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| = césure
HUG_17/HUG392
Victor HUGO
CHÂTIMENTS
1853
LIVRE VII
LES SAUVEURS SE SAUVERONT
XII
FORCE DES CHOSES
Que devant les coquins l'honnête homme soupire ; 6+6 a
Que l'histoire soit laide et plate ; que l'empire 6+6 a
Boite avec Talleyrand ou louche avec Parieu ; 6+6 b
Qu'un tour d'escroc bien fait ait nom grâce de Dieu ; 6+6 b
5 Que le pape en massue ait changé sa houlette ; 6+6 a
Qu'on voie au Champ-de-Mars piaffer sous l'épaulette 6+6 a
Le Meurtre général, le Vol aide-de-camp ; 6+6 b
Que hors de l'Élysée un prince débusquant, 6+6 b
Qu'un flibustier quittant l'île de la Tortue, 6+6 a
10 Assassine, extermine, égorge, pille et tue ; 6+6 a
Que les bonzes chrétiens, cognant sur leur tam tam, 6+6 b
Hurlent devant Soufflard : attolite portam ! 6+6 b
Que pour claqueurs le crime ait cent journaux infâmes, 6+6 a
Ceux qu'à la Maison d'Or, sur les genoux des femmes, 6+6 a
15 Griffonnent les Romieux, le verre en main, et ceux 6+6 b
Que saint Ignace inspire à des gredins crasseux ; 6+6 b
Qu'en ces vils tribunaux où le regard se heurte 6+6 a
De Moreau de la Seine à Moreau de la Meurthe, 6+6 a
La justice ait reçu d'horribles horions ; 6+6 b
20 Que, sur un lit de camp, par des centurions 6+6 b
La loi soit violée et râle à l'agonie ; 6+6 a
Que cet être choisi, créé par Dieu génie, 6+6 a
L'homme, adore à genoux le loup fait empereur ; 6+6 b
Qu'en un éclat de rire abrégé par l'horreur, 6+6 b
25 Tout ce que nous voyons aujourd'hui se résume ; 6+6 a
Qu'Hautpoul vende son sabre et Cucheval sa plume ; 6+6 a
Que tous les grands bandits, en petit copiés, 6+6 b
Revivent ; qu'on emplisse un Sénat, de plats pieds 6+6 b
Dont la servili négresse et mamelouque 6+6 a
30 Eût révolté Mahmoud et lasserait Soulouque ; 6+6 a
Que l'or soit le seul culte, et qu'en ce temps vénal, 6+6 b
Coffre-fort étant Dieu, Gousset soit cardinal ; 6+6 b
Que la vieille Thémis ne soit plus qu'une gouine 6+6 a
Baisant Mandrin dans l'antre où Mongis baragouine ; 6+6 a
35 Que Montalembert bave accoudé sur l'autel ; 6+6 b
Que Veuillot sur Sibour crève sa poche au fiel ; 6+6 b
Qu'on voie aux bals de cour s'étaler des guenipes 6+6 a
Qui le long des trottoirs trnaient hier leurs nippes, 6+6 a
Beautés de lansquenet avec un profil grec ; 6+6 b
40 Que Haynau dans Brescia soit pire que Lautrec ; 6+6 b
Que partout, des Sept-Tours aux colonnes d'Hercule, 6+6 a
Napoléon, le poing sur la hanche, recule, 6+6 a
Car l'aigle est vieux, Essling grisonne, Marengo 6+6 b
À la goutte, Austerlitz est pris d'un lumbago ; 6+6 b
45 Que le czar russe ait peur tout autant que le nôtre ; 6+6 a
Que l'ours noir et l'ours blanc tremblent l'un devant l'autre ; 6+6 a
Qu'avec son grand panache et sur son grand cheval, 6+6 b
Rayonne Saint-Arnaud, ci-devant Florival, 6+6 b
Fort dans la pantomime et les combats-à-l'hache ; 6+6 a
50 Que Sodome se montre et que Paris se cache ; 6+6 a
Qu'Escobar et Houdin vendent le même onguent ; 6+6 b
Que grâce à tous ces gueux qu'on touche avec le gant, 6+6 b
Tout dorés au-dehors, au-dedans noirs de lèpres, 6+6 a
Courant les bals, courant les jeux, allant à vêpres, 6+6 a
55 Grâce à ces bateleurs mêlés aux scélérats, 6+6 b
La Saint-Barthélemy s'achève en mardi gras ; 6+6 b
Ô nature profonde et calme, que t' importe ! 6+6 a
Nature, Isis voilée assise à notre porte, 6+6 a
Impénétrable aïeule aux regards attendris, 6+6 b
60 Vieille comme Cybèle et fraîche comme Iris, 6+6 b
Ce qu'on fait ici-bas s'en va devant ta face ; 6+6 a
À ton rayonnement toute laideur s'efface ; 6+6 a
Tu ne t'informes pas quel drôle ou quel tyran 6+6 b
Est fait premier chanoine à Saint-Jean de Latran ; 6+6 b
65 Décembre, les soldats ivres, les lois faussées, 6+6 a
Les cadavres mêlés aux bouteilles cassées, 6+6 a
Ne te font rien ; tu suis ton flux et ton reflux. 6+6 b
Quand l'homme des faubourgs s'endort et ne sait plus 6+6 b
Bourrer dans un fusil des balles de calibre ; 6+6 a
70 Quand le peuple français n'est plus le peuple libre ; 6+6 a
Quand mon esprit, fidèle au but qu'il se fixa, 6+6 b
Sur cette léthargie applique un vers moxa, 6+6 b
Toi, tu rêves ; souvent du fond des geôles sombres, 6+6 a
Sort, comme d'un enfer, le murmure des ombres 6+6 a
75 Que Baroche et Rouher gardent sous les barreaux, 6+6 b
Car ce tas de laquais est un tas de bourreaux ; 6+6 b
Étant les sœurs de boue ils sont les cœurs de roche ; 6+6 a
Ma strophe alors se dresse, et pour cingler Baroche, 6+6 a
Se taille un fouet sanglant dans Rouher écorché ; 6+6 b
80 Toi, tu ne t'émeus point ; flot sans cesse épanché, 6+6 b
La vie indifférente emplit toujours tes urnes ; 6+6 a
Tu laisses s'élever des attentats nocturnes, 6+6 a
Des crimes, des fureurs, de Rome mise en croix, 6+6 b
De Paris mis aux fers, des guets-apens des rois, 6+6 b
85 Des pièges, des serments, des toiles d'araignées, 6+6 a
L'orageuse clameur des âmes indignées ; 6+6 a
Dans ce calme où toujours tu te réfugias, 6+6 b
Tu laisses le fumier croupir chez Augias, 6+6 b
Et renaître un passé dont nous nous affranchîmes, 6+6 a
90 Et le sang rajeunir les abus cacochymes, 6+6 a
La France en deuil jeter son suprême soupir, 6+6 b
Les prostitutions chanter, et se tapir 6+6 b
Les lâches dans leurs trous, la taupe en ses cachettes, 6+6 a
Et gronder les lions, et rugir les poètes ! 6+6 a
95 Ce n'est pas ton affaire à toi de t'irriter. 6+6 b
Tu verrais, sans frémir et sans te révolter, 6+6 b
Sur tes fleurs, sous tes pins, tes ifs et tes érables, 6+6 a
Errer le plus coquin de tous ces misérables. 6+6 a
Quand Troplong, le matin, ouvre un œil chassieux, 6+6 b
100 Vénus, splendeur sereine éblouissant les cieux, 6+6 b
Vénus, qui devrait fuir courroucée et hagarde, 6+6 a
N'a pas l'air de savoir que Troplong la regarde ! 6+6 a
Tu laisserais cueillir une rose à Dupin ! 6+6 b
Tandis que, de velours recouvrant le sapin, 6+6 b
105 L'escarpe couronné que l'Europe surveille, 6+6 a
Trône et guette, et qu'il a, lui parlant à l'oreille, 6+6 a
D'un côté Loyola, de l'autre Trestaillon, 6+6 b
Ton doigt au blé dans l'ombre entrouvre le sillon. 6+6 b
Pendant que l'horreur sort des sénats, des conclaves, 6+6 a
110 Que les États-Unis ont des marchés d'esclaves 6+6 a
Comme en eut Rome avant que Jésus-Christ passât, 6+6 b
Que l'Américain libre à l'Africain forçat 6+6 b
Met un bât, et qu'on vend des hommes pour des piastres, 6+6 a
Toi, tu gonfles la mer, tu fais lever les astres, 6+6 a
115 Tu courbes l'arc-en-ciel, tu remplis les buissons 6+6 b
D'essaims, l'air de parfums, et les nids de chansons, 6+6 b
Tu fais dans le bois vert la toilette des roses, 6+6 a
Et tu fais concourir, loin des hommes moroses, 6+6 a
Pour des prix inconnus par les anges cueillis, 6+6 b
120 La candeur de la vierge et la blancheur du lys ; 6+6 b
Et quand, tordant ses mains devant les turpitudes, 6+6 a
Le penseur douloureux fuit dans tes solitudes, 6+6 a
Tu lui dis : viens ! c'est moi ! moi que rien ne corrompt, 6+6 b
Je t'aime ! et tu répands dans l'ombre sur son front, 6+6 b
125 Où de l'artère ardente il sent battre les ondes, 6+6 a
L'âcre frcheur de l'herbe et des feuilles profondes ! 6+6 a
Par moments, à te voir, parmi les trahisons, 6+6 b
Mener paisiblement les mois et les saisons, 6+6 b
À te voir impassible et froide, quoi qu'on fasse, 6+6 a
130 Pour qui ne creuse point plus bas que la surface, 6+6 a
Tu sembles bien glacée et l'on s'étonne un peu. 6+6 b
Quand les proscrits, martyrs du peuple, élus de Dieu, 6+6 b
Stoïques, dans la mort se couchent sans se plaindre, 6+6 a
Tu n'as l'air de songer qu'à dorer et qu'à peindre 6+6 a
135 L'aile du scarabée errant sur leurs tombeaux. 6+6 b
Les rois font les gibets, toi, tu fais les corbeaux. 6+6 b
Tu mets le même ciel sur le juste et l'injuste. 6+6 a
Occupée à la mouche, à la pierre, à l'arbuste, 6+6 a
Aux mouvements confus du vil monde animal, 6+6 b
140 Tu parais ignorer le bien comme le mal ; 6+6 b
Tu laisses l'homme en proie à sa misère aiguë. 6+6 a
Que t'importe Socrate ! et tu fais la ciguë. 6+6 a
Tu créas le besoin, l'instinct et l'appétit ; 6+6 b
Le fort mange le faible et le grand le petit, 6+6 b
145 L'ours déjeune du rat, l'autour de la colombe, 6+6 a
Qu'importe ! allez, naissez, fourmillez pour la tombe, 6+6 a
Multitudes ! vivez, tuez, faites l'amour, 6+6 b
Croissez ! le pré verdit, la nuit succède au jour, 6+6 b
L'âne brait, le cheval hennit, le taureau beugle ; 6+6 a
150 Ô figure terrible, on te croirait aveugle ! 6+6 a
Le bon et le mauvais se mêlent sous tes pas. 6+6 b
Dans cet immense oubli, tu ne vois même pas 6+6 b
Ces deux géants lointains penchés sur ton abîme, 6+6 a
Satan, père du mal, Caïn, père du crime ! 6+6 a
155 Erreur ! erreur ! erreur ! ô géante aux cent yeux, 6+6 b
Tu fais un grand labeur, saint et mystérieux ! 6+6 b
Oh ! qu'un autre que moi te blasphème, ô Nature ! 6+6 a
Tandis que notre chaîne étreint notre ceinture, 6+6 a
Et que l'obscuri s'étend de toutes parts, 6+6 b
160 Les principes cachés, les éléments épars, 6+6 b
Le fleuve, le volcan à la bouche écarlate, 6+6 a
Le gaz qui se condense et l'air qui se dilate, 6+6 a
Les fluides, l'éther, le germe sourd et lent, 6+6 b
Sont autant d'ouvriers dans l'ombre travaillant ; 6+6 b
165 Ouvriers sans sommeil, sans fatigue, sans nombre. 6+6 a
Tu viens dans cette nuit, libératrice sombre ! 6+6 a
Tout travaille, l'aimant, le bitume, le fer, 6+6 b
Le charbon ; pour changer en éden notre enfer, 6+6 b
Les forces à ta voix sortent du fond des gouffres. 6+6 a
170 Tu murmures tout bas : — race d'Adam qui souffres, 6+6 a
Hommes, forçats pensants au vieux monde attachés, 6+6 b
Chacune de mes lois vous délivre. Cherchez ! 6+6 b
Et chaque jour surgit une clarté nouvelle, 6+6 a
Et le penseur épie et le hasard révèle ; 6+6 a
175 Toujours le vent sema, le calcul récolta. 6+6 b
Ici Fulton, ici Galvani, là Volta, 6+6 b
Sur tes secrets profonds, que chaque instant nous livre, 6+6 a
Rêvent ; l'homme ébloui déchiffre enfin ton livre. 6+6 a
D'heure en heure on découvre un peu plus d'horizon : 6+6 b
180 Comme un coup de bélier au mur d'une prison, 6+6 b
Du genre humain qui fouille et qui creuse et qui sonde, 6+6 a
Chaque tâtonnement fait tressaillir le monde. 6+6 a
L'hymen des nations s'accomplit. Passions, 6+6 b
Intérêts, mœurs et lois, les révolutions, 6+6 b
185 Par qui le cœur humain germe et change de formes, 6+6 a
Paris, Londres, New York, les continents énormes, 6+6 a
Ont pour lien un fil qui tremble au fond des mers. 6+6 b
Une force inconnue, empruntée aux éclairs, 6+6 b
Mêle au courant des flots le courant des ies. 6+6 a
190 La science, gonflant ses ondes débordées, 6+6 a
Submerge trône et sceptre, idole et potentat. 6+6 b
Tout va, pense, se meut, s'accroît ! L'aérostat 6+6 b
Parse, et du haut des cieux ensemence les hommes ! 6+6 a
Chanaan apparaît ; le voilà, nous y sommes ! 6+6 a
195 L'amour aux pleurs succède et l'eau vive à la mort, 6+6 b
Et la bouche qui chante à la bouche qui mord. 6+6 b
La science, pareille aux antiques pontifes, 6+6 a
Attelle aux chars tonnants d'effrayants hippogriffes ; 6+6 a
Le feu souffle aux naseaux de la bête d'airain. 6+6 b
200 Le globe esclave cède à l'esprit souverain. 6+6 b
Partout où la terreur régnait, où marchait l'homme, 6+6 a
Triste et plus accablé que la bête de somme, 6+6 a
Trnant ses fers sanglants que l'erreur a forgés, 6+6 b
Partout où les carcans sortaient des préjugés, 6+6 b
205 Partout où les césars, posant le pied sur l'âme, 6+6 a
Étouffaient la clarté, la pensée et la flamme, 6+6 a
Partout où le mal sombre, étendant son réseau, 6+6 b
Faisait ramper le ver, tu fais naître l'oiseau ! 6+6 b
Par degrés, lentement, on voit sous ton haleine 6+6 a
210 La liberté sortir de l'herbe de la plaine, 6+6 a
Des pierres du chemin, des branches des forêts, 6+6 b
Rayonner, convertir la science en décrets, 6+6 b
Du vieil univers mort briser la carapace, 6+6 a
Emplir le feu qui luit, l'eau qui bout, l'air qui passe, 6+6 a
215 Gronder dans le tonnerre, errer dans les torrents, 6+6 b
Vivre ! et tu rends le monde impossible aux tyrans ! 6+6 b
La matière, aujourd'hui vivante, jadis morte, 6+6 a
Hier écrasait l'homme et maintenant l'emporte. 6+6 a
Le bien germe à toute heure et la joie en tout lieu. 6+6 b
220 Oh ! sois fière, en ton cœur, toi qui, sous l'œil de Dieu 6+6 b
Nous prodigues les dons que ton mystère épanche, 6+6 a
Toi qui regardes, comme une mère se penche 6+6 a
Pour voir naître l'enfant que son ventre a porté, 6+6 b
De ton flanc éternel sortir l'humanité ! 6+6 b
225 Vie ! idée ! avatars bouillonnant dans les têtes ! 6+6 a
Le progrès, reliant entr'elles ses conquêtes, 6+6 a
Gagne un point après l'autre, et court contagieux, 6+6 b
De cet obscur amas de faits prodigieux 6+6 b
Qu'aucun regard n'embrasse et qu'aucun mot ne nomme, 6+6 a
230 Tu nais plus frissonnant que l'aigle, esprit de l'homme, 6+6 a
Refaisant mœurs, cités, codes, religion. 6+6 b
Le passé n'est que l'œuf d'où tu sors, Légion ! 6+6 b
Ô nature ! c'est là ta genèse sublime. 6+6 a
Oh ! l'éblouissement nous prend sur cette cime ! 6+6 a
235 Le monde, réclamant l'essor que Dieu lui doit, 6+6 b
Vibre ; et dès à présent, grave, attentif, le doigt 6+6 b
Sur la bouche, incli sur les choses futures, 6+6 a
Sur la création et sur les créatures, 6+6 a
Une vague lueur dans son œil éclatant, 6+6 b
240 Le voyant, le savant, le philosophe entend 6+6 b
Dans l'avenir, dé vivant sous ses prunelles, 6+6 a
La palpitation de ces millions d'ailes ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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