Métrique en Ligne
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12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_13/HUG1091
Victor HUGO
La Fin de Satan
1886
LIVRE DEUXIÈME
HORS DE LA TERRE III
III
Si je ne l'aimais point,je ne souffrirais pas. 6+6 a
Laissez-moi remonter,gouffres ! — Non, pas à pas, 6+6 a
Je descends, je m'enfonce,à chaque effort je glisse 6+6 b
Plus avant. Le malheurde la nuit, son supplice, 6+6 b
5 C'est d'adorer le jouret de rester la nuit. 6+6 c
Cet amour, c'est l'horreur,et le mal est son fruit. 6+6 c
O ma lumière, donces-tu ; Satan t'implore. 6+6 d
M'entends-tu, dis ? reviens,aurore, aurore, aurore ! 6+6 d
Ne leur dis pas : toujours ;ne me dis pas : jamais ; 6+6 e
10 Je souffre ! — oh ; tout est noir,je ne vois pas, je hais ! 6+6 e
Je hais ; — oui, je vous hais,tas humain, foule blême, 6+6 f
Parce que vous l'aimez,parce que Dieu vous aime, 6+6 f
Parce que sa clartébrille à travers vos os, 6+6 g
Parce que vous plongezvos urnes aux ruisseaux, 6+6 g
15 Parce que vous passezvivants dans la nature, 6+6 i
Parce que vous avez,pendant que la torture 6+6 i
Me tenaille et que j'aimon âme pour vautour, 6+6 j
Dans vos yeux l'espéranceet dans vos cœurs l'amour ! 6+6 j
Hommes, larves, néants,ombres, faces rapides, 6+6 k
20 Vous n'êtes pas contents ;ô favoris stupides, 6+6 k
Vous vous plaignez d'allerchaque jour vieillissant, 6+6 l
De passer, de sentirrefroidir votre sang, 6+6 l
Et vous accusez Dieu !Quel rêve est donc le vôtre ! 6+6 n
J'ai perdu plus que vous,moi ; J'ai, l'un après l'autre, 6+6 n
25 Vu tomber mes rayons,comme vous vos cheveux ! 6+6 o
IV
Ne pouvoir remonter,même quand je le veux ; 6+6 o
Quoi ! les morts repentantss'envolent de leurs tombes 6+6 p
Radieux, les hibouxse changent en colombes, 6+6 p
Les démons pardonnésrentrent au firmament, 6+6 l
30 Et moi, le spectre noir,je les vois lentement 6+6 l
Blanchir dans la nuit sombreet redevenir anges ! 6+6 q
Des astres, fleurs du gouffre,éclosent dans les fanges ! 6+6 q
Quoi ! César est parti ;Torquemada s'en va ; 6+6 r
Busiris, dans la cave le tient Jéhovah, 6+6 r
35 Distingue une lueuret commence à sourire ; 6+6 t
Nemrod attend ; je viensd'entendre Judas dire, 6+6 t
Dans la geôle , son crimeet moi, nous le lions : 6+6 u
— Je n'ai plus maintenantque quatre millions 6+6 u
De siècles à resterà la chne dans l'ombre. — 6+6 v
40 Que Judas est heureux !il peut compter un nombre. 6+6 v
Pour tous, pour tous, pour tousl'horizon blanchira. 6+6 r
Caïn, le vieux Caïn,lui-même sortira ! 6+6 r
Moi seul, je resteraidans les déserts funèbres. 6+6 w
Horreur sans fond ! Je suisl'éternel des ténèbres. 6+6 w
45 Je suis le misérableà perpétuité. 6+6 x
V
Mais je me vengeraisur son humanité, 6+6 x
Sur l'homme qu'il créa,sur Adam et sur Ève, 6+6 y
Sur l'âme qui sourit,sur le jour qui se lève, 6+6 y
Sur toi, l'astre ! sur toi,l'aile ! sur toi, la fleur ! 6+6 z
50 Sur la vierge, et la mère,et sur l'enfant ! Malheur ! 6+6 z
Je défigureraila face universelle. 6+6 a
Serpent, je secoueraidans l'ombre ma crécelle. 6+6 a
J'inventerai des dieux :Moloch, Vishnou, Baal. 6+6 b
Je prendrai le réelpour briser l'idéal, 6+6 b
55 Les pierres des édenspour bâtir les sodomes. 6+6 c
A travers les rameauxde la forêt des hommes 6+6 c
On verra mes yeux luire,et l'on dira : c'est lui. 6+6 d
Plus effaré du malque du bien ébloui, 6+6 d
Le sage douterade Dieu. Je mordrai l'âme. 6+6 e
60 J'enlaidirai l'amourdans le cœur de la femme. 6+6 e
Je mêlerai ma cendreà ces charbons éteints. 6+6 f
Et, mauvais, je rirai,rayant tous leurs instincts 6+6 f
Et toutes leurs vertusde l'ongle de mes ailes. 6+6 g
Je serai si hideuxque toutes les prunelles 6+6 g
65 Auront je ne sais quoide sombre ; et les méchants 6+6 h
Et les pervers crtrontcomme l'herbe des champs, 6+6 h
Le fils, devant le jugeaux lèvres indignées, 6+6 i
Appartra, tenantdans ses mains des poignées 6+6 i
De cheveux blancs du pèreégorgé. Je dirai 6+6 j
70 Au pauvre : vole ; au riche :opprime. Je ferai 6+6 j
Jeter le nouveau-népar la mère aux latrines. 6+6 k
Tremble, ô Dieu ! J'ouvriraide mes mains leurs poitrines, 6+6 k
J'arracherai, fumant,et je tordrai leur cœur, 6+6 z
Et j'en exprimeraitous les crimes, l'horreur, 6+6 z
75 La trahison, le meurtre,Achab, Tibère, Atrée, 6+6 l
Sur ta créationrayonnante et sacrée ! 6+6 l
Tu seras Providenceet moi Fatalité. 6+6 x
J'ai fait mieux que la Haine ;ô vide ! ô cécité ! 6+6 x
J'ai fait l'Envie. En vaince Dieu bon multiplie 6+6 m
80 Ces colosses dont l'âmeest de rayons remplie, 6+6 m
Le génie et l'amouret l'héroïsme ; moi 6+6 n
Par la négationje fais ronger la foi ; 6+6 n
Je suis Zoïle ; autourdes Socrates j'excite 6+6 o
Anitus, et je metssur Achille Thersite, 6+6 o
85 Et tout pleure, et j'égale,à force de venins, 6+6 f
A l'éclat des géantsle gonflement des nains. 6+6 f
La matière a mon signeau front. Je la querelle. 6+6 a
J'effare l'eau sans fondsous des gouffres de grêle. 6+6 a
Je contrains l'océan,que Dieu tient sous sa loi, 6+6 n
90 Et la terre, à créerdu chaos avec moi, 6+6 n
Je fais de la laideurénorme avec leur force, 6+6 p
Un monstre avec l'écume,un monstre avec l'écorce, 6+6 p
Sur terre Béhémoth,Léviathan sur mer. 6+6 q
Je complète partoutle chaos par l'enfer, 6+6 q
95 La bête par l'idole,et les rats, les belettes, 6+6 r
La torpille, l'hyèneacharnée aux squelettes, 6+6 r
La bave du crapaud,la dent du caïman, 6+6 s
Par le bonze, l'obi,le fakir et l'iman. 6+6 s
Dieu passe dans le cœurdes hommes, j'y séjourne. 6+6 t
100 Sa roue avec un bruitsidéral roule et tourne, 6+6 t
Mais c'est mon grain lugubreet sanglant qu'elle moud ; 6+6 u
Jéhovah reculantsent aujourd'hui partout 6+6 u
Une créationde Satan sous la sienne ; 6+6 w
Son feu ne peut brillersans que mon souffle vienne. 6+6 w
105 Il est le char ; je suisl'ornière. Nous croisons 6+6 u
Nos forces ; et j'emploieaux pestes, aux poisons, 6+6 u
Aux monstres, aux déserts,son pur soleil candide ; 6+6 x
C'est Dieu qui fait le front,moi qui creuse la ride ; 6+6 x
Il est dans le prophèteet moi dans les devins. 6+6 f
110 Guerre et deuil ! je lui prendstous ses glaives divins, 6+6 f
Le glaive d'air, le vent,le glaive d'eau, la pluie, 6+6 m
L'épée éclair, stupeurde la terre éblouie, 6+6 m
Je m'en sers pour mon œuvre ;et la nature a peur. 6+6 z
A mon haleine une hydreéclôt dans la vapeur, 6+6 z
115 Et la goutte d'eau tombeen déluge agrandie ; 6+6 m
Avec le doux foyerqui chauffe, j'incendie ; 6+6 m
Je fais du miel le fiel,je fais l'écueil du port ; 6+6 y
Dieu bénit le meilleur,je sacre le plus fort ; 6+6 y
Dieu fait les radieux,je fais les sanguinaires. 6+6 z
120 Oui, pour broyer ses filsje prendrai ses tonnerres ! 6+6 z
Oui, je me dresseraide toute ma hauteur ! 6+6 z
Je veux dans ce qu'il faittuer ce créateur, 6+6 z
Je veux le torturerdans son œuvre, et l'entendre 6+6 a
Râler dans la justiceet la pudeur à vendre, 6+6 a
125 Dans les champs que la guerreaccable de ses bonds, 6+6 u
Dans les peuples livrésaux princes ; dans les bons 6+6 u
Et dans les saints, dans l'âmehumaine tout entière ! 6+6 b
Je veux qu'il se débatte,esprit, sous la matière ; 6+6 b
Qu'il saigne dans le justeassassiné ; je veux 6+6 o
130 Qu'il se torde, couvertde prêtres monstrueux, 6+6 o
Qu'il pleure, bâillonnépar les idolâtries ; 6+6 c
Je veux que des lys mortset des roses flétries, 6+6 c
Du cygne sous le becdes vautours frémissant, 6+6 l
Des beautés, des vertus,de toutes parts, son sang, 6+6 l
135 Son propre sang divinsur lui coule et l'inonde. 6+6 d
Voyez, regardez, Cieux !L'échafaud, c'est le monde, 6+6 d
Je suis le bourreau sombre,et j'exécute Dieu. 6+6 e
Dieu mourra. Grâce à moi,les chars sous leur essieu, 6+6 e
Les rois sous leur pouvoir,les aigles sous leurs griffes, 6+6 f
140 Les dogmes ténébreuxet noirs, sous leurs pontifes, 6+6 f
Tout ce qui sur la terreà cette heure est debout, 6+6 v
Même les innocentssous leurs pieds, ont partout 6+6 v
Quelque chose de Dieuque dans l'ombre ils écrasent. 6+6 g
Mes flamboiements rampantsous l'univers, l'embrasent. 6+6 g
145 Je suis le mal ; je suisla nuit ; je suis l'effroi. 6+6 n
VI
Grâce ! pardonne-moi !rappelle-moi ! prends-moi ! 6+6 n
Grâce ! Ne sens-tu pasqu'il faut que toute chne 6+6 w
Se rompe, et que le malfinisse, et que la haine 6+6 w
S'éteigne, évanouieen ta sérénité ; 6+6 x
150 Quoi ; le bien infini,le mal illimité ! 6+6 x
Toi le bien, moi le mal !est-ce que c'est possible ; 6+6 h
Le monde gouvernépar un double invisible ! 6+6 h
Y songez-vous, Seigneur ;un partage entre nous ! 6+6 i
Non, vous êtes la face,et je suis les genoux. 6+6 i
155 Laissez-moi me plieret tomber, juge immense, 6+6 k
Sur ce pavé des cieuxqu'on nomme la clémence ! 6+6 k
Grâce, ô Dieu ! L'univers,les terres et les eaux, 6+6 h
L'éther sans bornes, pleind'invisibles oiseaux, 6+6 h
Les glauques océansqui font rugir leurs ondes, 6+6 l
160 L'énormité vivante rayonnent les mondes, 6+6 l
Quoi ! c'est une balance nous pesons tous deux ; 6+6 o
Qu'en dites-vous, soleils ;Lui charmant, moi hideux ! 6+6 o
Quoi ! lui dans un plateau,soleils, et moi dans l'autre ! 6+6 n
La chair est ma servanteet l'âme est son apôtre. 6+6 n
165 Je lutte. Nous tenonschacun notre côté. 6+6 x
Avoir l'infini, c'estavoir l'égalité. 6+6 x
Ton paradis ne faitqu'équilibre à mon bagne. 6+6 m
Dieu ! — la créationainsi qu'une montagne, 6+6 m
Pèse sur moi ; je lèveà travers les chaos 6+6 g
170 Mon front d' mes douleursretombent en fléaux ; 6+6 g
Je me tords sans repas,sans fin, sans espérance. 6+6 k
C'est une majestéqu'une telle souffrance. 6+6 k
Oui, c'est l'énigme, ô nuit,de tes millions d'yeux : 6+6 o
Le grand souffrant fait faceau grand mystérieux. 6+6 o
175 Grâce, ô Dieu ! pour toi-mêmeil faut que je l'obtienne. 6+6 w
Ma perpétuitéfait ombre sur la tienne. 6+6 w
Devant ton œil flambeaurien ne doit demeurer, 6+6 x
Tout doit changer, vieilliret se transfigurer. 6+6 x
Toi seul vis. Devant toitout doit avoir un âge. 6+6 n
180 Et c'est pour ta splendeurun importun nuage 6+6 n
Qu'on voie un spectre assisau fond de ton ciel bleu, 6+6 e
Et l'éternel Satandevant l'éternel Dieu ! 6+6 e
VII
Ils sont là-haut ! Ils sontdans l'hymne et dans la joie ; 6+6 o
L'éther des paradisdevant eux se déploie. 6+6 o
185 Ils planent satisfaits,bienveillants, sérieux, 6+6 o
Dans le rayonnementdu ciel mystérieux ; 6+6 o
Leurs robes dans l'azurfont des plis de lumière ; 6+6 b
Ils ont leur innocenceet leur blancheur première. 6+6 b
Ils vont d'un monde à l'autreainsi que des oiseaux. 6+6 h
190 L'amour les courbe ainsique le vent les roseaux, 6+6 h
Et les redresse ainsique le foyer ses flammes. 6+6 p
Ils s'abîment en Dieutout en restant des âmes, 6+6 p
Et contemplent, heureux,la face de clarté. 6+6 x
Ils s'accouplent, noyésdans la félicité. 6+6 x
195 Ils le regardent être,il les regarde vivre. 6+6 q
Ils montent à jamaisvers lui. Lui les enivre 6+6 q
Du sourire inouïde son immensité. 6+6 x
Il les voit. Il leur parle ;il est Grâce et Beauté ; 6+6 x
L'impénétrable est doux,le formidable est tendre… — 6+6 a
200 Oh ! je voudrais saisir,arracher, tenir, prendre, 6+6 a
Oh ! je voudrais broyerl'étoile du matin ! 6+6 r
Le boiteux, le lépreux,et l'aveugle incertain, 6+6 r
Ceux qui marchent pieds nuset ceux qui n'ont pas même 6+6 f
Un toit l'hiver, ce sontdes riches. Dieu les aime. 6+6 f
205 Ils ont pour vêtementton regard de bonté. 6+6 x
Dieu ! n'être pas aimé,c'est là la nudité ! 6+6 x
Être dehors, c'est làle bitume et le soufre. 6+6 s
VIII
J'ai mis sous une pierreet scellé dans un gouffre 6+6 s
La justice, le bien,le pur, le vrai, le beau ; 6+6 t
210 Tout ce qui peur servirà l'homme de flambeau, 6+6 t
La vertu, la raison,penser, espérer, croire, 6+6 u
Ce qu'on nomme sagesseet ce qu'on nomme gloire, 6+6 u
Et je rêve accoudésur ce tombeau profond. 6+6 v
Je suis grand. Et sous moiles ténèbres défont 6+6 v
215 Ce qu'a fait la lumière,et dans les noirs abîmes, 6+6 x
Pensif, j'entends tombergoutte à goutte les crimes. 6+6 x
Le chaos me contemple,et j'ai le pied dessus. 6+6 y
Hélas ! hélas ! mieux vautl'étable nt Jésus 6+6 y
Que Babel et Niniveet Tyr et Babylone, 6+6 z
220 Et Job sur son fumierque Satan sur son trône ! 6+6 z
Oh ! si j'étais heureux,je serais bon ; Pitié ! 6+6 x
Je ne maudirais pas !L'onagre a-t-il crié, 6+6 x
Le bœuf a-t-il mugiquand ils ont eu de l'herbe ; 6+6 b
L'amour, l'azur, les lys,la lumière superbe, 6+6 b
225 Les grands rayons dorésqui vont s'élargissant, 6+6 l
Les vierges, les enfantsjoyeux, l'ange innocent, 6+6 l
La frange d'or de l'aubeau rebord des ravines, 6+6 k
Oh ; je crie éperduvers ces choses divines 6+6 k
Que je ne vois plus ; — Dieu ;— Dieu ; — Les splendeurs d'en haut 6+6 c
230 Ajoutent de la nuit,hélas, à mon cachot. 6+6 c
Il me tombe, de tousles concerts, des huées. 6+6 i
Je souffre. Je voudraisattendrir les nuées, 6+6 i
Je tends les mains aux fleurs,je crie aux aquilons : 6+6 u
Grâce ! Ayant tous les mauxdu monde pour haillons, 6+6 u
235 Je pleure, je demandeà la ronce, à la gerbe, 6+6 b
Au nuage, à la tombe,à l'étoile, au brin d'herbe, 6+6 b
Aux bêtes reculantdevant le front humain, 6+6 r
Aux cailloux qu'un foatcasse au bord du chemin, 6+6 r
A tout, au jour qui nt,au vent qui recommence, 6+6 k
240 De la pitié ! Je suisle mendiant immense. 6+6 k
***
DANS L'INFINI
CHANT DES ASTRES
Lumière
Argelander, astronome de Persée
L'étoile Algol
L'étoile Epsilon
L'étoile Nu
L'étoile Mira Cœli
***
IX
Encor si je pouvaisdormir ; Si, seulement 6+6 l
Une heure, une minute,un instant, un moment, 6+6 l
Le temps qu'une onde passeau fond du lac sonore, 6+6 d
Fût-ce pour m'éveillerplus lamentable encore, 6+6 d
245 Sur n'importe quels durset funèbres chevets, 6+6 e
Si je pouvais posermon front ; Si je pouvais, 6+6 e
Nu, sur un bloc de bronzeou sur un tas de pierres, 6+6 z
L'une de l'autre, hélas !rapprocher mes paupières, 6+6 z
Et m'étendre, et sentirquelque chose de frais, 6+6 e
250 De doux et de serein,comme si je mourais ; 6+6 e
Si je pouvais me perdreun moment dans un songe, 6+6 d
Apaiser dans mon flancce qui remue et ronge, 6+6 d
Aspirer un fluideétrange, aérien, 6+6 r
Impalpable, et flotter,et n'entendre plus rien, 6+6 r
255 Ni mon aile frémir,ni battre mon artère, 6+6 b
Ni ces cris dont je suisla cause sur la terre : 6+6 b
— Tuons ! Frappons ! Damnons !J'ai peur ! J'ai froid ! J'ai faim ! 6+6 r
Sentir ma misérableoreille sourde enfin ! 6+6 r
Oh ! me coucher, rentrermes griffes sous ma tête, 6+6 e
260 Dire : « C'est bien ! je dors,tout comme une autre bête, 6+6 e
« Comme un léopard, commeun chacal, comme un loup ! 6+6 v
« Une nuée augusteet calme me dissout ! » 6+6 v
Mais non ; jamais ! Je trneà jamais l'insomnie 6+6 m
Dans une immensitésinistre d'agonie. 6+6 m
265 Ne pas mourir, ne pasdormir. Voilà mon sort. 6+6 y
En songe on ne sort pas,mais on croit que l'on sort ; 6+6 y
C'est assez. Je n'ai pointcette trêve. Ma peine 6+6 w
C'est d'être là, toujoursdebout ; d'être une hne 6+6 w
Éternelle, guettantdans l'ombre affreusement ; 6+6 l
270 Et c'est de regardersans cesse fixement 6+6 l
Les escarpements noirsdu mystère insondable. 6+6 g
Voir toujours fuir, ainsiqu'une île inabordable, 6+6 g
Le sommeil et le rêve,obscurs paradis bleus 6+6 o
sourit on ne saitquel azur nébuleux ; 6+6 o
O condamnation !
275 Je suis sous cette vte. 6+6 i
Je regarde l'horreurprofonde, et je l'écoute. 6+6 i
Pas un être ne peutsouffrir sans que j'en sois. 6+6 j
Je suis l'affreux milieudes douleurs. Je peois 6+6 j
Chaque pulsationde la fièvre du monde. 6+6 d
280 Mon ouïe est le centre se répète et gronde 6+6 d
Tout le bruit ténébreuxdans l'étendue épars ; 6+6 k
J'entends l'ombre. O tourment ;le mal de toutes parts 6+6 k
M'apporte en mon cachotson âpre joie aiguë ; 6+6 l
J'entends glisser l'aspicet crtre la ciguë ; 6+6 l
285 Le mal pèse sur moidu zénith au nadir ; 6+6 m
La mer a beau hurler,l'avalanche bondir, 6+6 m
L'orage entreheurterles foudres qu'il secoue, 6+6 n
L'éclatant zodiaquea beau tourner sa roue 6+6 n
De constellations,sombre meule des cieux, 6+6 o
290 A travers le fracasvaste et prodigieux 6+6 o
Des astres dont parfoisle groupe énorme penche, 6+6 o
A travers l'océan,la foudre et l'avalanche 6+6 o
Roulant du haut des montsparmi les sapins verts, 6+6 p
J'entends le pas d'un crimeau bout de l'univers. 6+6 p
295 La parole qu'on dittout bas, qui n'est pas vraie, 6+6 q
L'obscur tressaillementdu blé qu'étreint l'ivraie, 6+6 q
La gangrène qui vientmordre la plaie à vif, 6+6 r
Le chuchotement sourddes flots noyant l'esquif, 6+6 r
Le silence du chienprès du nid de la grive, 6+6 s
300 J'entends tout, je n'échappeà rien, et tout m'arrive 6+6 s
A la fois dans ce bagne je suis submergé ; 6+6 e
Tous les fléaux en moiretentissent ; et j'ai 6+6 j
Le contre-coup de tousles monstres ; et je songe, 6+6 d
Écoutant la fureur,la chute, le mensonge 6+6 d
305 De toute cette raceimmonde de Japhet ; 6+6 j
Je distingue le bruitmystérieux que fait 6+6 t
Dans une conscienceun forfait qu'on décide ; 6+6 x
O nuit ! j'entends Nérondevenir parricide. 6+6 x
Sommeil, lieu sombre, espaceineffable, l'on est 6+6 t
310 Doux comme l'aube et purcomme l'enfant qui nt, 6+6 t
Dormir, ô guérison,détachement, rosée, 6+6 l
Stupeur épanouie,immense ombre apaisée, 6+6 l
Repos sacré, douceurfarouche, bercement 6+6 l
Qui trempe dans les cieuxles cœurs, noir et charmant, 6+6 l
315 Oh ! ce bain des remords,ce baume des ulcères, 6+6 z
La paix qui fait lâcherce qu'on a dans les serres 6+6 z
N'avoir jamais cela ;jamais ! n'avoir jamais 6+6 e
Cet assoupissementsur les vagues sommets, 6+6 e
Ce sommeil, devant quiles âmes sont pareilles, 6+6 u
320 Qui change l'antre en nid,et permet aux abeilles 6+6 u
De voler dans la gueuleouverte des lions ! 6+6 u
Oh ! cette voix qui dit :calmons et délions ; 6+6 u
Ne l'entendre jamaisdans mes nuits convulsives ; 6+6 v
La flamme à la prunelleet la bave aux gencives, 6+6 v
325 Veiller, veiller, veiller,grincer des dents, voilà 6+6 r
Dans quelles profondeursma faute me scella ; 6+6 r
Sort hideux ; m'enfermerdans la nuit, et m'exclure 6+6 i
Du sommeil ! me livrerà cette âcre brûlure, 6+6 i
La veille sans repos,le regard toujours noir, 6+6 w
330 Toujours ouvert ! O nuitsans pitié ; ne pouvoir 6+6 w
Lui prendre un peu de calme,et l'avoir sur moi toute ! 6+6 i
Englouti dans l'oubli,n'en pas boire une goutte ; 6+6 i
Toujours être aux aguets ;toujours être en éveil ! 6+6 x
O vous tous, êtres ! filsde l'ombre ou du soleil, 6+6 x
335 Qui que vous soyez, morts,vivants, oiseaux des grèves, 6+6 y
Esprits de l'air, espritsdu jour, larves des rêves, 6+6 y
Faces de l'invisible,anges, spectres, venez, 6+6 x
Vous trouverez Satanles yeux ouverts. Planez, 6+6 x
Rampez, allez-vous-en,revenez ; Satan veille 6+6 z
340 Les yeux ouverts. C'est l'ombreou c'est l'aube vermeille ; 6+6 z
Il a les yeux ouverts.Hier, demain, toujours ! 6+6 a
Laissez s'enfuir les pasdu temps, tardifs ou courts, 6+6 a
Après des millionsde jours, de mois, d'années, 6+6 i
De siècles, de saisonsécloses ou fanées, 6+6 i
345 De flux et de reflux,de printemps et d'hivers, 6+6 p
Venez, vous trouverezSatan les yeux ouverts. 6+6 p
Deux yeux fixes, voilàle fond de l'épouvante. 6+6 b
L'obscurité spectrale,informe, décevante, 6+6 b
Chimérique, me tientdans ces gouffres, béant 6+6 l
350 Et ployé sous le poidsmonstrueux duant. 6+6 l
Je souffre. Oh ! seulementun instant que je dorme ; 6+6 c
X
Je l'aime d'être beau,moi qui suis le difforme. 6+6 c
Que j'oublie un instant !ô souvenir ! — Je vois 6+6 j
Les anges lui parlerdans l'ombre à demi-voix. 6+6 j
355 Que leur dit-il ; je suisjaloux ; Je me rappelle 6+6 a
Qu'il me parlait aussi,que la lumière est belle ! 6+6 a
Je l'aime d'être bon,moi qui suis le mauvais. 6+6 e
Oh ! le temps d'un éclair,hélas ! si je pouvais 6+6 e
Au fond de mon chaosvoir son ombre appartre ! 6+6 e
360 Je l'adore, ô terreur,plus que Jephté son prêtre, 6+6 e
Plus qu'Amos son prophèteet David son chanteur. 6+6 z
Je l'aime d'être vrai,moi qui suis le menteur. 6+6 z
Le sang brûle mes yeux,l'écume emplit ma bouche, 6+6 f
Et, chien de l'infini,chassé du ciel, farouche, 6+6 f
365 Hagard, pleurant mon mtre,à la porte du jour, 6+6 j
Mâchant le genre humain,je hurle mon amour ! 6+6 j
Oui, chien !
En lui parlantma voix devient horrible. 6+6 h
Parfois, pensif, courbésous mon plafond terrible, 6+6 h
J'entends les séraphinsle chanter dans les cieux, 6+6 o
370 Et, quand ils ont fini,l'écho chante après eux ; 6+6 o
Alors je dis : — Eh bien,moi comme eux, moi de même, 6+6 f
Dieu, je veux te chanter ;ô lumière, je t'aime ! 6+6 f
Je veux d'un chant d'enferravir l'écho du ciel, 6+6 x
Satan est une lyreainsi que Gabriel. 6+6 x
375 Dieu ; c'est à toi, vrai jour,c'est à toi, seul refuge, 6+6 g
Dieu ; c'est à toi, pasteur,roi, père, mtre et juge, 6+6 g
Que la créationsonge éternellement ; — 6+6 l
Et fou, vieux cœur de ferattiré par l'aimant, 6+6 l
Je dis : gloire ! et ma stropheéclate en diadème, 6+6 f
380 Et je leur chante un hymneineffable et suprême, 6+6 f
Hymne aux versets charmantsd'ombre et d'extase emplis, 6+6 h
[Et] qui pourrait sortirde la bouche d'un lys, 6+6 h
Puis j'écoute ; et l'échoqui me répond aboie ! 6+6 o
XI
Les plus mornes cachotsont une claire-voie ; 6+6 o
385 Au fond de l'oubliette,au fond du cabanon, 6+6 i
Quelque chose encor sembleexister ; ici, non. 6+6 i
Satan vers Jéhovahse tourne, las d'abîme. 6+6 j
Oh ! l'unique assassinet l'unique victime, 6+6 j
C'est moi. J'ai pour tourmentle mal que mes mains font 6+6 w
390 Les autres êtres sont,puis ne sont plus, ils vont 6+6 w
Puis s'arrêtent, un bruit,puis rien ; je les envie. 6+6 m
Les autres sont morts ; — moi,je suis veuf de la vie. 6+6 m
L'effroyable vivantdu sépulcre, c'est moi. 6+6 n
Oui, le suppliciérâle et rugit ; la loi 6+6 n
395 Le tient dans ses poignetsde bronze qu'on redoute, 6+6 i
Le tue à petit feu,l'égorge goutte à goutte, 6+6 i
Et s'interrompt parfoispour qu'il meure longtemps. 6+6 h
Ses pieds fument, sa chairpétille, et par instants 6+6 h
Flambe, et l'on voit sortirdu ventre ses entrailles ; 6+6 k
400 Il hurle ; l'huile boutdans la cuve ; tenailles, 6+6 k
Plomb fondu, roue, horreur ;Par degrés cependant, 6+6 l
Malgré le vil bourreaude plus en plus ardent, 6+6 l
Sur l'homme évanouila torture s'émousse ; 6+6 l
La sinistre agoniearrive, affreuse et douce ; 6+6 l
405 Le tourment vaincu sembleà la surface errer ; 6+6 x
Le misérable sent,au moment d'expirer, 6+6 x
Comme un éloignementténébreux du supplice. 6+6 b
Entre ses cils brûlésun rayon pâle glisse, 6+6 b
C'est la mort, c'est le ciel,c'est l'infini profond ; 6+6 v
410 Il y tombe, il y flotte,il lui semble qu'il fond ; 6+6 v
Ses yeux tout grands ouvertsse fixent sur du vide ; 6+6 x
Il est mort. — Oh ; cela,gouffres, j'en suis avide, 6+6 x
Je l'implore, et je crie :A mon secours, bourreaux ; 6+6 g
La roue aux mille dents,les chevalets, les crocs, 6+6 g
415 L'attention du jugeaffreux, lent et barbare, 6+6 m
Les pinces, les cramponsrougis, les coups de barre, 6+6 m
L'huile ardente rongeantla cuve de granit, 6+6 c
Le fer, le feu, c'est bon,c'est doux, cela finit. 6+6 c
XII
Ayez de la pitié,gouffres, prison, géhenne, 6+6 w
420 Sépulcre, chaos, nuit,désolation, haine, 6+6 w
Ayez de la pitié,si le ciel n'en a pas ; 6+6 a
Sur Satan, de si hautprécipité si bas, 6+6 a
O vtes de l'enfer,laissez tomber des larmes ; 6+6 n
Non, c'est Dieu, c'est le ciel,c'est l'azur plein de charmes, 6+6 n
425 L'aurore se livranttoute nue à mes yeux, 6+6 o
C'est le baiser du jour,c'est l'amour que je veux ; 6+6 o
Rien ; le deuil. Rien ! l'hiver.Rien ; l'âpre solitude. 6+6 o
Le vil chaos, toujoursdans la même attitude ; 6+6 o
Les blocs mystérieuxde l'expiation ; 6+6 i
430 Je ne puis même, hélas,voir une vision, 6+6 i
Un reflet, comme on voitdu jour aux trous d'un crible. 6+6 h
J'écoute du néantle monologue horrible, 6+6 h
L'immensité pour moine contient qu'un affront. 6+6 w
Jamais Dieu ; — Tout est noir.— Quand ma main sur mon front 6+6 w
435 Cherche les deux rayonsde l'archange, elle y trouve 6+6 p
Les deux cornes du bouc ;je ne sais quelle louve 6+6 p
Qui tient l'être en sa gueuleet l'emporte et le mord, 6+6 y
Vient me lécher dans l'ombre,et dit : Je suis la mort. 6+6 y
Quoi ; j'ai le désespoirà jamais pour demeure ; 6+6 r
Horreur ! je t'aime, ô Dieu !Grâce, ô mon Dieu !
440 Bien, pleure 6+6 r
Sanglote, implore, écume,aime ; et sois rebuté ! 6+6 x
Recommence toujoursla même lâcheté ! 6+6 x
Chien Satan, vautre-toitoujours dans ta bassesse ! — 6+6 s
Oh ; je monte et descendset remonte sans cesse, 6+6 s
445 De la créationfouillant le souterrain, 6+6 r
Le bas est de l'acier,le haut est de l'airain, 6+6 r
A jamais, à jamais,à jamais ; Je frissonne, 6+6 z
Et je cherche et je crieet j'appelle. Personne ; 6+6 z
Et furieux, tremblant,désespéré, banni, 6+6 d
450 Frappant des pieds, des mainset du front l'infini, 6+6 d
Ainsi qu'un moucheronheurte une vitre sombre, 6+6 v
A l'immensité mornearrachant des pans d'ombre, 6+6 v
Seul, sans trouver d'issueet sans voir de clarté, 6+6 x
Je tâte dans la nuitce mur, l'éternité. 6+6 x
***
DANS LE CIEL
HYMNE DES ANGES
Pensée
***
XIII
455 Ici la tombe, làle chaos ; sur ma tête 6+6 e
La noirceur, sous mes piedsla chute ; je m'arrête, 6+6 e
La profondeur s'écroule,et tout est vide ; eh bien, 6+6 r
Tous ces gouffres mêléssur moi ne seraient rien 6+6 r
Si je pouvais donnerle change à ma pensée, 6+6 l
460 Moi-même m'enivrerde ma fureur versée, 6+6 l
Et me persuaderque je hais ; Ce n'est pas 6+6 a
De la crypte stupideet sourde du trépas, 6+6 a
Ce n'est pas du cachot,du puits, de la géhenne, 6+6 w
Ce n'est pas du verrou,ce n'est pas de la chne, 6+6 w
465 C'est de son propre cœurqu'on est le prisonnier. 6+6 x
Haïr délivre.
XIV
Hélas,à force de nier, 6+6 x
Et d'enfoncer dans toutmon sarcasme, âpre lame ; 6+6 e
A force de raillerle grand épithalame, 6+6 e
Et de crier d'en basaux crimes : je suis là ! 6+6 r
470 Et de continuerNemrod dans Attila, 6+6 r
Et de recommencerdans Borgia Caïphe, 6+6 t
A force d'ajouterà toute aile une griffe, 6+6 t
A force d'inspirerles basses actions, 6+6 u
A force de jetermon cloaque aux rayons, 6+6 u
475 A force d'être l'angeinfâme que sature 6+6 i
Tout le crime possibleen la sombre nature, 6+6 i
A force de m'emplirde ténèbres, j'ai froid. 6+6 u
XV
Oh ! l'essence de Dieu,c'est d'aimer. L'homme croit 6+6 u
Que Dieu n'est, comme lui,qu'une âme, et qu'il s'isole 6+6 w
480 De l'univers, poussièreimmense qui s'envole ; 6+6 w
Mais moi, l'ennemi tristeet l'éternel moqueur, 6+6 z
Je le sais, Dieu n'est pasune âme, c'est un cœur. 6+6 z
Dieu, centre aimant du monde,à ses fibres divines 6+6 k
Rattache tous les filsde toutes les racines, 6+6 k
485 Et sa tendresse égaleun ver au séraphin ; 6+6 r
Et c'est l'étonnementdes espaces sans fin 6+6 r
Que ce cœur effrayant,blasphémé par les prêtres, 6+6 x
Ait autant de rayonsque l'univers a d'êtres. 6+6 x
Pour lui créer, penser,méditer, animer, 6+6 x
490 Semer, détruire, faire,être, voir, c'est aimer. 6+6 x
Splendide, il aime, et c'estpar reflux qu'on l'adore ; 6+6 d
Tout en lui roule ; il tientà la nuit par l'aurore, 6+6 d
Aux esprits par l'idée,aux fleurs par le parfum ; 6+6 y
Et ce cœur dans son gouffrea l'infini, moins un. 6+6 y
495 Moins Satan, à jamaisrejeté, damné, morne. 6+6 z
Dieu m'excepte. Il finità moi. Je suis sa borne. 6+6 z
Dieu serait infinisi je n'existais pas. 6+6 a
Je lui dis : Tu fis bien,Dieu, quand tu me frappas ! 6+6 a
Je ne l'accuse point,non ; mais je désespère ! 6+6 b
500 O sombre éternité,je suis le fils sans père. 6+6 b
Du côté de Satanil est, mais n'est plus Dieu. 6+6 e
XVI
Cent fois, cent fois, cent fois,j'en répète l'aveu, 6+6 e
J'aime ! Et Dieu me torture,et voici mon blasphème, 6+6 f
Voici ma frénésieet mon hurlement : j'aime ! 6+6 f
505 J'aime à faire tremblerles cieux ! — Quoi ; tout est vain ; 6+6 r
Oh ! c'est là l'inouï,l'horrible, le divin, 6+6 r
De se dresser, d'ouvrirdes ailes insensées, 6+6 i
De s'attacher, sanglant,à toutes les pensées 6+6 i
Qu'on peut saisir, avecdes cris, avec des pleurs, 6+6 a
510 De sonder les terreurs,de sonder les douleurs, 6+6 a
Toutes, celles qu'on souffreet celles qu'on invente, 6+6 b
De parcourir le cercleentier de l'épouvante, 6+6 b
Pour retomber toujoursau même désespoir ; 6+6 w
Dieu veut que l'homme lass'endorme, il fait le soir ; 6+6 w
515 Il creuse pour la taupeune chambre sous terre ; 6+6 b
Il donne au singe, à l'ours,au lynx, à la panthère, 6+6 b
L'âpre hospitalitédes antres et des monts ; 6+6 u
Aux baleines les mers,aux crapauds les limons, 6+6 u
Les roseaux aux serpentssecouant leurs sonnettes ; 6+6 r
520 Il fait tourner autourdes soleils les planètes 6+6 r
Et dans la blanche maindes vierges les fuseaux ; 6+6 h
Il entre dans les nids,touche aux petits oiseaux, 6+6 h
Et dit : La bise vient,j'épaissirai leurs plumes ; 6+6 b
Il laisse l'étincelleéchapper aux enclumes, 6+6 b
525 Et lui permet de fuir,joyeuse, les marteaux ; 6+6 g
Il montre son grand cielaux lions de l'Athos ; 6+6 g
Il étale dans l'aube,ainsi que des corbeilles, 6+6 u
Sous des flots de rayons,les printemps pleins d'abeilles 6+6 u
Sa grandeur pour le mondeen bonté se résout. 6+6 v
530 Une vaste lueurardente embrase tout, 6+6 v
De l'archange à la bruteet de l'astre à la pierre, 6+6 b
Croise en forêt de feuses rameaux de lumière, 6+6 b
Va, vient, monte, descend,féconde, enflamme, emplit, 6+6 c
Combat l'hiver liantles fleuves dans leur lit, 6+6 c
535 Et lui fait lâcher prise,et rit dans toute chose, 6+6 c
Luit mollement derrièreune feuille de rose, 6+6 c
Chauffe l'énormitésidérale des cieux, 6+6 o
Brille, et de mon côté,prodige monstrueux, 6+6 o
Ce flamboiement se dresseen muraille de glace ; 6+6 d
540 Oui, la créationheureuse s'entrelace 6+6 d
Tout entière, clartéset brume, esprits et corps, 6+6 e
Dans le Dieu bon, avecd'ineffables accords ; 6+6 e
L'être le plus déchuretrouve l'innocence 6+6 k
Dans sa toute tendresseet sa toute puissance ; 6+6 k
545 Moi seul, moi le maudit,l'incurable apostat, 6+6 f
Je m'approche de Dieusans autre résultat 6+6 f
Que de faire grondervaguement le tonnerre ! 6+6 b
Dieu veut que cet essaimd'atomes le vénère, 6+6 b
Il leur demande à tousleur cœur, leur chant, leur bruit, 6+6 c
550 Leur parfum, leur prière ;à moi rien, de la nuit. 6+6 c
O misère sans fond ;Écoutez ceci, sphères, 6+6 z
Étoiles, firmaments,ô vieux soleils, mes frères, 6+6 z
Vers qui monte en pleurantmon douloureux souhait, 6+6 t
Cieux, azurs, profondeurs,splendeurs, — l'amour me hait ! 6+6 t
II
L'ANGE LIBERTÉ
I
555 De la lumière. Et puisde la lumière encore. 6+6 d
Chaos de firmamentsdans des gouffres d'aurore. 6+6 d
L'ange Liberté planeen l'azur spacieux. 6+6 o
On dirait que son œilcherche une issue aux cieux. 6+6 o
Elle voit une étoile.Elle s'approche : — Écoute, 6+6 i
560 Étoile ; conduis-moisous la fatale vte ; 6+6 i
Dieu permet que je parleà celui qui fut grand. 6+6 g
— Je ne puis, répond l'astre.Et Liberté reprend : 6+6 g
— Du moins, dis-moi la routeet comment y descendre. 6+6 a
— Parle à l'Éclair, dit l'astre.Il peut seul te l'apprendre. 6+6 a
565 Cet ange est dans le cielle seul qui sait tomber. 6+6 x
D'une aile que le ventmême ne peut courber, 6+6 x
L'Ange Liberté partet franchit l'éther sombre. 6+6 v
Elle vola longtemps ;— l'homme n'a pas de nombre 6+6 v
Pour compter ce temps-là ;— son vol fier était sûr. 6+6 h
570 Tout à coup, dans un angleinforme de l'azur, 6+6 h
Elle vit l'écurieénorme des nuées. 6+6 i
On entendait sonnerdes chnes dénouées, 6+6 i
Et rouler on ne saitquels effrayants essieux ; 6+6 o
L'ange Éclair travaillaitdans cet antre des cieux ; 6+6 o
575 Il en faisait sortirtous les chars du tonnerre ; 6+6 b
Quelques-uns n'étaient faitsque de flamme ordinaire ; 6+6 b
D'autres semblaient forgésdans l'enfer par les nuits ; 6+6 h
Et des ruissellementsde foudres inouïs 6+6 h
Ébauchaient vaguementleur forme épouvantable ; 6+6 g
580 Les écueils dans la mer,les taureaux dans l'étable, 6+6 g
Sont des roucoulementsprès des monstrueux bruits 6+6 h
De tous ces chars avecde l'abîme construits. 6+6 h
Liberté s'avançavers l'Éclair. L'immortelle 6+6 a
Sourit : — Ange, tu doisconntre, lui dit-elle, 6+6 a
585 L'éclatant Lucifertombé dans le trépas. 6+6 a
— C'est moi qui l'ai frappé,je ne le connais pas, 6+6 a
Dit l'Éclair. — Mais le gouffre tu jetas cette âme, 6+6 e
Tu peux me le montrer ;— Non, dit l'esprit de flamme. 6+6 e
Va trouver le vieil angeHiver. Il est le seul 6+6 i
590 Qui connaisse les plisténébreux du linceul. 6+6 i
Moi, je ne me souviensde rien. Je brise, et passe. 6+6 d
Puis, il montra du doigtun point noir dans l'espace, 6+6 d
C'était la terre.
— Va,dit-il. Le triste enfer 6+6 q
Touche à ce monde et làtu trouveras l'hiver. 6+6 q
595 Et l'ange Liberté,telle qu'un jet de fronde, 6+6 d
Partit, et vit grandirla sphère obscure et ronde, 6+6 d
Et, superbe, et bravantla bise et le mistral, 6+6 b
S'abattit sur la terreà l'endroit sépulcral. 6+6 b
Dans ce cercle effrayantque les glaciers enserrent, 6+6 j
600 Au fond du désert blême jamais ne passèrent 6+6 j
Les Colomb, les Gama,ces lumineux sondeurs, 6+6 a
Dans ces obscuritéset dans ces profondeurs 6+6 a
Sur la créationpar le néant conquises, 6+6 k
Au-delà des spitzbergs,des flots et des banquises, 6+6 k
605 Au centre de la brume tout rayon finit, 6+6 c
Loin du jour, dans l'eau marbreet dans la mer granit, 6+6 c
Le sombre archange Hiverse dresse sur le pôle ; 6+6 l
La trompette à la boucheet l'ombre sur l'épaule, 6+6 l
Il est là, sans qu'il sorte,au milieu de ce deuil, 6+6 i
610 De son clairon un souffle,un éclair de son œil ; 6+6 i
Il ne rêve pas même,étant un bloc de neige ; 6+6 m
Les vents ailés, pareilsà l'oiseau pris au piège, 6+6 m
Sont dans sa main, captifsdu silence éternel ; 6+6 x
Son œil éteint regardeaffreusement le ciel ; 6+6 x
615 Le givre est dans ses os,le givre est sur sa tête ; 6+6 e
L'horreur pétrifiéeautour de lui s'arrête ; 6+6 e
Sa sinistre attitudeeffare l'infini ; 6+6 d
Dur, morne, il est glacé,c'est-à-dire banni ; 6+6 d
La terre sous ses pieds,de ténèbres vêtue, 6+6 l
620 Se tait ; il est la blancheet muette statue 6+6 l
Debout sur ce tombeaudans l'éternelle nuit ; 6+6 c
Jamais une lueur,un mouvement, un bruit 6+6 c
N'effleurent le géant,seul sous de sombres voiles. 6+6 n
Quand, à tous ces cadransqu'on nomme les étoiles, 6+6 n
625 L'heure du dernier joursans terme et sans milieu 6+6 e
Sonnera, la clartéde la face de Dieu 6+6 e
Dégèlera le spectre,et tout à coup sa bouche 6+6 f
Se gonflera d'un pliformidable et farouche, 6+6 f
Et les mondes, esquifsroulant sans aviron, 6+6 i
630 Entendront l'ouragansortir de son clairon. 6+6 i
Jamais l'essaim chantantdes paradis n'approche 6+6 o
Cette âme du silenceet du deuil, faite roche, 6+6 o
Geôlière des cieux mortset des firmaments noirs ; 6+6 p
Ce brouillard gris, pareilà la chute des soirs, 6+6 p
635 Fait peur aux chérubinsextasiés et tendres ; 6+6 q
Les neiges, cette formeeffroyable des cendres, 6+6 q
Font de cet horizon,dont l'aube hait le seuil, 6+6 i
Quelque chose qui sembleun dedans de cercueil. 6+6 i
L'ange-vierge, à traversles glaciers blancs décombres, 6+6 r
640 Vola droit au géant,seul dans ces déserts sombres 6+6 r
Dont le jour ne veut paset qu'il n'a pas reçus. 6+6 y
D'abord elle planaradieuse au-dessus 6+6 y
Du lourd colosse, avecles grands cercles de l'aigle ; 6+6 s
Puis, s'approchant, lui dit :— Celui qui juge et règle, 6+6 s
645 Celui qui fait tout vivreet qui fait tout trembler, 6+6 x
M'a permis de venirici ; je veux parler 6+6 x
A quelqu'un d'effrayantdont seul tu connais l'antre ; 6+6 t
O géant, ouvre-moile gouffre, pour que j'entre. 6+6 t
Le Vieillard de la Nuitresta sourd et muet ; 6+6 t
650 Pas un pli du brouillardpesant ne remuait 6+6 t
Dans cette immensitéd'ombre et de solitude ; 6+6 o
Seulement, sans que rientroublât son attitude, 6+6 o
Et sans qu'un mouvementfit voir qu'il entendît, 6+6 c
La glace sous ses piedslentement se fendit. 6+6 c
655 Une crevasse étrangeapparut ; ouverture 6+6 i
D'on ne sait quelle horreurqui n'est plus la nature, 6+6 i
Bouche d'un puits livideet morne, escarpement 6+6 l
D'un abîme qui vaplus loin que l'élément, 6+6 l
Vision du néantformidable, enfermée 6+6 l
660 Entre deux murs sans forme rampe une fumée ; 6+6 l
Deuil, brume ; obscuritésans fond et sans contour. 6+6 j
La vierge Liberté,blanche et faite de jour, 6+6 j
Sentit le froid du lieufuneste rien n'existe. 6+6 u
La désolationde ce gouffre était triste 6+6 u
665 Et profonde ; et c'étaitl'infini de la nuit. 6+6 c
Elle ouvrit sa grande aile l'azur des cieux luit, 6+6 c
Et, calme, descenditdans cette ombre terrible. 6+6 h
II
Or, en ce même instant,l'horreur indivisible, 6+6 h
Sans palpitation,sans souffle et sans échos, 6+6 g
670 La lugubre unitéde tombe et de chaos 6+6 g
Qu'on nomme Enfer, voyaitune chose inouïe. 6+6 m
Une forme, parfoissoudain évanouie, 6+6 m
Puis renaissant, flottantau loin, puis s'abîmant, 6+6 l
Sorte de voile ayantun vague mouvement, 6+6 l
675 Glissait sous ce plafondqu'on prendrait pour un rêve. 6+6 y
Cette figure étaitla même que la grève 6+6 y
Du fleuve Seine avaitvue errer autrefois, 6+6 j
Et jeter dans les ventssa redoutable voix. 6+6 j
Elle allait, comme l'algueerre… — A travers le voile 6+6 v
680 La fixité des yeuxflamboyait, et la toile 6+6 v
Dont ce voile était fait,semblait avoir été 6+6 x
Tissue avec du rêveet de l'obscurité. 6+6 x
Elle sondait l'enferqui sans fin se prolonge ; 6+6 d
Dans la stagnationdes ténèbres, qui songe, 6+6 d
685 Et qui, farouche, a l'aird'un crime qui se tait, 6+6 t
Elle passait, tournait,descendait, remontait, 6+6 t
Prenant on ne sait quelsplis informes pour guides, 6+6 k
Blême aux endroits obscurs,noire aux endroits livides. 6+6 k
Ainsi vole à traversles branches l'émouchet. 6+6 t
690 Parfois, comme quelqu'unqui cherche, elle touchait 6+6 t
Le mur prodigieuxde la cave du monde. 6+6 d
Elle serpentait, lenteet souple comme une onde, 6+6 d
Dans l'abîme l'espritlit ce mot triste : Absent. 6+6 l
Souvent elle laissaitderrière elle en passant 6+6 l
695 Le bleuissement pâleet fugitif du soufre. 6+6 s
Soudain, comme sentantsous elle plus de gouffre, 6+6 s
Elle hésita, penchace qui semblait son front, 6+6 w
Et regarda.
La nuitqu'aucun jour n'interrompt 6+6 w
Gisait dans l'étendueeffroyable et sublime. 6+6 j
700 Ce précipice émitde la mort, faite abîme. 6+6 j
On y sentait flotterdu sépulcre dissous. 6+6 i
On voyait de la nuitsous la nuit ; au-dessous 6+6 i
De l'ombre, dans un videétrange, on voyait l'ombre. 6+6 v
Tout au fond remuaitune apparence sombre ; 6+6 v
705 Un fantôme entrevu,submergé, trouble, enfui, 6+6 d
Errant, rampant ; c'étaitle Damné ; c'était Lui. 6+6 d
On distinguait un front,des ailes, des vertèbres. 6+6 w
C'était l'archange larve,âme des lieux funèbres 6+6 w
Mêlant en lui de l'astreavec de l'animal ; 6+6 b
710 C'était l'être sinistreen qui pense le mal ; 6+6 b
C'était le criminelque le crime exécute ; 6+6 x
C'était plus qu'un esprittombé ; c'était la Chute. 6+6 x
Le chaos se roulaitsur l'ange en se gonflant ; 6+6 l
Par intervalle, un ongle,un large crâne, un flanc 6+6 l
715 Rayé comme les lynx,les guêpes et les zèbres 6+6 w
Se dressait dans le spasmehorrible des ténèbres 6+6 w
Ses écailles semblaientde fumée et de jais. 6+6 e
On croyait voir quelqu'unde ces vagues objets 6+6 e
Tortueux et flottants,dont on craint la piqûre. 6+6 i
720 Offrant tous les aspectsdans une ébauche obscure, 6+6 i
Céleste, bestial,humain, vertigineux, 6+6 o
Laissant voir une faceau milieu de ses nœuds, 6+6 o
Enflant des plis confusdans l'ombre rien ne brille, 6+6 z
C'était par instants l'hydreet parfois la chenille. 6+6 z
725 Il se trnait, visqueux,blême, éclipsé, terni, 6+6 d
Reptile colossaldu cloaque infini. 6+6 d
La caverne d'en basde Tout ; voilà ce gouffre. 6+6 s
C'était du vide en pleurset du miasme qui souffre. 6+6 s
D'affreux rocs ébauchaientde noirs décharnements ; 6+6 h
730 On croyait, dans la brumeépaisse, par moments, 6+6 h
Entrevoir le cadavreeffrayant de la Cause ; 6+6 c
Tout était mort ; Satanrôdait dans quelque chose 6+6 c
D'informe et de hideuxqui paraissait détruit ; 6+6 c
De sorte qu'au milieude la fétide nuit, 6+6 c
735 Tout étant noirceur, peste,épouvante, misère, 6+6 b
Lividité, ruine,il semblait nécessaire 6+6 b
Qu'au fond de cette tombeon vit ramper ce ver. 6+6 q
Si quelque ange, égarédans l'éternel hiver, 6+6 q
Fouillant la profondeurdu vide impénétrable, 6+6 g
740 Hélas ! fût arrivéjusqu'à ce misérable, 6+6 g
Il n't rien retrouvédans ce dieu de l'enfer 6+6 q
Du géant éclaireurqu'on nommait Lucifer. 6+6 q
L'abîme avait finipar entrer dans sa forme. 6+6 c
La condamnation,lourde, lépreuse, énorme, 6+6 c
745 S'était, sur cet archangeà jamais rejeté, 6+6 x
Lentement déposéeen monstruosité. 6+6 x
L'impur typhus sortaitde son haleine amère. 6+6 b
Parfois, car ce brouillardest rempli de chimère, 6+6 b
Dans cette nuit que, seul,le vertige connt, 6+6 t
750 Quelque ruissellementde lueur dessinait 6+6 t
Son dos ou la membraneimmonde de son aile. 6+6 a
La rondeur de sa rougeet fatale prunelle 6+6 a
Semblait, dans la terreurde ces lieux inouïs, 6+6 h
Une goutte de flammeau fond du puits des nuits. 6+6 h
755 Sa face était le masqueeffaré du vertige. 6+6 a
A de certains moments,phases du noir prodige, 6+6 a
Un flamboiement, sortantde lui, glissait sur lui ; 6+6 d
L'abîme aveugle étaitbrusquement ébloui ; 6+6 d
Alors, ô vision !à travers l'insondable, 6+6 g
760 A travers l'inconnuqui n'est pas regardable, 6+6 g
Dans l'étrange épaisseurdu gouffre devenu 6+6 b
Glauque autour du colosseinexprimable et nu, 6+6 b
Satan apparaissaitdans toute sa souffrance ; 6+6 k
Le démon fulgurant,dans cette transparence, 6+6 k
765 Horrible, se tordaitcomme un éclair noyé. 6+6 x
Puis la nuit revenait,glacée et sans pitié ; 6+6 x
La vaste cécitérefluait sous la vte 6+6 i
De l'éternel silenceet l'engloutissait toute ; 6+6 i
Et l'enfer, un instantmontré, se refermant, 6+6 l
770 Lugubre, s'emplissaitd'évanouissement. 6+6 l
III
La goule Isis-Lilithcria dans cette fosse : 6+6 c
— « Sois content. Tout périt.» (Oh ; toute langue est fausse 6+6 c
Comment rendre ces crisde spectre en mots humains ?) 6+6 f
« Père, ce qu'une foisj'ai saisi dans mes mains, 6+6 f
775 « Moi, la Fatalité,jamais je ne le lâche. 6+6 c
« L'airain, le bois, la pierre,ont accompli leur tâche ; 6+6 c
« L'airain s'est fait soldat,roi, prince, chevalier, 6+6 x
« Et le bois s'est fait jugeet la pierre geôlier ; 6+6 x
« Caïn a reparusous trois formes, le glaive, 6+6 y
780 « Le gibet, la prison ;et Babel se relève ; 6+6 y
« Le sang coule, Jésusest mort, l'enfer prévaut ; 6+6 c
« L'échafaud monstrueuxdu monde est le pivot ; 6+6 c
« Tout croule ; et dans le sanghumain l'homme se lave ; 6+6 d
« La guerre le fait bruteet la prison esclave ; 6+6 d
785 « L'homme subit le jougen sortant du combat ; 6+6 f
« Et, tigre dans le cirque,est âne sous le bât. 6+6 f
« Sois content. Tout est fauve,impitoyable et triste. 6+6 u
« Tu règnes. Cependantun obstacle résiste ; 6+6 u
« Dans cette fourmilièreobscure un peuple luit ; 6+6 c
790 « Il est le verbe, il estla voix, il est le bruit ; 6+6 c
« Il agite au-dessusde la terre une flamme ; 6+6 e
« Ce peuple étrange est plusqu'un peuple, c'est une âme ; 6+6 e
« Ce peuple est l'Homme même ;il brave avec dédain 6+6 r
« L'enfer, et, dans la nuit,cherche à tâtons l'Éden ; 6+6 r
795 « Ce peuple, c'est Adam ;mais Adam qui se venge, 6+6 e
« Adam ayant voléle glaive ardent de l'ange, 6+6 e
« Et chassant devant luila Nuit et le Trépas ; 6+6 a
« Il va ; tous les progrèssont faits avec ses pas ; 6+6 a
« Pas de haute actionque ses mains ne consomment ; 6+6 f
800 « Les autres nationsl'admirent, et le nomment 6+6 f
« FRANCE, et ce nom combatdans l'ombre contre nous. 6+6 i
« Cette France est l'amouret la joie en courroux, 6+6 i
« C'est le bien qui rugit,l'idéal qui s'irrite ; 6+6 o
« Tous nos prêtres, docteurqui ment, juge hypocrite, 6+6 o
805 « Faux juges, faux savantsdéformant les esprits, 6+6 h
« Nagent dans le crachatde son large mépris ; 6+6 h
« Elle est volcan, torrent,flot, lave ; elle bouillonne ; 6+6 z
« Fière, elle a plus qu'Athèneet plus que Babylone, 6+6 z
« Elle a Paris, la Villeunivers, pour cerveau ; 6+6 t
810 « Sur l'horizon humain,vaste, orageux, nouveau, 6+6 t
« Elle souffle la vieainsi qu'une tempête. 6+6 e
« Mais écoute, ce peupleest vaincu : sur sa tête 6+6 e
« J'ai mis le joug ; il estl'aube, je suis la fin. 6+6 r
« La pierre dont Abelfut frappé par Caïn, 6+6 r
815 « Gisait dans le sang, noire,inexorable, athée ; 6+6 l
« Tu l'en souviens, je l'airamassée et jetée 6+6 l
« Près de la Seine, ainsiqu'une graine en un champ ; 6+6 l
« Ton haleine, peantle globe, et la touchant, 6+6 l
« L'a fait crtre et grandirjusqu'au ciel, tour affreuse ; 6+6 h
820 « Cette tour en cachotsinnombrables se creuse ; 6+6 h
« Les rois en font leur antre ;elle écrase Paris ; 6+6 h
« Elle éteint sa lumière,elle étouffe ses cris ; 6+6 h
« C'est là que toute chneaboutit et commence ; 6+6 k
« Elle est le cadenasde l'esclavage immense ; 6+6 k
825 « Elle est la glace au frontde la France qui bout ; 6+6 v
« Elle est la tombe ; et l'ombreavec elle est debout. 6+6 v
« Elle garde en ses flancsle billot et la roue ; 6+6 n
« Cette tour est la geôle le vieux dogme écroue 6+6 n
« L'âme et la vie, et metl'esprit humain aux fers ; 6+6 p
830 « Car Paris bâillonnéfait muet l'univers ; 6+6 p
« La prison de la Franceest le cachot du monde. 6+6 d
« Maintenant, c'est fini,tout râle et rien ne gronde ; 6+6 d
« Ris, Satan. Plus que toiles hommes sont proscrits ; 6+6 h
« La Bastille, implacableet dure, est sur Paris 6+6 h
835 « Comme l'épée avecla croix, sur les deux Romes. 6+6 c
« Puisque tous deux, moi spectreet toi démon, nous sommes 6+6 c
« Les damnés, sans repos,sans sommeil ; les témoins ; 6+6 i
« Puisque nous ne pouvonsdormir, ayons du moins 6+6 i
« La joie âcre du maldans notre fièvre horrible ; 6+6 h
840 « A travers ton plafondcomme à travers un crible, 6+6 h
« Toi, souffle la fureuraux hommes malheureux, 6+6 o
« Et moi je secoueraile suaire sur eux. 6+6 o
« Oui, ta vengeance étreintle monde, et le ravage. 6+6 n
« Dans ces trois cercles noirs,Haine, Meurtre, Esclavage, 6+6 n
845 « Le morne enfer tient l'hommeà jamais enfermé. 6+6 x
« Un brouillard, d'ignoranceet de douleur formé, 6+6 x
« Envahit lentementla terre comme une onde. 6+6 d
« O grand désespéré,dans ta tombe profonde, 6+6 d
« Sois content. Nuit, terreur,mort. Éclipse de Dieu. 6+6 e
850 Et le spectre, penchantses prunelles de feu, 6+6 e
Regardant l'épaisseurqu'aucun frisson n'anime, 6+6 j
Attendit la réponseénorme de l'abîme. 6+6 j
Mais rien ne remua.Rien ne semblait vivant. 6+6 l
Le fantôme étonnéregarda plus avant. 6+6 l
Es-tu là ? cria-t-il.
855 L'ombre resta muette. 6+6 e
Soudain la colossaleet sombre silhouette 6+6 e
De l'ange monstre en quile ciel s'évanouit, 6+6 c
Apparut, surnageantsur le flot de la nuit. 6+6 c
Sur son front formidableune molle fumée 6+6 l
860 Flottait, et sa paupièrehorrible était fermée. 6+6 l
O Prodige ; Satanvenait de s'endormir. 6+6 m
Une commotionde stupeur fit frémir 6+6 m
L'immuable nuéeau fond du précipice. 6+6 b
L'antique patientde l'éternel supplice, 6+6 b
865 Pour souffrir à jamaisà jamais rajeuni, 6+6 d
Lui, l'immense œil de tigreouvert sur l'infini, 6+6 d
Satan, le mal, l'horreurcondensée en génie, 6+6 m
L'anxiété, le guet,la douleur, l'insomnie, 6+6 m
Dormait.
En même tempsla terre eut un répit. 6+6 c
870 La lave folle aux flancsde l'Hékla s'assoupit ; 6+6 c
Le fouet oublia l'âne ;et l'ours, las de ses courses, 6+6 j
Vint boire avec la bicheà la clarté des sources ; 6+6 j
La rose parut belleaux dragons éblouis ; 6+6 h
L'âme de Marc-Aurèleentra dans saint Louis ; 6+6 h
875 Le plus grand, attendri,se pencha sur le moindre ; 6+6 k
Le bonze, croyant voirde la lumière poindre, 6+6 k
Eut peur, chouette, et diten frémissant : déjà ! 6+6 r
La plante, qu'étouffaitle roc, se dégagea ; 6+6 r
Les mouches, qui pendaientaux toiles d'araignées, 6+6 i
880 S'envolèrent, de vieet d'aurore baignées ; 6+6 i
Le poids se soulevades reins du portefaix ; 6+6 e
Le vent s'arrêta courtsur les flots stupéfaits, 6+6 e
Et fit grâce, et laissarentrer la barque au havre ; 6+6 m
L'enfant mort, dont la mèreembrassait le cadavre, 6+6 m
885 Rouvrant les yeux, repritle sein en souriant. 6+6 l
Satan dormait.
IV
Isisrecula s'écriant : 6+6 l
Il dort ! Je souffre seule !Oh ! je le hais.
Sa bouche 6+6 f
Écarta presque, aveccette clameur farouche, 6+6 f
Le voile par ses yeuxflamboyants traversé ; 6+6 x
890 Puis les plis du linceulfroid et toujours baissé 6+6 x
Tombèrent longs et droits,et Lilith immobile 6+6 z
Songea.
Ce rêve obscurd'un spectre, la sibylle 6+6 z
Peut seule l'entrevoirquand dans son noir réduit 6+6 c
Elle médite, ayantsous son coude la nuit. 6+6 c
895 On entendait suinterle néant goutte à goutte. 6+6 i
Soudain Isis levason regard vers la vte, 6+6 i
Et, comme la fuméeaux cimes de l'Etna, 6+6 r
Dans toute sa longueurson linceul frissonna ; 6+6 r
Elle se dressa haute,épouvantable et pâle, 6+6 n
900 Et jeta, secouantson voile, avec le râle 6+6 n
Du tigre apercevantle lion importun, 6+6 y
Ce cri, prodigieuxdans ce gouffre : Quelqu'un ! 6+6 y
Un ange éblouissantles ailes déployées, 6+6 i
Entrait.
Les profondeursavec Satan broyées, 6+6 i
905 Tous ces monts que la fableappelle Othryx, Ossa, 6+6 r
Phlégon, et que le jetde soufre éclaboussa, 6+6 r
Monts frappés comme luiquand Dieu brisa son aile, 6+6 a
Et roulés dans sa chuteavec lui pêle-mêle, 6+6 a
Les blocs cicatriséset morts, les rocs maudits 6+6 h
910 Que Michel, soleil foudre,extermina jadis, 6+6 h
Crurent revoir l'éclairdu grand coup de tonnerre. 6+6 b
Tour l'enfer tressaillit.
L'ange, extraordinaire, 6+6 b
Superbe, souriant,descendait.
Sa clarté 6+6 x
Sereine, blêmissaitl'enfer épouvanté. 6+6 x
915 Le chaos éperdumontra sa pourriture. 6+6 i
On voyait au zénithdu gouffre une ouverture 6+6 i
D' tombait la lueurineffable des cieux. 6+6 o
La géhenne s'ouvritcomme un œil chassieux ; 6+6 o
Tout le plafond, pendanten haillon formidable, 6+6 g
920 S'éclaira. L'on put voirle fond de l'insondable, 6+6 g
Et les recoins confusdu grand cachot souillé ; 6+6 x
L'abîme frissonnacomme un voleur fouillé ; 6+6 x
On distinguait les bordsdes précipices trtres ; 6+6 x
Les brouillards qui flottaientprirent des formes d'êtres 6+6 x
925 Monstrueux, qui semblaientramper, et vivre là ; 6+6 r
La menace qu'on sentdans les lieux noirs sembla 6+6 r
Plus fauve, et le visageirrité des décombres, 6+6 r
Le blanchissement vagueet difforme des ombres, 6+6 r
Se hérissaient, montrantdes aspects foudroyés ; 6+6 o
930 Tous les renversementsen arrière, effrayés, 6+6 o
Se dressaient ; les granitsremuaient sous la nue ; 6+6 l
L'obscurité lugubreapparut toute nue ; 6+6 l
On t dit qu'elle ôtaitl'ombre qui la revêt, 6+6 t
Que le masque inouïde l'enfer se levait, 6+6 t
935 Et qu'on voyait la faceeffroyable du vide. 6+6 x
L'ange continuaitde descendre, splendide, 6+6 x
Dans cet effarementimmense de la nuit. 6+6 c
V
Le vautour ne sait pluss'il poursuit ou s'il fuit 6+6 c
Quand il voit l'aigle au fonddu nuage appartre. 6+6 e
940 Isis, se retournantvers ce radieux être 6+6 e
Beau comme vesper, l'astreet l'ange avant-coureur, 6+6 z
Se dressa dans un gesteeffrayant dont l'horreur 6+6 z
S'accroissait sous le voile,et lui cria :
— « Lumière, 6+6 b
« Qu'es-tu ? Que nous veux-tu ?N'avance pas. Arrière, 6+6 b
945 « Arrière ! Les rayonssont de ce gouffre exclus. 6+6 y
« Va-t'en. Ne donne pasun coup d'aile de plus, 6+6 y
« Tremble ! N'avance pas !»
L'ange approchait, tranquille. 6+6 z
La rage alors sortitde l'abîme immobile ; 6+6 z
On entendit, terreur !le cri du lieu muet ; 6+6 t
L'enfer aboya.
950 L'ombreécumait et huait. 6+6 t
L'ange approchait.
Isisfrémit. La pâle stryge, 6+6 a
Avec un mouvementde rêve et de prodige, 6+6 a
Se déploya debouttout entière devant 6+6 l
L'ange, majestueuxcomme le jour levant. 6+6 l
955 — « Mais réveille-toi donc,Satan ; dit le fantôme. 6+6 p
Satan dormait.
VI
Ce fut,sous le ténébreux dôme, 6+6 p
Une attente sans nomquand l'abîme comprit 6+6 c
Que cette larve allaitcombattre cet esprit. 6+6 c
L'ange était une femme ;il ne semblait pas même 6+6 f
960 S'apercevoir, du hautde sa fierté suprême, 6+6 f
Qu'il t quitté l'azur Dieu rayonne et vit. 6+6 c
Il venait.
Quand il futprès d'Isis, ce qu'on vit 6+6 c
Fut hideux, et l'horreurs'accrut, dans la mesure 6+6 i
De ce gouffre Babel,le colosse masure, 6+6 i
965 Ne serait qu'un tessonet Chéops qu'un gravat. 6+6 f
A travers l'affreux voile,et sans qu'il se levât, 6+6 f
Une tête de mort,sombre masque de flamme, 6+6 e
Parut, et le linceullaissa voir sous sa trame 6+6 e
Un squelette de feuflottant dans ses plis noirs ; 6+6 p
970 Deux yeux brillaient, ainsique deux ardents miroirs, 6+6 p
Sur cet épouvantableet sinistre visage ; 6+6 n
Isis ouvrit les bras,pour barrer le passage, 6+6 n
Ainsi que le gibetau haut du Golgotha ; 6+6 r
Et l'apparitionformidable jeta 6+6 r
975 Ces mots à l'ange, avecune clameur profonde : 6+6 d
« Je suis Lilith-Isis,l'âme noire du monde. 6+6 d
« Tremble ! L'être inconnu,funeste, illimité, 6+6 x
« Que l'homme en frémissantnomme Fatalité, 6+6 x
« C'est moi. Tremble ! Anankè,c'est moi. Tremble ! Le voile, 6+6 v
980 « C'est moi. Je suis la brumeet tu n'es que l'étoile ; 6+6 v
« Tu n'es qu'un des flambeauxpossibles, moi je suis 6+6 h
« La noirceur éternelleet farouche des nuits ; 6+6 h
« Je suis la bouche obscureet soufflant sur les phares ; 6+6 q
« Tremble ; malheur à toi,ver luisant qui t'égares ! 6+6 q
985 « Qu'est-ce que tu viens faireici ? Va-t'en. Ces lieux 6+6 o
« Sont du ciel et du jouret du mtre, oublieux. 6+6 o
« Qui que tu sois, malheurà ce qui s'aventure 6+6 i
« Dans la négationet dans la sépulture ; 6+6 i
« Malheur à vous, fourmisvolantes du ciel bleu, 6+6 e
990 « Malheur ! si vous tentezl'ombre l'athée est Dieu, 6+6 e
« L'antre le démon tientle sceptre de la cendre ; 6+6 a
« Si je poussais un cri,tu te sentirais prendre 6+6 a
« Par ce qu'on ne voit pas,l'invisible forêt 6+6 t
« Lâcherait son hibou,la nuit se lèverait 6+6 t
995 « Et t'envelopperaitdans la grande aile onglée ! 6+6 l
« Fuis, imbécile esprit !Fuis, lumière aveuglée ! 6+6 l
« Vil oiseau de l'azur,rentre à ton firmament. 6+6 l
« Qu'est-ce que tu viens faireau fond du châtiment ? 6+6 l
« Qu'est-ce que tu viens faire,ô frêle créature, 6+6 i
1000 « Dans les profonds dessousde la sombre nature, 6+6 i
« Dans la Haine, au-delàdes êtres, dans Satan ? 6+6 s
« Quoi ! la mouche entre n'oseentrer Léviathan ! 6+6 s
« Misérable ange, trembleet fuis ! Va-t'en, atome ! 6+6 p
L'ange sans dire un motregarda le fantôme 6+6 p
1005 Fixement, et gonflasa lèvre avec dédain. 6+6 r
L'étoile qu'elle avaitau front se mit soudain 6+6 r
A grandir, emplissantd'aurore l'ombre obscure. 6+6 i
O vision terribleet sublime ! à mesure 6+6 i
Que l'astre grandissait,la larve décroissait ; 6+6 t
1010 L'ardent grossissementde l'étoile poussait 6+6 t
Lilith-Isis vers l'ombre,et mêlait à la fange 6+6 e
Le fantôme rongépar la clarté de l'ange ; 6+6 e
Les rayons dévoraientl'affreux linceul flottant ; 6+6 l
L'étoile aux feux divins,plus large à chaque instant, 6+6 l
1015 Météore d'abord,puis comète et fournaise, 6+6 s
Fondait le monstre ainsiqu'un glaçon dans la braise. 6+6 s
Quand l'astre fut soleil,le spectre n'était plus. 6+6 y
VII
Tout fit silence au fonddu gouffre sans reflux, 6+6 y
Et rien ne troubla plusl'immobilité morte. 6+6 s
1020 Comme le goëmonque le flot berce et porte, 6+6 s
Satan dormait toujours.
Dans la nappe de nuit 6+6 c
s'enfonçait son corpsde chimère construit, 6+6 c
Ce qu'on entrevoyait,c'était sa forme humaine. 6+6 w
Semblable au flocon blancqu'un vent dans l'ombre amène, 6+6 w
1025 L'ange arrêta sur luises ailes qui flottaient, 6+6 t
Et pleura.
L'on t ditque ses larmes étaient 6+6 t
De la lumière en pleurscoulant de deux étoiles. 6+6 n
Comme la tarentuleau centre de ses toiles, 6+6 n
Le vaste malheureuxet le vaste méchant 6+6 l
1030 Palpitait ; et la viergeimmortelle, penchant 6+6 l
L'escarboucle alluméeau sommet de sa tète, 6+6 e
Tendit les bras vers l'angeenglouti dans la bête, 6+6 e
Et lui parla, planantet pourtant à genoux ; 6+6 j
Et l'accent de sa voixdivine était plus doux 6+6 j
1035 Que l'incarnationvague et sombre des sphères. 6+6 z
« O toi ; je viens, je pleure.Ici, dans les misères, 6+6 z
« Dans le deuil, dans l'enfer l'astre se perdit, 6+6 c
« Je viens te demanderune grâce, ô maudit ! 6+6 c
« Ici, je ne suis plusqu'une larme qui brille. 6+6 z
1040 « Ce qui survit de toi,c'est moi. Je suis ta fille. 6+6 z
« Sens-tu que je suis là ?Me reconnais-tu, dis ? 6+6 h
« M'entends-tu ? C'est du fonddes divins paradis, 6+6 h
« C'est de la profondeurlumineuse et sacrée, 6+6 l
« C'est de ce grand ciel clair vit celui qui crée, 6+6 l
1045 « Que je viens, éperdue,à toi, l'ange enfoui ! 6+6 d
« J'ai crié vers Dieu ; Dieuformidable a dit Oui ; 6+6 d
« Il me laisse descendreau fond des nuits difformes, 6+6 u
« Et, pour que je te parle,il permet que tu dormes. 6+6 u
« Car, Père, pour tes yeux,hélas, le firmament 6+6 l
1050 « Ne peut plus s'entr'ouvrirqu'en songe seulement ! 6+6 l
« Oh ! toute cette nuit,c'est affreux ! Père, Père ! 6+6 b
« Quoi ! toi dans ce cachot !Quoi ! toi dans ce repaire ! 6+6 b
« Toi puni ; toi mauvais !toi, l'né des élus ! 6+6 y
« Te voilà donc si basque Dieu ne te voit plus ! 6+6 y
1055 « L'enfer ! l'océan Nuit !Pas de flot, pas d'écume, 6+6 v
« Pas de souffle. Partoutle Noir. C'est, dans la brume, 6+6 v
« Ta respirationlugubre que j'entends. 6+6 h
« La longueur de ton deuildépassera le temps ; 6+6 h
« Le chiffre de tes mauxdépassera le nombre. 6+6 v
1060 « Les soleils me disaient :prends garde, il est dans l'ombre ! 6+6 v
« Et moi j'ai dit : je veuxvoir le désespéré. 6+6 x
« Hélas, l'astre du cielte hait, la fleur du pré 6+6 x
« Te craint, autour de toitous les êtres ensemble 6+6 w
« Frémissent, les clartésfrissonnent, l'azur tremble, 6+6 w
1065 « L'infini te redouteet t'abhorre : Eh bien, moi, 6+6 n
« Je t'apporte en amourtout cet immense effroi ! 6+6 n
« Je viens te prier, toiqu'on proscrit. Toi qu'on souille, 6+6 x
« Je viens avec des pleurste laver. J'agenouille 6+6 x
« La lumière devantton horreur, et l'espoir 6+6 w
1070 « Devant les coups de foudreempreints sur ton front noir ; 6+6 w
« Entends-moi dans ton rêveà travers l'anathème. 6+6 f
« Ne te courrouce point,père, puisque je t'aime ! 6+6 f
« Le blessé ne hait pasla main qui le soutient ; 6+6 y
« L'affamé n'a jamaismaudit celui qui vient 6+6 y
1075 « Disant : Voici du painet de l'eau. Bois et mange. 6+6 e
« Oh ! quand j'étais mêléeà tes ailes, quel ange 6+6 e
« Que Satan, dans l'auroreet dans l'immensité ! 6+6 x
« Dieu se nommant Bonté,tu t'appelais Beauté. 6+6 x
« Ta chevelure étaitblonde et surnaturelle, 6+6 a
1080 « Et frissonnait splendide,et laissait derrière elle 6+6 a
« Une inondationde rayons dans la nuit ! 6+6 c
« L'abîme était par toicomme par Dieu conduit. 6+6 c
« Un jour les élémentste prirent pour Lui-même ; 6+6 f
« Comme tu te dressaisavec ton diadème 6+6 f
1085 « Sur le ciel, de ton lustreeffrayant envahi, 6+6 d
« L'air dit : Emmanuel ;et l'onde : Adonaï ; 6+6 d
« Ton char faisait jaillirdes mondes sous sa roue. 6+6 n
« Près de toi, Raphaël,Gabriel, qui secoue 6+6 n
« Un météore éparsen flammes sur son front, 6+6 w
1090 « Michel, dont la clartéjamais ne s'interrompt, 6+6 w
« Ithuriel, qui mêleaux rayons les dictames, 6+6 p
« Stellial, Azraël,porte-flambeau des âmes, 6+6 p
« N'étaient plus que l'essaimconfus de la forêt ; 6+6 t
« Un resplendissementde blancheur t'entourait ; 6+6 t
1095 « Et l'aube en te voyants'écriait : je suis noire ; 6+6 u
« Tu passais au milieud'un ouragan de gloire ; 6+6 u
« Les éthers t'attendaientpour devenir azurs ; 6+6 z
« Les univers naissaient,prodigieux et purs, 6+6 z
« Avec des millionsde fleurs et d'étincelles, 6+6 g
1100 « Dans un rythme marquépar tes battements d'ailes ; 6+6 g
« Tu faisais, en fixantsur eux ton œil charmant, 6+6 l
« Reculer les soleilsdans l'éblouissement ; 6+6 l
« Tu flamboyais, candeuret force ; un lys archange ! 6+6 e
« Comme après le héross'avance la phalange, 6+6 e
1105 « A ta suite marchaientles constellations ; 6+6 u
« L'ombre pleurait d'amourquand nous la traversions ; 6+6 u
« La nuit, tu te levaisdans un triomphe d'astres ; 6+6 a
« Et les dômes divinset les sacrés pilastres, 6+6 a
« Et les éternels cieuxet l'éden nouveau-né, 6+6 x
1110 « T'adoraient dans ta joieimmense, infortuné ! 6+6 x
« Hélas, dès qu'en ce bagne, nul regard ne plonge, 6+6 d
« Tu fus précipité,Satan, tu fis ce songe 6+6 d
« De te venger, démongéant, sur l'infini ! 6+6 d
« Prés de l'ange proscrittu mis l'homme banni ; 6+6 d
1115 « Tu fis tomber Adamet tu fis déchoir Ève ; 6+6 y
« Tu voulus frapper Dieudans le germe et la sève, 6+6 y
« Dans l'enfant, dans le niddes bois, dans l'alcyon ; 6+6 i
« Seul, à jamais murésous la création, 6+6 i
« Tu devins, dans l'horreur,le grand rêveur funeste ; 6+6 b
1120 « Dans les vierges forêtstu fis sortir la peste 6+6 b
« De l'épaisseur charmanteet terrible des fleurs ; 6+6 a
« Avec les voluptéstu forgeas les douleurs ; 6+6 a
« Tu te mêlas à l'êtreauguste qui gouverne ; 6+6 c
« L'espace se remplitd'un esprit de caverne ; 6+6 c
1125 « Tu dis à l'Éternel :à nous deux maintenant ! 6+6 l
« Tu souillas l'infinirien qu'en l'espionnant. 6+6 l
« A travers l'océantu soufflas le naufrage ; 6+6 n
« Captif, tu pénétrasla terre de ta rage ; 6+6 n
« Le dessous ténébreuxde la vie appartint 6+6 y
1130 « A ta vengeance, et futpar ton haleine atteint ; 6+6 y
« Tu mordis les tombeaux ;tu mordis les racines ; 6+6 k
« Tu mêlas aux parfumsles herbes assassines ; 6+6 k
« Tu mis partout le monstreà côté de la loi ; 6+6 n
« Une émanationde nuit sortit de toi, 6+6 n
1135 « Et tu déshonorasl'univers magnanime. 6+6 j
« Dieu rayonnait le bien,tu rayonnas le crime. 6+6 j
« Tu fis d'en bas, avectes miasmes, des démons ; 6+6 u
« Tu pris les instincts vilset les impurs limons 6+6 u
« Et tu créas aveccette fange les trtres, 6+6 x
1140 « Les lâches, les cruels ;et tu fis dieux et mtres 6+6 x
« Des êtres de l'abîmeet des esprits foats ; 6+6 a
« Tu poussas les Nemrodsaux guerres, tu dressas 6+6 a
« Les Caïphes sanglantscontre les Christs sublimes ; 6+6 x
« Et souvent là-haut, nous,les anges, nous pâlîmes 6+6 x
1145 « D'entendre dans le deuilles prêtres et les rois 6+6 j
« Rire, et de voir grandirle glaive énorme en croix. 6+6 j
« A quoi cela t'a-t-ilservi ? plus de misère ; 6+6 b
« Voilà tout. Ton éclairronge et brûle ta serre ; 6+6 b
« Ton empoisonnementdu monde a commencé 6+6 x
1150 « Par toi-même, ô géantd'un combat insensé. 6+6 x
« Le mal ne fait pas peurà Dieu ; Dieu se courrouce, 6+6 l
« Et frappe. Tu croyaisque la vengeance est douce ; 6+6 l
« Elle est amère. Hélas !le crime est châtiment. 6+6 l
« La croissance du malaugmente ton tourment ; 6+6 l
1155 « Le mal qu'on fait souffrirs'ajoute au mal qu'on souffre ; 6+6 s
« Ta lave au fond des nuitssur toi retombe en soufre ; 6+6 s
« Et toi-même on t'entendpar moments l'avouer. 6+6 x
« Le supplice de Toutsur toi vient échouer. 6+6 x
« Tu fais tout chanceler,tout trembler sur sa base, 6+6 d
1160 « Tout crouler, et c'est toique ton effort écrase ; 6+6 d
« La Terre est sous ton joug,tu règnes à présent. 6+6 l
« Et te voilà sous plusd'épouvante gisant ; 6+6 l
« Te voilà plus difforme,et ton cœur d'airain saigne ! 6+6 d
« Mais, Satan, il faut bienqu'à la fin on te plaigne, 6+6 d
1165 « Tu dois avoir besoinde voir quelqu'un pleurer, 6+6 x
« Je viens à toi !
Je viensgémir, luire, éclairer, 6+6 x
« T'ôter du moins le poidsde la terrestre chne, 6+6 w
« Et guérir à ton flancla sombre plaie humaine. 6+6 w
« Mon père, écoute-moi.Pour baume et pour calmant, 6+6 l
1170 « Pour mêler quelque joieà ton accablement, 6+6 l
« Tu n'as jusqu'à cette heure,en ton âpre géhenne, 6+6 w
« Essayé que la nuit,la vengeance et la haine. 6+6 w
« O Titan misérable,essaye enfin le jour ! 6+6 j
« Laisse planer le cygneà ta place, ô vautour ! 6+6 j
1175 « Laisse un ange sortide tes ailes répandre 6+6 a
« Sur les fléaux un souffleirrésistible et tendre. 6+6 a
« Faisons lever Caïnaccroupi sur Abel. 6+6 x
« Assez d'ombre et de crime !Empêchons que Babel 6+6 x
« Pousse encor plus avantses hideuses spirales. 6+6 e
1180 « Oh ! laisse-moi rouvrirles portes sépulcrales 6+6 e
« Que, du fond de l'enfer,sur l'âme tu fermais ! 6+6 e
« Laisse-moi mettre l'hommeen liberté. Permets 6+6 e
« Que je tende la mainà l'univers qui sombre. 6+6 v
« Laisse-moi renverserla montagne de l'ombre ; 6+6 v
1185 « Laisse-moi foudroyerl'infâme tour du mal ! 6+6 b
« Permets que, grâce à moi,dans l'azur baptismal 6+6 b
« Le monde rentre, afinque l'Éden reparaisse ! 6+6 s
« Hélas ! Sens-tu mon cœurtremblant qui te caresse ? 6+6 s
« M'entends-tu sangloterdans ton cachot ? Consens 6+6 h
1190 « Que je sauve les bons,les purs, les innocents ; 6+6 h
« Laisse s'envoler l'âmeet finir la souffrance. 6+6 k
« Dieu me fit Liberté ;toi, fais-moi Délivrance ! 6+6 k
« Oh ! ne me défends pasde jeter dans les cieux 6+6 o
« Et les enfers, le cride l'amour factieux ; 6+6 o
1195 « Laisse-moi prodiguerà la terrestre sphère 6+6 b
« L'air vaste, le ciel bleu,l'espoir sans borne, et faire 6+6 b
« Sortir du front de l'hommeun rayon d'infini. 6+6 d
« Laisse-moi sauver tout,moi ton côté béni ! 6+6 d
« Consens ! Oh ! moi qui viensde toi, permets que j'aille 6+6 f
1200 « Chez ces vivants, afind'achever là bataille 6+6 f
« Entre leur ignorance,hélas, et leur raison, 6+6 i
« Pour mettre une rougeursacrée à l'horizon, 6+6 i
« Pour que l'affreux passédans les ténèbres roule, 6+6 g
« Pour que la terre trembleet que la prison croule, 6+6 g
1205 « Pour que l'éruptionse fasse, et pour qu'enfin 6+6 r
« L'homme voie, au-dessusdes douleurs, de la faim, 6+6 r
« De la guerre, des rois,des dieux, de la démence, 6+6 k
« Le volcan de la joieenfler sa lave immense ! 6+6 k
VIII
Tandis que cette viergeadorable parlait, 6+6 t
1210 Pareille au sein versantgoutte à goutte le lait 6+6 t
A l'enfant nouveau-néqui dort, la bouche ouverte, 6+6 h
Satan, toujours flottantcomme une herbe en eau verte, 6+6 h
Remuait dans le gouffre,et semblait par moment 6+6 l
A travers son sommeilfrémir éperdument ; 6+6 l
1215 Ainsi qu'en un brouillardl'aube éclôt, puis s'efface, 6+6 d
Le démon s'éclairait,puis pâlissait ; sa face 6+6 d
Était comme le champd'un combat ténébreux ; 6+6 o
Le bien, le mal, luttaientsur son visage entr'eux 6+6 o
Avec tous les refluxde deux sombres armées ; 6+6 i
1220 Ses lèvres se crispaient,sinistrement fermées ; 6+6 i
Ses poings s'entreheurtaient,monstrueux et noircis ; 6+6 h
Il n'ouvrait pas les yeux,mais sous ses lourds sourcils 6+6 h
On voyait les lueursde cette âme inconnue ; 6+6 l
Tel le tonnerre faitdes pourpres sous la nue ; 6+6 l
1225 L'ange le regardait,les mains jointes ; enfin 6+6 r
Une clarté, qu't pujeter un séraphin, 6+6 r
Sortit de ce grand fronttout brûlé par les fièvres ; 6+6 i
Plus difficilementque deux rochers, ses lèvres 6+6 i
S'écartèrent, un souffleorageux souleva 6+6 r
1230 Son flanc terrible, et l'angeentendit ce mot : Va ! 6+6 r
mètre profil métrique : 6+6
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