Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_19/HUG969
Victor HUGO
LE PAPE
1878
LE PAPE
SCÈNE PREMIÈRE
SOMMEIL
Le Vatican. La chambre du Pape. La nuit.
LE PAPE
dans son lit
Ah ! je m'endors ! — Enfin !
Il s'endort.
PAROLES DANS LE CIEL ÉTOILÉ
O vivants, hommes, femmes, 6+6 a
Dormez. Apaise-toi,noir tumulte des âmes. 6+6 a
Oubli ! trêve ! ô méchants,reposez-vous. Assez ! 6+6 b
Vous devez être laspuisque vous haïssez. 6+6 b
5 Voici l'heure de paixque la terre réclame. 6+6 a
Le cœur divin envoieau cœur humain sa flamme. 6+6 a
La pensée a grandicar le rêve est venu. 6+6 b
Homme, ne te crois pasplongé dans l'inconnu ; 6+6 b
Tu connais tout, sachantque tu dois être juste ; 6+6 a
10 Le sort est l'antre noir,l'âme est la lampe auguste ; 6+6 a
Dieu par la conscienceinextinguible unit 6+6 b
L'innocence de l'hommeaux blancheurs du zénith. 6+6 b
Va, ta tête est au cielpar un rayon liée. 6+6 a
La vie est une pageobscurément pliée 6+6 a
15 Que l'homme en mourant litet déchiffre en dormant. 6+6 b
Le sommeil est un sombreépanouissement. 6+6 b
Il est des voix, il estdes pas, il est des ondes ; 6+6 a
Tout se mêle : clameurs,rumeurs, vagues profondes, 6+6 a
Foules blêmes, troupeauxpensifs, essaims joyeux ; 6+6 b
20 Tout marche au but divinsous les éternels yeux. 6+6 b
Responsabilité,pèse, voici ton heure, 6+6 a
Du haut des deux, et rendsl'âme humaine meilleure. 6+6 a
Les noirs vivants ont tousau pied le même anneau. 6+6 b
Sens, ô berger, le poidsénorme de l'agneau. 6+6 b
25 Frêles puissants, tâchezque l'ombre vous tolère ; 6+6 a
Le gouffre est irritéd'une bonne colère ; 6+6 a
Le gouffre est menaçant,mais c'est contre le fort 6+6 b
L'atome avec raisoncompte, lorsqu'il s'endort, 6+6 b
Sur la protectionterrible des abîmes. 6+6 a
30 Dormez, Vertus, dormez,souffrances, dormez, crimes, 6+6 a
Sous la sérénitédu firmament vermeil. 6+6 b
Heureux l'homme qui sentà travers son sommeil 6+6 b
Que les étoiles sontsur la terre levées 6+6 a
Pour protéger le faibleet l'humble et leurs couvées, 6+6 a
35 Qui tâche de comprendre .en dormant, et qui sent 6+6 b
Qu'un immense conseilmystérieux descend ! 6+6 b
Laissez passer sur vousles astres vénérables, 6+6 a
Et dormez. O vivants,princes, grands, misérables, 6+6 a
À cette heure au fantômeen son linceul pareils, 6+6 b
40 Ayez le tremblementdu rêve en vos sommeils. 6+6 b
Que l'âme veille en vous !
LES ROIS ENTRENT
LES ROIS
Salut, Pape. Nous sommes 6+6 a
Les tout-puissants, les rois,les mtres.
LE PAPE
Salut, hommes. 6+6 a
LES ROIS
Prêtre, nous sommes rois.
LE PAPE
Pourquoi ?
LES ROIS
Rois à jamais. 6+6 b
LE PAPE
Et Dieu ?
LES ROIS
Tu sais qu'il estsur terre des sommets. 6+6 b
LE PAPE
45 De la hauteur de Dieuje ne vois qu'une plaine. 6+6 a
LES ROIS
Nous sommes grands, vainqueurs,forts.
LE PAPE
Tout est l'ombre humaine. 6+6 a
LES ROIS
Nous sommes les élus.
LE PAPE
L'homme à l'homme est égal. 6+6 b
LES ROIS
Nous sommes ce que sontl'Horeb et le Galgal, 6+6 b
Ce qu'est le Sinaïpar dessus les campagnes ; 6+6 a
50 Nous sommes une chneauguste de montagnes ; 6+6 a
Nous sommes l'horizonpar Dieu même construit. 6+6 b
LE PAPE
Les monts ont au front l'aubeet les rois ont la nuit. 6+6 b
Dieu n'a pas fait les rois.
LES ROIS
N'es-tu pas roi toi-même ? 6+6 a
LE PAPE
Moi ! régner ! non !
LES ROIS
Alors,qu'est-ce que tu fais ?
LE PAPE
J'aime. 6+6 a
LE PAPE SUR LE SEUIL DU VATICAN
55 Je parle à la Cité,je parle à l'Univers. 6+6 b
Écoutez, ô vivantsde tant d'ombre couverts, 6+6 b
Qu'égara si longtempsl'imposture servile, 6+6 a
Le sceptre est vain, le trôneest noir, la pourpre est vile. 6+6 a
Qui que vous soyez, filsdu Père, écoutez tous. 6+6 b
60 Il n'est sous le grand cielimpénétrable et doux 6+6 b
Qu'une pourpre, l'amour ;qu'un trône, l'innocence. 6+6 a
L'aube et l'obscure nuitsont dans l'homme en présence 6+6 a
Comme deux combattantsprêts à s'entre-tuer ; 6+6 b
Le prêtre est un pilote ;il doit s'habituer 6+6 b
65 À la lumière afinque son âme soit blanche ; 6+6 a
Tout veut crtre au grand jour,l'homme, la fleur, la branche, 6+6 a
La pensée ; il est tempsque l'aurore ait raison ; 6+6 b
Et Dieu ne nous a pasconfié sa maison, 6+6 b
La justice, pour vivreen dehors d'elle, et faire 6+6 a
70 Grandir l'ombre et tournerà contre-sens la sphère. 6+6 a
Je suis comme vous tous,aveugle, ô mes amis ! 6+6 b
J'ignore l'homme, Dieu,le monde ; et l'on m'a mis 6+6 b
Trois couronnes au front,autant que d'ignorances. 6+6 a
Celui qu'on nomme un papeest vêtu d'apparences ; 6+6 a
75 Mes frères les vivantsme semblent mes valets ; 6+6 b
Je ne sais pas pourquoij'habite ce palais ; 6+6 b
Je ne sais pas pourquoije porte un diadème ; 6+6 a
On m'appelle Seigneurdes Seigneurs, Chef suprême, 6+6 a
Pontife souverain,Roi par le ciel choisi ; 6+6 b
80 O peuples, écoutez,j'ai.découvert ceci. 6+6 b
Je suis un pauvre. Aussije m'en vais. J'abandonne 6+6 a
Ce palais, espérantque cet or me pardonne, 6+6 a
Et que cette richesseet que tous ces trésors 6+6 b
Et que l'effrayant luxeusurpé dont je sors 6+6 b
85 Ne me maudiront pasd'avoir, vécu, fantôme, 6+6 a
Dans cette pourpre, moiqui suis fait pour le chaume ! 6+6 a
La conscience humaineest ma sœur, et je vais 6+6 b
Lui parler ; j'ai pour loide haïr le mauvais 6+6 b
Sans haïr le méchant ;je ne suis plus qu'un moine 6+6 a
90 Comme Basile, commeHonorât, comme Antoine ; 6+6 a
Je ne chausserai plusla sandale la croix 6+6 b
S'étonne du baiserparfois sanglant des rois. 6+6 b
Peuples, jadis Noésortit rêveur de l'arche ; 6+6 a
Je sors aussi. Je pars.Et je me mets en marche 6+6 a
95 Sur la terre, au hasard,sous le haut firmament, 6+6 b
Dans l'aube ou dans l'orage,ayant pour vêtement, 6+6 b
Si cela plt au ciel,la pluie et la tempête, 6+6 a
Sans savoir le soirje poserai ma tête, 6+6 a
N'ayant rien que l'instant,et les instants sont courts ; 6+6 b
100 Je sais que l'homme souffre,et j'arrive au secours 6+6 b
De tout esprit qui flotteet de tout cœur qui sombre ; 6+6 a
Je vais dans les déserts,dans les hameaux, dans l'ombre, 6+6 a
Dans les ronces, parmiles cailloux du ravin, 6+6 b
Errer comme Jésus,le va-nu-pieds divin. 6+6 b
105 Pour celui qui n'a rien,c'est s'emparer du monde, 6+6 a
Que de marcher parmil'humanité profonde, 6+6 a
Que de créer des cœurs,que d'accrtre la foi, 6+6 b
Et d'aller, en semantdes âmes, devant soi ! 6+6 b
Je prends la terre aux rois,je rends aux Romains Rome, 6+6 a
110 Et je rentre chez Dieu,c'est-à-dire chez l'Homme. 6+6 a
Laisse-moi passer, peuple.Adieu, Rome.
LE SYNODE D'ORIENT
LE PATRIARCHE D'ORIENT
tiare au front, en habits pontificaux ;
les évêques l'entourent ; mitres et chapes d'or.
Chantez, 6+6 b
Allégresse et louange !ô tribus, ô cités, 6+6 b
Chantez dans le vallon,chantez sur la montagne. 6+6 a
Sabaoth est l'époux,l'Église est sa compagne, 6+6 a
115 Peuple, je suis l'apôtre,et je bénis les cieux. 6+6 b
Entre un homme vêtu de bure noire, une croix de bois à la main.
L'HOMME
Bénir le ciel est bien,bénir l'enfer est mieux. 6+6 b
LE PATRIARCHE
L'enfer !
L'HOMME
Oui, c'est-à-dire,ô prêtre, les misères. 6+6 a
Bénis cela. Bénisles pleurs, les cœurs sincères ; 6+6 a
Mais flétris, le biencontre le mal combat ; 6+6 b
120 Bénis le dénûment,le haillon, lé grabat, 6+6 b
Le bagne, dont la chneépouvantable passe ; 6+6 a
Bénis l'humble esprit sombreet la pauvre âme lasse ; 6+6 a
Bénis tous ceux pour quijamais tu ne prias ; 6+6 b
Bénis les réprouvés,benis les parias, 6+6 b
125 Et ce total des mauxqui sur terre est la somme 6+6 a
Des salaires. Bénisl'enfer.
LE PATRIARCHE
Quel est cet homme ? 6+6 a
L'HOMME
Évêque d'Orient,l'évêque d'Occident 6+6 b
Te salue, et je suiston frère. Sois prudent 6+6 b
Et sois pensif ; car Dieu,sache-le, prêtre, existe. 6+6 a
LE PATRIARCHE
C'est vous, Père ! vêtud'un linceul !
LE PAPE
130 Je suis triste. 6+6 a
LE PATRIARCHE
Vous le premier sur terre !
LE PAPE
Hélas !
LE PATRIARCHE
Triste de quoi ? 6+6 b
LE PAPE
De la douleur de touset de ta joie à toi. 6+6 b
Il fait un pas et regarde fixement le Patriarche.
Prêtre, on souffre ! et le luxeodieux t'environne ! 6+6 a
Commence par jeterpar terre ta couronne. 6+6 a
135 La couronne est gênanteà l'auréole. Il faut 6+6 b
Choisir de l'or d'en basou du rayon d'en haut. 6+6 b
Sache, ô pasteur joyeux,que les peuples frissonnent ; 6+6 a
Sache que le ciel pâleest plein d'heures qui sonnent 6+6 a
Le tocsin des berceaux,le glas des nouveau-nés. 6+6 b
140 Prends garde aux innocentsdont tu fais des damnés. 6+6 b
Crains le mal qui flamboieet que toi-même attises 6+6 a
Avec tes vanités,avec tes convoitises. 6+6 a
Frère, ne soyons pasdes prêtres désastreux. 6+6 b
N'imitons pas les roisqui se volent entr'eux 6+6 b
145 Les Alsaces, les Metz,les Strasbourg, les Hanovres. 6+6 a
Prêtre, à qui donc as-tupris ta richesse ? Aux pauvres. 6+6 a
Quand l'or s'enfle en ton sac,Dieu dans ton cœur décrt. 6+6 b
Apprends qu'on est sans painet sache qu'on a froid ; 6+6 b
Les jeunes filles vontrôdant le soir dans l'ombre. 6+6 a
150 Tes rochets, ta chasubleaux topazes sans nombre, 6+6 a
Ta robe l'Orientdoré s'épanouit, 6+6 b
Sont des spectres qui sontnoirs et vivants la nuit, 6+6 b
Et qui prennent Jésusdans sa crèche, et le tuent. 6+6 a
Sache qu'au lit publicles femmes s'habituent 6+6 a
155 Parce qu'il faut céder,se rendre, et vivre enfin, 6+6 b
Le riche ayant le viceet le pauvre la faim. 6+6 b
Que te sert d'empilersur des planches d'armoire 6+6 a
Du velours, du damas,du satin, de la moire, 6+6 a
D'avoir des bonnets d'oret d'emplir des tiroirs 6+6 b
160 De chapes qu'on diraitcouvertes de miroirs ? 6+6 b
O pauvres que j'entendsrâler, foats augustes, 6+6 a
Tous ces trésors, chez voussacrés, chez nous injustes, 6+6 a
Ce diamant qui metà la mitre un éclair, 6+6 b
Cette émeraude sembleerrer toute la mer, 6+6 b
165 Ce resplendissementsombre des pierreries, 6+6 a
C'est votre sang, le laitdes mamelles taries, 6+6 a
C'est le grelottementdes petits enfants nus ! 6+6 b
C'est votre chute au fonddes gouffres inconnus ! 6+6 b
Le faste de ce prêtre,ô pauvres, représente 6+6 a
170 Ce que vous n'avez plus,votre vie innocente, 6+6 a
Le loyer du logis,le tison du foyer, 6+6 b
La dignité du cœurqui ne veut pas ployer, 6+6 b
Le travail qui s'accrtpar l'épargne qui monte, 6+6 a
Votre joie, et l'honneurdes femmes, et ta honte, 6+6 a
175 Prêtre ! — Rends ces trésorsaux pauvres ! Rends-les tous ! 6+6 b
Escarboucles chez eux,immondices chez nous ! 6+6 b
Quoi ! tandis que là-hautl'immense Éternel pense ; 6+6 a
Tandis que sans fatigueet sans fin il dépense 6+6 a
La lumière, et maintientles soleils au complet, 6+6 b
180 Pour que tout marche et vive,et pour prouver qu'il est ; 6+6 b
Tandis que dans cette ombre court le météore, 6+6 a
Il nous regarde avecses prunelles d'aurore ; 6+6 a
Tandis qu'il met au mondeénorme un tel ciment 6+6 b
Que rien ne s'est défaitdans le bleu firmament 6+6 b
185 Le jour dans le cielque d'autres cieux pondèrent, 6+6 a
Les formidables ventsdémuselés grondèrent ; 6+6 a
Tandis qu'il fait rôderplus d'astres dans les cieux, 6+6 b
Plus d'éclairs, plus de voix,plus de bruits, plus de feux, 6+6 b
Plus de prodiges, noirsou sereins, sur les grèves, 6+6 a
190 Sur les monts, dans les bois,que l'homme n'a de rêves ; 6+6 a
Tandis qu'il est cet êtreinconcevable-là. 6+6 b
Nous prêtres, nous vieillards,drapés d'un falbala, 6+6 b
Plus chargés de bijouxque des filles publiques, 6+6 a
Tournant vers les faux biensnos extases obliques, 6+6 a
195 Tandis que lui, celuiqui ne prend ni ne vend, 6+6 b
Lui le sombre Seigneurde la foudre, est vivant, 6+6 b
Nous, sous quelque portaild'église ou d'abbaye, 6+6 a
Nous offrons et montronsà la foule ébahie, 6+6 a
Sous la pourpre d'un daiset les plis d'un camail, 6+6 b
200 Un petit bon Dieu roseavec des yeux d'émail ! 6+6 b
Un Jésus de carton !un Éternel de cire ! 6+6 a
On le promène, on chante,on prêche, on le fait luire, 6+6 a
En marchant doucementde crainte qu'un cahot, 6+6 b
En secouant l'autel,ne casse le Très-Haut ! 6+6 b
205 Chaque temple a son saintqu'il rente et divinise. 6+6 a
Tandis que le monceaudes hommes agonise 6+6 a
Et que la haine couveen d'âpres, cœurs grondants, 6+6 b
Tandis que la famineaux effroyables dents 6+6 b
Dévore l'atelier,le grenier, la chaumière, 6+6 a
210 Nous étalons, avecdes effets de lumière, 6+6 a
Des bonshommes de boisau fond d'un corridor, 6+6 b
Brodés d'or, cousus d'or,chaussés d'or, coiffes d'or ; 6+6 b
Nous avons des saints-Jeanset des saintes-Maries 6+6 a
Que nous emmaillotonsdans des verroteries ! 6+6 a
215 Nous dépensons Golcondeà vêtir leant. 6+6 b
Et, pendant ce temps-là,le vice est unant. 6+6 b
Et le lupanar s'ouvre,affreux bagne des vierges ! 6+6 a
Et je vous le répète,allumez tous vos cierges, 6+6 a
Faites le tour du templeen file, deux à deux, 6+6 b
220 Vous n'empêcherez pasque cela soit hideux ! 6+6 b
Oui, pendant ce temps-là,parce qu'il faut qu'on mange, 6+6 a
Parce que votre luxea pris son pain, un ange, 6+6 a
Une âme, une innocenceentrera dans la nuit ! 6+6 b
Pour vêtir de brocardl'idole qui reluit, 6+6 b
225 Les colombes du cieldeviendront des orfraies ! 6+6 a
Oui, des femmes de chairet d'os, des femmes vraies, 6+6 a
Honnêtes, fleurs d'amouret lys de chasteté, 6+6 b
Pront de leur pudeuret de leur nudité, 6+6 b
De toutes leurs vertusmortes et dissipées, 6+6 a
230 Votre imbécillitéd'habiller des poupées ! 6+6 a
Entendez-vous cela !Comprenez-vous cela ! 6+6 b
Trouvez-vous que je parleassez haut ! Dieu parla 6+6 b
Jadis de cette sorteaux songeurs sur les cimes ; 6+6 a
Et nous quand sur l'autel,pensifs, nous nous assîmes, 6+6 a
235 Prêtres, ce n'était paspour être des démons. 6+6 b
O mes frères, aimons,aimons, aimons, aimons ! 6+6 b
Prêtres, la croix de boiset la robe de bure, 6+6 a
Le front haut chez les rois,et pas d'autre courbure 6+6 a
Que le fléchissementdes âmes devant Dieu ! 6+6 b
240 Quoi ! les rois sont la roueet vous êtes l'essieu ! 6+6 b
Le peuple est sous vos pieds,parce qu'il est la base, 6+6 a
Et vous faites roulersur lui ce qui l'écrase ! 6+6 a
Sachez que vos grandeurssont des chutes ! Sachez 6+6 b
Que le fourmillementlugubre des péchés, 6+6 b
245 O noirs vendeurs du temple,emplit votre opulence 6+6 a
Et que Jésus, ayantau flanc le coup de lance, 6+6 a
S'est enfui, se voilantla face, n'ayant pu 6+6 b
Voir le peuple affamésous le prêtre repu ! 6+6 b
Ne pouvant voir cela,Christ a dû dispartre ! 6+6 a
250 Il s'en va. Car pour luiles diamants du prêtre 6+6 a
Ont la même lueurque les yeux du chacal. 6+6 b
O froc de bure, ô sainthaillon pontifical, 6+6 b
Sois ma splendeur. Je sensrentrer sous cette robe 6+6 a
L'âme que le manteaude pourpre nous dérobe ; 6+6 a
255 Je revis. Du linceulle prêtre est bien vêtu. 6+6 b
Il devient sous la bureexemple, honneur, vertu, 6+6 b
Serviteur de qui souffreet juge de qui règne ; 6+6 a
Comme il est faible, il fautque le tyran le craigne ; 6+6 a
Car les faibles sont pleinsde la force de Dieu. 6+6 b
260 Sa robe noire passeà toute heure, en tout lieu, 6+6 b
Parmi les deuils, les maux,les fléaux, les désastres, 6+6 a
Et quand il la secoueil en tombe des astres ! 6+6 a
Il en tombe le vrai,le bien, le beau, le grand ! 6+6 b
Prêtres, votre richesseest un crime flagrant ! 6+6 b
265 Vos cœurs sont-ils méchants ?Non, vos têtes sont dures. 6+6 a
Frères, j'avais aussisur moi ce tas d'ordures, 6+6 a
Des perles, des onyx,des saphirs, des rubis. 6+6 b
Oui, j'en avais sur moi,partout, sur mes habits, 6+6 b
Sur mon âme ; mais j'aividé cela bien vite 6+6 a
Chez les pauvres.
LE PATRIARCHE
270 Seigneuret docteur, grand lévite, 6+6 a
Pape sublime, évêqueillustre et souverain, 6+6 b
Les tables de la loisont un livre d'airain ; 6+6 b
Nul n'y peut rien changer,pas même toi, mon père. 6+6 a
UN ÉVÊQUE
Il faut que l'homme souffreafin que Dieu prospère ; 6+6 a
275 L'or du temple éblouitle pauvre utilement. 6+6 b
Il faut la perle au dogmeet l'astre au firmament ; 6+6 b
Il faut que les vivants,foules, essaims mêlées, 6+6 a
Volent à la lueurdes mitres constellées ; 6+6 a
Cette clarté leur estnécessaire en leur nuit. 6+6 b
280 Le temple opulent sertet l'autel pauvre nuit. 6+6 b
Il sied que le pasteurcomme un soleil se lève. 6+6 a
AUTRE ÉVÊQUE
Parlons des rois avecprécaution ; leur glaive 6+6 a
Jette à peu près la mêmeombre que notre croix ; 6+6 b
Le temple a Dieu pour baseet pour cime les rois ; 6+6 b
Dieu croule si les roistombent.
AUTRE ÉVÊQUE
285 La foule est faite 6+6 a
Pour le mtre, qu'il soitsoldat, juge ou prophète ; 6+6 a
Le prêtre est le premierdes mtres ; le second 6+6 b
C'est le roi.
AUTRE ÉVÊQUE
Le soc durfait le sillon fécond ; 6+6 b
Oui, déchirons ! Ainsil'on sème, ainsi l'on fonde ; 6+6 a
290 Et l'épi sera beausi la plaie est profonde. 6+6 a
AUTRE ÉVÊQUE
Frère, Dieu n'a jamaisvoulu qu'on le comprît. 6+6 b
AUTRE ÉVÊQUE
Le royaume des cieuxest aux pauvres d'esprit ; 6+6 b
Donc peu d'écoles, pointde science, un seul livre. 6+6 a
AUTRE ÉVÊQUE
Les peuples ont pour loid'être en bas et de suivre ; 6+6 a
295 Et leur ascensionest faite quand vers nous. 6+6 b
Ils montent les degrésdès temples à genoux, 6+6 b
AUTRE ÉVÊQUE
La pensée en dehorsdu dogme est de l'ivraie. 6+6 a
C'est la justice justeet la vérité vraie 6+6 a
Que j'affirme. Anathèmeà l'homme révolté ! 6+6 b
AUTRE ÉVÊQUE
300 Nous avons dans nos mainsla terrible clarté. 6+6 b
Il faut que la lumièreéclaire, ou qu'elle brûle. 6+6 a
Le prêtre est infidèleà son Dieu s'il recule 6+6 a
Et si, devant l'impie,il hésite à pencher 6+6 b
Le flambeau jusqu'au tasde paille du bûcher. 6+6 b
LE PATRIARCHE
305 Ce qu'on nomme aujourd'huiliberté, c'est l'abîme. 6+6 a
Et c'est là ce que ditl'effrayant Kéroubime 6+6 a
Debout sur le mur noirde l'infini. Croyez. 6+6 b
Soyez des cœurs tremblants,soyez des fronts ployés, 6+6 b
Obéissez. Le princeest un prêtre ; le prêtre 6+6 a
310 Est un prince. Vouloircomprendre, vouloir être, 6+6 a
Vouloir penser, c'est faireobstacle à Dieu. Vivants 6+6 b
Qui sous l'énormitéredoutable des vents 6+6 b
Résistez, vous avezdes âmes insensées. 6+6 a
Dieu maudit vos efforts,vos travaux, vos pensées, 6+6 a
315 Et votre raison, sœurde l'antique péché, 6+6 b
Et votre vain progrès,sinistrement léché 6+6 b
Par la langue de feuqui sort du lac de soufre. 6+6 a
Voilà les véritésqui jaillirent du gouffre 6+6 a
Le jour sur l'Horeble tonnerre a brillé. 6+6 b
LE PAPE
320 Frères, figurez-vous,— je me suis réveillé ! 6+6 b
LES ÉVÊQUES
Qu'entendez-vous par là ?
LE PATRIARCHE
Qu'est-ce que tu médites ? 6+6 a
LE PAPE
Je ne crois plus un motde tout ce que vous dites ! 6+6 a
LE PATRIARCHE
Quoi ! vous seriez l'horribleet vivant démenti 6+6 b
De vos prédécesseursglorieux ?
LE PAPE
J'ai senti 6+6 b
325 Un mécontentementinquiétant dans l'ombre. 6+6 a
LE PATRIARCHE
Le pilote aveuglé,c'est le vaisseau qui sombre. 6+6 a
Ne changez pas de route !O Père, n'allez pas 6+6 b
Du côté de la nuit,du côté du trépas ! 6+6 b
LE PAPE
Je marche vers la vie.
LE PATRIARCHE
Il faudra rendre compte. 6+6 a
LE PAPE
Certes !
LE PATRIARCHE
Songez au ciel.Vous en tombez.
LE PAPE
330 J'y monte. 6+6 a
LES ÉVÊQUES
O sombre cécité !
LE PAPE
Je vous dis que je vois. 6+6 b
J'étais sur un sommetdoré, sur un pavois, 6+6 b
Dans l'encens, dans les chantset les épithalames. 6+6 a
J'ai senti tout à coupl'immense poids des âmes ; 6+6 a
335 Et je suis descendu,sachant que je montais. 6+6 b
Le dogme n'a d'appuis,l'Église n'a d'étais 6+6 b
Que nos fragilités ;tâchons qu'elles soient pures. 6+6 a
Oui, j'ai vu les douleurs,oui, j'ai vu les souillures, 6+6 a
J'ai vu le bien gisant,j'ai vu le mal debout, 6+6 b
340 Et j'ai songé. Ciel noir !les crimes sont partout, 6+6 b
Mais il n'est qu'un coupable,et c'est le responsable. 6+6 a
J'ai vu les maux nombreuxplus que les grains de sable, 6+6 a
Les forfaits plus épaisque les branches des bois, 6+6 b
L'infâme orgie en rut,l'innocence aux abois, 6+6 b
345 Et j'ai dit en moi-même,en voyant les deux mondes 6+6 a
Pleins de brocanteurs vilset de vendeurs immondes : 6+6 a
Ce prêtre sur l'argenthideusement penché, 6+6 b
Ce juge qui chuchoteà voix basse un marché, 6+6 b
Cette fille à l'œil fou,cette bohémienne, 6+6 a
350 Qu'est-ce qu'ils vendent là ?Leur âme ? Non, la mienne ! 6+6 a
Alors j'ai pris la fuite,épouvanté, voulant 6+6 b
Être bon, m'arrachertous ces crimes du flanc, 6+6 b
Guider, sauver, guérir,supprimer les Sodomes, 6+6 a
Bénir, et rendre enfinDieu respirable aux hommes ! 6+6 a
LE PATRIARCHE
Vous avez un devoir,foudroyer.
LE PAPE
355 Avertir. 6+6 b
LE PATRIARCHE
Songez au Dieu vengeur.
LE PAPE
Je songe au Christ martyr. 6+6 b
LE PATRIARCHE
Roi
LE PAPE
La chaire changéeen trône est impudique. 6+6 a
Pauvre et nu, Jésus règne ;et, roi, le prêtre abdique. 6+6 a
Prêtre, j'ai le roseaude Jésus à la main ; 6+6 b
360 Roi, je n'ai plus qu'un sceptre ;et pour le genre humain 6+6 b
Je ne suis plus qu'un princeobéissant aux princes, 6+6 a
Concédant, consentant,tremblant pour mes provinces, 6+6 a
Courtisan du plus fort,à céder toujours prêt ; 6+6 b
Jamais la royautédu prêtre n'appart 6+6 b
365 Sans une transparenceaffreuse d'esclavage. 6+6 a
Je ne fais point partie,ô prêtres, du ravage, 6+6 a
Du supplice et du meurtre,et ne veux point m'asseoir 6+6 b
Parmi ces rois sur quitombe l'éternel soir. 6+6 b
J'aime ! je sens en moila grande clarté vivre. 6+6 a
LES ÉVÊQUES
370 Guide-nous, mais suis-nous.Pour guider, il faut suivre. 6+6 a
LE PAPE
Jamais. Je suis sorti,plein d'horreur et d'effroi, 6+6 b
De toute votre nuit !Quoi ! l'on t dit de moi : 6+6 b
Terre, cet homme avaitla garde d'une idée, 6+6 a
La plus haute que l'ombreait jamais possédée, 6+6 a
375 Clarté sainte au-dessusdu gouffre obscur des cœurs ; 6+6 b
En dépit des vents noirsrapidement vainqueurs 6+6 b
Et vite évanouis,cet homme était le mage 6+6 a
Mystérieux, chargédu mutuel hommage 6+6 a
Que se doivent les cieuxet les âmes, rapport 6+6 b
380 Et lien entre un mâtfrissonnant et le port, 6+6 b
Échange de lueurentre l'abîme et l'homme. 6+6 a
Quoi ! parce que de vainssimulacres qu'on nomme 6+6 a
Princes, mtres, seigneurs,chefs, souverains, césars, 6+6 b
Parce que de faux dieux,composés de hasards, 6+6 b
385 Ou du hasard de vaincreou du hasard de ntre, 6+6 a
Parce que des puissantsque le néant pénètre 6+6 a
Sont venus le trouver,lui le veilleur qui n'a 6+6 b
Ici-bas d'autre droitque de dire Hosanna 6+6 b
Et de montrer du doigtlà-haut l'âme éternelle, 6+6 a
390 Lui qui doit, fils de l'aube,ému, vivant en elle, 6+6 a
Toujours songer, pleurantsur le mal châtié, 6+6 b
Au moyen de changerla lumière en pitié ; 6+6 b
Quoi ! parce que ces rois,quoi ! parce que ces ombres, 6+6 a
Parce que ces faiseursde cendre et de décombres 6+6 a
395 Sont venus à sa porte,et durs, fiers, belliqueux, 6+6 b
Ont dit : sois avec nous !— cet homme est avec eux ! 6+6 b
Quoi ! cet homme, le mondeétant dans les ténèbres, 6+6 a
Offrait dans son bazaraux acheteurs funèbres, 6+6 a
O terreur ! le rayonqui blanchissait le ciel ! 6+6 b
400 Lui l'éclaireur suprêmeet providentiel, 6+6 b
IL bénissait l'affreuseéruption des laves ! 6+6 a
Cet homme s'était faitmarchand de ces esclaves, 6+6 a
La vérité, l'honneur,la justice et la loi, 6+6 b
Prenait le droit au peupleet le donnait au roi ; 6+6 b
405 Priait pour ce qui tueet contre ce qui tombe ! 6+6 a
Cet homme a fait lancerla foudre à la colombe ! 6+6 a
Il a fait de Jésusle valet d'Attila ! 6+6 b
Quoi ! l'on t dit de moi :Regardez ; le voilà ! 6+6 b
Il avait en dépôtnotre âme, il l'a perdue ! 6+6 a
410 L'aurore se levait,cet homme l'a vendue ! 6+6 a
Il a prostituél'étoile du matin ! 6+6 b
Non ! non !
LE PATRIARCHE
Vous blasphémez,Pape !
LE PAPE
Prêtre hautain, 6+6 b
Sois humble ! Autel doré,dédore-toi, rayonne ! 6+6 a
Plaie au flanc du Christ, boucheauguste qu'on bâillonne 6+6 a
415 Ouvre tes lèvres, parle,et dis la vérité ! 6+6 b
Rentre en ton patrimoine,homme déshérité. 6+6 b
Femmes, enfants, ayezdes droits. Peuple, aie une âme. 6+6 a
À moi, prêtres ! Prêchezle vrai que je proclame, 6+6 a
Soyez simples de cœur.Soyez, sous le ciel bleu, 6+6 b
420 Près des petits enfantspour être près de Dieu. 6+6 b
Plus le pontife est doux,plus le temple est sublime. 6+6 a
Tout s'évanouit et s'efface autour du pape.
Quoi ! plus de prêtres ! Quoi !plus de temple ! — L'abîme. 6+6 a
Tout dispart. JadisBabel ainsi croula. 6+6 b
Me voilà seul ! Plus rienque l'ombre.
UNE VOIX AU FOND DE L'INFINI
Je suis là. 6+6 b
UN GRENIER
L'hiver. Un grabat.
UN PAUVRE. Sa famille près de lui.
LE PAUVRE
Je ne crois pas en Dieu.
LE PAPE
entrant.
425 Tu dois avoir faim. Mange. 6+6 a
Il partage son pain et en donne la moitié au pauvre.
LE PAUVRE
Et mon enfant ?
LE PAPE
Prends tout.
Il donne à l'enfant le reste de son pain.
L'ENFANT
mangeant.
C'est bon.
LE PAPE
au pauvre.
L'enfant, c'est l'ange. 6+6 a
Laisse-moi le bénir.
LE PAUVRE
Fais ce que tu voudras. 6+6 b
LE PAPE
vidant une bourse sur le grabat.
Tiens, voici de l'argentpour t'acheter des draps. 6+6 b
LE PAUVRE
Et du bois.
LE PAPE
Et de quoivêtir l'enfant, la mère, 6+6 a
430 Et toi, mon frère. Hélas !cette vie est amère. 6+6 a
Je te procureraidu travail. Ces grands froids 6+6 b
Sont durs. Et maintenantparlons de Dieu.
LE PAUVRE
J'y crois. 6+6 b
LE PAPE AUX FOULES
À travers la douleur,l'angoisse, les alarmes, 6+6 a
Du fond des nuits, du fonddes maux, du fond des larmes, 6+6 a
435 Venez à moi vous tousqui tremblez, qui souffrez, 6+6 b
Qui râlez, qui rampez,qui saignez, qui pleurez, 6+6 b
Les damnés, les vaincus,les gueux, les incurables, 6+6 a
Venez, venez, venez,venez, ô misérables ! 6+6 a
Je suis à vous, je suisl'un de vous, et je sens 6+6 b
440 Dans mes os votre fièvreimmense, agonisants ! 6+6 b
Venez, déguenillés,réprouvés, multitude ! 6+6 a
Je suis le serviteurde votre servitude, 6+6 a
Et de votre cachotje suis le prisonnier ; 6+6 b
Le premier chez les rois,parmi vous.le dernier. 6+6 b
445 Votre part est la bonne,elle est la plus auguste ; 6+6 a
Le riche a beau bien faire,être sage, être juste ; 6+6 a
Quiconque a les pieds nusmarche plus près de Dieu. 6+6 b
Le ciel noir montre plusd'astres que le ciel bleu. 6+6 b
Je vous aime, et n'ai pasd'autre raison pour être, 6+6 a
450 Fils, le prêtre du jugeet le juge du prêtre. 6+6 a
Je ne suis qu'un pauvre hommeappartenant à tous. 6+6 b
O souffrants, aidez-moi.Je tâche d'être doux. 6+6 b
Venez, partageons tout,le froid, la faim, les jnes. 6+6 a
Je suis vieux chez les vieuxet jeune avec les jeunes ; 6+6 a
455 Je suis l'aïeul du pèreet l'enfant des petits ; 6+6 b
J'ai tous les âges ; fils,j'ai tous les appétits, 6+6 b
Toutes les volontés,toutes les convoitises ; 6+6 a
Je suis, comme l'agneauqu'attirent les cytises, 6+6 a
Attiré par les deuils,les dénûments, les pleurs ; 6+6 b
460 Je veux avoir ma partde toutes les douleurs ; 6+6 b
J'ai droit à tous les mauxqu'on souffre sur la terre ; 6+6 a
Je suis l'universelétant le solitaire ; 6+6 a
O pauvres, donnez-moitout ce que vous avez, 6+6 b
Vos jours sans pain, vos toitssans feu, vos durs pavés, 6+6 b
465 Vos fumiers, vos grabatstremblants, vos meurtrissures, 6+6 a
Et le ciel étoilé,plafond de vos masures. 6+6 a
O vous qui n'avez rien,donnez-moi tout. Venez, 6+6 b
Tous les malheureux ! nus,sanglants, blessés, trnés 6+6 b
Par tous les désespoirset sur toutes les claies ; 6+6 a
470 Apportez-moi vos fiels,apportez-moi vos plaies, 6+6 a
Afin qu'à votre nuitje mêle un peu de jour, 6+6 b
Et que je fasse avecvos haines de l'amour. 6+6 b
Venez, haillons, sanglots,plaintes, colères, âmes ! 6+6 a
Fils, le malheur et moi,partout nous passâmes 6+6 a
475 Nous avons tous les deux,chacun à sa façon, 6+6 b
Prouvé, lui qu'il a tort,et moi qu'il a raison. 6+6 b
Il a tort, car on pleure,et raison, car on aime. 6+6 a
Le malheur a celade tendre et de suprême 6+6 a
Qu'on aime d'autant plusque l'on a plus souffert ; 6+6 b
480 Le malheur c'est le cielobscurément offert. 6+6 b
Vous avez les douleurset moi j'ai les dictâmes. 6+6 a
Je suis l'ambitieuxqui veut prendre les âmes ; 6+6 a
N'avoir rien secouru,c'est là la pauvreté ; 6+6 b
On aura des besoinsdevant l'éternité ; 6+6 b
485 Il serait imprudent,à l'heure le soir tombe, 6+6 a
De s'offrir à celuiqu'on trouve dans la tombe 6+6 a
Sans avoir fait d'épargneet rien mis de côté. 6+6 b
Souffrants, apportez-moivotre calamité. 6+6 b
Je suis l'aide, l'ami,l'appui. Venez, misères, 6+6 a
490 Lèpres, infirmités,indigences, ulcères, 6+6 a
Quiconque est hors l'espoir,quiconque est hors la loi. 6+6 b
La douleur m'appartient.J'appelle autour de moi 6+6 b
L'esprit troublé, le cœursaignant, l'âme qui sombre ; 6+6 a
Et je veux, entourédes détresses sans nombre, 6+6 a
495 Qui naissent sur la terreà toute heure, en tout lieu, 6+6 b
Arriver avec tousles pauvres devant Dieu ! 6+6 b
Venez, vous qu'on maudit !Venez, vous qu'on méprise ! 6+6 a
Tous les misérables viennent autour de lui de tous côtés.
UN PASSANT
Qu'est-ce que tu fais là,vieillard ?
LE PAPE
Je thésaurise. 6+6 a
L'INFAILLIBILITÉ
Ah ! je suis l'Infaillible !
Ah ! c'est moi qui vois clair ! 6+6 b
Et Dieu ?
500 Dieu ne sait pasce que savait Kepler, 6+6 b
Ce que trouva Newton,ce qu'a vu Galilée ; 6+6 a
Il est dépaysésous la vte étoilée ; 6+6 a
Il a tous les défautspossibles ; dur, cassant, 6+6 b
Jaloux, inexorable,irascible ; il consent 6+6 b
505 À l'arrestationdu soleil par un homme ; 6+6 a
Il damne l'universpour le vol d'une pomme ; 6+6 a
Il foudroie au hasard,il châtie à côté ; 6+6 b
Il tue en bloc ; il metle diable en liberté ; 6+6 b
Molière le feraitsermonner par Alceste ; 6+6 a
510 Il extermine un bouge,il épargne l'inceste, 6+6 a
Détruit Sodome, et donneà Loth un exeat ; 6+6 b
Il double d'un enferson paradis béat ; 6+6 b
Il ne sait ce qu'il fait,tant il est susceptible, 6+6 a
Et tâche de brûlernotre âme incombustible 6+6 a
515 Dans un monstrueux lacde bitume et de poix. 6+6 b
Ah ! vous avez voulului mettre un contre-poids ! 6+6 b
Oui, vous avez voulucorriger, j'imagine, 6+6 a
Ce Dieu qui du chaostire son origine, 6+6 a
Qui maudit, sans savoirpourquoi, le genre humain, 6+6 b
520 Et qui marche en tâtantdu bâton le chemin ; 6+6 b
Il a, certes, besoind'un guide en sa nuit noire, 6+6 a
Et, grâce au compagnonqui l'aide, on aime à croire, 6+6 a
Malgré Pascal doutantet Voltaire niant, 6+6 b
Que Dieu peut-être auramoins d'inconvénient. 6+6 b
525 Donc son chien est le pape,et je comprends qu'en somme, 6+6 a
L'aveugle étant le dieu,le clairvoyant soit l'homme. 6+6 a
Dérision lugubre !Insulte au firmament ! 6+6 b
Donc le pape jamaisne chancelle et ne ment ; 6+6 b
Donc jamais une erreurne tombe de sa bouche ; 6+6 a
530 L'infaillibilitéformidable et farouche 6+6 a
Luit dans son œil suprême
O nuit ! pardonne-leur ! 6+6 b
Être un homme, un jouetquelconque du malheur, 6+6 b
Moins libre que le vent,plus frêle que la plante, 6+6 a
Le passant inquietde la terre tremblante, 6+6 a
535 Une agitationqui frissonne et qui fuit, 6+6 b
Un peu d'ombre essayantde faire un peu de bruit, 6+6 b
Être cela ! sentirderrière soi l'abîme 6+6 a
Et devant soi le gouffre,et se croire la cime ! 6+6 a
Avoir l'affreux squeletteen ce vil corps charnel, 6+6 b
540 Et dire à Dieu : Je suiston égal. Éternel ! 6+6 b
Je suis l'autorité,je suis la certitude, 6+6 a
Et mon isolement,Dieu, vaut ta solitude ; 6+6 a
Le pape est avec toile seul être debout 6+6 b
Sur cet immense Rienque l'homme appelle Tout ; 6+6 b
545 Tout n'est rien devant moicomme devant toi, Mtre. 6+6 a
Je sais la fin, je saisle but, je connais l'Être ; 6+6 a
Je te tiens, ma clef t'ouvre,et je suis ton sondeur, 6+6 b
Dieu sombre, et jusqu'au fondje vois ta profondeur. 6+6 b
Dans l'obscur universje suis le seul lucide ; 6+6 a
550 Je ne puis me tromper ;et ce que je décide 6+6 a
T'oblige ; et quand j'ai dit :Voici la vérité ! 6+6 b
Tout est dit. Quand je veuxque tu sois irrité, 6+6 b
Quand j'ai dit la loi, l'ordre,et le point commence 6+6 a
Ta colère, et l'endroit finit ta clémence, 6+6 a
555 Tu dois courber ton fronténorme dans les cieux ! 6+6 b
Le grand char étoilétourne sur deux essieux, 6+6 b
Dieu, le Pape.
O soleils !astres ! gouffres des êtres ! 6+6 a
Que dites-vous du papeinfaillible, et des prêtres, 6+6 a
Des conciles mettantle pied sur vos hauteurs, 6+6 b
560 Que dis-tu de ce tasde sinistres docteurs, 6+6 b
Ciel terrible, imposantleur néant au mystère, 6+6 a
Et tâchant d'ajouterà Dieu le ver de terre ! 6+6 a
EN VOYANT PASSER DES BREBIS TONDUES
Les sombres vents du soirsoufflent de tous côtés. 6+6 b
O brebis, ô troupeaux,ô peuples, grelottez. 6+6 b
565 donc est votre laine,ô marcheurs lamentables ? 6+6 a
Allez loin de vos toitset loin de vos étables, 6+6 a
Sous le givre et la pluie,allez, allez, allez ! 6+6 b
donc est votre laine,ô pauvres accablés, 6+6 b
Vous qui nourrissez tout,hélas ! et qu'on affame ? 6+6 a
570 Peuple, donc sont tes droits ?Homme, donc est ton âme ? 6+6 a
O laboureur, doncest ta gerbe ? O maçon, 6+6 b
Constructeur, bâtisseur, donc est ta maison ? 6+6 b
donc sont les espritsmis sous votre tutelle, 6+6 a
Docteurs ? Et ta pudeur,ô femme, donc est-elle ? 6+6 a
575 Hélas ! j'entends sonnerles clairons triomphants ; 6+6 b
Vierge, sont tes amours ?mère, sont tes enfants ? 6+6 b
Grelottez, ô bétail,dépouillé, pauvres êtres ! 6+6 a
Votre laine n'est pasà vous, elle est aux mtres, 6+6 a
Elle est à ceux pour quile chien aboie, à ceux 6+6 b
580 Qui sont les rois, les forts,les grands, les paresseux ! 6+6 b
À ceux qui pour servanteont votre destinée ! 6+6 a
C'est à vous cependantque Dieu l'avait donnée, 6+6 a
Cette laine sacrée,et dans la profondeur 6+6 b
Dieu maudit les ciseauxlugubres du tondeur ! 6+6 b
585 Ah ! malheureux en proieaux heureux ! Honte aux mtres ! 6+6 a
donc sont ces bergersqu'on appelle les prêtres ? 6+6 a
Nul ne te défend, peuple,ô troupeau qui m'es cher, 6+6 b
Et l'on te prend ta laineen attendant ta chair. 6+6 b
La nuit vient.
Ils courent par moments ;les coups inexorables 6+6 a
590 Pleuvent, et l'on croit voir,avec ces misérables, 6+6 a
La vérité, le droit,la raison, l'équité, 6+6 b
Tout ce qu'on a de justeau fond du cœur, fouetté ! 6+6 b
donc la conduit-on,cette foule hagarde, 6+6 a
Tremblante sous le soirterrible ? qui la garde ? 6+6 a
595 Comme ils sont harcelés,effrayés, éperdus ! 6+6 b
vont ces sombres paspar derrière mordus ? 6+6 b
Ils courent… — on diraitle passage d'un songe. 6+6 a
La bise souffle et sembleun serpent qui s'allonge. 6+6 a
Est-ce que le mystèreest lui-même contre eux ? 6+6 b
600 Pourquoi tant d'aquilonssur tant de malheureux ? 6+6 b
S'il est des anges noirsvolant dans ces ténèbres, 6+6 a
Je les implore ! ô vents,grâce ! ô plafonds funèbres, 6+6 a
Ayez pitié ! l'on souffre.Ah ! que d'infortunés ! 6+6 b
Qui donc s'acharne ainsisur les pauvres ? Donnez 6+6 b
605 D'autres ordres, espritsde l'ombre, à la tempête ! 6+6 a
Dans l'échevèlementsauvage du prophète 6+6 a
Le vent peut se jouer,car le prophète est fort ; 6+6 b
Mais soufflant sur le faibleen pleurs, le ciel a tort. 6+6 b
Oui, je te donne tort,ciel profond qui m'écoutes ; 6+6 a
610 C'est trop d'ombre. Oh ! pitié !Des deux côtés des routes 6+6 a
Tout est brume, erreur, doute ;et le brouillard trompeur 6+6 b
Les glace et les aveugle ;ils ont froid, ils ont peur. 6+6 b
L'obscurité redouble.
De qui ce vent faroucheest-il donc le ministre ? 6+6 a
Allez, disparaissezà l'horizon sinistre. 6+6 a
615 Passe, ô blême troupeaudans la brume décru. 6+6 b
Que deviennent-ils doncquand ils ont disparu ? 6+6 b
Que deviennent-ils doncquand ils sont invisibles ? 6+6 a
Ils tombent dans ce gouffreobscur : tous les possibles ! 6+6 a
Ils s'en vont, ils s'en vont,ils s'en vont, nus, épars 6+6 b
620 Sur des pentes sans butcroulant de toutes parts. 6+6 b
O pâle foule en fuite !ô noirs troupeaux en marche ! 6+6 a
Perdus dans l'immense ombre jadis flottait l'arche ! 6+6 a
Nul deuil n'est comparableà l'affreux sort de ceux 6+6 b
Qui s'en vont ne laissantque du rêve après eux. 6+6 b
625 Le destin, composéd'énigmes nécessaires, 6+6 a
Hélas ! met au delàde toutes les misères, 6+6 a
De tout ce qui gémit,saigne et s'évanouit, 6+6 b
Le morne effacementdes errants dans la nuit ! 6+6 b
PENSIF DEVANT LE DESTIN
Tout ce qui pense, vit,marche, respire, passe, 6+6 a
630 Va, vient, palpite, ntet meurt, demande grâce. 6+6 a
Il n'est pas sur la terreun homme qui n'ait fait 6+6 b
Une faute ; et le sortdes neveux de Japhet 6+6 b
C'est de souffrir ; chacunverse une larme amère, 6+6 a
La mère sur l'enfantet l'enfant sur la mère. 6+6 a
635 Pourquoi tant de détresseet de calamité ? 6+6 b
Pourquoi le grondementdu gouffre illimité ? 6+6 b
Pourquoi le côté noirdu dogme et de la bible ? 6+6 a
Parce que nous péchons.De là l'ombre terrible, 6+6 a
Et les religionstoutes pleines d'enfers. 6+6 b
640 Tous les abîmes sontà notre marche offerts. 6+6 b
Terreur ! dit Éleusis.Damnation ! dit Rome. 6+6 a
De la bête de proieà la bête de somme, 6+6 a
Du soldat au foat,du serf à l'empereur, 6+6 b
Tout est vengeance, effroi,haine, morsure, horreur. 6+6 b
645 L'être créé n'a droitqu'à des destins funèbres ; 6+6 a
La menace lui tendle poing dans les ténèbres. 6+6 a
Avance, c'est la nuit.Recule, c'est l'enfer. 6+6 b
Homme, il est Prométhée ;ange, il est Lucifer. 6+6 b
ON CONSTRUIT UNE ÉGLISE
L'ARCHEVÊQUE
Hommes qui bâtissezune église, il importe 6+6 a
650 D'en faire magnifiqueet superbe la porte 6+6 a
Pour que la foule y puisseentrer facilement ; 6+6 b
Employez-y le bronzeet l'or, le diamant, 6+6 b
L'onyx, le saphir ; rienn'est trop beau pour l'église ; 6+6 a
Que la façade soitauguste, et qu'on y lise 6+6 a
655 Ce nom, Jéhovah, commeà travers des éclairs ; 6+6 b
Que le clocher répandeun hymne dans les airs 6+6 b
Et que son tremblementse communique aux âmes ; 6+6 a
Et que le peuple sente,enfants, vieillards et femmes, 6+6 a
En regardant ce templeavec un saint frisson, 6+6 b
660 Qu'on a sur le seigneurmesuré la maison 6+6 b
Et la grandeur du lieusur la grandeur de l'hôte ; 6+6 a
Que la crypte soit vasteet que la nef soit haute ; 6+6 a
Que l'homme entende làpasser confusément 6+6 b
La faute et le pardon,divin chuchotement ; 6+6 b
665 Que le saint-livre ouvertsoit sur la sainte-table ; 6+6 a
Que l'évêque ait son trôneet Jésus son étable ; 6+6 a
Que les, prêtres, par quivos torts sont expiés, 6+6 b
Aient une natte épaisseet tiède sous leurs pieds ; 6+6 b
Que l'âme croie, en l'ombre flottent les saints-voiles, 6+6 a
670 Entrevoir une obscureéclosion d'étoiles 6+6 a
Comme au fond des forêtsdans la vapeur des soirs ; 6+6 b
Qu'on y sente oscillerles vagues encensoirs ; 6+6 b
Que l'autel, entouréd'un solennel murmure, 6+6 a
Ait la splendeur sinistreet sombre d'une armure, 6+6 a
675 Car le céleste espritcombat l'esprit charnel ; 6+6 b
Et nul ne doit sans crainteapprocher l'Éternel ; 6+6 b
Pas d'ornement grossier,pas de matières viles ; 6+6 a
Quand Salomon disaitaux bâtisseurs de villes : 6+6 a
— Bâtissez sur la rocheet non sur le limon 6+6 b
680 Hiram, maçon du temple,écoutait Salomon ; 6+6 b
Donc obéissez-moi.Faites un fier mélange 6+6 a
Du Raphaël pudiqueet du grand Michel-Ange ; 6+6 a
Peignez sur la murailleAdam qu'Ève tenta, 6+6 b
Moïse au Sinaï,Jésus au Golgotha, 6+6 b
685 Les Géants terrassésmalgré leur haute taille, 6+6 a
Job, et l'effarementdes chevaux de bataille ; 6+6 a
Tout ce qui foudroya,tout ce qui rayonna, 6+6 b
Festin de Balthasaret noces de Cana, 6+6 b
Doit faire flamboyeret resplendir les fresques ; 6+6 a
690 Mariez l'arc lombardaux ogives moresques ; 6+6 a
Que la statue alterneavec les noirs tableaux ; 6+6 b
Une église doit êtreun large espace, enclos 6+6 b
De bons murs, préservédes vents et des tempêtes ; 6+6 a
Prêtres, emplissez-lade fleurs les jours de fêtes ; 6+6 a
695 Tout ce qui vient du ciel,l'église le contient ; 6+6 b
Un roi qui la voudraitorner comme il convient, 6+6 b
Épuiserait Golcondeet n'y pourrait suffire ; 6+6 a
Prodiguez-y l'airain,le jaspe et le porphyre 6+6 a
Que n'atteint pas la rouilleet né mord pas le ver. 6+6 b
LE PAPE
700 Et mettez-y des litspour les pauvres l'hiver. 6+6 b
EN VOYANT UNE NOURRICE
Mère, je te bénis.La nourrice est sacrée. 6+6 a
Après l'éternitéla maternité crée ; 6+6 a
Ève s'ajoute à Dieupour compléter Japhet ; 6+6 b
Et l'homme, composéd'âme et de chair, est fait 6+6 b
705 Du rayon de l'abîmeet du lait de la femme. 6+6 a
L'ineffable empyréeest une vaste trame 6+6 a
De souffles, de beauté,de splendeur et d'amour. 6+6 b
Qu'est-ce que la nature ?Un gouffre, un carrefour, 6+6 b
Une rencontre ; et toutvient pêle-mêle éclore. 6+6 a
710 Ce que la femme donneà l'enfant, c'est l'aurore ; 6+6 a
Il coule autant de jourd'un sein que d'un soleil ; 6+6 b
D'une sombre mamelleau fond du ciel vermeil 6+6 b
Les étoiles sont l'uneaprès l'autre tombées ; 6+6 a
Les Pléiades en haut,en bas les Machabées, 6+6 a
715 Sont des groupes pareils ;toute clarté descend 6+6 b
Et devient notre espritet devient notre sang. 6+6 b
Et dans tous les berceauxl'infini recommence ; 6+6 a
Et l'Éternel emploieà la même œuvre immense, 6+6 a
En ce monde l'enfantsans l'astre est incomplet, 6+6 b
720 La goutte de lumièreet la goutte de lait. 6+6 b
O bénédiction,sois à jamais sur l'homme ! 6+6 a
Rêveur.
Et pourtant, ô vivants,quand je songe à Sodome, 6+6 a
À Carthage, à Moloch,à tous vos noirs exploits, 6+6 b
À tous les attentatsfaits par toutes vos lois, 6+6 b
725 Je frissonne. Draconest pire que Tibère. 6+6 a
L'aréopage est l'antre Satan délibère. 6+6 a
Vous avez eu raisond'aveugler la Thémis 6+6 b
Par qui tant de forfaitsstupides sont commis, 6+6 b
Car souvent, en voyantle mal, la violence 6+6 a
730 L'emporter, elle auraithorreur de sa balance. 6+6 a
Il arrive parfoisque les lois d'ici-bas, 6+6 b
Lois qui frappent Jésuset sauvent Barabbas, 6+6 b
Lois dont l'étrange glaiveau hasard tranche et tombe, 6+6 a
Du cri d'un nouveau-néfont l'appel de la tombe. 6+6 a
735 Oui, l'épouvante en estvenue à ce degré. 6+6 b
Un jour, je m'en souviens,— quand j'étais égaré 6+6 b
Jusqu'à me croire roi,moi qui suis ton esclave, 6+6 a
O devoir ! — sous les mursd'un cachot, froide cave, 6+6 a
J'ai vu, c'était à Rome,une femme attendant. 6+6 b
740 On l'avait condamnéeau gibet, et pendant 6+6 b
Qu'on dressait la potenceet qu'on creusait là fosse, 6+6 a
Cette femme avait ditau juge : Je suis grosse. 6+6 a
Et le juge avait dit :Soit. Alors, attendons. 6+6 b
Oh ! si je ne sentaisle ciel plein de pardons, 6+6 b
745 Comme je frémiraispour l'homme et pour son âme ! — 6+6 a
Qu'est-ce qu'on attendait ?ceci : que cette femme 6+6 a
Donnât la vie, afinde lui donner la mort. 6+6 b
Ainsi les hommes fontdans l'énigme du sort 6+6 b
Pénétrer leurs décretssans que leur raison tremble ! 6+6 a
750 La mort, la vie, étaientsur cette femme ensemble. 6+6 a
Leur lueur éclairaitle cachot étouffant ; 6+6 b
Horreur ! à chaque pasde l'une vers l'enfant 6+6 b
L'autre faisait un pasvers la mère, et, dans l'ombre, 6+6 a
Vers elle, l'un riantet charmant, l'autre sombre, 6+6 a
755 Et chacun apportantla clef de la prison, 6+6 b
Deux fantômes venaientdu fond de l'horizon. 6+6 b
Être en proie à la loi !Quel deuil ! — Mon cœur se serre. 6+6 a
Ainsi le code humainpeut finir, ô misère ! 6+6 a
Par avoir la figureobscure d'un bandit ! 6+6 b
760 Et l'enfant, si le ciell't fait parler, t dit : 6+6 b
Tu commences, ô loi,par me tuer ma mère. 6+6 a
O triste loi sans yeux,dans cette angoisse amère, 6+6 a
La malheureuse a beautrembler, frémir, prier, 6+6 b
Tu charges son enfantd'être son meurtrier ; 6+6 b
765 Son sang tient mon berceau,déjà sombre, encor vide, 6+6 a
Et de moi, l'innocent,tu fais un parricide. 6+6 a
Tu me fais faire un crimeà moi qui ne suis pas. 6+6 b
Je nais, je tue. — Hélas !— La loi prend un compas, 6+6 b
Pèse l'urne du mal,la trouve peu remplie, 6+6 a
770 Mesure un crime, ajouteun meurtre, multiplie 6+6 a
Un attentat par l'autre,un forfait par un deuil, 6+6 b
Dans un affreux berceaufait éclore un cercueil, 6+6 b
Attend qu'un enfant naisse,ordonne qu'on bâtisse 6+6 a
Un tombeau sur sa tête,et dit : C'est la justice ! 6+6 a
775 Elle veut, au milieude ce saint univers, 6+6 b
Quand les cieux versent l'aubeet sont tout grands ouverts, 6+6 b
Devant le jour sans fin,devant l'azur sans voiles, 6+6 a
Dans le fourmillementdes fleurs et des étoiles, 6+6 a
Qu'une mère éperdueait horreur du moment 6+6 b
780 son enfant ntrasous le bleu firmament ! — 6+6 b
J'ai vu cela. Si bienque cette misérable 6+6 a
Était là, regardaitfuir l'heure inexorable, 6+6 a
Écoutait dans la nuitle glas dire : Il le faut ! 6+6 b
Et sentait dans son seinremuer l'échafaud. 6+6 b
UN CHAMP DE BATAILLE
DEUX ARMÉES EN PRÉSENCE
LE PAPE
785 J'ai peur. Je sens icicomme une âme terrible. 6+6 a
L'homme est la flèche, ô cieuxprofonds, l'homme est la cible ! 6+6 a
Mais quel est donc le brasqui tend cet arc affreux ? 6+6 b
Pourquoi ces hommes-cis'égorgent-ils entr'eux ? 6+6 b
Quoi ! peuple contre peuple !ô nations trompées ! 6+6 a
(S'avançant entre les deux armées.)
790 De quel droit avez-vousles mains pleines d'épées ? 6+6 a
Que faites-vous ici ?Qu'est-ce que ces pavois ? 6+6 b
Que veulent ces canons ?Hommes que j'entrevois, 6+6 b
Dans l'assourdissementdes trompettes farouches, 6+6 a
Plus forts que des lionset plus vains que des mouches, 6+6 a
795 Pour le plaisir de quivous exterminez-vous ? 6+6 b
Tous n'avez qu'un seul droit,c'est de vous aimer tous. 6+6 b
Dieu vous ordonne d'êtreensemble sur la terre. 6+6 a
Dieu, sous sa douce loi,cache un devoir austère ; 6+6 a
Comme à l'érable, au chêne,à l'orme, au peuplier, 6+6 b
800 Il vous a dit de crtreet de multiplier. 6+6 b
Aimez-vous. Les palaisdoivent la paix aux chaumes. 6+6 a
O rois, des deux côtésvous voyez des royaumes, 6+6 a
Des fleuves, des cités,la terre à partager, 6+6 b
Des droits pareils aux loupscherchant à se manger, 6+6 b
805 Des trônes se gênant,les clairons, les chimères, 6+6 a
La gloire ; et moi je voisdés deux côtés des mères. 6+6 a
Je vois des deux côtésdes cœurs désespérés. 6+6 b
Je vois l'écrasementdes sillons et des prés, 6+6 b
La lumière à des yeuxpleins d'aurore ravie, 6+6 a
810 Le deuil, l'ombre, et la fuiteaffreuse de la vie. 6+6 a
Je vois les nationsque la mort joue aux dés. 6+6 b
Mais qui donc êtes-vous,hommes qui m'entendez ? 6+6 b
Quoi ! vous êtes le nombreet vous êtes la force ! 6+6 a
Vous êtes la racineet la tige et l'écorce, 6+6 a
815 Le feuillage et le fruitde l'arbre universel ; 6+6 b
Le désert et le sable,et la mer et le sel 6+6 b
Sont à vous ; vous aveztoutes les étendues ; 6+6 a
Si vous voulez planer,vos ailes éperdues, 6+6 a
Hommes, ont l'infinipour s'y précipiter ; 6+6 b
820 Vous pouvez rayonner,adorer, enfanter ; 6+6 b
Les astres et les ventsvous donnent des exemples, 6+6 a
Les vents pour vos essors,les astres pour vos temples ; 6+6 a
Vous êtes l'ouvrierqui tient tout dans sa main ; 6+6 b
Vous êtes le géantde Dieu, le genre humain ; 6+6 b
825 Et vous aboutissezà de vils chocs d'armées ! 6+6 a
Et le titan se faitle foat des pygmées ! 6+6 a
Vous êtes cela, peuple,et vous faites ceci ! 6+6 b
Mais alors l'impossibleexiste ! Oui, c'est ainsi ! 6+6 b
C'est parce que deux rois,deux spectres, deux vampires, 6+6 a
830 Parce que deux néantss'arrachent deux empires, 6+6 a
Parce que l'un, ce jeune,et l'autre, ce vieillard, 6+6 b
Semblent grands à traverson ne sait ruel .brouillard, 6+6 b
Étant, le jeune, un fou,le vieux, un imbécile, 6+6 a
C'est parce qu'un vain sceptreentre leurs mains oscille 6+6 a
835 À tous les tremblementsdu vice et de l'erreur, 6+6 b
C'est parce que ces deuxatomes en fureur 6+6 b
S'insultent, qu'on entend,ô triste foule humaine, 6+6 a
O peuples, sans savoirpourquoi, dans cette plaine 6+6 a
Votre stupiditéformidable rugir ! 6+6 b
840 Vous êtes des pantinsque des fils font agir ; 6+6 b
On vous met dans la mainune lame pointue, 6+6 a
Vous ne connaissez pascelui pour qui l'on tue, 6+6 a
Vous ne connaissez pascelui que vous tuerez. 6+6 b
Est-ce vous qui tuerez ?est-ce vous qui mourrez ? 6+6 b
845 Vous l'ignorez. Demain,la mort ouvrant son aile, 6+6 a
Vous entrerez dans l'ombreen foule, pêle-mêle, 6+6 a
Sans que vous puissiez direau sépulcre pourquoi. 6+6 b
Oui, du moment que c'estdécrété par un roi, 6+6 b
Par un czar, un porteurquelconque de couronne, 6+6 a
850 Sans rien comprendre au bruitmenteur qui l'environne, 6+6 a
À tâtons, sans Savoirsi l'on est un bandit, 6+6 b
On n'écoute plus rien ;battez, tambours, c'est dit ; 6+6 b
Vite, il faut qu'on se heurte,il faut qu'on se rencontre, 6+6 a
Qu'un aveugle soit pourparce qu'un sourd est contre ! 6−6 a
855 Vous mourez pour vos rois.Eux, ils ne sont pas là. 6+6 b
Et vous avez quittévos femmes pour cela ! 6+6 b
Vous jeunes, vous nombreuxet forts, malgré leurs larmes, 6+6 a
Vous vous êtes laisséspousser par des gendarmes 6+6 a
Aux casernes ainsiqu'un troupeau par des chiens ! 6+6 b
860 En guerre ! allez, Prussiens !allez, Autrichiens ! 6+6 b
Ici la schlague, et làle knout. Lauriers, victoire. 6+6 a
À grands coups de bâtonon vous mène à la gloire. 6+6 a
Vous donnez votre forceinepte à vos bourreaux 6+6 b
Les rois, comme en avantdu chiffre les zéros. 6+6 b
865 Marchez, frappez, tuezet mourez, bêtes brutes ! 6+6 a
Et vos mtres, pendantvos exécrables luttes, 6+6 a
Boivent, mangent, sont gaiset hautains ; et, contents, 6+6 b
Repus, ont autour d'euxleurs crimes bien portants ; 6+6 b
Vous allez être un tasde cadavres dans l'herbe, 6+6 a
870 Laissant derrière vous,sous le soleil superbe 6+6 a
Et sous l'étonnementdes cieux, de vieux parents, 6+6 b
Et dans des berceaux, plaintspar les nids murmurants, 6+6 b
O douleur, des petitsaux regards de colombe ! — 6+6 a
Eh bien non ! je me metsentre vous et la tombe. 6+6 a
875 Je ne veux pas ! Tremblez,c'est moi. Je vous défends 6+6 b
De vous assassiner,monstres ! — ô mes enfants ! — 6+6 b
Jetez-vous dans les brasles uns des autres, frères ! 6+6 a
Quoi ! l'on verrait en vous,dans ces champs funéraires, 6+6 a
Léviathan revivreet rentre Python ! 6+6 b
880 Hommes, Humanité !se représente-t-on 6+6 b
Les arbres des forêtsqui se feraient la guerre, 6+6 a
Qui, soudain furieux,eux si calmes naguère, 6+6 a
Deviendraient des dragonsmêlant leurs bras hideux, 6+6 b
Faisant tourbillonnerla tempête autour d'eux. 6+6 b
885 Et jetant et broyantles fleurs, les plumes blanches, 6+6 a
Les nids, dans la batailleeffroyable des branches ! 6+6 a
Eh bien, sous l'affreux ventsoufflant on ne sait d', 6+6 b
Vous êtes ce chaosprodigieux et fou ! 6+6 b
Ah ! vous vous enivrezd'une vanité noire ! 6+6 a
890 Vous êtes des vaincus,ô rêveurs de victoire, 6+6 a
Vous êtes les vaincusdes rois, et sur le dos 6+6 b
Vous portez leur grandeur,leur néant, ces fardeaux ; 6+6 b
L'ombre des rois vous suit,vous tient, vous accompagne ; 6+6 a
Vous êtes des trneursde boulet comme au bagne ; 6+6 a
895 L'orgueil, leur garde-chiourme,est à votre côté ; 6+6 b
Vous avez cette honteau pied, leur majesté ! 6+6 b
Débarrassez-vous-en,brisez-moi cette chne ! 6+6 a
Sortez des quatre murssanglants de la géhenne, 6+6 a
Ignorance, colère,orgueil, mensonge, à bas ! 6+6 b
900 Hommes, entendez-vous.Vivez. Plus de combats. 6+6 b
Non, la terre d'horreurne sera pas noyée. 6+6 a
Vous êtes l'innocenceimbécile employée 6+6 a
Aux forfaits, et les brasutiles devenus 6+6 b
Scélérats, et je suiscelui qui vient pieds nus 6+6 b
905 Vous supplier, lions,tigres, d'être des hommes. 6+6 a
Il est temps de laissercette terre ou nous sommes 6+6 a
Tranquille, et de permettreaux fleurs, aux blés épais, 6+6 b
Aux vignes, aux vergersbénis, de crtre en paix ; 6+6 b
Il est temps que l'azurbrille sur autre chose 6+6 a
910 Que de la haine, et l'aubeest souriante et rose 6+6 a
Pour que nous soyons douxcomme elle. Obéissons 6+6 b
À la vie, à l'aurore,aux berceaux, aux moissons. 6+6 b
Ne sacrifions pasle monde à quelques hommes. 6+6 a
Soyez de votre sangvénérable économes. 6+6 a
915 Non, il ne se peut pasqu'un choc tumultueux 6+6 b
D'hommes ivres, pour plaireaux princes monstrueux, 6+6 b
Épouvante ces champs Dieu met sa lumière. 6+6 a
Quoi ! des mères seronten deuil dans leur chaumière, 6+6 a
Quoi ! des bras se tordrontsous les cieux étoilés ! 6+6 b
920 Des morts, pâles, serontentrevus dans les blés 6+6 b
Et sous la transparenceeffrayante des fleuves ; 6+6 a
Quoi ! toutes les douleurs,les orphelins, les veuves, 6+6 a
Les vieillards, mêlerontleurs lamentations… — 6+6 b
Ah ! prenez garde à vous,rois ! car vos actions 6+6 b
925 D' sort on ne sait quelleombre extraordinaire 6+6 a
Font écouter à Dieules conseils du tonnerre ! 6+6 a
LA GUERRE CIVILE
Autre champ de bataille. Rues et places publiques.
LE PAPE
apparaissant entre les combattants.
Commencez par moi. — Quoi !pauvres, déshérités, 6+6 b
Votre sort vous accable,et vous le complétez 6+6 b
Par de la haine, ayanttrop peu de la souffrance ! 6+6 a
930 Vous vous entr'égorgez,fils de la même France ! 6+6 a
J'entends autour de vouscette mère crier. 6+6 b
Toi, paysan, tu veuxtuer cet ouvrier ! 6+6 b
Pourquoi ? De quelque nomque ton travail se nomme, 6+6 a
Il le fait aussi, lui !vous êtes le même homme ; 6+6 a
935 Vous semez, sur la terre l'humanité crt, 6+6 b
Le grand germe sacré,toi l'épi, lui le droit ; 6+6 b
Il travaille, et de plusil veut aimer son frère. 6+6 a
Nul rie doit à la tâcheauguste se soustraire ; 6+6 a
L'un est le moissonneuret l'autre l'émondeur. 6+6 b
940 Dieu, la clarté qui pense,est dans la profondeur ; 6+6 b
Il est l'immense pointlumineux de l'abîme ; 6+6 a
Hommes, il resplendit,féconde, inspire, anime, 6+6 a
Et cette vénérableet sereine lueur 6+6 b
Veut faire sur vos frontsbriller de la sueur ; 6+6 b
945 Car le travail est saint,et c'est la loi sublime. 6+6 a
Quoi ! ce n'est pas la bêche,ou l'équerre, ou la lime, 6+6 a
Que vous avez aux poings,c'est le glaive ! Pourquoi ? 6+6 b
Parce que l'ouvriermarche en avant de toi, 6+6 b
Paysan. Il se hâteet l'avenir l'invite. 6+6 a
950 L'un va trop lentementet l'autre va trop vite. 6+6 a
Peut-être. Dieu le sait.Mais est-ce une raison, 6+6 b
O peuple, pour emplirde spectres l'horizon, 6+6 b
Pour plonger dans l'horreurvos mains désormais viles, 6+6 a
Et faire sangloterle tocsin dans les villes ? 6+6 a
955 Tout est la vie ; et Dieun'a pas construit de mur. 6+6 b
Ah ! s'il est au-dessusde nous, dans cet azur 6+6 b
les réalitéssont les axes des mondes, 6+6 a
S'il est des buts certains,s'il est des lois profondes, 6+6 a
Si l'aube en se levantdit vrai, si l'astre est pur, 6+6 b
960 Et si le ciel est pourla terre un ami sûr, 6−6 b
Si la vie est un fruitet non pas une proie, 6+6 a
L'homme a pour droit, devoiret fonction la joie, 6+6 a
Le travail et l'amour ;et, quel que soit l'éclair 6+6 b
Qui pour un instant jetteun orage dans l'air, 6+6 b
965 Il n'est pas de colèreâpre, inhumaine, athée, 6+6 a
Terrible, qui ne doiveêtre déconcertée 6+6 a
Par une mère ayantau sein son nourrisson. 6+6 b
Quoi ! partout la fureur !Quoi ! partout le frisson, 6+6 b
Le deuil, des bras sanglantset des fosses creusées ! 6+6 a
970 Quoi ! troubler le soleilglorieux, les rosées, 6+6 a
Les parfums, les clartés,le mois de mai si beau, 6+6 b
Les fleurs, par l'ouvertureaffreuse du tombeau ! 6+6 b
Ah ! fussiez-vous vainqueurs,qu'est-ce que la victoire ? 6+6 a
Vous aurez le cœur froid,vous aurez l'âme noire. 6+6 a
975 À la fraternitérien ne peut suppléer. 6+6 b
Ah ! réfléchissez. Dieuvous créa pour créer, 6+6 b
Pour aimer, pour avoirdes enfants et des femmes, 6+6 a
Pour ajouter sans cesseà vos foyers des flammes, 6+6 a
Pour voir crtre à vos piedsdes fils nombreux et forts, 6+6 b
980 Pour faire des vivants ;et vous faites des morts ! 6+6 b
Vous qui passez, pourquoihaïr celui qui passe ? 6+6 a
Accordez-vous les unsaux autres votre grâce, 6+6 a
Arrêtez ! Arrêtez !Fraternité !
Tout fuit. 6+6 b
Mais l'apôtre se saitécouté par la nuit ; 6+6 b
985 Et n'est-ce pas qu'il doitparler aux solitudes, 6+6 a
O Dieu, les profondeursétant des multitudes ? 6+6 a
(Il continue.)
IL PARLE DEVANT LUI DANS L'OMBRE
Vivez, marchez, pensez,espérez, aimez-vous. 6+6 b
Nul n'est seul ici-bas.Tout a besoin de tous. 6+6 b
Riche, épargne le pauvre,et toi, pauvre, pardonne 6+6 a
990 Au riche, car le sortprête et jamais né donne, 6+6 a
Et l'équilibre obscurse refait tôt ou tard. 6+6 b
Tout bien qui nt du maldes autres, est bâtard ; 6+6 b
Et les prospéritésne sont jamais qu'obliques 6+6 a
Et menteuses, sortantdes misères publiques ; 6+6 a
995 L'arbre est malsain ayantun cadavre à son pied. 6+6 b
Rois, ayez peur du trône votre orgueil s'assied, 6+6 b
Votre âme y devient spectre,et, mtres des royaumes, 6+6 a
Hélas ! sans le savoirvous êtes des fantômes ; 6+6 a
S'appeler Romanoff,Habsbourg, Brunswick, Bourbon, 6+6 b
1000 Empereur, majesté,roi, césar, à quoi bon ? 6+6 b
Les Pharaons ont faitbâtir les Pyramides ; 6+6 a
Et quand sous le soleil,sous les grands vents numides, 6+6 a
Fouettant leur peuple aux fers,durs comme les destins, 6+6 b
Ils eurent achevéces monuments hautains, 6+6 b
1005 Qu'ont-ils mis dans ces blocsprodigieux ? leur cendre. 6+6 a
O rois, cela lie sertà rien d'être Alexandre, 6+6 a
Sésostris, ou Cyrusà qui le sort sourit, 6+6 b
Il vaut mieux être un pauvreappelé Jésus-Christ. 6+6 b
Le mal que nous faisonstrop souvent nous encense ; 6+6 a
1010 Hélas, qui que tu sois,puissant, crains ta puissance, 6+6 a
Qui, de l'autre côtédu tombeau, fait pitié. 6+6 b
On est flatté par l'on sera châtié. 6+6 b
Vous qui faites trembler,tremblez. — Que tout s'apaise ! 6+6 a
Quant à toi, travailleursur qui le fardeau pèse, 6+6 a
1015 Toi qui te sens lionet qu'on traite en fourmi, 6+6 b
Ne perds pas patienceet sache attendre, ami ! — 6+6 b
En venir aux mains ? Non.Certes, ton droit suprême, 6+6 a
C'est de vivre, d'avoirdu pain, d'exiger même 6+6 a
Plus de salaire et moinsde peine, j'en conviens ; 6+6 b
1020 L'immensité te doitta part des vastes biens, 6+6 b
Vie, harmonie, amour,joie, hyménée, aurore. 6+6 a
L'avenir n'est pas noir ;c'est le matin qui dore 6+6 a
Et remplit de clartérose les petits doigts 6+6 b
Du nouveau-né riantdans sa crèche, et tu dois 6+6 b
1025 Vouloir cet aveniréblouissant et juste ; 6+6 a
Tu dois, ferme, appuyésur le travail robuste, 6+6 a
Réclamer le paiementde tes efforts, tu dois 6+6 b
Protéger ton foyer,et faire face aux lois 6+6 b
Si leur sagesse fausseà tes droits est contraire, 6+6 a
1030 Et nourrir ton enfant,— mais sans tuer ton frère ! 6+6 a
Sans blesser la patrieet meurtrir la cité ! 6+6 b
L'idéal ne veut pointmêler à sa clarté 6+6 b
Les Saint-Barthélemyset les Vendémiaires ; 6+6 a
Les principes sereinssont de hautes lumières ; 6+6 a
1035 Dans la Terre Promiseon ne met pas la mort ; 6+6 b
L'espérance n'est pasfaite pour le remord ; 6+6 b
Peuple, sur le cloaqueinforme du carnage, 6+6 a
Quel que soit le tueur,sais-tu ce qui surnage ? 6+6 a
C'est sa honte. — L'opprobreéternel du vainqueur, 6+6 b
1040 La pâle libertémorte et l'épée au cœur, 6+6 b
Pour soi l'abjection,pour d'autres le martyre. 6+6 a
C'est là toute la gloire,ô peuples, qu'on retire 6+6 a
Des fauves actionsfaites aveuglément. 6+6 b
Hélas ! sous le regardfixe du firmament, 6+6 b
1045 Pas de tueurs ; laissonsles bourreaux dans leurs bouges. 6+6 a
Je hais une victoireayant les ongles rouges ; 6+6 a
Je n'aime pas qu'un droitait des mains de boucher, 6+6 b
Et, quand il a vaincu,soit forcé de cacher 6+6 b
Les fentes des pavésdes villes sous du sable. 6+6 a
1050 Le paradis de Dieudeviendrait haïssable 6+6 a
S'il fallait qu'à traversun meurtre on l'espérât. 6+6 b
Quoi ! le droit malfaiteur !le progrès scélérat ! 6+6 b
Homme, crains la balance tout destin s'achève. 6+6 a
Le mal qu'on fait est lourdplus que le bien qu'on rêve. 6+6 a
1055 L'aurore est hors de l'ombreet les nuits vont finir ; 6+6 b
Crains de mettre une tacheau front de l'avenir ; 6+6 b
La liberté n'a pasl'assassin pour ministre ; 6+6 a
L'astre dont la sortieouvre un gouffre est sinistre ; 6+6 a
Le progrès n'a plus riende providentiel 6+6 b
1060 S'il ne peut, sans creuserl'enfer, monter au ciel ; 6+6 b
Nul soleil n'a l'ampleurhorrible de l'abîme ; 6+6 a
Si grand que soit un droit,il est moins grand qu'un crime ; 6+6 a
Jamais, non, même ayantla justice pour soi, 6+6 b
On ne peut la servirpar le deuil et l'effroi ; 6+6 b
1065 La vérité qui tue,affreuse vengeresse, 6+6 a
A des yeux de démonsous un front de déesse ; 6+6 a
Une étoile n'a pasdroit de verser du sang ; 6+6 b
L'aube est blanche ; et le bienn'est le bien — qu'innocent. 6+6 b
MALÉDICTION ET BÉNÉDICTION
Les malédictionssont sur les multitudes, 6+6 a
1070 Les tonnerres profondshantent les solitudes, 6+6 a
Rien n'est laissé tranquilleen ce sombre univers. 6+6 b
Les prêtres sont pareilsà des gouffres ouverts ; 6+6 b
Qui regarde dedansvoit des choses affreuses. 6+6 a
Si tu planes, tout fuit ;tout croule, si tu creuses. 6+6 a
O morne angoisse !
1075 Hélas !l'anxiété partout. 6+6 b
Que de rêves tombés !Que de spectres debout ! 6+6 b
L'homme, en proie à la nuitdont le prêtre est complice, 6+6 a
Peut-être a devant luil'échelle d'un sUpplice 6+6 a
Quand, sentant des degrésdans l'ombre, il dit : Montons. 6+6 b
1080 Le genre humain ignore,erre, marche à tâtons, 6+6 b
Souffre, et ne voit, s'il chercheune lueur propice, 6+6 a
Qu'un flamboiement faroucheau fond d'un précipice. 6+6 a
Tout est-il donc fatal ?Rien n'est-il donc clément ? 6+6 b
La vie est une detteet la mort un paiement. 6+6 b
1085 Satan règne ; le malfait loi ; l'enfer, c'est l'ordre. 6+6 a
Et j'entendais gémiret je voyais se tordre, 6+6 a
Dans la brume que nuln'explore et ne connt, 6+6 b
Les tristes nationssur qui tout s'acharnait, 6+6 b
Prêtres, juges, bourreaux,scribes, princes, ministres ; 6+6 a
1090 Les innombrables flotsne sont pas plus sinistres ; 6+6 a
Le tragique Océann'est pas plus torturé 6+6 b
Par les souffles confusdu vent démesuré. 6+6 b
L'homme, en ces profonds cieuxqu'il nomme noirs royaumes, 6+6 a
Regarde un effrayantpenchement de fantômes, 6+6 a
1095 Et tremblé. L'inconnului jette des clameurs. 6+6 b
Le matin lui dit : Pleure !et le soir lui dit : Meurs ! 6+6 b
Dans l'Inde, tous les dieuxtaillés dans tous les marbres, 6+6 a
Les blêmes hommes nusvivants au creux des arbres, 6+6 a
En Grèce Bacchus ivreet trné par des lynx, 6+6 b
1100 Les molochs en Afrique,en Égypte les sphinx, 6+6 b
Le Baal monstrueux,le Jupiter inique, 6+6 a
Au Vatican le pâleet sanglant Dominique, 6+6 a
Tout menace. Partoutles peuples sont maudits. 6+6 b
Les rois seuls, noirs élus,sont dans des paradis, 6+6 b
1105 Joyeux, superposésaux supplices des hommes ; 6+6 a
Les courtisans doréssont les vils astronomes 6+6 a
Qui contemplent d'en basles rois, ces faux soleils ; 6+6 b
Et les rois sont contentsde vivre ; et leurs sommeils, 6+6 b
Leurs réveils, et leurs litsde pourpre, et leurs carrosses, 6+6 a
1110 Leurs trônes, leurs palais,leurs festins, sont féroces. 6+6 a
La guerre en sort. Le prêtreest reptile au tyran. 6+6 b
Le Talmud n'est pas moinslâche que le Koran. 6+6 b
César vainqueur se faitdu ciel une province. 6+6 a
Loyola, dur au peuple,est complaisant au prince. 6+6 a
1115 Le fakir est atroceet le bonze est hideux ; 6+6 b
Le crucifix est glaiveau poing de Jules Deux ; 6+6 b
Caïphe, âme l'enferprofond se réverbère, 6+6 a
Interprète Moïseau profit de Tibère. 6+6 a
O deuil ! Accablementdu morne genre humain ! 6+6 b
1120 Pleurs et cris ! Sang des piedsaux cailloux du chemin ! 6+6 b
Noirceur du ciel emplipar l'immense anathème ! 6+6 a
La faute est dans Je hais !La faute est dans Je t'aime ! 6+6 a
Tout est la chute. Hélas !que faire ? Hommes damnés ! 6+6 b
Responsables de vivreet punis d'être nés ! 6+6 b
1125 Je médite éperdudans la nuit formidable. 6+6 a
Quel labeur que jeterla sonde à l'insondable ! 6+6 a
Quel gouffre que l'azurqui devient de la nuit ! 6+6 b
Terreur ! tout appartet tout s'évanouit. 6+6 b
Le deuil reste.
Oh ! disais-je, donc est l'espérance ? 6+6 a
1130 Soudain il me sembla,comme, dans leur souffrance, 6+6 a
Pensif, je regardaisles peuples douloureux, 6+6 b
Voir l'ombre d'une mainbénissante sur eux ; 6+6 b
Il me sembla sentirquelqu'un de secourable. 6+6 a
Et je vis un rayonsur l'homme misérable. 6+6 a
1135 Et je levai mes yeuxau ciel, et j'apeus, 6+6 b
Là-haut, le grand passantmystérieux, Jésus. 6+6 b
EN VOYANT UN PETIT ENFANT
Il est le regard vierge,il est la bouche rose ; 6+6 a
On ne sait avec quelange invisible il cause. 6+6 a
N'avoir pas fait de mal,ô mystère profond ! 6+6 b
1140 Tout ce que les meilleursfont sur terre, ou défont, 6+6 b
Ne vaut pas le sourireignorant et suprême 6+6 a
De l'enfant qui regardeet s'étonne et nous aime. 6+6 a
N'avoir pas une tacheefface nos splendeurs. 6+6 b
Nous nous croyons le droitd'être altiers, durs, grondeurs, 6+6 b
1145 Et lui qui ne se saitaucun droit sur la terre, 6+6 a
Les a tous. Sa frcheurpure nous désaltère ; 6+6 a
Il calme notre fièvre,il desserre nos nœuds, 6+6 b
Il arrive des lieuxobscurs et lumineux, 6+6 b
Des gouffres bleus, du fonddes divins empyrées ; 6+6 a
1150 Ses beaux yeux sont noyésde lueurs azurées ; 6+6 a
S'il parlait, des soleilsil nous dirait les noms. 6+6 b
Dès qu'un enfant est là,nous nous examinons. 6+6 b
Pensifs, nous comparonsnos âmes à la sienne ; 6+6 a
Le plus juste est rêveurde quelque faute ancienne ; 6+6 a
1155 Il suffit, pour qu'on aitbesoin d'être à genoux 6+6 b
Et pour que nous sentionsde la noirceur en nous, 6+6 b
Que ce doux petit êtreinexprimable vive ; 6+6 a
Et la créationentière est attentive 6+6 a
Aux, reproches que fait,même à ce qui reluit, 6+6 b
1160 Même au ciel, puisqu'il estpar instants plein de nuit, 6+6 b
Même à la sainteté,triste quand on l'encense, 6+6 a
Cette blancheur sans ombreet sans fond, l'innocence. 6+6 a
De quel droit sommes-nousautour d'elle méchants ? 6+6 b
Que nous a-t-elle fait ?Nos cris couvrent ses chants. 6+6 b
1165 Son aube à nos vents noirsmêle son pur zéphyre. 6+6 a
Est-ce que sa clarténe devrait pas suffire 6+6 a
Pour nous rendre clémentset pour dompter nos cœurs ? 6+6 b
Non, nous restons ingrats,amers, hautains, moqueurs, 6+6 b
Pleins d'orages, devantcette candeur sacrée. 6+6 a
1170 L'âge d'or, l'heureux tempsde Saturne et de Rhée, 6+6 a
Existe, c'est l'enfance ;il est sur terre encor ; 6+6 b
Et nos siècles de fersur ce tendre âge d'or 6+6 b
N'en font pas moins leur bruitde glaives et de haines, 6+6 a
Et l'on entend partoutle trnement des chnes. 6+6 a
1175 Vous êtes de la joieerrante parmi nous, 6+6 b
Enfants ! riez, jouez,croissez. Vos fronts sont doux, 6+6 b
Et la faiblesse y metsa tremblante couronne ; 6+6 a
L'épanouissementd'avril vous environne ; 6+6 a
Sans vous le jour est morneet le matin se tait ; 6+6 b
1180 Chantez. Quand le destin,comme s'il regrettait 6+6 b
De vous avoir dans l'ombreamenés, vous remmène, 6+6 a
Quand vous vous eh allezavant l'épreuve humaine, 6+6 a
Votre âme monte aux cieuxdans le parfum des fleurs. 6+6 b
O chers petits enfants,quand, fuyant nos douleurs, 6+6 b
1185 Vous faites dans l'azurserein votre rentrée, 6+6 a
Quand un nouveau-né meurt,on dirait que, navrée, 6+6 a
La terre prend le deuildes jours qui vous sont dus ; 6+6 b
Et l'aurore est en pleursquand vous êtes rendus 6+6 b
Par les roses vos sœursà vos frères les anges. 6+6 a
1190 Il est dans les linceulsune aile, et, dans les langes, 6+6 a
Il en est une aussi ;c'est la même. Ouvrez-la, 6+6 b
Doux amis, sans pourtantnous quitter, pour cela. 6+6 b
Restez, notre prisonpar vous devient un temple. 6+6 a
Rayonnez, innocents,et donnez-nous l'exemple. 6+6 a
1195 Croyez, priez, aimez,chantez. Soyez sans fiel. 6+6 b
Qu'est-ce que l'âme humaine,ô profond Dieu du ciel, 6+6 b
A fait de la candeurdont elle était vêtue ? 6+6 a
UN ÉCHAFAUD
LE JUGE sur son siège. LE CONDAMNÉ lié de cordes.
LE BOURREAU, la hache à la main. Au fond la foule.
LE PAPE
regardant l'échafaud.
Je ne comprends pas.
LE JUGE
Prêtre,écoute : un homme tue 6+6 a
Un autre homme.
LE PAPE
Il commetun crime.
LE JUGE
C'est pourquoi 6+6 b
1200 On le prend, on lui faitson procès, et la loi 6+6 b
Le tue. Est-ce clair ?
LE PAPE
Oui.La loi commet un crime. 6+6 a
LE JUGE
Qui te donne le droitde nous juger ?
LE PAPE
L'abîme. 6+6 a
LE JUGE
Prêtre, respect aux lois.
LE PAPE
Juge, respect à Dieu. 6+6 b
Cet univers visibleest un immense aveu 6+6 b
1205 D'ignorance devantl'univers invisible. 6+6 a
VOIX DANS LA FOULE
— Qu'il meure ! — Il a tué !— Le talion ! — La Bible ! 6+6 a
— Le code ! — Allons, bourreau,frappe. Va, compagnon ! 6+6 b
LE PAPE
à l'assassin condamné.
Toi qui donnas la mort,sais-tu ce que c'est ?
L'ASSASSIN
Non. 6+6 b
LE PAPE
au bourreau.
Toi qui va la donner,le sais-tu ?
LE BOURREAU
Je l'ignore. 6+6 a
LE PAPE
au juge.
1210 Et toi, sais-tu, devantce ciel qu'emplit l'aurore, 6+6 a
Ce que c'est que la mort,juge ?
LE JUGE
Je ne sais pas. 6+6 b
LE PAPE
O deuil !
LE JUGE
Qu'importe !
LE PAPE
Ainsivous touchez au trépas, 6+6 b
Vous touchez à la hache,à la tombe, au peut-être ! 6+6 a
Ainsi vous maniezla mort sans la conntre ! 6+6 a
1215 Vous êtes des méchantset des infortunés. 6+6 b
Dieu s'est réservé l'hommeet vous le lui prenez. 6+6 b
Vous n'avez pas construitet vous osez détruire ! 6+6 a
O vivants ! vous n'avezd'autre droit que de dire 6+6 a
À cet homme qui seulsait ce qu'a fait son bras : 6+6 b
1220 Es-tu coupable ? vis,sachant que tu mourras. 6+6 b
O vivants, le ciel senton ne sait quelle honte 6+6 a
Quand, vous regardant faireen votre ombre, il confronte 6+6 a
Le crime et l'échafaud,l'un de l'autre indignés. 6+6 b
Vous saignez du côtédu crime, et vous saignez 6+6 b
1225 Du côté de la loi,croyant faire équilibre 6+6 a
Au meurtrier fatalpar le meurtrier libre, 6+6 a
Donnant pour contrepoidsau bandit le bourreau. 6+6 b
Vous tirez, vous aussi,le trépas du fourreau ! 6+6 b
Vous allez et venezdans l'obscur phénomène ! 6+6 a
1230 Dieu fait la mort divineet vous la mort humaine ! 6+6 a
Sombre usurpationdont frémit le penseur. 6+6 b
Dieu vit ; de l'infinivous percez l'épaisseur, 6+6 b
Peuple, et vous lui changezson coupable en victime. 6+6 a
Un homme monstre est là ;vous l'imitez. Un crime 6+6 a
1235 Est-il une raisond'un autre crime, hélas ? 6+6 b
Faut-il, tristes vivantsqui devez être las, 6+6 b
L'homme ayant fait le mal,que la loi continue ? 6+6 a
De quel droit mettez-vousune âme toute nue, 6+6 a
Et faites-vous subirà cette nudité 6+6 b
1240 L'effrayant face-à-faceavec l'éternité ? 6+6 b
Ce dépouillement brusqueest interdit au juge. 6+6 a
De quel droit changez-vousen écueil le refuge ? 6+6 a
L'homme est aveugle et Dieupar la main le conduit ; 6+6 b
Dieu nous a mis à toussur la face la nuit ; 6+6 b
1245 Il ne nous a point faitstransparents ; il nous couvre 6+6 a
D'un suaire de chairet d'ombre qui s'entr'ouvre 6+6 a
Quand il veut, au momentindiqué par lui seul ; 6+6 b
Vivants, c'est à la mortque tombe le linceul ; 6+6 b
Nous sommes jusque-làdes inconnus ; Dieu laisse 6+6 a
1250 Aux âmes un instantpour rêver, la vieillesse, 6+6 a
Le droit à la fatigueet le droit au remords ; 6+6 b
Malheur si nous faisonssoudainement des morts ! 6+6 b
Que l'obscur Dieu, toujoursclément, toujours propice, 6+6 a
Étant le fond du gouffre,ouvre le précipice, 6+6 a
1255 Il le peut, c'est en luiqu'on tombe, et, quel que soit 6+6 b
Le rejeté, c'est Dieupensif qui le reçoit ; 6+6 b
Mais, vivants, votre loi,qu'est-elle et que peut-elle ? 6+6 a
Sur nous la forme humaine,en nous l'âme immortelle ; 6+6 a
Nous sommes des noirceurssous le ciel étoilé. 6+6 b
1260 Je m'ignore, je suispour moi-même voilé, 6+6 b
Dieu seul sait qui je suiset comment je me nomme. 6+6 a
L'arrachement du masqueest-il permis à l'homme ? 6+6 a
De quel droit faites-vouscette surprise à Dieu ? 6+6 b
Quoi ! vous mettez la finde la vie au milieu ! 6+6 b
1265 Vous ouvrez et fermezla fatale fenêtre ! 6+6 a
À tâtons ! Apprenezceci : mourir c'est ntre 6+6 a
Ailleurs. Quel noir travail,ô pâles travailleurs ! 6+6 b
Comprenez-vous ce motépouvantable, ailleurs ? 6+6 b
Frémissez. Savez-vousle possible d'une âme ? 6+6 a
(Montrant le condamné.)
1270 Cet homme a fait le malpour nourrir une femme 6+6 a
Et des enfants sans pain ;mais vous, avez-vous faim ? 6+6 b
Vous le tuez. Pourquoi ?Trouvez-vous bon qu'enfin 6+6 b
Le crime et la justiceaient la même figure ? 6+6 a
O mort, sauvage oiseau,qui sait ton envergure ? 6+6 a
1275 Tes ailes couvriraientl'horizon de la mer. 6+6 b
La blanche touche au cielet la noire à l'enfer. 6+6 b
Que savons-nous ? Hélas !le prêtre craint la bible. 6+6 a
Notre âme glisse au bordsinistre du possible. 6+6 a
La conscience humainehabite un cabanon. 6+6 b
1280 Ce que vous faites là,le comprenez-vous ? Non. 6+6 b
Avez-vous jamais vuquelqu'un tomber dans l'ombre ? 6+6 a
Vous représentez-vousl'immense chute sombre, 6+6 a
Le gouffre, l'infiniplein d'un vague courroux, 6+6 b
Ce damné tombant là ?Vous représentez-vous 6+6 b
1285 L'ouverture des mainsterribles dans l'abîme ? 6+6 a
Horreur ! l'homme interromptle silence sublime, 6+6 a
Lui que Dieu mit sur terreafin qu'il attendît. 6+6 b
La justice d'en basprend la parole et dit : 6+6 b
O justice d'en haut,c'est moi qui suis la vraie ! 6+6 a
1290 Fils, croyez un vieillard,nous sommes tous l'ivraie. 6+6 a
À peine apeoit-onla faulx ; quant à la main, 6+6 b
Cachée en ce lieu noirqu'on appelle Demain, 6+6 b
Nous ne la voyons pas.Elle frappe à son heure. 6+6 a
Tuer cet homme ! ô ciel !il me fait peur. Je pleure. 6+6 a
1295 Est-ce qu'il est à moi ?Qu'est-il ? Dieu seul le sait. 6+6 b
Tuer, sans pouvoir direau juste ce que c'est, 6+6 b
L'homme au-dessus duquelle ciel profond diffère. 6+6 a
Avez-vous bien peséce que vous allez faire ? 6+6 a
Vous figurez-vous, juge,et toi, peuple inclément, 6+6 b
1300 L'aile étrange que peutdéployer brusquement 6+6 b
L'être subit, sortidu viol de la tombe ? 6+6 a
Vautour peut-être, hélas !mais peut-être colombe. 6+6 a
Vous dites-vous ceci :S'il était innocent ? 6+6 b
Peut-être il monte alorsqu'on pense qu'il descend. 6+6 b
1305 Que devient votre arrêtdevant Dieu ? Les ténèbres 6+6 a
Peuvent faire à nos loisdes réponses funèbres. 6+6 a
Soyons prudents devantce que nous ignorons. 6+6 b
La terre est un point sombreavec des environs 6+6 b
Illimités de brumeet d'espace farouche. 6+6 a
1310 Tout l'infini frémitd'un atome qu'on touche. 6+6 a
N'est-il pas monstrueuxde penser que la loi 6+6 b
Et l'homme, en cette lutte l'on sent de l'effroi, 6+6 b
Mêlent des quantitésinégales de crime ? 6+6 a
Vous êtes regardéspar dessus l'âpre cime ; 6+6 a
1315 Ne faites pas pleurerles invisibles yeux. 6+6 b
Vous avez des témoinsattentifs dans les cieux ; 6+6 b
Ne les indignez pas,ne leur faites pas dire : 6+6 a
L'homme tue au hasard.L'homme, en proie au délire, 6+6 a
A dans de l'inconnujeté de l'ignoré. 6+6 b
1320 Ah ! c'est un attentattriste et démesuré 6+6 b
De jeter quelque choseà la noirceur muette, 6+6 a
Sans savoir l'on jetteet savoir ce' qu'on jette, 6+6 a
D'accrtre la stupeurdu gouffre avec ce bruit, 6+6 b
La hache, et d'envoyerde l'ombre à de la nuit ! 6+6 b
PENSIF DEVANT LA NUIT
1325 La prière contempleet la science observe. 6+6 a
Quand, dans le cltre noirde la sainte Minerve, 6+6 a
Galilée abjurait,vaincu, qu'abjurait-il ? 6+6 b
Dieu. C'est Dieu qu'entrevoitde loin l'homme en exil. 6+6 b
Des épaisseurs de nuitprofonde nous entourent. 6+6 a
1330 Les mondes par des feuxéchangés se secourent ; 6+6 a
Car, ciel sombre, on ne saitquels gouffres sont ouverts. 6+6 b
L'astre fait des envoisde rayons, à travers 6+6 b
L'espace et l'étendueimmense, à d'autres astres. 6+6 a
L'azur a ses combats ;le ciel a ses désastres ; 6+6 a
1335 Parfois le mage, au fonddes firmaments vermeils, 6+6 b
Distingue d'effrayantsnaufrages de soleils ; 6+6 b
À voir l'effarementdes pâles météores 6+6 a
On devine une étrangeextinction d'aurores, 6+6 a
Quelque part, dans l'horreurdu zénith ignoré. 6+6 b
1340 Dieu seul sait l'étiageet connt le degré 6+6 b
Jusqu' doit crtre ou fuirla marée inconnue. 6+6 a
L'univers n'est pas moinsremué que la nue 6+6 a
Par un souffle ; et ce soufflea lui-même sa loi. 6+6 b
Le savant dit : Comment ?le penseur dit : Pourquoi ? 6+6 b
1345 La réponse d'en hautse perd dans les vertiges. 6+6 a
L'ombre est une descenteobscure de prodiges. 6+6 a
Sans cesse l'inconnupasse devant nos yeux. 6+6 b
Mais, ombre, qu'est-il doncde stable sous les cieux ? 6+6 b
La justice, dit l'ombre.Aucun vent ne l'emporte. 6+6 a
1350 C'est pourquoi, nous pasteurs,nous devons faire en sorte 6+6 a
Que l'homme reste bonet sincère au milieu 6+6 b
De tous les changementsd'équilibre de Dieu. 6+6 b
ENTRANT À JÉRUSALEM
Peuple, j'ai dit au Mondeet j'ai dit à la Ville : 6+6 a
Plus de guerre étrangèreet de guerre civile. 6+6 a
1355 Plus d'échafaud. Devantle ciel bleu Liberté, 6+6 b
Égalité devantla mort, Fraternité 6+6 b
Devant le Père. Aimons.Force, aide la faiblesse. 6+6 a
Éclairez qui vous nuit ;guérissez qui vous blesse. 6+6 a
Paix et pardon. Soyezcléments aux criminels. 6+6 b
1360 Le droit des bons c'est d'êtreau méchant fraternels ; 6+6 b
Le juste qui n'a pasd'amour sort du précepte ; 6+6 a
Et le soleil n'est plusle soleil s'il excepte 6+6 a
Les tigres et les loupsde son rayonnement. 6+6 b
J'ai montré dans le cielle grand désarmement, 6+6 b
1365 L'équilibre, la loi,l'azur, l'astre, l'aurore. 6+6 a
J'ai dit : Pitié ! laissezle repentir éclore. 6+6 a
Juges, pensez ; bourreaux,reculez ; vis, Caïn. 6+6 b
À qui n'a plus hierne prenez pas demain ; 6+6 b
Laissez à tous le tempsde racheter les fautes. 6+6 a
1370 Soyez d'humbles songeurs,soyez des âmes hautes. 6+6 a
Riches, c'est en donnantqu'on s'enrichit ; semez. 6+6 b
Pauvres, la pauvretén'est point la haine ; aimez. 6+6 b
Toute bonne penséeest une délivrance. 6+6 a
Si noir que soit le deuil,conservez l'espérance ; 6+6 a
1375 Car rien n'est plein, de nuitsans être plein de ciel. 6+6 b
La haine est un vent sombreet pestilentiel ; 6+6 b
Aimez, aimez, aimez,aimez, — soyez des frères. 6+6 a
Et maintenant, ayantfait face aux téméraires, 6+6 a
Ayant lavé le fonddu vase baptismal, 6+6 b
1380 Ayant diminuésur la terre le mal, 6+6 b
Vieillard pensif qui n'aid'autre force que d'être 6+6 a
Chez les peuples un pauvreet chez les rois un prêtre, 6+6 a
Compagnon des douleurs,des exils, des grabats, 6+6 b
Je viens près de celuiqui fit voir ici-bas 6+6 b
1385 Toute la quantitéde Dieu qui tient dans l'homme ; 6+6 a
Je prends Jérusalemet je vous laisse Rome, 6+6 a
Jérusalem étantle véritable lieu. 6+6 b
Hommes, je viens me mettreen prière chez Dieu. 6+6 b
Je ne me sens réelque sur ce mont sévère ; 6+6 a
1390 L'ombre est au Capitoleet l'âme est au Calvaire ; 6+6 a
Là-haut l'ange et le sainttrouvent que j'ai raison, 6+6 b
Quittant César pour Christ,de changer de maison, 6+6 b
Et je monte, appuyésur l'aigle et la colombe, 6+6 a
De ce bas-fond, le trône,à ce sommet, la tombe. 6+6 a
1395 Je me fais serviteurdu sépulcre, sentant 6+6 b
Près de moi le grand cœurde Jésus palpitant. 6+6 b
O rois, je hais la pourpreet j'aime le suaire ; 6+6 a
Et j'habite la vie,ô rois ! vous l'ossuaire. 6+6 a
Car la toute-puissanceest un squelette noir. 6+6 b
1400 L'homme tend une mainau mal, l'autre à l'espoir ; 6+6 b
Tantôt il court, tantôtil trébuche, et je mène 6+6 a
Et j'éclaire quiconqueaide la marche humaine. 6+6 a
Allons en avant. L'ombreest morte ; et déjà tous 6+6 b
Nous sentons la chaleurd'un avenir plus doux. 6+6 b
1405 Nous nous sommes trouvés ;longtemps nous nous cherchâmes. 6+6 a
J'ai marché dans la vasteobscurité des âmes ; 6+6 a
Je vous ai dit : Je suisle jour. Pour vous je nais. 6+6 b
Et vous êtes venus,voyant que je venais. 6+6 b
O vivants, ouvriersde l'œuvre universelle, 6+6 a
1410 Travaillez ; que l'enclumeéternelle étincelle ; 6+6 a
Soyez purs, soyez doux,soyez frais, soyez bons. 6+6 b
Tous sur le grand travailsacré nous nous courbons. 6+6 b
Nous prêtres, nous prions.Puisse notre prière, 6+6 a
Sortie amour de nous,entrer en vous lumière ! 6+6 a
1415 Peuple, aimez. On devientlumineux en aimant. 6+6 b
Ce serait être injusteenvers le firmament 6+6 b
Que de répondre aux feuxd'en haut par nos ténèbres. 6+6 a
Que, l'azur étant pur,les âmes soient funèbres, 6+6 a
C'est mal ; et l'Éternela fait les vérités, 6+6 b
1420 Les devoirs, les vertus,afin que leurs clartés 6+6 b
Illuminent le sombreintérieur des hommes ; 6+6 a
Et pour que, dans le mondeinsondable nous sommes, 6+6 a
Et devant l'infiniplein d'invisibles yeux, 6+6 b
Les cœurs ne soient pas moinsétoiles que les cieux. 6+6 b
Peuples, aimez-vous. Paixà tous.
LES HOMMES
1425 Sois béni, père. 6+6 a
DIEU
Fils, sois béni.
SCÈNE DEUXIÈME
RÉVEIL
Le Vatican. — La chambre du pape. — Le matin.
LE PAPE
se réveillant.
Quel rêveaffreux je viens de faire ! 6+6 a
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