Métrique en Ligne
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F = "e" féminin
| = césure
HUG_15/HUG2
Victor HUGO
PREMIÈRES PUBLICATIONS
(à l'exception des pièces recueillies dans les Odes et Ballades)
1819-1820
LE TÉLÉGRAPHE
SATIRE
Ici des machines qui parlent,
là des bêtes qu'on adore.
VOLTAIRE, l'Ingénu.
Tandis qu'en mon grenier, rongeant ma plume oisive, 6+6 a
Je poursuis en pestant la rime fugitive, 6+6 a
Que vingt pamphlets nouveaux, provoquant mon courroux, 6+6 b
Loins d'échauffer ma veine, excitent mes dégoûts, 6+6 b
5 Que tour-à-tour j'accuse, en ma rage inutile, 6+6 a
Et ce siècle fécond et mon cerveau stérile, 6+6 a
Ce maudit Télégraphe enfin va-t-il cesser 6+6 b
D'importuner mes yeux, qu'il commence à lasser ? 6+6 b
Là, devant ma lucarne ! il est bien ridicule 6+6 a
10 Qu'on place un télégraphe auprès de ma cellule ! 6+6 a
Il s'élève, il s'abaisse; et mon esprit distrait 6+6 b
Dans ces vains mouvements cherche quelque secret. 6+6 b
J'aimerais mieux, je crois, qu'on me forçât de lire 6+6 a
Ce nébuleux Courrier ; dont au moins je peux rire. 6+6 a
15 Flottant de doute en doute et d'espoir en espoir, 6+6 b
Parfois j'ai découvert ce que j'osais prévoir. 6+6 b
Bon ! me dis-je, à la France il annonce peut-être 6+6 a
Des ministres du Roi qui serviront leur maître ; 6+6 a
Sans doute on voit dé les haines s'endormir, 6+6 b
20 Et le trône des Lys commence à s'affermir ; 6+6 b
— Ou, veut-on reléguer, malgré leur fureur vaine ; 6+6 a
Collard à Charenton, Guizot à Sainte-Hélène ? 6+6 a
Est-il vrai qu'un festin où Decaze a trem 6+6 b
Renverse du fauteuil le Chef du canapé ? 6+6 b
25 Verrait-on la Doctrine immolée au Système ? 6+6 a
L'abbé, qui change tout, est-il changé lui-même ? 6+6 a
Va-t-il, dans Albion pour grossir le trésor, 6+6 b
Conseiller au Régent de démolir Windsor ? 6+6 b
Un bon Roi tôt ou tard chasse un mauvais ministre. 6+6 a
30 Hélas ! pour repousser tout augure sinistre, 6+6 a
Que faut-il à la France, objet de tant de soin ? 6+6 b
Rien qu'un Bourbon de plus et quelques sots de moins. 6+6 b
Et me voilà soudain, rêvant, sans me contraindre, 6+6 a
Ce bonheur idéal auquel je pense atteindre. 6+6 a
35 Je pourrai donc, malgré la Minerve en fureur, 6+6 b
Fêter l'heureux Juillet sans fêter la Terreur ; 6+6 b
Le soldat de Con ne sera plus un traître ; 6+6 a
Le vendéen mourant aura servi son maître, 6+6 a
Il perdit tout pour lui, mais du moins, en retour, 6+6 b
40 Sa veuve obtiendra bien plus de deux sous par jour, 6+6 b
Et maint votant ira, dans sa misère errante, 6+6 a
Végéter, en mangeant vingt mille écus de rente. 6+6 a
Ainsi l'espoir m'abuse, et mon esprit poursuit 6+6 b
Ces songes d'un instant, qu'un autre instant détruit, 6+6 b
45 Moins sûr dans ces calculs, qu'un moment vit éclore, 6+6 a
Qu'un ministre n'est sûr de l'être une heure encore. 6+6 a
Toi qui seul, de nos jours, pus, toujours agissant, 6+6 b
Servir tous les forfaits et rester innocent, 6+6 b
Discret avant-coureur de l'indiscrète histoire, 6+6 a
50 Télégraphe, où sont-ils les beaux jours de ta gloire ? 6+6 a
Sais-tu qu'il fut des temps où, du Nord au Midi, 6+6 b
Tu suivais l'heureux camp d'un despote hardi, 6+6 b
Quand, sur ton front muet, posant ses pieds agiles, 6+6 a
La renommée errait sur tes tours immobiles, 6+6 a
55 Et disait, dans un jour, au monde épouvanté, 6+6 b
Ou le Kremlin en flamme ou le Tage dompté ? 6+6 b
Mais aussi lorsqu'enfin la victoire inconstante 6+6 a
Du Conquérant farouche eut déserté la tente, 6+6 a
Quand Dieu, plaignant l'exil où languissaient nos Lys, 6+6 b
60 Eut repris son tonnerre à l'aigle d'Austerlitz, 6+6 b
Tu fus l'appui du Corse, et, mentant pour sa gloire, 6+6 a
D'un revers, en courant, tu fis une victoire. 6+6 a
Tandis que, par le froid, par le nombre accablés, 6+6 b
Nos braves, en cent lieux, mouraient inconsolés, 6+6 b
65 Que ces nobles guerriers d'une clameur funèbre 6+6 a
Frappaient les bords du Don et les rives de l'Èbre, 6+6 a
Grâce à toi, bien souvent, dans ce brillant Paris, 6+6 b
Un pompeux Te Deum fut l'écho de leurs cris. 6+6 b
Bien souvent… mais pourquoi rappeler tes mensonges ? 6+6 a
70 Le temps a d'Attila dissipé les vains songes ; 6+6 a
Les sceptres qu'il conquit en sa main sont brisés 6+6 b
Et, comme ses honneurs, tes honneurs sont passés. 6+6 b
Tu ne vois plus la foule à ta flèche mouvante 6+6 a
Fixer de longs regards d'espoir ou d'épouvante, 6+6 a
75 Et maint nouvel Œdipe essayer de prévoir 6+6 b
Le sort du lendemain dans tes signaux du soir. 6+6 b
Aujourd'hui le bourgeois, qu'un vague ennui promène, 6+6 a
Te jette un œil distrait qui t'interroge à peine ; 6+6 a
Car nos grands roitelets et leurs petits débats, 6+6 b
80 S'ils l'excèdent souvent, ne l'intéressent pas. 6+6 b
Si trois cents villageois, pour chômer une fête, 6+6 a
S'assemblent par milliers, l'arme au bras, l'aigle en tête, 6+6 a
Et, du sanglant bonnet, se parant sans dessein, 6+6 b
S'en vont danser sous l'orme en sonnant le tocsin, 6+6 b
85 Tu portes aux ultras, sans frein dans leur colère, 6+6 a
Les ordres modérés de ce bon ministère. 6+6 a
D'autres fois tu répands, chez vingt peuples surpris, 6+6 b
Qu'une sombre terreur agite nos esprits, 6+6 b
Qu'il existe un complot, que les guerres civiles 6+6 a
90 Vont ravager nos champs et désoler nos villes, 6+6 a
Et qu'un témoin trop sûr a vu, près du château, 6+6 b
Trois généraux ultras causer au bord de l'eau. 6+6 b
Parfois encor, tu dis à l'Europe en alarmes 6+6 a
Que la France est en deuil et Paris dans les larmes, 6+6 a
95 Car Monseigneur, trottant sur un coursier trop prompt, 6+6 b
S'est, en tombant de peur, fait une bosse au front. 6+6 b
Pourtant, quoique déchu, tes rapides nouvelles 6+6 a
Font encor de nos jours tourner bien des cervelles. 6+6 a
Que de Serre, un matin, perde tout à-la-fois 6+6 b
100 Le sens qu'il eut un jour, les sceaux qu'il eut neuf mois, 6+6 b
Que l'abbé se retire, et qu'enfin, sans mystère, 6+6 a
Le trône ait trouvé grâce auprès du ministère, 6+6 a
Combien ces bruits, au loin portés par ton secours, 6+6 b
Vont changer de projets, de serments, de discours ! 6+6 b
105 Varius, qui toujours déserta les églises, 6+6 a
Ce soir même, au sermon mènera trois marquises ; 6+6 a
À ce vieil émigré, qu'il rencontre en chemin, 6+6 b
Il promet aujourd'hui, pour demander demain ; 6+6 b
Voyez comme il surprend, par son nouveau langage, 6+6 a
110 Le pauvre homme, moins fait au respect qu'à l'outrage : 6+6 a
« — Votre parti me plaît : pour partager son sort, 6+6 b
En tout temps j'ai brû de le voir le plus fort, 6+6 b
Et quand sur nos ventrus il lançait l'anathême, 6+6 a
J'ai pu dire autrement : mais je pensais de même. 6+6 a
115 Souvent j'ai ri tout bas, quand l'abbé confondu, 6+6 b
Cachait un déficit sous un mal-entendu, 6+6 b
Assiégeait la tribune, et, fier du parallèle, 6+6 a
Répondait en causant à l'éloquent Villèle. 6+6 a
Je m'indignais de voir se glisser au bureau 6+6 b
120 Le beau-père attentif qui comptait son troupeau, 6+6 b
Ou le centre affamé, désertant la séance, 6+6 a
Payer cent mille écus le rôt d'une excellence ; 6+6 a
Ou Baratte, éludant un orateur chagrin, 6+6 b
Vivre en prince, aux dépens de vingt commis sans pain. 6+6 b
125 J'admirais avec vous tous ces nobles courages 6+6 a
Par qui le trône enfin survit à tant d'orages ; 6+6 a
Et lorsqu'un pair voulut, pour la France alarmé, 6+6 b
Voir le sénat du, peuple aux factieux fermé, 6+6 b
Je blâmais cette loi qu'osait flétrir son zèle 6+6 a
130 Et je parlais pour lui, tout en votant pour elle… » 6+6 a
Ce n'est pas tout ; Monsieur proteste, avec chaleur, 6+6 b
Qu'il a des vrais français respecté le malheur. 6+6 b
Les privés, suivant lui, sont une race infâme ; 6+6 a
Monsieur aima toujours le roi, du fond de l'âme ; 6+6 a
135 Et, quoiqu'un sot journal en ait dit par erreur, 6+6 b
Monsieur chez lui souvent a ri de la Terreur. 6+6 b
On se quitte : et notre homme, en l'ardeur qui l'enivre, 6+6 a
Contre les libéraux déjà rêve un gros livre. 6+6 a
Télégraphe ! ô quel coup pour son cœur affligé ! 6+6 b
140 Hélas ! le lendemain ton langage est changé. 6+6 b
« Le trône est sans appui ; la charte électorale 6+6 a
Répand dans vingt cités le trouble et le scandale ; 6+6 a
Nos préfets sont les seuls qu'attirent leurs repas, 6+6 b
Et l'agitation marche encore à grands pas ; 6+6 b
145 Grâce aux ultras, que perd leur haine irréfléchie, 6+6 a
Les ministres du Roi vont suivre l'anarchie ; 6+6 a
Car, redoublant partout ses efforts triomphants, 6+6 b
L'anarchie au sénat vomit tous ses enfants. » 6+6 b
Que fera Varius ? Pensez-vous qu'il balance ? 6+6 a
150 Varius haletant court chez son excellence ; 6+6 a
Il sort tout radieux, et sans perdre un instant, 6+6 b
Va courtiser Étienne, et saluer Constant. 6+6 b
Il fuit ces émigrés, à face féodale ; 6+6 a
Leur nombre est un fléau, leur luxe est un scandale. 6+6 a
155 La Renommée, enfant qui languit nouveau-né, 6+6 b
Doit à sa jeune ardeur un centième abonné ; 6+6 b
Il lit jusqu'à Tissot, souscrit pour Sainneville, 6+6 a
Et pare son salon d'un plan du champ d'asile. 6+6 a
Villèle est, à l'entendre, un fanatique ardent, 6+6 b
160 De Pradt sait le français, Fiévée est un pédant ; 6+6 b
Les nobles, le clergé sont faits pour nos insultes, 6+6 a
Il faut un protestant pour ministre des cultes… 6+6 a
En un mot, monseigneur, qu'il vit hier au bain, 6+6 b
Veut qu'on soit libéral : il s'est fait jacobin. 6+6 b
165 Rien ne l'arrête ; il ose, et sans art et sans honte, 6+6 a
Flatter l'abbé-baron, excuser l'abbé-comte ; 6+6 a
Devant leurs valets même il met bas son chapeau ; 6+6 b
Car enfin, un boucher peut devenir bourreau. 6+6 b
Moi qui, dans tout excès, cherche un juste équilibre, 6+6 a
170 Loin des indépendants je prétends vivre libre ; 6+6 a
Heureux, si par l'effroi de mes hardis pinceaux, 6+6 b
Je fais rugir le crime et grimacer les sots. 6+6 b
Je veux, en flétrissant leur audace impunie, — 6+6 a
Adorer la vertu, rendre hommage au génie : 6+6 a
175 Car le temps d'Azaïs a vu naître Bonald, 6+6 b
Et s'il fût plus d'un Brune, il est un Macdonald. 6+6 b
Vengeur des Vendéens, je t'admire et je t'aime ; 6+6 a
Mais le talent m'est cher dans un libéral même, 6+6 a
Étienne me fait rire, et parfois j'applaudis 6+6 b
180 Dans l'Ermite déchu l'esprit qu'il eut jadis. 6+6 b
Aussi, gment je siffle, affrontant leur colère, 6+6 a
Royer à la tribune et Bavoux dans sa chaire ; 6+6 a
Au cou de Rodilard j'attache le grelot, 6+6 b
Et du bonnet d'Hébert, je coiffe Montar **lot. 6+6 b
185 Quand Grégoire au sénat vient remplir un banc vide, 6+6 a
Je le hais libéral, je le plains régicide, 6+6 a
Et s'il pleurait son crime, au lieu de s'estimer, 6+6 b
S'il s'exécrait lui-même, oui, je pourrais l'aimer. 6+6 b
Ainsi, jeune et brûlant d'un courroux qui m'honore, 6+6 a
190 Je fronde un siècle impur, censeur sans tache encore, 6+6 a
Qui ne saurai jamais, peu fait pour parvenir, 6+6 b
Dans l'esclave en faveur voir le maître à venir. 6+6 b
Toi, cependant, aux lois de ta langue inconnue 6+6 a
Courbe ton front bizarre, élancé dans la nue, 6+6 a
195 Poursuis, cher télégraphe, agite tes grands bras ; 6+6 b
Semblable à ce baron, fameux par son fatras, 6+6 b
Qui, grattant son cerveau, l'œil en pleurs, le teint blême, 6+6 a
Annonce un grand secret, qu'il ne sait pas lui-même. 6+6 a
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