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HUG_17/HUG380
Victor HUGO
CHÂTIMENTS
1853
LIVRE VI
LA STABILITÉ EST ASSURÉE
XVI
APPLAUDISSEMENT
Ô grande nation, vous avez à cette heure, 6+6 a
Tandis qu'en bas dans l'ombre on souffre, on râle, on pleure, 6+6 a
Un empire qui fait sonner ses étriers, 6+6 b
Les éblouissements des panaches guerriers, 6+6 b
5 Une cour où pourrait trôner le roi de Thune, 6+6 a
Une Bourse où l'on peut faire en huit jours fortune, 6+6 a
Des rosières jetant aux soldats leurs bouquets ; 6+6 b
Vous avez des abbés, des juges, des laquais, 6+6 b
Dansant sur des sacs d'or une danse macabre, 6+6 a
10 La banque à deux genoux qui harangue le sabre, 6+6 a
Des boulets qu'on empile au fond des arsenaux, 6+6 b
Un Sénat, les sermons remplaçant les journaux, 6+6 b
Des maréchaux dorés sur toutes les coutures, 6+6 a
Un Paris qu'on refait tout à neuf, des voitures 6+6 a
15 À huit chevaux, entrant dans le Louvre à grand bruit, 6+6 b
Des fêtes tout le jour, des bals toute la nuit, 6+6 b
Des lampions, des jeux, des spectacles ; en somme, 6+6 a
Tu t'es prostituée à ce misérable homme ! 6+6 a
Tout ce que tu conquis est tombé de tes mains ; 6+6 b
20 On dit les vieux Français comme les vieux Romains, 6+6 b
Et leur nom fait songer leurs fils rouges de honte ; 6+6 a
Le monde aimait ta gloire et t'en demande compte, 6+6 a
Car il se réveillait au bruit de ton clairon. 6+6 b
Tu contemples d'un œil abruti ton Néron 6+6 b
25 Qu'entourent les Romieux déguisés en Sénèques, 6+6 a
Tu te complais à voir brailler ce tas d'évêque 6+6 a
Qui, sous la croix où pend le Dieu de Bethléem, 6+6 b
Entonnent leur Salvum fac imperatorem. 6+6 b
(Au fait, faquin devait se trouver dans la phrase.) 6+6 a
30 Ton âme est comme un chien sous le pied qui l'écrase ; 6+6 a
Ton fier quatre-vingt-neuf reçoit des coups de fouet 6+6 b
D'un gueux qu'hier encor l'Europe bafouait ; 6+6 b
Tes propres souvenirs, folle, tu les lapides. 6+6 a
La Marseillaise est morte à tes lèvres stupides. 6+6 a
35 Ton Champ-de-Mars subit ces vainqueurs répugnants, 6+6 b
Ces Maupas, ces Fortouls, ces Bertrands, ces Magnans, 6+6 b
Tous ces tueurs portant le tricorne en équerre, 6+6 a
Et Korte, et Carrelet, et Canrobert Macaire. 6+6 a
Tu n'es plus rien ; c'est dit, c'est fait, c'est établi. 6+6 b
40 Tu ne sais même plus, dans ce lugubre oubli, 6+6 b
Quelle est la nation qui brisa la Bastille. 6+6 a
On te voit le dimanche aller à la Courtille, 6+6 a
Riant, sautant, buvant, sans un instinct moral, 6+6 b
Comme une drôlesse ivre au bras d'un caporal 6+6 b
45 Des soufflets qu'il te donne on ne sait plus le nombre. 6+6 a
Et, tout en revenant sur ce boulevard sombre 6+6 a
Où le meurtre a rempli tant de noirs corbillards, 6+6 b
Où bourgeois et passants, femmes, enfants, vieillards, 6+6 b
Tombèrent effarés d'une attaque soudaine, 6+6 a
50 Tu chantes Turlurette et la Faridondaine ! 6+6 a
C'est bien, descends encore et je m'en réjouis, 6+6 b
Car ceci nous promet des retours inouïs, 6+6 b
Car, France, c'est ta loi de ressaisir l'espace, 6+6 a
Car tu seras bien grande ayant été si basse ! 6+6 a
55 L'avenir a besoin d'un gigantesque effort. 6+6 b
Va, traîne l'affreux char d'un satrape ivre mort, 6+6 b
Toi, qui de la victoire as conduit les quadriges. 6+6 a
J'applaudis. Te voilà condamnée aux prodiges. 6+6 a
Le monde, au jour marqué, te verra brusquement 6+6 b
60 Égaler la revanche à l'avilissement, 6+6 b
Ô Patrie, et sortir, changeant soudain de forme, 6+6 a
Par un immense éclat de cet opprobre énorme ! 6+6 a
Oui, nous verrons, ainsi va le progrès humain, 6+6 b
De ce vil aujourd'hui naître un fier lendemain, 6+6 b
65 Et tu rachèteras, ô prêtresse, ô guerrière, 6+6 a
Par cent pas en avant chaque pas en arrière ! 6+6 a
Donc recule et descends ! tombe, ceci me plaît ! 6+6 b
Flatte le pied du maître et le pied du valet ! 6+6 b
Plus bas ! baise Troplong ! plus bas ! lèche Baroche ! 6+6 a
70 Descends, car le jour vient, descends, car l'heure approche, 6+6 a
Car tu vas t'élancer, ô grand peuple courbé, 6+6 b
Et, comme le jaguar dans un piège tombé, 6+6 b
Tu donnes pour mesure, en tes ardentes luttes, 6+6 a
À la hauteur des bonds la profondeur des chutes ! 6+6 a
75 Oui, je me réjouis ; oui, j'ai la foi ; je sais 6+6 b
Qu'il faudra bien qu'enfin tu dises : c'est assez ! 6+6 b
Tout passe à travers toi comme à travers le crible, 6+6 a
Mais tu t'éveilleras bientôt, pâle et terrible, 6+6 a
Peuple, et tu deviendras superbe tout à coup. 6+6 b
80 De cet empire abject, bourbier, cloaque, égout, 6+6 b
Tu sortiras splendide, et ton aile profonde 6+6 a
En secouant la fange éblouira le monde ! 6+6 a
Et les couronnes d'or fondront au front des rois, 6+6 b
Et le pape, arrachant sa tiare et sa croix, 6+6 b
85 Tremblant, se cachera comme un loup sous sa chaire, 6+6 a
Et la Thémis aux bras sanglants, cette bouchère, 6+6 a
S'enfuira vers la nuit, vieux monstre épouvanté, 6+6 b
Et tous les yeux humains s'empliront de clarté, 6+6 b
Et l'on battra des mains de l'un à l'autre pôle, 6+6 a
90 Et tous les opprimés, redressant leur épaule, 6+6 a
Se sentiront vainqueurs, délivrés et vivants, 6+6 b
Rien qu'à te voir jeter ta honte aux quatre vents ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
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