Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_13/HUG1092
Victor HUGO
La Fin de Satan
1886
LA BASTILLE
Huit tours
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La tour est âpre et noire, | et, du haut jusqu'en bas, 6+6
Elle est un instrument | de supplice ; un étage 6+6 a
5 Fait agoniser moins | ou souffrir davantage ; 6+6 a
Changer de cabanon, | c'est changer de tourment ; 6+6 b
Le captif, dans la cave, | expire lentement ; 6+6 b
Sous le toit, dans un trou | qu'on nomme la calotte, 6+6 a
Il étouffe en juillet, | en décembre il grelotte ; 6+6 a
10 Sous plus ou moins d'horreur | l'homme se sent plier 6+6 b
À mesure qu'il monte | ou descends l'escalier ; 6+6 b
Nulle part le repos, | l'air frais, la clarté pure. 6+6 a
Chaque chambre a la forme | utile à la torture ; 6+6 a
Ici l'on gèle ; ici | l'on brûle ; ici l'on meurt. 6+6
15 . . . . . . . . . . . . . . . . Dans ce lieu morne,
La minute est bourreau, | l'heure est épouvantail. 6+6 b
Une horloge apparaît. | Au-dessus du portail. 6+6 b
Autour du cadran triste, | une chaîne est sculptée, 6+6 a
Cercle affreux, chaîne énorme | à lier Prométhée ; 6+6 a
20 Elle entoure le temps, | et, monstrueuse à voir, 6+6 b
Saisit par ses deux bouts, | au bas du fronton noir, 6+6 b
Une statue étrange | et morne, prisonnière 6+6 a
Qui grince et fait effort | pour sortir de la pierre ; 6+6 a
La statue a deux fronts, | l'un jeune et l'autre vieux ; 6+6 b
25 Sur le cadran, rouillé | par l'hiver pluvieux, 6+6 b
L'aiguille, résumant | dans une heure une vie, 6+6 a
Par la chaîne toujours | à tous ses pas suivie, 6+6 a
Part du jeune homme et vient | aboutir au vieillard. 6+6 b
Lugubre, elle paraît | marcher sous un brouillard ; 6+6 b
30 On croit voir l'affreux doigt | de la bastille sombre 6+6 a
Montrant ce qu'elle fait | du prisonnier dans l'ombre, 6+6 a
Et disant ‒ C'est ici | que les pas sont tremblants, 6+6 b
Et que les cheveux noirs | deviennent cheveux blancs. 6+6 b
Effroyable prison | qui n'a point de mémoire ! 6+6
35 La geôle, au dehors noire | est aveugle au dedans ; 6+6 a
Elle prend ! sans les voir, | des hommes dans ses dents 6+6 a
Et, sans s'informer d'eux, | les mâche et les dévore. 6+6
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
40 En entrant dans ces murs | terribles, où, pour eux, 6+6
Les heures maintenant, | hélas, seront si lentes, 6+6 b
Les captifs sont inscrits | sur des feuilles volantes ; 6+6 b
Pas de livre d'écrou. | Tout est fait de façon 6+6 a
Que rien ne laisse trace | en cette âpre prison, 6+6 a
45 Et que le nom s'y perde | en même temps que l'homme. 6+6 b
Quel est ce prisonnier, | et comment on le nomme, 6+6 b
Après dix ou vingt ans, | personne ne le sait ; 6+6 a
Pas même lui. La dalle | ignore ce que c'est, 6+6 a
Le carcan le saisit | au cou sans le connaître, 6+6 b
50 Et le ver, qui déjà | goûte à sa chair peut-être, 6+6 b
Ne peut dire son nom | à la taupe qui fuit. 6+6 a
Hier, aujourd'hui, demain, | ne font qu'un. Plus un bruit. 6+6 a
L'homme, qui maintenant | va mourir goutte à goutte, 6+6 b
Une fois qu'il a mit | le pied sous cette voûte, 6+6 b
55 Sent au-dessus de lui | son propre effacement. 6+6 a
Sa vie est à jamais | mêlée a ce ciment. 6+6 a
Le fil qui nous rattache | au monde dont nous sommes, 6+6 b
Et lie à travers l'ombre | un homme aux autres hommes, 6+6 b
Se brise ici. Sans air, | sans jour, sans point d'appui, 6+6 a
60 L'homme le sent flotter | rompu derrière lui. 6+6 a
Un vivant n'est plus là | qu'un rêve dans un gouffre. 6+6 b
Entrer là, c'est entrer | dans de l'oubli. L'on souffre, 6+6 b
On rampe, on saigne, on râle, | on crie ; on ne sait pas. 6+6 a
Le captif va, vient, tremble ; | il fait de vagues pas, 6+6 a
65 Sent à son pied sa chaîne | et s'arrête farouche, 6+6 b
Boit à sa cruche, mord | à son pain noir, se couche, 6+6 b
Se lève, se rendort, | tressaille, et, réveillé, 6+6 a
Dit : Où suis-je ? que suis-je ? | et tâte un mur mouillé. 6+6 a
Il ne sait plus qu'il souffre, | il ne sent plus qu'il pleure ; 6+6 b
70 Il semble à ce damné | qu'il s'enfonce à chaque heure 6+6 b
Plus bas dans la prison, | et que, dans lui vivant, 6+6 a
La prison chaque jour | pénètre plus avant ; 6+6 a
La Bastille le tient ; | hagard, il s'incorpore 6+6 b
A cet épouvantable | et hideux madrépore ; 6+6 b
75 Morne, il constate, au froid | toujours croissant du fer, 6+6 a
La transformation | de son bagne en enfer ; 6+6 a
Il croit que l'heure est morte | au-dessus de sa tête, 6+6 b
Et que l'éternité | dans son cachot s'arrête. 6+6 b
Est-ce que son œil voit ? | est-ce que son cœur bat ? 6+6 a
80 Il s'accoude des mois | entiers sur son grabat, 6+6 a
Écoutant dans un coin | filer quelque araignée. 6+6 b
Son âme se détache | et lui semble éloignée ; 6+6 b
Il croit heurter sa bière | en touchant à son lit ; 6+6 a
L'évanouissement | par degrés le remplit ; 6+6 a
85 Il ne peut plus fixer | un temps, compter un nombre ; 6+6 b
La pierre devient nuit, | lui-même il devient ombre, 6+6 b
Et sent croître, à travers | la stupeur de l'ennui, 6+6 a
Autour de lui la tombe | et le fantôme en lui. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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