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HUG_16/HUG240
Victor HUGO
LES VOIX INTÉRIEURES
1837
SOIRÉE EN MER
XVII
Près du pêcheur qui ruisselle, 7 a
Quand tous deux, au jour baissant, 7 b
Nous errons dans la nacelle, 7 a
Laissant chanter l'homme frêle 7 a
5 Et gémir le flot puissant ; 7 b
Sous l'abri que font les voiles 7 a
Lorsque nous nous asseyons, 7 b
Dans cette ombre où tu te voiles 7 a
Quand ton regard aux étoiles 7 a
10 Semble cueillir des rayons ; 7 b
Quand tous deux nous croyons lire 7 a
Ce que la nature écrit, 7 b
Réponds, ô toi que j'admire, 7 a
D'où vient que mon cœur soupire ? 7 a
15 D'où vient que ton front sourit ? 7 b
Dis, d'où vient qu'à chaque lame 7 a
Comme une coupe de fiel, 7 b
La pensée emplit mon âme ? 7 a
C'est que moi je vois la rame 7 a
20 Tandis que tu vois le ciel ! 7 b
C'est que je vois les flots sombres, 7 a
Toi, les astres enchantés ! 7 b
C'est que, perdu dans leurs nombres, 7 a
Hélas ! je compte les ombres 7 a
25 Quand tu comptes les clartés ! 7 b
Chacun, c'est la loi suprême, 7 a
Rame, hélas ! jusqu'à la fin. 7 b
Pas d'homme, ô fatal problème ! 7 a
Qui ne laboure ou ne sème 7 a
30 Sur quelque chose de vain ! 7 b
L'homme est sur un flot qui gronde. 7 a
L'ouragan tord son manteau. 7 b
Il rame en la nuit profonde, 7 a
Et l'espoir s'en va dans l'onde 7 a
35 Par les fentes du bateau. 7 b
Sa voile que le vent troue 7 a
Se déchire à tout moment, 7 b
De sa route l'eau se joue, 7 a
Les obstacles sur sa proue 7 a
40 Écument incessamment ! 7 b
Hélas ! hélas ! tout travaille 7 a
Sous tes yeux, ô Jéhova ! 7 b
De quelque côté qu'on aille, 7 a
Partout un flot qui tressaille, 7 a
45 Partout un homme qui va ! 7 b
Où vas-tu ? — Vers la nuit noire. 7 a
Où vas-tu ? — Vers le grand jour. 7 b
Toi ! — Je cherche s'il faut croire. 7 a
Et toi ? — Je vais à la gloire. 7 a
50 Et toi ? — Je vais à l'amour. 7 b
Vous allez tous à la tombe ! 7 a
Vous allez à l'inconnu ! 7 b
Aigle, vautour, ou colombe, 7 a
Vous allez où tout retombe 7 a
55 Et d'où rien n'est revenu ! 7 b
Vous allez où vont encore 7 a
Ceux qui font le plus de bruit ! 7 b
Où va la fleur qu'avril dore ! 7 a
Vous allez où va l'aurore ! 7 a
60 Vous allez où va la nuit ! 7 b
À quoi bon toutes ces peines ? 7 a
Pourquoi tant de soins jaloux ? 7 b
Buvez l'onde des fontaines, 7 a
Secouez le gland des chênes, 7 a
65 Aimez, et rendormez-vous ! 7 b
Lorsque ainsi que des abeilles 7 a
On a travaillé toujours ; 7 b
Qu'on a rêvé des merveilles ; 7 a
Lorsqu'on a sur bien des veilles 7 a
70 Amoncelé bien des jours ; 7 b
Sur votre plus belle rose, 7 a
Sur votre lys le plus beau, 7 b
Savez-vous ce qui se pose ? 7 a
C'est l'oubli pour toute chose, 7 a
75 Pour tout homme le tombeau ! 7 b
Car le Seigneur nous retire 7 a
Les fruits à peine cueillis. 7 b
Il dit : Échoue ! au navire. 7 a
Il dit à la flamme : Expire ! 7 a
80 Il dit à la fleur : Pâlis ! 7 b
Il dit au guerrier qui fonde : 7 a
— Je garde le dernier mot. 7 b
Monte, monte, ô roi du monde ! 7 a
La chute la plus profonde 7 a
85 Pend au sommet le plus haut. — 7 b
Il a dit à la mortelle : 7 a
— Vite ! éblouis ton amant. 7 b
Avant de mourir sois belle. 7 a
Sois un instant étincelle, 7 a
90 Puis cendre éternellement ! — 7 b
Cet ordre auquel tu t'opposes 7 a
T'enveloppe et l'engloutit. 7 b
Mortel, plains-toi, si tu l'oses, 7 a
Au Dieu qui fit ces deux choses, 7 a
95 Le ciel grand, l'homme petit ! 7 b
Chacun, qu'il doute ou qu'il nie, 7 a
Lutte en frayant son chemin ; 7 b
Et l'éternelle harmonie 7 a
Pèse comme une ironie 7 a
100 Sur tout ce tumulte humain ! 7 b
Tous ces faux biens qu'on envie 7 a
Passent comme un soir de mai. 7 b
Vers l'ombre, hélas ! tout dévie. 7 a
Que reste-t-il de la vie, 7 a
105 Excepté d'avoir aimé ! 7 b
Ainsi je courbe ma tête 7 a
Quand tu redresses ton front. 7 b
Ainsi, sur l'onde inquiète, 7 a
J'écoute, sombre poète, 7 a
110 Ce que les flots me diront. 7 b
Ainsi, pour qu'on me réponde, 7 a
J'interroge avec effroi ; 7 b
Et dans ce gouffre où je sonde 7 a
La fange se mêle à l'onde… 7 a
115 Oh ! ne fais pas comme moi ! 7 b
Que sur la vague troublée 7 a
J'abaisse un sourcil hagard ; 7 b
Mais toi, belle âme voilée, 7 a
Vers l'espérance étoilée 7 a
120 Lève un tranquille regard ! 7 b
Tu fais bien. Vois les cieux luire. 7 a
Vois les astres s'y mirer. 7 b
Un instinct là-haut t'attire. 7 a
Tu regardes Dieu sourire ; 7 a
125 Moi, je vois l'homme pleurer ! 7 b
9 novembre 1836. Minuit et demi.
mètre profil métrique : 7
forme globale type : suite périodique
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