Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_16/HUG227
Victor HUGO
LES VOIX INTÉRIEURES
1837
À L'ARC DE TRIOMPHE
IV
I
Toi dont la courbe au loin,par le couchant dorée 6+6 a
S'emplit d'azur céleste,arche démesurée 6+6 a
Toi qui lèves si hautton front large et serein 6+6 b
Fait pour changer sous luila campagne en abîme, 6+6 c
5 Et pour servir de baseà quelque aigle sublime 6+6 c
Qui viendra s'y poseret qui sera d'airain ! 6+6 b
O vaste entassementciselé par l'histoire ! 6+6 a
Monceau de pierre assissur un monceau de gloire ! 6+6 a
 Édifice inouï ! 6 b
10 Toi que l'homme par quinotre siècle commence, 6+6 c
De loin, dans les rayonsde l'avenir immense, 6+6 c
 Voyait, tout ébloui ! 6 b
Non, tu n'es pas finiquoique tu sois superbe ! 6+6 a
Non ; puisque aucun passant,dans l'ombre assis sur l'herbe, 6+6 a
15 Ne fixe un œil rêveurà ton mur triomphant, 6+6 b
Tandis que triviale,errante et vagabonde, 6+6 c
Entre tes quatre piedstoute la ville abonde 6+6 c
Comme une fourmilièreaux pieds d'un éléphant ! 6+6 b
À ta beauté royaleil manque quelque chose. 6+6 a
20 Les siècles vont venirpour ton apothéose 6+6 a
 Qui te l'apporteront. 6 b
Il manque sur ta têteun sombre amas d'années 6+6 c
Qui pendent pêle-mêleet toutes ruinées 6+6 c
 Aux brèches de ton front ! 6 b
25 Il te manque la rideet l'antiquité fière, 6+6 a
Le passé, pyramide tout siècle a sa pierre, 6+6 a
Les chapiteaux brisés,l'herbe sur les vieux fûts ; 6+6 b
Il manque sous ta vte notre orgueil s'élance 6+6 c
Ce bruit mystérieuxqui se mêle au silence, 6+6 c
30 Le sourd chuchotementdes souvenirs confus ! 6+6 b
La vieillesse couronneet la ruine achève. 6+6 a
Il faut à l'édificeun passé dont on rêve, 6+6 a
 Deuil, triomphe ou remords. 6 b
Nous voulons, en foulantson enceinte pavée, 6+6 c
35 Sentir dans la poussièreà nos pieds soulevée 6+6 c
 De la cendre des morts ! 6 b
Il faut que le frontons'effeuille comme un arbre. 6+6 a
Il faut que le lichen,cette rouille du marbre, 6+6 a
De sa lèpre doréeau loin couvre le mur ; 6+6 b
40 Et que la vétusté,par qui tout art s'efface, 6+6 c
Prenne chaque sculptureet la ronge à la face, 6+6 c
Comme un avide oiseauqui dévore un fruit mûr. 6+6 b
Il faut qu'un vieux dallageondule sous les portes, 6+6 a
Que le lierre vivantgrimpe aux acanthes mortes, 6+6 a
45  Que l'eau dorme aux fossés, 6 b
Que la cariatide,en sa lente révolte, 6+6 c
Se refuse, enfin lasse,à porter l'archivolte, 6+6 c
 Et dise : C'est assez ! 6 b
Ce n'est pas, ce n'est pasentre des pierres neuves 6+6 a
50 Que la bise et la nuitpleurent comme des veuves. 6+6 a
Hélas ! d'un beau palaisle débris est plus beau. 6+6 b
Pour que la lune émousseà travers la nuit sombre 6+6 c
L'ombre par le rayonet le rayon par l'ombre, 6+6 c
Il lui faut la ruineà défaut du tombeau ! 6+6 b
55 Voulez-vous qu'une tour,voulez-vous qu'une église 6+6 a
Soient de ces monumentsdont l'âme idéalise 6+6 a
 La forme et la hauteur, 6 b
Attendez que de mousseelles soient revêtues, 6+6 c
Et laissez travaillerà toutes les statues 6+6 c
60  Le temps, ce grand sculpteur ! 6 b
Il faut que le vieillard,chargé de jours sans nombre, 6+6 a
Menant son jeune filssous l'arche pleine d'ombre, 6+6 a
Nomme Napoléoncomme on nomme Cyrus, 6+6 b
Et dise en la montrantde ses mains décharnées : 6+6 c
65 « Vois cette porte énorme !elle a trois mille années. 6+6 c
C'est par là qu'ont passédes hommes disparus ! » 6+6 b
II
 Oh ! Paris est la cité mère ! 8 a
 Paris est le lieu solennel 8 b
v le tourbillon éphémère 8 a
70  Tourne sur un centre éternel ! 8 b
 Paris ! feu sombre ou pure étoile ! 8 c
 Morne Isis couverte d'un voile ! 8 c
 Araignée à l'immense toile 8 c
  se prennent les nations ! 8 d
75  Fontaine d'urnes obsédée ! 8 e
 Mamelle sans cesse inondée 8 e
  pour se nourrir de l'idée 8 e
 Viennent les générations ! 8 d
 Quand Paris se met à l'ouvrage 8 a
80  Dans sa forge aux mille clameurs, 8 b
 À tout peuple, heureux, brave ou sage, 8 a
 Il prend ses lois, ses dieux, ses mœurs. 8 b
 Dans sa fournaise, pêle-mêle, 8 c
 Il fond, transforme et renouvelle 8 c
85  Cette science universelle 8 c
 Qu'il emprunte à tous les humains ; 8 d
 Puis il rejette aux peuples blêmes 8 e
 Leurs sceptres et leurs diadèmes, 8 e
 Leurs préjugés et leurs systèmes, 8 e
90  Tout tordus par ses fortes mains ! 8 d
 Paris, qui garde, sans y croire, 8 a
 Les faisceaux et les encensoirs, 8 b
 Tous les matins dresse une gloire, 8 a
 Éteint un soleil tous les soirs ; 8 b
95  Avec l'idée, avec le glaive, 8 c
 Avec la chose, avec le rêve, 8 c
 Il refait, recloue et relève 8 c
 L'échelle de la terre aux cieux ; 8 d
 Frère des Memphis et des Romes, 8 e
100  Il bâtit au siècle nous sommes 8 e
 Une Babel pour tous les hommes, 8 e
 Un Panthéon pour tous les dieux ! 8 d
 Ville qu'un orage enveloppe ! 8 a
 C'est elle, hélas ! qui, nuit et jour, 8 b
105  Réveille le géant Europe 8 a
 Avec sa cloche et son tambour ! 8 b
 Sans cesse, qu'il veille ou qu'il dorme, 8 c
 Il entend la cité difforme 8 c
 Bourdonner sur sa tête énorme 8 c
110  Comme un essaim dans la forêt. 8 d
 Toujours Paris s'écrie et gronde. 8 e
 Nul ne sait, question profonde ! 8 e
 Ce que perdrait le bruit du monde 8 e
 Le jour Paris se tairait ! 8 d
III
115 Il se taira pourtant !Après bien des aurores, 6+6 a
Bien des mois, bien des ans,bien des siècles couchés, 6+6 b
Quand cette rive l'eause brise aux ponts sonores 6+6 a
Sera rendue aux joncsmurmurants et penchés ; 6+6 b
Quand la Seine fuirade pierres obstruée, 6+6 a
120 Usant quelque vieux dômeécroulé dans ses eaux, 6+6 b
Attentive au doux ventqui porte à la nuée 6+6 a
Le frisson du feuillageet le chant des oiseaux ; 6+6 b
Lorsqu'elle coulera,la nuit, blanche dans l'ombre, 6+6 a
Heureuse, en endormantson flot longtemps troublé, 6+6 b
125 De pouvoir écouterenfin ces voix sans nombre 6+6 a
Qui passent vaguementsous le ciel étoilé ; 6+6 b
Quand de cette cité,folle et rude ouvrière, 6+6 a
Qui, hâtant les destinsà ses murs réservés, 6+6 b
Sous son propre marteaus'en allant en poussière, 6+6 a
130 Met son bronze en monnaieet son marbre en pavés ; 6+6 b
Quand, des toits des clochers,des ruches tortueuses, 6+6 a
Des porches, des frontons,des dômes pleins d'orgueil 6+6 b
Qui faisaient cette ville,aux voix tumultueuses, 6+6 a
Touffue, inextricableet fourmillante à l'œil, 6+6 b
135 Il ne restera plusdans l'immense campagne, 6+6 a
Pour toute pyramideet pour tout panthéon, 6+6 b
Que deux tours de granitfaites par Charlemagne, 6+6 a
Et qu'un pilier d'airainfait par Napoon ; 6+6 b
Toi, tu compléterasle triangle sublime ! 6+6 a
140 L'airain sera la gloireet le granit la foi ; 6+6 b
Toi, tu seras la porteouverte sur la cime 6+6 a
Qui dit : il faut monterpour venir jusqu'à moi ! 6+6 b
Tu salueras là-bascette église si vieille, 6+6 a
Cette colonne altièreau nom toujours accru, 6+6 b
145 Debout peut-être encore,ou tombée, et pareille 6+6 a
Au clairon monstrueuxd'un Titan disparu. 6+6 b
Et sur ces deux débrisque les destins rassemblent, 6+6 a
Pour toi l'aube feraresplendir à la fois 6+6 b
Deux signes triomphantsqui de loin se ressemblent. 6+6 a
150 De près l'un est un glaiveet l'autre est une croix ! 6+6 b
Sur vous trois poserontmille ans de notre France. 6+6 a
La colonne est le chantd'un règne à peine ouvert, 6+6 b
C'est toi qui finirasl'hymne qu'elle commence. 6+6 a
Elle dit : Austerlitz !tu diras : Champaubert ! 6+6 b
IV
155 Arche ! alors tu seraséternelle et complète, 6+6 a
Quand tout ce que la Seineen son onde reflète 6+6 a
 Aura fui pour jamais, 6 b
Quand de cette citéqui fut égale à Rome 6+6 c
Il ne restera plusqu'un ange, un aigle, un homme, 6+6 c
160  Debout sur trois sommets ! 6 b
C'est alors que le roi,le sage, le poète, 6+6 a
Tous ceux dont le passépresse l'âme inquiète, 6+6 a
T'admireront vivanteauprès de Paris mort ; 6+6 b
Et, pour mieux voir ta face flotte un sombre rêve, 6+6 c
165 Lèveront à demiton lierre, ainsi qu'on lève 6+6 c
Un voile sur le frontd'une aïeule qui dort ! 6+6 b
Sur ton mur qui pour euxn'aura rien de vulgaire, 6+6 a
Ils chercheront nos mœurs,nos héros, notre guerre, 6+6 a
 Tous pensifs à tes pieds ; 6 b
170 Ils croiront voir, le longde ta frise animée, 6+6 c
Revivre le grand peupleavec la grande armée ! 6+6 c
 — « Oh ! diront-ils, voyez ! 6 b
Là, c'est le régiment,ce serpent des batailles, 6+6 a
Trnant sur mille piedsses luisantes écailles, 6+6 a
175 Qui tantôt, furieux,se roule au pied des tours, 6+6 b
Tantôt, d'un mouvementformidable et tranquille, 6+6 c
Troue un rempart de pierreet traverse une ville 6+6 c
Avec son front sonore battent vingt tambours ! 6+6 b
Là-haut, c'est l'empereuravec ses capitaines, 6+6 a
180 Qui songe s'il iravers ces terres lointaines 6+6 a
  se tourne son char, 6 b
Et s'il doit préférerpour vaincre ou se défendre 6+6 c
La courbe d'Annibalou l'ange d'Alexandre 6+6 c
 Au carré de César. 6 b
185 Là, c'est l'artillerieaux cent gueules de fonte, 6+6 a
D' la fumée à flotsmonte, tombe et remonte, 6+6 a
Qui broie une cité,détruit les garnisons, 6+6 b
Ruine par la brècheincessamment accrue 6+6 c
Tours, dômes, ponts, clochers,et, comme une charrue, 6+6 c
190 Creuse une horrible rueà travers les maisons ! » 6+6 b
Et tous les souvenirsqu'à ton front taciturne 6+6 a
Chaque siècle en passantversera de son urne 6+6 a
 Leur reviendront au cœur. 6 b
Ils feront de ton murjaillir ta vieille histoire, 6+6 c
195 Et diront, en posantun panache de gloire 6+6 c
 Sur ton cimier vainqueur : 6 b
— « Oh ! que tout était granddans cette époque antique ! 6+6 a
Si les ans n'avaient pasdévasté ce portique, 6+6 a
Nous en retrouverionsencor bien des lambeaux ! 6+6 b
200 Mais le temps, grand semeurde la ronce et du lierre, 6+6 c
Touche les monumentsd'une main familière, 6+6 c
Et déchire le livreaux endroits les plus beaux ! » 6+6 b
V
 Non, le temps n'ôte rien aux choses. 8 a
 Plus d'un portique à tort vanté 8 b
205  Dans ses lentes métamorphoses 8 a
 Arrive enfin à la beauté. 8 b
 Sur les monuments qu'on révère 8 c
 Le temps jette un charme sévère 8 c
 De leur façade à leur chevet. 8 d
210  Jamais, quoiqu'il brise et qu'il rouille, 8 e
 La robe dont il les dépouille 8 e
 Ne vaut celle qu'il leur revêt. 8 d
 C'est le temps qui creuse une ride 8 a
 Dans un claveau trop indigent ; 8 b
215  Qui sur l'ange d'un marbre aride 8 a
 Passe son pouce intelligent ; 8 b
 C'est lui qui, pour corriger l'œuvre, 8 c
 Mêle une vivante couleuvre 8 c
 Aux nœuds d'une hydre de granit. 8 d
220  Je cois voir rire un toit gothique 8 e
 Quand le temps dans la frise antique 8 e
 Ote une pierre et met un nid ! 8 d
Aussi, quand vous venez,c'est lui qui vous accueille ; 6+6 a
Lui qui verse l'odeurdu vague chèvrefeuille 6+6 a
225 Sur ce pavé souillépeut-être d'ossements ; 6+6 b
Lui qui remplit d'oiseauxles sculptures farouches, 6+6 c
Met la vie en leurs flancs,et de leurs mornes bouches 6+6 c
 Fait sortir mille cris charmants ! 8 b
 Si quelque Vénus toute nue 8 a
230  Gémit, pauvre marbre désert, 8 b
 C'est lui, dans la verte avenue, 8 a
 Qui la caresse et qui la sert. 8 b
 À l'abri d'un porche héraldique 8 c
 Sous un beau feuillage pudique 8 c
235  Il la cache jusqu'au nombril ; 8 d
 Et sous son pied blanc et superbe 8 e
 Étend les mille fleurs de l'herbe, 8 e
 Cette mosaïque d'avril ! 8 d
 La mémoire des morts demeure 8 a
240  Dans les monuments ruinés. 8 b
 Là, douce et clémente, à toute heure, 8 a
 Elle parle aux fronts inclinés. 8 b
 Elle est là, dans l'âme affaissée 8 c
 Filtrant de pensée en pensée, 8 c
245  Comme une nymphe au front dormant 8 d
 Qui, seule sous l'obscure vte 8 e
 D' son eau suinte goutte à goutte, 8 e
 Penche son vase tristement ! 8 d
VI
 Mais, hélas ! hélas ! dit l'histoire, 8 a
250 Bien souvent le passécouvre plus d'un secret 6+6 b
Dont sur un mur vieillila tache repart ! 6+6 b
 Toute ancienne muraille est noire ! 8 a
Souvent, par le désertet par l'ombre absorbé, 6+6 a
L'édifice déchuressemble au roi tombé. 6+6 a
255  Plus de gloire n'est plus la foule ! 8 b
Rome est humiliéeet Venise est en deuil. 6+6 c
La ruine de toutcommence par l'orgueil ; 6+6 c
 C'est le premier fronton qui croule ! 8 b
Athène est triste, et cacheau front du Parthénon 6+6 a
260 Les traces de l'Anglaiset celles du canon, 6+6 a
 Et, pleurant ses tours mutilées, 8 b
Rêve à l'artiste grecqui versa de sa main 6+6 c
Quelque chose de beaucomme un sourire humain 6+6 c
 Sur le profil des propylées ! 8 b
265 Thèbe a des temples morts rampe en serpentant 6+6 a
La vipère au front plat,au regard éclatant, 6+6 a
 Autour de la colonne torse ; 8 b
Et, seul, quelque grand aiglehabite en souverain 6+6 c
Les piliers de Rhamsèsd' les lames d'airain 6+6 c
270  S'en vont comme une vieille écorce ! 8 b
Dans les débris de Gur,pleins du cri des hiboux, 6+6 a
Le tigre en marchant ploieet casse les bambous, 6+6 a
 D' s'envole le vautour chauve, 8 b
Et la lionne au piedd'un mur mystérieux 6+6 c
275 Met le groupe inquietdes lionceaux sans yeux 6+6 c
 Qui fouillent sous son ventre fauve. 8 b
La morne Palenquègît dans les marais verts. 6+6 a
À peine entre ses blocsd'herbe haute couverts 6+6 a
 Entend-on le lézard qui bouge. 8 b
280 Ses murs sont obstruésd'arbres au fruit vermeil 6+6 c
volent, tout moiréspar l'ombre et le soleil, 6+6 c
 De beaux oiseaux de cuivre rouge ! 8 b
Muette en la douleur,Jumièges gravement 6+6 a
Étouffe un triste échosous son portail normand, 6+6 a
285  Et laisse chanter sur ses tombes 8 b
Tous ces nids dans ses toursabrités et couvés 6+6 c
D' le souffle du soirfait sur les noirs pavés 6+6 c
 Neiger des plumes de colombes ! 8 b
Comme une mère sombre,et qui, dans sa fierté, 6+6 a
290 Cache sous son manteauson enfant souffleté, 6+6 a
 L'Égypte au bord du Nil assise 8 b
Dans sa robe de sableenfonce enveloppés 6+6 c
Ses colosses camardsà la face frappés 6+6 c
 Par le pied brutal de Cambyse. 8 b
295 C'est que toujours les anscontiennent quelque affront. 6+6 a
Toute ruine, hélas !pleure et penche le front ! 6+6 a
VII
Mais toi ! rien s'atteindrata majesté pudique, 6+6 a
Porte sainte ! jamaiston marbre véridique 6+6 a
 Ne sera profané. 6 b
300 Ton cintre virginalsera pur sous la nue ; 6+6 c
Et les peuples à ntreaccourront tête nue 6+6 c
 Vers ton front couronné ! 6 b
Toujours le pâtre, au loinaccroupi dans les seigles, 6+6 a
Verra sur ton sommeilplaner un cercle d'aigles. 6+6 a
305 Les chênes à tes blocsnoueront leur large tronc. 6+6 b
La gloire sur ta cimeallumera son phare. 6+6 c
Ce n'est qu'en te chantantune haute fanfare 6+6 c
Que sous ton arc altierle siècles passeront ! 6+6 b
Jamais rien qui ressembleà quelque ancienne honte 6+6 a
310 N'osera sur ton mur le flot des ans monte 6+6 a
 Répandre sa noirceur. 6 b
Tu pourras, dans ces champs vous resterez seules, 6+6 c
Contempler fièrementles deux tours tes aïeules, 6+6 c
 La colonne ta sœur ! 6 b
315 C’est qu’on na pas cachéde crime dans ta base, 6+6 a
Ni dans tes fondementsde sang qui s’extravase ! 6+6 a
C’est qu’on ne te fit pointd’un ciment hasardeux ! 6+6 b
C’est qu’aucun noir forfait,semé dans ta racine 6+6 c
Pour jeter quelque jourson ombre à ta ruine, 6+6 c
320 Ne mêle à tes lauriersson feuillage hideux ! 6+6 b
Tandis que ces cités,dans leurs cendres enfouies, 6+6 a
Furent pleines jadisd'actions inouïes, 6+6 a
 Ivres de sang versé, 6 b
Si bien que le seigneura dit à la nature : 6+6 c
325 Refais-toi des palaisdans cette architecture 6+6 c
 Dont l'homme a mal usé ! 6 b
Aussi tout est fini.Le chacal les visite ; 6+6 a
Les murs vont décroissantsous l'herbe parasite ; 6+6 a
L'étang s'installe et dortsous le dôme brisé ; 6+6 b
330 Sur les Nérons sculptésmarche la bête fauve ; 6+6 c
L'antre se creuse futl'incestueuse alcôve. 6+6 c
Le tigre peut venir le crime a passé ! 6+6 b
VIII
Oh ! dans ces jours lointains l'on n'ose descendre, 6+6 a
Quand trois mille ans aurontpassé sur notre cendre 6+6 a
335 À nous qui maintenantvivons, pensons, allons, 6+6 b
Quand nos fosses aurontfait place à des sillons, 6+6 b
Si, vers le soir, un hommeassis sur la colline 6+6 a
S'oublie à contemplercette Seine orpheline, 6+6 a
O Dieu ! de quel aspecttriste et silencieux 6+6 b
340 Les lieux fut Parisétonneront ses yeux ! 6+6 b
Si c'est l'heure déjàdes vapeurs sont tombées 6+6 a
Sur le couchant rougide l'or des scarabées, 6+6 a
Si la touffe de l'arbreest noire sur le ciel, 6+6 b
Dans ce demi-jour pâle plus rien n'est réel, 6+6 b
345 Ombre la fleur s'endort, s'éveille l'étoile, 6+6 a
De quel œil il verra,comme à travers un voile, 6+6 a
Comme un songe aux contoursgrandissant et noyés, 6+6 b
La plaine immense et bruneappartre à ses pieds, 6+6 b
S'élargir lentementdans le vague nocturne, 6+6 a
350 Et comme une eau qui s'enfleet monte aux dors de l'urne, 6+6 a
Absorbant par degrésforêt, coteau, gazon, 6+6 b
Quand la nuit sera noire,emplir tout l'horizon ! 6+6 b
Oh ! dans cette heure sombre l'on croit voir les choses 6+6 a
Fuir, sous une autre formeétrangement éclose, 6+6 a
355 Quelle extase de voirdormir, quant rien ne luit, 6+6 b
Ces champs dont chaque pierrea contenu du bruit ! 6+6 b
Comme il tendra l'oreilleaux rumeurs indécises ! 6+6 a
Comme il ira rêvantdes figures assises 6+6 a
Dans le buisson penché,dans l'arbre aux bord des eaux, 6+6 b
360 Dans le vieux pan de murque lèchent les roseaux ! 6+6 b
Qu'il cherchera de vieen ce tombeau suprême ! 6+6 a
Et comme il se fera,s'éblouissant lui-même, 6+6 a
À travers la nuit troubleet les rameaux touffus, 6+6 b
Des visions de charset de passants confus ! 6+6 b
365 — Mais non, tout sera mort.Plus rien dans cette plaine 6+6 a
Qu'un peuple évanouidont elle est encor pleine ; 6+6 a
Que l'œil éteint de l'hommeet l'œil vivant de dieu ; 6+6 b
Un arc, une colonne,et, là-bas, au milieu 6+6 b
De ce fleuve argentédont on entend l'écume, 6+6 a
370 Une église échouéeà demi dans la brume ! 6+6 a
O spectacle ! — ainsi meurtce que les peuples fonts ! 6+6 a
Qu'un tel passé pour l'âmeest un gouffre profond ! 6+6 a
Pour ce passant pieuxquel poids de notre histoire ! 6+6 b
Surtout si tout à coupréveillant sa mémoire, 6+6 b
375 L'année a ce soir-làramené dans son cours 6+6 a
Une des grandes nuits,veilles de nos grands jours, 6+6 a
l'empereur, rêvantun lendemain de gloire, 6+6 b
Dormait en attendantl'aube d'une victoire ! 6+6 b
Lorsqu'enfin, fatiguéde songes, vers minuit, 6+6 a
380 Las d'écouter au seuilde ce monde détruit, 6+6 a
Après s'être accoudélongtemps, oubliant l'heure, 6+6 b
Au bord de ce néantimmense rien ne pleure, 6+6 b
Il aura lentementregagné son chemin ; 6+6 a
Quand dans ce grand désert,pur de tout pas humain, 6+6 a
385 Rien ne troublera pluscette pudeur que Rome 6+6 b
Ou Paris ruinédoit avoir devant l'homme ; 6+6 b
Lorsque la solitude,enfin libre et sans bruit, 6+6 a
Pourra continuerce qu'elle fait la nuit, 6+6 a
Si quelque être animéveille encor dans la plaine 6+6 b
390 Peut-être verra-t-il,comme sous une haleine 6+6 b
Soudain un pâle éclairde ta tête jaillir, 6+6 a
Et la colonne au loinrépondre et tressaillir ! 6+6 a
Et ses soldats de cuivreet tes soldats de pierre 6+6 b
Ouvrir subitementleur pesante paupière ! 6+6 b
395 Et tous s'entre-heurter,réveil miraculeux ! 6+6 a
Tels que d'anciens guerriersd'un âge fabuleux 6+6 a
Qu'un noir magicien,loin des temps nous sommes, 6+6 b
Jadis aurait fait marbreet qu'il referait homme ! 6+6 b
Alors l'aigle d'airainà ton fte endormi, 6+6 a
400 Superbe, et tout à coupse dressant à demi, 6+6 a
Sur ces héros baignésdu feu de ses prunelles 6+6 b
Secouera largementses ailes éternelles ! 6+6 b
D' viendra ce réveil ?d' viendront ces clartés ? 6+6 a
Et ce vent qui, soufflantsur ces guerriers sculptés, 6+6 a
405 Les fera remuersur ta face hautaine 6+6 b
Comme tremble un feuillageautour du tronc de chêne ? 6+6 b
Qu'importe ? Dieu le sait.Le mystère est dans tout. 6+6 a
L'un à l'autre à voix basseils se diront : Debout ! 6+6 a
Ceux de quatre-vingt-seizeet de mil huit cent onze, 6+6 b
410 Ceux que conduit au ciella spirale de bronze, 6+6 b
Ceux que scelle à la terreun socle de granit, 6+6 a
Tous, poussant au combatle cheval qui hennit, 6+6 a
Le drapeau qui se gonfleet le canon qui roule, 6+6 b
À l'immense mêléeils se rueront en foule ! 6+6 b
415 Alors on entendrasur ton mur les clairons, 6+6 a
Les bombes, les tambours,le choc des escadrons, 6+6 a
Les cris, et le bruit sourddes plaines ébranlées, 6+6 b
Sortir confusémentdes pierres ciselées, 6+6 b
Et du pied au sommetdu pilier souverain 6+6 a
420 Cent batailles rugiravec des voix d'airain. 6+6 a
Tout à coup, écrasantl'ennemi qui s'effare, 6+6 b
La victoire aux cent voixsonnera sa fanfare. 6+6 b
De la colonne à toiles cris se répondront. 6+6 a
Et puis tout se tairasur votre double front ; 6+6 a
425 Une rumeur de fêteemplira la vallée, 6+6 b
Et Notre-Dame au loin,aux ténèbres mêlée, 6+6 b
Illuminant sa croixainsi qu'un labarum, 6+6 a
Vous chantera dans l'ombreun vague Te Deum ! 6+6 a
Monument ! voilà doncla rêverie immense 6+6 a
430 Qu'à ton ombre déjàle poète commence ! 6+6 a
Piédestal qu't aiméBélénus ou Mithra ! 6+6 b
Arche aujourd'hui guerrière,un jour religieuse ! 6+6 c
Rêve en pierre ébauché !porte prodigieuse 6+6 c
D'un palais de géantsqu'on se figurera ! 6+6 b
435 Quand d'un lierre poudreuxje couvre tes sculptures, 6+6 a
Lorsque je vois, au fonddes époques futures, 6+6 a
La liste des hérossur ton mur constellé 6+6 b
Reluire et rayonner,malgré les destinées, 6+6 c
À travers les rameauxdes profondes années, 6+6 c
440 Comme à travers un boisbrille un ciel étoilé ; 6+6 b
Quand ma pensée ainsi,vieillissant ton attique, 6+6 a
Te fait de l'avenirun passé magnifique, 6+6 a
Alors sous ta grandeurje me courbe effrayé, 6+6 b
J'admire, et, fils pieux,passant que l'art anime, 6+6 c
445 Je ne regrette riendevant ton mur sublime 6+6 c
Que Phidias absentet mon père oublié ! 6+6 b
mètre profils métriques : 6, 8, 6+6
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