Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
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e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_16/HUG251
Victor HUGO
LES VOIX INTÉRIEURES
1837
PENSAR, DUDAR
— À Mlle Louise B. —
XXVIII
Je vous l'ai déjà dit,notre incurable plaie, 6+6 a
Notre nuage noirqu'aucun vent ne balaie, 6+6 a
Notre plus lourd fardeau,notre pire douleur, 6+6 b
Ce qui met sur nos frontsla ride et la pâleur, 6+6 b
5 Ce qui fait flamboyerl'enfer sur nos murailles, 6+6 a
C'est l'âpre anxiétéqui nous tient aux entrailles, 6+6 a
C'est la fatale angoisseet le trouble profond 6+6 b
Qui fait que notre cœuren abîmes se fond, 6+6 b
Quand un matin le sort,qui nous a dans sa serre, 6+6 a
10 Nous mettant face à faceavec notre misère, 6+6 a
Nous jette brusquement,lui notre mtre à tous, 6+6 b
Cette question sombre :Âme, que croyez-vous ? 6+6 b
C'est l'hésitationredoutable et profonde 6+6 a
Qui prend, devant ce sphinxqu'on appelle le monde, 6+6 a
15 Notre esprit effrayéplus encor qu'ébloui, 6+6 b
Qui n'ose dire nonet ne peut dire oui ! 6+6 b
C'est là l'infirmitéde toute notre race. 6+6 a
De quoi l'homme est-il sûr ?qui demeure ? qui passe ? 6+6 a
Quel est le chimériqueet quel est le réel ? 6+6 b
20 Quand l'explicationviendra-t-elle du ciel ? 6+6 b
D' vient qu'en nos sentiersque le sophisme encombre 6+6 a
Nous trébuchons toujours ?d' vient qu'esprits faits d'ombre, 6+6 a
Nous tremblons tous, la nuit,à l'heure lentement 6+6 b
La brume monte au cœurainsi qu'au firmament ? 6+6 b
25 Que l'aube même est sombreet cache un grand problème ? 6+6 a
Et que plus d'un penseur,ô misère suprême ! 6+6 a
Jusque dans les enfantstrouvant de noirs écueils, 6+6 b
Doute auprès des berceauxcomme auprès des cercueils ? 6+6 b
Voyez : cet homme est juste,il est bon ; c'est un sage. 6+6 a
30 Nul fiel intérieurne verdit son visage ; 6+6 a
Si par quelques endroitsson cœur est déjà mort, 6+6 b
Parmi tous ses regretsil n'a pas un remord ; 6+6 b
Les ennemis qu'il a,s'il faut qu'il s'en souvienne, 6+6 a
Lui viennent de leur haineet non pas de la sienne ; 6+6 a
35 C'est un sage — du tempsd'Aurèle ou d'Adrien. 6+6 b
Il est pauvre, et s'y plt.Il ne tombe plus rien 6+6 b
De sa tête vieillieaux rumeurs apaisées, 6+6 a
Rien que des cheveux blancset de douces pensées. 6+6 a
Tous les hommes pour luid'un seul flanc sont sortis, 6+6 b
40 Et, frère aux malheureux,il est père aux petits. 6+6 b
Sa vie est simple, et fuitla ville qui bourdonne. 6+6 a
Les champs tout guérit,les champs tout pardonne, 6+6 a
Les villageois dansantau bruit des tambourins, 6+6 b
Quelque ancien livre grec revivent sereins 6+6 b
45 Les vieux héros d'Athèneet de Lacédémone, 6+6 a
Les enfants rencontrésà qui l'on fait l'aumône, 6+6 a
Le chien à qui l'on parleet dont l'œil vous comprend, 6+6 b
L'étude d'un insecteen des mousses errant, 6+6 b
Le soir, quelque humble vieilleau logis ramenée : 6+6 a
50 Voilà de quels rayonsest faite sa journée. 6+6 a
Chaque jour, car pour luichaque jour passe ainsi, 6+6 b
Quand le soleil descend,il redescend aussi ; 6+6 b
Il regagne, abordédes passants qui l'accueillent, 6+6 a
Son toit sur qui, l'hiver,de grands chênes s'effeuillent. 6+6 a
55 Si sa table, jamaisrien ne peut abonder, 6+6 b
N'a qu'un maigre repas,il sourit, sans gronder 6+6 b
La servante au front gris,qui sous les ans chancelle, 6+6 a
À qui manque aujourd'huila force et non le zèle ; 6+6 a
Puis il rentre à sa chambre le sommeil l'attend. 6+6 b
60 Et là, seul, que fait-il ?lui, ce juste content ? 6+6 b
Lui, ce cœur sans désirs,sans fautes et sans peines ? 6+6 a
Il pense, il rêve, il douteO ténèbres humaines ! 6+6 a
Sombre loi ! tout est doncbrumeux et vacillant ! 6+6 b
Oh ! surtout dans ces jours tout s'en va croulant, 6+6 b
65 le malheur saisitnotre âme qui dévie, 6+6 a
Et souffle affreusementsur notre folle vie, 6+6 a
le sort envieuxnous tient, l'on a plus 6+6 b
Que le caprice obscurdu flux et du reflux, 6+6 b
Qu'un livre déchiré,qu'une nuit ténébreuse, 6+6 a
70 Qu'une pensée en proieau gouffre qui se creuse, 6+6 a
Qu'un cœur désemparéde ses illusions, 6+6 b
Frêle esquif démâté,sur qui les passions, 6+6 b
Matelots furieux,qu'en vain l'esprit écoute, 6+6 a
Trépignent, se battantpour le choix de la route ; 6+6 a
75 Quand on ne songe plus,triste et mourant effort, 6+6 b
Qu'à chercher un salut,une boussole, un port, 6+6 b
Une ancre l'on s'attache,un phare l'on s'adresse, 6+6 a
Oh ! comme avec terreur,pilotes en détresse, 6+6 a
Nous nous apercevonsqu'il nous manque la foi, 6+6 b
80 La foi, ce pur flambeauqui rassure l'effroi, 6+6 b
Ce mot d'espoir écritsur la dernière page, 6+6 a
Cette chaloupe peutse sauver l'équipage ! 6+6 a
Comment donc se fait-il,ô pauvres insensés, 6+6 b
Que nous soyons si fiers ?— Dites, vous qui pensez, 6+6 b
85 Vous que le sort expose,âme toujours sereine, 6+6 a
Si modeste à la gloireet si douce à la haine, 6+6 a
Vous dont l'esprit, toujourségal et toujours pur, 6+6 b
Dans la calme raison,cet immuable azur, 6+6 b
Bien haut, bien loin de nous,brille, grave et candide, 6+6 a
90 Comme une étoile fixeau fond du ciel splendide, 6+6 a
Soleil que n'atteint pas,tant il est abrité, 6+6 b
Ce roulis de l'abîmeet de l'immensité, 6+6 b
flottent, disperséspar les vents qui s'épanchent, 6+6 a
Tant d'astres fatiguéset de mondes qui penchent ! 6+6 a
95 Hélas ! que vous devezméditer à côté 6+6 b
De l'arrogance unieà notre cécité ! 6+6 b
Que vous devez sourireen voyant notre gloire ! 6+6 a
Et, comme un feu brillantjette une vapeur noire, 6+6 a
Que notre fol orgueilau néant appuyé 6+6 b
100 Vous doit jeter dans l'âmeune étrange pitié ! 6+6 b
Hélas ! ayez pitié,mais une pitié tendre ; 6+6 a
Car nous écoutons toutsans pouvoir rien entendre ! 6+6 a
Cette absence de foi,cette incrédulité, 6+6 b
Ignorance ou savoir,sagesse ou vanité, 6+6 b
105 Est-ce, de quelque nomque notre orgueil la nomme, 6+6 a
Le vice de ce siècleou le malheur de l'homme ? 6+6 a
Est-ce un mal passager ?est-ce un mal éternel ? 6+6 b
Dieu peut-être a fait l'hommeainsi pour que le ciel, 6+6 b
Plein d'ombres pour nos yeux,soit toujours notre étude ? 6+6 a
110 Dieu n'a scellé dans l'hommeaucune certitude. 6+6 a
Penser, ce n'est pas croire.À peine par moment 6+6 b
Entend-on une voixdire confusément : 6+6 b
— « Ne vous y fiez pas,votre œuvre est périssable ! 6+6 a
Tout ce que bâtit l'hommeest bâti sur le sable ; 6+6 a
115 Ce qu'il fait tôt ou tardpar l'herbe est recouvert ; 6+6 b
Ce qu'il dresse est dressépour le vent du désert. 6+6 b
Tous ces asiles vains vous mettez votre âme, 6+6 a
Gloire qui n'est que pourpre,amour qui n'est que flamme, 6+6 a
L'altière ambitionaux manteaux étoilés 6+6 b
120 Qui livre à tous les ventsses pavillons gonflés, 6+6 b
La richesse toujoursassise sur sa gerbe, 6+6 a
La science de loinsi haute et si superbe, 6+6 a
Le pouvoir sous le dais,le plaisir sous les fleurs, 6+6 b
Tentes que tout cela !l'édifice est ailleurs. 6+6 b
125 Passez outre ! cherchezplus loin les biens sans nombre. 6+6 a
Une tente, ô mortels,ne contient que de l'ombre. » 6+6 a
On entend cette voixet l'on rêve longtemps. 6+6 b
Et l'on croit voir le ciel,moins obscur par instants, 6+6 b
Comme à travers la brumeon distingue des rives, 6+6 a
130 Presque entr'ouvert, s'emplirde vagues perspectives ! 6+6 a
Que croire ? Oh ! j'ai souvent,d'un œil peut-être expert, 6+6 b
Fouillé ce noir problème la sonde se perd ! 6+6 b
Ces vastes questionsdont l'aspect toujours change, 6+6 a
Comme la mer tantôtcristal et tantôt fange, 6+6 a
135 J'en ai tout remué !la surface et le fond ! 6+6 b
J'ai plongé dans ce gouffreet l'ai trouvé profond ! 6+6 b
Je vous atteste, ô ventsdu soir et de l'aurore, 6+6 a
Étoiles de la nuit,je vous atteste encore, 6+6 a
Par l'austère penséeà toute heure asservi, 6+6 b
140 Que de fois j'ai tenté,que de fois j'ai gravi, 6+6 b
Seul, cherchant dans l'espaceun point qui me réponde, 6+6 a
Ces hauts lieux d' l'on voitla figure du monde ! 6+6 a
Le glacier sur l'abîmeou le cap sur les mers ! 6+6 b
Que de fois j'ai songésur les sommets déserts, 6+6 b
145 Tandis que fleuves, champs,forêts, cité, ruines 6+6 a
Gisaient derrière moidans les plis des collines, 6+6 a
Que tous les monts fumaientcomme des encensoirs, 6+6 b
Et qu'au loin l'océan,répandant ses flots noirs, 6+6 b
Sculptant des fiers écueilsla haute architecture, 6+6 a
150 Mêlait son bruit sauvageà l'immense nature ! 6+6 a
Et je disais aux flots :Flots qui grondez toujours ! 6+6 b
Je disais aux donjons,croulant avec leurs tours : 6+6 b
Tours vit le passé !donjons que les années 6+6 a
Mordent incessammentde leurs dents acharnées ! 6+6 a
155 Je disais à la nuit :Nuit pleine de soleils ! 6+6 b
Je disais aux torrents,aux fleurs, aux fruits vermeils, 6+6 b
À ces formes sans nomque la mort décompose, 6+6 a
Aux monts, aux champs, aux bois :Savez-vous quelque chose ? 6+6 a
Bien des fois, à cette heure le soir et le vent 6+6 b
160 Font que le voyageurs'achemine en rêvant, 6+6 b
Je me suis dit en moi :— cette grande nature, 6+6 a
Cette créationqui sert la créature, 6+6 a
Sait tout ! Tout serait clairpour qui la comprendrait ! — 6+6 b
Comme un muet qui saitle mot d'un grand secret 6+6 b
165 Et dont la lèvre écumeà ce mot qu'il déchire, 6+6 a
Il semble par momentqu'elle voudrait tout dire. 6+6 a
Mais Dieu le lui défend !En vain vous écoutez. 6+6 b
Aucun verbe en ces bruitsl'un par l'autre heurtés ! 6+6 b
Cette chanson qui sortdes campagnes fertiles, 6+6 a
170 Mêlée à la rumeurqui déborde des villes, 6+6 a
Les tonnerres grondants,les vents plaintifs et sourds, 6+6 b
La vague de la mer,gueule ouverte toujours, 6+6 b
Qui vient, hurle, et s'en va,puis sans fin recommence, 6+6 a
Toutes ces voix ne sontqu'un bégaiement immense ! 6+6 a
175 L'homme seul peut parleret l'homme ignore, hélas ! 6+6 b
Inexplicable arrêt !quoi qu'il rêve ici-bas, 6+6 b
Tout se voile à ses yeuxsous un nuage austère. 6+6 a
Et l'âme du mourants'en va dans le mystère ! 6+6 a
Aussi repousser Romeet rejeter Sion, 6+6 b
180 Rire, et conclure toutpar la négation, 6+6 b
Comme c'est plus aisé,c'est ce que font les hommes. 6+6 a
Le peu que nous croyonstient au peu que nous sommes. 6+6 a
Puisque Dieu l'a voulu,c'est qu'ainsi tout est mieux ! 6+6 b
Plus de clarté peut-êtreaveuglerait nos yeux. 6+6 b
185 Souvent la branche casse trop de fruit abonde. 6+6 a
Que deviendrions-noussi, sans mesurer l'onde, 6+6 a
Le Dieu vivant, du hautde son éternité, 6+6 b
Sur l'humaine raisonversait la vérité ? 6+6 b
Le vase est trop petitpour la contenir toute. 6+6 a
190 Il suffit que chaque âmeen recueille une goutte, 6+6 a
Même à l'erreur mêlée !Hélas ! tout homme en soi 6+6 b
Porte un obscur repliqui refuse la foi. 6+6 b
Dieu ! la mort ! mots sans fondqui cachent un abîme ! 6+6 a
L'épouvante saisitle cœur le plus sublime 6+6 a
195 Dès qu'il s'est hasardésur de si grandes eaux. 6+6 b
On ne les franchit pastout d'un vol. Peu d'oiseaux 6+6 b
Traversent l'océansans reposer leur aile. 6+6 a
Il n'est pas de croyantsi pur et si fidèle 6+6 a
Qui ne tremble et n'hésiteà de certains moments. 6+6 b
200 Quelle âme est sans faiblesseet sans accablements ? 6+6 b
Enfants ! résignons-nouset suivons notre route. 6+6 a
Tout corps trne son ombre,et tout esprit son doute. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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