Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_17/HUG300
Victor HUGO
CHÂTIMENTS
1853
NOX
I
C'est la date choisieau fond de ta pensée, 6+6 a
Prince ! il faut en finir,— cette nuit est glacée, 6+6 a
Viens, lève-toi ! flairantdans l'ombre les escrocs, 6+6 a
Le dogue Libertégronde et montre ses crocs. 6+6 a
5 Quoique mis par Carlierà la chne, il aboie. 6+6 a
N'attends pas plus longtemps !c'est l'heure de la proie. 6+6 a
Vois, décembre épaissitson brouillard le plus noir ; 6+6 a
Comme un baron voleurqui sort de son manoir, 6+6 a
Surprends, brusque assaillant,l'ennemi que tu cernes. 6+6 a
10 Debout ! les régimentssont là dans les casernes, 6+6 a
Sac au dos, abrutisde vin et de fureur, 6+6 a
N'attendant qu'un banditpour faire un empereur. 6+6 a
Mets ta main sur ta lampeet viens d'un pas oblique, 6+6 a
Prends ton couteau, l'instantest bon : la République, 6+6 a
15 Confiante, et sans voirtes yeux sombres briller, 6+6 a
Dort, avec ton serment,prince, pour oreiller. 6+6 a
Cavaliers, fantassins,sortez ! dehors les hordes ! 6+6 a
Sus aux représentants !soldats, liez de cordes 6+6 a
Vos généraux jetésdans la cage aux foats ! 6+6 a
20 Poussez, la crosse aux reins,l'Assemblée à Mazas ! 6+6 a
Chassez la haute-courà coups de plat de sabre ! 6+6 a
Changez-vous, preux de France,en brigands de Calabre ! 6+6 a
Vous, bourgeois, regardez,vil troupeau, vil limon, 6+6 a
Comme un glaive rougiqu'agite un noir démon, 6+6 a
25 Le coup d'État qui sortflamboyant de la forge ! 6+6 a
Les tribuns pour le droitluttent : qu'on les égorge. 6+6 a
Routiers, condottieri,vendus, prostitués, 6+6 a
Frappez ! tuez Baudin !tuez Dussoubs ! tuez ! 6+6 a
Que fait hors des maisonsce peuple ? Qu'il s'en aille. 6+6 a
30 Soldats, mitraillez-moitoute cette canaille ! 6+6 a
Feu ! feu ! Tu voterasensuite, ô peuple roi ! 6+6 a
Sabrez le droit, sabrezl'honneur, sabrez la loi ! 6+6 a
Que sur les boulevardsle sang coule en rivières ! 6+6 a
Du vin plein les bidons !des morts plein les civières ! 6+6 a
35 Qui veut de l'eau-de-vie ?En ce temps pluvieux 6+6 a
Il faut boire. Soldats,fusillez-moi ce vieux. 6+6 a
Tuez-moi cet enfant.Qu'est-ce que cette femme ? 6+6 a
C'est la mère ? tuez.Que tout ce peuple infâme 6+6 a
Tremble, et que les pavésrougissent ses talons ! 6+6 a
40 Ce Paris odieuxbouge et résiste. Allons ! 6+6 a
Qu'il sente le mépris,sombre et plein de vengeance, 6+6 a
Que nous, la force, avonspour lui, l'intelligence ! 6+6 a
L'étranger respectaParis : soyons nouveaux ! 6+6 a
Trnons-le dans la boueaux crins de nos chevaux ! 6+6 a
45 Qu'il meure ! qu'on le broieet l'écrase et l'efface ! 6+6 a
Noirs canons, crachez-luivos boulets à la face ! 6+6 a
II
C'est fini ! Le silenceest partout, et l'horreur. 6+6 a
Vive Poulmann Césaret Soufflard empereur ! 6+6 a
On fait des feux de joieavec les barricades ; 6+6 a
50 La Porte Saint-Denissous ses hautes arcades 6+6 a
Voit les brasiers tremblerau vent et rayonner. 6+6 a
C'est fait, reposez-vous ;et l'on entend sonner 6+6 a
Dans les fourreaux le sabreet l'argent dans les poches. 6+6 a
De la banque aux bivouacson vide les sacoches. 6+6 a
55 Ceux qui tuaient le mieuxet qui n'ont pas bronché 6+6 a
Auront la croix d'honneurpar dessus le marché. 6+6 a
Les vainqueurs en hurlantdansent sur les décombres. 6+6 a
Des tas de corps saignantsgisent dans les coins sombres. 6+6 a
Le soldat, gai, féroce,ivre, complice obscur, 6+6 a
60 Chancelle, et, de la maindont il s'appuie au mur, 6+6 a
Achève d'écraserquelque cervelle humaine. 6+6 a
On boit, on rit, on chante,on ripaille ; on amène 6+6 a
Des vaincus qu'on fusille,hommes, femmes, enfants. 6+6 a
Les généraux dorésgalopent triomphants, 6+6 a
65 Regardés par les mortstombés à la renverse. 6+6 a
Bravo ! César a prisle chemin de traverse ! 6+6 a
Courons féliciterl'Élysée à présent. 6+6 a
Du sang dans les maisons,dans les ruisseaux du sang, 6+6 a
Partout ! Pour enjamberces effroyables mares, 6+6 a
70 Les juges lestementretroussent leurs simarres, 6+6 a
Et l'Église joyeuseen emporte un caillot 6+6 a
Tout fumant, pour servird'écritoire à Veuillot. 6+6 a
Oui, c'est bien vous qu'hier,riant de vos férules, 6+6 a
Un caporal chassade vos chaises curules, 6+6 a
75 Magistrats ! Maintenantque, reprenant du cœur, 6+6 a
Vous êtes bien certainsque Mandrin est vainqueur, 6+6 a
Que vous ne serez pasobligés d'être intègres, 6+6 a
Que Mandrin doteravos dévments allègres, 6+6 a
Que c'est lui qui paieradésormais, et très-bien, 6+6 a
80 Qu'il a pris le budget,que vous ne risquez rien, 6+6 a
Qu'il a bien étrangléla loi, qu'elle est bien morte, 6+6 a
Et que vous trouverezce cadavre à sa porte, 6+6 a
Accourez, acclamez,et chantez Hosanna ! 6+6 a
Oubliez le souffletqu'hier il vous donna, 6+6 a
85 Et, puisqu'il a tuévieillards, mères et filles, 6+6 a
Puisqu'il est dans le meurtreentré jusqu'aux chevilles, 6+6 a
Prosternez-vous devantl'assassin tout-puissant, 6+6 a
Et léchez-lui les piedspour effacer le sang ! 6+6 a
III
Donc cet homme s'est dit :— « Le mtre des armées, 6+6 a
90  L'empereur surhumain 6 b
Devant qui, gorge au vent,pieds nus, les renommées 6+6 a
 Volaient, clairons en main, 6 b
Napoléon, quinze ansrégna, dans les tempêtes 6+6 a
 Du Sud à l'Aquilon. 6 b
95 Tous les rois l'adoraient,lui, marchant sur leurs têtes, 6+6 a
 Eux, baisant son talon ; 6 b
Il prit, embrassant toutdans sa vaste espérance, 6+6 a
 Madrid, Berlin, Moscou ; 6 b
Je ferai mieux : je vaisenfoncer à la France 6+6 a
100  Mes ongles dans le cou ! 6 b
La France libre et fièreet chantant la concorde 6+6 a
 Marche à son but sacré : 6 b
Moi, je vais lui jeterpar derrière une corde 6+6 a
 Et je l'étranglerai. 6 b
105 Nous nous partagerons,mon oncle et moi, l'histoire ; 6+6 a
 Le plus intelligent, 6 b
C'est moi, certe ! il aurala fanfare de gloire, 6+6 a
 J'aurai le sac d'argent. 6 b
Je me sers de son nom,splendide et vain tapage, 6+6 a
110  Tombé dans mon berceau. 6 b
Le nain grimpe au géant.Je lui laisse sa page, 6+6 a
 Mais j'en prends le verso. 6 b
Je me cramponne à lui !C'est moi qui suis le mtre. 6+6 a
 J'ai pour sort et pour loi 6 b
115 De surnager sur luidans l'histoire, ou peut-être 6+6 a
 De l'engloutir sous moi. 6 b
Moi, chat-huant, je prendscet aigle dans ma serre. 6+6 a
 Moi si bas, lui si haut, 6 b
Je le tiens ! je choisisson grand anniversaire ; 6+6 a
120  C'est le jour qu'il me faut. 6 b
Ce jour-là, je seraicomme un homme qui monte 6+6 a
 Le manteau sur ses yeux ; 6 b
Nul ne se douteraque j'apporte la honte 6+6 a
 À ce jour glorieux ; 6 b
125 J'irai plus aisémentsaisir mon ennemie 6+6 a
 Dans mes poings meurtriers ; 6 b
La France ce jour-làsera mieux endormie 6+6 a
 Sur son lit de lauriers. » — 6 b
Alors il vint, casséde débauches, l'œil terne, 6+6 a
130  Furtif, les traits pâlis, 6 b
Et ce voleur de nuitalluma sa lanterne 6+6 a
 Au soleil d'Austerlitz ! 6 b
IV
Victoire ! il était temps,prince, que tu parusses ! 6+6 a
Les filles d'opéramanquaient de princes russes ; 6+6 a
135 Les révolutionsapportent de l'ennui 6+6 a
Aux Jeannetons d'hier,Pamélas d'aujourd'hui ; 6+6 a
Dans don Juan qui s'effraieun Harpagon éclate : 6+6 a
Un maigre filet d'orsort de sa bourse plate ; 6+6 a
L'argent devenait rareaux tripots ; les journaux 6+6 a
140 Faisaient le vide autourdes confessionnaux ; 6+6 a
Le sacré-cœur, mourantde sa mort naturelle, 6+6 a
Maigrissait ; les protêts,tourbillonnant en grêle, 6+6 a
Drus et noirs, aveuglaientle portier de Magnan ; 6+6 a
On riait aux sermonsde l'abbé Ravignan ; 6+6 a
145 Plus de pur-sang piaffantaux portes des donzelles ; 6+6 a
L'hydre de l'anarchieapparaissait aux belles 6+6 a
Sous la forme effroyableet triste d'un cheval 6+6 a
De fiacre les trnantpour trente sous au bal. 6+6 a
La désolationétait sur Babylone. 6+6 a
150 Mais tu surgis, bras fort ;tu te dresses, colonne ; 6+6 a
Tout rent, tout revit,tout est sauvé. Pour lors 6+6 a
Les figurantes vontrécolter des mylords ; 6+6 a
Tous sont contents, soudards,francs viveurs, gent dévote ; 6+6 a
Tous chantent, monseigneurl'archevêque, et Javotte. 6+6 a
155 Allons ! congratulons,triomphons, partageons ! 6+6 a
Les vieux partis, coiffésen ailes de pigeons, 6+6 a
Vont s'inscrire, adorantMandrin chez son concierge. 6+6 a
Falstaff allume un punch,Tartufe brûle un cierge. 6+6 a
Vers l'Élysée en joie, sonne le tambour, 6+6 a
160 Tous se hâtent ; Parieu,Montalembert, Sibour, 6+6 a
Rouher, cette catin,Troplong, cette servante ; 6+6 a
Grecs, juifs, quiconque a missa conscience en vente ; 6+6 a
Quiconque vole et mentcum privilegio ; 6+6 a
L'homme du bénitier,l'homme de l'agio ; 6+6 a
165 Quiconque est méprisableet désire être infâme ; 6+6 a
Quiconque, se jugeantdans le fond de son âme, 6+6 a
Se sent assez foatpour être sénateur. 6+6 a
Myrmidon de Césaradmire la hauteur. 6+6 a
Lui, fait la roue et trôneau centre de la fête. 6+6 a
170 Eh bien, messieurs, la choseest-elle un peu bien faite ? 6+6 a
Qu'en pense Papavoineet qu'en dit Loyola ? 6+6 a
Maintenant nous feronsvoter ces drôles-là. 6+6 a
Partout en lettres d'ornous écrirons le chiffre. — 6+6 a
Gai ! tapez sur la caisseet soufflez dans le fifre ; 6+6 a
175 Braillez vos Salvum fac,messeigneurs ; en avant 6+6 a
Des églises, abriprofond du Dieu vivant, 6+6 a
On dressera des mâtsavec des oriflammes ; 6+6 a
Victoire ! venez voirles cadavres, mesdames. 6+6 a
V
sont-ils ? Sur les quais,dans les cours, sous les ponts ; 6+6 a
180 Dans l'égout, dont Maupasfait lever les tampons, 6+6 a
Dans la fosse communeaffreusement accrue, 6+6 a
Sur le trottoir, au coindes portes, dans la rue, 6+6 a
Pêle-mêle entassés,partout ; dans les fourgons 6+6 a
Que vers la nuit tombanteescortent les dragons, 6+6 a
185 Convoi hideux qui vientdu Champ-de-Mars, et passe, 6+6 a
Et dont Paris tremblants'entretient à voix basse. 6+6 a
Ô vieux mont des martyrs,hélas ! garde ton nom ! 6+6 a
Les morts sabrés, hachés,broyés par le canon, 6+6 a
Dans ce champ que la tombeemplit de son mystère, 6+6 a
190 Étaient ensevelisla tête hors de terre. 6+6 a
Cet homme les avaitlui-même ainsi placés, 6+6 a
Et n'avait pas eu peurde tous ces fronts glacés. 6+6 a
Ils étaient là, sanglants,froids, la bouche entrouverte, 6+6 a
La face vers le ciel,blêmes dans l'herbe verte, 6+6 a
195 Effroyables à voirdans leur tranquillité, 6+6 a
Éventrés, balafrés,le visage fouetté 6+6 a
Par la ronce qui trembleau vent du crépuscule, 6+6 a
Tous, l'homme du faubourgqui jamais ne recule. 6+6 a
Le riche à la main blancheet le pauvre au bras fort, 6+6 a
200 La mère qui semblaitmontrer son enfant mort, 6+6 a
Cheveux blancs, tête blonde,au milieu des squelettes, 6+6 a
La belle jeune filleaux lèvres violettes, 6+6 a
Côte à côte rangésdans l'ombre au pied des ifs, 6+6 a
Livides, stupéfaits,immobiles, pensifs, 6+6 a
205 Spectres du même crimeet des mêmes désastres, 6+6 a
De leur œil fixe et videils regardaient les astres. 6+6 a
Dès l'aube, on s'en venaitchercher dans ce gazon 6+6 a
L'absent qui n'était pasrentré dans la maison ; 6+6 a
Le peuple contemplaitces têtes effarées ; 6+6 a
210 La nuit, qui de décembreabrège les soirées, 6+6 a
Pudique, les couvraitdu moins de son linceul. 6+6 a
Le soir, le vieux gardiendes tombes, resté seul, 6+6 a
Hâtait le pas parmiles pierres sépulcrales, 6+6 a
Frémissant d'entrevoirtoutes ces faces pâles ; 6+6 a
215 Et, tandis qu'on pleuraitdans les maisons en deuil, 6+6 a
L'âpre bise soufflaitsur ces fronts sans cercueil, 6+6 a
L'ombre froide emplissaitl'enclos aux murs funèbres 6+6 a
Ô morts, que disiez-vousà Dieu dans ces ténèbres ? 6+6 a
On t dit en voyantces morts mystérieux 6+6 a
220 Le cou hors de la terreet le regard aux cieux, 6+6 a
Que dans le cimetière le cyprès frissonne, 6+6 a
Entendant le clairondu jugement qui sonne, 6+6 a
Tous ces assassinéss'éveillaient brusquement, 6+6 a
Qu'ils voyaient, Bonaparte,au seuil du firmament, 6+6 a
225 Amener devant Dieuton âme horrible et fausse, 6+6 a
Et que, pour témoigner,ils sortaient de leur fosse. 6+6 a
Montmartre ! enclos fatal !quand vient le soir obscur 6+6 a
Aujourd'hui le passantévite encor ce mur. 6+6 a
VI
Un mois après, cet hommeallait à Notre-Dame. 6+6 a
230 Il entra le front haut ;la myrrhe et le cinname 6+6 a
Brûlaient : les tours vibraientsous le bourdon sonnant ; 6+6 a
L'archevêque était là,de gloire rayonnant ; 6+6 a
Sa chape avait ététaillée en un suaire ; 6+6 a
Sur une croix dresséeau fond du sanctuaire 6+6 a
235 Jésus avait étécloué pour qu'il restât. 6+6 a
Cet infâme apportaità Dieu son attentat. 6+6 a
Comme un loup qui se lècheaprès qu'il vient de mordre 6+6 a
Caressant sa moustache,il dit : — J'ai sauvé l'ordre ! 6+6 a
Anges, recevez-moidans votre légion ! 6+6 a
240 J'ai sauvé la familleet la religion ! 6+6 a
Et dans son œil féroce Satan se contemple, 6+6 a
On vit luire une larmeÔ colonnes du temple ! 6+6 a
Abîmes qu'à Patmosvit s'entrouvrir saint Jean. 6+6 a
Cieux qui vîtes Néron,soleil qui vit Séjan, 6+6 a
245 Vents qui jadis meniezTibère vers Caprée, 6+6 a
Et poussiez sur les flotssa galère dorée, 6+6 a
Ô souffles de l'auroreet du septentrion, 6+6 a
Dites si l'assassindépasse l'histrion ! 6+6 a
VII
 Toi qui bats de ton flux fidèle 8 a
250  La roche j'ai ployé mon aile, 8 a
 Vaincu, mais non pas abattu 8 a
 Gouffre l'air joue, l'esquif sombre, 8 b
 Pourquoi me parles-tu dans l'ombre ? 8 b
 Ô sombre mer, que me veux-tu ? 8 a
255  Tu n'y peux rien ! Ronge tes digues, 8 a
 Épands l'onde que tu prodigues, 8 a
 Laisse-moi souffrir et rêver ; 8 a
 Toutes les eaux de ton abîme, 8 b
 Hélas ! passeraient sur ce crime, 8 b
260  Ô vaste mer, sans le laver ! 8 a
 Je comprends, tu veux m'en distraire ; 8 a
 Tu me dis : — Calme-toi, mon frère, 8 a
 Calme-toi, penseur orageux ! 8 a
 Mais toi-même alors, mer profonde, 8 b
265  Calme ton flot puissant qui gronde, 8 b
 Toujours amer, jamais fangeux ! 8 a
 Tu crois en ton pouvoir suprême, 8 a
 Toi qu'on admire, toi qu'on aime, 8 a
 Toi qui ressembles au destin, 8 a
270  Toi que les cieux ont azurée, 8 b
 Toi qui, dans ton onde sacrée, 8 b
 Laves l'étoile du matin ! 8 a
 Tu me dis : — Viens, contemple, oublie ! 8 a
 Tu me montres le mât qui plie, 8 a
275  Les blocs verdis, les caps croulants, 8 a
 L'écume au loin, dans les décombres, 8 b
 S'abattant sur les rochers sombres 8 b
 Comme une troupe d'oiseaux blancs ; 8 a
 La pêcheuse aux pieds nus qui chante, 8 a
280  L'eau bleue fuit la nef penchante, 8 a
 Le marin, rude laboureur, 8 a
 Les hautes vagues en démence ; 8 b
 Tu me montres ta grâce immense 8 b
 Mêlée à ton immense horreur ; 8 a
285  Tu me dis : — Donne-moi ton âme ; 8 a
 Proscrit, éteins en moi ta flamme, 8 a
 Marcheur, jette aux flots ton bâton ; 8 a
 Tourne vers moi ta vue ingrate. — 8 b
 Tu me dis : — J'endormais Socrate ! — 8 b
290  Tu me dis : — J'ai calmé Caton ! 8 a
 Non ! respecte l'âpre pensée, 8 a
 L'âme du juste courroucée, 8 a
 L'esprit qui songe aux noirs forfaits ! 8 a
 Parle aux vieux rochers, tes conquêtes, 8 b
295  Et laisse en repos mes tempêtes ! 8 b
 D'ailleurs, mer sombre, je te hais ! 8 a
 Ô mer ! n'est-ce pas toi, servante ! 8 a
 Qui trnes sur ton eau mouvante, 8 a
 Parmi les vents et les écueils, 8 a
300  Vers Cayenne aux fosses profondes, 8 b
 Ces noirs pontons qui sur tes ondes 8 b
 Passent comme de grands cercueils ! 8 a
 N'est-ce pas toi qui les emportes 8 a
 Vers le sépulcre ouvrant ses portes, 8 a
305  Tous nos martyrs au front serein, 8 a
 Dans la cale manque la paille, 8 b
  les canons pleins de mitraille, 8 b
 Béants, passent leur cou d'airain ! 8 a
 Et s'ils pleurent, si les tortures 8 a
310  Font fléchir ces hautes natures, 8 a
 N'est-ce pas toi, gouffre exécré, 8 a
 Qui te mêles à leur supplice, 8 b
 Et qui, de ta rumeur complice, 8 b
 Couvres leur cri désespéré ! 8 a
VIII
315 Voilà ce qu'on a vu !l'histoire le raconte, 6+6 a
Et lorsqu'elle a finipleure, rouge de honte 6+6 a
Quand se réveillerala grande nation, 6+6 a
Quand viendra le momentde l'expiation, 6+6 a
Glaive des jours sanglants,oh ! ne sors pas de l'ombre ! 6+6 a
320 Non ! non ! il n'est pas vraiqu'en plus d'une âme sombre, 6+6 a
Pour châtier ce trtreet cet homme de nuit, 6+6 a
À cette heure, ô douleur !ta nécessité luit ! 6+6 a
Souvenirs l'espritgrave et pensif s'arrête. 6+6 a
Gendarmes, sabre nu,conduisant la charrette, 6+6 a
325 Roulements des tambours,peuple criant : frappons ! 6+6 a
Foule encombrant les toits,les seuils, les quais, les ponts, 6+6 a
Grèves des temps passés,mornes places publiques 6+6 a
l'on entrevoyaitdes triangles obliques, 6+6 a
Oh ! ne revenez pas,lugubres visions ! 6+6 a
330 Ciel ! nous allions en paixdevant nous, nous faisions 6+6 a
Chacun notre travaildans le siècle nous sommes, 6+6 a
Le poète chantaitl'œuvre immense des hommes, 6+6 a
La tribune parlaitavec sa grande voix, 6+6 a
On brisait échafauds,trônes, carcans, pavois, 6+6 a
335 Chaque jour décroissaientla haine et la souffrance, 6+6 a
Le genre humain suivaitle progrès saint, la France 6+6 a
Marchait devant avecsa flamme sur le front, 6+6 a
Ces hommes sont venus !Lui, ce vivant affront, 6+6 a
Lui, ce bandit qu'on laveavec l'huile du sacre ! 6+6 a
340 Ils sont venus, portantle deuil et le massacre, 6+6 a
Le meurtre, les linceuls,le fer, le sang, le feu ; 6+6 a
Ils ont semé celasur l'avenir, grand Dieu ! 6+6 a
Et maintenant, pitié,voici que tu tressailles 6+6 a
À ces mots effrayants :vengeance ! représailles ! 6+6 a
345 Et moi, proscrit qui saigneaux ronces des chemins, 6+6 a
Triste, je rêve et j'aimon front dans mes deux mains, 6+6 a
Et je sens, par instants,d'une aile hérissée 6+6 a
Dans les jours qui viendronts'enfoncer ma pensée ! 6+6 a
Géante aux chastes yeux,à l'ardente action, 6+6 a
350 Que jamais on ne voie,ô Révolution, 6+6 a
Devant ton fier visage la colère brille, 6+6 a
L'Humanité, tremblanteet te criant : ma fille ! 6+6 a
Et couvrant de son corpsmême les scélérats, 6+6 a
Se trner à tes piedsen se tordant les bras ! 6+6 a
355 Ah ! tu respecterascette douleur amère, 6+6 a
Et tu t'arrêteras,vierge, devant la mère ! 6+6 a
Ô travailleur robuste,ouvrier demi-nu, 6+6 a
Moissonneur envoyépar Dieu même, et venu 6+6 a
Pour faucher en un jourdix siècles de misère, 6+6 a
360 Sans peur, sans pitié, vrai,formidable et sincère, 6+6 a
Égal par la statureau colosse romain, 6+6 a
Toi qui vainquis l'Europeet qui pris dans ta main 6+6 a
Les rois, et les brisasles uns contre les autres, 6+6 a
Né pour clore les tempsd' sortirent les nôtres, 6+6 a
365 Toi qui par la terreursauvas la liberté, 6+6 a
Toi qui portes ce nomsombre : Nécessité, 6+6 a
Dans l'histoire tu luiscomme en une fournaise, 6+6 a
Reste seul à jamais,Titan quatre-vingt-treize ! 6+6 a
Rien d'aussi grand que toine viendrait après toi. 6+6 a
370 D'ailleurs, né d'un régime dominait l'effroi, 6+6 a
Ton éducationsur ta tête affranchie 6+6 a
Pesait, et malgré toi,fils de la monarchie, 6+6 a
Nourri d'enseignementset d'exemples mauvais, 6+6 a
Comme elle tu versasle sang ; tu ne savais 6+6 a
375 Que ce qu'elle t'avaitappris : Le mal, la peine, 6+6 a
La loi de mort mêléeavec la loi de haine ; 6+6 a
Et jetant bas tyrans,parlements, rois, Capets, 6+6 a
Tu te levais contre euxet comme eux tu frappais. 6+6 a
Nous, grâce à toi, géantqui gagnas notre cause, 6+6 a
380 Fils de la liberté,nous savons autre chose. 6+6 a
Ce que la France veutpour toujours désormais, 6+6 a
C'est l'amour rayonnantsur ses calmes sommets, 6+6 a
La loi sainte du Christ,la fraternité pure. 6+6 a
Ce grand mot est écritdans toute la nature : 6+6 a
385 Aimez-vous ! aimez-vous !— Soyons frères ; ayons 6+6 a
L'œil fixé sur l'Idée,ange aux divins rayons. 6+6 a
L'Idée à qui tout cèdeet qui toujours éclaire 6+6 a
Prouve sa saintetémême dans sa colère, 6+6 a
Elle laisse toujoursles principes debout. 6+6 a
390 Être vainqueurs, c'est peu,mais rester grands, c'est tout. 6+6 a
Quand nous tiendrons ce trtre,abject, frissonnant, blême, 6+6 a
Affirmons le progrèsdans le châtiment même ; 6+6 a
La honte, et non la mort.— Peuples, couvrons d'oubli 6+6 a
L'affreux passé des rois,pour toujours aboli, 6+6 a
395 Supplices, couperets,billots, gibets, tortures ! 6+6 a
Hâtons l'heure promiseaux nations futures 6+6 a
, calme et souriantaux bons, même aux ingrats, 6+6 a
La Concorde, serrantles hommes dans ses bras, 6+6 a
Penchera sur nous toussa tête vénérable ! 6+6 a
400 Oh ! qu'il ne soit pas ditque, pour ce misérable, 6+6 a
Le monde en son cheminsublime a reculé ! 6+6 a
Que Jésus et Voltaireauront en vain parlé ! 6+6 a
Qu'il n'est pas vrai qu'aprèstant d'effort et de peine, 6+6 a
Notre époque ait enfinsacré la vie humaine, 6+6 a
405 Hélas ! et qu'il suffitd'un moment indigné 6+6 a
Pour perdre le trésorpar les siècles gagné ! 6+6 a
On peut être sévèreet de sang économe. 6+6 a
Oh ! qu'il ne soit pas ditqu'à cause de cet homme, 6+6 a
La guillotine au noirpanier, qu'avec dégt 6+6 a
410 Février avait priseet jetée à l'égout, 6+6 a
S'est réveillée avecles bourreaux dans leurs bouges, 6+6 a
A ressaisi sa hacheentre ses deux bras rouges, 6+6 a
Et, dressant son poteaudans les tombes scellé, 6+6 a
Sinistre, a reparusous le ciel étoilé ! 6+6 a
IX
415 Toi qu'aimait Juvénal,gonflé de lave ardente, 6+6 a
Toi dont la clarté luitdans l'œil fixe de Dante, 6+6 a
Muse Indignation !Viens, dressons maintenant, 6+6 a
Dressons sur cet empireheureux et rayonnant, 6+6 a
Et sur cette victoireau tonnerre échappée, 6+6 a
420 Assez de pilorispour faire une épopée ! 6+6 a
mètre profils métriques : 6, 8, 6+6
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