Métrique en Ligne
HUG_14/HUG210
Victor HUGO
Les Chants du Crépuscule
1835
XXVI
À MADEMOISELLE J.
Chantez ! chantez ! jeune inspirée ! 8 a
La femme qui chante est sacrée 8 a
Même aux jaloux, même aux pervers ! 8 b
La femme qui chante est bénie ! 8 c
5 Sa beauté défend son génie. 8 c
Les beaux yeux sauvent les beaux vers! 8 b
Moi que déchire tant de rage, 8 a
J'aime votre aube sans orage ; 8 a
Je souris à vos yeux sans pleurs. 8 b
10 Chantez donc vos chansons divines. 8 c
A moi la couronne d'épines ! 8 c
A vous la couronne de fleurs ! 8 b
Il fut un temps, un temps d'ivresse, 8 a
Où l'aurore qui vous caresse 8 a
15 Rayonnait sur mon beau printemps 8 b
Où l'orgueil, la joie et l'extase, 8 c
Comme un vin pur d'un riche vase, 8 c
Débordaient de mes dix-sept ans. 8 b
Alors, à tous mes pas présente, 8 a
20 Une chimère éblouissante 8 a
Fixait sur moi ses yeux dorés ; 8 b
Alors, prés verts, ciels bleus, eaux vives, 8 c
Dans les riantes perspectives 8 c
Mes regards flottaient égarés ! 8 b
25 Alors je disais aux étoiles : 8 a
O mon astre, en vain tu te voiles. 8 a
Je sais que tu brilles là-haut ! 8 b
Alors je disais à la rive : 8 c
Vous êtes la gloire, et j'arrive. 8 c
30 Chacun de mes jours est un flot ! 8 b
Je disais au bois : forêt sombre, 8 a
J'ai comme toi des bruits sans nombre. 8 a
A l'aigle : contemple mon front ! 8 b
Je disais aux coupes vidées : 8 c
35 Je suis plein d'ardentes idées 8 c
Dont les âmes s'enivreront ! 8 b
Alors, du fond de vingt calices, 8 a
Rosée, amour, parfums, délices, 8 a
Se répandaient sur mon sommeil ; 8 b
40 J'avais des fleurs plein mes corbeilles ; 8 c
Et comme un vif essaim d'abeilles, 8 c
Mes pensers volaient au soleil ! 8 b
Comme un clair de lune bleuâtre 8 a
Et le rouge brasier du pâtre 8 a
45 Se mirent au même ruisseau ; 8 b
Comme dans les forêts mouillées, 8 c
A travers le bruit des feuillées 8 c
On entend le bruit d'un oiseau ; 8 b
Tandis que tout me disait : Aime ! 8 a
50 Écoutant tout hors de moi-même, 8 a
Ivre d'harmonie et d'encens, 8 b
J'entendais, ravissant murmure, 8 c
Le chant de toute la nature 8 c
Dans le tumulte de mes sens ! 8 b
55 Et roses par avril fardées, 8 a
Nuits d'été de lune inondées, 8 a
Sentiers couverts de pas humains, 8 b
Tout, l'écueil aux hanches énormes, 8 c
Et les vieux troncs d'arbres difformes 8 c
60 Qui se penchent sur les chemins, 8 b
Me parlaient cette langue austère, 8 a
Langue de l'ombre et du mystère, 8 a
Qui demande à tous : Que sait-on ? 8 b
Qui, par moments presque étouffée, 8 c
65 Chante des notes pour Orphée, 8 c
Prononce des mots pour Platon ! 8 b
La terre me disait Poète ! 8 a
Le ciel me répétait Prophète ! 8 a
Marche ! parle ! enseigne ! bénis ! 8 b
70 Penche l'urne des chants sublimes ! 8 c
Verse aux vallons noirs comme aux cimes, 8 c
Dans les aires et dans les nids ! 8 b
Ces temps sont passés. — A cette heure, 8 a
Heureux pour quiconque m'effleure, 8 a
75 Je suis triste au dedans de moi ; 8 b
J'ai sous mon toit un mauvais hôte ; 8 c
Je suis la tour splendide et haute 8 c
Qui contient le sombre beffroi. 8 b
L'ombre en mon cœur s'est épanchée ; 8 a
80 Sous mes prospérités cachée 8 a
La douleur pleure en ma maison ; 8 b
Un ver ronge ma grappe mûre ; 8 c
Toujours un tonnerre murmure 8 c
Derrière mon vague horizon ! 8 b
85 L'espoir mène à des portes closes. 8 a
Cette terre est pleine de choses 8 a
Dont nous ne voyons qu'un côté. 8 b
Le sort de tous nos vœux se joue ; 8 c
Et la vie est comme la roue 8 c
90 D'un char dans la poudre emporté ! 8 b
A mesure que les années, 8 a
Plus pâles et moins couronnées, 8 a
Passent sur moi du haut du ciel, 8 b
Je vois s'envoler mes chimères 8 c
95 Comme des mouches éphémères 8 c
Qui n'ont pas su faire de miel ! 8 b
Vainement j'attise en moi-même 8 a
L'amour, ce feu doux et suprême 8 a
Qui brûle sur tous les trépieds, 8 b
100 Et toute mon âme enflammée 8 c
S'en va dans le ciel en fumée 8 c
Ou tombe en cendre sous mes pieds! 8 b
Mon étoile a fui sous la nue. 8 a
La rose n'est plus revenue 8 a
105 Se poser sur mon rameau noir. 8 b
Au fond de la coupe est la lie, 8 c
Au fond des rêves la folie, 8 c
Au fond de l'aurore le soir ! 8 b
Toujours quelque bouche flétrie, 8 a
110 Souvent par ma pitié nourrie, 8 a
Dans tous mes travaux m'outragea. 8 b
Aussi que de tristes pensées, 8 c
Aussi que de cordes brisées 8 c
Pendent à ma lyre déjà ! 8 b
115 Mon avril se meurt feuille à feuille ; 8 a
Sur chaque branche que je cueille 8 a
Croît l'épine de la douleur; 8 b
Toute herbe a pour moi sa couleuvre; 8 c
Et la haine monte à mon œuvre 8 c
120 Comme un bouc au cytise en fleur! 8 b
La nature grande et touchante, 8 a
La nature qui vous enchante 8 a
Blesse mes regards attristés. 8 b
Le jour est dur, l'aube est meilleure. 8 c
125 Hélas ! la voix qui me dit : Pleure! 8 c
Est celle qui vous dit : Chantez ! 8 b
Chantez! chantez ! belle inspirée ! 8 a
Saluez cette aube dorée 8 a
Qui jadis aussi m'enivra. 8 b
130 Tout n'est pas sourire et lumière. 8 c
Quelque jour de votre paupière 8 c
Peut-être une larme éclora ! 8 b
Alors je vous plaindrai, pauvre âme ! 8 a
Hélas ! les larmes d'une femme, 8 a
135 Ces larmes où tout est amer, 8 b
Ces larmes où tout est sublime, 8 c
Viennent d'un plus profond abîme 8 c
Que les gouttes d'eau de la mer! 8 b
mètre profil métrique : 8
forme globale type : suite périodique
schéma : 23(aabccb)
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