Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_18/HUG677
Victor HUGO
LA VOIX DE GUERNESEY
1867
LA VOIX DE GUERNESEY
À GARIBALDI
Un français c’est la France, un romain contient Rome
Et ce qui brise un peuple avorte au pieds d’un homme.
I
Ces jeunes gens, ces fils | de Brutus, de Camille, 6+6 a
De Thraséas combien | étaient-ils ? quatre mille. 6+6 a
Combien sont morts ? six cents. | Six cents ! comptez, voyez. 6+6 b
Une dispersion | de membres foudroyés, 6+6 b
5 Des bras rompus, des yeux | troués et noirs, des ventres 6+6 a
Où fouillent en hurlant | les loups sortis des antres, 6+6 a
De la chair mitraillée | au milieu des buissons, 6+6 b
C’est là tout ce qui reste, | après les trahisons, 6+6 b
Après le piège, après | les guet-apens infâmes, 6+6 a
10 Hélas, de ces grands cœurs | et de ces grandes âmes ! 6+6 a
Voyez. On les a tous | fauchés d’un coup de faulx. 6+6 b
Leur crime ? ils voulaient Rome | et ses arcs triomphaux ; 6+6 b
Ils défendaient l’honneur | et le droit, ces chimères. 6+6 a
Venez, reconnaissez | vos enfants, venez, mères ! 6+6 a
15 Car pour qui l’allaita, | l’homme est toujours l’enfant. 6+6 b
Tenez ; ce front hagard, | qu’une balle ouvre et fend, 6+6 b
C’est humble tête blonde | où jadis, pauvre femme, 6+6 a
Tu voyais rayonner | l’aurore et poindre l’âme ; 6+6 a
Ces lèvres, dont l’écume | a souillé le gazon, 6+6 b
20 O nourrice, après toi | bégayaient ta chanson ; 6+6 b
Cette main froide, auprès | de ces paupières closes, 6+6 a
A fait jaillir ton lait | sous ses petits doigts roses ; 6+6 a
Voici le premier-né ; | voici le dernier-né. 6+6 b
O d’espérance éteinte | amas infortuné ! 6+6 b
25 Pleurs profonds ! ils vivaient ; | ils réclamaient leur Tibre ; 6+6 a
Être jeune n’est pas | complet sans être libre ; 6+6 a
Ils voulaient voir leur aigle | immense s’envoler ; 6+6 b
Ils voulaient affranchir, | réparer, consoler ; 6+6 b
Chacun portait en soi, | pieuse idolâtrie, 6+6 a
30 Le total des affronts | soufferts par la patrie ; 6+6 a
Ils savaient tout compter, | tout, hors les ennemis ; 6+6 b
Beaux, vaillants, jeunes, morts ! | Adieux, nos doux amis, 6+6 b
Les heures de lumière | et d’amour sont passées, 6+6 a
Vous n’effeuillerez plus | avec vos fiancées 6+6 a
35 L’humble étoile des prés | qui rayonne et fleurit… 6+6 b
Que de sang sur ce prêtre, | ô pâle Jésus-Christ ! 6+6 b
Pontife élu que l’ange | a touché de sa palme, 6+6 a
À qui Dieu commanda | de tenir, doux et calme, 6+6 a
Son évangile ouvert | sur le monde orphelin, 6+6 b
40 O frère universel | à la robe de lin, 6+6 b
À demi dans la chaire, | à demi dans la tombe, 6+6 a
Serviteur de l’agneau, | gardien de la colombe, 6+6 a
Qui des cieux dans ta main | portes le lys tremblant, 6+6 b
Homme près de ta fin, | car ton front est tout blanc 6+6 b
45 Et le vent du sépulcre | en tes cheveux se joue, 6+6 a
Vicaire de celui | qui tendait l’autre joue, 6+6 a
À cette heure, ô semeur | des pardons infinis, 6+6 b
Ce qui plaît à ton cœur | et ce que tu bénis 6+6 b
Sur notre sombre terre | où l’âme humaine lutte, 6+6 a
50 C’est un fusil tuant | douze hommes par minute ! 6+6 a
Jules deux reparaît | sous ma mitre de fer. 6+6 b
La papauté féroce | avoue enfin l’enfer. 6+6 b
Certes, l’outil du meurtre | a bien rempli sa tâche ; 6+6 a
Ces rois ! leur foudre est traitre | et leur tonnerre est lâche. 6+6 a
55 Avoir été trop grands, | Français, c’est importun : 6+6 b
Jadis un contre dix, | aujourd’hui dix contre un. 6+6 b
France, on te déshonore, | on te traîne, on te lie, 6+6 a
Et l’on te force à mettre | au bagne l’Italie. 6+6 a
Voilà ce qu’on te fait, | colosse en proie aux mains ! 6+6 b
60 Un ruisseau fumant coule | au flanc des Apennins. 6+6 b
II
O sinistre vieillard, | te voilà responsable 6+6 a
Du vautour déterrant | un crâne dans le sable, 6+6 a
Et du croassement | lugubre des corbeaux ! 6+6 b
Emplissez désormais | ses visions, tombeaux, 6+6 b
65 Paysages hideux | où rôdent les belettes, 6+6 a
Silhouettes d’oiseaux | perchés sur des squelettes ! 6+6 a
S’il dort, apparais-lui, | champ de bataille noir ! 6+6 b
Les canons sont tout chauds ; | ils ont fait leur devoir ; 6+6 b
La mitraille invoquée | a tenu sa promesse ; 6+6 a
70 C’est fait. Les morts sont morts. | Maintenant dis ta messe. 6+6 a
Prends dans tes doigts l’hostie | en t’essuyant un peu, 6+6 b
Car il ne faudrait pas | mettre du sang à Dieu ! 6+6 b
Du reste tout est bien. | La France n’est pas fière ; 6+6 a
Le roi de Prusse a ri ; | le denier de Saint-Pierre 6+6 a
75 Prospère, et l’Irlandais | donne son dernier sou ; 6+6 b
Le peuple cède et met | en terre le genou ; 6+6 b
De peur qu’on ne le fauche ; | il plie, étant de l’herbe ; 6+6 a
On reprend Frosinone | et l’on rentre à Viterbe ; 6+6 a
Le czar a commandé | son service divin ; 6+6 b
80 Partout où quelque mort | blêmit dans un ravin, 6+6 b
Le rat joyeux le ronge | en tremblant qu’il ne bouge ; 6+6 a
Ici la terre est noire ; | ici la plaine est rouge ; 6+6 a
Garibaldi n’est plus | qu’un vain nom immortel ; 6+6 b
Comme Léonidas, | comme Guillaume Tell ; 6+6 b
85 Le pape, à la Sixtine, | au Gésu, chez les Carmes, 6+6 a
Met tous ses diamants ; | tendre ; il répand des larmes 6+6 a
De joie ; il est très doux ; | il parle du succès 6+6 b
De ses armes ; du sang | versé, des bons Français, 6+6 b
Des quantités de plomb | que la bombarde jette, 6+6 a
90 Modestement, les yeux | baissés, comme un poète 6+6 a
Se fait un peu prier | pour réciter ses vers 6+6 b
De convois de blessés | les chemins sont couverts. 6+6 b
Partout rit la victoire. |
Utilité des traîtres. 6+6 a
Dans les perles, la soie | et l’or, parmi tes reîtres 6+6 a
95 Qu’hier, du doigts, aux champs | de meurtre, tu guidais, 6+6 b
Pape, assis, sur ton trône | et siégeant, sous ton dais, 6+6 b
Coiffé de ta tiare | aux trois couronnes, prêtre, 6+6 a
Tu verras quelque jour | au Vatican peut-être 6+6 a
Entrer un homme triste | et de haillons vêtu, 6+6 b
100 Un pauvre, un inconnu. | Tu lui diras : ― Qu’es-tu, 6+6 b
Passant ? que me veux-tu ? | sors-tu de quelque geôle ? 6+6 a
Pourquoi voit-on ces brins | de laine à ton épaule ? 6+6 a
― Une brebis était | tout à l’heure dessus, 6+6 b
Répondra-t-il. Je viens | de loin. Je suis Jésus. 6+6 b
III
105 Une chaîne au héros ! | une corde à l’apôtre ! 6+6 a
John Brown, Garibaldi, | passez l’un après l’autre. 6+6 a
Quel est ce prisonnier ? | c’est le libérateur. 6+6 b
Sur la terre, en tous lieux, | du pôle à l’équateur ; 6+6 b
L’iniquité prévaut, | règne, triomphe, et mène 6+6 a
110 De force aux lâchetés | la conscience humaine. 6+6 a
O prodiges de honte ! | étranges impudeurs ! 6+6 b
On accepte un soufflet | par des ambassadeurs. 6+6 b
On jette aux fers celui | qui nous a fait l’aumône. 6+6 a
― Tu sais, je t’ai blâmé | de lui donner ce trône ! ― 6+6 a
115 On était gentilhomme, | on devient alguazil. 6+6 b
Débiteur d’un royaume, | on paie avec l’exil. 6+6 b
Pourquoi pas ? on est vil. | C’est qu’on en reçoit l’ordre. 6+6 a
Rampons. Lécher le maître | est plus sûr que le mordre. 6+6 a
D’ailleurs tout est logique. | Où sont les contresens ? 6+6 b
120 La gloire a le cachot, | mais le crime a l’encens ; 6+6 b
De quoi vous plaignez-vous ? | l’infâme étant l’auguste, 6+6 a
Le vrai doit être faux, | et la balance est juste. 6+6 a
On dit au soldat : frappe ! | il doit frapper. La mort 6+6 b
Est la servante sombre | aux ordres du plus fort. 6+6 b
125 Et puis, l’aigle peut bien | venir en aide au cygne ! 6+6 a
Mitrailler est le dogme | et croire est la consigne. 6+6 a
Qu’est pour nous le soldat ? | du fer sur un valet. 6+6 b
Le pape veut avoir | son Sadowa ; qu’il l’ait. 6+6 b
Quoi donc ? en viendra-t-on | dans le siècle où nous sommes, 6+6 a
130 À mettre en question | le vieux droit qu’ont les hommes 6+6 a
D’obéir à leur prince | et de s’entretuer ? 6+6 b
Au prétendu progrès | pourquoi s’évertuer 6+6 b
Quand l’humble populace | est surtout coutumière ? 6+6 a
La masse a plus de calme | ayant moins de lumière. 6+6 a
135 Tous les grands intérêts | des peuples, l’échafaud, 6+6 b
La guerre, le budget, | l’ignorance qu’il faut, 6+6 b
Courent moins de dangers | et sont en équilibre 6+6 a
Sur l’homme garrotté | mieux que sur l’homme libre. 6+6 a
L’homme libre se meut | et cause un tremblement. 6+6 b
140 Un Garibaldi peut | tout rompre à tout moment ; 6+6 b
Il entraîne après lui | la foule, qui déserte 6+6 a
Et passe à l’idéal. | C’est grave. On comprend, certe, 6+6 a
Que la société, | sur qui veillent les cours, 6+6 b
Doit trembler et frémir | et crier au secours, 6+6 b
145 Tant qu’un héros n’est pas | mis hors d’état de nuire. 6+6 a
Le phare aux yeux de l’ombre | est coupable de luire. 6+6 a
IV
Votre Garibaldi | n’a pas trouvé le joint. 6+6 b
Ça, le but de tout homme | ici-bas n’est-il point 6+6 b
De tâcher d’être dupe | aussi peu que possible ? 6+6 a
150 Jouir est bon. La vie | est un tir à la cible. 6+6 a
Le scrupule en haillons | grelotte ; je le plains. 6+6 b
Rien n’a plus de vertu | que les coffres-forts pleins. 6+6 b
Il est de l’intérêt | de tous qu’on ait des princes 6+6 a
Qui fassent refluer | leur or dans les provinces ; 6+6 a
155 C’est pour cela qu’un roi | doit être riche ; avoir 6+6 b
Une liste civile | énorme est son devoir ; 6+6 b
Le pape, qu’on voudrait | confiner dans les astres 6+6 a
Est un roi comme un autre. | Il a besoin de piastres, 6+6 a
Que diable ! l’opulence | est le droit du saint lieu ; 6+6 b
160 Il faut dorer le pape | afin de prouver Dieu ; 6+6 b
N’avoir pas une pierre | où reposer sa tête 6+6 a
Est bon pour Jésus-Christ. | La loque est déshonnête. 6+6 a
Voyons la question | par le côté moral. 6+6 b
Le but du colonel | est d’être général, 6+6 b
165 Le but du maréchal | est d’être connétable ! 6+6 a
Avant tout, mon paiement. | Mettons cartes sur table. 6+6 a
Un renégat a tort | tant qu’il n’est pas muchir ; 6+6 b
Alors il a raison. | S’arrondir, s’enrichir, 6+6 b
Tout est là. Regardez, | nous prenons les Hanovres. 6+6 a
170 Et quant à ces bandits | qui veulent rester pauvres, 6+6 a
Ils sont les ennemis | publics. Sus ! hors la loi ! 6+6 b
Ils donnent le mauvais | exemple. Coffrez-moi 6+6 b
Ce gueux, qui, dictateur, | n’a rien mis dans sa poche. 6+6 a
On se heurte, au battant | lorsqu’on touche à la cloche, 6+6 a
175 Et lorsqu’on touche au prêtre | on se heurte au soudard. 6+6 b
Morbleu, la papauté | n’est pas un objet d’art ! 6+6 b
Par le sabre en Espagne, | en Prusse par la schlague, 6+6 a
Par la censure en France, | on modère, on élague 6+6 a
L’excès de rêverie | et de tendance au droit, 6+6 b
180 Le peuple est pour le, prince | un soulier fort étroit ; 6+6 b
L’élargir en l’usant | aux marches militaires 6+6 a
Est utile : Un pontife, | en ses sermons austères 6+6 a
Sait rattacher au ciel | nos lois, qu’on nomme abus, 6+6 b
Et le knout en latin | s’appelle Syllabus. 6+6 b
185 L’ordre est tout. Le fusil | Chassepot est suave. 6+6 a
Le progrès est béni ; | dans quoi ? dans le zouave ; 6+6 a
Les boulets sont bénis | dans leurs coups ; le chacal 6+6 b
Est béni dans sa faim, | s’il est pontifical. 6+6 b
Nous trouvons excellent, | quant à nous, que le pape 6+6 a
190 Rie au nez de ce siècle | inepte, écrase, frappe ; 6+6 a
Et, du moment qu’on veut | lui prendre son argent, 6+6 b
Se fasse carrément | recruteur et sergent, 6+6 b
Pousse à la guerre, et crie : | à mort quiconque est libre ! 6+6 a
Qu’il recommande au prône, | un obus de calibre, 6+6 a
195 Qu’il dise, en achevant | sa prière ; Égorgez ! 6+6 b
Envoie aux combattants | force fourgons chargés ; 6+6 b
De la poudre, du plomb, | du fer, et ravitaille 6+6 a
L’extermination | sur les champs de bataille ! 6+6 a
V
Qu’il aille donc ! qu’il aille, | emportant son mandat, 6+6 b
200 Ce chevalier errant | des peuples, ce soldat, 6+6 b
Ce paladin, ce preux | de l’idéal ! qu’il parte. 6+6 a
Nous, les proscrits d’Athène, | à ce proscrit de Sparte, 6+6 a
Ouvrons nos seuils ; qu’il soit | notre hôte maintenant ; 6+6 b
Qu’en notre maison sombre | il entre rayonnant. 6+6 b
205 Oui, viens, chacun de nous, | frère à l’âme meurtrie, 6+6 a
Veut avec son exil | te faire une patrie ! 6+6 a
Viens, assieds-toi chez ceux | qui n’ont plus de foyer. 6+6 b
Viens, toi qu’on a pu vaincre | et qu’on n’a pu ployer ! 6+6 b
Nous chercherons quel est | le nom de l’espérance ; 6+6 a
210 Nous dirons : Italie ! | et tu répondras : France ! 6+6 a
Et nous regarderons, | car le soir fait rêver, 6+6 b
En attendant les droits, | les astres se lever. 6+6 b
L’amour du genre humain | se double d’une haine 6+6 a
Égale au poids du joug, | au froid noir de la chaîne, 6+6 a
215 Aux mensonges du prêtre, | aux cruautés du roi. 6+6 b
Nous sommes rugissants | et terribles. Pourquoi ? 6+6 b
Parce que nous aimons. | Toutes ces humbles têtes, 6+6 a
Nous voulons les voir croître | et nous sommes des bêtes 6+6 a
Dans l’antre, et nous avons | les peuples pour petits. 6+6 b
220 Jetés au même écueil, | mais non pas engloutis, 6+6 b
Frère, nous nous dirons | tous les deux notre histoire ; 6+6 a
Tu me raconteras | Palerme et ta victoire, 6+6 a
Je te dirai Paris, | sa chute, et nos sanglots, 6+6 b
Et nous lirons ensemble | Homère au bord des flots. 6+6 b
225 Puis, tu continueras | ta marche âpre et hardie. 6+6 a
Et, là-bas, la lueur | deviendra l’incendie. 6+6 a
VI
Ah ! race italienne, | il était ton appui ! 6+6 b
Ah ! vous auriez eu Rome, | ô peuples, grâce à lui, 6+6 b
Grâce au bras du guerrier, | grâce au cœur du prophète. 6+6 a
230 D’abord il l’eût donnée, | ensuite il l’eût refaite. 6+6 a
Oui, calme, ayant en lui | de la grandeur assez 6+6 b
Pour s’ajouter sans trouble | aux héros trépassés, 6+6 b
Il eût reforgé Rome ; | il eût mêlé l’exemple 6+6 a
Du vieux sépulcre avec | l’exemple du vieux temple, 6+6 a
235 Il eût mêlé Turin ; | Pise, Albe, Velletri, 6+6 b
Le Capitole avec | le Vésuve, et pétri 6+6 b
L’âme de Juvénal | avec l’âme du Dante ; 6+6 a
Il eût trempé d’airain | la fibre indépendante ; 6+6 a
Il vous eût des titans | montré les fiers chemins. 6+6 b
240 Pleurez, Italiens ! | il vous eût faits Romains. 6+6 b
VII
Le crime est consommé. | Qui l’a commis ? ce pape ? 6+6 a
Non. Ce roi ? non. Le glaive | à leur bras faible échappe. 6+6 a
Qui donc et le coupable | alors ? Lui. L’homme obscur, 6+6 b
Celui qui s’embusqua | derrière notre mur ; 6+6 b
245 Le fils du Sinon grec | et du Judas biblique ; 6+6 a
Celui qui, souriant, | guetta la république, 6+6 a
Son serment sur le front, | son poignard à la main. 6+6 b
Il est parmi vous, rois, | ô groupe à peine humain, 6+6 b
Un homme que l’éclair | de temps en temps regarde. 6+6 a
250 Ce condamné, qui triple ’ |autour de lui sa garde, 6+6 a
Perd sa peine. Son tour | approche. Quand ? bientôt. 6+6 b
C’est pourquoi l’on entend | un grondement là haut. 6+6 b
L’ombre est sur vos palais, | ô rois. La nuit l’apporte. 6+6 a
Tel que l’exécuteur | frappant à votre porte, 6+6 a
255 Le tonnerre demande | à parler à quelqu’un. 6+6 b
Et cependant l’odeur | des morts, affreux parfum 6+6 b
Qui se mêle à l’encens, | des Te deum superbes, 6+6 a
Monte du fond des bois, | du fond des prés pleins d’herbes, 6+6 a
Des steppes, des marais, | des vallons, en tous lieux ! 6+6 b
260 Au fatal boulevard | de Paris oublieux, 6+6 b
Au Mexique, en Pologne, | en Crète où la nuit tombe, 6+6 a
En Italie, on sent | un miasme de tombe, 6+6 a
Comme si, sur ce globe | et sous le firmament, 6+6 b
Étant dans sa saison | d’épanouissement, 6+6 b
265 Vaste mancenillier | de la terre en démence, 6+6 a
Le carnage vermeil | ouvrait sa fleur immense. 6+6 a
Partout des égorgés ! | des massacrés partout ! 6+6 b
Le cadavre est à terre | et l’idée est debout. 6+6 b
Ils gisent étendus | dans les plaines farouches. 6+6 a
270 L’appel aux armes flotte | au dessus de leurs bouches. 6+6 a
On les dirait semés. | Ils le sont. Le sillon 6+6 b
Se nomme Liberté. | ― La mort est l’aquilon, 6+6 b
Et les morts glorieux | sont la graine sublime 6+6 a
Qu’elle disperse au loin | sur l’avenir, abîme. 6+6 a
275 Germez, héros ! et vous, | cadavres, pourrissez. 6+6 b
Fais ton œuvre, ô mystère ! | épars, nus, hérissés, 6+6 b
Béants, montrant au ciel | leurs bras coupés qui pendent, 6+6 a
Tous ces exterminés, | immobiles attendent. 6+6 a
Et tandis que les rois, | joyeux et désastreux, 6+6 b
280 Font une fête auguste | et triomphale entre eux, 6+6 b
Tandis que leur Olympe | abonde, au fond des nues, 6+6 a
En fanfare, en festins, | en joie, en gorges nues, 6+6 a
Rit, chante, et, sur nos fronts, | montre aux hommes contents 6+6 b
Une fraternité | de czars et de sultans, 6+6 b
285 De son côté, là-bas, | au désert, sous la bise, 6+6 a
Dans l’ombre avec la mort | le vautour fraternise ; 6+6 a
Les bêtes du sépulcre | ont leur vil rendez-vous ; 6+6 b
Le freux, la louche orfraie, | et le pygargue roux, 6+6 b
L’âpre autour, les milans, | féroces hirondelles, 6+6 a
290 Volent droit aux charniers, | et tous, à tire d’ailes, 6+6 a
Se hâtent vers les morts, | et ces rauques oiseaux 6+6 b
S’abattent, l’un mordant | la chair, l’autre les os, 6+6 b
Et, criant, s’appelant, | le feu sous les paupières, 6+6 a
Viennent boire le sang | qui coule entre les pierres. 6+6 a
VIII
295 O peuple, noir dormeur, | quand t’éveilleras-tu ? 6+6 b
Rester couché sied mal | à qui fut abattu. 6+6 b
Tu dors, avec ton sang | sur les mains, et, stigmate 6+6 a
Que t’a laissé l’abjecte | et dure casemate, 6+6 a
La marque d’une corde | autour de tes poignets. 6+6 b
300 Qu’as-tu fait de ton âme, | ô toi qui t’indignais ! 6+6 b
L’empire est une cave, | et toutes les espèces 6+6 a
De nuit te tiennent pris | sous leurs brumes épaisses. 6+6 a
Tu dors, oubliant tout, | ta grandeur, son complot, 6+6 b
La liberté, le droit, | ces lumières d’en haut ; 6+6 b
305 Tu fermes les yeux, lourd, | gisant sous d’affreux voiles, 6+6 a
Sans souci de l’affront | que tu fais aux étoiles ! 6+6 a
Allons, remue. Allons, | mets-toi sur ton séant. 6+6 b
Qu’on voie enfin bouger | le torse du géant. 6+6 b
La longueur du sommeil | devient ignominie. 6+6 a
310 Es-tu las ? es-tu sourd ? | es-tu mort ? Je le nie. 6+6 a
N’as-tu pas conscience | en ton accablement 6+6 b
Que l’opprobre s’accroît | de moment en moment ? 6+6 b
N’entends-tu pas qu’on marche | au dessus de ta tête ? 6+6 a
Ce sont les rois. Ils font | le mal. Ils sont en fête. 6+6 a
315 Tu dors sur ce fumier, | toi qui fus citoyen ! 6+6 b
Te voilà devenu | bête de somme. Eh bien, 6+6 b
L’âne se lève, et brait ; | le bœuf se dresse et beugle. 6+6 a
Cherche donc dans la nuit | puisqu’on t’a fait aveugle ! 6+6 a
O toi qui fus si grand, | debout ! car il est tard. 6+6 b
320 Dans cette obscurité | l’on peut mettre au hasard 6+6 b
La main sur de la honte | ou bien sur de la gloire ; 6+6 a
Étends le bras le long | de la muraille noire ; 6+6 a
L’inattendu dans l’ombre | ici peut se cacher ; 6+6 b
Tu parviendras peut-être | à trouver, à toucher, 6+6 b
325 À saisir une épée | entre tes poings funèbres, 6+6 a
Dans le tâtonnement | farouche des ténèbres ! 6+6 a
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