Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_13/HUG1088
Victor HUGO
La Fin de Satan
1886
LIVRE DEUXIÈME
LE GIBET
LE GIBET III
III
LE TRIOMPHE
C'est ainsi que chantait, | devant le ciel qui brille, 6+6 a
Le jeune homme alternant | avec la jeune fille, 6+6 a
Un groupe des enfants | du bourg de Bethphagé. 6+6 a
Au-delà d'un vallon | de brume submergé, 6+6 a
5 On distinguait des tours, | un mur blanc, une porte ; 6+6 a
C'était Jérusalem. | L'encens que l'aube apporte, 6+6 a
Les souffles purs, les fleurs | s'éveillant dans les bois, 6+6 a
Les rayons, se mêlaient | à l'ivresse des voix ; 6+6 a
Et c'était à côté | du chemin de la ville. 6+6 a
10 Hors du village, et près | de la borne du Mille, 6+6 a
Tout en allant aux champs, | ils s'étaient rencontrés ; 6+6 a
L'herbe était verte, et l'aube | éblouissait les prés ; 6+6 a
Les hommes avaient dit : | Trêve au travail austère ! 6+6 a
Et les femmes avaient | posé leur cruche à terre, 6+6 a
15 Et, sereins, ils s'étaient | mis à chanter, tandis 6+6 a
Que les oiseaux poussaient | des cris du paradis ; 6+6 a
Une aïeule riait | au seuil d'une masure ; 6+6 a
Trois laboureurs hâlés, | pour marquer la mesure, 6+6 a
Frappaient la terre avec | le manche de leur faulx ; 6+6 a
20 Les vierges, au front pur | comme un lys sans défauts, 6+6 a
Songeaient, et, l'œil noyé, | la bouche haletante, 6+6 a
Regardaient l'horizon | dans une vague attente. 6+6 a
Tout à coup, au moment | où les femmes en chœur 6+6 a
Jetaient aux forêts l'hymne | enflammé de leur cœur 6+6 a
25 Que marquait la cadence | agreste des faucilles, 6+6 a
Quelqu'un dit : — Écoutez ! | paix ! — Et les jeunes filles 6+6 a
S'arrêtèrent, le doigt | sur la bouche, entendant 6+6 a
Derrière le coteau | brûlé du jour ardent, 6+6 a
D'autres voix qui chantaient, | douces comme des âmes : 6+6 a
30 — « Le bien-aimé, celui | que vous attendez, femmes, 6+6 a
« C'est celui-ci qui passe | et que nous amenons. 6+6 a
« Le triomphe nous a | choisis pour compagnons, 6+6 a
« La lumière permet | que nous marchions près d'elle, 6+6 a
« Et nous menons le maître | à son peuple fidèle, 6+6 a
35 « Voici le bien-aimé | des âmes ! et celui 6+6 a
« Sur qui la grande étoile | éblouissante a lui ! 6+6 a
« Toutes les majestés | forment son diadème ; 6+6 a
« Il pourrait foudroyer, | il préfère qu'on l'aime ; 6+6 a
« Il console Rachel, | il relève Sara ; 6+6 a
40 « Il marche entre la joie | et la gloire ; il sera 6+6 a
« Comme un bouquet de myrrhe | entre deux seins célestes ; 6+6 a
« Son sceptre anéantit | dans les rayons les restes 6+6 a
« Du vieux monde terrible | où se tord le serpent ; 6+6 a
« Son nom divin est comme | une huile qu'on répand ; 6+6 a
45 « Au-dessus de sa tête, | étonnement des anges, 6+6 a
« Le ciel est un murmure | immense de louanges ; 6+6 a
« Il est plus glorieux | qu'Alexandre, et plus beau 6+6 a
« Que Salomon qui tient | un lys dans son tombeau ; 6+6 a
« Il a pour champ la terre, | et l'esprit pour domaine ; 6+6 a
50 « Il vient ôter la nuit | de dessus l'âme humaine ; 6+6 a
« Il fera reculer | l'Hydre qui triomphait, 6+6 a
« Il transfigurera | le monde stupéfait ; 6+6 a
« L'abîme le regarde | et l'aurore l'approuve ; 6+6 a
« Le grondement du tigre | et le cri de la louve, 6+6 a
55 « La haine, la fureur | soulevant un pavé, 6+6 a
« La guerre, se tairont | devant son doigt levé. 6+6 a
« Dans son immensité | Moloch s'écroule et sombre. 6+6 a
« Il est sans tache, il est | sans borne, il est sans nombre ; 6+6 b
« Il produit, en fixant | au ciel son œil béni, 6+6 c
60 « La disparition | du mal dans l'infini. 6+6 c
« Les chars de Pharaon | près de lui sont de l'ombre. 6+6 b
« Il est plus radieux | que Nemrod n'était sombre ; 6+6 a
« Il brille plus qu'Ammon | à qui rien ne manquait, 6+6 a
« Et dont le trône était | le centre d'un banquet ; 6+6 a
65 « Il dépasse Cyrus, | debout sur son pilastre. 6+6 a
« Peuple, toute son âme | est une clarté d'astre. 6+6 a
« C'est un roi ; plus qu'un roi. | C'est lui le Conquérant, 6+6 a
« C'est lui l'élu, c'est lui | le vrai, c'est lui le grand ! 6+6 a
« Gloire à lui ! Le soleil | le voit, l'ombre l'écoute. » 6+6 a
70 Alors on aperçut, | au détour de la route, 6+6 a
Un homme qui venait | monté sur un ânon. 6+6 a
Cet homme, dont chacun | se redisait le nom, 6+6 a
Était le même à qui | naguère un prêtre blême 6+6 a
Avait jeté du haut | du temple l'anathème. 6+6 a
75 Il avait les cheveux | partagés sur le front ; 6+6 a
Des femmes qui riaient | et qui dansaient en rond, 6+6 a
Le suivaient, et de fleurs | elles étaient couvertes, 6+6 a
Et des petits enfants | portaient des branches vertes ; 6+6 a
Et de partout, des champs, | des toits, des bois obscurs, 6+6 a
80 Et de Jérusalem | dont on voyait les murs, 6+6 a
Sortait la foule, gaie, | heureuse, pêle-mêle ; 6+6 a
Des mères lui montraient | leur fils à la mamelle, 6+6 a
Et les vieillards criaient : | Hosanna ! Quelques-uns 6+6 a
Soufflaient sur des réchauds | où brûlaient des parfums ; 6+6 a
85 Il s'avançait avec | le calme du mystère ; 6+6 a
Et ces hommes louaient | cet homme, et sur la terre 6+6 a
Étendaient leurs habits | pour qu'il passât dessus ; 6+6 a
Quelques lambeaux de pourpre | à la hâte cousus 6+6 a
Faisaient une bannière | en avant du cortège ; 6+6 a
90 Et tous disaient : — Que Dieu | le Père le protège ! 6+6 a
Voilà celui qui vient | pour nous rendre meilleurs ! — 6+6 a
Lui, pensif, regarda | Jérusalem, les fleurs, 6+6 a
Le soleil au plus haut | des cieux comme une fête, 6+6 a
Ces tapis sous ses pieds, | ces rameaux sur sa tête, 6+6 a
95 Et les femmes chanter, | et le peuple accourir, 6+6 a
Et sourit, en disant : | Je vais bientôt mourir. 6+6 a
IV
LE DEVOIR
Marie était assise | entre Thomas et Jude ; 6+6 a
Et le maître debout | disait : — La solitude 6+6 a
Est un rayon d'en haut | qu'on met dans son esprit ; 6+6 a
100 Mais le sauveur va droit | au peuple et s'y meurtrit ; 6+6 b
Dieu livre le Messie | aux multitudes viles ; 6+6 c
La palme ne croit pas | aux déserts, mais aux villes ; 6+6 c
Malheur à qui se cache | et malheur à qui fuit ! 6+6 b
Laissons mûrir sur nous | la mort ainsi qu'un fruit ; 6+6 a
105 Et ne la troublons pas | dans sa lente croissance ; 6+6 a
Dieu, quand il juge un homme | en sa toute-puissance, 6+6 a
Voit ce qu'il a vécu | moins que ce qu'il a fait ; 6+6 a
Au soleil de la mort | David se réchauffait ; 6+6 a
Ce serait mal aimer | un frère que lui dire : 6+6 a
110 Recule ! quand vers Dieu | le sépulcre l'attire ; 6+6 a
Et ce serait haïr | et perdre son enfant 6+6 a
Que l'ôter du chemin | funeste et triomphant ; 6+6 a
Le calice est amer, | mais l'exemple est utile ; 6+6 a
Et c'est pourquoi je suis | venu dans cette ville. 6+6 a
115 Ainsi parlait le fils | et la mère écoutait. 6+6 a
V
DEUX DIFFÉRENTES MANIÈRES D'AIMER
C'est l'heure où le ramier | rentre au nid et se tait. 6+6 a
Une femme se hâte | en une rue étroite ; 6+6 a
Elle regarde à gauche, | elle regarde à droite, 6+6 a
Et marche. S'il faisait | moins sombre au firmament, 6+6 a
120 On pourrait à ses doigts | distinguer vaguement 6+6 a
Le cercle délicat | des bagues disparues ; 6+6 a
Son pied blanc n'est pas fait | pour le pavé des rues ; 6+6 a
Elle porte un long voile | aux plis égyptiens 6+6 a
Plein de rayons nouveaux | et de parfums anciens ; 6+6 a
125 Jeune et blonde, elle est belle | entre toutes les femmes ; 6+6 a
Elle a dans l'œil des pleurs | semblables à des flammes ; 6+6 a
C'est Madeleine, sœur | de Lazare.
Elle court. 6+6 a
Près de son pas céleste | un oiseau serait lourd. 6+6 a
Où va-t-elle ?
Il est nuit, | et personne ne passe. 6+6 a
130 Une lumière brille | en une maison basse. 6+6 a
Une autre femme, grave, | est debout sut le seuil. 6+6 a
Son front est gris ; elle est | sévère sans orgueil, 6+6 a
Douce comme un enfant | et grande comme un sage. 6+6 a
Elle pleure et médite ; | on voit sur son visage 6+6 a
135 La résignation | au sacrifice noir ; 6+6 a
On dirait la statue | en larmes du devoir ; 6+6 a
Le cœur tremblant s'appuie | en elle à l'âme forte ; 6+6 a
C'est la mère.
Elle a l'air | de garder cette porte. 6+6 a
Madeleine l'aborde, | et presque avec des cris 6+6 a
140 Lui parle, et s'épouvante, | et tord ses bras meurtris. 6+6 b
— Mère, ouvre-moi. Je viens. | Il s'agit de sa vie. 6+6 c
Me voici. J'ai couru | de peur d'être suivie. 6+6 c
On creuse l'ombre autour | de ton fils. Je te dis 6+6 b
Que je sens fourmiller | les serpents enhardis. 6+6 a
145 J'ai connu les démons, | du temps que j'étais belle ; 6+6 a
Je sais ce que l'enfer | met dans une prunelle ; 6+6 a
Je viens de voir passer | Judas ; cela suffit. 6+6 a
C'est un calculateur | de fraude et de profit ; 6+6 a
C'est un monstre. Ouvre-moi, | que j'entre chez le maître. 6+6 a
150 Le temps presse. Il sera | trop tard demain peut-être. 6+6 a
Il faut que ce soir même | il fuie, et que jamais 6+6 a
Il ne revienne ! ô mère ! | et, si tu le permets, 6+6 a
Je vais l'emmener, moi ! | Ces prêtres sont infâmes ! 6+6 a
Manquer sa mission, | ne point sauver les âmes, 6+6 a
155 Que nous importe, à nous | les femmes qui l'aimons ! 6+6 a
Il sera mieux avec | les tigres dans les monts 6+6 b
Que dans Jérusalem | avec les prêtres. Mère, 6+6 c
Qu'il renonce au salut | des hommes, sa chimère, 6+6 c
Qu'il fuie ! Oh ! n'est-ce pas ? | nous baisons ses talons, 6+6 b
160 Et qu'il vive, voilà | tout ce que nous voulons. 6+6 a
Ces juifs l'égorgeront ! | Demande à ma sœur Marthe 6+6 a
Si c'est vrai, s'il n'est pas | nécessaire qu'il parte. 6+6 a
Laisse-moi l'arracher | à son affreux devoir ! 6+6 a
Oh ! te figures-tu | cela, mère ? le voir 6+6 a
165 Saisi, lié, tué | peut-être à coups de pierre ! 6+6 a
O Dieu ! le voir saigner, | lui, ce corps de lumière ! 6+6 a
Ouvre-moi. Je sais bien | qu'il est dans ta maison 6+6 a
Puisque je vois sa lampe | à travers la cloison. 6+6 a
O mère, laisse-moi | l'implorer pour que vite 6+6 a
170 Il s'en aille et s'échappe | et qu'il prenne la fuite ! 6+6 a
A quoi songes-tu donc | que tu ne réponds rien ? 6+6 a
Si tu veux, à nous deux, | nous le sauverons bien ! 6+6 a
Veux-tu te joindre à moi | pour arracher notre ange 6+6 a
Au gouffre monstrueux | de ce devoir étrange, 6+6 a
175 Aux bourreaux, à Judas, | son hideux compagnon ? 6+6 a
La mère en sanglotant | lui fait signe que non. 6+6 a
VI
APRÈS LA PÂQUE
On était aux grands jours | où le temple flamboie, 6+6 a
Où les petits enfants | s'éveillent pleins de joie ; 6+6 a
La Pâque était venue. | On avait dans les fours 6+6 a
180 Cuit le pain sans levain | qu'on vend aux carrefours. 6+6 a
Or Jésus-Christ était | sur la montagne obscure ; 6+6 a
Au lieu même où plus tard | fut un temple à Mercure 6+6 a
Bâti par Adrien, | détruit par Constantin. 6+6 a
C'était le soir ; Jésus | avait dit le matin 6+6 a
185 Aux disciples rangés | autour de lui : « — Vous, Jacques, 6+6 a
« Vous, Pierre, vous, Thomas, | voici le jour de Pâques ; 6+6 a
« Vous irez dans la ville | où des gens passeront ; 6+6 a
« Vous trouverez un homme | ayant sa cruche au front ; 6+6 a
« À l'endroit où cet homme | ira, quel qu'il puisse être, 6+6 a
190 « Vous irez à sa suite, | et vous direz : — Le Maître 6+6 a
« Vient faire ici la Pâque. | — Et pour cette raison 6+6 a
« Le maître du logis | donnera sa maison. 6+6 a
« Il sied que Dieu toujours | nous mène où bon lui semble. 6+6 a
« Et nous célébrerons | la Pâque tous ensemble. 6+6 a
195 Et cela s'était fait | ainsi qu'il l'avait dit. 6+6 a
Ce que la Cène vit | et ce qu'elle entendit 6+6 a
Est écrit, dans le livre | où pas un mot ne change, 6+6 a
Par les quatre hommes purs | près de qui l'on voit l'ange, 6+6 a
Le lion, et le bœuf, | et l'aigle, et le ciel bleu ; 6+6 a
200 Cette histoire par eux | semble ajoutée à Dieu 6+6 a
Comme s'ils écrivaient | en marge de l'abîme ; 6+6 a
Tout leur livre ressemble | au rayon d'une cime ; 6+6 a
Chaque page y frémit | sous le frisson sacré ; 6+6 a
Et c'est pourquoi la terre | a dit : Je le lirai ! 6+6 a
205 Les âmes du côté | de ce livre mendient, 6+6 a
Et vingt siècles penchés | dans l'ombre l'étudient. 6+6 a
C'était donc le soir même | où cet être divin 6+6 a
Venait de partager | le gâteau sans levain ; 6+6 a
Christ, assis, lui treizième, | au centre de la table, 6+6 a
210 — Et ce noir chiffre Treize | est resté redoutable, — 6+6 a
Avait rompu le pain, | versé le vin, disant : 6+6 a
« Mangez, voici ma chair ; | buvez, voici mon sang. » 6+6 a
Puis il avait repris : | « Allons où Dieu nous mène ! » 6+6 a
Et tous étaient allés | en sortant de la Cène 6+6 a
215 Au jardin qui fleurit | derrière le Cédron. 6+6 a
Ce torrent, que jamais | n'a touché l'aviron, 6+6 b
Coulait hors de la ville | au pied d'une colline. 6+6 c
Les pâtres y montraient | la cave sibylline 6+6 c
De Lilith, femme spectre, | amante du démon ; 6+6 b
220 C'est près de ce coteau | que le prêtre Simon 6+6 a
Fit creuser le canal | à laver les hosties ; 6+6 a
Des sources y versaient, | à travers les orties, 6+6 a
Une eau qui de la ville | emplissait les viviers ; 6+6 a
Et ce lieu s'appelait | le Mont des Oliviers. 6+6 b
225 On venait sur ce mont | aux époques de jeûnes. 6+6 c
Une plantation | d'oliviers alors jeunes 6+6 c
Le couvrait en effet, | jetant aux verts sentiers 6+6 b
Une ombre qui faisait | durer les églantiers. 6+6 a
Christ y vint, murmurant | tout bas : Que Dieu m'assiste ! 6+6 a
230 Et ce qui s'y passa | ce soir-là fut si triste, 6+6 a
Si lâche et si fatal | qu'aujourd'hui ce jardin 6+6 a
Est voisin de l'enfer | comme du ciel l'Éden. 6+6 a
Voici ce que Jésus | disait sur la montagne ; 6+6 a
« Ce qu'on perd sur la terre | au ciel on le regagne. 6+6 a
235 « Qui regarde en arrière | et s'étonne de peu, 6+6 a
« Celui-là n'est pas propre | au royaume de Dieu. 6+6 a
« Dieu se dévoile assez | pour que l'homme le voie. 6+6 a
« Je suis moins grand que lui, | mais c'est lui qui m'envoie. 6+6 a
« Quand je parle, c'est lui | qui dit ce que je dis. 6+6 a
240 « Si vous vous aimez bien, | voilà le paradis. 6+6 a
« Soyez bons. Dieu choisit | ceux que je lui désigne. 6+6 a
« Il est le vigneron, | et moi je suis la vigne. 6+6 a
« Il viendra, comme il fit | pour Job et pour Amos, 6+6 a
« Une serpe à la main, | émonder mes rameaux, 6+6 a
245 « Et, gardant les féconds, | coupera les stériles. 6+6 a
« Enseignez tendrement | le peuple dans les villes, 6+6 a
« Souriez, n'ayez point | entre vous de débats. 6+6 a
« Quand vous êtes parmi | les tombes, parlez bas ; 6+6 a
« Car au fond du sépulcre | une oreille est ouverte ; 6+6 a
250 « Ceux qu'on croit endormis | sous la grande herbe verte, 6+6 a
« Écoutent, et vos voix | leur parlent dans les vents, 6+6 a
« Et sachez que c'est là | la maison des vivants. 6+6 a
« Qui maudit doit trembler. | Ne faites rien trop vite. 6+6 a
« Esdras, voyant l'enfant | d'une femme maudite, 6+6 a
255 « Le prit et le jeta | tout vivant dans la mer 6+6 a
« Par l'effet surprenant | d'un zèle trop amer. 6+6 a
« Dieu l'a puni.
Marchez | dans la route tracée. 6+6 a
« Aimez. N'enviez pas | à d'autres leur pensée ; 6+6 a
« Il faut se contenter | des lumières qu'on a ; 6+6 a
260 « L'un est plus sage et l'autre | est plus doux ; Dieu donna 6+6 a
« Plus de fruit au figuier, | plus d'ombre au sycomore. 6+6 a
« Croyez. »
Il ajouta | d'autres choses encore ; 6+6 a
Puis soudain il dit, pâle | et d'un frisson saisi : 6+6 a
— Allons ! celui qui doit | me vendre est près d'ici. 6+6 a
VII
COMMENCEMENT DE L'ANGOISSE
265 Alors il s'éloigna | de près d'un jet de pierre, 6+6 a
Et se mit à genoux, | et fit une prière. 6+6 a
Il resta longtemps seul | et comme plein d'effroi. 6+6 a
Il disait : — « Écartez | ce calice de moi, 6+6 a
« Seigneur ! S'il faut mourir | pourtant, que la mort vienne ! 6+6 a
270 « Que votre volonté | soit faite, et non la mienne. » 6+6 a
Le reste dans le ciel | ténébreux se perdit. 6+6 a
Les disciples dormaient. | Christ revint, et leur dit : 6+6 a
— Quoi donc ! vous n'avez pu | même veiller une heure ! 6+6 a
Il reprit :
— C'est ainsi | qu'il convient que je meure. 6+6 a
275 Cela doit être, et nul | au monde n'y peut rien. 6+6 a
Je suis venu pour être | abandonné. C'est bien. 6+6 a
Il faut qu'on me rejette | ainsi qu'un misérable. 6+6 a
On distinguait au loin | le temple vénérable 6+6 a
Bâti par Salomon | sur le mont Moria. 6+6 a
280 — Pardon pour tous ! dit Christ. | Mais Pierre s'écria : 6+6 a
— Si quelqu'un vous délaisse | et vous quitte, ô mon maître, 6+6 a
Ce ne sera pas moi, | car je suis votre prêtre. 6+6 a
Que le tombeau pour vous | s'ouvre, j'y descendrai. 6+6 a
Jésus lui répondit, | calme, tandis qu'André, 6+6 a
285 Jude et Thomas tournaient | vers lui leurs têtes grises : 6+6 a
— Vous m'aurez renié, | vous Pierre, à trois reprises 6+6 a
Que le coq n'aura pas | encor chanté trois fois. 6+6 a
VIII
CHRIST VOIT CE QUI ARRIVERA
Il alla de nouveau | prier au fond du bois. 6+6 a
Il songeait, et sa voix | disait :
— Mon âme est triste 6+6 a
290 Jusqu'à la mort ; et l'homme | en moi tremble et résiste ; 6+6 a
Je frémis comme Job, | je crains comme Judith. 6+6 a
Puis il parla si bas | que Dieu seul entendit. 6+6 a
Soudain il s'écria, | pâle comme un prophète : 6+6 a
— Deuil, lamentation | et douleur sur ta tête, 6+6 a
295 O Balaath qu'emplit | un peuple querelleur ! 6+6 a
Malheur, Corozaïm ! | Bethsaïde, malheur ! 6+6 a
Parce que vous avez | dédaigné mes oracles, 6+6 a
Parce que si j'avais | fait les mêmes miracles, 6+6 a
Crié le même appel | et le même pardon 6+6 a
300 Dans Ninive aux cent tours, | dans Tyr et dans Sidon, 6+6 a
On aurait vu pleurer | Ninive, et Tyr descendre 6+6 a
De son trône, et Sidon | vêtir le sac de cendre ! 6+6 a
C'est fini. Je vous vois | désertes. Vous voilà 6+6 a
Muettes comme un lac | dont toute l'eau coula. 6+6 a
305 Vos jardins ont l'odeur | des charniers insalubres. 6+6 a
Tout croule. Vos palais | sont devenus lugubres 6+6 a
Sous le passage obscur | des châtiments divins ; 6+6 a
Ce sont des pans de mur | inutiles et vains ; 6+6 a
Les mâchoires des morts | ne sont pas plus terribles. 6+6 a
310 Malheur ! on ne voit plus | le grain sortir des cribles ; 6+6 a
Plus de fille de joie | assise sur son lit ; 6+6 a
On n'entend plus cracher | les passants ; l'herbe emplit 6+6 a
Les sentiers que suivaient | les mulets et les zèbres. 6+6 a
Le plein midi ne fait | qu'augmenter vos ténèbres ; 6+6 a
315 On a beau peindre en blanc | le sépulcre, il est noir. 6+6 a
Le soleil est présent | à votre désespoir ; 6+6 a
Vos décombres sont pleins | d'antres épouvantables. 6+6 a
O Moïse, ils ont fait | une fêlure aux tables, 6+6 a
Ils ont brisé la loi ; | c'est bien, mourez. Assez ! 6+6 a
320 Vous serez si tremblants, | peuples, et si chassés 6+6 a
Que vous ferez sous terre | une seconde ville. 6+6 a
Comme sous le pressoir | on voit déborder l'huile, 6+6 a
Le sang en longs ruisseaux | jaillit sous le talon 6+6 a
Des princes écrasant | Ruben et Zabulon ; 6+6 a
325 Isaachar et Lévi | sont abolis. Partage 6+6 a
Et désert, comme après | la chute de Carthage. 6+6 a
On vend un peuple ainsi | qu'une bête au marché. 6+6 a
Malheur, Jérusalem ! | ô maison du péché, 6+6 a
Malheur ; tu seras morte | entre les cités mortes ; 6+6 a
330 Les rois feront sculpter | un pourceau sur tes portes ; 6+6 a
Tu seras une ville | infâme et sans témoin, 6+6 a
Qu'il sera défendu | de regarder de loin. 6+6 a
La femme pleurera | d'être grosse ou nourrice. 6+6 a
Qui te verra croira | qu'il voit la cicatrice 6+6 a
335 Des tonnerres au front | du monde châtié ; 6+6 a
Et tu seras l'endroit | où finit la pitié. 6+6 a
Quand il eut ainsi fait | des reproches aux villes, 6+6 a
Il s'approcha des siens | et dit :
— Soyez tranquilles ; 6+6 a
Ce n'est pas à présent | votre jour, c'est le mien. 6+6 a
340 Tout est bon si ma mort | enseigne, tout est bien 6+6 a
Si dans la vérité | l'homme se désaltère. 6+6 a
Or je m'élèverai | de dessus cette terre 6+6 a
Et j'attirerai tout | à moi du haut du ciel. 6+6 a
Christ finit le combat | commencé par Michel. 6+6 a
345 Son œil devint étrange | et semblait voir des choses 6+6 a
Au fond de son esprit | confusément écloses. 6+6 a
— Les trois femmes en deuil | dans la tombe entreront, 6+6 a
Marchant l'une après l'autre, | humbles, courbant le front 6+6 a
A cause du lieu bas | et de l'entrée étroite, 6+6 a
350 Et verront un jeune homme | assis dans l'angle à droite 6+6 a
Qui leur dira, serein | comme un soleil levant : 6+6 a
« Pourquoi donc chez les morts | cherchez-vous le vivant ? 6+6 a
La vision d'un être | inouï qui se lève 6+6 a
Dans un sépulcre avec | la lumière du rêve, 6+6 a
355 Fera fuir les soldats | pleins d'un effroi sacré. 6+6 a
Trois jours après ma mort | je ressusciterai ; 6+6 b
Mais quand j'apparaîtrai | blanc près de la fontaine, 6+6 c
Vous me verrez ainsi | qu'une forme incertaine ; 6+6 c
Madeleine croira | que c'est le jardinier ; 6+6 b
360 Thomas commencera | par douter et nier, 6+6 a
Mais les trous de mes pieds | le forceront à croire ; 6+6 a
Et quand il aura mis | dans ma blessure noire 6+6 a
Son doigt qu'il ôtera | tiède et mouillé de sang, 6+6 a
Il s'en ira songer | dans l'ombre en frémissant. 6+6 a
365 Priez. Ne livrez point | ma doctrine aux querelles. 6+6 a
Est-ce que les épis | sont pour les sauterelles ? 6+6 a
Quand je serai parti, | vous répandrez ma loi. 6+6 a
Beaucoup se tromperont, | l'erreur naîtra de moi. 6+6 a
L'ombre est noire toujours | même tombant des cygnes. 6+6 a
370 Quand je ne serai plus | vous verrez de grands signes. 6+6 a
Les ténèbres croîtront | sur le front d'Israël ; 6+6 a
On entendra parler | une voix dans le ciel, 6+6 a
Et tous regarderont | l'ombre extraordinaire : 6+6 a
Luc dira : c'est un ange ; | et Jean, c'est le tonnerre. 6+6 b
375 Je porterai les cœurs | ainsi que des fardeaux ; 6+6 c
Des laboureurs feront | des sillons sur mon dos ; 6+6 c
Ces laboureurs, c'est vous ; | et votre œuvre est austère. 6+6 b
L'homme n'a rien, ni sac | plein d'or, ni coin de terre, 6+6 a
Qu'il puisse regarder | ici-bas comme sien. 6+6 a
380 Allez sans hésiter | dire au pharisien : 6+6 a
« Prends garde à cette fange | immonde où tu te vautres ! » 6+6 a
Soyez doux. Aimez-vous | toujours les uns les autres. 6+6 a
En cet instant Jésus | tressaillit, se parla 6+6 a
A lui-même, et, fermant | les yeux, dit : le voilà. 6+6 a
385 Judas parut suivi | d'hommes armés d'épées. 6+6 a
IX
JUDAS
Et Judas s'approchant, | blême et les mains crispées, 6+6 a
Baisa Christ.
Et le ciel | sacré fut obscurci. 6+6 a
— Mon ami, dit Jésus, | que viens-tu faire ici ? 6+6 a
Puis il reprit, tourné | vers Dieu :
— Tu m'abandonnes ; 6+6 a
390 Mais je ne perds aucun | de ceux que tu me donnes, 6+6 a
Seigneur. Ma mort suffit, | et seul je la subis. 6+6 a
Le pasteur doit périr | en sauvant les brebis. 6+6 a
Et, désignant du doigt | ses disciples, le maître 6+6 a
Dit aux soldats :
— Le Christ | est facile à connaître. 6+6 a
395 Je suis celui qu'on cherche | et dont on a souci. 6+6 a
Me voilà. Prenez-moi. | Laissez aller ceux-ci. 6+6 a
Or Simon surnommé | Pierre avait une épée, 6+6 a
Il cria :
— Dieu par qui | Jézabel fut frappée, 6+6 a
Viens défendre ton Christ, | ô Dieu qui châtias 6+6 a
400 Hérode pour avoir | fait mourir Mathias ! 6+6 a
Et, levant son épée, | il vint droit à la troupe, 6+6 a
Et blessa le premier | qui s'offrit dans le groupe, 6+6 a
Un nommé Malchus, aide | et garde du bourreau. 6+6 a
— Remettez, dit Jésus, | votre épée au fourreau. 6+6 a
405 Qui frappe avec le glaive | est frappé par le glaive. 6+6 a
Il reprit : — Puisqu'on a | commencé, qu'on achève. — 6+6 a
Et se mit de lui-même | au milieu des soldats. 6+6 a
Il ne regardait rien, | pour épargner Judas. 6+6 a
Quelqu'un du temple dit : | — Marchons. L'heure s'écoule. 6+6 a
410 — Vous pouviez me saisir | tous les jours dans la foule, 6+6 a
Dit Jésus, en offrant | aux cordes ses poignets ; 6+6 a
Quand j'allais dans le temple | et lorsque j'enseignais, 6+6 a
J'étais sous votre main. | Vous n'aviez qu'à l'étendre ; 6+6 a
Et c'est par trahison | que vous venez me prendre ! 6+6 a
415 Et vous venez la nuit | comme pour un voleur ! 6+6 a
Je pourrais dire à Dieu : | Père, apparaissez-leur ! 6+6 a
Et vous entendriez | accourir les tempêtes, 6+6 a
Et vous verriez, tremblants, | au-dessus de vos têtes, 6+6 a
S'ouvrir et flamboyer | l'ombre, et des millions 6+6 a
420 D'anges, et tout l'abîme | avec tous ses lions ! 6+6 a
Et si j'ajoutais : Viens | toi-même ! vos prunelles 6+6 a
Verraient soudain, parmi | les foudres éternelles, 6+6 a
Sortir de la nuée | un front prodigieux ! 6+6 a
Mais il ne convient pas | que j'appelle les cieux ; 6+6 a
425 Faites ; car c'est ici | votre heure, et la puissance 6+6 a
Des ténèbres, et Dieu | vous livre l'innocence ; 6+6 a
Et tout doit s'accomplir | ainsi qu'il est écrit. 6+6 a
Alors on acheva | de lier Jésus-Christ ; 6+6 a
Et le chef dit : — Il faut | l'emmener. Ce qu'ils firent. 6+6 a
430 Et tous ceux que cet homme | avait aimés, s'enfuirent. 6+6 a
X
LILITH-ISIS
Ô Jean, visionnaire | effaré de Pathmos, 6+6 a
Comme tu te cachais | derrière les rameaux, 6+6 a
Avec saint Marc, alors | jeune et l'un des lévites, 6+6 a
En vous penchant parmi | les arbres noirs, vous vîtes 6+6 a
435 Sur la colline un être | effrayant, vague, seul, 6+6 a
Debout dans le frisson | livide d'un linceul ; 6+6 a
C'était de l'ombre ayant | la forme d'une femme ; 6+6 a
Cet être guettait Christ | dans cette troupe infâme, 6+6 a
Comme s'il était là | pour une mission ; 6+6 a
440 Or la bande aperçut, | en rentrant dans Sion, 6+6 a
Cette femme fixant | sur eux dans les ténèbres 6+6 a
Ses deux yeux qui semblaient | deux étoiles funèbres ; 6+6 a
Un d'eux, que le Toldos | appelle Eddon-Azir, 6+6 a
Courut vers elle, et comme | il allait la saisir, 6+6 a
445 L'être, pareil aux feux | fuyant dans l'ossuaire, 6+6 a
Disparut, lui laissant | dans les mains le suaire. 6+6 a
Et plus tard, les soldats, | contant après l'arrêt 6+6 a
Comment ils avaient pris | Jésus de Nazareth, 6+6 a
Dirent qu'ils avaient vu | sur la montagne sombre 6+6 a
450 La fille de Satan, | la grande femme d'ombre, 6+6 a
Cette Lilith qu'on nomme | Isis au bord du Nil. 6+6 a
XI
JÉSUS CHEZ ANNE
Jésus lié marchait | disant : Ainsi soit-il ! 6+6 a
On le mena d'abord | chez Anne, ancien grand-prêtre, 6+6 a
Pour qu'il attendit là | l'heure de comparaître, 6+6 a
455 Des servantes, des gueux, | des vendeurs de poissons, 6+6 a
Des sacrificateurs | vêtus de caleçons, 6+6 a
Le flot des curieux | qui passe et qui repasse, 6+6 a
Entouraient Christ assis | dans une salle basse ; 6+6 a
Il était nuit ; mais Anne, | étant levé déjà, 6+6 a
460 Descendit, vint trouver | Christ, et l'interrogea. 6+6 a
Et Christ lui répondit : | — Interrogez la foule. 6+6 a
J'ai versé mon esprit | comme une eau qui s'écoule. 6+6 a
Prêtre, j'ai deux témoins : | l'homme et le firmament. 6+6 a
Parlez-leur. J'enseignais | partout publiquement. 6+6 b
465 Et quant à mon royaume, | il n'est pas de la terre. 6+6 c
Je n'ai rien à vous dire | et n'ai rien à vous taire. 6+6 c
Qu'est-ce que vous venez | demander à présent ? — 6+6 b
Un soldat le frappa | de sa verge en disant : 6+6 a
— Est-ce ainsi qu'on répond | à notre ancien grand-prêtre ? 6+6 a
470 — Si j'ai mal dit, tu peux | blâmer, dit le doux maître ; 6+6 a
Mais si j'ai bien parlé, | pourquoi me frappes-tu ? 6+6 a
Anne disait, s'étant | à la hâte vêtu : 6+6 a
— J'ai froid. — Et tous criaient : | — C'est un impie ! Exemple ! 6+6 a
Châtiment ! il a dit | qu'il détruirait le temple, 6+6 a
475 Seigneur, et qu'en trois jours | il le rebâtirait. 6+6 a
— Peuple, le tribunal | prononcera l'arrêt, 6+6 a
Dit Anne, et non pas moi : | car je n'en suis plus membre. 6+6 a
Et, leur laissant leur proie, | il rentra dans sa chambre. 6+6 a
Alors, ayant bandé | les yeux du patient, 6+6 a
480 Ils l'outragèrent, tous | pêle-mêle, et criant : 6+6 a
— Devine qui te frappe ! | et prophétise, ô sage ! 6+6 a
Dis-nous quel est celui | qui te crache au visage ? 6+6 a
Fais sécher, si tu peux, | le poing qui te meurtrit, 6+6 a
Messie !
Et les valets | souffletaient Jésus-Christ. 6+6 a
XII
LES DIX-NEUF
485 Le jour est loin encor, | pas un rayon n'effleure 6+6 a
L'orient froid et noir, | mais on devance l'heure. 6+6 a
Les juges, dont l'orgueil | est d'aller lentement, 6+6 a
Montent au tribunal | d'un air calme et dormant. 6+6 a
Le grand-prêtre en souliers, | les prêtres en sandales, 6+6 a
490 Marchent tous à la file | et traversent les dalles. 6+6 a
Chacun d'eux a son nom | sur sa chaise gravé. 6+6 a
Le Gabbatha, qu'on nomme | aussi le Haut-Pavé, 6+6 a
Est le palais lugubre | où le tribunal siège. 6+6 a
Devant la porte, un vase, | où sur l'eau flotte un liège, 6+6 a
495 Semble dire au passant, | qui songe avec effroi : 6+6 a
L'eau c'est le peuple, et rien | ne submerge la loi. 6+6 a
Le sanhédrin, sous qui | la Judée est courbée, 6+6 a
Ébauché par Moïse, | accru par Macchabée, 6+6 b
Depuis qu'il a subi | l'arrogant examen 6+6 c
500 Du préteur Gabinus, | œil du sénat romain, 6+6 c
Se réfugie, ainsi | qu'une orfraie effarée, 6+6 b
Dans une sorte d'ombre | inquiète et sacrée ; 6+6 a
Jadis le peuple vil | qui fourmille au soleil 6+6 a
Parfois apercevait | cet austère appareil 6+6 a
505 Que la loi triste emplit | de sa vague colère, 6+6 a
Les tables, les gradins, | la chambre circulaire, 6+6 a
Les docteurs dans leur chaire | assis sur les hauteurs, 6+6 a
Les scribes dans leur stalle | aux genoux des docteurs, 6+6 a
Et l'essaim des enfants | aux robes incarnates, 6+6 a
510 Les lévites, épars | à terre sur les nattes ; 6+6 a
Maintenant tout est clos. | C'est loin de tous les yeux 6+6 a
Que le Prince s'assied, | spectre mystérieux, 6+6 a
Ayant le Père à droite, | ayant le Sage à gauche ; 6+6 a
C'est dans l'obscurité | qu'on laboure et qu'on fauche ; 6+6 a
515 Rome pouvant entendre, | on cache les débats ; 6+6 a
Le sanhédrin se mure | et la loi parle bas. 6+6 a
Donc depuis Gabinus, | ce sénat de prière 6+6 a
Qui s'assemble au lieu dit | le Conclave de Pierre, 6+6 a
Ce sanhédrin qui fait | une haie à la loi, 6+6 a
520 Qui seul sait le comment | et seul dit le pourquoi, 6+6 a
Pour punir le blasphème | a commis dix-neuf juges. 6+6 a
Ces dix-neuf, devant qui | l'impie est sans refuges, 6+6 a
Comme Dieu sur l'Horeb | sont sur le Gabbatha. 6+6 a
La salle est large et haute. | Oliab la sculpta. 6+6 a
525 La nuit ne sort jamais | de ce lieu sans fenêtres. 6+6 a
Une lampe suffit | au front blême des prêtres. 6+6 a
Dix-neuf chaises de cèdre, | au fond du cintre obscur, 6+6 a
Mêlent leur double étage | aux ténèbres du mur ; 6+6 a
On sent que là, vertu, | crime, innocence et vice, 6+6 a
530 Tremblent devant cette ombre | humaine, la justice. 6+6 a
La poussière des ans, | près du plafond, ternit 6+6 a
Un chérubin ouvrant | six ailes de granit. 6+6 a
Les taffilins, nommés | par les grecs phylactères, 6+6 a
Couvrent la voûte ; à l'or | de leurs saints caractères, 6+6 a
535 Textes brumeux épars | sur des plaques de fer, 6+6 a
La lampe par instant | arrache un vague éclair. 6+6 a
Les juges, les voici : | huit scribes, tête nue ; 6+6 a
Quatre docteurs qu'emplit | la science inconnue, 6+6 a
Ceints du taled, l'esprit | hors du monde réel ; 6+6 a
540 Et, mêlés aux docteurs, | sept anciens d'Israël, 6+6 a
Vêtus de blanc, pensifs | sous leurs turbans à mitres. 6+6 a
Sabaoth luit dans l'œil | de ces sombres arbitres. 6+6 a
En montant à sa place, | ainsi qu'Aaron faisait, 6+6 a
Chaque juge récite | à voix haute un verset ; 6+6 a
545 On dirait que la loi | farouche les enivre. 6+6 a
Le sciamas tient les clefs ; | le cazan tient le livre. 6+6 a
L'œil fixé sur le texte | écrit par David roi, 6+6 a
Les deux hommes nommés | les Époux de la Loi 6+6 a
Lisent, en alternant | d'une grave manière, 6+6 a
550 L'un la première page | et l'autre la dernière. 6+6 a
La lampe a quatre bras | comme celle d'Endor. 6+6 a
Un degré de sithim | étoilé de clous d'or 6+6 a
Exhausse un large trône | en ivoire où préside 6+6 a
Caïphe destiné | dans l'ombre au suicide. 6+6 a
555 Ses souliers sont de pourpre | et sa robe est de lin ; 6+6 a
Autour de chaque bras | il porte un taffilin 6+6 a
Où l'on peut lire un vers | résumant la doctrine ; 6+6 a
Et le rational | qu'il a sur la poitrine 6+6 a
Mêle à la majesté | de ses sacrés habits 6+6 a
560 Tous les noms des tribus | gravés sur des rubis ; 6+6 a
Le grand-prêtre est assis, | fatal comme un prophète ; 6+6 a
Et l'on voit remuer | vaguement sur sa tête, 6+6 a
Comme au vent de la nuit | brille et tremble un fanal, 6+6 a
La tiare, clarté | du sombre tribunal. 6+6 a
565 La rumeur des versets | qu'on récite s'apaise ; 6+6 a
On se tait ; chaque juge | est assis dans sa chaise. 6+6 a
Christ est debout devant | ces hommes ténébreux ; 6+6 a
Son œil inépuisable | en rayons luit sur eux. 6+6 a
XIII
LA CHOSE JUGÉE
L'huissier du dogme dit : | — Silence ! on délibère. 6+6 a
570 Gloire au Dieu saint ! et gloire | à l'empereur Tibère ! 6+6 a
Rosmophim parle. Il dit : | — « L'homme que vous voyez 6+6 a
« Rit des lois et des saints | par Dieu même envoyés ; 6+6 a
« Il se croit plus grand qu'eux | et se prétend Messie. 6+6 a
« Il se dit Roi des Juifs. | Il ment. L'arche est noircie, 6+6 a
575 « O Prêtres, par la nuit | qui sort de ses discours. 6+6 a
« Cet homme doit mourir. | Nos pères ont toujours 6+6 a
« Fait creuser des tombeaux | par la loi violée. 6+6 a
Josaphat crie : — « A mort | l'homme de Galilée ! 6+6 a
« — Observons la loi, dit | Achias de Membré. 6+6 a
580 « Il faut que par le prêtre | au prince il soit livré, 6+6 a
« Et qu'Hérode l'envoie | à Pilate. A quoi servent 6+6 a
« Des lois que ni le roi | ni le juge n'observent ? 6+6 a
Joseph de Ramatha | dit : « L'homme est innocent. » 6+6 a
« — L'exil, dit Potiphar. |
— Non, dit Samech, du sang ! » 6+6 a
585 Et Nicodemus dit : | — « Il faut d'abord qu'on prouve. 6+6 a
« — D'abord, répond Teras, | qu'on le tue ! et qu'on trouve, 6+6 a
« Demain, puisque cet homme | a dit : nous sommes trois ; 6+6 a
« Deux voleurs pour l'aller | compléter sur la croix ; 6+6 a
« — Qu'il meure, dit Riphar, | dans les formes prescrites. » 6+6 a
590 Gamaliel se lève. | Il est le chef des rites ; 6+6 a
Et ce maître inflexible | a vu le premier vol 6+6 a
Du jeune aigle effrayant | qui plus tard fut saint Paul. 6+6 a
Il parle, l'œil au ciel : | — « L'indulgence est un leurre. 6+6 a
« Juste ou non, attaquant | les lois, il faut qu'il meure. 6+6 a
595 « — Non, réplique Joram, | j'absous ! Je pense, moi, 6+6 a
« Que les arrêts trop durs | font mal vivre la loi ; 6+6 a
« Il sied qu'à l'accusé | le juge compatisse ; 6+6 a
« Sur la sévérité | des juges la justice 6+6 a
« Pleure comme l'enfant | sut le pain noir qu'il mord. 6+6 a
600 « — Ce langage est payen, | dit Saréas. La mort. 6+6 a
« — Mort ! dit Élieris ; | il prêche le ravage. 6+6 a
« — Mort ! répète Diras ; | il combat l'esclavage. 6+6 a
Et Sabinti s'indigne | au nom du sanhédrin ; 6+6 a
Il atteste le vase | aux douze bœufs d'airain, 6+6 a
605 Et crie : « — A mort ! qu'il meure ! | ou l'arche est abattue ! » 6+6 a
Simon, qui fut plus tard | lépreux, dit : « — Qu'on le tue. » 6+6 a
Le sénateur Mesa | se lève après Simon : 6+6 a
« — S'il dit vrai, c'est un dieu ; | s'il ment, c'est un démon. 6+6 a
« Donc il faut qu'on l'adore | ou bien qu'on l'extermine. 6+6 a
610 « — Dieu, dit Ptoloméus, | peut avoir sa vermine. 6+6 a
Et Rabam jette un cri | dans la rumeur perdu : 6+6 a
« — Ne le condamnez pas | sans l'avoir entendu ! » 6+6 a
La sagesse commence | et finit au pontife ; 6+6 a
Tout arrêt doit venir | du grand-prêtre.
Caïphe 6+6 a
615 Se lève le dernier, | la double corne au front ; 6+6 a
Dressant cette tiare | où toujours brilleront 6+6 a
Les deux rayons du chef | de la terre promise, 6+6 a
Sombre, et plus ressemblant | à Satan qu'à Moïse, 6+6 a
Il dit :
« — Mieux vaut la mort | d'un homme que la mort 6+6 a
620 « D'un peuple, et du viol | des lois le gibet sort ; 6+6 a
« Il faut punir. Sinon, | malheur ! Quiconque hésite 6+6 a
« Est une âme de nuit | que le démon visite ; 6+6 a
« Le juge indulgent suit | le crime comme un chien ; 6+6 a
« Celui qui ne sait pas | ces choses ne sait rien. 6+6 a
625 Puis, à demi tourné | vers Jésus, il ajoute : 6+6 a
« — Sa voix fera peut-être | écrouler cette voûte. 6+6 a
« Pourtant, parle. Est-il vrai | que tu te sois vanté 6+6 a
« D'être le fils de Dieu | saint dans l'éternité ? 6+6 a
Christ répondit : — C'est vous, | ô prêtre, qui le dites. 6+6 a
630 Et, comme on pouvait voir | confusément écrites 6+6 a
Des sentences au mur | que le temps effaçait, 6+6 a
Calme, il montrait du doigt | aux juges ce verset : 6+6 a
« Le sage adore Dieu. | Quiconque est esprit, l'aime. 6+6 a
« Le soleil n'est nié | dans la sphère suprême 6+6 a
635 « Ni par l'astre Allioth, | ni par l'étoile Algol. 6+6 a
« Quand Dieu luit, refuser | de croire, c'est un vol. 6+6 a
« Celui qui nie est fils | de celui qui dérobe. » 6+6 a
Caïphe dit : Blasphème ! | et déchira sa robe, 6+6 a
Quoique cela lui fût | défendu par la loi. 6+6 a
Et, pâle, il s'écria : |
640 « — Paix à quiconque a foi ! 6+6 a
« Moi, Caïphe, courbé | sous le Seigneur, je pense 6+6 a
« Qu'on doit au mal la peine, | au bien la récompense, 6+6 a
« Et qu'il faut éclairer | ceux qu'un fourbe a déçus, 6+6 a
« Et je condamne à mort | l'homme appelé Jésus. » 6+6 a
645 Un prêtre casse en deux | une baguette noire. 6+6 a
Caïphe se rassied | sur son trône d'ivoire. 6+6 a
On emmène Jésus. |
Les juges restent seuls ; 6+6 a
Leurs robes dans la nuit | paraissent des linceuls ; 6+6 a
Tous font silence autour | de Caïphe en prière. 6+6 a
XIV
LA FIDÉLITÉ DU MEILLEUR
650 Une servante vint | dans la cour et vit Pierre 6+6 a
Qui se chauffait, ouvrant | ses mains devant le feu : 6+6 a
— Vous étiez, lui dit-elle, | un des gens de ce dieu, 6+6 a
De ce Jésus, car c'est | le nom dont on le nomme. 6+6 a
— Et Pierre répondit : | — Femme, quel est cet homme ? 6+6 a
Je ne le connais point. |
655 Alors le coq chanta. 6+6 a
Cependant les bourreaux, | au haut du Golgotha, 6+6 b
Creusaient la terre afin | d'y planter la potence. 6+6 c
Dans la cour du grand-prêtre | et parmi l'assistance, 6+6 c
Pierre pensait.
Quelqu'un | tout à coup l'appela 6+6 b
660 Et cria : — Vous étiez | avec cet homme-là. 6+6 a
Pierre dit : — Je ne sais | ce que vous voulez dire. 6+6 a
Une femme, un moment | après, se prit à rire, 6+6 a
Disant : — Vous connaissez | l'homme qu'on juge ici. 6+6 a
Car vous êtes venu | de Galilée aussi. 6+6 a
665 Sur quoi Pierre jura | d'une exécrable sorte : 6+6 a
— Non ! je n'ai jamais vu | cet homme !
Sur la porte 6+6 a
Le coq chanta.
La nuit | couvrait les noirs chemins. 6+6 a
Pierre, se souvenant, | prit son front dans ses mains 6+6 a
Et se mit à pleurer | amèrement dans l'ombre. 6+6 a
XV
L'AUTRE CHAISE D'IVOIRE
670 Les scribes, les docteurs, | les prêtres en grand nombre, 6+6 a
Entourent, précédés | d'un lévite crieur, 6+6 a
Dans la cour du prétoire | un porche extérieur 6+6 a
Qui sous son dôme abrite | une chaise d'ivoire. 6+6 a
Cette chaise a l'aspect | farouche de la gloire ; 6+6 a
675 Et l'on y sent le droit | que donne au conquérant 6+6 a
Le peuple qu'on massacre | et la ville qu'on prend. 6+6 a
A cette chaise monte | un escalier de bronze. 6+6 a
Ils sont tous là, les Cent, | les Dix-Neuf et les Onze. 6+6 a
Derrière eux, et tombant | parfois sur le genou, 6+6 a
680 Vient Jésus qu'un soldat | traîne par un licou 6+6 a
Comme un muletier tire | une bête de somme. 6+6 a
L'avertisseur public, | un avocat de Rome, 6+6 a
Le vieux Némurion | Plancus, grammairien 6+6 a
De la loi, que plus tard | fit changer Adrien, 6+6 a
685 Parle et dit ce qu'il faut | qu'on évite ou qu'on suive : 6+6 a
Un homme est arrêté | par les juifs ; la loi juive 6+6 a
Le condamne ; les juifs | peuvent le lapider ; 6+6 a
C'est leur droit ; cela dit, | qu'ont-ils à demander ? 6+6 a
La lapidation | leur paraît trop rapide ; 6+6 a
690 Ils veulent qu'on le cloue | et non qu'on le lapide ; 6+6 a
Ils viennent supplier | qu'on mène l'homme en croix. 6+6 a
Or ceci touche Rome, | et César, et ses droits. 6+6 a
Doit-on crucifier | l'homme ? voilà l'affaire. 6+6 a
D'où vient que pour ce juif | le sanhédrin préfère 6+6 a
695 A leur supplice hébreu | le supplice romain ? 6+6 a
Est-il rebelle ? est-il | voleur de grand chemin ? 6+6 a
Cela n'est point prouvé | par les juifs : c'est leur culte 6+6 a
Qui semble avoir souffert | de l'homme quelque insulte ; 6+6 a
Or jamais un dieu juif | ne recevra d'affront 6+6 a
700 Dont César sentira | la rougeur à son front. 6+6 a
Un blasphémateur juif | est-il un parricide ? 6+6 a
Ce sanhédrin le dit ; | que le préteur décide. 6+6 a
Ces peuples, après tout, | respectent le tribun ; 6+6 a
S'ils tiennent à la mort | honteuse de quelqu'un, 6+6 a
705 César clément leur peut | accorder cette grâce. 6+6 a
Pendant que Plancus parle, | un murmure s'amasse 6+6 a
Dans l'auditoire plein | de gestes et de voix ; 6+6 a
Tous les prêtres hagards | éclatent à la fois : 6+6 a
— Préteur ! c'est ton devoir | de crucifier l'homme ! 6+6 a
710 Il s'est dit Roi des Juifs ; | il est rebelle à Rome ; 6+6 a
Notre dogme est ici | d'accord avec ta loi ; 6+6 a
Et c'est nier César | que de s'affirmer roi. 6+6 a
Un licteur sous le porche | écoute sans colère. 6+6 a
Derrière le licteur | est l'homme consulaire, 6+6 a
715 Ponce Pilate, assis, | distrait, calme, indolent. 6+6 a
Son pied chaussé de pourpre | est sur du marbre blanc ; 6+6 a
Ce marbre, qui l'exhausse | au fond de la coupole, 6+6 a
Pour les romains l'honore | et pour les juifs l'isole ; 6+6 a
Et nul autre que lui | ne touche du talon 6−6 a
720 Cette dalle que fit | placer là Corbulon, 6+6 b
Proconsul en l'an deux | du consulat d'Octave. 6+6 c
Pilate, ancien préfet | dans le pays batave, 6+6 c
Fut si fidèle au temps | de la rébellion 6+6 b
Qu'Auguste lui donna | sa villa de Lyon. 6+6 a
725 Il est procurateur, | lieutenant consulaire. 6+6 a
Le port de Tyr lui paie | un talent par galère ; 6+6 a
Il possède à Cythère | en Grèce, un revenu 6+6 a
Que lui doivent, le droit | de César retenu, 6+6 a
Les chercheurs de corail | et les pêcheurs d'éponges. 6+6 a
730 Sa femme Procula | sait le secret des songes. 6+6 a
C'est un homme d'esprit | prudent, d'âge moyen. 6+6 a
Le peuple juif méprise | en tremblant ce payen. 6+6 a
Pilate autour du front | porte trois bandelettes 6+6 a
Dont une est écarlate | et deux sont violettes ; 6+6 a
735 Sa laticlave blanche | à bandes rouges pend 6+6 a
Sur un nain familier | entre ses pieds rampant ; 6+6 b
Dans son ombre un greffier | écrit sur une table ; 6+6 c
Quand on parle trop haut, | le licteur redoutable 6+6 c
Fait un signe, le bruit | des voix contrariant 6+6 b
740 Le préteur assoupi | comme un roi d'orient. 6+6 a
Et, sculptée au dossier | de sa chaise curule, 6+6 a
Pendant que de ces cœurs, | où tant de haine brûle, 6+6 a
Sort le gibet infâme | entrevu vaguement, 6+6 a
Au-dessus des avis, | des voix, du jugement, 6+6 a
745 Au-dessus de ce tas | de scribes et de prêtres, 6+6 a
Sur tous ces noirs complots, | sur tous ces regards traîtres, 6+6 a
Sur tous ces vils orgueils, | l'âpre louve d'airain 6+6 a
Dresse son bâillement | sinistre et souverain. 6+6 a
XVI
ROSMOPHIM
Les fossoyeurs de croix | piochent sur le Calvaire. 6+6 a
750 Le brouillard, ce manteau | de deuil du ciel sévère, 6+6 a
Couvre le mont, où, seuls, | ces hommes, loin du bruit, 6+6 a
Dans l'ombre, ont travaillé | presque toute la nuit. 6+6 a
On entend le Cédron | dont les eaux sont très grosses. 6+6 a
Ils s'arrêtent après | avoir creusé deux fosses. 6+6 a
755 Et l'un d'eux, le plus vieux, | dit aux autres : — Je crois 6+6 a
Que c'est tout ; nous n'avons | d'ordres que pour deux croix, 6+6 a
Pour deux larrons qu'on doit | mettre à mort dans les fêtes ; 6+6 a
Dismas et Gestas ; or, | les deux fosses sont faites. 6+6 a
Un prêtre en ce moment, | Rosmophim de Joppé, 6+6 a
760 Qui vient de survenir, | d'ombres enveloppé, 6+6 a
Sort de la brume ainsi | qu'un tigre sort de l'antre, 6+6 a
Et leur dit :
— Creusez-en | une troisième au centre. 6+6 a
XVII
PIRE QUE JUDAS
Alors Judas sentit | le poids des trente écus. 6+6 a
Par le mal qu'ils ont fait | les hommes sont vaincus. 6+6 a
765 Il vint au temple et vit | Caïphe sur la porte, 6+6 a
Et, lui montrant le sac, | il dit : — Je le rapporte. 6+6 a
J'ai vendu l'innocent ; | reprends ton or. Malheur ! 6+6 a
Caïphe ! reprends tout. | — Je serais un voleur. 6+6 a
Garde ton sac, va-t'en ! | répondit le grand-prêtre. 6+6 a
770 J'ai l'homme, et toi l'argent. | Tout est comme il doit être. 6+6 a
Tu dois être content. | — Non. Je suis réprouvé ! 6+6 a
Dit Judas, et, jetant | l'argent sur le pavé, 6+6 a
Il cria : — Je rends tout. | Voilà toute la somme ! 6+6 a
Et les prêtres riaient ; | et ce malheureux homme 6+6 a
775 S'en alla dans un lieu | sinistre et se pendit. 6+6 a
Où ? dans quel vil ravin ? | dans quel recoin maudit ? 6+6 a
Comment ce criminel | subit-il sa sentence ? 6+6 a
De quel arbre effrayant | fit-il une potence ? 6+6 a
Est-ce à quelque vieux clou | d'un mur qui pourrissait 6+6 a
780 Qu'il attacha le nœud | vengeur ? Nul ne le sait. 6+6 a
Cette corde à jamais | flotte dans les ténèbres. 6+6 a
XVIII
LE CHAMP DU POTIER
Oh ! des champs sont fatals, | des charniers sont célèbres, 6+6 a
Des plaines et des mers | sont sanglantes, parfois 6+6 a
Des vallons ont la marque | effroyable des rois 6+6 a
785 L'odeur des attentats, | la trace des carnages ; 6+6 a
Des crimes monstrueux, | comme des personnages, 6+6 a
Ont traversé des bois | ou des rochers, qu'on voit 6+6 a
Avec peur, en mettant | sur ses lèvres son doigt, 6+6 a
Ascalon est hideux, | Josaphat est austère, 6+6 a
790 Le lac Asphalte est noir ; | mais pas un lieu sur terre 6+6 a
Ne te passe en horreur, | funèbre Haceldama ! 6+6 a
Les vases qu'un potier | de ta fange forma 6+6 a
Tremblent dans la lueur | trouble des catacombes 6+6 a
Et blêmissent ainsi | que des urnes de tombes ; 6+6 a
795 Sans doute, dans l'endroit | implacable et profond, 6+6 a
Ce sont ces vases-là | que portent sur le front 6+6 a
Les spectres, quand ils vont | puiser de l'ombre au gouffre. 6+6 a
Ton nom semble tragique | et fait d'un mot qui souffre, 6+6 a
Haceldama ! ce mot | crie ainsi qu'un blessé. 6+6 a
800 Le sac de Judas fut | des prêtres ramassé. 6+6 a
Or ils cherchaient un lieu | de sépulture vile 6+6 a
Pour les gentils mourant | par hasard dans la ville, 6+6 a
Afin que l'étranger | restât toujours dehors, 6+6 a
Et ne fût pas chez lui, | même étant chez les morts. 6+6 a
805 Ils choisirent l'enclos | du potier solitaire. 6+6 a
Les trente écus dont fut | payé ce coin de terre 6+6 a
Avaient déjà servi | pour payer Jésus-Christ. 6+6 a
Et ce lieu depuis lors | est nocturne.
Il fleurit. 6+6 a
Il verdoie, et l'aurore | en s'éveillant le touche, 6+6 a
810 Rien ne peut dissiper | sa nuit ; il est farouche. 6+6 a
Il appartient au deuil, | au silence, au regard 6+6 a
Fixe et terrifiant | de l'infini hagard ; 6+6 a
Une chauve-souris | éternelle l'effleure ; 6+6 a
Toujours quel que soit l'astre | et quelle que soit l'heure, 6+6 a
815 L'œil dans ce champ lugubre | entrevoit à demi 6+6 a
L'épouvantable argent | par Judas revomi ; 6+6 a
On sent là remuer | des linceuls invisibles, 6+6 a
Le sang pend goutte à goutte | aux brins d'herbes terribles, 6+6 a
Des vols mystérieux | de larves font du vent 6+6 a
820 Sur le front du songeur | ténébreux et rêvant, 6+6 a
Et de vagues blancheurs | frissonnent dans la brume 6+6 a
Hélas !
XIX
ECCE HOMO
C'était, le jour | de Pâque, une coutume 6+6 a
Fort ancienne, où les juifs | et Rome étaient d'accord, 6+6 a
Que le peuple, parmi | les condamnés à mort, 6+6 a
825 Choisit un misérable | auquel on faisait grâce. 6+6 a
Prés du palais, lieu sombre | où la foule s'entasse, 6+6 a
Se pressait, comme autour | des ruches les essaims, 6+6 a
Le peuple de la ville | et des pays voisins 6+6 a
Qu'un licteur contenait | du manche de sa hache. 6+6 a
830 Les paysans, menant | par la corde leur vache, 6+6 a
Les femmes apportant | au marché leurs paniers, 6+6 a
Devant le seuil, gardé | par douze centeniers, 6+6 a
S'arrêtaient, éclairés | par l'aurore vermeille. 6+6 a
La rumeur de la fête | avait depuis la veille 6+6 a
835 Vers les quatre coteaux | de Sion dirigé 6+6 a
Les habitants d'Aser | et ceux de Bethphagé, 6+6 a
Ceux de naïm et ceux | d'Émath ; et sur la place 6+6 a
Chaque faubourg avait | versé sa populace ; 6+6 a
On y voyait aller | et venir, sans bâton, 6+6 a
840 Gais, l'œil joyeux, des gens | qui jadis, disait-on, 6+6 a
Blêmes, et mendiant | aux portes des boutiques, 6+6 a
Étaient aveugles, sourds, | boiteux, paralytiques, 6+6 a
Et que l'homme appelé | le Christ avait guéris. 6+6 a
C'était la même foule | aux tumultueux cris 6+6 a
845 Qui, naguère, agitant | au vent des branches vertes, 6+6 a
Et les âmes à Dieu | toutes grandes ouvertes, 6+6 a
Battant des mains, chantant | des cantiques, courait 6+6 a
Dans les chemins devant | Jésus de Nazareth. 6+6 a
Plusieurs l'avaient béni | comme un dieu qu'on écoute ; 6+6 a
850 Et, pour avoir jeté | leurs manteaux sur sa route, 6+6 a
Ils avaient de la terre | encore à leurs habits. 6+6 a
Deux hastati de Rome, | aux casques bien fourbis, 6+6 a
Se promenaient devant | la porte du prétoire ; 6+6 a
Et des marchandes d'eau | vendaient au peuple à boire, 6+6 a
855 Et les petits enfants | jouaient aux osselets. 6+6 a
Tout à coup apparut | sur le seuil du palais 6+6 a
Christ couronné d'épine | et vêtu d'écarlate ; 6+6 a
Il avait un roseau | dans la main ; et Pilate, 6+6 a
Le leur montrant, leur dit : | Voilà l'homme.
Le Christ 6+6 a
Se taisait, l'œil au ciel. |
860 Et Pilate reprit : 6+6 a
— C'est aujourd'hui qu'on laisse | un misérable vivre. 6+6 a
Peuple, lequel des deux | veux-tu que je délivre : 6+6 a
Barabbas, ou Jésus | nommé Christ ; — Barabbas ; 6+6 a
Cria le peuple. Alors, | au-dessous de leur pas, 6+6 a
865 Ils crurent tous entendre | on ne sait quel tonnerre 6+6 a
Rouler… — C'était quelqu'un | qui riait sous la terre. 6+6 a
Ainsi jugeaient les juifs | sous l'œil froid des romains. 6+6 a
Ponce Pilate songe | et se lave les mains. 6+6 a
XX
LA MARCHE AU SUPPLICE
La première heure allait | finir quand de la geôle 6+6 a
870 Jésus sortit, portant | une croix sur l'épaule ; 6+6 a
On avait délié | les cordes du poignet ; 6+6 a
Ayant été battu | de verges, il saignait ; 6+6 a
On le huait ; la loi | frappe, le peuple accable ; 6+6 a
La croix, démesurée, | écrasante, implacable, 6+6 a
875 Dont la cognée à peine | avait taillé les nœuds, 6+6 a
Était faite d'un bois | féroce et vénéneux, 6+6 a
Et qui semblait avoir | déjà commis des crimes. 6+6 a
La foule, allant, courant, | mangeant les pains azymes, 6+6 a
Chantant, montrait les poings | à Christ des deux côtés 6+6 a
880 De la route où marchaient | ses pas ensanglantés ; 6+6 a
Des vierges, reflétant | l'aube sur leur visage, 6+6 a
L'insultaient, et battaient | des mains sur son passage, 6+6 a
Et riaient des cailloux | déchirant ses talons ; 6+6 a
Et l'on voyait des tas | de têtes d'enfants blonds 6+6 a
885 Aux portes des maisons, | pour la fête fleuries. 6+6 a
Quelques disciples, fronts | baissés, les trois Maries, 6+6 a
Sa mère, le suivaient | de loin dans le trajet. 6+6 a
L'œil sinistre de Jean | dans les gouffres plongeait. 6+6 a
Le jour, blême, fuyait. | L'attente était profonde. 6+6 a
890 Quatre anges se tenaient | aux quatre coins du monde ; 6+6 a
Ces anges arrêtaient | au vol les quatre vents, 6+6 a
Pour qu'aucun vent ne pût | souffler sur les vivants, 6+6 a
Ni troubler le sommet | des montagnes de marbre, 6+6 a
Ni soulever un flot, | ni remuer un arbre. 6+6 a
XXI
TÉNÈBRES
Barabbas stupéfait | est libre.
895 Sous les plis 6+6 a
D'un brouillard monstrueux | dont les cieux sont remplis, 6+6 a
La ville est un chaos | de maisons et de rues. 6+6 a
Des geôliers tout à l'heure, | en paroles bourrues 6+6 a
Racontant l'aventure | entre eux confusément, 6+6 a
900 Ont ouvert son cachot, | rompu son ferrement, 6+6 a
Puis ont dit : — Va ; le peuple | a fait grâce ! — De sorte 6+6 a
Qu'il ne sait rien, sinon | qu'on a poussé la porte, 6+6 a
Que le ciel est tout noir, | que nul ne le poursuit, 6+6 a
Et qu'il peut s'envoler | dans l'ombre, oiseau de nuit. 6+6 a
905 Ce choix qui fait mourir | Jésus et le fait vivre, 6+6 a
Tout ce récit, lui semble | un vin dont il est ivre ; 6+6 a
Il erre dans la ville, | il y rampe, il en sort, 6+6 a
Comme parfois on voit | marcher quelqu'un qui dort. 6+6 a
Quelle route prend-il ; | La première venue. 6+6 a
910 Il avance, il hésite | et cherche, et continue, 6+6 a
Et ne sait pas, devant | l'obscure immensité ; 6+6 a
Il a derrière lui | les murs de la cité, 6+6 a
Mais il ne les voit pas ; | son front troublé s'incline ; 6+6 a
Il ne s'aperçoit point | qu'il monte une colline ; 6+6 a
915 Monter, descendre, aller, | venir, hier, aujourd'hui, 6+6 a
Qu'importe ; il rôde, ayant | comme un nuage en lui ; 6+6 b
Il erre, il passe, avec | de la brume éternelle 6+6 c
Et du songe et du gouffre | au fond de sa prunelle. 6+6 c
Il se dit par moments : | c'est moi qui marche. Oui. 6+6 b
920 Tout est si ténébreux | qu'il est comme ébloui. 6+6 a
Le chemin qu'au hasard | il suit, rampe et s'enfonce 6+6 a
Aux flancs d'un mont où croît | à peine quelque ronce, 6+6 a
Et Barabbas pensif, | gravissant le rocher, 6+6 a
Sans voir où vont ses pas | laisse ses pieds marcher ; 6+6 a
925 La vague horreur du lieu | plaît à cette âme louve ; 6+6 a
Or, tout en cheminant, | de la sorte, il se trouve 6+6 a
Sur un espace sombre | et qui semble un sommet ; 6+6 a
Il s'arrête, puis tend | les mains, et se remet 6+6 a
A rôder à travers | la profondeur farouche. 6+6 a
930 Tout en marchant, il heurte | un obstacle ; il le touche ; 6+6 a
— Quel est cet arbre ; où donc | suis-je ; dit Barabbas. 6+6 a
Le long de l'arbre obscur | il lève ses deux bras 6+6 a
Si longtemps enchaînés | qu'il les dresse avec peine. 6+6 a
— Cet arbre est un poteau, | dit-il. Il y promène 6+6 a
935 Ses doigts par la torture | atroce estropiés ; 6+6 a
Et tout à coup, hagard, | pâle, il tâte des pieds. 6+6 a
Comme un hibou surpris | rentre sous la feuillée, 6+6 a
Il retire sa main ; | elle est toute mouillée ; 6+6 a
Ces pieds sont froids, un clou | les traverse, et de sang 6+6 a
940 Et de fange et d'horreur | tout le bois est glissant ; 6+6 b
Barabbas éperdu | recule ; son œil s'ouvre 6+6 c
Épouvanté, dans l'ombre | épaisse qui le couvre, 6+6 c
Et, par degrés, un blême | et noir linéament 6+6 b
S'ébauche à son regard | sous l'obscur firmament ; 6+6 a
C'est une croix.
945 En bas | on voit un vase où plonge 6+6 a
Une touffe d'hysope | entourant une éponge ; 6+6 a
Et, sur l'affreux poteau, | nu, sanglant, les yeux morts, 6+6 a
Le front penché, les bras | portant le poids du corps, 6+6 a
Ceint de cordes de chanvre | autour des reins nouées, 6+6 a
950 Le flanc percé, les pieds | cloués, les mains clouées, 6+6 a
Meurtri, ployé, pendant, | rompu, défiguré, 6+6 a
Un cadavre apparaît, | blanc, et comme éclairé 6+6 b
De la lividité | sépulcrale du rêve ; 6+6 c
Et cette croix au fond | du silence s'élève. 6+6 c
955 Barabbas, comme un homme | en sursaut réveillé, 6+6 b
Tressaillit. C'était bien | un gibet, froid, souillé, 6+6 a
Effroyable, fixé | par des coins dans le sable. 6+6 a
Il regarda. L'horreur | était inexprimable ; 6+6 a
Le ciel était dissous | dans une âcre vapeur 6+6 a
960 Où l'on ne sentait rien | sinon qu'on avait peur ; 6+6 a
Partout la cécité, | la stupeur, une fuite 6+6 a
De la vie, éclipsée, | effrayée, ou détruite ; 6+6 a
Linceul sur Josaphat, | suaire sur Sion ; 6+6 a
L'ombre immense avait l'air | d'une accusation ; 6+6 a
965 Le monde était couvert | d'une nuit infamante ; 6+6 a
C'était l'accablement | plus noir que la tourmente ; 6+6 a
Pas une flamme, pas | un souffle, pas un bruit. 6+6 a
Pour l'œil de l'âme, avec | ces lettres de la nuit 6+6 a
Qui rendent la pensée | insondable lisible, 6+6 a
970 Une main écrivait | au fond de l'invisible : 6+6 a
Responsabilité | de l'homme devant Dieu. 6+6 a
Le silence, l'espace | obscur, l'heure, le lieu, 6+6 a
Le roc, le sang, la croix, | les clous, semblaient des juges ; 6+6 a
Et Barabbas, devant | cette ombre sans refuges 6+6 a
975 Frémit comme devant | la face de la loi, 6+6 a
Et, regardant le ciel, | lui dit : ce n'est pas moi ; 6+6 a
Puis, fantôme lui-même | en cette nuit stagnante, 6+6 a
Larve tout effarée | et toute frissonnante, 6+6 b
Pâle, il se rapprocha | lentement du gibet ; 6+6 c
980 Et, tout en y marchant, | craintif, il se courbait, 6+6 c
Plus chancelant qu'un mât | sur la vague mouvante, 6+6 b
Fauve, et comme attiré, | malgré son épouvante, 6+6 a
Par l'espèce de jour | qui sortait de ce mort. 6+6 a
Spectre, il montait, avec | une sorte d'effort, 6+6 a
985 Vers l'autre spectre, vague | ainsi qu'un crépuscule ; 6+6 a
Et cet homme avançait | de l'air dont on recule, 6+6 a
Inquiet, hérissé, | comme agité du vent, 6+6 a
Et prêt à fuir après | chaque pas en avant. 6+6 a
Jésus mort répandait | un rayonnement blême : 6+6 a
990 La mort comme n'osant | s'achever elle-même, 6+6 a
Laissait flotter, au trou | morne et sanglant des yeux, 6+6 a
Le reste d'un regard | tendre et mystérieux ; 6+6 a
Son front triste semblait | s'éclairer à mesure 6+6 a
Que cet homme approchait | d'une marche mal sûre ; 6+6 a
995 Quand Barabbas fut près, | la prunelle brilla. 6+6 a
Si quelque ange, venu | des cieux, eût été là, 6+6 a
Il eût cru voir ramper | dans l'horreur d'une tombe 6+6 a
Un serpent fasciné | par l'œil d'une colombe. 6+6 a
Et le bandit, courbé | sous l'épaississement 6+6 a
1000 De la brume croissant | de moment en moment, 6+6 a
Contemplait, et la terre | avait l'air orpheline ; 6+6 a
L'ombre songeait.
Alors, | sur cette âpre colline, 6+6 a
Et sous les vastes cieux | désolés et ternis, 6+6 a
Comme si le frisson | des pensers infinis 6+6 a
1005 Tombait de cette croix | ouvrant ses bras funèbres, 6+6 a
On ne sait quel esprit | entra dans les ténèbres 6+6 a
De cet homme, et le fit | devenir effrayant. 6+6 a
Un feu profond jaillit | de son œil foudroyant ; 6+6 a
L'âme immense d'Adam, | couché sous le Calvaire, 6+6 a
1010 Sembla soudain monter | dans ce voleur sévère, 6+6 a
Il éleva la voix | tout à coup, du côté 6+6 a
Où les monts s'enfonçaient | dans plus d'obscurité, 6+6 a
Cachant Jérusalem | sous le brouillard perdue, 6+6 a
Et pendant qu'il parlait, | jetant dans l'étendue, 6+6 a
1015 L'anathème, les cris, | les plaintes, les affronts, 6+6 a
Quelque chose qu'on vit | plus tard sur d'autres fronts, 6+6 a
Une langue de flamme, | au-dessus de sa tête 6+6 a
Brillait et volait, comme | en un vent de tempête ; 6+6 a
Et Barabbas debout, | transfiguré, tremblant, 6+6 a
Terrible, cria :
1020 — Peuple, | affreux peuple sanglant, 6+6 a
Qu'as-tu fait ; Ô Caïn, | Dathan, Nemrod, vous autres, 6+6 a
Quel est ce crime-ci | qui passe tous les nôtres ; 6+6 a
Voilà donc ce qu'on fait | des justes ici-bas ; 6+6 a
Populace ! à ses pieds | jadis tu te courbas, 6+6 a
1025 Tu courais l'adorer | sur les places publiques, 6+6 a
Tu voyais sur son dos | deux ailes angéliques, 6+6 a
Il était ton berger, | ton guide, ton soutien. 6+6 a
Dès qu'un homme paraît | pour te faire du bien, 6+6 a
Peuple, et pour t'apporter | quelque divin message, 6+6 a
1030 Pour te faire meilleur, | plus fort, plus doux, plus sage, 6+6 a
Pour t'ouvrir le ciel sombre, | espérance des morts, 6+6 a
Tu le suis d'abord, puis, | tout à coup, tu le mords, 6+6 a
Tu le railles, le hais, | l'insultes, le dénigres ; 6+6 a
O troupeau de moutons | d'où sort un tas de tigres ; 6+6 a
1035 Quel prix pour tant de saints | et sublimes combats ; 6+6 a
Celui-ci, c'est Jésus ; | ceci, c'est Barabbas. 6+6 a
L'archange est mort, et moi, | l'assassin, je suis libre ; 6+6 a
Ils ont mis l'astre avec | la fange en équilibre, 6+6 a
Et du côté hideux | leur balance a penché. 6+6 a
1040 Quoi ; d'une part le ciel, | de l'autre le péché ; 6+6 a
Ici, l'amour, la paix, | le pardon, la prière, 6+6 a
La foudre évanouie | et dissoute en lumière, 6+6 a
Les malades guéris, | les morts ressuscités, 6+6 a
Un être tout couvert | de vie et de clartés ; 6+6 a
1045 Là, le tueur, sous qui | l'épouvante se creuse, 6+6 a
Tous les vices, le vol, | l'ombre, une âme lépreuse, 6+6 a
Un brigand, d'attentats | sans nombre hérissé… — 6+6 a
Oh ; si c'était à moi | qu'on se fût adressé, 6+6 a
Si, quand j'avais le cou | scellé dans la muraille, 6+6 a
1050 Pilate était venu | me trouver sur ma paille, 6+6 a
S'il m'avait dit : « Voyons, | on te laisse le choix, 6+6 a
C'est une fête, il faut | mettre quelqu'un en croix, 6+6 a
Ou Christ de Galilée, | ou toi la bête fauve ; 6+6 a
Réponds, bandit, lequel | des deux veux-tu qu'on sauve ; » 6+6 a
1055 J'aurais tendu mes poings | et j'aurais dit : clouez ; 6+6 a
Cieux ; les rois sont bénis, | les prêtres sont loués, 6+6 b
Le vêtement de gloire | est sur l'âme de cendre ; 6+6 c
Un gouffre était béant, | l'homme vient d'y descendre ; 6+6 c
Un crime restait vierge, | il vient de l'épouser ; 6+6 b
1060 Oh ; Caïn maintenant | tue avec un baiser ; 6+6 a
C'est fini ; le dragon | règne, le mal se fonde, 6+6 a
On ne chantera plus | dans la forêt profonde, 6+6 a
Les hommes n'auront plus | d'aurore dans leur cœur, 6+6 a
L'amour est mort, le deuil | lamentable est vainqueur, 6+6 a
1065 La dernière lueur | s'éteint dans la nature ; 6+6 a
Eux-même ont de leur main | fait cette fermeture 6+6 a
De la pierre effroyable | et sourde du tombeau ; 6+6 a
Puisque le vrai, le pur, | le saint, le bon, le beau, 6+6 a
Est là sur ce poteau, | tout est dit, rien n'existe. 6+6 a
1070 L'homme est dorénavant | abominable et triste, 6+6 a
Cette croix va couvrir | d'échafauds les sommets ; 6+6 a
Ce monde est de la proie ; | il aura désormais 6+6 a
L'obscurité pour loi, | pour juge l'ignorance ; 6+6 a
Vaincre sera pour lui | la seule différence ; 6+6 a
1075 La mise en liberté | des monstres lui convient ; 6+6 a
Cette bête, la Nuit | scélérate, le tient. 6+6 a
Le mal ne serait pas | s'il n'avait pas une âme ; 6+6 a
Cette chaîne d'horreur | qui, dans ce monde infâme, 6+6 a
Commencée à César, | s'achève à Barabbas, 6+6 a
1080 Dépasse l'homme et va | dans l'ombre encor plus bas ; 6+6 a
Et, comme le serpent | s'enfle sous la broussaille, 6+6 a
Je sens un être affreux | qui sous terre tressaille. 6+6 a
Sois content, toi, là-bas, | sous nos pieds ; J'aperçois 6+6 a
Au fond de cette brume | et devant cette croix 6+6 a
1085 Ton grincement de dents, | ce rire des ténèbres. 6+6 a
Et toi, vil monde, à race | humaine, qui célèbres 6+6 a
Les rites de l'enfer | sur des autels d'effroi, 6+6 a
Tremble en tes profondeurs ; | j'entends autour de toi 6+6 a
La réclamation | des gueules de l'abîme. 6+6 a
1090 Je demande à genoux | pardon à ta victime ; 6+6 a
Genre humain, ta noirceur | en est là maintenant 6+6 a
Que le gibet saisit | l'apôtre rayonnant, 6+6 a
Que sous le poids de l'ombre | abjecte, l'aube expire, 6+6 a
Et que lui, le meilleur, | périt sous moi, le pire ; 6+6 a
1095 Oh ; je baise sa croix | et ses pieds refroidis, 6+6 a
Et, monstrueusement | sauvé par toi, je dis : 6+6 a
Malheur sur toi !
Malheur, | monde impur, lâche et rude ; 6+6 a
Monde où je n'ai de bon | que mon ingratitude, 6+6 a
Sois maudit par celui | que tu viens d'épargner ; 6+6 a
1100 Puisse à jamais ce Christ | sur ta tête saigner ; 6+6 a
Qu'un déluge d'opprobre | et de deuil t'engloutisse, 6+6 a
Homme, plus prompt à choir | du haut de la justice 6+6 a
Que l'éclair à tomber | du haut du firmament ; 6+6 a
Sois maudit dans ces clous, | dans ce gibet fumant, 6+6 a
1105 Dans ce fiel ! sois maudit | dans ma chaîne brisée ; 6+6 a
Sois damné, monde à qui | le sang sert de rosée, 6+6 a
Pour m'avoir délivré, | pour l'avoir rejeté, 6+6 a
Monde affreux qui fais grâce | avec férocité, 6+6 a
Toi dont l'aveuglement | crucifie et lapide, 6+6 a
1110 Toi qui n'hésites pas | sur l'abîme, et, stupide, 6+6 a
N'as pas même senti | frissonner un cheveu 6+6 a
Dans ce choix formidable | entre Satan et Dieu ; 6+6 a
III
LE CRUCIFIX
Depuis ce jour, pareille | au damné qui rend compte, 6+6 a
La morne humanité, | sur qui pèse la honte 6+6 a
1115 Des justes condamnés | et des méchants absous, 6+6 a
Est comme renversée | en arrière au-dessous 6+6 a
D'une vision triste, | éternelle et terrible. 6+6 a
Un Calvaire apparaît | dans la nuée horrible 6+6 a
Que tout le genre humain | regarde fixement ; 6+6 a
1120 Une lividité | de crâne et d'ossement 6+6 a
Couvre ce mont difforme | où monte un homme pâle ; 6+6 a
L'homme porte une croix, | et l'on entend son râle, 6+6 a
Ses pieds dans les cailloux | saignent, ses yeux noyés 6+6 a
Pleurent, pleins de crachats | qu'on n'a pas essuyés, 6+6 a
1125 Le sang colle et noircit | ses cheveux sur sa tempe ; 6+6 a
Et l'homme, que la croix | accable, tombe, rampe, 6+6 a
Se traîne, et sur ses mains | retombe, et par moment 6+6 a
Ne peut plus que lever | son front lugubrement. 6+6 a
Et l'œil du genre humain | frémissant continue 6+6 a
1130 De regarder monter | cet homme dans la nue. 6+6 a
Une tourbe le suit ; | il arrive au plateau ; 6+6 a
D'infâmes poings crispés | arrachent son manteau ; 6+6 a
Cris féroces ; va donc ! | pas de miséricorde ; 6+6 a
Il va, montrant son dos | rouge de coups de corde, 6+6 a
1135 Hué par l'aboiement | et mordu par les crocs 6+6 a
D'on ne sait quel vil peuple, | envieux des bourreaux ; 6+6 a
Au milieu des affronts | il est comme une cible. 6+6 a
On étend l'homme, nu | comme un Adam terrible, 6+6 a
Sur le gibet qu'il a | traîné dans le chemin ; 6+6 a
1140 On enfonce des clous | dans ses mains ; chaque main 6+6 a
Jette un long flot de sang | à celui qui la cloue, 6+6 a
Et le bourreau blasphème | en essuyant sa joue ; 6+6 a
La foule rit. On cloue | après les mains, les pieds ; 6+6 a
Le marteau maladroit | meurtrit ses doigts broyés ; 6+6 a
1145 On appuie à son front | la couronne d'épines ; 6+6 a
Puis, entre deux bandits | expiant leurs rapines, 6+6 a
On élève la croix | en jurant, en frappant, 6+6 a
En secouant le corps | qui se disloque et pend ; 6+6 a
Le sang le long du bois | en ruisseaux rouges coule ; 6+6 a
1150 Et la mère est en bas | qui gémit ; et la foule 6+6 a
Rit : — Voyons, dieu Jésus, | descends de cette croix ; — 6+6 a
Une éponge de fiel | se dresse. — As-tu soif ? bois ; — 6+6 a
Le peuple horrible a l'air | du loup dans le repaire ; 6+6 a
Et le grand patient | dit : — Pardonnez-leur, Père, 6+6 a
1155 Car ces infortunés | ne savent ce qu'ils font. 6+6 a
Et voici que la terre | avec le ciel se fond. 6+6 a
Nuit ! ô nuit ; tout frémit, | même le prêtre louche. 6+6 a
Et soudain, à ce cri | qui sort de cette bouche : 6+6 a
— Élohim ; Élohim ; | lamma sabacthani ! — 6+6 a
1160 On voit un tremblement | au fond de l'infini, 6+6 a
Et comme un blême éclair | qui tressaille et qui sombre 6+6 a
Dans l'immobilité | formidable de l'ombre. 6+6 a
Et pendant que les cœurs, | les mains jointes, les yeux, 6+6 a
Sont éperdus devant | ce gibet monstrueux, 6+6 a
1165 Pendant que, sous la brume | épouvantable où tremble 6+6 a
Ce crime qui contient | tous les crimes ensemble, 6+6 a
Brume où Judas recule, | où chancelle la croix, 6+6 a
Où le centurion | s'étonne et dit : je crois ; 6+6 a
Pendant que, sous le poids | de l'action maudite, 6+6 a
1170 Sous Dieu saignant, l'effroi | du genre humain médite, 6+6 a
Des voix parlent, on voit | des songeurs bégayants, 6+6 a
La pitié se déchire | en récits effrayants. 6+6 a
La tradition, fable | errante qu'on recueille, 6+6 a
Entrecoupée ainsi | que le vent dans la feuille, 6+6 a
1175 Apparaît, disparaît, | revient, s'évanouit, 6+6 a
Et, tournoyant sur l'homme | en cette étrange nuit, 6+6 a
La légende sinistre, | éparse dans les bouches, 6+6 a
Passe, et dans le ciel noir | vole en haillons farouches ; 6+6 a
Si bien que cette foule | humaine a la stupeur 6+6 a
1180 Du fait toujours présent | là-haut dans la vapeur, 6+6 a
Vrai, réel, et pourtant | traversé par des rêves. 6+6 a
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
« Comme il montait, suant | et piqué par les glaives, 6+6 a
« Une femme eut pitié, | le voyant prêt à choir, 6+6 a
« Et l'essuya, posant | sur son front un mouchoir ; 6+6 a
1185 « Or, quand elle rentra | chez elle, cette femme 6+6 a
« Vit sur le mouchoir sombre | une face de flamme. » 6+6 a
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
« Comme il continuait | de monter, tout en sang, 6+6 a
« Il s'arrêta, livide, | épuisé, fléchissant 6+6 a
« Sous la croix exécrée | et l'infâme anathème, 6+6 a
1190 « Un homme lui cria : | marche ; — Marche toi-même, 6+6 b
« Dit Jésus-Christ. Et l'homme | est errant à jamais. » 6+6 c
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
« Un des voleurs lui dit : | — Faux dieu ; tu blasphémais ! 6+6 c
« Es-tu dieu ; Sauve-nous | et sauve-toi toi-même ; 6+6 b
« L'autre voleur cria : | — Jésus ; je crois ! je t'aime ! 6+6 a
1195 « Souviens-toi qu'un mourant | s'est à toi confié ! 6+6 a
« Alors, levant ses yeux | vers ce crucifié, 6+6 a
« Jésus agonisant | parvint à lui sourire : 6+6 a
« — Homme, pour avoir dit | ce que tu viens de dire, 6+6 a
« O voleur sur la croix | misérable expirant, 6+6 a
1200 « Tu vas entrer aux cieux, | et tu seras plus grand 6+6 a
« Qu'un empereur portant | la couronne et le globe. » 6+6 a
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
« Ils se sont partagé | le manteau, mais la robe 6+6 a
« N'ayant pas de couture, | ils l'ont jouée aux dés. » 6+6 a
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
« De six à neuf, les monts | furent d'ombre inondés ; 6+6 a
1205 « Toute la terre fut | couverte de ténèbres ; 6+6 a
« Comme si quelque main | eût ployé ses vertèbres, 6+6 a
« Il baissa tout à coup | la tête, et dans ses yeux 6+6 a
« Lugubres apparut | la profondeur des cieux ; 6+6 a
« Et, poussant un grand cri, | Jésus expira. L'ombre 6+6 a
1210 « Monta, fumée infâme, | aux étoiles sans nombre ; 6+6 a
« Dans le temple, les bœufs | d'airain firent un pas, 6+6 a
« Le voile se fendit | en deux du haut en bas. 6+6 a
« Hors des murs, il se fit | un gouffre où se dressèrent 6+6 a
« D'affreux êtres sur qui | les rochers se resserrent 6+6 b
1215 « Et que la vaste fange | inconnue enfouit ; 6+6 c
« Et tout devint si noir | que tout s'évanouit ; 6+6 c
« Les sépulcres, s'ouvrant | subitement, restèrent 6+6 b
« Béants, montrant leur cave | où les taupes déterrent 6+6 a
« Les squelettes couchés | dans des draps en lambeaux ; 6+6 a
1220 « Des morts pâles, étant | sortis de leurs tombeaux, 6+6 a
« Furent vus par plusieurs | personnes dans la ville. » 6+6 a
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ainsi sur ce troupeau | frémissant, immobile, 6+6 a
Lugubre et stupéfait, | qu'on nomme Humanité, 6+6 a
Tombent, du fond de l'ombre | et de l'éternité, 6+6 a
1225 On ne sait quels lambeaux | de chimère et d'histoire 6+6 a
Et de songe, où l'enfer | mêle sa lueur noire. 6+6 a
Et l'on a peur du ciel | qui saigne à l'orient. 6+6 a
Et l'ouragan est plein | de spectres s'écriant : 6+6 a
O nations ; le meurtre | éternel se consomme ; 6+6 a
1230 Et, parmi tous les mots | que peut prononcer l'homme 6+6 a
Pas un, si frissonnant | qu'il fût, ne suffirait 6+6 a
A peindre cette horreur | de tombe et de forêt, 6+6 a
Le sourd chuchotement | des quatre évangélistes, 6+6 a
Et l'agitation | des grandes ailes tristes 6+6 a
1235 Qu'en ce gouffre de deuil | et de rébellion 6+6 a
Dressent l'aigle, le bœuf, | l'archange et le lion. 6+6 a
Dix-huit cents ans ont pu | s'écouler sans que l'homme, 6+6 a
Autour duquel mouraient | Byzance, Athène et Rome, 6+6 a
Et passait Charlemagne | et montait Mahomet, 6+6 a
1240 Ait quitté du regard | cette croix, ce sommet, 6+6 a
Cette blancheur sanglante, | et ces lueurs divines 6+6 a
Sous l'entrelacement | monstrueux des épines ; 6+6 a
Et sans qu'il ait cessé | d'entendre un seul moment 6+6 a
L'immense cri jeté | dans le noir firmament, 6+6 a
1245 Et lisible à jamais | sur ce sombre registre, 6+6 a
Et le déchirement | du grand voile sinistre, 6+6 a
Et dans l'obscurité | consciente, au-dessus 6+6 a
De ce gibet où pend | l'être appelé Jésus, 6+6 b
Au-dessus des songeurs | étudiant les bibles, 6+6 c
1250 Le sanglot effrayant | des bouches invisibles. 6+6 c
Quand donc pourra-t-on dire : | Hommes, le mal n'est plus ; 6+6 b
Quand verra-t-on finir | le flux et le reflux ; 6+6 a
O nuit ! ce qui sortit | de Jésus, c'est Caïphe. 6+6 a
Le tigre, ayant encor | de ce sang à la griffe, 6+6 a
1255 Remonta sur l'autel | et dit : je suis l'agneau. 6+6 a
Christ, ce libérateur, | ne brisa qu'un anneau 6+6 a
De la chaîne du mal, | du meurtre et de la guerre ; 6+6 a
Lui mort, son dogme, hélas ! | servit à la refaire ; 6+6 a
La tiare s'accrut | de son gibet. Jésus, 6+6 a
1260 Dans les cieux au-delà | du sépulcre aperçus, 6+6 a
S'en alla, comme Abel, | comme Job, comme Élie ; 6+6 a
Quand il eut disparu, | l'œuvre étant accomplie, 6+6 a
En même temps qu'au loin | se répandait sa loi : 6+6 a
« — Vivez ! aimez ; marchez ! | délivrez ! ayez foi ! — » 6+6 a
1265 Le serpent relevait | son front dans les décombres, 6+6 a
Et l'on vit, ô frisson ! | ô deuil ! des prêtres sombres 6+6 a
Aiguiser des poignards | à ses préceptes saints, 6+6 a
Et de l'assassiné | naître des assassins ! 6+6 a
Ghisleri, Borgia, | Caraffa, Dominique !… — 6+6 a
1270 Faites donc que jamais | l'homme ne soit inique, 6+6 a
Et que jamais le prêtre, | impie et solennel, 6+6 a
N'emploie à quelque usage | infâme l'Éternel ! 6+6 a
La flagellation | du Christ n'est pas finie. 6+6 a
Tout ce qu'il a souffert | dans sa lente agonie, 6+6 a
1275 Au mont des oliviers | et dans les carrefours, 6+6 a
Sous la croix, sur la croix, | il le souffre toujours. 6+6 a
Après le Golgotha, | Jésus, ouvrant son aile, 6+6 a
A beau s'être envolé | dans l'étoile éternelle ; 6+6 a
il a beau resplendir, | superbe et gracieux, 6+6 a
1280 Dans la sérénité | magnifique des cieux, 6+6 a
Dans la gloire, parmi | les archanges solaires, 6+6 a
Au-dessus des douleurs, | au-dessus des colères, 6+6 a
Au-dessus du nuage | âpre et confus des jours ; 6+6 a
Chaque fois que sur terre | et dans nos temples sourds 6+6 a
1285 Et dans nos vils palais, | des docteurs et des scribes 6+6 a
Versent sur l'innocent | leurs lâches diatribes, 6+6 a
Chaque fois que celui | qui doit enseigner, ment, 6+6 a
Chaque fois que d'un traître | il jaillit un serment, 6+6 a
Chaque fois que le juge, | après une prière, 6+6 a
1290 Jette au peuple ce mot : | Justice ! et, par-derrière, 6+6 a
Tend une main hideuse | à l'or mystérieux, 6+6 a
Chaque fois que le prêtre, | époussetant ses dieux, 6+6 a
Chante au crime Hosanna, | bat des mains aux désastres, 6+6 a
Et dit : gloire à César ! | Là-haut, parmi les astres, 6+6 a
1295 Dans l'azur qu'aucun souffle | orageux ne corrompt, 6+6 a
Christ frémissant essuie | un crachat sur son front. 6+6 a
— Torquemada, j'entends | le bruit de ta cognée. 6+6 a
Tes bras sont nus, ta face | est de sueur baignée ; 6+6 a
À quoi travailles-tu | seul dans ton noir sentier ; — 6+6 a
1300 Torquemada répond : | — Je suis le charpentier. 6+6 a
Et j'ai la hache au poing | dans ce monde où nous sommes. 6+6 a
— Qu'est-ce donc que tu fais ; |Un bûcher pour les hommes 6+6 a
— Avec quel bois ; — Avec | la croix de Jésus-Christ. 6+6 a
Après avoir courbé | sous la loi qui flétrit 6+6 a
1305 Et sous la loi qui tue, | hélas ! cet être auguste, 6+6 a
Après avoir cloué | sur le gibet ce juste 6+6 a
D'où ruisselle le sang | et d'où le pardon sort, 6+6 a
Devant l'obscurité | des sentences de mort, 6+6 a
Devant l'affreux pouvoir | d'ôter la vie, et d'être 6+6 a
1310 Celui qui fait mourir, | mais qui ne fait pas naître, 6+6 a
Devant le tribunal, | devant le cabanon, 6+6 a
Devant le glaive, l'homme | a-t-il reculé ? non. 6+6 a
Sous cette croix que charge | une horreur inconnue, 6+6 a
Ce qu'on nomme ici-bas | Justice, continue. 6+6 a
1315 Ce spectre aveugle et sourd, | dont l'ombre est le manteau, 6+6 a
A peine se souvient | d'avoir à ce poteau 6+6 a
Attaché cette immense | innocence étoilée. 6+6 a
En présence du bien, | du mal, dans la mêlée 6+6 a
Des fautes, des erreurs, | où le juste périt, 6+6 a
1320 Pas un juge n'a peur | de ce mot : Jésus-Christ ! 6+6 a
Le Calvaire n'a point | découragé la Grève ; 6+6 a
Montfaucon à côté | du Golgotha s'élève ; 6+6 a
Et le Messie a pu | mourir sans éclairer. 6+6 a
L'homme n'a pas cessé | de se dénaturer 6+6 a
1325 Dans le tragique orgueil | de condamner son frère. 6+6 a
L'ouverture hideuse, | infâme, téméraire, 6+6 a
Du sépulcre au milieu | des lois, c'est là le port ; 6+6 a
Et le noir genre humain | s'abrite dans la mort. 6+6 a
Tristes juges ! ô deuil ! | quoi ! pas un ne s'arrête ! 6+6 a
1330 Le grand spectre qui porte | au-dessus de sa tête 6+6 a
L'écriteau ténébreux | et flamboyant : INRI, 6+6 a
Pâle, éploré, sanglant, | fouetté, percé, meurtri, 6+6 a
Pend devant eux au bois | de la croix douloureuse, 6+6 a
Tandis que chaque mot | prononcé par eux, creuse 6+6 a
1335 Une fosse dans l'ombre | et dresse un échafaud : 6+6 a
A mort cet homme ! à mort | cette femme ! il le faut ! 6+6 a
A mort le fils du peuple ! | à mort l'enfant du chaume ! 6+6 a
— Vous ne voyez donc pas | mes clous ! dit le fantôme. 6+6 a
Et que de justes morts ! | Que de bons condamnés ! 6+6 a
1340 Que de saints, d'un arrêt | infâme couronnés ! 6+6 a
O martyre ! escalade | horrible du supplice ! 6+6 a
Le meurtre fier, sacré, | public ; la loi complice ! 6+6 a
Flots du sang innocent ! | Si, sur quelque sommet, 6+6 a
L'homme des anciens jours, | Jacob se rendormait, 6+6 a
1345 il reverrait encore | une ascension d'anges, 6+6 a
Pensifs, purs, tout baignés | de lumières étranges, 6+6 a
Montant l'un après l'autre, | ayant de l'orient 6+6 a
Et de l'immensité | sur leur front souriant, 6+6 a
Ceux-ci levant leurs mains, | ceux-là dressant leur aile, 6+6 a
1350 Calmes, éblouissants, | sereins, et cette échelle, 6+6 a
Sœur de celle que l'ombre | à ses yeux dérobait, 6+6 a
Hélas, n'aboutit pas | au ciel, mais au gibet. 6+6 a
Oh ! puisque c'est ainsi | que les choses sont faites, 6+6 a
Puisque toujours la terre | égorge ses prophètes, 6+6 a
1355 Qu'est-ce qu'on doit penser | et croire, ô vastes cieux ! 6+6 a
Contre la vérité | le prêtre est factieux ; 6+6 a
Tous les cultes, soufflant | l'enfer de leurs narines, 6+6 a
Mâchent des ossements | mêlés à leurs doctrines ; 6+6 a
Tous se sont proclamés | vrais sous peine de mort ; 6+6 a
1360 Pas un autel sur terre, | hélas, n'est sans remord. 6+6 a
Les faux dieux ont partout | laissé leur cicatrice 6+6 a
A la nature, sainte | et suprême matrice ; 6+6 a
Partout l'homme est méchant, | cœur vil sous un œil fier, 6+6 a
Et mérite la chute | immense de l'éclair ; 6+6 a
1365 Toute divinité | dans ses mains dégénère 6+6 a
En idole, et devient | digne aussi du tonnerre. 6+6 a
Qui donc a tort ; qui donc | a raison ; que penser ; 6+6 a
Dieu semble chaque jour | plus avant s'enfoncer 6+6 a
Dans la profondeur sourde | et fatale du vide ; 6+6 a
1370 Le Zend est ténébreux ; | le Talmud est livide ; 6+6 a
Nul ne sait ce qu'un temple, | et le dieu qu'on y sent, 6+6 a
Aime mieux voir fumer, | de l'encens, ou du sang ; 6+6 a
Toute église a le meurtre | infiltré dans ses dalles ; 6+6 a
Les chaires font en bas | d'inutiles scandales, 6+6 a
1375 Les foudres font en haut | d'inutiles éclats ; 6+6 a
Ce qu'on doit faire avec | ce qu'on doit croire, hélas ! 6+6 a
Presque toujours conteste | et rarement s'accorde. 6+6 a
L'abîme profond s'ouvre ; | un dogme est une corde 6+6 a
Qui pend dans l'ombre énorme | et se perd dans le puits. 6+6 a
1380 Ainsi mourut Jésus ; | et les peuples depuis, 6+6 a
Atterrés, ont senti | que l'inconnu lui-même 6+6 a
Leur était apparu | dans cet Homme Suprême, 6+6 a
Et que son évangile | était pareil au ciel. 6+6 a
Le Golgotha, funeste | et pestilentiel, 6+6 a
1385 Leur semble la tumeur | difforme de l'abîme ; 6+6 a
Fauve, il se dresse au fond | mystérieux du crime ; 6+6 a
Et le plus blême éclair | du gouffre est sur ce lieu 6+6 a
Où la religion, | sinistre, tua Dieu. 6+6 a
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