le déserteur du ver ; 6+6 b
Falstaff se range ? il estl'apostat des ribotes ; 6+6 a
350 Mes pieds, ces renégats,quittent mes vieilles bottes ; 6+6 a
Ah ! le doux renégatdes haines, c'est l'amour. 6+6 b
À l'heure , débordantd'incendie et de jour, 6+6 b
Splendide, il s'évadade leurs cachots funèbres, 6+6 a
Le soleil frémissantrenia les ténèbres. 6+6 a
355 O marquis peu semblableaux anciens barons loups, 6+6 b
O Français renégatdu Celte, embrassons-nous. 6+6 b
Vous voyez bien, marquis,que vous aviez trop d'ire. 6+6 a
VI
Rien, au fond de mon cœur,puisqu'il faut le redire, 6+6 a
Non, rien n'a varié ;je suis toujours celui 6+6 b
360 Qui va droit au devoir,dès que l'honnête a lui, 6+6 b
Qui, comme Job, frissonneaux vents, fragile arbuste, 6+6 a
Mais veut le bien, le vrai,le beau, le grand, le juste. 6+6 a
Je suis cet homme-là,je suis cet enfant-là. 6+6 b
Seulement, un matin,mon esprit s'envola, 6+6 b
365 Je vis l'espace largeet pur qui nous réclame ; 6+6 a
L'horizon a changé,marquis, mais non pas l'âme. 6+6 a
Rien au dedans de moi,mais tout autour de moi. 6+6 b
L'histoire m'apparut,et je compris la loi 6+6 b
Des générations,cherchant Dieu, portant l'arche, 6+6 a
370 Et montant l'escalierimmense marche à marche. 6+6 a
Je restai le même œil,voyant un autre ciel. 6+6 b
Est-ce ma faute, à moi,si l'azur éternel 6+6 b
Est plus grand et plus bleuqu'un plafond de Versailles ? 6+6 a
Est-ce ma faute, à moi,mon Dieu, si tu tressailles 6+6 a
375 Dans mon cœur frémissant,à ce cri : Liberté ! 6+6 b
L'œil de cet homme a plusd'aurore et de clarté, 6+6 b
Tant pis ! prenez-vous-enà l'aube solennelle. 6+6 a
C'est la faute au soleilet non à la prunelle. 6+6 a
Vous dites : vas-tu ?Je l'ignore ; et j'y vais. 6+6 b
380 Quand le chemin est droit,jamais il n'est mauvais. 6+6 b
J'ai devant moi le jouret j'ai la nuit derrière ; 6+6 a
Et cela me suffit ;je brise la barrière. 6+6 a
Je vois, et rien de plus ;je crois, et rien de moins. 6+6 b
Mon avenir à moin'est pas un de mes soins. 6+6 b
385 Les hommes du passé,les combattants de l'ombre, 6+6 a
M'assaillent ; je tiens tête,et sans compter leur nombre, 6+6 a
À ce choc inégalet parfois hasardeux. 6+6 b
Mais, Longwood et Goritzm'en sont témoins tous deux, 6+6 b
Jamais je n'outrageaila proscription sainte. 6+6 a
390 Le malheur, c'est la nuit ;dans cette auguste enceinte, 6+6 a
Les hommes et les cieuxparaissent étoilés. 6+6 b
Les derniers rois l'ont suquand ils s'en sont allés. 6+6 b
Jamais je ne refuse,alors que le soir tombe, 6+6 a
Mes larmes à l'exil,mes genoux à la tombe ; 6+6 a
395 J'ai toujours consoléqui s'est évanoui ; 6+6 b
Et, dans leurs noirs cercueils,leur tête me dit oui. 6+6 b
Ma mère aussi le sait !et de plus, avec joie, 6+6 a
Elle sait les devoirsnouveaux que Dieu m'envoie ; 6+6 a
Car, étant dans la fosse,elle aussi voit le vrai. 6+6 b
400 Oui, l'homme sur la terreest un ange à l'essai ; 6+6 b
Aimons ! servons ! aidons !luttons ! souffrons ! Ma mère 6+6 a
Sait qu'à présent je vishors de toute chimère ; 6+6 a
Elle sait que mes yeuxau progrès sont ouverts, 6+6 b
Que j'attends les périls,l'épreuve, les revers, 6+6 b
405 Que je suis toujours prêt,et que je hâte l'heure 6+6 a
De ce grand lendemain :l'humanité meilleure ! 6+6 a
Qu'heureux, triste, applaudi,chassé, vaincu, vainqueur, 6+6 b
Rien de ce but profondne distraira mon cœur, 6+6 b
Ma volonté, mes pas,mes cris, mes vœux, ma flamme ! 6+6 a
410 O saint tombeau, tu voisdans le fond de mon âme ! 6+6 a
Oh ! jamais, quel que soitle sort, le deuil, l'affront, 6+6 b
La conscience en moine baissera le front ; 6+6 b
Elle marche sereine,indestructible et fière ; 6+6 a
Car j'apeois toujours,conseil lointain, lumière, 6+6 a
415 À travers mon destin,quel que soit le moment, 6+6 b
Quel que soit le désastreou l'éblouissement, 6+6 b
Dans le bruit, dans le ventorageux qui m'emporte, 6+6 a
Dans l'aube, dans la nuit,l'œil de ma mère morte ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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